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5 décembre 2024 4 05 /12 /décembre /2024 12:20

Gérard Borvon.

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Thalès, nous disent Aristote et Hippias, communiquait la vie aux choses inanimées au moyen de l’ambre jaune mais, également, de la "pierre de magnésie" (μαγνήτις λίθος), l’aimant naturel.


Contrairement à l’ambre, venu des contrées lointaines, l’aimant, oxyde de fer naturellement "magnétique" est largement réparti à la surface du globe. Ses propriétés n’en sont pas moins mystérieuses. L’un de ses noms en grec ancien : "pierre d’Hercule", témoigne de la force des pouvoirs qui lui étaient attribués.

 

Même si l’observation commune ne permettait pas de constater, de sa part, d’autres prodiges que l’attraction de quelques fragments de fer, la légende se nourrissait de récits d’îles attirant les vaisseaux munis de clous de fer et d’hommes cloués au sol par leurs souliers ferrés. Des auteurs aussi sérieux que Plutarque ou Ptolémée n’hésitaient pas à rapporter d’étranges pratiques. "Frottez un aimant avec une gousse d’ail ou du jus d’oignons, disaient-ils, et il cessera d’attirer le fer". "Trempez le dans du sang de bouc, disaient d’autres auteurs, et il reprendra toute sa force" (cité par Henri Martin, doyen de la Faculté des lettres de Rennes dans La foudre, l’électricité et le magnétisme chez les anciens. Paris 1866). A l’évidence une observation de type "scientifique" n’était pas encore à l’ordre du jour !

 

Le terme de "magnétisme" sera donc, comme celui "d’électricité", le principal héritage légué par les grecs.

 

Les hellénistes du 19ème siècle qui, comme Henri Martin, se sont penchés sur l’origine de cette dénomination, ont constaté que l’expression "pierre de magnésie", a pu être interprétée de façon variable suivant les époques. Le sens qui s’est finalement figé est celui d’une pierre issue de la ville de Magnésie, cité grecque d’Asie mineure. La ville étant supposée abriter des mines de cet oxyde de fer auquel nous donnons, aujourd’hui, le nom "d’oxyde magnétique" ou "magnétite", et que nous désignons par la formule Fe3O4.

 


cristaux de magnétite.


Ce nom de "Pierre de Magnésie", sera également donné à d’autres minéraux. La "magnésie" est aussi une terre blanchâtre utilisée dans les pharmacopées anciennes comme laxatif. Elle donnera son nom au magnésium dont elle est l’hydroxyde. "Pierre de magnésie" sera aussi le nom ancien du Manganèse, corps dont l’oxyde naturel était utilisé comme fondant par les premiers verriers ou les métallurgistes et qui est indispensable, actuellement, à la fabrication de nombreux alliages.

 

Retenons surtout que Magnésie a donné "magnétisme" et le mot anglais ou allemand "magnet" qui désigne ce que, en France, nous appelons "aimant".

 

Le terme d’aimant est, quant à lui, issu du latin adamas : le diamant. Par une voie obscure le mot "adamas" a également désigné une pierre de magnésie particulièrement active. Ce double sens se retrouve dans le latin médiéval mais bientôt le mot "diamas" désigne le diamant pendant que le terme adamas, conservé pour la magnétite, est interprété comme issu du verbe "adamare" (aimer avec passion) et traduit en langue romane par le mot "aymant" puis aimant (voir Henri Martin : : La foudre, l’électricité et le magnétisme chez les anciens. Paris 1866).

 

Le mystère et la poésie antiques renaissent ainsi dans une pierre capable d’amour. Le domaine des sciences n’échappe pas à la règle, les mots y sont chargés de l’histoire humaine.

L’héritage chinois.

 

Magnet, aimant… Les grecs et les latins ont légué le vocabulaire au monde européen. Pourtant la propriété la plus fabuleuse de la pierre de magnésie leur avait échappé. C’est de Chine que viendront les premières lumières à travers l’instrument qui fera le bonheur des marchands et des navigateurs : la boussole.

 

A une période que certains auteurs fixent comme antérieure au troisième siècle avant notre ère y est attesté l’usage d’un "indicateur de sud". C’est une statuette montée sur un pivot vertical et dont le bras étendu montre en permanence le sud. C’est naturellement une tige aimantée qui guide ce bras.

 

On évoque aussi la trouvaille archéologique d’une cuillère divinatoire très particulière. La cuillère utilisée dans ce but a une queue courte et tient en équilibre sur sa base arrondie. On la place au centre d’une plaque polie où sont gravés divers signes propres à lire l’avenir. Un coup vif sur la queue et la cuillère tourne. Quand elle s’arrête, il reste à interpréter les inscriptions indiquées par la direction de son manche. Une cuillère en magnétite et sa plaque de bronze ont ainsi été retrouvées laissant imaginer la façon dont les prêtres chinois aidaient le sort.

 

Plus sérieux. Des boussoles à aiguille suspendue, placées sur pivot ou sur un flotteur sont signalées, en Chine, entre le neuvième et douzième siècle de notre ère. Elles étaient utilisées pour des relevés terrestres. Peut-être étaient-elles déjà connues des ingénieurs qui ont dirigé la construction de la grande muraille.

 

Il est vraisemblable que la boussole a d’abord été adoptée par les arabes avant d’arriver en Europe au début du treizième siècle. Les navigateurs européens seront dès lors capables de s’éloigner des côtes et d’ouvrir les routes maritimes de l’Inde, de la Chine et des Amériques.

Pierre de Maricourt ( XIIIe siècle)

 

C’est un "ingénieur militaire" au service du Duc d’Anjou, Pierre de Maricourt dit "Le Pèlerin", qui élucide une partie du mystère de la boussole (son nom est issu de l’italien "bussola" et évoque la "petite boîte" dans laquelle les navigateurs la tiennent enfermée). Pierre de Maricourt est d’ailleurs en Italie, occupé au siège de la ville de Lucera, quand, en 1269, il rédige, sous le titre "Epistola de magnete" (lettre sur l’aimant), le traité qui l’a rendu célèbre.

 

L’unanimité se fait pour considérer ce texte comme l’un des actes fondateurs de la science expérimentale. Suivons, un moment, sa démarche.

 

D’abord quand il définit les "pôles" de l’aimant. "Cette pierre, dit-il, porte en elle la ressemblance du ciel… car dans le ciel il y a deux points remarquables parce que la sphère céleste se meut autour d’eux comme autour d’un axe. L’un est appelé le pôle Nord, l’autre le pôle Sud. Ainsi dans cette pierre tu trouves tout à fait de même deux points dont l’un est appelé pôle Nord et l’autre pôle Sud".

 

Le terme de "pôles" sera conservé dans le vocabulaire du magnétisme mais, notons-le : les pôles dont il est ici question ne sont pas ceux de la terre mais ceux du ciel. La boussole indique le Nord céleste. C’est à l’univers entier qu’est liée la Pierre.

 

L’image du ciel implique une sphère et deux pôles sur celle-ci. Il faut donc que l’aimant soit taillé en forme de sphère :

 

"Pour la découverte de ces deux points tu peux employer divers moyens. L’un consiste à donner à la pierre une forme ronde avec l’instrument employé pour cela pour les cristaux et autres pierres."

 

Reste à y placer les pôles :

 

"Ensuite on pose sur la pierre une aiguille ou un morceau de fer en longueur équilibré comme une aiguille et suivant la direction du fer on marque une ligne divisant la pierre en deux. Ensuite on pose l’aiguille ou le morceau de fer en un autre endroit de la pierre et pour cet endroit, de la même manière, on marque de nouveau une ligne. Et, si tu veux, tu feras cela en plusieurs endroits et sans nul doute toutes ces lignes concourront en deux points comme tous les cercles du monde qu’on appelle azimuths concourent en deux pôles du monde opposés"

 

Ensuite :

 

"Casse un petit morceau d’une aiguille qui soit long de deux ongles et pose le à l’endroit où le point a été trouvé comme on vient de le dire, et s’il se tient perpendiculairement à la pierre, tu as sans nul doute le point cherché… et de même tu trouveras le point opposé. Si tu l’as bien fait et si la pierre est homogène et bien choisie, les deux points seront diamétralement opposés comme les pôles de la sphère céleste"

 

Pour savoir lequel est le pôle Nord, lequel est le pôle Sud, il reste à placer la sphère dans un bol de bois posé sur l’eau et à la laisser s’orienter comme une boussole. On marquera alors comme "pôle Nord" celui qui se dirigera vers le Nord céleste. Ainsi le "pôle Nord" de la boussole sera, jusqu'à notre époque, celui qui se dirige vers l'étoile polaire.

 

Maintenant, expérimentons. Une deuxième pierre a été préparée, on l’approche de la première, et voilà que la Nature dévoile l’une des lois cachée jusqu’à présent à la connaissance des hommes !

 

"Sache donc cette règle", écrit Maricourt " que le pôle Nord d’une pierre peut attirer le pôle Sud de l’autre et le pôle Sud son pôle Nord. Si au contraire tu approches le pôle Nord du pôle Nord, tu verras la pierre que tu portes fuir sur l’eau la pierre que tu tiens et de même si tu approches le pôle Sud du pôle Sud"

 

Le moyen âge, dit-on, est période d’obscurantisme. Pierre de Maricourt semble vouloir prouver le contraire. Il faudra attendre plus de trois siècles pour que William Gilbert apporte de nouveaux éclairages sur le même sujet et plus de quatre siècles pour que Dufay décrive, avec la même précision, les lois de l’attraction et de la répulsion électrique.

 

Louis Néel, en recevant le prix Nobel de physique en 1970 pour ses travaux sur le ferromagnétisme, saura rendre, à Pierre de Maricourt, un hommage mérité. Après avoir salué les travaux de ses prédécesseurs, Pierre Curie, Paul Langevin, Pierre Weiss, il situe ses propres travaux dans l’héritage de son confrère médiéval :

 

" Seules restaient incomprises les propriétés de la plus ancienne des substances magnétiques connues : la magnétite ou pierre d’aimant qui a attiré l’attention des curieux depuis quatre mille ans. J’ai eu la chance de combler cette lacune et d’expliquer ces propriétés, avec la notion de ferromagnétisme.
 

Mais j’avais été précédé dans cette voie, au XIIIème siècle, par Pierre de Maricourt, auteur en 1269 du premier traité sérieux sur les aimants."

 

Pour ajouter à son mérite, notons que Pierre de Maricourt observe également l’aimantation du fer par le contact d’un aimant et qu’il inaugure l’expérience classique de "l’aimant brisé" : quand on brise un aimant, un pôle sud apparaît au niveau de la cassure sur le morceau qui porte le pôle Nord et un pôle Nord sur la partie qui porte le pôle Sud. Deux nouveaux aimants naissent donc de cette rupture.

 


aimant brisé de Pierre de Maricourt

 


William Gilbert

 

Plus de trois siècles se sont écoulés. Nous rencontrons William Gilbert. C’est, rappelons le, dans le cadre d’un ouvrage sur le magnétisme qu’il avait été amené à différencier les actions de l’ambre et de l’aimant et à faire connaître la multiplicité des corps susceptibles d’être "électrisés" par le frottement. C’est lui faire justice que de reconnaître son apport tout aussi fondamental dans le domaine du magnétisme.

 

Quand, en l’année 1600, il publie "De Magnete" l’Univers n’est plus celui de Pierre de Maricourt. Depuis déjà plus d’un demi-siècle, Copernic a mis le soleil au centre du monde et rabaissé la Terre au rang d’une simple Planète. La sphère céleste s’est effacée, le Nord et le Sud ne sont plus les pôles du ciel mais les extrémités de l’axe autour duquel tourne la Terre. La boussole, quant à elle, est devenue l’objet de toutes les attentions. Il y a déjà plus d’un siècle qu’elle a guidé Christophe Colomb vers un nouveau monde. Mais, si ce n’est plus le ciel qui la dirige, comment fonctionne-t-elle ?

 

C’est la Terre, nous dit Gilbert, qui attire la boussole car elle est elle-même un gigantesque aimant.

 


Pour Gilbert la terre est un aimant.


 

Les aimants sphériques de Pierre de Maricourt pouvaient, de façon naturelle, amener à ce modèle. Gilbert en fera des "terellae", des petites Terres sur lesquelles il pourra promener une boussole. Il étudiera ainsi le phénomène d’inclinaison magnétique. Une boussole suspendue n’est horizontale qu’au niveau de l’Equateur. Elle s’incline ensuite quand on se dirige vers les pôles pour se présenter perpendiculaire à ceux-ci quand elle les atteint.

 

Il sait aussi que le Nord magnétique ne coïncide pas exactement avec le Nord géographique. Il n’ignore pas que Christophe Colomb, le premier, a observé la déclinaison, cet écart variable suivant les lieux entre le Nord et la direction de la boussole. Ces variations n’enlèvent rien au modèle qu’il propose. Il les attribue aux imperfections de la Terre qui, avec ses océans, ses montagnes, ses mines métalliques, est loin de l’homogénéité d’un aimant parfait.

 

Mais la nouvelle théorie pose un problème de vocabulaire. Si la Terre est un aimant, son pôle Nord géographique qui attire le pôle Nord de la boussole est donc, en réalité, le pôle Sud de l’aimant terrestre !

 

Pour éviter la confusion, des physiciens des siècles suivants, proposeront d’appeler "pôle magnétique positif" le pôle Nord de l’aimant et "pôle magnétique négatif" son pôle Sud. Le pôle Nord de la terre serait ainsi, tout simplement, un pôle "moins" magnétique. Hélas le succès de cette nomenclature ne fut pas au rendez-vous.

 

Les physiciens du 19ème siècle pensaient pouvoir échapper à la confusion en utilisant le terme de "magnétisme boréal" pour l’aimantation du pôle Nord terrestre et de "magnétisme austral" pour celle du pôle opposé. Ainsi le pôle Nord d’une boussole présentait-il un magnétisme "austral". Cet usage artificiel de synonymes ne réglait cependant, en rien, le problème.

 

Combat perdu : les scientifiques ont jusqu’à présent renoncé à réformer un vocabulaire imposé par des siècles de pratique. Nouvelle cicatrice de la science : nous devons nous accommoder d’un "Nord magnétique" des géographes qui est en réalité un "Sud magnétique" des physiciens.

 

L’ouvrage de Gilbert, qui, lui aussi, se reconnaît comme le continuateur de Pierre de Maricourt, restera la référence pendant près de deux siècles et c’est seulement à la fin du 18éme siècle que Coulomb viendra enrichir la connaissance du magnétisme par l’étude quantitative qu’il en fera au moyen de sa "balance".

Coulomb et la mesure

 

C’est d’abord le magnétisme qui fait connaître Coulomb. En 1777, son mémoire, intitulé "Recherches sur la meilleure manière de fabriquer les aiguilles aimantées", est primé par l’Académie des sciences.

 

Coulomb est de cette nouvelle génération de scientifiques qui mettent leur connaissance approfondie des mathématiques au service de la science expérimentale. Ses mémoires pourraient, encore aujourd’hui, donner lieu à d’intelligents exercices scolaires ou universitaires.

 

Quand il quitte le chantier du magnétisme, il nous a appris que, comme le fluide électrique, "le fluide magnétique agit suivant la raison inverse du carré des distances de ses molécules". Il a répertorié et amélioré les méthodes pour aimanter un barreau aimanté et pour en déterminer le degré d’aimantation.

 


montage de coulomb pour l’étude du magnétisme.

voir


Le domaine du magnétisme semble avoir été entièrement exploré. Du moins a-t-on pu le penser pendant les trente années qui ont suivi.


De l’aimant à l’électro-aimant.

 

Souvenons nous que, depuis l’année 1600, Gilbert a dressé une frontière entre l’ambre et l’électricité d’une part, l’aimant et le magnétisme d’autre part.

 

La frontière était-elle hermétique ? Pas totalement. D’abord parce qu’il est difficile de ne pas imaginer la même cause à des actions aussi visiblement proches que les attractions électriques, magnétiques et même de gravitation. Encore aujourd’hui, la grande "unification" est le rêve des physiciens.

 

Seconde raison : l’observation commune. Avant même que soit connue la nature électrique de la foudre, on savait qu’un éclair pouvait faire bouger l’aiguille d’une boussole et même, parfois, supprimer ou inverser son aimantation. La bouteille de Leyde permettait d’ailleurs de vérifier aisément le phénomène. "Je ne me souviens pas si je vous ai mandé" écrivait Franklin à son ami Cadwallader Colden, en 1751, "que j’ai changé les pôles d’une aiguille aimantée et donné le magnétisme et la polarité à des aiguilles qui n’en avaient point" et ceci en utilisant de volumineuses bouteilles de Leyde de 8 à 9 gallons (environ trente litres).

 

Quand, en 1800, Volta fait connaître sa pile, des espoirs renaissent. Comment ne pas voir dans cette colonne présentant deux pôles l’équivalent d’un barreau aimanté.

 

L’analogie entre les fluides électriques et magnétiques redevient un sujet d’actualité dans les laboratoires européens. Si des phénomènes encourageants ont pu être observés, ils ne laissent pourtant aucune trace avant la fameuse expérience réalisée par le physicien Danois Hans Christian Œrsted.

Hans Christian Œrsted (1777-1851).

 

Œrsted, professeur de sciences physiques à l’université de Copenhague, est du nombre de ceux qui aspirent à trouver la cause commune de l’électricité et du magnétisme.

 

Hans Christian Œrsted est né le 14 août 1777 dans l’île danoise de Langeland. Son père est pharmacien et lui fait suivre des études de médecine à Copenhague où il obtient le titre d’agrégé de la faculté de médecine en 1800, l’année même ou Volta fait connaître sa pile. Il tient un moment la pharmacie familiale mais a la chance de se voir attribuer, par son gouvernement, une bourse qui lui permet de voyager pendant cinq ans en Europe pour compléter son instruction. De retour au Danemark, il est nommé professeur de physique dans l’université de Copenhague.

 

Au début de l’année scolaire 1819-1820, il est occupé à un cours sur la pile Volta. Il en montre, en particulier, les effets thermiques, en portant à l’incandescence un fil de platine tendu entre ses deux pôles. Etait-ce un hasard ? Une aiguille aimantée se trouve sur la table, à proximité de la pile. Un assistant remarque, alors, une oscillation de l’aiguille quand les deux pôles de la pile sont réunis. C'est du moins ainsi que la légende de la découverte a été relatée.

 

En réalité il y a déjà plusieurs années que Oersted cherche à montrer une analogie entre magnétisme et électricité. Le phénomène est surprenant. On recherchait une analogie entre les pôles d’un aimant et ceux d’une pile en circuit ouvert. Il fallait, en réalité, fermer le circuit, et en quelque sorte neutraliser ces pôles, pour qu’une observation soit faite.

 


Œrsted découvre l’action magnétique des courants
(Louis Figuier, Les Merveilles de la Science)


Reprenant l’expérience dans le secret de son laboratoire, Œrsted constate que c’est bien le fil reliant les pôles qui est le siège d’un phénomène magnétique et non les pôles eux-mêmes. Il remarque, en particulier que les effets sont les plus spectaculaires quand le fil est parallèle à la direction de l’aiguille. Tous ces résultats sont publiés en juillet 1820 dans un mémoire intitulé : "Expériences relatives à l’effet du conflit électrique sur l’aiguille aimantée".

 

Œrsted, partisan de la théorie des deux électricités, positive et négative, imagine deux "tourbillons" de fluides électriques opposés agissant le long du fil. La "matière électrique négative décrit une spirale à droite et agit sur le pôle nord" dit-il, tandis que "la matière électrique positive possède un mouvement en sens contraire et a la propriété d’agir sur le pôle Sud ".

 

L’interprétation est archaïque et bien éloignée des théories d’action à distance héritées de Newton qui dominent à cette époque. L’observation, par contre, mobilisera, dans l’instant, l’ensemble des physiciens européens. Parmi eux, Ampère.

Ampère (1775-1836)

 

André-Marie Ampère fait partie de cette génération de jeunes physiciens talentueux armés des outils mathématiques les plus récents. A 33 ans il est déjà inspecteur général de l’Instruction Publique. La relation de l’expérience de Œrsted lui parvient au moment où il est devenu un professeur chevronné à l’école polytechnique. Il a alors l’idée de tester l’action de deux courants l’un sur l’autre.

 

Que feront deux fils parallèles parcourus par des courants de même sens. Vont-ils se repousser comme le font deux charges électriques de même signe ?

 

Vérification faite : ils s’attirent !

 

Par contre deux fils parcourus de courants en sens inverse se repoussent.

 

Le résultat peut alors s’énoncer sous la forme d’une loi inverse de celle de Dufay pour les charges électriques statiques :

 

Deux éléments de courants parallèles et de même sens s’attirent. Deux éléments de courants parallèles et de sens contraire se repoussent.

Un montage ingénieux.

 

Le montage réalisé pour cette étude est particulièrement ingénieux. Il s’agit d’un cadre rectangulaire mobile autour d’un axe. Cet axe est parallèle à un fil rectiligne vertical fixe. Le courant descend dans l’une des tiges verticales du cadre et monte donc dans l’autre.

 

Ce dispositif permet d’approcher du fil fixe, parcouru par un courant, un fil parallèle à celui-ci et parcouru d’un courant que l’on peut choisir de même sens ou de sens contraire.

 

Ce choix d’un cadre aura, nous le verrons, de fructueux effets sur la suite des travaux d’Ampère.

 


Le montage imaginé par Ampère pour étudier attraction et répulsion entre deux courants rectilignes. Le fil IL attire le fil DF et repousse le fil MG.

"Exposé des nouvelles découvertes sur l’électricité et le magnétisme, par MM.  Ampère et Babinet, Méquignon-Marvis, Paris, 1822"


 

L’annonce de ces résultats sera faite le 18 septembre 1820 c’est-à-dire une semaine après que les observations de Œrsted aient été connues de l’Académie des Sciences.

 

Plus tard, Ampère soulignera avec force la portée novatrice de son intuition :

 

« Lorsque M. Œrsted eut découvert l’action que le fil conducteur exerce sur un aimant, on devait, à la vérité, être porté à soupçonner qu’il pouvait y avoir une action mutuelle entre deux fils conducteurs ; mais ce n’était point une conséquence nécessaire de la découverte de ce célèbre physicien, puisqu’un barreau de fer doux agit sur une aiguille aimantée, et qu’il n’y a cependant aucune action mutuelle entre deux barreaux de fer doux. » (Ampère, Théorie mathématique des phénomènes électro-dynamiques uniquement déduite de l’expérience, A. Hermann. Paris 1826).

 

Il se pouvait en effet, expose Ampère, que le passage d’un courant électrique dans un fil conducteur ne lui donne, simplement, que la propriété du fer doux et donc n’implique aucune action entre les deux fils : deux barreaux de fer doux ne se repoussent pas !

 

« L’expérience pouvait seule décider la question : je la fis au mois de septembre 1820, et l’action mutuelle des conducteurs voltaïques fut démontrée. » .

 

La vraie découverte résiderait bien plus dans la mise en évidence de cette action mutuelle de deux courants que dans celle de l’action d’un courant sur un aimant faite par Œrsted. Telle semble être, du moins, l’opinion de Ampère au moment où il rédige ces lignes. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il refuse la dénomination d’électro-magnétisme pour désigner cette nouvelle branche du savoir et qu’il essaie d’imposer, sans succès, le terme d’électro-dynamisme.

 

Poursuivant l’étude du phénomène, il en établira la loi mathématique et montrera, en particulier, que les forces exercées entre deux éléments conducteurs sont inversement proportionnelles au carré de leur distance. Une loi qui retrouve la forme des celles énoncées par Newton pour la gravitation et par Coulomb pour l’électrostatique et le magnétisme. C’est d’ailleurs de Newton dont il revendique la filiation :

 

« Observer d’abord les faits, en varier les circonstances autant qu’il est possible, accompagner ce premier travail de mesures précises pour en déduire des lois générales, uniquement fondées sur l’expérience, et déduire de ces lois, indépendamment de toute hypothèse sur la nature des forces qui produisent les phénomènes, la valeur mathématique de ces forces, c’est à dire la formule qui les représente, telle est la marche qu’a suivie Newton. Elle a été, en général, adoptée en France par les savants auxquels la physique doit les immenses progrès qu’elle a faits dans ces derniers temps, et c’est elle qui m’a servi de guide dans toutes mes recherches sur les phénomènes électro-dynamiques. »

La terre est un électro-aimant.

 

Le cadre mobile utilisé pour établir la loi d’attraction et de répulsion des courants devait être utilisé avec précaution.

 

En effet, en y faisant passer un courant, alors que le fil fixe n’était pas encore alimenté, on observait une rotation du cadre qu’Ampère pouvait immédiatement attribuer à l’action de l’aimant terrestre sur ce dispositif particulièrement sensible. Pour éviter toute perturbation provenant de l’action de la terre, il fallait donc placer le plan du cadre perpendiculaire à la direction Nord/Sud.

 

L’étude du magnétisme terrestre devenait alors un nouveau champ d’investigation avec pour détecteur, non plus une aiguille aimantée, mais un cadre mobile parcouru par un courant. Le cadre pouvait même être incliné comme une boussole des tangentes, cette aiguille aimantée suspendue de telle sorte qu’elle puisse s’incliner dans la direction réelle des lignes du champ magnétique terrestre. Il apparaissait alors que : « quelle que soit la position qu’on donne au conducteur, » il ne s’immobilisait « que dans la situation où son plan est perpendiculaire à la direction connue de l’aiguille d’inclinaison. »

 

Guidé par ses premières observations, Ampère ne voit qu’une seule explication :

 

« cet effet se trouve expliqué par la même supposition des courants électriques dirigés de l’est à l’ouest dans le globe de la terre... ».

 

Gilbert avait su voir que la Terre était un gigantesque aimant. Ampère précisait qu’il s’agissait d’un électro-aimant résultant de courants électriques circulant en boucles à l’intérieur du Globe. Cette hypothèse est toujours d’actualité.

Du cadre mobile au solénoïde

 

Le cadre rectangulaire peut être remplacé par une spire. La bonne idée est d’enrouler le fil, non plus dans un plan, mais en hélice. sur un tube de verre isolant constituant ainsi ce que Ampère appellera plus tard un "solénoïde" (du grec sôlên, canal, et eidos, forme).

 


Solénoïde.
(Louis Figuier, Les Merveilles de la Science)


 

Ce montage deviendra particulièrement efficace quand le physicien Johann Schweigger aura eu l’idée d’isoler les fils conducteurs en les entourant de soie, permettant ainsi la réalisation de spires jointives et même d’en superposer plusieurs couches.

 

Ce solénoïde, parcouru par un courant, a toutes les caractéristiques d’un barreau aimanté. Il présente à ses extrémités des pôles Nord et Sud (Austral et Boréal, dirait Ampère). Il peut s’orienter dans le champ magnétique terrestre. Il peut agir sur une aiguille aimantée.

Du solénoïde à l’aimant droit.

 

Une hypothèse alors largement admise, pour interpréter l’action des aimants, est l’existence de "fluides", de "charges" ou de "masses" magnétiques dans ceux-ci. Un fluide magnétique "austral" agirait au pôle nord de l’aimant, un fluide magnétique "boréal" au pôle sud.

 

Après avoir expliqué le magnétisme terrestre par l’existence de courants électriques parcourant le globe, Ampère étend tout naturellement cette hypothèse aux barreaux aimantés :

 

« ...puisque nous avons vu que nous pouvions assimiler l’effet produit par le globe, soit sur un conducteur mobile, soit sur un aimant, à celui d’un courant électrique dirigé de l’est à l’ouest, nous devons pouvoir rendre raison de tous les phénomènes que présentent les aimants, en imaginant dans ceux-ci une disposition analogue... »

 


Barreau aimanté représenté comme parcouru par des courants de direction Est/Ouest, à l’image de l’aimant terrestre.

"Exposé des nouvelles découvertes sur l’électricité et le magnétisme, par MM.  Ampère et Babinet, Méquignon-Marvis, Paris, 1822"


 

Un aimant est donc le siège de courants électriques. Ces courants forment des boucles perpendiculaires à l’axe de l’aimant, tournant toutes dans le même sens. Leur résultante superficielle donne à l’aimant une apparence de solénoïde.

 

L’hypothèse est hardie à un moment où on ne connaît rien de la nature des atomes et à plus forte raison des électrons.

 

Cette analogie se renforce quand Ampère à connaissance des expériences faites par le physicien Arago. Celui-ci à d’abord l’idée de présenter de la limaille de fer à l’action d’un fil parcouru par un courant : la limaille est attirée et retombe dès que le courant cesse. Une aiguille d’acier présentée au courant s’aimante et conserve cette aimantation.

 

Arago, puis Ampère, imaginent alors d’introduire un barreau d’acier dans un solénoïde. Leur intuition se vérifie : le barreau s’aimante en présentant les mêmes pôles que ceux du solénoïde.

 

Voici donc le moyen efficace et rapide de fabriquer des aimants permanents. Coulomb, qui en avait fait un de ses principaux objets d’étude, aurait aimé vivre cet instant.

 

Tout aussi digne d’intérêt : une tige de "fer doux" placée dans un solénoïde s’aimante également mais perd son aimantation dès que le courant cesse. Mieux qu’un aimant permanent, l’aimant temporaire, l’électro-aimant vient d’être découvert.

 

C’est l’électroaimant qui bientôt transportera des charges métalliques mais aussi permettra d’imaginer le télégraphe et surtout les moteurs puis les génératrices électriques.

 

De Ampère nous retiendrons également le "bonhomme" placé sur le conducteur de façon à ce que le courant "positif" lui entre par les pieds. La force qui agit sur le pôle nord de la boussole qu’il regarde, se dirige vers sa gauche.


Le bonhomme dessiné par Ampère.

 

voir aussi : Au sujet du sens du courant électrique, du bonhomme d’Ampère et du tire-bouchon de Maxwell.


Ampère publie l’ensemble de ses travaux en 1826, sous le titre "Théorie mathématique des phénomènes électro-dynamiques uniquement déduite de l’expérience". L’expérience : le mot est essentiel. Quelles que soient les hypothèses qui pourront être formulées sur le magnétisme, ma loi restera juste, affirme Ampère, car elle "restera toujours l’expression des faits".

 

Les faits l’ont imposé : l’ambre et l’aimant se sont à nouveau rencontrés. L’électromagnétisme est né.


Voir aussi :

 

"Gilbert, qu’on peut à juste titre appeler le père de l’électricité moderne"

 

L'expérience de Hans-Christian Œrsted (1820)

 

Ampère jette les bases de l'électrodynamique (septembre 1820-janvier 1821)

 


Pour aller plus loin :

 

Cet ouvrage retrace l’histoire de l’électricité et des savants qui ont marqué son évolution.

L’électricité paraît être une énergie évidente et n’étonne aujourd’hui plus grand monde ; son utilisation est très banale, et pourtant un nombre incalculable de nos actes et modes de vie ne sauraient se passer de son indispensable compagnie. L’électricité est une science récente… mais, des Grecs de l’Antiquité qui, en frottant l’ambre, s’émerveillaient de ses propriétés électrostatiques aux Curie étudiant la radioactivité, de découvertes heureuses en expériences dramatiques, portés par des hommes et des femmes qui ont tout sacrifié à la compréhension des phénomènes électriques, plus de vingt-cinq siècles ont défilé avant que l’on perçoive, peut-être, l’essence de cette force naturelle.

 

Au fil d’un récit imagé - celui d’une succession de phénomènes généralement discrets qui, sous le regard d’observateurs avertis, débouchèrent sur des applications spectaculaires - nous croiserons des dizaines de savants, d’inventeurs et de chercheurs dont les noms nous sont déjà familiers : d’Ampère à Watt et de Thalès de Milet à Pierre et Marie Curie, ce sont aussi Volta et Hertz, Ohm et Joule, Franklin et Bell, Galvani et Siemens ou Edison et Marconi qui, entre autres, viennent peupler cette aventure. On y verra l’ambre conduire au paratonnerre, les contractions d’une cuisse de grenouille déboucher sur la pile électrique, l’action d’un courant sur une boussole annoncer : le téléphone, les ondes hertziennes et les moteurs électriques, ou encore la lumière emplissant un tube à vide produire le rayonnement cathodique. Bien entendu, les rayons X et la radioactivité sont aussi de la partie.

 

De découvertes heureuses en expériences dramatiques, l’électricité reste une force naturelle qui n’a pas fini de susciter des recherches et de soulever des passions.


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5 décembre 2024 4 05 /12 /décembre /2024 12:05

 

 

Sur France Culture.

 

 

 

 

 

Newton est l'un des mathématiciens les plus illustres au monde. On ne sait pas forcément qu'il est aussi philosophe, alchimiste, ami des "Platoniciens de Cambridge" et qu'il s'intéresse aussi, dans son 18e siècle, à la théologie et à la religion. Autant d'aspects à découvrir dans ce documentaire.
 

 

 

 

 

 

 

 

Avec

 

    Michel Blay Philosophe et historien des sciences
    Bernard Joly Professeur émérite de philosophie et d'histoire des sciences à l'université de Lille 3
    Jean-François Baillon Professeur de civilisation britannique à l’Université Bordeaux Montaigne

 

 

Isaac Newton, né en 1642 et mort en 1727, est une figure emblématique des sciences, s'inscrivant dans la lignée de Galilée. Alchimiste, philosophe de la nature, il fait partie de la deuxième génération des physiciens qui vont construire la nouvelle physique, celle qui va remplacer la physique aristotélicienne.

 

 

Fondateur de la mécanique classique, de la gravitation universelle, créateur du calcul infinitésimal, de la théorie de la décomposition de la lumière par un prisme, ses travaux sont à la base de bien des piliers de notre monde moderne. Il existe toutefois un Newton plus méconnu : qui lit ses œuvres littéraires ? Sait-on qu'il fut le contemporain et l'ami des "Platoniciens de Cambridge", l'un des courants les plus réactionnaires et les plus audacieux du 17e siècle européen ? Qu'il a développé tout au long de sa vie des réflexions théologiques ? Pour en parler, ce documentaire réunit quatre spécialistes de Newton : Jean-François Baillon, Michel Blay, Jean-Louis Breteau et Bernard Joly.
L’entourage intellectuel de Newton : Les Platoniciens de Cambridge

 

 

Jean-Louis Breteau rappelle les caractéristiques de la pensée des Platoniciens de Cambridge : "Ils popularisent en Angleterre les idées de Descartes, en qui ils voient un penseur et un philosophe, qui va permettre de rendre de façon satisfaisante des pensées scientifiques. Ils s'en écartent par la suite, mais leur intérêt pour les sciences les pousse à s'impliquer dans la création de la Royal Society, en 1660, dont Newton sera ensuite le président."
 

 

Les principes mathématiques de la philosophie naturelle

 

 

En 1687, Newton publie l'un des textes les plus importants de toute l’histoire mondiale de la pensée scientifique, Philosophiae naturalis principia mathematica. Michel Blay résume son contenu : "Le livre se compose de trois parties. La première est consacrée à la théorie des forces centrales ; la deuxième, à ce qu’on appellerait aujourd’hui la mécanique des fluides et la troisième, au système du monde, avec la loi de la gravitation universelle."

 


Newton alchimiste ?

 

 

Comment un pilier de la science moderne a-t-il pu consacrer une partie de sa vie à l'alchimie ? Bernard Joly remet les choses en perspective : "L’alchimie, au 17e siècle, c’est tout simplement la chimie de l’époque. Les chimistes ou alchimistes travaillent dans des laboratoires et se livrent à toutes sortes de recherches sur ce qu’on appelle les acides, sur les alcalis, sur les métaux. Ce sont des "natural philosophers" comme on dit en anglais, des philosophes de la nature, qui veulent comprendre comment marche la matière, trouver comment elle est constituée. C’est pourquoi on parle de la pierre philosophale : ce sont des philosophes tout simplement. Les alchimistes se considèrent eux-mêmes comme appartenant au clan de la "philosophie naturelle" c’est-à-dire la philosophie qui veut comprendre la matière, la nature. Et Newton s’intéresse à la chimie de son temps, parce qu’il s’intéresse à tout."

 

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1 décembre 2024 7 01 /12 /décembre /2024 19:13

 

 

Extrait de : refuser l'arme nucléaire.

 

 

 

 

 

Quand les premières pages de ce livre ont été écrites, rien ne laissait penser que le président de la Russie, Vladimir Poutine, allait déclarer la guerre à l’Ukraine. Qui pouvait imaginer de voir à nouveau des populations écrasées sous les bombes et subissant les  exécutions sommaires, tortures, viols, qui accompagnent toutes ces guerres modernes qui visent d’abord les civils.  Encore moins était-il envisageable que le président Russe menace d’utiliser son armement nucléaire. Une menace qui s’adressait à l’Ukraine, mais aussi aux pays qui avaient choisis de répondre à la demande d’aide du Président Ukrainien Zelensky.
 

 

Les objectifs annoncés des frappes nucléaires russes étant les sites militaires adverses, nous voilà revenus aux premières pages de cet écrit quand les habitants de la presqu’île de Crozon refusaient d’être la cible d’une frappe nucléaire « préventive ». Que penser de la réponse faite au président Russe par le ministre français des affaires étrangères, Jean Yves Le Drian : « Je pense que Vladimir Poutine doit aussi comprendre que l’alliance atlantique est une alliance nucléaire ». Comment ne pas s’interroger sur le fait que ce soit un ministre français, pas particulièrement bien placé pour le faire, qui choisisse d’évoquer une possible réponse nucléaire de l’OTAN. N’était-ce pas plutôt de sa part une façon de rappeler que la France est elle même une puissance nucléaire qui affiche régulièrement sa prétention à être le « parapluie » nucléaire de l’Europe ? Être ainsi remis en lumière n’avait rien de rassurant pour la population du « bout du monde ».

 

Le 5 mars 2022 la chaîne de télévision Tébéo, liée au journal Le télégramme, rendait compte de cette inquiétude dans une émission titrée : « Menace nucléaire, la Bretagne en première ligne ». « Depuis le début de la guerre en Ukraine, Vladimir Poutine agite la menace nucléaire. Un signal qui résonne fort en Bretagne, puisque l'un des sièges stratégiques de la dissuasion nucléaire se trouve à l'Île Longue », annonçait le préambule de l’émission. L’invité était le président de « l’Université Européenne de la Paix », une association qui milite activement depuis trente ans pour le renoncement par la France à son armement nucléaire et qui est membre du Collectif finistérien pour l’Interdiction des Armes Nucléaires (CIAN 29).

 


 

 

Si on peut comprendre une sensibilité particulièrement forte dans cette pointe de Bretagne, l’agression de l’Ukraine par la Russie a été ressentie comme une menace par l’ensemble de la population en France qui a vu s’effondrer le dogme de la dissuasion : la preuve est faite que la paix n’est nullement garantie par  l’équilibre de la terreur. Comme le signale Benoît Pelopidas, fondateur du programme d’étude des savoirs nucléaires de Sciences Po, dans son  livre « Repenser les choix nucléaires », en situation de crise, une escalade incontrôlée ou un tir non autorisé peuvent aboutir à une explosion nucléaire dont les conséquences sont facilement imaginables.

 


 

 

Il note surtout que, en dehors même des périodes de tension, une catastrophe nucléaire d’origine militaire est toujours possible. Il met ainsi en évidence le rôle de la chance dans le  fait qu’aucune explosion nucléaire  accidentelle n’ait encore eu lieu. Parmi plusieurs exemples, il cite cette dislocation d’un B-52 en 1961 dans le ciel de Caroline du Nord au moment d’un ravitaillement en vol. Deux bombes de 3,8 mégatonnes – plus de 250 fois Hiroshima – se sont trouvées en chute libre. Un simple interrupteur a empêché l’explosion. Il aurait suffit d’une simple décharge électrique pour que la bombe explose en arrivant au sol. C’est encore en 1980 l’incendie du moteur d’un B-52 sur une base du Dakota du Nord. A bord se trouvaient des armes nucléaires, très sensibles au feu, qui auraient pu exploser si, après trois heures d’intervention des pompiers, l’incendie n’avait pas été arrêté avant qu’il atteigne le compartiment contenant les armes. C’est aussi le cas largement médiatisé de l’officier radar Stanislav Petrov, « l'homme qui a sauvé le Monde d'une guerre nucléaire ». Après avoir vu apparaître sur ces écrans ce qui semblait être la marque de cinq missiles ennemis, il a décidé de ne pas déclencher la procédure d’alerte qui aurait pu mener à une réplique nucléaire immédiate. A côté de ces quelques cas connus, combien d’autres restent dissimulés sous le « secret défense », y compris en France ? Alors que faire face à ces risques incontrôlés.
 

 

« Exigez de vos gouvernements un désarmement nucléaire total ». Tel est l’appel que nous adressaient Stéphane Hessel et Albert Jacquard dans le court ouvrage qu’ils ont publié en 2012. Qui mieux qu’eux a mis en lumière le non-respect par les états signataires du TNP, dont la France, de leurs engagements en matière de désarmement nucléaire, en particulier de l’article VI du TNP, entré en vigueur en 1970 : « chacune des parties du traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires et au désarmement nucléaire à une date approchée ».

 


 

 

Désarmement nucléaire à une date approchée ? Un demi siècle plus tard avons nous vu des progrès ? Le traité n’a été qu’un leurre, constatent les deux auteurs, car fondé  sur une base « d’une part, injuste et, d’autre part, perverse ». Base injuste car quelle justice y a-t-il, de la part des états détenteurs d’armes nucléaires, de demander aux autres pays d’y renoncer quand eux-mêmes présentent leur possession comme l’indispensable garantie de leur sécurité. Base perverse quand le TNP prévoit, en contrepartie de ce renoncement, d’aider les pays signataires à développer chez eux le nucléaire « civil »,  proposition qui est une excellente opportunité pour les pays nucléarisés d’ouvrir des marchés lucratifs à leur propre industrie nucléaire. Ce faisant ils ne peuvent ignorer que ce nucléaire « civil » est la voie vers le « militaire » car, comme l’a reconnu explicitement le président français Emmanuel Macron le 8 décembre 2020, «  Sans nucléaire civil, pas de nucléaire militaire, sans nucléaire militaire, pas de nucléaire civil » . C’est ainsi que l’Inde, le Pakistan, Israël, la Corée de Nord ont développé leur propre force de frappe nucléaire, rendant de ce fait le monde encore plus dangereux. Alors, « exiger » de nos gouvernements un désarmement nucléaire total ? Que pouvons nous exiger de présidents de la république française dont le premier geste après leur élection est de venir se faire adouber, à bord d’un sous-marin nucléaire, à l’Île-Longue dans la presqu’île de Crozon.

 


Face à l’inaction des « politiques », ce sont donc des organisations non-gouvernementales qui se sont regroupées en 2007 dans une « Campagne Internationale pour l’Abolition des Armes Nucléaires (ICAN) ». Loin d’être utopique, leur action, qui a été reconnue par un prix Nobel de la paix en 2017, est à l’origine de l’adoption par 122 pays, en juillet 2017, d’un traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN).  Après sa ratification par 50 pays, le traité est entré en vigueur le 22 janvier 2021.
 

 

Son premier article résume à lui seul l’esprit du traité. « Chaque État partie s’engage à ne jamais, en aucune circonstance [.] mettre au point, mettre à l’essai, produire, fabriquer, acquérir de quelque autre manière, posséder ou stocker des armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires ». Réaction des puissances nucléaires ? Le gouvernement français affiche sa réponse sur le site du ministère des affaires étrangères. La France ne le signera pas car, ose affirmer son communiqué, le TIAN « ne servira [.] pas la cause du désarmement, puisqu’aucun État disposant de l’arme nucléaire ne le signera ». Aucun ne le signera ? Faudra-t-il attendre que les USA et la Russie se mettent d’accord pour se dénucléariser alors que nous voyons leur rivalité se réveiller à chaque occasion ?
 

 

« Nos parents et grands-parents nous ont laissé les bombes nucléaires en héritage. Nous ne voulons pas laisser ce cadeau empoisonné à nos enfants » écrivaient quatre étudiants dans la préface de « Nucléaire, un mensonge français », le livre de l’ancien ministre de la défense Paul Quilès. Alors que nous laissons déjà à nos descendants le poids du dérèglement climatique et celui de la perte de la biodiversité, comment accepter, sans agir, que s’y ajoute la menace permanente de l’apocalypse nucléaire.  

 


 

 

Que faire ? Pour renouer avec la tradition humaniste qui a été la sienne dans une période de son histoire, la France peut donner le signal de la marche vers un monde débarrassé de la menace nucléaire en étant le premier pays à renoncer volontairement à son armement nucléaire.

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21 novembre 2024 4 21 /11 /novembre /2024 13:40

La Terre au Carré.

photo Nicole et Félix le Garrec

Après-guerre, en Bretagne surtout, et dans une moindre mesure dans les zones moins bocagères, les haies ont été arrachées à coups de bulldozer, les talus arasés, et les vergers réduits à néant. C'est ce qu'on a appelé le remembrement et voici son histoire oubliée racontée dans une BD.
Avec Inès Léraud Journaliste

 

En mai 1978, Gildas Le Coënt, emprisonné neuf mois en hôpital psychiatrique, est libéré. Cette affaire marque un nouvel épisode de la bataille bretonne contre le remembrement. Elle reflète une réalité vécue par des milliers de paysans à travers la France pendant les décennies de modernisation agricole. Inès Léraud est journaliste, et lanceuse d’alerte en 2019 face à l’omerta des algues vertes. Elle publie aujourd'hui « Champs de bataille, l'histoire enfouie du remembrement », sa deuxième BD, une enquête avec Pierre van Hove, publiée chez La Revue Dessinée et les Éditions Delcourt.

 

 

Des blessures toujours vives dans la mémoire collective

 

 

Les témoignages recueillis révèlent des traumatismes profonds. Comme le rapporte Jacqueline Goff née en 1953 : "Je revois l'apparition des bulldozers, ce saccage qui détruit tout, les arbres, les talus. Ce n'était pas un remembrement, un démembrement, c'était le chaos." sur France Culture. Cette mémoire douloureuse se transmet encore dans les villages, où certaines familles ne se parlent plus depuis cette époque.
 

 

Une modernisation imposée qui a divisé les campagnes

 

 

Le remembrement, lancé après la Seconde Guerre mondiale, visait à adapter l'agriculture française aux enjeux de productivité et de concurrence internationale. "C'était une société paysanne qui n'était pas dans une logique de l'argent" explique Inès Léraud, "il s'agissait de regrouper les parcelles, d'arracher les arbres, les talus, pour avoir des champs facilement cultivables par des machines". Cette politique crée alors des tensions durables, opposant les "gagnants", appelés "profiteurs" et les "lésés" du remembrement.

 

 

Ce qui frappe Inès Léraud et Léandre Mandard en travaillant sur le sujet du remembrement, c'est l'ampleur des résistances et des conflits liés à cette question. Un mouvement contestataire qu'on aurait difficilement imaginé vu le peu de cas qu'en ont fait les sociologues ruraux et les historiens jusque-là. "Or, dans les archives départementales, les cartons de réclamation, de recours, de lettres, de mécontentement. Il y en avait partout, dans toutes les archives départementales où je suis allée sur le territoire français. Les bulldozers du remembrement ont dû être accompagnés des forces de l'ordre pour intervenir" explique Inès Léraud.

 

 

Un impact environnemental majeur qui persiste

 

 

Les conséquences de cette transformation radicale des paysages se font encore sentir aujourd'hui. "Il y a 23 000 kilomètres de haies qui disparaissent chaque année, il y en a 3 000 qui sont replantées, donc on perd 20 000 kilomètres de haies chaque année", souligne Inès Léraud. Cette destruction massive du bocage, associée à la diminution drastique du nombre d'agriculteurs (passé de 7 millions en 1946 à 400 000 aujourd'hui), illustre l'ampleur des changements opérés. "Certains chercheurs parlent même d'éthnocide, on a perdu 90% des paysans." explique Inès Léraud.

 

La suite est à écouter...

 

 

Inès Léraud et Léandre Mandard, agrégé d’histoire et doctorant au Centre d’histoire de Sciences-Po (CHSP). Après avoir étudié le mouvement militant gallo au XXe siècle, il s’intéresse à l’histoire sociale, culturelle et environnementale de la modernisation agricole en Bretagne.
 

 

Sa thèse, qu’il soutiendra en 2025, sous la direction d'Alain Chatriot, s'intitule « Révolution dans le bocage. Genèse, exécution et contestations du remembrement rural en Bretagne (1941-2007) ». Il a travaillé avec Inès Léraud comme « conseiller historique ». Il avait également collaboré à l’ouvrage « Algues Vertes, l’histoire interdite » en proposant une version en gallo, titrée « Limouézeries, l’istouère defendue » Inès Léraud, et Léandre Mandard sont tous deux membres de « Splann ! » (« clair », en breton), un média en ligne indépendant consacré à l'investigation en Bretagne (Inès Léraud en est cofondatrice).

 

_____________________________________________________________________________________

 

 Ils reconstruisent les paysages détruits par le remembrement.

 

extrait de S-eau-S, l'eau en danger.

 

 

Ils sont quelques « fêlés » à vouloir remonter le cours du temps :
 

 

Décembre 1992, dans un champ au dessus de la rivière Elorn une trentaine de personnes s’occupent à reconstruire un talus à l’ancienne dans un champ travaillé par Goulven Thomin, agriculteur bio. Le maître d’œuvre, Mikael Madec, est bien connu en Bretagne comme le collecteur assidu des gestes et des mots de la vie traditionnelle. Auteur d’un livre en breton sur la construction des talus, il a su mettre la main à la pâte et retrouver les méthodes anciennes. Sous sa direction donc, une équipe découpe les mottes, une autre les véhicule avec précaution, la troisième se livre au délicat travail de l’assemblage. En trois heures, malgré la pluie fine, une centaine de mètres d’un beau talus arrondi est monté. Il ne reste plus qu’à s’attabler devant le solide casse - croûte qui est de tradition quand Goulven invite ses amis à un « grand chantier ».

 

Naturellement l’opération est symbolique. Cette parcelle avait jadis été remembrée de force. Son propriétaire, Jean Tanguy, s’était placé devant les engins venus araser ses talus, il avait fallu faire intervenir la gendarmerie.

 

Il s’agissait donc de rappeler à tous ceux qui semblaient les avoir oubliées, les multiples fonctions des talus : remparts contre les vents dominants, barrières contre le ruissellement, pièges pour les nitrates et les pesticides, refuges pour les plantes et les animaux « sauvages », facteurs d’équilibre biologiques.

 

Bien sûr, 100m de talus reconstruits n’allaient pas inverser à eux seuls la tendance. Les bulldozers du remembrement en avait détruit 200 000 km !

 

Sur la parcelle voisine, pour parfaire la démonstration, un tracto-pelle travaillait lui aussi à remonter un talus. Chacun pouvait apprécier la meilleure qualité esthétique du talus « fait main » mais reconnaissait cependant que le travail mécanique faisait quand même moins mal aux reins. Il ne s’agissait pas de « retourner à la marine à voile », comme le faisait remarquer Jean-Yves Kermarrec, un des pionniers de la lutte pour la protection de l’environnement dans le secteur. Les nouveaux paysans ont une vision très « nouvelle » de la vie. L’informatique, internet, ne leur font pas peur, pas plus que le tracteur, quand il est manié de façon conviviale. Ce qu’un engin a démoli, un autre engin peut le reconstruire !

 

Restait à espérer que la course engagée entre ceux qui redressent les talus et ceux qui les détruisent tournerait à l’avantage des premiers.

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15 novembre 2024 5 15 /11 /novembre /2024 14:16

 

 

 

https://x.com/i/status/1856814797477597281

 

 

A l'échelle de l'histoire humaine il est minuit moins quelques secondes. Lorsque minuit sonnera, dans quelques décennies, nous entrerons dans un monde qu'aucun humain n'aura jamais connu. Mais dont quelques-uns dans les bidonvilles du Sud on commencé à expérimenter les effets. Les mauvaises nouvelles ne cessent de tomber. L'organisation météorologique mondiale annonce que, contrairement aux engagements pris lors de la COP21 de limiter les émissions de gaz à effet de serre, leur niveaux ont encore augmenté en 2023. Avec une hausse de plus de 10% de CO2 en deux décennies.

 

L'objectif de limiter à 2° le réchauffement climatique à la fin du siècle est devenu tout à fait irréaliste. Les projections raisonnables tablent désormais sur une augmentation de 4°. Et même le double comme c'est de plus en plus probable si on exploite et brûle dans les prochaines décennies la totalité des réserves d'énergies fossiles connues.

 

Il est presque minuit et nous avançons vers l'abîme comme des somnambules balbutiant les pauvres mots de nos faux semblants, transition écologique, développement soutenable, crédits carbone, ignorant les Cassandre, les insultants parfois, ces porteurs de mauvaises nouvelles rendus responsables des malheurs qu'ils annoncent.

 

Et n'oublions pas que l'empreinte carbone des 1% des habitants les plus riches de la Terre représentent 175 fois l'empreint carbone des 10% les plus pauvres. Tous les terriens ne sont pas également responsables de la catastrophe à venir.

 

Voir aussi :

Grand entretien avec Philippe Descola : Je suis intéressé par les ZAD.

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23 octobre 2024 3 23 /10 /octobre /2024 10:09
Première publication 09/10/20022
"Le philosophe Bruno Latour, figure de proue de la pensée écologiste, est mort à l'âge de 75 ans

Le philosophe, sociologue et anthropologue Bruno Latour, considéré comme l'un des plus grands intellectuels contemporains français, est décédé dans la nuit de samedi à dimanche à l'âge de 75 ans."

 

Tel est le titre de l'article que lui consacre France-info.

 

Pluie d'éloges après des décennies de silences dans les médias français. En janvier 2022 il nous offrait sa dernière pensée dans un "Mémo sur la nouvelle classe écologique" aux éditions "les empêcheurs de tourner en rond". Il en parlait dans "La Terre au Carré".

 

Écouter sur la Terre au Carré.

 

 

 

Sur France Inter

Il était aussi interrogé sur France-Inter. Une superbe illustration de  l'actualité et de l'avenir possible de l'écologie politique malgré la multiplication des questions pièges du journaliste.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=SgUWKUPKm-g&ab_channel=FranceInter

 

Sa réponse aux attaques du journaliste contre les écologistes : "je ne m'adresse pas aux activistes, eux il font  un boulot magnifique".

 

Effectivement, son livre ne s'adresse pas aux journalistes en attente de "bons mots" propres à alimenter la médiasphère mais aux "Membres des partis écologiques et leurs électeurs présent et à venir".

A l'évidence le journaliste ne fait pas partie de cette catégorie.

 

Plus d'informations sur le site de La Découverte :

 

Écouter sur la Terre au Carré.

 

 

Comment faire émerger une classe écologique consciente et fière d’elle-même ? Avec le philosophe Bruno Latour.

 

Dans son dernier livre "Mémo sur la nouvelle classe écologique. Comment faire émerger une classe écologique consciente et fière d’elle-même " Bruno Latour appelle les écologistes à tirer toutes les conséquences politiques du Nouveau Régime Climatique.

 

Écouter les entretiens avec Bruno Latour sur ARTE.TV

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Un bémol cependant ?

Faut-il vraiment imaginer une "lutte des classes" sur le modèle marxiste avec toutes les dérives observées depuis (voir la Chine et la Corée du Nord qui prétendent s'en réclamer encore) ? L'avenir ne serait-il pas plutôt aux démarches "libertaires" qui naissent spontanément ici et là. Et, ceci, sans besoin de théoriser. 

Ne pas oublier que, dans cette éventuelle "lutte des classes", l'arbitre ne sera pas un groupe humain quelconque mais la Nature terrestre dans son ensemble.

Voir aussi :

"L'Homme est la Nature prenant conscience d'elle même". Vraiment ?

Autre bémol :

Bruno Latour n'a rien à dire sur la relance du nucléaire !!!

Ce qui donne à son discours un côté "hors sol".

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23 octobre 2024 3 23 /10 /octobre /2024 10:08

 

 

Demain l'hydrogène ?

 

C'est du moins ce que laissent entendre depuis quelques années les médias scientifiques ou autres. Finies les énergies carbonées. L'avenir est l'hydrogène. Heures de gloire pour un élément chimique jusqu'à présent peu mis en lumière. Pourquoi pas un retour aux sources pour retrouver l'histoire de cet élément. Elle commence en Angleterre avec Cavendish.

 

___________________________________________

 

Deuxième fils du Duc de Devonshire, Henry Cavendish, reçoit, de son oncle, un riche héritage qui lui permet de constituer un laboratoire bien équipé qu’il utilise avec une rigueur peu commune parmi ses contemporains.

 

matériel de laboratoire de Cavendish.


 

En 1766, il présente devant l’Association Royale de Londres une communication sur les airs factices.


 

 

"Par air factice, je désigne, en général, toute sorte d'air contenu dans d'autres corps sous forme non-élastique, et qui en est extrait par l'action de l'art".

 

La découverte de l’air inflammable (notre hydrogène) constitue, par sa nouveauté, la partie la plus remarquable de son travail. Voir : Philosophical Transactions, 1766 page 144.

 

 

 

Le zinc, le fer et l'étain sont donc les trois métaux, à partir desquels Cavendish produit ce qu'il désigne comme "air inflammable" ( et deviendra notre hydrogène). Il l'obtient par leur dissolution dans les acides. Et ceci uniquement dans l'acide vitriolique dilué (notre acide sulfurique), ou dans l'esprit de sel (notre acide chlorhydrique). Le zinc, précise-t-il se dissout avec une grande rapidité. Sans doute le phénomène avait-il déjà été observé dès les premiers temps de l'alchimie. Cavendish sera le premier à l'étudier avec méthode.

 

C'est ainsi que l'action de l'acide chlorhydrique sur le zinc deviendra, jusque aujourd'hui, la façon de préparer de l'hydrogène dans les laboratoires de nos lycées au moyen de l'appareil de Kipp.

 

 

 

 

Il note aussi que ces réactions se font avec une grande production de chaleur analogue à celle que produit leur combustion

 

 

Quelle explication pour le phénomène ?

 

Comme lors de leur combustion, quand les métaux sont dissous dans les acides, leur "phlogistique" s'échappe, sans que sa nature soit modifiée par l'acide. Ce phlogistique constitue "l'air inflammable". Ainsi raisonne Cavendish.

 

 

Un mot sur le phlogistique.

 

 

Georg Ernst Stahl (1659-1734) nomme ainsi un "principe du feu" qui serait présent dans tous les corps combustibles.

 

Ce phlogistique, Stahl le reconnaîtra dans le soufre mais aussi dans le charbon et les corps combustibles comme les résines, les huiles et graisses végétales ou animales. Car, dit-il, ce principe se trouve dans les trois règnes de la Nature "au point qu’il passe immédiatement sans nulle difficulté et en un instant, du règne végétal et du règne animal dans le règne minéral et dans les substances métalliques".

 

Que se passe-t-il quand brûle un morceau de charbon ? La combustion libère le "phlogistique" qui ira imprégner l’air ambiant, le transformant en "air phlogistiqué". Mais, d’abord, Stahl le verra en œuvre dans les métaux, eux mêmes combustibles. C'est donc ce phlogistique qui s'échappe de ceux-ci quand ils sont dissous dans les acides. La théorie rencontre le succès parmi tous les chimistes de l'époque et il faudra attendre Lavoisier pour qu'elle soit abandonnée.

 

Place aux expériences.

 

La combustion de cet air dans l'air commun est donc la caractéristique majeure de ce nouvel air. Cavendish ne se contente pas d'une rapide observation. Il souhaite en savoir plus sur cette réaction.

 

De l'air inflammable est mélangé à de l'air commun dans des proportions différentes dans des flacons par les différentes méthodes représentées sur les montages présentés en ce début d'article. Quand une flamme est présentée à l'orifice du flacon, une flamme se produit accompagnée d'un bruit plus ou moins fort.  Résultats :

 

- Avec une part d'air inflammable et neuf parts d'air commun, aucune inflammation quand on approche un papier enflammé de l'orifice du flacon.

 

- Avec deux parts pour huit, une flamme et un léger bruit/

 

- Avec trois parts pour sept, un très fort bruit.

 

- Avec quatre parts pour six, un bruit légèrement plus fort. 

 

- Avec des parts égales, sensiblement le même son.

 

- Avec 6 parts pour quatre, une flamme et un son faible.

 

- Avec 7 puis 8 puis 9 parts d'air inflammable, un son de plus en plus faible et une flamme à l'intérieur du flacon.

 

 

Proposition d'exercice pour apprenties et apprentis chimistes.

 

 

Sachant que la proportion d'oxygène dans l'air est de 21%, quel mélange vous semble le plus favorable à une combustion complète et donc à un fort bruit.

 

 

Quelle densité pour l'air inflammable ?

 

 

Cavendish s'est fait une spécificité dans la mesure de la densité des gaz. Nous ne décrirons pas ici les méthodes utilisées. La faible densité du gaz inflammable rend la mesure délicate. Notons que l'expérimentateur conserve comme dernière valeur une densité 8760 fois plus faible que celle de l'eau ou 11 fois plus faible que celle de l'air.

 

Autre proposition d'exercice : comparer ces résultats avec ceux que nous donneraient nos connaissances actuelles.

 

En conclusion : Cavendish ne se contente pas de découvrir l'existence de cet "air inflammable" qui deviendra notre hydrogène, il nous en apprend déjà beaucoup sur ses propriétés chimiques et physiques. Il mérite, à plus d'un titre, celui de "découvreur" de l'hydrogène.

 

A suivre :

 

Joseph Priestley (1733-1804)

 

Dans son ouvrage "Expériences sur diverses espèces d'air, Paris 1777", Priestley n'apporte pas d'informations nouvelles quant à la nature de "l'air inflammable" décrit par Cavendish. Son intérêt réside dans le nouveau mode de production : il extrait cet air de toutes matières qu'il considère comme inflammables, en chauffant celles-ci, comme sur le modèle de Hales, dans un canon de fusil, c'est à dire de fer. Lavoisier reprenant le montage saura, mieux que lui, interpréter la réaction.

 

De l'air inflammable (p70) Priestley.

 

 

 

 

 

 

 

 

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2 octobre 2024 3 02 /10 /octobre /2024 18:43
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19 août 2024 1 19 /08 /août /2024 15:05


Résister, de ZAD en ZAD.

 


Certaines victoires sont porteuses des luttes à venir. Celle de Notre-Dame-des-Landes, à l’évidence, en est une. Pour la littérature officielle, une ZAD est une « zone d’aménagement différée ». L’humour est souvent la plus efficace des armes. ZAD : « Zone à défendre » ont traduit les militants et militantes de Notre-Dame-des-Landes. Alors se sont ravivés les souvenirs d’autres luttes pour d’autres lieux à défendre. Celle du Larzac contre l’extension du camp militaire. Celle de Plogoff contre le projet de construction d’une centrale nucléaire à la pointe du Raz. Sainte-Soline, autoroute A69... qui pourrait s’étonner de voir se multiplier les ZAD quand le pouvoir politique, au sommet de l’État, se fait le relai des lobbys du vieux monde et tient à répondre par la force à toute contestation.

 

 


Les ZAD, le pouvoir en a peur.

 

Alors que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, peut donner l’ordre aux forces de l’ordre de rester inertes face aux exactions des troupes agricoles menées par la FNSEA, c’est un véritable guet-apens qui attend, à Sainte-Soline, les militantes et militants invités à manifester pacifiquement, à l’appel des Soulèvements de la Terre.

 


Résister avec Les Soulèvements de la Terre.

 

 


A nouveau l’imagination en actes. En 2021, à l’occasion d’une rencontre sur la ZAD de Notre-Damedes-Landes, naît un manifeste « Contre l’apocalypse climatique, les Soulèvements de la Terre ». Qui sont  ses signataires ?

 


Nous sommes des habitant·es en lutte : « attaché·es à leur territoire. Nous avons vu débouler les aménageurs avec leurs mallettes bourrées de projets nuisibles. Nous nous sommes organisé·es pour défendre nos quartiers et nos villages, nos champs et nos forêts, nos bocages, nos rivières et nos espèces compagnes menacées. Des recours juridiques à l’action directe, nous avons arraché des victoires locales. Face aux bétonneurs, nos résistances partout se multiplient. »

 


Nous sommes des jeunes révolté·es : « qui avons grandi avec la catastrophe écologique en fond d’écran et la précarité comme horizon. Nous sommes traversé·es par un désir croissant de déserter la vie qu’ils nous ont planifiée, d’aller construire des foyers d’autonomie à la campagne comme en ville. Sous état d’urgence permanent, nous avons lutté sans relâche contre la loi Travail, les violences policières, le racisme, le sexisme et l’apocalypse climatique. »
 

 


Nous sommes des paysan·nes : « La France n’en compte presque plus. Avec ou sans label, nous sommes les dernier·es qui s’efforcent d’établir une relation de soin quotidien à la terre et au vivant pour nourrir nos semblables. Nous luttons tous les jours pour produire une nourriture saine à la fois financièrement accessible et garantissant une juste rémunération de notre travail. »
 

 

« Parce que tout porte à croire que c’est maintenant ou jamais, nous avons décidé d’agir ensemble. »
 

 

Agir ensemble.

 

Cette convergence des luttes, tant de fois espérée, est enfin réalisée. Sainte-Soline en sera la première manifestation à caractère national. Ce pouvoir qui a déjà manifesté sa violence contre cet autre soulèvement qu’ont été les gilets jaunes ne peut le supporter. La répression devra à nouveau être violente et suivie d’une campagne de presse visant à discréditer le mouvement. La machination ourdie pour pouvoir déclarer la dissolution du collectif, a été bien orchestrée.

 


On ne dissout pas un soulèvement, lui répondent quarante voix, d’origines diverses, dans un ouvrage publié au Seuil. Depuis l’hiver 2001, un mouvement s’est levé, écrivent-elles, « contre l’accaparement et l’empoisonnement de la terre et de l’eau par le complexe agro-industriel. Contre la métropolisation et la bétonisation des terres agricoles nourricières et des derniers espaces naturels. Un mouvement pour résister de toutes nos forces au ravage en cours. ».

 

 


Un mouvement « Pour reprendre, mettre en commun et choyer les terres. Y déployer des expériences communales et coopératives. Réinventer des formes de vie qui imbriquent subsistance paysanne et symbiose avec l’ensemble du vivant ».

 


Ces voix rappellent Sainte Soline et les 30 000 personnes qui ont marché contre les mégabassines. « Ce jour-là, l’État a voulu écraser la lutte, en tirant massivement sur une foule diverse, mais déterminée à mettre un terme au chantier. Il était prêt à tuer. »
 

 

On n’a pas dissout le Soulèvement de la Terre. Suite aux plaintes des associations, le Conseil d’État a annulé la décision du ministre de l’Intérieur. Retour du bâton : des dizaines de comités voient le jour sur l’hexagone.

 


Résister en rebelles.

 


2018. Un logo apparaît sur les tracts, les affiches, les murs. En vert, pour le combat écologique, un cercle représentant la Terre. A l’intérieur un sablier rappelle l’urgence à agir. En noir, une signature : XR, pour « Extinction Rébellion ». Leurs revendications sont celles de l’ensemble des associations écologistes : la reconnaissance de la gravité et de l’urgence des crises écologiques actuelles - la réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre - l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres, à l’origine d’une extinction massive du monde vivant.

 

 


Le mode d’action de ces rebelles rejoint celui des nombreux groupes visant le même objectif : attirer l’attention par une action spectaculaire. Certaines font date comme celle de cette jeune militante de « Dernière Rénovation » qui a interrompu la demi-finale de Roland Garros en s’attachant au filet. Sur son t-shirt une inscription en anglais « Il nous reste 1028 jours ». 1028 jours c’est le temps qu’il reste pour « déterminer le futur de l’humanité » annonce l’organisation. L’État « a été condamné par ses propres tribunaux pour manquement à ses propres lois. C’est désormais à nous, citoyens et citoyennes ordinaires, de faire appliquer les engagements auxquels notre gouvernement refuse de se plier. C’est à nous d’entrer  en résistance civile ».

 

 


Résister dans les écoles et les universités.

 


Décembre 2018. En visite sur le campus de l’École Polytechnique à Paris-Saclay, Patrick Pouyanné, Président-directeur général de Total, annonçait le projet d’ouverture d’un nouveau centre d’Innovation et de Recherche sur le plateau de Saclay au cœur de l’École Polytechnique. Ce centre, dont l’ouverture officielle était prévue pour 2022, aurait pour objectif de placer le groupe « au cœur d’un écosystème mondial d’innovation ».

 


Le chantier devait démarrer dès l’été 2019 quand, comme le relate le journal Le Monde du 6 juillet 2021, « Le mardi 1er juin 2021 à 19 heures, un événement tout à fait inhabituel s’est produit dans la cour Vaneau de l’École polytechnique [.] une action militante à des années-lumière de la tradition militaire. ».

 

illustration Le Monde

Ce sont 350 élèves ingénieurs qui se sont regroupés pour former un« X » géant, symbole de l’école et de  ses élèves. Leur objectif : montrer leur opposition au projet de construction du groupe Total (devenu TotalEnergies) sur leur campus. Bientôt ces premiers francs-tireurs étaient rejoints par Greenpeace France, Anticor et l’association Sphinx, qui rassemble plusieurs dizaines d’anciens élèves de l’X. Ces organisations déposaient une plainte pour prise illégale d’intérêt contre Patrick Pouyanné. Les plaignants lui reprochant d’avoir profité de sa position de membre du conseil d’administration de Polytechnique pour influencer, au nom de Total, la décision finale de valider le projet d’implantation.

 


Janvier 2022. Après deux ans d’une lutte intelligemment médiatisée, Total jetait l’éponge. Les étudiants étaient les premiers à savourer leur victoire. Ils n’en restent pas moins vigilants. « Nous continuerons à nous battre pour que les relations entre l’École polytechnique et les entreprises partenaires s’inscrivent dans un cadre transparent et soient accompagnées de garanties concernant l’indépendance de la recherche et de l’enseignement », faisait savoir Thomas Vezin, secrétaire général de Sphinx. La leçon sera effectivement retenue.

 


Juin 2022. A nouveau Polytechnique.

 

Ils sont huit, étudiants et étudiantes, sur la tribune lors de la remise des diplômes des dernières promotions. Leur discours, d’une rare radicalité, rompt avec l’affichage « élitiste » de leur école. D’abord le constat : « Les rapports du GIEC sont sans appel : nous devons résoudre en trente ans le défi écologique. Un défi existentiel et civilisationnel dont l’enjeu est la possibilité même de soutenir la vie. Malgré de multiples appels de la communauté scientifique, malgré les changements irréversibles d’ores et déjà observés, nos sociétés continuent leur trajectoire vers une catastrophe environnementale et humaine.»

 

 

https://youtu.be/0DkVf39KxSM

 

Ensuite la mise au point : « Plus encore, la question écologique ne peut être dissociée de la question sociale. Il paraît inimaginable que la sobriété, qui est nécessaire, soit portée par ceux qui, en France aussi, ont déjà du mal à se loger, se chauffer, se nourrir. On nous a enseigné les théories économiques néo-libérales tout comme la physique du climat [.] On nous a bombardés de présentations de cabinets de conseil tout en nous vantant les services de l’État. Nous rappelons d’abord que non, les règles du jeu ne sont pas immuables. »

 

 

Il va falloir innover. « Non pas à la manière des greentech ou autres technologies que le capitalisme et ses startups qualifient de vertes. Mais innover dans notre manière de vivre [.] quitter nos phantasmes sur  la technique comme unique et magique source de salut face aux périls écologiques ».

 


« Nous avons besoin de nouveaux récits ».

 


Message adressé à leur jeune génération : « Nous avons besoin de nous raconter des histoires qui rendent désirable le futur qu’il nous faut à présent construire. D’avoir des imaginaires qui nous donnent envie de s’y engager non par peur mais avec enthousiasme et avec passion. Partout des gens s’éveillent, partout des gens s’engagent »


« Engageons-nous maintenant car il est déjà si tard. »

 

 


Autre discours remarqué : celui des étudiants et étudiantes de l’Agro à l’occasion de la réunion des diplômé.es de 2022. Un message adressé aux nouvelles et nouveaux diplômés : « Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fières et méritantes d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours. Nous ne nous considérons pas comme les “Talents d’une planète soutenable”. Nous ne voyons pas les ravages écologiques et sociaux comme des “enjeux” ou des “défis” auxquels nous devrions trouver des “solutions” en tant qu’ingénieur.es. »

 

 

https://youtu.be/iA4Dbg3RsaE

 

 

Une analyse lucide du « modèle » agricole dominant :

 


« Nous ne croyons pas que nous avons besoin de “toutes” les agricultures. Nous voyons plutôt que l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur terre. »

 


La Technique ne nous sauvera pas : « Nous ne voyons pas les sciences et techniques comme neutres et apolitiques. Nous pensons que l’innovationtechnologique ou les start-up ne sauveront rien d’autre que le capitalisme. Nous ne croyons ni au développement durable, ni à la croissance verte ni à la “transition écologique”, une expression qui sous-entend que la société pourra devenir soutenable sans qu’on se débarrasse de l’ordre social dominant. »

 


« Ne perdons pas notre temps ! ».

 

 

Invitation adressée à leurs amies et amis présents dans la salle. « Désertons avant d’être coincés par des obligations financières.

 

N’attendons pas que nos mômes nous réclament des sous pour faire du shopping dans le métavers, parce que nous  aurons manqué de temps pour les faire rêver à autre chose.


N’attendons pas d’être incapables d’autre chose qu’une pseudo-reconversion dans le même taf, mais repeint en vert.

 


Remarqué : leur appel à la bifurcation.

 


« N’attendons pas le 12e rapport du GIEC qui démontrera que les États et les multinationales n’ont jamais fait qu’aggraver les problèmes et qui placera ses  derniers espoirs dans les  populaires. Vous pouvez bifurquer  maintenant. »

 

dessin dans la "Revue Dessinée"


Juin 2023. Le Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, rencontrant les étudiants  et étudiantes de Sciences Po, ne leur dit pas autre chose. « Certains d’entre vous travaillent déjà et se rendent peut-être compte à quel point il peut être difficile de bouleverser le statu quo. Je vous exhorte à ne jamais abandonner.

 

https://youtu.be/kiJIVf5k9Bc

 

N’abandonnez jamais les idéaux de compréhension mutuelle, de coopération et de sens du bien commun.


Permettez-moi une observation personnelle : lorsque vous décidez de votre carrière, résistez aux appels des sirènes des entreprises qui détruisent notre planète ; qui volent notre vie privée ; et font le commerce des mensonges et de la haine. »

 


Novembre 2023. Message reçu par les étudiantes et étudiants.

 

 

Après Total, c’est BNP Paribas qui est dans leur collimateur. « Nous sommes étudiant·es et jeunes diplômé·es d’universités et d’écoles françaises [.] Nous constatons que BNP Paribas tente  d’instrumentaliser nos craintes et nos convictions et cible notre génération avec son greenwashing, dans sa publicité et sur nos campus (stands vantant ses offres bancaires et jobs à impact, par exemple). Nous ne sommes pas dupes. »

 


Ils et elles dénoncent ces banques qui financent les destructeurs de la planète. « Nous prenons ici l’engagement de ne pas travailler pour des banques qui, comme BNP Paribas, refusent de regarder la vérité climatique en face et continuent de financer des entreprises qui prévoient de nouveaux projets d’énergies fossiles. Ces bombes climatiques menacent directement notre futur, et nous affirmons haut et fort que nous ne participerons pas à une telle destruction. »
 

 


Résister dans les labos.

 


Février 2020. Constatant l’inaction des gouvernements face à l’urgence écologique et climatique, plus de 1000 scientifiques de toutes disciplines, parmi lesquels une trentaine de médaillé·es du CNRS ou de l’Académie d’Agriculture et plus de cent anciennes directrices ou directeurs d’unités, appellent les citoyens à la désobéissance civile et au développement d’alternatives.

 

 


D’abord le rappel : « Les observations scientifiques sont incontestables et les catastrophes se déroulent sous nos yeux. Nous sommes en train de vivre la 6e extinction de masse [.] les niveaux de pollution sont alarmants à tous points de vue [.] nous avons déjà dépassé le 1°C de température supplémentaire par rapport à l’ère préindustrielle, et [.] un réchauffement global de plus de 5°C ne peut plus être exclu. À ces niveaux de température, l’habitabilité de la France serait remise en question par des niveaux de température et d’humidité provoquant le décès par hyperthermie ».

 


Ensuite le constat : « depuis des décennies, les gouvernements successifs ont été incapables de mettr e en place des actions fortes et rapides pour faire face à la crise climatique et environnementale dont l’urgence croîttous les jours. Cette inertie ne peut plus être tolérée. [.] Nous refusons que les jeunes d’aujourd’hui et les générations futures aient à payer les conséquences de la catastrophe sans précédent que nous sommes en train de préparer et dont les effets se font déjà ressentir. »
 

 

Enfin l’appel : « nous appelons à participer aux actions de désobéissance civile menées par les mouvements écologistes, qu’ils soient historiques (Amis de la Terre, Attac, Confédération paysanne, Greenpeace...) ou formés plus récemment (Action non-violente COP21, Extinction Rebellion, Youth for Climate...).

 

 

Nous invitons, à se mobiliser [.] en agissant individuellement, en se rassemblant au niveau professionnel ou citoyen local [.] ou en rejoignant les associations ou mouvements existants (Alternatiba, Villes en transition, Alternatives territoriales...) ».

 


Les observations scientifiques sont incontestables, nous rappellent ces scientifiques rebelles. Incontestables effectivement sont les connaissances accumulées, rapport après rapport, par les scientifiques du monde entier rassemblés dans le GIEC.

 


Résister avec les scientifiques du GIEC.

 


Premiers lanceurs d’alerte, les scientifiques français Claude Lorius et Jean Jouzel, ont publié en 1987  la première étude établissant un lien formel entre concentration de CO2 dans l’atmosphère et réchauffement climatique. A leur suite toute une génération de climatologues a pris le relai. Plusieurs ont tenu un rôle premier dans les travaux du GIEC. Certains et certaines ont décidé de descendre dans l’arène.

 


15 Novembre 2017. Déclaration d’Emmanuel Macron, à Bonn, lors de la COP23.

 

La France a décidé « l’interdiction de tout nouveau permis d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures dans notre pays. C’est la première fois qu’un pays développé décide pour son propre territoire d’une telle politique ; nous l’assumons parce que c’est celle qui est indispensable pour être au rendez-vous du climat et de la transition que nous avons actée ».

 


Et pourtant…

 


11 février 2024. Christophe Cassou, climatologue auteur principal du 6e rapport du GIEC, était avec Greta Thunberg aux côtés des manifestantes et manifestants qui s’opposaient au projet de forage pétrolier dans le bassin d’Arcachon. « Je quitte ici mon habit de scientifique », leur dit-il. « Je vois ici des gens de tous âges, unis dans un combat non violent pour un futur climatique viable. » Indignation, engagement, résistance, ne sont pas des crimes, leur dit-il.

 


« 1. L’indignation n’est pas un crime : c’est le signe de la conscience qui fait de nous des êtres humains.


2. L’engagement n’est pas un crime. C’est ce qui fait l’honneur du citoyen.
 

3. La résistance à l’absurdité d’un projet climaticide et emblématique d’une bifurcation impossible n’est pas un crime.

 


Au contraire, le GIEC dans son évaluation de la littérature scientifique, montre que les mouvements citoyens aident à la prise de conscience et à faire évoluer le droit,aujourd’hui obsolète par bien des aspects, face aux enjeux du moment. »

 


Christophe Cassou est l’un de ces scientifiques qui, après avoir fait connaître les différents scénarios possibles d’évolution du climat et leur effet sur la Planète, ont décidé d’agir en citoyens libres. Ses messages didactiques, très suivis sur X (twitter), lui ont valu des tombereaux d’insultes qui l’ont amené, pendant une période, à suspendre ses publications.

 

 

 

Libre et courageuse également Magali Reghezza-Zitt,géographe, auteure de Anthropocène (éditions CNRS). Les insultes et menaces, qu’elle reçoit sur les réseaux sociaux, ne la font pas renoncer à sa volonté d’informer.

 

 

 


Également sur X, Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au CEA et coprésidente du groupe n°1 du GIEC de 2015 à 2023, informe inlassablement. Le 12 avril 2023 elle intervenait à la soirée de soutien aux Soulèvements de la Terre organisée par Reporterre, Blast, Socialter et Terrestres.

 

https://youtu.be/Bch2ospO7Vw


« Je veux dire très clairement mon rejet de toute forme de violence. Je ne me reconnais pas dans une société où le dialogue est impossible, et où la violence mène à la violence », tenait-elle à dire en introduction tout en affirmant, tout aussi clairement, que les actions de résistance non violentes sont des  catalyseurs de changement.

 


Son intervention était placée sous le signe de la gravité.« La contestation de la légitimité de certains projets est perçue comme une menace à l’ordre public, conduisant à des interdictions de manifestations, mobilisant des milliers de gendarmes, et menant à des affrontements violents et graves. Mais sommes-nous réellement engagés aujourd’hui vers des transformations de fond favorables à l’intérêt général, accélérant la baisse des émissions de gaz à effet de serre, renforçant la résilience face au climat de demain, préservant la biodiversité ? »

 


Quelle est la menace la plus grave ?

 


« Est-ce la poursuite de tendances non soutenables ?L’aggravation des impacts du changement climatique qui touche de plein fouet les plus fragiles, la dégradation des écosystèmes, la perte de biodiversité, leurs conséquences pour le bien-être, les droits humains des générations actuelles et futures ? »

 


Ou est-ce cette contestation qui dérange ? « Face à l’inertie, face à l’inadéquation des réponses institutionnelles et politiques [.] Les mouvements sociaux pour la justice climatique qui prennent, dans les régions rurales comme dans les centres urbains, de nouvelles formes d’actions de résistance non violentes, parfois perturbatrices, font partie des catalyseurs. »
 

 


Résister et annoncer le monde à venir.

 


Résister est une priorité quand il faut mettre en échec les projets destructeurs du climat et du vivant qui se multiplient. Résister, c’est aussi, et peut-être d’abord, mettre en œuvre, sans attendre, ces actions qui « bifurquent ».

 


La population d’insectes, d’oiseaux s’effondre. Les cancers, les maladies neurodégénératives, les  problèmes de développement des jeunes enfants se multiplient. Responsables : les pesticides.

 

Issus, comme les nitrates, de la chimie de guerre des explosifs et des gaz de combat, l’industrie leur a trouvé un débouché massif dans l’agriculture. Seule une poignée d’agriculteurs ont alors choisi de prendre une autre voie, celle d’une agriculture sans chimie, l’agriculture biologique.

 

Ces pionniers, au début peu nombreux, ont su aller au devant des autres résistants de la société de consommation, ces protecteurs d’espaces naturels, ces empêcheurs de bétonner en rond, ces semeurs de solidarités locales et planétaires. Des magasins coopératifs se sont montés, des marchés se sont mis à revivre, des échanges équitables ont lié producteurs et consommateurs. Contre l’accaparement des terres, des associations ont créé les liens qui permettent à de jeunes agriculteurs et agricultrices de pouvoir s’installer.

 

Malgré les pressions du lobby agro-industriel et le manque de soutien des pouvoirs publics, toutes ces initiatives progressent et annoncent l’agriculture et l’alimentation du futur.
 

 


Les transports.

 

C’est une des premières causes de l’émission de gaz à effet de serre. C’est aussi la cause principale de l’émission de particules fines qui causent, en France, de l’ordre de 50 000 décès prématurés par an.

 

Il a fallu bien des manifestations cyclistes, des « vélorutions », pour que le vélo soit devenu une évidence. Les premières municipalités à rendre gratuits les transports en commun ont, d’abord, été regardées de façon suspicieuse. Elles ont fait la preuve de l’intérêt environnemental et social de leur choix. Ce sont les mobilisations citoyennes qui ont sauvé des voies ferrées secondaires menacées et obtenu la reprise des trains de nuit. Pour suppléer au manque de transports en commun, le covoiturage a d’abord été mis en place de façon « sauvage » avant que les autorités en voient l’intérêt et commencent à l’organiser.

 


L’habitat.

 

L’autre cause principale de l’émission de gaz à effet de serre. Les premiers éco-villages, écoquartiers, éco-immeubles, ont été, eux aussi, à l’initiative de pionniers.

 


L’énergie.

 

Les premiers panneaux solaires, thermiques ou photovoltaïques, les premières éoliennes, ne sont pas nés en Chine. Si les gouvernants français n’avaient pas fait le choix du tout nucléaire et bridé toutes les initiatives de ces autres pionniers qui, dès les années 70 du siècle passé, les avaient déjà mises en œuvre à leur échelle, nous aurions aujourd’hui, en France, les fabricants et artisans capables de produire localement les énergies de demain.
 


Pour autant tous ces acteurs et actrices savent que les changements ne viendront pas d’une « transition » écologique, terme derrière lequel les partisans du statu quo s’abritent pour prolonger le plus longtemps possible les énergies fossiles et les polluants chimiques. Il n’est plus le temps de faire uniquement appel à la « conscience individuelle » ou de promouvoir une politique des « petits pas ».

 


 
Il y a urgence.

 

« Gaïa se soulève », nous dit Isabelle Stengers, philosophe des sciences, l’une des « 40 voix pour les soulèvements de la Terre ». Nommer ainsi la Terre, explique-t-elle, c’est, « plutôt que d’en parler d’un phénomène climatique », faire sentir qu’il ne s’agit pas d’une simple crise mais que « quoi qu’il arrive, nous allions désormais devoir apprendre à vivre avec elle en tant que puissance ». Le capitalisme mondialisé  a déclenché un bouleversement climatique et biologique qui met en péril la vie même de nombreuses populations.

 


Seule une mutation qui touche à toutes les dimensions de la vie en société peut y répondre. Malgré la répression, les résistants et résistantes d’aujourd’hui, qui font revivre les valeurs de partage et de solidarité, la préparent.

 

Pour aller plus loin.

 

 

 

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16 août 2024 5 16 /08 /août /2024 17:18


1er juin 2017.

 


Il fallait une phrase au nouveau président de la République pour marquer le premier mois de son quinquennat. Donald Trump qui venait de décider de quitter l’accord de Paris sur le climat et son « Make America great again », l’a soufflée à Emmanuel Macron :

 


« Make our planet great again. »

 


Pour bien marquer la portée du défi, ainsi adressé au président de la première puissance mondiale, la déclaration était assortie d’un appel à la résistance. Après « Ici Londres, 18 juin 1940 » place au « Ici Paris, 1er juin 2017 ».

 


 

https://youtu.be/LUAGNeKpzBE

 

Moi, Emmanuel Macron, « A tous les scientifiques, ingénieurs, entrepreneurs, citoyens engagés, que la décision du Président des Etats-Unis a déçus, je veux dire ceci : Vous trouverez dans la France une seconde patrie.

 


Je vous lance un appel : Venez travailler ici, avec nous, travailler sur des solutions concrètes pour le climat.

 

 

Ce soir, les Etats-Unis ont tourné le dos au monde. Mais la France ne tournera pas le dos aux Américains ».

 

 

Et pour compléter le message, en guise de Radio-Londres, ce sera un site Internet, « Make Our Planet Great Again », destiné à l’accueil des bataillons de chercheurs, entrepreneurs, O.N.G.... appelés à rejoindre le nouveau chef des « Français libres » dans sa lutte contre les tyrans climatiques.

 


15 novembre 2017. Bonn. COP23. Sauver les peuples menacés de disparition.

 


Après cette première déclaration de guerre, la COP23, à Bonn, allait être une nouvelle occasion, pour le nouveau champion du climat, de peaufiner son image. Après l’inévitable introduction sur le seuil de l’irréversible déjà franchi, sur les événements climatiques qui s’intensifient et se multiplient, sur les équilibres de la planète prêts à rompre, sur le réchauffement des océans, la disparition de nombreuses espèces menacées, vient le moment de rappeler l’accord de Paris et les responsabilités que prendraient celles et ceux qui (suivez mon regard) ne s’y tiendraient pas.

 


Alors que l’objectif de l’accord est de se limiter à 1,5 degré d’augmentation de la température en 2100, les scientifiques du GIEC le disent clairement : les engagements actuels des états amèneraient cette augmentation à plus de 3 degrés. Le constat donne au président français l’occasion d’une nouvelle leçon adressée à la Planète entière :

 

« cela veut dire que nous acceptons tacitement, collectivement ici la disparition d’un bon nombre des populations ici représentées. Qu’à horizon 2100 nous acceptons aujourd’hui tacitement que nombre de peuples qui sont là représentés disparaîtront. Nous n’y sommes pas prêts. »

 


Et, à nouveau, Trump appelé comme faire-valoir.
 

 

Et voilà que Trump vient donner au « résistant » du climat une nouvelle occasion de monter au créneau. Le GIEC, composante majeure de la lutte contre le dérèglement climatique est menacé, déclare-t-il, « Menacé par la décision des États-Unis de ne pas garantir leur financement. Je souhaite donc que l’Europe se substitue aux Américains et je veux vous dire ici que la France sera au rendez-vous ! ».
 

 

Applaudissements nourris dans la salle. Effet réussi.Et enfin, la phrase qui devra, demain, être reprise par tous les médias.

 

« Au siècle dernier, les pays riches ont imposé au monde leur modèle industriel, aujourd’hui il leur est interdit d’imposer au monde leur propre tragédie. Nous n’avons donc qu’une obsession : l’action ; nous n’avons qu’un horizon : c’est maintenant. ».


L’action, maintenant ?

 


Tartuffe ? Plus encore que ses prédécesseurs, après ce départ en grandes pompes, étape après étape, l’hyperprésident s’est employé à mériter le César du meilleur Molière dans le rôle. Sans trop allonger la liste, rappelons quelques scènes de ce dernier acte de la pièce jouée au sommet de l’État.
 

 

16 mai 2017.

 

Cerise sur le gâteau, Nicolas Hulot a enfin répondu aux sirènes de ce nouveau président. Nommé ministre d’État chargé de la Transition écologique et solidaire, placé au troisième rang du gouvernement, juste après le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur, il est supposé ne pas faire uniquement partie du décor.

 

Pourtant.


28 août 2018 sur l’antenne de France Inter :

 

 

https://youtu.be/YJZa90g9WSk

 


« Est-ce que nous avons commencé à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, la réponse est non.
 

Est-ce que nous avons commencé à réduire l’utilisation des pesticides. La réponse est non.
 

Est-ce que nous avons commencé à enrayer l’érosion de la biodiversité. La réponse est non.
 

Est-ce que nous avons commencé à nous mettre en situation d’arrêter l’artificialisation des sols. La réponse est non ».

 


On connaît la suite et sa démission fracassante. Ses propos étaient-ils excessifs, comme ses ex-amis du gouvernement se sont empressés d’affirmer ? Les années passent et le constat est bien là.
 

 

Est-ce que nous avons commencé à réduire nos émissions de gaz à effet de serre ?

 


25 avril 2019. Une diversion : la « Convention citoyenne pour le climat » La proposition aurait été soufflée à l’oreille d’Emmanuel Macron par Cyril Dion et Marion Cotillard, personnes reconnues de l’écologie médiatique.

 

150 citoyennes et citoyens vont donc être tirés au sort pour proposer des actions qui seront reprises dans des textes législatifs, « sans filtre », promet le Président.


 

Le 29 juin 2020, les 150 citoyens de la Convention sont reçus à l’Élysée pour l’entendre annoncer qu’il retient les 149 propositions de la Convention à l’exception de trois :


- rejet de la proposition de réécrire le préambule de la Constitution pour y indiquer que « la conciliation des droits, libertés et principes ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité ».


- rejet de la proposition, bien modeste, de limiter la vitesse sur autoroute à 110 km/h.


- rejet de la taxation à 4 % des dividendes des entreprises supérieurs à 10 millions d’euros pour « participer  à l’effort de financement collectif de la transition écologique ».
 

 

Le message est clair : l’environnement ne peut pas être un obstacle constitutionnel à la « liberté » de produire des gros pollueurs. Et donc pas touche au lobby de l’automobile. Pas touche aux fortunes des super riches.
 

 

Quant au reste des propositions, on pouvait compter sur la majorité de l’Assemblée nationale, d’emblée hostile au procédé, pour les détricoter.

 

 

Résultat : Invités à évaluer, sur une échelle de 0 à 10, si les décisions gouvernementales allaient permettre de « s’approcher de l’objectif de diminuer d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dans un esprit de justice sociale ». La majorité des 119 citoyens présents pour le vote leur a adjugé un royal 2,5 sur 10.

 

 

« On se retrouve aujourd’hui exactement dans la situation qu’on redoutait : le gouvernement transforme les mesures pour satisfaire certains intérêts économiques [.] La parole présidentielle n’est pas respectée », déclare Cyril Dion, en lançant une pétition pour « sauver la Convention citoyenne pour le climat ».

 


3 février 2021. Suite à la plainte du monde associatif, le tribunal administratif de Paris constate «  la carence de l’État à adopter des mesures publiques contraignantes », dont il résulte « un surplus annuel d’émissions de gaz à effet de serre qui aggrave le préjudice écologique ». Il enjoint donc à l’État de prendre « toutes les mesures permettant d’atteindre les objectifs que la France s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre », et ce « afin de faire cesser pour l’avenir l’aggravation du préjudice écologique constaté ».

 


28 juin 2023. « Baisse non significative des émissions de gaz à effet de serre, absence d’une réelle politique fiscale pour l’écologie » titre le journal Reporterre. L’État est, en effet, mis à mal dans le dernier rapport du Haut Conseil pour le climat. », « On constate que l’action publique n’est pas suffisante pour garantir les objectifs de 2030 [.] Le rythme de réduction d’émissions brutes de la France doit presque doubler », résument les auteurs du rapport.

 


Est-ce que nous avons commencé à réduire l’utilisation des pesticides et à enrayer l’érosion de la biodiversité ?

 


3 mai 2023. A nouveau, suite aux plaintes des associations, le Conseil d’État juge illégales les dérogations accordées en 2021 et 2022 en France à des insecticides néonicotinoïdes pour protéger les semences de betteraves sucrières. « Aucune dérogation n’est en effet possible si la Commission européenne a formellement interdit un pesticide », souligne-t-il en se référant à l’arrêt de la Cour de justice européenne du 19 janvier 2023 sanctionnant la France.

 


https://www.conseil-etat.fr/actualites/neonicotinoides-pas-de-derogation-possible-a-l-interdiction-europeenne

 

29 juin 2023. L’État est à nouveau condamné. Le tribunal administratif de Paris reconnaît l’existence d’un préjudice écologique résultant de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques, du déclin de la biodiversité et de la biomasse  et de l’atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement. Il enjoint à l’État de le réparer d’ici le 30 juin 2024.


1er février 2024. La FNSEA a mobilisé ses troupes. A partir d’une mobilisation initiée par des agriculteurs du sud-ouest, pris à la gorge par la baisse de leurs revenus accentuée par les effets du dérèglement climatique, elle a pris le train en marche. Barrages, épandages de lisier, feux de pneus, mises  à sac de bâtiments publics… la routine donc.
 

 

Comme toujours, il lui faut un bouc émissaire, ce sera au choix, l’écologie, l’Europe, les normes environnementales. Un cadeau pour le nouveau premier ministre Gabriel Attal. Inutile de chercher à répondre à la véritable crise qui traverse le monde agricole. La réponse, pour faire rentrer chacun à la maison avec la bénédiction des cadres de la FNSEA, sera simple et immédiate : suspension du plan Ecophyto qui visait à réduire de 50 % l’usage des pesticides d’ici 2030. Signal clair en direction de l’agro-industrie et de l’agrochimie : finis les discours. La défense de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique attendront.

 


L’ennemie : l’écologie.

 


Emmanuel Macron n’a plus à préparer une future réélection, place au monarque « jupitérien ». Réforme anti-sociale des retraites, durcissement de l’indemnisation chômage… telle est l’image qu’il ne craint pas de laisser de son second mandat. Quant à l’écologie : mobilisation des forces de répression et de la justice contre celles et ceux qui s’opposent aux projets destructeurs du milieu naturel. Ces résistantes et résistants  à destination desquels son ministre de l’Intérieur a inventé l’étiquette « d’écoterroristes ».
 

 

Terroristes ! Le qualificatif que tous les pouvoirs forts attribuent à celles et ceux qui ont le courage de leur résister. Car, fort heureusement, résistance il y a !

 

Pour aller plus loin.

 

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