1907. Le suédois Arrhenius a publié en France "L'évolution des mondes". Il y développe la "théorie de la serre chaude" et imagine déjà que la quantité de gaz carbonique dans l'atmosphère "puisse être modifiée, dans le cours des siècles, par la production industrielle".
Qui alors, dans la population, s'en soucie quand lui même y voit, d'une certaine façon, une chance pour les futures populations de l'hémisphère nord qui pourront profiter du réchauffement planétaire par un meilleure productivité agricole.
Qui, dans les milieux scientifiques, pourrait en faire un objet de recherche alors que dans la même période sont faites des découvertes aussi fabuleuses que les rayons X, la radioactivité, la structure des atomes et même l'équivalence matière/énergie.
Qui dans la population pouvait se préoccuper, dans les premières décennies du 20ème siècle, de la qualité de l'atmosphère après les millions de morts dans les tranchées de Verdun et d'ailleurs, les régions entières dévastées, toute une jeunesse décimée. Et comment sortir des horreurs de la deuxième guerre mondiale couronnées par les camps d'extermination et la mort atomique des habitants de Hiroshima et Nagasaki ….
Alors parler du CO2 dans l'atmosphère quand il fallait tout reconstruire et quand l'industrie de guerre allait se reconvertir dans des activités dites "civiles" qui allaient initier ces "trente glorieuses" dont on ne commencerait à mesurer l'impact sur la planète que quelques décennies plus tard. Pour le moment c'étaient le charbon et l'acier qui étaient supposés réconcilier les peuples. La fragile Union Européenne célèbre, chaque 9 mai depuis 1985, la déclaration du 9 mai 1950 de Robert Schuman, ministre français des affaires étrangères, par laquelle : "Le Gouvernement français propose de placer l'ensemble de la production franco-allemande du charbon et d'acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays d'Europe.
La mise en commun des productions de charbon et d'acier assurera immédiatement l'établissement de bases communes de développement économique, première étape de la Fédération européenne, et changera le destin des régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre dont elles ont été les plus constantes victimes".
Le charbon et l'acier des armes au service de la paix ? Cette première Europe dont le développement a été alimenté par l'industrie et les capitaux américains a d'abord été l'outil d'une "guerre froide" entre l'Ouest et l'Est. Une guerre dont le terrain principal a été l'escalade dans la fabrication de produits manufacturés et d'armes. Allez donc parler d'effet de serre quand la menace principale est celle d'un conflit nucléaire qui anéantirait en un instant des villes entières et des millions de vies humaines.
Quant au reste du monde... La production de charbon et d'acier européens étaient supposés être "offerte à l'ensemble du monde, sans distinction ni exclusion, pour contribuer au relèvement du niveau de vie et au progrès des œuvres de paix. L'Europe pourra, avec des moyens accrus, poursuivre la réalisation de l'une de ses tâches essentielles : le développement du continent africain". Que penser de ces pieuses paroles quand on se souvient des souffrances de la décolonisation et quand on constate la persistance des guerres pour l'accès aux ressources naturelles qui ensanglantent les populations de l'Afrique et du Moyen Orient. Parler de réchauffement climatique aux pays qui doivent se relever des années d'exploitation coloniale et des guerres qui les ont suivies ?
Il a fallu attendre 1979 pour qu'un groupe de neuf climatologues remettent, à la demande du président des USA, Jimmy Carter, un rapport d'une vingtaine de pages rassemblant la synthèse des connaissances du moment sur l'impact possible des activités humaines sur le climat. Le groupe à l'origine du rapport publié sous le titre "dioxyde de carbone et climat : une évaluation scientifique" était présidé par Jule Charney, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il est généralement présenté comme le "Rapport Charney".
Le rapport Charney (1979).
Dans un avant propos, Verney E. Suomi, considéré comme le père de la météorologie par satellite et alors président du "conseil de recherche climatique" de l'Académie des Sciences, faisait le constat que "nous avons maintenant des preuves irréfutables que l’atmosphère est en train de changer et que c'est nous-mêmes qui contribuons à ce changement. Les concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone augmentent progressivement, et ces changements sont liés à l'utilisation par l'homme de combustibles fossiles. Étant donné que le dioxyde de carbone joue un rôle important dans le bilan thermique de l'atmosphère, il est raisonnable de supposer que des augmentations continues affecteront le climat."
Et déjà apparaît la préoccupation pour les générations futures. Il faut, écrit-il, "se pencher sur le monde de nos petits-enfants, le monde du XXIe siècle. D'ici là, combien de carburant sera brûlé, combien d'arbres seront abattus ? Comment un changement climatique affectera-t-il la société mondiale de la génération à naître ?"
Conclusion du rapport ? "si l'on suppose que la teneur en CO2 de l'atmosphère est doublée, l'équilibre thermique statistique étant atteint, les efforts de modélisation les plus réalistes prédisent un réchauffement global de la surface terrestre entre 2°C et 3,5°C, avec des augmentations plus importantes dans les hautes latitudes."
Décembre 2009. Congrès d'automne de l'American Geophysical Union (AGU) à San Francisco.
Le congrès célèbre le trentième anniversaire du rapport Charney. "Rien, dans toutes les nouvelles connaissances acquises depuis trente ans, n'est venu contredire les conclusions du rapport Charney", expliquait Raymond Pierrehumbert, titulaire de la chaire de géo-sciences de l'université de Chicago, qui présidait la session. Avec une certaine amertume il constatait que ce qui était débattu actuellement dans le domaine du réchauffement climatique: "aurait pu commencer à être discuté il y a trente ans".
Qui pourrait affirmer que nous n'entendrons pas les mêmes propos dans trente ans comme avaient déjà été oubliés, en 1979, les principes énoncés sept ans plus tôt lors de la conférence des Nations Unies sur l'Environnement réunie à Stockholm en juin1972 :
"Principe 5 : Les ressources non renouvelables du globe doivent être exploitées de telle façon qu'elles ne risquent pas de s'épuiser et que les avantages retirés de leur utilisation soient partagés par toute l'humanité.
Principe 6 : Les rejets de matières toxiques ou d'autres matières et les dégagement de chaleur en des quantités ou des concentrations telles que l'environnement ne puisse plus en neutraliser les effets doivent être interrompus de façon à éviter que les écosystèmes ne subissent des dommages graves ou irréversibles. La lutte légitime des peuples de tous les pays contre la pollution doit être encouragée. "
Il faudra attendre vingt ans après Stockholm pour que l'effet de serre et le réchauffement climatique commencent enfin à émerger à la conscience publique.
1992. Le sommet de la terre de Rio.
J'ai conservé ce numéro de la revue "La Recherche" de mai 1992. Un numéro spécial avec un seul titre en couverture "L'effet de Serre". L'éditorial est de Pierre Thuillier, le philosophe et historien des sciences dont le "Petit Savant Illustré", publié en 1980 avait fait les délices de toute une jeune génération de scientifiques en rupture avec un dogmatisme ambiant. Aujourd'hui, écrit-t-il, les climatologues lancent de sérieux avertissement.
Le ton reste prudent : "il se pourrait" écrit-il "que les hommes, à force de brûler des combustibles fossiles, de détruire les forêts et de développer des industries polluantes, dégradent dangereusement l'atmosphère". L'époque n'est pas encore aux affirmations : "Les activités humaines n'entraînent-elles pas un réchauffement excessif de la Terre ? Notre survie n'est-elle pas compromise ? Même des esprits plutôt pondérés sont amenés à envisager sinon le risque ultime, du moins des scénarios très pessimistes". Faisant suite au sommaire, sur une double page au dessus d'un paysage de cheminées d'usines fumantes, ce titre : "Un dossier scientifique épineux".
Pourtant, à relire ce numéro spécial, un quart de siècle plus tard, on constate à quel point beaucoup de ce qui n'était qu'interrogation s'est transformé en certitude. Des cartes du monde avaient été publiées qui illustraient ce que deviendrait le climat dans l'hypothèse d'un doublement du taux atmosphérique de gaz carbonique. Elles indiquent un réchauffement moyen qui pourrait atteindre 5°C et jusqu'à 8°C dans l'hémisphère Nord. Elles semblent l'exacte réplique de celles publiées vingt ans plus tard.
Ce numéro de "Le Recherche" annonce la "conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement" qui va se tenir à Rio de Janeiro, au Brésil, pendant le mois de juin. Resté dans les mémoires comme le "Sommet de la Terre de Rio", la conférence a été un réel succès médiatique : 178 pays représentés, 110 chefs d'Etats et de gouvernements présents, 2000 représentants d'organisations non gouvernementales (ONG) et surtout des milliers de personnes au forum organisé en parallèle par les ONG. La conférence se revendiquait comme le prolongement de la conférence internationale sur l’environnement humain (un premier " Sommet de la Terre" organisé en 1972 à Stockholm). Elle s'est conclue par une "Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement" énonçant 27 principes parmi lesquels était introduite la notion de "développement durable" dont l'interprétation et l'application ont donné lieu par la suite à de nombreuses controverses. Plus concrètement était adopté par les chefs d'Etat présents un "Agenda 21", plan d'action pour le 21ème siècle énumérant 2500 principes pour l'application de la déclaration.
Si cet "Agenda 21" est régulièrement cité depuis comme une référence il demeure, à y regarder de près, bien timide en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Dans on chapitre 9 consacré à la "Protection de l'atmosphère" il se contente de constater "Les préoccupations suscitées par le changement climatique et la variabilité climatique, la pollution atmosphérique et l'appauvrissement de la couche d'ozone ont suscité de nouvelles demandes d'informations scientifiques, économiques et sociales en vue de réduire les incertitudes qui subsistent dans ces domaines." Afin de "mieux comprendre et prévoir les diverses propriétés de l'atmosphère et des écosystèmes touchés, ainsi que leurs effets sur la santé et leurs interactions avec les facteurs socio-économiques" il se contente de que demander la mise en œuvre de moyens afin de "dissiper les incertitudes" et pour cela d'améliorer "la base scientifique nécessaire à la prise de décisions".
Cette insistance sur les "incertitudes", qui ne pouvait qu'alimenter le clan des "climato-sceptiques" déjà très actif, omettait ainsi les premières alertes du "Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution de climat (GIEC)" qui fonctionnait déjà depuis 1988 et dont c'étaient fait écho les rédacteurs du numéro de "La Recherche" de 1992.
1988 : Le GIEC.
Le GIEC a été créé en novembre 1988 par deux organismes de l’ONU : l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et leProgramme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). A son origine, une demande du G7, le groupement des 7 plus grandes puissances économiques mondiales. Dès 1990 il rendait public son premier rapport. Et déjà des certitudes :
"Nous avons la certitude que : Les émissions dues aux activités humaines accroissent sensiblement la concentration dans l'atmosphère des gaz à effet de serre : dioxyde de carbone, méthane, chlorofluorocarbones (CFC) et oxyde nitreux. Cette augmentation renforcera l'effet de serre, intensifiant le réchauffement général de la surface terrestre. Le principal gaz à effet de serre, c'est-à-dire la vapeur d'eau, deviendra plus abondant sous l'effet du réchauffement planétaire ce qui accentuera encore ce dernier. Les calculs nous donnent la conviction que certains gaz peuvent plus efficacement que d'autres modifier le climat et que leur efficacité relative peut être évaluée. Le dioxyde de carbone a causé dans le passé plus de la moitié du surcroît d'effet de serre, et il est probable qu'il en sera de même à l'avenir."
Après les certitudes les prévisions :
"En nous fondant sur les résultats que donnent les modèles actuels, nous prévoyons ce qui suit : La température globale moyenne augmentera en moyenne au cours du siècle à venir de 0,3 °C environ par décennie (avec une marge d'incertitude de 0,2 à 0,5 °C par décennie) si les émissions de gaz à effet de serre correspondent au scénario A du GIEC (poursuite des activités); c'est là une valeur supérieure à celle que l'on a observée au cours des 10 000 dernières années. Cela aura probablement pour conséquence que la température globale moyenne dépassera de 1 °C environ la valeur actuelle en 2025 (environ 2 °C de plus que pendant la période pré-industrielle) et de 3 °C avant la fin du siècle à venir (environ 4 °C de plus que pendant la période pré-industrielle). Cette augmentation ne se fera pas à un rythme régulier, en raison de l'incidence d'autres facteurs.
Dans le cas des autres scénarios du GIEC, qui supposent une réglementation progressivement plus stricte, le rythme d'augmentation de la température globale moyenne serait de 0,2 °C environ par décennie (scénario B), juste supérieur à 0,1 °C par décennie (scénario C) et de 0,1 °C environ par décennie (scénario D)."
Après les prévisions, le constat :
2014. Le cinquième rapport du Giec confirme que : "Chacune des trois dernières décennies a été successivement plus chaude à la surface de la Terre que toutes les décennies précédentes depuis 1850. Les années 1983 à 2012 constituent probablement la période de 30 ans la plus chaude qu’ait connue l’hémisphère Nord depuis 1 400 ans. La tendance linéaire de la moyenne globale des données de température de surface combinant les terres émergées et les océans indique un réchauffement de 0,85 [0,65 à 1,06] °C au cours de la période 1880–2012".
2017 en France.
Le ministère de la transition écologique et solidaire publie les "Indicateurs nationaux de suivi de la transition écologique vers un développement durable (2015-2020)". Il ne s'agit plus d'hypothèses mais de constats. On peut y lire que :
"La décennie 2001-2010 a été plus chaude de 0,2°C que la décennie 1991-2000 et se situe 1°C au-dessus de la moyenne 1961- 1990.
Le réchauffement de la température en France métropolitaine est très net. Les dix années les plus chaudes ont été observées durant les deux dernières décennies dont la température moyenne est supérieure de 1°C à la moyenne 1961-1990."
Une augmentation de 0,2°C par décennie, c'était ce que prévoyait, dès 1990, le scénario B du Giec.
La maison brûle mais aucun pompier ne répond à l'appel des sirènes.