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13 mars 2019 3 13 /03 /mars /2019 16:03

Dans le Finistère, Total ambitionne de construire une centrale au gaz d’une puissance de 446 mégawatts. Le projet comprend aussi la construction d’un gazoduc et d’une ligne à très haute tension. Les opposants contestent l’utilité de cet investissement — en partie public — et s’inquiètent des pollutions qu’il provoquerait.

  • Landivisiau (Finistère), reportage

Les dernières bourrasques de la tempête Freya assaillent le lieu-dit Le Drennec, à Landivisiau (Finistère). Emmitouflées dans leurs cirés, une vingtaine de personnes pique-niquent le long d’un chemin cabossé, bordé de panneaux grillagés. Dans la bonne humeur et les effluves des thermos de café, elles bloquent pacifiquement les entrées du site de la future centrale au gaz de Landivisiau où le groupe Total, qui doit exploiter l’installation, vient de démarrer les travaux préparatoires.

« Les premiers ouvriers et la tractopelle sont arrivés sur le champ à la mi-janvier, explique Mélanie, du collectif Landivisiau doit dire non à la centrale.Depuis, nous sommes sur le qui-vive et nous manifestons quotidiennement sur le site pour empêcher l’avancée des travaux. » Ce lundi 4 mars, l’opération de blocage est rondement menée. Les ouvriers préposés au déminage du chantier ne peuvent accéder à leur tractopelle et au théâtre de leurs opérations. Les agents de sécurité scrutent les mouvements des opposants et guettent d’éventuelles intrusions sur le site.« On gagne notre croûte », se justifient-ils en haussant les épaules. Devant les grilles, Cécile et Anne-Marie, retraitées, s’assurent que tous leurs camarades mangent à leur faim. Olivier, à quelques pas, est absorbé par une partie de mölkky. « Nous luttons depuis huit ans et nous n’arrêterons pas, affirme-t-il en réajustant son bonnet jaune. Cette centrale, construite avec de l’argent public, symbolise la poursuite d’une société de surconsommation dangereuse pour notre santé et notre futur. »

Les opposants à la centrale jouent au mölkky.

Porté par l’État et la région Bretagne, le projet de centrale à cycle combiné gaz s’inscrit dans les aménagements dictés par le pacte électrique breton. Ce traité, signé en 2010, était destiné à anticiper une augmentation de la consommation énergétique bretonne, à pérenniser l’approvisionnement de la région en électricité et ainsi éviter des black-out, c’est-à-dire des coupures d’électricité généralisées, durant les périodes les plus froides.

« Le risque de “black-out” breton est aujourd’hui écarté »

Si elle voyait le jour, l’unité de production électrique de Landivisiau présenterait une puissance de 446 mégawatts (MW), alimentée en gaz naturel par un nouveau gazoduc reliant Saint-Urbain et Landivisiau. L’électricité produite par la centrale serait ensuite transportée de Landivisiau à La Martyre par une ligne à très haute tension (THT) de 225.000 volts. Lors de l’appel d’offres lancé par l’État en juin 2011, Direct Énergie a été retenu comme maître d’ouvrage. Le fournisseur et producteur d’électricité, qui n’avait jamais construit de centrale à gaz, a été racheté en 2018 par Total.

La tractopelle, « prisonnière » du fait du blocage du site de construction par les opposants à la centrale.

Un débat public contradictoire autour du projet, réclamé auprès de la Commission nationale du débat public (CNDP), a toujours été refusé aux opposants. Motif invoqué : le projet n’atteignait pas le seuil financier requis.« Le projet a été saucissonné, déplore Yves, artisan-boulanger à Landivisiau. Le gazoduc, la THT et la centrale ont été traités séparément : le coût global du projet a ainsi été découpé et nous n’avons pas pu saisir la CNDP. Ce n’est pas logique, puisque la centrale ne peut pas se faire sans le gazoduc et la THT ! »

Dans une lettre envoyée le 27 février dernier au président du conseil régional de Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, 17 associations de protection de l’environnement, de défense des consommateurs et de producteurs bretons ont contesté l’utilité du projet : « La question de l’autonomie énergétique de la Bretagne semblait pour vous motiver la légitimité du projet, écrivent-elles. Or, le risque de “black-out” breton est aujourd’hui écarté, au regard des évolutions des consommations et du développement des énergies renouvelables alternatives. »

Les associations s’appuient notamment sur les chiffres du Réseau de transport d’électricité (RTE). « Ces données montrent que la consommation s’est stabilisée depuis 2012, dit Yves. Or, la centrale devait pallier une augmentation de la consommation. Elle n’a donc pas raison d’être, il n’y a plus de risque de black-out ! D’autant qu’en janvier 2018, la région s’est déjà dotée d’une liaison souterraine de 225.000 volts entre Lorient et Saint-Brieuc. »

Afin de contester l’urgence et la nécessité de construire la centrale, le collectif Garantir l’avenir solidaire par l’autonomie régionale énergétique (Gaspare) a produit un scénario électrique alternatif breton. « Le pacte électrique breton ne tient pas compte des parcs éoliens ni de l’interconnexion franco-irlandaise à venir, explique le conseil collégial de Gaspare. Il anticipait la fermeture des turbines à combustion (TAC) de Dirinon et de Brennilis pour 2015, alors que lesdites fermetures ne sont pas d’actualité. Ces TAC sont certes plus polluantes qu’une centrale à cycle combiné gaz, mais ces dernières années, malgré des périodes froides, elles n’ont fonctionné en moyenne qu’une soixantaine d’heures par an. »

« Il est d’intérêt général d’agir » 

Sur le sentier qui jouxte les 17 hectares dédiés à la future centrale, Morgane berce son bébé de six mois. La jeune maman et son petit, assidus, viennent quasiment tous les jours. « Ce projet représente plus d’un million de tonnes de CO2 par an, dit-elle. Je n’ai pas envie que mon fils grandisse dans un environnement local encore plus pollué, sur une Terre où l’on émet toujours plus de gaz à effet de serre en dépit de l’urgence climatique. Si je ne fais rien, il me le reprochera plus tard et il en paiera les conséquences. L’État se targue d’être un acteur contre le changement climatique, mais il fait totalement l’inverse : nous n’allons pas l’attendre pour lutter. »

Morgane.

En considérant l’hypothèse d’un fonctionnement de 8.000 heures par an, d’après l’étude d’impact, la quantité annuelle de CO2 émise par la centrale frôlerait les 1,5 million de tonnes. La quantité d’oxydes d’azote (NOx) rejetée serait de 1.100 tonnes. De plus, l’édification du gazoduc et de la ligne à très haute tension aurait des conséquences sur la biodiversité environnante : ces installations pénétreraient la vallée de l’Elorn, classée zone Natura 2000.

« Il est d’intérêt général d’agir, presse Jean-Yves Quéméneur, président de l’association Force 5. Il est impensable de laisser passer un projet qui saccage une zone Natura 2000, menace la qualité de l’air et ralentira la lutte contre le changement climatique. Le tout subventionné à hauteur de 50 millions d’euros par an, versés dans les poches de Total. Et qui paiera ? nous ! Directement sur nos factures d’électricité, via la contribution au service public de l’électricité [CSPE]. Cette somme devrait plutôt être allouée aux économies d’énergie, à l’isolation des logements et aux énergies renouvelables. Ce projet est un non-sens. »

« Une fois l’installation érigée, on ne pourra plus lutter. Alors, on s’accroche » 

L’association Force 5, agréée pour la protection de l’environnement, a lancé plusieurs recours en justice pour stopper le projet de centrale, le gazoduc entre Saint-Urbain et Landivisiau et la ligne THT entre Landivisiau et La Martyre. Le lundi 25 février dernier, le Conseil d’État a estimé que l’association était fondée à agir en justice en annulant un arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes. Cette dernière écartait, pour irrecevabilité, la demande de l’association d’une annulation de l’arrêté ministériel du 10 janvier 2013, autorisant Direct Énergie (Total) à exploiter une centrale de production d’électricité à Landivisiau. L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Nantes, pour être jugée sur le fond, et l’État condamné à verser 3.000 euros à Force 5.

« C’est une victoire encourageante pour les opposants, mais le recours n’est pas suspensif, regrette Mélanie. La centrale peut être construite d’ici là, Total n’arrêtera pas les travaux. Et une fois l’installation érigée, on ne pourra plus lutter. Alors, on s’accroche. »

Quelques heures plus tôt, ce jour-là, une cinquantaine de manifestants se sont rassemblés devant la gendarmerie de Plourin pour soutenir quatre opposants. « Nous sommes convoqués pour une enquête sur la dégradation de grilles, le samedi 23 février, lors d’une manifestation contre le projet de centrale, explique Gwenno, l’un des quatre citoyens convoqués. C’est une tentative d’intimidation du mouvement d’opposition, ils cherchent à atteindre notre détermination. Mais on ne va rien lâcher. »Leur entrée dans la caserne Adjudant Le Jeune, vers 9 heures du matin, a été accompagnée d’une haie d’honneur et d’un chant « Nous sommes tous des terroristes ». Ils sont ressortis au compte-goutte, une heure à une heure et demie plus tard. De son côté, Jean-Yves Quéméneur, président de Force 5, est sommé de se présenter le mercredi 13 mars à la gendarmerie de Landivisiau. Deux autres convocations sont tombées au cours de la semaine.

Jean-Yves Quéméneur et Olivier, devant la caserne de gendarmerie de Plourin pour soutenir quatre opposants.

« Cette escalade de répression n’est plus tenable et le climat de tension maintenu par l’État ne présage rien de bon, a commenté Landivisiau doit dire non à la centrale, sur ses réseaux sociaux. Nous revendiquons notre mouvement comme pacifiste et déterminé. La réponse de l’État est disproportionnée et plutôt que de chercher à apaiser la situation, au contraire il la crispe davantage. »

 

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Source : Alexandre-Reza Kokabi pour Reporterre

Photos : © Alexandre-Reza Kokabi/Reporterre
. chapô : Mélanie, du collectif Landivisiau doit dire non à la centrale.



Documents disponibles

  Lettre des 17 associations au président du conseil régional de Bretagne.  L’étude d’impact du projet de centrale au gaz.  Décision du Conseil d’État du 25 février concernant l’association Force 5.

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