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Thermomètre qui s’affole, sols assoiffés, rivières à sec, 70 000 hectares carbonisés… L’été 2022 a planté un jalon dans l’histoire de France du climat. Un avant-goût de ce que nous réserve le changement climatique, alertent les scientifiques. Les activités humaines, émettrices des gaz à effet de serre, en sont responsables. Désormais, la probabilité que l’été présent soit plus froid « est hautement improbable », prévient Magali Reghezza-Zitt.
L’horizon que dépeint l’enseignante géographe à l’École normale supérieure de Paris et membre du Haut Conseil pour le climat créé en 2018, n’est guère enviable.
La scientifique spécialiste de la prévention des catastrophes et de l’adaptation des territoires nous presse à nous y préparer. « Plus le climat change, plus les vagues de chaleur sont précoces, intenses, fréquentes et longues. Avec plusieurs jours au-delà des 35° C, des pics à plus de 40 °C. On fait comment pour vivre, habiter et travailler quand il fait près de 50° C, avec des nuits tropicales terribles pour les organismes des personnes vulnérables ? » Et quel sort réserve-t-on « aux invisibles : SDF, mal logés, prisonniers, patients des hôpitaux de santé mentale ? »
On peine à prendre la mesure des défis en cascade de ce bouleversement. D’autant qu’avec le réchauffement « on voit converger des événements contre-intuitifs, à la fois une chaleur et des sécheresses intenses, mais aussi des précipitations extrêmes qui provoquent des inondations. Car une masse d’air chaud contient davantage d’eau : 7 % en plus par degré supplémentaire. » Quand elle déferle, toute cette eau ruisselle. Résultat : malgré les orages du printemps, 66 % des réserves souterraines restent déficitaires. La période de recharge s’est raccourcie d’octobre à février. « Comme il fait plus chaud, l’eau s’évapore davantage. La végétation apparaît plus tôt et se met en sommeil plus tard. Les plantes et les arbres transpirent davantage et ont besoin d’eau ». Et plus il fait chaud, plus ont a besoin d’eau pour faire couler des robinets, irriguer les cultures et alimenter les usines.
La France doit se préparer à un climat à + 4 °C, estime le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. « C’est la traduction d’un réchauffement mondial à 3 °C », précise Magali Reghezza-Zitt. « Si on continue d’émettre du CO2 à ce rythme dans l’atmosphère, 2022 apparaîtra comme un été froid, devenu très rare en 2100. » Même avec zéro émission nette en 2050 « moi, vous, les lecteurs, leurs parents ou grands-parents, on ne connaîtra jamais plus le climat de notre enfance ». En limitant le réchauffement climatique en dessous de 2° C : « On fige le thermomètre mais on ne revient pas en arrière. » Passé un certain seuil, « l’obésité devient létale », et nous avons abusé des énergies fossiles. En s’astreignant au régime, « on réduit les risques immédiats mais on ne les fait pas disparaître. À +1,5 °C, 70 % des coraux disparaissent. Dans un monde à +3°C, un cinquième du vivant s’effondre. »
Depuis l’ère industrielle, l’humanité a fait bondir le niveau CO2 dans l’atmosphère à celui qu’il était il y a 3 millions d’années. « Jamais nous n’avons fait face à un changement aussi brutal. »
Mesures contre la canicule, pour sauvegarder l’eau… Parce « qu’une accumulation de plans » gouvernementaux « ne font pas une stratégie », le Haut Conseil pour le climat appelle à lancer des réformes structurelles. « Vingt ans, c’est pile le temps qu’il faut pour transformer, souligne Magali Reghezza-Zitt. Mais d’abord « il faut arrêter de soutenir les énergies fossiles car financer l’essence, c’est comme brûler l’argent public. Il n’en reste rien. C’est mangé par les kilomètres. Cet argent doit servir à aider les ménages plus fragiles à aller vers le bas carbone qui correspond, dans les faits, à un meilleur logement, une meilleure alimentation, une meilleure santé. »
Chroniqueuse à Libération, elle qui se remémore les postures « climatosceptiques » au cours de son cursus, s’est engagée pour former les parlementaires au climat. Criant à « l’écologie punitive », certains de ses opposants (du RN, NDLR) qui la taxent de militantisme et l’accusent d’être « hors sol » ont fomenté en coulisses, raconte-t-elle, pour l’éjecter du Haut Conseil pour le climat qui remet un nouveau rapport ce mercredi 28 juin 2023. Pas de quoi museler Magali Reghezza-Zitt, fille d’agents de la Sécu qui « n’avaient pas le bac ».
Elle qui s’est lancée dans la voie du professorat « pour s’affranchir » le martèle : « Quand on ne maîtrise pas les mots, on peut vous raconter n’importe quoi. » Comme « vouloir faire croire qu’avec les bassines, on n’aura pas besoin de baisser la consommation d’eau ou qu’avec de nouveaux réacteurs nucléaires, on évitera la sobriété énergétique. C’est faux. »
Quand à « soutenir qu’avec les voitures électriques, on pourra continuer à circuler autant et comme avant » : billevesées là encore ! « Ce qu’il faut, c’est diviser par deux le parc, repenser l’urbanisme et les transports en commun, reconvertir les emplois et en créer de nouveaux. » Il n’est pas trop tard, insiste-t-elle en décrivant l’anxiété dont sont pris des collègues scientifiques « devant les résultats des simulations ». Vulgariser, mettre des mots sur le futur, c’est déjà faire bouger les lignes. « Oui, le monde n’est pas simple, mais la complexité ne peut être un prétexte à l’inaction. Ça doit être le point de départ d’un dialogue qui débouche sur des compromis qui ne sont pas des compromissions. Avec une répartition équitable des efforts, des aides et de l’accompagnement. Ça s’appelle la transition juste. Quel que soit le bord politique, c’est vers là qu’il faut aller. »
Ecouter : "depuis 2006 nous avons eu autant de canicules que pendant les quarante dernières années"
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ACTER L’URGENCE ENGAGER LES MOYENS
RAPPORT ANNUEL 2023 DU HAUT CONSEIL POUR LE CLIMAT JUIN 20
Le changement climatique dû à l’influence humaine a entraîné des impacts graves en France en 2022, excédant la capacité de prévention et de gestion de crises actuelle. L’année 2022, emblématique de l‘intensification des effets du changement climatique, illustre le besoin d’acter l’urgence et d’engager les moyens nécessaires au rehaussement de l’action pour l’adaptation et la décarbonation en France, en Europe, et à l’international.
La baisse des émissions se poursuit en France en 2022, mais à un rythme qui reste insuffisant pour atteindre les objectifs de 2030.
Le cadre d’action des politiques publiques pour le climat se construit, sans pour l’heure être accompagné d’une politique économique d’ampleur permettant de déclencher l’accélération nécessaire. L’adoption de la réglementation du paquet Fit for 55 de l’Union européenne doit rapidement se traduire en mesures concrètes et nouvelles sources de financements en France et en Europe. L’adaptation doit passer du mode réactif prévalent aujourd’hui pour devenir transformatrice, en s’appuyant sur les connaissances des conséquences pour la France, y compris pour les saisons et les événements extrêmes.
Alors que la multiplication des politiques publiques à l’international commence à faire infléchir les émissions planétaires, la réponse de la France au changement climatique doit monter en puissance, sur la base de son cadre d’action straté- gique qui se construit, pour systématiser sa mise en œuvre opérationnelle, engager les moyens et les financements nécessaires, accompagner les plusvulnérables dans un esprit de transition juste, éviter la maladaptation, et œuvrer à soutenir la dynamique européenne et relancer la dynamique internationale en amont de la COP28.
Le climatologue confie qu'il espérait vraiment que le dernier rapport du GIEC ferait davantage bouger les lignes face aux enjeux de la surconsommation. Il rappelle que c'est la définition même du capitalisme qui pose problème aujourd'hui : "Je constate que cette transition nécessaire n'imprime pas suffisamment chez les patrons d'entreprise. On a un problème de capitalisme. Le capitalisme tel qu'on le vit actuellement n'est pas compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique. C'est vraiment un changement profond de mode de société auquel j'appelle. Si on reste dans le même cadre d'organisation de nos sociétés, je crains qu'on n'y arrive pas".