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18 décembre 2023 1 18 /12 /décembre /2023 15:57

 

Jean-Baptiste Van-Helmont (1579-1644) est né à Bruxelles, alors ville des Pays-Bas espagnols. Après des études de philosophie à l’université du duché de Brabant, il étudie l’astronomie, l’algèbre, la géométrie. Il se tourne ensuite vers la médecine. Rejetant les enseignements de Hippocrate et de Galien, il s’inspire de la médecine introduite par Paracelse (1493-1541) et les alchimistes. Celle-ci faisant intervenir des remèdes essentiellement issus du monde minéral.

Van Helmont, qui se disait "philosophe par le feu", occupe une part capitale, soulignée par Lavoisier, dans la naissance de la chimie académique. Pourtant c'est d'abord un adepte de la pensée alchimique. Ce qui lui vaudra, en 1634, d'être inquiété par l'Inquisition, très active dans cette possession espagnole.

L'alchimiste blasphémateur.

Van Helmont fait partie de ces partisans d'une "magie naturelle" qui, sans refuser l'existence de phénomènes étranges, cherche à les expliquer par des raisons "physiques" et non pas mystiques. La raison officielle de son procès pour "hérésie, blasphème, impiété et magie", est l'une de ses publications, "De magnetica", où il est fait mention d'un "magnétisme animal" qui pourrait agir à distance. Inquiétante pour l’Église était, en particulier, sa prétention de vouloir expliquer, ainsi, les guérisons miraculeuses provoquées par les reliques. Celles-ci conserveraient des traces du magnétisme animal de leur ancien propriétaire. Celui-ci serait en permanence réactivé par la foi des croyants. Avec une telle explication, Dieu et les Saints agiraient suivant les lois de la Nature et y perdraient leur pouvoir surnaturel.

La citation à paraître du tribunal de l'Inquisition était sur ce point explicite, le "De Magnetica" de Van Helmont était rempli "d'une quasi-infinité d'exemples pris au domaine même de la magie diabolique qui sont présentés comme naturels […] Il recouvre tout de ténèbres à tel point que l'on ne peut distinguer l'opération de Dieu, de la nature et du diable…"

Étant issu d'une famille de notables, Van Helmont échappera au sort de Giordano Bruno à Rome (1600) et de Lucilio Vanini à Toulouse (1619), tous deux condamnés au bucher pour hérétisme. Il ne finira pas, non plus, sa vie, comme Galilée, dans une prison ecclésiastique.

Son tempérament "hérétique" continuera à se manifester par son refus de l'orthodoxie jusque dans ses opinions chimiques. Ce sont elles qui nous ramènent, après cette digression, au sujet principal de notre récit qui est la traque de ce corps qu'un jour nous désignerons par la formule H2O.

En cette fin de 16ème siècle, l’Église a maintenu la philosophie d’Aristote comme base de son enseignement, traditionnellement désigné par le terme de scolastique. La théorie des quatre éléments en est un des éléments qui ne peut être mis en doute. Et pourtant !


Jean-Baptiste Van Helmont : il n’existe qu’un sel élément, l’Eau.

 

Les « Œuvres de Jean-Baptiste Van Helmont, traitant des principes de médecine et physique pour la guérison assurée des malades » sont publiées en France en 1671 sous la traduction de Jean Le Comte, docteur en médecine.

Il s’y singularise, particulièrement, par son une opposition à la théorie des quatre éléments de Platon et Aristote : "Les Anciens, dit-il, ont établi les quatre éléments pour fondement de la nature, & attribuent toutes leurs opérations aux qualités et aux complexions qui résultent de leur mélange. Comme cette doctrine a été nourrie et continuée dans les écoles de siècle en siècle, pour l’enseignement de la jeunesse au préjudice des mortels, aussi faut-il tâcher d’en réprimer l’abus afin qu’on puisse dorénavant reconnaître les erreurs qui se sont glissées par-là envers la cause des maladies."

 

Que faudrait-il à présent enseigner dans les « écoles » ? Que tous les corps qu’on a cru être mixte, "de quelque nature qu’ils puissent être, opaques ou transparents, solides ou liquides, semblables ou dissemblables (comme pierre, soufre, métal, miel, cire, huile, cerveau, cartilages, bois, écorce, feuilles, etc.) sont matériellement composés de l’eau simple et peuvent être totalement réduits en eau insipide sans qu’il y reste la moindre chose du monde de terrestre".

 

Il ne se contente pas d’affirmer, il entend le prouver ! Notons qu’il est contemporain de Galilée traditionnellement présenté comme le père de la physique expérimentale. Dans le domaine de la biologie, il pourrait lui-même revendiquer ce titre. C’est en faisant appel à l’expérience qu’il entend convaincre ses contemporains.

Ainsi nous révèle son traducteur,  "il prit un grand vase de terre, auquel il mit 200 livres de terre desséchée au four qu’il humecta avec de l’eau de pluie. Puis il y planta un tronc de saule qui pesait cinq livres. Cinq années après le saule, qui avait cru en ladite terre, fut arraché et se trouva pesant de 169 livres et environ 3 onces de plus.

Le vaisseau était fort ample, enfoncé en terre, et couvert d’une lame de fer blanc étamé percé, en forme de crible, de force petits trous afin qu’il n’y ait que l’eau de pluie ou l’eau distillée seule (de laquelle la terre du vaisseau était arrosée lorsqu’il en faisait besoin) qui y puisse découler. Les feuilles ne furent point pesées parce que c’était en automne quand les feuilles tombent que l’arbre fut arraché.

Il fit derechef ressécher la terre du vase et la terre ne se trouva diminuée que d’environ deux onces qui s’étaient pu perdre en vidant ou emplissant le vaisseau. Donc il y avait 164 livres de bois, d’écorce et de racines qui étaient venues de l’eau."

 

Si l’excès de poids du saule ne provient pas de la terre, d’où pourrait-il provenir sinon de l’eau. En toute logique, affirme-t-il : "La terre, la fange, la boue, & tout autre corps tangible tirent leur véritable matière de l’eau et retournent en eau tant naturellement que par art".


L’intermédiaire du Gas Silvestre.

Le raisonnement semble imparable. Pourtant, si l'eau est indispensable à la croissance des plantes (qui en contiennent plus de 80% de leur poids), il faudra de longues années avant que le rôle du dioxyde de carbone, notre CO2 atmosphérique, soit reconnu comme étant leur autre aliment dans le processus de la photosynthèse.

C’est pourtant encore une observation de Van Helmont qui mettra plusieurs de ses successeurs, dont Lavoisier, sur la bonne voie. Il observe que tous les corps ne se transforment pas immédiatement en eau. L’exemple le plus remarquable est celui du charbon dont il affirme que, pendant sa combustion, il libère un "esprit sauvage nommé gas". Cet esprit constituerait d’ailleurs l’essentiel du charbon, car, dit-il "soixante deux livres de charbons consumés ne laissent guère plus d’une livre de cendres. Donc les soixante livres de surplus ne seront qu’esprit".

Ce "gas silvestre", cet esprit sauvage, Van Helmont le retrouve dans une multitude d’observations. Il se dégage dans les fermentations du vin, de l’hydromel, du pain qui lève. Il s’échappe de la poudre à canon qui s’enflamme. Ce "gas" fait par ailleurs une entrée peu chaleureuse dans l’univers chimique. C’est à lui que Van Helmont attribue, avec justesse, les effets funestes de la grotte du chien dans la région de Naples, les suffocations des ouvriers dans les mines ou des vignerons dans les celliers où le vin fermente.


 

Du « gas » de Van Helmont au « gaz » de Lavoisier, toute une histoire.


Lavoisier a noté l’intérêt des œuvres de Van-Helmont. Il relève que le mot "gas" vient du mot hollandais ghoast que le français pourrait traduire par « esprit ». Il ajoute que les Anglais "expriment la même idée par le mot ghost et les Allemands par le mot geist". Quant à lui, dans le premier chapitre de son Traité élémentaire de chimie publié en 1789 il en fait l’un des trois états de la matière : "presque tous les corps de la Nature sont susceptibles d’exister sous trois états différents ; dans l’état de solidité, dans l’état de liquidité et dans l’état aériforme […] Je désignerai dorénavant ces fluides aériformes sous le nom générique de gaz". Solide, liquide, gaz, tel sont donc les trois états de la matière reconnus depuis Lavoisier. Quels corps, mieux que l’eau, peut en être l’exemple le plus représentatif.


Pour ce qui est de la théorie de Van Helmont, elle n’aura pas de succès. Celle des quatre éléments est bien ancrée. Parmi ceux-ci, l’eau aura la vie la plus longue. Si nous savons aujourd’hui qu’elle résulte de la composition de deux corps, l’hydrogène et l’oxygène, il faudra encore plusieurs écueils à franchir avant de découvrir l’existence de ces deux corps. Ce sera le résultat d'une "course aux airs" que se livreront les chimistes des siècles suivants.


 


 

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