Celui qui a suggéré à Nicolas Sarkozy cette idée d’un Grenelle de l’Environnement a senti le bon coup à jouer. Le mythe semblait pouvoir encore marcher même si on commençait à en savoir un peu plus de la réalité de ce soidisant moment de « concorde nationale ». L’histoire de la rencontre clandestine entre Jacques Chirac et Henri Krasucky, numéro 2 de la CGT, a maintenant été rendue publique. « Dans une chambre de bonne et avec un revolver dans ma poche » prétendra même Jacques Chirac. Le grand vent de liberté de mai 1968, si inattendu dans cette France que certains croyaient endormie, avait soulevé un vent de panique dans les rangs du patronat et du gouvernement gaulliste mais tout autant aux sommets des partis de gauche et à celui du syndicat alors dominant. L’ennemi, soudain, c’était ce « gauchiste » qui refusait le « boulot, métro, dodo » de la société productiviste et revendiquait une liberté qui secouait les vieux dogmes. Ces gauchistes qui avaient entraîné 10 millions de salariés dans la plus massive des grèves. Le « Grenelle » avait permis un retour inespéré à l’ordre. La même méthode ne pourrait-elle pas calmer ces écologistes dont l’agitation commence à devenir trop visible. Dans l’opinion publique, le Grenelle apparaît encore comme une victoire populaire, alors pourquoi ne pas récupérer ce mythe dans un «Grenelle de l’Environnement » qui ferait une excellente publicité pour un début de mandat.
De Hulot à Sarkozy. Du Pacte écologique au Grenelle.
L’idée ne sortait pas du néant. En novembre 2006, Nicolas Hulot avait présenté son « Pacte écologique » qui réclamait, entre autres, un poste de « vice-premier ministre chargé du développement durable ». Présenté aux candidates et candidats aux présidentielles de 2007 il était signé par cinq d’entre eux dont les deux finalistes, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Le 16 mai Nicolas Sarkozy succède à Jacques Chirac. Nicolas Hulot refuse le poste de ministre de l’Environnement qui lui est proposé, ce sera donc Alain Juppé, rapidement démissionné pour cause de défaite aux législatives, puis Jean-Louis Borloo. En septembre 2007 débutait donc ce « Grenelle Environnement » qui affichait, lui aussi, la prétention de vouloir nous faire entrer « dans le monde d’après ».
On n’avait pas lésiné sur le spectacle. Deux prix Nobel de la Paix distingués pour leur engagement en faveur de l’environnement viendraient apporter leur caution. En tête d’affiche, Al Gore, vice-président des USA, après sa fameuse mise en scène dans le film « Une vérité qui dérange ». A ses côtés Wangari Maathai biologiste à l’initiative du « Mouvement de la ceinture verte » en Afrique.
Paroles, paroles...
En clôture de l’événement, le discours de Nicolas Sarkozy mérite la relecture. Il s’adresse d’abord à José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne, présent dans la salle : « La France n’est pas en retard. Mais la France veut maintenant être en avance. Et c’est tout le changement, José Manuel, que nous voulons proposer aujourd’hui en France »
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Puis vient la plus extravagante des déclarations : « Notre ambition n’est pas d’être aussi médiocre que les autres sur les objectifs, ce n’est pas d’être dans la moyenne. Notre ambition c’est d’être en avance, d’être exemplaires. »
Et, afin que ces autres médiocres qui écoutent retiennent bien la leçon : « Je veux que le Grenelle soit l’acte fondateur d’une nouvelle politique, d’un New Deal écologique en France, en Europe, dans le Monde ».
Le plus alarmiste des climatologues du GIEC n’oserait pas prononcer la moitié du discours apocalyptique qui va suivre cette introduction : « Les changements climatiques, nos concitoyens ne doivent pas les réduire à la fonte des neiges sur les pistes de ski. Les changements climatiques, ce sont des centaines de millions de réfugiés climatiques. Les changements climatiques, c’est une accélération des grandes catastrophes, des sécheresses, des inondations, des cyclones, d’une certaine façon, c’est le Darfour où des millions de pauvres gens sont poussés par la faim et la soif vers d’autres régions où ils entrent en conflit avec des populations qui étaient installées de façon séculaire. Les changements climatiques, ce sont des épidémies nouvelles. Ce sont des conflits exacerbés pour accéder à l’eau et à la nourriture. Il faut donc avoir le courage de dire que la hausse des prix des hydrocarbures sera permanente. Il faut avoir le courage de dire qu’il n’y aura plus de pétrole avant la fin du siècle. Il faut avoir le courage de reconnaître que nous ne connaissons pas tous les effets à long terme des 100 000 substances chimiques commercialisées. Il faut avoir le courage de reconnaître que nous n’avons pas toujours été exemplaires. »
Alors cette fois, ça y est ? On y va ? Fini le soutien à nos champions des énergies fossiles, à Total, à Engie. Finis les copinages avec les potentats du pétrole ?
De Al Gore à Kadhafi.
Deux mois ne se sont pas écoulés que la France sidérée découvre que le Président de la République a invité le Libyen Mouammar Kadhafi en visite officielle. Oubliés les prix Nobel de la Paix, place au plus sanguinaire des dictateurs. Chacun se souvient qu’il est le responsable de l’attentat contre le vol UTA-722 qui a fait 170 victimes dont 54 Français en 1989. Mais que refuser à celui qui règne sur un champ de pétrole parmi les plus riches de la Planète…
Kadhafi arrive en France en terrain conquis, exigeant de planter sa tente dans les jardins de l’hôtel Marigny, résidence des chefs d’État étrangers en visite en France. Stupeur, y compris parmi les proches de Nicolas Sarkozy : « Le colonel Kadhafi doit comprendre que notre pays n’est pas un paillasson, sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s’essuyer les pieds du sang de ses forfaits. La France ne doit pas recevoir ce baiser de la mort » déclare Rama Yade, secrétaire d’État chargée des Droits de l’homme, au journal Le Parisien, avant de se faire recadrer par l’Élysée.
Mais pourquoi cette visite ? Simplement pour le business ? L’argent du pétrole libyen devrait alimenter les industries de l’armement et du nucléaire en France. On annonce des commandes d’avions Rafale, d’hélicoptères Tigre, de navires de guerre et même des réacteurs nucléaires. L’Élysée se plaît à afficher des contrats représentant une dizaine de milliards d’euros. Contrats qui ne seront jamais honorés par Kadhafi car trois ans plus tard l’ami de la France est devenu son ennemi numéro un. Les Rafales français iront anéantir le régime du « guide » libyen dans une guerre éclair qui aboutira à sa mort, en octobre 2011, suite à une attaque du convoi de véhicules par lequel il tentait de s’échapper.
Cette histoire de visite du dictateur libyen en France aurait pu être oubliée si les médias français n’avaient pas révélé l’affaire dont nous suivons encore les rebondissements : celle du « financement occulte » de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy et des valises de billets ayant circulé entre Tripoli et Paris. Le tapis rouge déployé pour Kadhafi semblait apparaître alors comme la contrepartie d’une aide providentielle pour l’élection du président français. (voir : « Cash Investigation ». Affaire Sarkozy-Kadhafi : soupçons sur des millions). Procès annoncé pour janvier 2025 « dans le cadre des soupçons de financement libyen de sa campagne de 2007 » (Le Monde). Affaire à suivre.
Guerre humanitaire et pétrole
Où on apprend que le pétrole n’était pas étranger à la guerre « humanitaire » menée par la France et ses alliés en Libye. En septembre 2011, le journal Libération faisait état d’une lettre écrite 17 jours après l’adoption de la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU prenant parti pour les insurgés. Un membre important du « Conseil National de Transition » (CNT) libyen y évoquait un « accord attribuant 35 % du total du pétrole brut aux Français en échange du soutien total et permanent à [leur] Conseil. ». Fables ! diront les autorités françaises.
Fables ? En mai 2019, suite à une fâcherie avec le pouvoir français liée à la guérilla interne en Libye pour la mainmise sur les réserves de pétrole, le Gouvernement d’Union Nationale (GNA), qui a succédé au CNT, menaçait de suspendre les activités de Total dans le pays. A cette occasion nous apprenions que Total, dont la production était minoritaire avant la guerre, représentait déjà près du tiers de l’activité pétrolière dans le pays et ambitionnait de doubler sa production d’ici 2023.
En complément.
Les volte-face de Nicolas Sarkozy sur le changement climatique
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/09/15/les-volte-face-de-nicolas-sarkozy-sur-le-changement-climatique_4998385_4355770.html
Invité à parler devant des chefs d’entreprise à l’Institut de l’entreprise, à Paris, mercredi 14 septembre, Nicolas Sarkozy a nié l’influence de l’homme sur le climat. Une véritable pirouette climatosceptique, qui n’avait jamais été son positionnement auparavant.
L’ancien chef d’État a déclaré à cette occasion qu’« il faut être arrogant comme l’homme pour penser que c’est nous qui avons changé le climat ». « On a fait une conférence sur le climat. On parle beaucoup de dérèglement climatique, c’est très intéressant, mais ça fait 4,5 milliards d’années que le climat change. L’homme n’est pas le seul responsable de ce changement », a-t-il ensuite affirmé.