1er juin 2017.
Il fallait une phrase au nouveau président de la République pour marquer le premier mois de son quinquennat. Donald Trump qui venait de décider de quitter l’accord de Paris sur le climat et son « Make America great again », l’a soufflée à Emmanuel Macron :
« Make our planet great again. »
Pour bien marquer la portée du défi, ainsi adressé au président de la première puissance mondiale, la déclaration était assortie d’un appel à la résistance. Après « Ici Londres, 18 juin 1940 » place au « Ici Paris, 1er juin 2017 ».
Moi, Emmanuel Macron, « A tous les scientifiques, ingénieurs, entrepreneurs, citoyens engagés, que la décision du Président des Etats-Unis a déçus, je veux dire ceci : Vous trouverez dans la France une seconde patrie.
Je vous lance un appel : Venez travailler ici, avec nous, travailler sur des solutions concrètes pour le climat.
Ce soir, les Etats-Unis ont tourné le dos au monde. Mais la France ne tournera pas le dos aux Américains ».
Et pour compléter le message, en guise de Radio-Londres, ce sera un site Internet, « Make Our Planet Great Again », destiné à l’accueil des bataillons de chercheurs, entrepreneurs, O.N.G.... appelés à rejoindre le nouveau chef des « Français libres » dans sa lutte contre les tyrans climatiques.
15 novembre 2017. Bonn. COP23. Sauver les peuples menacés de disparition.
Après cette première déclaration de guerre, la COP23, à Bonn, allait être une nouvelle occasion, pour le nouveau champion du climat, de peaufiner son image. Après l’inévitable introduction sur le seuil de l’irréversible déjà franchi, sur les événements climatiques qui s’intensifient et se multiplient, sur les équilibres de la planète prêts à rompre, sur le réchauffement des océans, la disparition de nombreuses espèces menacées, vient le moment de rappeler l’accord de Paris et les responsabilités que prendraient celles et ceux qui (suivez mon regard) ne s’y tiendraient pas.
Alors que l’objectif de l’accord est de se limiter à 1,5 degré d’augmentation de la température en 2100, les scientifiques du GIEC le disent clairement : les engagements actuels des états amèneraient cette augmentation à plus de 3 degrés. Le constat donne au président français l’occasion d’une nouvelle leçon adressée à la Planète entière :
« cela veut dire que nous acceptons tacitement, collectivement ici la disparition d’un bon nombre des populations ici représentées. Qu’à horizon 2100 nous acceptons aujourd’hui tacitement que nombre de peuples qui sont là représentés disparaîtront. Nous n’y sommes pas prêts. »
Et, à nouveau, Trump appelé comme faire-valoir.
Et voilà que Trump vient donner au « résistant » du climat une nouvelle occasion de monter au créneau. Le GIEC, composante majeure de la lutte contre le dérèglement climatique est menacé, déclare-t-il, « Menacé par la décision des États-Unis de ne pas garantir leur financement. Je souhaite donc que l’Europe se substitue aux Américains et je veux vous dire ici que la France sera au rendez-vous ! ».
Applaudissements nourris dans la salle. Effet réussi.Et enfin, la phrase qui devra, demain, être reprise par tous les médias.
« Au siècle dernier, les pays riches ont imposé au monde leur modèle industriel, aujourd’hui il leur est interdit d’imposer au monde leur propre tragédie. Nous n’avons donc qu’une obsession : l’action ; nous n’avons qu’un horizon : c’est maintenant. ».
L’action, maintenant ?
Tartuffe ? Plus encore que ses prédécesseurs, après ce départ en grandes pompes, étape après étape, l’hyperprésident s’est employé à mériter le César du meilleur Molière dans le rôle. Sans trop allonger la liste, rappelons quelques scènes de ce dernier acte de la pièce jouée au sommet de l’État.
16 mai 2017.
Cerise sur le gâteau, Nicolas Hulot a enfin répondu aux sirènes de ce nouveau président. Nommé ministre d’État chargé de la Transition écologique et solidaire, placé au troisième rang du gouvernement, juste après le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur, il est supposé ne pas faire uniquement partie du décor.
Pourtant.
28 août 2018 sur l’antenne de France Inter :
« Est-ce que nous avons commencé à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, la réponse est non.
Est-ce que nous avons commencé à réduire l’utilisation des pesticides. La réponse est non.
Est-ce que nous avons commencé à enrayer l’érosion de la biodiversité. La réponse est non.
Est-ce que nous avons commencé à nous mettre en situation d’arrêter l’artificialisation des sols. La réponse est non ».
On connaît la suite et sa démission fracassante. Ses propos étaient-ils excessifs, comme ses ex-amis du gouvernement se sont empressés d’affirmer ? Les années passent et le constat est bien là.
Est-ce que nous avons commencé à réduire nos émissions de gaz à effet de serre ?
25 avril 2019. Une diversion : la « Convention citoyenne pour le climat » La proposition aurait été soufflée à l’oreille d’Emmanuel Macron par Cyril Dion et Marion Cotillard, personnes reconnues de l’écologie médiatique.
150 citoyennes et citoyens vont donc être tirés au sort pour proposer des actions qui seront reprises dans des textes législatifs, « sans filtre », promet le Président.
Le 29 juin 2020, les 150 citoyens de la Convention sont reçus à l’Élysée pour l’entendre annoncer qu’il retient les 149 propositions de la Convention à l’exception de trois :
- rejet de la proposition de réécrire le préambule de la Constitution pour y indiquer que « la conciliation des droits, libertés et principes ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité ».
- rejet de la proposition, bien modeste, de limiter la vitesse sur autoroute à 110 km/h.
- rejet de la taxation à 4 % des dividendes des entreprises supérieurs à 10 millions d’euros pour « participer à l’effort de financement collectif de la transition écologique ».
Le message est clair : l’environnement ne peut pas être un obstacle constitutionnel à la « liberté » de produire des gros pollueurs. Et donc pas touche au lobby de l’automobile. Pas touche aux fortunes des super riches.
Quant au reste des propositions, on pouvait compter sur la majorité de l’Assemblée nationale, d’emblée hostile au procédé, pour les détricoter.
Résultat : Invités à évaluer, sur une échelle de 0 à 10, si les décisions gouvernementales allaient permettre de « s’approcher de l’objectif de diminuer d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dans un esprit de justice sociale ». La majorité des 119 citoyens présents pour le vote leur a adjugé un royal 2,5 sur 10.
« On se retrouve aujourd’hui exactement dans la situation qu’on redoutait : le gouvernement transforme les mesures pour satisfaire certains intérêts économiques [.] La parole présidentielle n’est pas respectée », déclare Cyril Dion, en lançant une pétition pour « sauver la Convention citoyenne pour le climat ».
3 février 2021. Suite à la plainte du monde associatif, le tribunal administratif de Paris constate « la carence de l’État à adopter des mesures publiques contraignantes », dont il résulte « un surplus annuel d’émissions de gaz à effet de serre qui aggrave le préjudice écologique ». Il enjoint donc à l’État de prendre « toutes les mesures permettant d’atteindre les objectifs que la France s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre », et ce « afin de faire cesser pour l’avenir l’aggravation du préjudice écologique constaté ».
28 juin 2023. « Baisse non significative des émissions de gaz à effet de serre, absence d’une réelle politique fiscale pour l’écologie » titre le journal Reporterre. L’État est, en effet, mis à mal dans le dernier rapport du Haut Conseil pour le climat. », « On constate que l’action publique n’est pas suffisante pour garantir les objectifs de 2030 [.] Le rythme de réduction d’émissions brutes de la France doit presque doubler », résument les auteurs du rapport.
Est-ce que nous avons commencé à réduire l’utilisation des pesticides et à enrayer l’érosion de la biodiversité ?
3 mai 2023. A nouveau, suite aux plaintes des associations, le Conseil d’État juge illégales les dérogations accordées en 2021 et 2022 en France à des insecticides néonicotinoïdes pour protéger les semences de betteraves sucrières. « Aucune dérogation n’est en effet possible si la Commission européenne a formellement interdit un pesticide », souligne-t-il en se référant à l’arrêt de la Cour de justice européenne du 19 janvier 2023 sanctionnant la France.
29 juin 2023. L’État est à nouveau condamné. Le tribunal administratif de Paris reconnaît l’existence d’un préjudice écologique résultant de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques, du déclin de la biodiversité et de la biomasse et de l’atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement. Il enjoint à l’État de le réparer d’ici le 30 juin 2024.
1er février 2024. La FNSEA a mobilisé ses troupes. A partir d’une mobilisation initiée par des agriculteurs du sud-ouest, pris à la gorge par la baisse de leurs revenus accentuée par les effets du dérèglement climatique, elle a pris le train en marche. Barrages, épandages de lisier, feux de pneus, mises à sac de bâtiments publics… la routine donc.
Comme toujours, il lui faut un bouc émissaire, ce sera au choix, l’écologie, l’Europe, les normes environnementales. Un cadeau pour le nouveau premier ministre Gabriel Attal. Inutile de chercher à répondre à la véritable crise qui traverse le monde agricole. La réponse, pour faire rentrer chacun à la maison avec la bénédiction des cadres de la FNSEA, sera simple et immédiate : suspension du plan Ecophyto qui visait à réduire de 50 % l’usage des pesticides d’ici 2030. Signal clair en direction de l’agro-industrie et de l’agrochimie : finis les discours. La défense de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique attendront.
L’ennemie : l’écologie.
Emmanuel Macron n’a plus à préparer une future réélection, place au monarque « jupitérien ». Réforme anti-sociale des retraites, durcissement de l’indemnisation chômage… telle est l’image qu’il ne craint pas de laisser de son second mandat. Quant à l’écologie : mobilisation des forces de répression et de la justice contre celles et ceux qui s’opposent aux projets destructeurs du milieu naturel. Ces résistantes et résistants à destination desquels son ministre de l’Intérieur a inventé l’étiquette « d’écoterroristes ».
Terroristes ! Le qualificatif que tous les pouvoirs forts attribuent à celles et ceux qui ont le courage de leur résister. Car, fort heureusement, résistance il y a !
Pour aller plus loin.