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21 novembre 2024 4 21 /11 /novembre /2024 13:40

La Terre au Carré.

photo Nicole et Félix le Garrec

Après-guerre, en Bretagne surtout, et dans une moindre mesure dans les zones moins bocagères, les haies ont été arrachées à coups de bulldozer, les talus arasés, et les vergers réduits à néant. C'est ce qu'on a appelé le remembrement et voici son histoire oubliée racontée dans une BD.
Avec Inès Léraud Journaliste

 

En mai 1978, Gildas Le Coënt, emprisonné neuf mois en hôpital psychiatrique, est libéré. Cette affaire marque un nouvel épisode de la bataille bretonne contre le remembrement. Elle reflète une réalité vécue par des milliers de paysans à travers la France pendant les décennies de modernisation agricole. Inès Léraud est journaliste, et lanceuse d’alerte en 2019 face à l’omerta des algues vertes. Elle publie aujourd'hui « Champs de bataille, l'histoire enfouie du remembrement », sa deuxième BD, une enquête avec Pierre van Hove, publiée chez La Revue Dessinée et les Éditions Delcourt.

 

 

Des blessures toujours vives dans la mémoire collective

 

 

Les témoignages recueillis révèlent des traumatismes profonds. Comme le rapporte Jacqueline Goff née en 1953 : "Je revois l'apparition des bulldozers, ce saccage qui détruit tout, les arbres, les talus. Ce n'était pas un remembrement, un démembrement, c'était le chaos." sur France Culture. Cette mémoire douloureuse se transmet encore dans les villages, où certaines familles ne se parlent plus depuis cette époque.
 

 

Une modernisation imposée qui a divisé les campagnes

 

 

Le remembrement, lancé après la Seconde Guerre mondiale, visait à adapter l'agriculture française aux enjeux de productivité et de concurrence internationale. "C'était une société paysanne qui n'était pas dans une logique de l'argent" explique Inès Léraud, "il s'agissait de regrouper les parcelles, d'arracher les arbres, les talus, pour avoir des champs facilement cultivables par des machines". Cette politique crée alors des tensions durables, opposant les "gagnants", appelés "profiteurs" et les "lésés" du remembrement.

 

 

Ce qui frappe Inès Léraud et Léandre Mandard en travaillant sur le sujet du remembrement, c'est l'ampleur des résistances et des conflits liés à cette question. Un mouvement contestataire qu'on aurait difficilement imaginé vu le peu de cas qu'en ont fait les sociologues ruraux et les historiens jusque-là. "Or, dans les archives départementales, les cartons de réclamation, de recours, de lettres, de mécontentement. Il y en avait partout, dans toutes les archives départementales où je suis allée sur le territoire français. Les bulldozers du remembrement ont dû être accompagnés des forces de l'ordre pour intervenir" explique Inès Léraud.

 

 

Un impact environnemental majeur qui persiste

 

 

Les conséquences de cette transformation radicale des paysages se font encore sentir aujourd'hui. "Il y a 23 000 kilomètres de haies qui disparaissent chaque année, il y en a 3 000 qui sont replantées, donc on perd 20 000 kilomètres de haies chaque année", souligne Inès Léraud. Cette destruction massive du bocage, associée à la diminution drastique du nombre d'agriculteurs (passé de 7 millions en 1946 à 400 000 aujourd'hui), illustre l'ampleur des changements opérés. "Certains chercheurs parlent même d'éthnocide, on a perdu 90% des paysans." explique Inès Léraud.

 

La suite est à écouter...

 

 

Inès Léraud et Léandre Mandard, agrégé d’histoire et doctorant au Centre d’histoire de Sciences-Po (CHSP). Après avoir étudié le mouvement militant gallo au XXe siècle, il s’intéresse à l’histoire sociale, culturelle et environnementale de la modernisation agricole en Bretagne.
 

 

Sa thèse, qu’il soutiendra en 2025, sous la direction d'Alain Chatriot, s'intitule « Révolution dans le bocage. Genèse, exécution et contestations du remembrement rural en Bretagne (1941-2007) ». Il a travaillé avec Inès Léraud comme « conseiller historique ». Il avait également collaboré à l’ouvrage « Algues Vertes, l’histoire interdite » en proposant une version en gallo, titrée « Limouézeries, l’istouère defendue » Inès Léraud, et Léandre Mandard sont tous deux membres de « Splann ! » (« clair », en breton), un média en ligne indépendant consacré à l'investigation en Bretagne (Inès Léraud en est cofondatrice).

 

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 Ils reconstruisent les paysages détruits par le remembrement.

 

extrait de S-eau-S, l'eau en danger.

 

 

Ils sont quelques « fêlés » à vouloir remonter le cours du temps :
 

 

Décembre 1992, dans un champ au dessus de la rivière Elorn une trentaine de personnes s’occupent à reconstruire un talus à l’ancienne dans un champ travaillé par Goulven Thomin, agriculteur bio. Le maître d’œuvre, Mikael Madec, est bien connu en Bretagne comme le collecteur assidu des gestes et des mots de la vie traditionnelle. Auteur d’un livre en breton sur la construction des talus, il a su mettre la main à la pâte et retrouver les méthodes anciennes. Sous sa direction donc, une équipe découpe les mottes, une autre les véhicule avec précaution, la troisième se livre au délicat travail de l’assemblage. En trois heures, malgré la pluie fine, une centaine de mètres d’un beau talus arrondi est monté. Il ne reste plus qu’à s’attabler devant le solide casse - croûte qui est de tradition quand Goulven invite ses amis à un « grand chantier ».

 

Naturellement l’opération est symbolique. Cette parcelle avait jadis été remembrée de force. Son propriétaire, Jean Tanguy, s’était placé devant les engins venus araser ses talus, il avait fallu faire intervenir la gendarmerie.

 

Il s’agissait donc de rappeler à tous ceux qui semblaient les avoir oubliées, les multiples fonctions des talus : remparts contre les vents dominants, barrières contre le ruissellement, pièges pour les nitrates et les pesticides, refuges pour les plantes et les animaux « sauvages », facteurs d’équilibre biologiques.

 

Bien sûr, 100m de talus reconstruits n’allaient pas inverser à eux seuls la tendance. Les bulldozers du remembrement en avait détruit 200 000 km !

 

Sur la parcelle voisine, pour parfaire la démonstration, un tracto-pelle travaillait lui aussi à remonter un talus. Chacun pouvait apprécier la meilleure qualité esthétique du talus « fait main » mais reconnaissait cependant que le travail mécanique faisait quand même moins mal aux reins. Il ne s’agissait pas de « retourner à la marine à voile », comme le faisait remarquer Jean-Yves Kermarrec, un des pionniers de la lutte pour la protection de l’environnement dans le secteur. Les nouveaux paysans ont une vision très « nouvelle » de la vie. L’informatique, internet, ne leur font pas peur, pas plus que le tracteur, quand il est manié de façon conviviale. Ce qu’un engin a démoli, un autre engin peut le reconstruire !

 

Restait à espérer que la course engagée entre ceux qui redressent les talus et ceux qui les détruisent tournerait à l’avantage des premiers.

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