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2 mars 2018 5 02 /03 /mars /2018 07:26

Le temps des bricoleurs de génie.

 

L'exposition internationale de l'électricité de 1881 à Paris a attiré un public venu des différentes régions de France. Elle y a fait germer des idées chez des ingénieurs et techniciens confirmés mais aussi chez d'habiles bricoleurs émerveillés par les possibilités ouvertes par la nouvelle technique. La simplicité des génératrices de Gramme et celle du système d'éclairage présenté par Edison a été une particulière source d'inspiration. Alors que l'éclairage par le gaz n'était le privilège que de quelques citadins, la moindre chute d'eau, la roue d'un simple moulin, pouvait éclairer le plus isolé des hameaux. C'est donc localement que l'électricité est d'abord produite et utilisée.

 

C’est la ville de Chateaulin dans le Finistère, nous dit Anne Guillou (auteure de "Enfin... la nuit devint lumière"), "qui, utilisant la chute d’eau de l’écluse de Coatigrac’h, sera la première cité finistérienne (la troisième en France) à s’éclairer aux ampoules électriques, dès 1887...

 

Dès 1886, une première usine hydo-électrique fut construite à 3km de la ville par l'ingénieur Ernest Lamy. Cet homme habile savait que l’utilisation d’une force jusque-là perdue, la chute d’eau de l’écluse de Coatigrac’h, rendait possible la construction d’une telle usine. Reléguée à l’extrémité de la France, presque à la fin de la terre, Chateaulin a su utiliser les inventions modernes qui parvenaient jusqu’à elle.

 

C’est à la suite d’un article du "Figaro" que les élus ont décidé de s’intéresser à ce nouveau mode d’éclairage. Malgré la modicité de leurs ressources, ils traversèrent la France, se rendirent à la frontière suisse s’assurer de la réalité de ce système d’éclairage."

 

Cette ville de la "frontière suisse" est "La Roche sur Foron". Le 16 septembre 1885, le journaliste Pierre Giffard, grand reporter pour le journal Le Figaro, indique avoir découvert "une ville éclairée à l’électricité qui n’est ni Londres ni Berlin ni Paris" mais cette petite localité située dans le département de la Haute-Savoie.

 

La première place est revendiquée par Bellegarde-sur-Valserine. En août 1884, l’usine électrique Louis Dumont, avec sa retenue d’eau, en aurait fait la première ville électrifiée de France juste avant La Roche sur Foron en 1885 suivie de Chateaulin et Bourganeuf. Selon les sources, 30 ou 90 lampes avaient été installées pour l’éclairage public et certains particuliers. On trouve, dans le numéro de La Nature du deuxième semestre de 1884, une description de cette installation. L'opération est ambitieuse. Elle nécessite un barrage créant une chute de 30 mètres de hauteur. L'électricité est produite par deux machines Gramme à courant continu. Elles alimentent des lampes Edison portées par un réseau aérien qui fait le tour de la ville. Celui-ci est de fil de cuivre supporté par des isolateurs en porcelaine fixés sur des poteaux de sapin.

 

 

Construction du barrage et de l'usine Dumont à Bellegarde.

Revue La Nature 1884.

 

L'éclairage électrique public à Chateaulin, à Bellegarde-sur Valserine, à la Roche-sur-Foron quand Paris l’attend encore. Beau symbole !

 

Revenons à Chateaulin. L'inauguration a lieu le 20 mars 1887 :

 

"De 9000 à 10 000 personnes sont venues de partout. La journée a commencé par la distribution de pain aux indigents car il faut que tout le monde soit heureux un tel jour. Puis, lors de la visite de l’usine de Coatigrac’h, visite commentée par Monsieur Ernest Lamy, tous sont étonnés par la simplicité apparente de l’installation et des engins produisant l’électricité.

Toute la journée fut grandiose, les visiteurs allant de surprise en surprise : concert, danses au biniou, grand banquet, feu d’artifice... Et soudain, à 20 heures, comme d’un coup de baguette magique, Chateaulin sort de l’obscurité pour devenir resplendissante de lumière. Le succès a dépassé toutes les espérances et les plus récalcitrants sont devenus les plus convaincus. La réussite est là, immense, palpable. Ces petites lampes à la lumière brillante que d’un mouvement de doigt on allume à distance, quel émerveillement ! " (Anne Guillou)

 

En cette fin de 19ème siècle, il se trouve encore dans chaque commune le chantre local qui magnifie les événements marquants de ses alexandrins. Chateaulin n’échappe pas à la règle :

 

"Digne sang des Gaulois, Fils de la Race Antique,

Voyez et contemplez cette œuvre du Progrès ;

Mais acclamant, ici, la Lumière électrique,

Donnons-lui, sans retour, nos cœurs à tout jamais !

Spectacle sans pareil ! c’est le feu du Tonnerre,

Dompté par le Savoir, qui vient nous éclairer !

Ah ! ...puisse la Science aussi vaincre la Guerre...

En tous Pays, alors, la Paix saura régner."

 

Hélas, la lumière ne se fait pas aussi facilement dans l’esprit de ceux qui dirigent les États. Au même moment se fourbissent les armes qui, plus tard, massacrerons ces "fils de la race antique" dans les tranchées de Verdun et d’ailleurs.

 

Gaziers contre électriciens.

 

L'éclairage électrique s'est facilement imposé dans des communes, souvent de faible taille, dépourvues d'éclairage public et disposant de ressources naturelles locales, essentiellement hydrauliques. Dans les villes et les communes plus importantes, la nouvelle technique a rencontré un sérieux obstacle : la place prise par l'éclairage au gaz de houille et la durée des contrats signés entre les communes et les industriels producteurs.

 

Une caricature anglaise publiée sous le titre "Le rêve d'un gazier" dans la revue La Nature de 1884 illustre cette situation de conflit. Un industriel du gaz voit en cauchemar tous les savants qui se sont illustrés dans la science

électrique.

 

 

Le cauchemar d'un gazier, revue La Nature, 1884.

 

Pourtant les gaziers ne manquent pas d'armes. En avril 1914, le maire de Landerneau dans le Finistère reçoit une lettre du directeur de la "Compagnie d'électricité de Brest et extensions". Celui-ci lui fait remarquer que 9 communes du département dont la population est bien inférieure à celle de sa ville sont déjà dotées d'un éclairage électrique. Il est certain que l’argument avait de quoi énerver un maire soucieux de la réputation de sa commune mais que faire quand on est lié par contrat pour encore plusieurs dizaines d’année à la compagnie de gaz locale ?

 

Notons que les contrats ne portant que sur l'éclairage public, seul celui-ci est concerné. Dans cette ville la réponse viendra donc des industriels. Plusieurs d'entre eux s'équiperont de génératrices pour leur atelier. Ils obtiendront d'abord une dérogation pour alimenter leur domicile et en profiteront pour en faire bénéficier leurs quartier. C'est finalement l'importante filature alimentée en énergie par un barrage établi sur la rivière de la ville qui alimentera la commune quand, plus de 10 ans plus tard, l'industriel du gaz renoncera à son privilège en échange d'une très confortable indemnisation.

 

Premières génératrices et courant continu.

 

Rappelons que peu de temps après que Oersted ait découvert l’action d’un courant électrique sur un aimant, Ampère et Arago mettaient au point l’électroaimant et Faraday découvrait l’induction électrique. Il est alors possible de produire un courant électrique en faisant tourner un aimant devant une spire conductrice ou une bobine de fil conducteur reliée à un circuit extérieur. Mais ce courant est un courant alternatif. Le sens du courant varie en fonction du pôle qui passe devant la bobine. Or les premières applications industrielles du courant électrique utilisent des piles et des accumulateurs et donc du courant continu. Parmi celles-ci la dorure, l’argenture et la galvanoplastie dont l’un des plus grands ateliers est celui du bijoutier Christofle, à Paris. Par ailleurs il faut du courant continu pour charger les accumulateurs récemment inventés par Planté et nécessaires au stockage de l'électricité.

 

Un technicien d’origine belge particulièrement habile, Zénobe Gramme a su répondre à cette attente. Autodidacte, il s'est initié à l'électricité à la société de construction l'Alliance qui a construit l'une des premières génératrices électrique et qui fournit le bijoutier Christofle. Il a ensuite été employé par Heinrich Ruhmkorff, l'inventeur de la célèbre bobine.

 

La machine qu'il imagine est constituée d'une bobine conductrice tournant devant les deux pièces polaires d'un aimant qui, dans la version définitive, sera un électroaimant. L’astuce réside dans l’invention d'un "collecteur" permettant la commutation de l'alternance négative du courant et ne transmettant qu'un courant unidirectionnel par l’intermédiaire de "balais".

 

 

Machine Gramme à courant continu (prototype où les balais et collecteurs sont très visibles de part et d'autre du rotor). Revue La Nature, 1875.

 

La Machine Gramme devient par la suite une puissante génératrice capable d’alimenter les premières lampes à arc de l’éclairage urbain.

 

De l'autre côté de l'Atlantique Edison choisit de lancer, en 1882, une première distribution électrique par courant continu à New-York, en plein quartier d’affaires. La centrale électrique, située dans le district de Wall-Street, est installée dans un bâtiment de quatre étages qui était occupée par des bureaux et dont la structure doit être renforcée pour supporter les machines.

 

Douze génératrices sont actionnées par des machines à vapeur. Chacune peut alimenter 1200 lampes d’une puissance de 75W sous une tension de 100V.

 

 

Vue partielle de l'usine d'électricité de Edison à New-York.

Revue La Nature 1884.

 

Edison avait donc pris une avance considérable avant que le courant alternatif vienne perturber son programme.

 

Premiers alternateurs et courant alternatif.

 

L'éclairage par les lampes à arc a été le premier usage du courant électrique. Nous avons déjà signalé le système des "bougies de Jablokoff" équipant les lampadaires parisiens. Alimentées en courant continu les deux charbons produisant l'arc devaient être de diamètre différent, l'un des deux se consumant plus vite, en fonction de la polarité du courant. Une bonne solution aurait consisté à alimenter deux charbons identiques en courant alternatif mais il semblait que le courant continu soit devenu une règle incontournable.

 

Cependant Jablokoff s'est souvenu qu'avant même d'avoir résolu le problème du courant continu d'une façon magistrale, Gramme avait mis au point une machine à courant alternatif bien plus commode à réaliser que la génératrice qui avait fait son succès.

 

 

Schéma de l'alternateur Gramme. Revue La Nature, 1879.

 

Dans cette machine ce sont les aimants (ici des électroaimants) qui sont mobiles. Au nombre de 8 (4 pôles Nord et 4 pôles Sud alternativement disposés), ils constituent un rotor tournant devant un nombre équivalent de bobines conductrices répartie sur le stator et produisant chacune une courant alternatif par la succession des pôles Nord et Sud passant devant elles. Le modèle sera celui de tous les futurs alternateurs.

 

 

L'alternateur Gramme. Revue La Nature, 1879.

 

Les alternateurs de type Gramme seront alors régulièrement utilisés pour l'alimentation des lampes à arc.

 

Ce sont ces alternateurs qui ont produit le courant alimentant les premières lampes de l'Avenue de l'Opéra à Paris en 1878. Mais bientôt viendront les lampes à incandescence, en particulier celles de Edison, attraction de l'exposition de 1881. Elles sont alimentées en courant continu, en particulier par ses génératrices qui se sont rapidement installées dans le paysage électrique. Le courant alternatif y survivra-t-il ?

 

Alternatif contre Continu en Amérique.

 

Aux USA, Edison règne sur la distribution de l'électricité. Comment résister à cet expert en matière de publicité. A l'exposition de 1881 il avait littéralement écrasé ses concurrents en présentant la totalité de son système depuis ses génératrices jusqu'à la fabrication de ses lampes à filament de carbone en public.

 

En octobre de l'année 1884 un étrange cortège aux flambeaux se met en marche à New-York à partir de Madison-Square. Au signal, les 300 lampes portées sur leur casque par les participants s'allument instantanément devant des spectateurs stupéfiés.

 

 

Promenade électrique aux flambeaux organisée par Edison à New-York. Revue La Nature 1885.

 

Précédent le cortège, un homme à cheval porte une lampe d'une extrême brillance à l'extrémité de sa lance. Au centre d'un carré limité par les marcheurs illuminés se trouve un chariot tiré par un attelage de robustes chevaux. Sur ce chariot une dynamo d'Edison type 200 ampères est animée par un moteur à vapeur de 40 chevaux. Partant de la dynamo, 400 mètres de fils conducteurs sont soutenus pas une corde portée par les participants, chacun étant relié au conducteur.

 

 

Marcheur relié au conducteur.

 

Le défilé dura plus de deux heures dans les rues de New-York. Suivant le cortège en voiture, Edison savourait les acclamations de la foule. certainement n'imaginait-il pas que la chance puisse tourner.

 

La contestation viendra pourtant de son propre atelier. En 1884 un jeune ingénieur d'origine serbe, Nikola Tesla, à rejoint son équipe. Il avait été recruté à Paris, en 1882, par le directeur de la succursale Edison qui y était installée. Tesla, qui s'avère être d'une extraordinaire inventivité, arrive aux Etats-Unis avec la volonté de mettre en œuvre une de ses intuitions fortes : l'avenir est au courant alternatif. Et ceci pour plusieurs raisons :

 

. De gros alternateurs sont plus simples à produire et à entretenir que des génératrices de même puissance à courant continu.

 

. Acheminer le courant sur de longues distances nécessite de hautes tensions ce qui, pour une même puissance transmise, limite l'intensité du courant en ligne et donc les pertes par effet joule liées à la résistance des fils. On ne sait pas transformer une tension continue en une tension plus élevée ou plus faible. Par contre, des transformateurs capable de diminuer ou d'élever des tensions alternatives ont été construits. Pour résumer : ils consistent à enrouler deux "bobines conductrices" de nombre de spires différents sur un même noyau de fer doux. A l'arrivée, la tension de plusieurs milliers de volts appliquée à l'enroulement "primaire" sera transformée en une tension au "secondaire" adaptée à l'usage qui en est fait. Par exemple les 110 volts utilisés par Edison pour le fonctionnement de ses lampes qui deviendront la règle aux USA.

 

Par ailleurs, Tesla a mis au point un moteur utilisant la technique des "champs tournants" produits par des courants alternatifs triphasés. Une technique bien en avance sur son temps. Il a donc de bonnes raisons pour défendre son projet. D'autant plus que l'installation de Edison à New-York lui semble défectueuse. Elle est sujette à de nombreuses pannes. Les pertes de tension en ligne l'obligent à installer des centrales tous les trois kilomètres. Les différents usages (éclairage, moteurs...) nécessitant des tensions différentes il faut des circuits séparés pour les alimenter. Pourtant Edison ne l'entend pas ainsi et au bout une année émaillée de conflits épuisants, Tesla quitte son atelier.

 

Après différents avatars il rencontre George Westinghouse, un ingénieur et entrepreneur dont l'objectif est d'approvisionner l'Amérique entière en électricité. Pour cela il lui faut de grosses unités de production capables de transmettre l'électricité à distance et donc du courant alternatif. Les deux hommes s'associent. Commence alors la célèbre "guerre des courants" entre Westinghouse-Tesla et Edison.

 

La guerre des courants.

 

Toute guerre nourrit une légende. Celle qui sera désignée comme la "guerre des courants" décrit un Edison particulièrement agressif voulant prouver la dangerosité des courants alternatifs de Westinghouse en les utilisant pour électrocuter en public des animaux. Elle atteindra son paroxysme avec la décision prise par l'Etat de New-York d'infliger la peine de mort par électrocution. Nous avons déjà évoqué ce côté sombre de la force électrique. Rappelons l'article paru dans le Scientific American et rapporté par la revue La Nature datée de 1889 :

 

"Quelques expériences relatives aux effets de l'électricité sur les animaux, dans le but de déterminer la meilleure méthode d'appliquer la peine de mort, ont été faites le 5 décembre dernier, au laboratoire d'Edison, à Orange, sous la direction de M. Harold P. Brown".

 

Ces expériences de caractère officiel "ont été réalisées sous les auspices de la Société médico-légale de New-York" annonce l'article. Le compte-rendu précise qu'une machine "périodique" a été utilisée. C'est donc bien au laboratoire de Edison que le test a été réalisé et de surplus avec le courant alternatif de Westinghouse et non pas celui, continu, qu'il produit lui même. Le choix n'est évidemment pas innocent.

 

 

Electrocution d'un cheval au laboratoire Edison.

Revue La Nature, 1889.

La mort de deux veaux puis d'un cheval ont su convaincre les représentants de la Société Médico-légale. Ceux-ci ont donc "conseillé l'emploi de courants alternatifs avec des forces électromotrices de 1000 à 1500 volts et des alternativités atteignant au moins 300 par seconde" pour l'application de la peine de mort. Et c'est avec une machine Westinghouse que sera exécuté William Kemmler en 1890.

 

 

 

Malgré cette mauvaise publicité savamment orchestrée c'est pourtant à Westinghouse que sera attribué le contrat de fournir de l'électricité alternative à l'ensemble des Etats-Unis.

 

Cuisant échec pour Edison et le courant continu.

 

Alternatif contre continu en France. Gaulard contre Deprez.

 

A l’occasion de l’exposition internationale de 1881, L'ingénieur Marcel Deprez (1843-1918), qui jouit déjà d'une sérieuse notoriété, expose deux génératrices à courant continu qui alimentent le Palais de l'Industrie. Il y fait part à Adolphe Cochery, ministre des Postes et Télégraphes, de ses idées sur le transport électrique à grande distance. Il a fait le choix du courant continu et est soutenu dans sa démarche par le banquier de Rotschild. En 1885, Il réalise l'essai public du transport de la "force électrique" sur une distance de 56 km entre la station de Creil et la gare de la Chapelle en s’imposant comme objectif un rendement de 50%. Le principe est simple : il consiste en l'utilisation de deux machines Gramme à courant continu qui ont la propriété d'être réversibles. La première à Creil, actionnée par les machines à vapeur de deux locomotives, est utilisée en génératrice. Elle délivre une tension de 6000volts. La seconde à la gare de la Chapelle est alimentée par le courant transmis et fait fonction d'un moteur actionnant différentes machines dans la gare et dont il est possible de mesurer la puissance mécanique.

 

 

La monumentale installation de Deprez à Creil. Au fond l'une des deux locomotives actionnant la génératrice. Revue La Nature, 1886.

 

Avec un rendement compris entre 40% et 45% l’expérience est loin d’être concluante. Pourtant les éloges de la commission, constituée de 38 prestigieux savants, qui a été chargée d'en contrôler les résultats, ne lui font pas défaut : " Au nom de la science et de l’industrie, la Commission adresse ses chaleureuses félicitations à M. Marcel Duprez pour les admirables résultats qu’il a obtenus et exprime à M. de Rotschild sa vive reconnaissance pour l’inépuisable générosité avec laquelle il a doté cette gigantesque entreprise." En réalité l'essai annonçait la fin des projets de distribution de l’électricité sur de grandes distances par courant continu.

 

Nul n'est prophète en son pays. N'ayant pas rencontré le succès en France, Lucien Gaulard (1850-1888) inventeur français du transformateur s'associe au britannique John Dixon Gibbs pour expérimenter en Angleterre la transmission à grande distance par courant alternatif. Sous une tension de 2000 volts et sur une distance de 40 km ils affichent un rendement de 90%. Face au doute suscité par cette annonce parmi les électriciens continentaux, Gibbs décide de concourir au prix institué par le gouvernement italien pour le meilleur système de transport de l’électricité à l’occasion de l’exposition d’électricité de 1884 à Turin. Son expérience menée sur une distance de 80 km entre Lanzo et Turin ayant été concluante, le prix lui a été attribué.

 

 

Pièces maîtresse d'un système de distribution par courant alternatif : les transformateurs (à gauche transformateur Gaulard). Revue La Nature, 1885.

 

En France, une première expérience de distribution de l’électricité par courant alternatif est signalée à Tours en 1886. Les alternateurs utilisés sont ceux de Siemens, les transformateurs ceux de Gaulard. Elle sera largement imitée mais la science a aussi ses martyrs. Gaulard ne profitera pas de ce succès. Copié et dépouillé de ses brevets, Lucien Gaulard sera ruiné. Il en perdra la raison et décédera deux ans plus tard.

 

Le courant alternatif avait donc prouvé sa meilleure efficacité pour le transport de l'électricité à distance. Il présente aussi un inconvénient : on ne sait toujours pas le transformer en courant continu de façon commode et économe. Or le courant continu a encore de nombreuses applications, comme celle de la charge des batteries ou l'alimentation des moteurs dont les premiers modèles ne fonctionnaient qu'en continu. Cela explique que les deux systèmes aient cohabité en Europe pendant plusieurs années. En particulier à Paris.

 

Quand continu et alternatif coexistaient.

 

En 1888, le Conseil Municipal de Paris, avec la perspective de l’Exposition Universelle de 1889 et sous la pression de l’opinion publique, décide la création d’un réseau de distribution d’électricité.

 

Il faut de l'électricité pour éclairer les rues mais aussi pour alimenter les tramways électriques qui bientôt arpenteront la ville.

 

 

Premier tramway électrique par trolley à Paris. Revue La Nature,1898.

 

L’organisation retenue consiste à diviser Paris en six parties désignées sous le nom de secteurs. Ces "secteurs électriques parisiens" prennent naissance sous forme de concessions accordées par la Ville à six sociétés.

 

Une distribution mixte, alternatif-continu :

 

Paradoxalement, c'est donc à Paris que se développera une première forme de production décentralisée. En effet, dans chaque secteur, le type de distribution sera différent. Continu dans quatre secteurs et alternatif dans les deux autres.

 

Continu :

 

*Cie Continentale Edison: courant continu à 2 x 110V, distribué par feeders 3 fils.

 

*Sté d’Eclairage et de Force par l’Electricité à Paris : Courant continu 110V 2 fils.

 

*Cie Parisienne de l’Air Comprimé : courant continu 4x110V par réseau 5 fils.*

 

*Sté d’Eclairage Electrique du Secteur de Place Clichy : courant continu 4x110V par réseau 5 fils.

 

Alternatif :

 

*Cie d’Eclairage Electrique du Secteur des Champs-Elysées : courant alternatif à haute tension (3000V), abaissée à 110V par un transformateur dans chaque immeuble.

 

*Cie Electrique du Secteur de la Rive Gauche : mêmes caractéristiques que le secteur des Champs-Elysées.

 

 

Les six secteurs électriques parisiens.

 

Le 31décembre 1913, la distribution d’électricité est confiée par la Ville à un organisme unique, la Compagnie Parisienne de Distribution d’Electricité (CPDE) créée par le rassemblement des six secteurs. Trois zones sont conservées. Une zone à courant continu au centre, une zone à courant alternatif monophasé au sud-ouest, une zone à courant alternatif diphasé au nord-est.

 

Le réseau continu sera progressivement remplacé par un réseau alternatif diphasé (il en persistera cependant une partie au centre jusqu'en 1968). La ville est alors séparée en deux secteurs alimentés en alternatif : diphasé au nord-est et monophasé au sud-ouest. C'est ce système qui sera nationalisé en 1946 sous le nom de "Centre de Distribution de Paris-Électricité (C.D.P.E.) ". A partir de 1960 se fera la transition vers le triphasé alternatif qui est devenu partout la norme.

 

Alors, fini le continu ?

 

 

Courant continu, le retour.

 

Autorisons nous un saut jusqu'à notre présent.

 

Mai 2013. Une séance de "l'Académie des Technologies". Le sujet : "Courant Continu, le retour, les perspectives". Parmi les participants : Réseau de Transport d'Electricité (RTE), France Telecom, Schneider Electric, Supelec, Alstom...

 

Bernard Decomps, professeur de physique à l'université Paris XIII Villetaneuse, présente une synthèse des communications. "J'ai été professeur de physique et j'ai enseigné le courant alternatif" déclare-t-il dès l'abord. Mais depuis une vingtaine d'années il ne lui a plus été possible d'ignorer la démultiplication des sources d'énergie en courant continu dont le photovoltaïque est un exemple majeur. Il note également les nécessités de stockage pour ces énergies fluctuantes ou intermittentes (solaire, éolien) qui, là encore, nécessitent du courant continu. Donc constate-t-il : "le courant continu devient la solution, la bonne solution, pour résoudre des problèmes inconnus jusque là".

 

Quelques projets en cours.

 

Premier problème, au delà de la production et du stockage : le transport. "En France, la suprématie absolue du courant alternatif est arrivée avec la création d'EDF qui était un réseau national à l'échelle d'un pays de 1000 kilomètres sur 1000 kilomètres. Autrement dit parfaitement adapté au courant alternatif" nous dit l'orateur qui remarque que le système n'est plus adapté aux distances européennes et surtout "depuis que l'on cherche à récupérer de l'énergie du Sahara pour l'amener jusqu'à Berlin et peut-être même jusqu'à Stockholm".

 

L'avenir est-il réellement à de tels projets ? Plus qu'à un intérêt technique, ne correspondent-ils pas plutôt à une vision mondialisée de l'électricité devenue l'objet de spéculation boursière ? Verrons nous au contraire privilégier une consommation électrique au plus près de sa production, en particulier dans ces pays ensoleillés en attente de développement ?

 

Quoi qu'il en soit, la presse spécialisée nous informe de ceux qui sont déjà en cours : "Le courant continu s'impose dans les plus exigeants projets de la planète haute tension. Lignes de 2 000 kilomètres transportant des milliers de mégawatts à 800 000 volts en Chine, raccordements des éoliennes offshore de la mer du Nord, interconnexion souterraine France-Espagne... Ces chantiers qui tutoient le milliard d'euros reposent sur une technologie en plein essor : le courant continu haute tension, dit HVDC pour high-voltage direct current." (L'Usine Nouvelle). Tirés par la Chine, les principaux opérateurs du domaine, ajoute l'article, "ont fait grimper la tension de 500 000 volts à 600 000 puis 800 000 volts pour réduire les pertes en ligne. Prochaine étape : 1,1 million de volts".

 

Nous ne souhaitons pas détailler ici les raisons techniques pour lesquelles le courant continu à haute tension est mieux adapté aux très grandes distances. Sans entrer dans le détail, disons que le secret d'un tel succès réside dans le développement de l'électronique de puissance, dont les Thyristors ont été l'avant-garde. En plein essor, elle s'impose dans une multitude d'utilisations dont la transformation commode d'une haute tension continue en tension continue de plus faible valeur ou encore celle d'une tension continue en tension alternative ou l'inverse.

 

Autre application qui ne peut se dispenser du courant continu : les câbles sous-marins et en particulier ceux apportant sur le continent l'électricité des fermes éoliennes. Au-delà d'une distance de l'ordre de 70km la nature conductrice du milieu extérieur aux câbles immergés crée, avec les courants alternatifs, un effet dit "capacitif". Le conducteur intérieur et le milieu extérieur conducteur séparés par la gaine isolante du câble forment un condensateur qui se charge et se décharge à chaque pulsation. Le résultat est de consommer une bonne part de la puissance transportée. Ce phénomène n'apparaît pas pour le courant continu en régime permanent quelle que soit la longueur du câble. Application du même ordre, relève Bernard Decomps : "plus personne ne veut des lignes au dessus de la tête". La solution réside dans des câbles souterrains qui devront, là aussi, être alimentés en courant continu pour éviter tout effet capacitif. (Voir)

 

Notons que le courant continu est également utile pour les interconnexions entre réseaux alternatifs voisins et qu'il a déjà sa place dans les transports ferroviaires. Des sections de TGV et de TER, des motrices de tramways sont déjà alimentées en courant continu. Et n'oublions pas le développement contemporain des voitures électriques dont les moteurs fonctionnent en continu et dont les batteries doivent être alimentées en courant continu.

 

Le courant continu est déjà entré insidieusement dans notre quotidien. Nos téléphones ou nos ordinateurs portables fonctionnent en courant continu. C'est pourquoi chacun de ces appareil doit être alimenté à travers un "chargeur" qui est à la fois un redresseur de courant et un transformateur. Dans le domaine de l'éclairage, les LED (diodes électroluminescentes) s'imposent peu à peu. Elles aussi fonctionnent en continu. Des industriels commencent déjà à imaginer une "domotique" uniquement basée sur le courant continu.

 

Edison tiendrait-il enfin sa revanche ?

Pour aller plus loin :

 

Histoire de l’électricité, de l’ambre à l’électron. Gérard Borvon,Vuibert. Table des matières.

 

Émanation, fluide, particule, onde… quelle est l’identité de cette chose insaisissable mais bien présente dont la quête remonte à vingt-cinq siècles et dont la réalité nous échappe dès qu’on pense l’avoir cernée ?

 

 

 

Au fil d’un récit imagé – celui d’une succession de phénomènes généralement discrets qui, sous le regard d’observateurs avertis, débouchèrent sur des applications spectaculaires – nous croiserons des dizaines de savants, d’inventeurs et de chercheurs dont les noms nous sont déjà familiers : d’Ampère à Watt et de Thalès de Milet à Pierre et Marie Curie, ce sont aussi Volta et Hertz, Ohm et Joule, Franklin et Bell, Galvani et Siemens ou Edison et Marconi qui, entre autres, viennent peupler cette aventure.

 

On y verra l’ambre conduire au paratonnerre, les contractions d’une cuisse de grenouille déboucher sur la pile électrique, l’action d’un courant sur une boussole annoncer : le téléphone, les ondes hertziennes et les moteurs électriques, ou encore la lumière emplissant un tube à vide produire le rayonnement cathodique. Bien entendu, les rayons X et la radioactivité sont aussi de la partie.

 

De découvertes heureuses en expériences dramatiques, l’électricité reste une force naturelle qui n’a pas fini de susciter des recherches et de soulever des passions.

 

XXXXXXXXXXXXXX

 

A lire absolument sur le site Ampère/CNRS :  

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22 février 2018 4 22 /02 /février /2018 16:59

Montage de diapositives présentées à la foire bio 2018 de Landerneau.

 

 

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16 février 2018 5 16 /02 /février /2018 09:25

De Galvani à Volta.

La découverte de la pile électrique.

par Gérard Borvon

 

         Qu'est devenue la science électrique à l'orée du 19ème siècle ? Conducteur, isolant, fluides électriques positifs et négatifs, sont devenus des concepts bien établis. Des machines électriques ont été perfectionnées, alimentant des batteries de bouteilles de Leyde. Dans les foires, dans les "cabinets de curiosités", elles ont attiré des foules de badauds. On connaît la nature électrique de la foudre et on sait s'en protéger.

 

Pourtant, après ces premiers succès spectaculaires, l'électricité semble, à nouveau, être venue se réfugier dans le cabinet du médecin. Le seul endroit où elle paraisse utile. Même si la bouteille de Leyde n'a pas répondu aux attentes des paralytiques, un bon "choc électrique" donnera encore l'illusion d'une thérapie efficace.

 

Plus sérieusement cependant, un biologiste curieux peut vouloir comprendre l'influence de l'électricité sur les corps animés et en particulier sur les muscles. Parmi ceux-ci, Galvani.

 

 

Galvani et les grenouilles.

 

         Aloysius Galvani (1737-1798) est professeur d'anatomie à l'université de Bologne. Comme beaucoup de ses confrères physiologistes, il possède une solide formation de chimiste et de physicien. Concernant l'électricité, il y voit l'un des moteurs de la vie animale. Le fluide nerveux ne serait-il pas un fluide électrique ? Galvani, chercheur méthodique, étudie plus généralement les facteurs susceptibles d'exciter les nerfs et de provoquer une contraction musculaire. La grenouille devient dès lors son partenaire principal.

 


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dessin de Laëtitia B. 1ère S du lycée de l’Elorn à Landerneau. Année 1991-92
cliquer sur l’image.


 

         En débarrassant une grenouille fraîchement tuée de sa peau et en sectionnant son arrière-train, on libère facilement les nerfs qui commandent les muscles de ses cuisses (les nerfs cruraux). Ces nerfs peuvent alors faire l'objet de stimulations diverses, mécaniques, thermiques, chimiques... électriques.

 

         Depuis 1772, Galvani fait régulièrement parvenir le résultat de ses recherches à l'Académie de Bologne. Comptes-rendus sages jusqu'à ce soir de l'année 1780 où le hasard se mêle à la partie. Galvani se trouve alors dans son laboratoire où il répète, avec quelques élèves, certaines des expériences sur l'excitation des muscles de grenouille. Une grenouille a été sacrifiée et son arrière-train repose sur la table du laboratoire.

 

A distance respectable, une machine électrique se trouve sur la même table. Un assistant est justement occupé à l'actionner pour des expériences de physique. En ces années 1780, les machines électriques sont déjà puissantes. Celle conçue par Van Marum, physicien hollandais, utilise un disque de verre frotté, associé à de volumineuses bouteilles de Leyde. Elle autorise la production d'étincelles qui prennent la forme de véritables arcs électriques.

 

Revenons à la cuisse de grenouille. N'a-t-elle pas encore été totalement apprêtée ? Toujours est-il qu'un assistant touche, de la pointe de son scalpel, l'extrémité du nerf qui a été dégagé. Au même moment il observe une exceptionnelle contraction des membres de l'animal comme "pris de convulsions tétaniques".

 

Plus que la violence des contractions, les circonstances de leur production sont extraordinaires. Combien de grenouilles n'a-t-on pas déjà disséquées et combien de fois n'a-t-on pas porté le scalpel sur un nerf sans qu'aucun effet notable ne s'en suive ?

 

 

Expérience de Galvani

(Les Merveilles de la Science)

 

Fort heureusement, à distance, se trouve une personne attentive : la tradition désigne madame Lucia Galvani. Elle n'est pas dans le laboratoire par hasard, c'est une collaboratrice constante de son mari et elle est rompue aux observations scientifiques. C'est donc elle qui sait voir que, le scalpel touchant le nerf, les contractions n'apparaissent qu'au moment exact où une étincelle éclate à la machine ! Madame Galvani, après plusieurs observations répétées en informe alors son mari :

 

"Emerveillée de la nouveauté du fait, elle vint aussitôt m'en faire part. J'étais alors préoccupé de toute autre chose ; mais pour de semblables recherches, mon zèle est sans bornes, et je voulus répéter par moi-même l'expérience et mettre au jour ce qu'elle pouvait présenter d'obscur. J'approchais donc moi-même la pointe de mon scalpel tantôt de l'un, tantôt de l'autre des nerfs cruraux, tandis que l'une des personnes présentes tirait des étincelles de la machine. Le phénomène se produisit exactement de la même manière : au moment même où l'étincelle jaillissait, des contractions violentes se manifestaient dans chacun des muscles de la jambe, absolument comme si ma grenouille préparée avait été prise de tétanos". (mémoire en latin adressé en 1790 à l'académie de Bologne - traduction par Louis Figuier - Merveilles de la Science - tome I -  page 604).

 

L'histoire devient rapidement légende. Dans l'une des versions les plus répandues, madame Galvani est réduite au rôle d'une brave ménagère venue apporter un bouillon de cuisses de grenouilles à son mari enrhumé. Le siècle admet difficilement que des femmes, Madame Lavoisier ou Madame Galvani, puissent avoir joué un quelconque rôle dans le domaine des sciences. Louis Figuier, remarquable vulgarisateur de la fin du 19ème siècle, rapporte que, déjà étant élève de terminale de son lycée, il avait relevé, dans les manuels en usage, 21 versions différentes de cette histoire. Même Alibert dans son "éloge historique de Galvani"   et Arago, dans son "éloge historique de Volta" n'échapperont pas à la mode.

 

 

Il serait certainement amusant de rechercher les nouvelles fantaisies dont la liste aurait pu s'enrichir dans le siècle qui a suivi.

 



La légende de Mme Galvani.(Laëtitia B).


 

Emerveillé lui-même, Galvani consacrera six longues années à étudier le phénomène. Deux éléments entrent en jeu dans l'excitation du nerf : l'étincelle électrique et le corps étranger touchant l'extrémité du nerf.

 

Les premières expériences portent sur le corps étranger. Après avoir multiplié les tests, Galvani constate qu'il doit simplement être conducteur. On ne s'étonnera pas de ce résultat aujourd'hui où nos toits sont hérissés d'antennes conductrices, captant et transformant en courants électriques les ondes électromagnétiques diffusées à distances par des émetteurs divers (ce rôle étant joué ici par la machine produisant des étincelles, le scalpel tenant lieu d'antenne).

 

La seconde série d'expériences porte sur la nature de l'étincelle. Qu'elle soit issue d'une machine ou d'une bouteille de Leyde. Qu'elle soit extraite d'un corps chargé positivement ou négativement, le résultat est le même.

 

Poussant sa recherche jusqu'à l'extrême, Galvani imagine de ne pas cantonner son observation à la modeste étincelle produite par une machine mais, à l'image de Franklin, de tester la foudre. Galvani fait élever une pointe de fer au-dessus de sa maison, un fil métallique partant de cette tige est amené dans son laboratoire jusqu'au crochet soutenant l'arrière train d'une grenouille. Galvani sait-il qu'en 1753, un tel montage a foudroyé le physicien Richmann ? On peut le penser, mais la curiosité scientifique fait bien souvent oublier la prudence. La tentative en valait d'ailleurs la peine car le succès est au rendez-vous. Quand un orage approche, la chute, à distance, d'un éclair, même modeste, provoque la contraction du muscle de grenouille.

 

Il semble, même, que de faibles variations de l'état électrique de l'atmosphère puisse avoir de l'influence. Pour s'en assurer Galvani se propose un montage simple : il consiste à suspendre, par un crochet (qui se trouve être de cuivre), une cuisse de grenouille à la balustrade de fer de son logement. Le 20 septembre 1786, le ciel est résolument bleu et rien ne se passe. Pourtant, dans la vie de Galvani, tout bascule.

 

 

 

Galvani teste l'électricité atmosphérique.

(Les Merveilles de la Science)

 

Lassé d'observations sans succès et prêt à renoncer, Galvani frotte le cuivre du crochet contre le fer du balcon, dans le but, semble-t-il, de rendre le contact plus efficace. Aussitôt les pattes de la grenouille se contractent. Il en est ainsi à l'occasion de chaque nouveau contact. Le phénomène se reproduit également dans le laboratoire avec une plaque de fer et un crochet de cuivre bien décapés.

 

Sur le balcon de Galvani. (Laëtitia B).

 

Aucun besoin d'une machine électrique, inutile d'attendre un éclair d'orage ! L'électricité responsable de la contraction peut donc également ne résulter que d'une cause interne au montage utilisé. Une cuisse de grenouille, un crochet de cuivre, une plaque de fer se suffisent à eux mêmes !

 

Pour Galvani, physiologiste à la recherche de la nature de l'influx neveux, le doute n'est pas permis. Seul le muscle de la grenouille est capable de produire cette électricité. L'expérimentateur s'est contenté de découvrir le dispositif le plus favorable à sa circulation. Et ce dispositif est simple : il suffit de constituer un arc conducteur entre le nerf et l'extérieur du muscle. Le fer et le cuivre, pense Galvani, n'ont pas d'autre rôle que celui de fermer le circuit. Un simple et unique fil métallique semble d'ailleurs convenir même si son efficacité est très faible. Le meilleur résultat, cependant, demande un montage complexe : il faut entourer l'extrémité du nerf d'une feuille d'étain, les muscles d'une feuille d'argent et relier ces métaux par un fil de cuivre. Nous le savons aujourd'hui, Galvani réalise ainsi une superbe "pile" du type de celle qui nous agace quand nous touchons l'or d'une couronne dentaire avec la pointe d'une fourchette d'acier.

 

Mais Galvani suit son idée et ne cherche pas à tirer parti de l'observation qu'il fait de la meilleure efficacité d'une chaîne de métaux différents. Le muscle et le nerf, seuls, l'intéressent et l'interprétation lui semble évidente : le muscle est une "bouteille de Leyde" dont le nerf serait en relation avec l'armature interne et dont la surface serait l'armature externe. "Il y a une telle identité apparente de causes, dit-il, entre la décharge de la bouteille de Leyde et nos contractions musculaires, que je ne puis détourner mon esprit de cette hypothèse". Le "muscle - bouteille de Leyde", se chargerait par un processus biologique pour se décharger brutalement après l'établissement d'un circuit conducteur externe. Ce courant de décharge étant à l'origine de la contraction musculaire.

 

L'idée d'une électricité d'origine biologique n'est pas nouvelle. Dès la découverte de la bouteille de Leyde, plusieurs physiciens, dont Musschenbroek lui-même, en avaient comparé les effets à ceux de la "Torpille". Depuis l'Antiquité on connaît ce poisson particulier de la famille des raies et dont le contact produit, sur ses victimes, un choc suivi d'une étrange "torpeur". On sait aujourd'hui que, même si les tensions mises en jeu sont inférieures aux dizaines de milliers de volts de la bouteille de Leyde, elles sont cependant de l'ordre de 500 volts. Tension suffisante pour secouer un homme adulte et pour assommer le menu fretin d'une pêche électrique  garantie "biologique".

 

L'idée d'un "muscle - bouteille de Leyde" n'est pas, non plus, totalement fausse. On sait aujourd'hui qu'il existe bien une différence de potentiel entre l'intérieur et l'extérieur d'un muscle au repos. Mais elle est, au plus de quelques dizaines de millivolts et ne peut procurer les contractions observées.

 

Galvani fait connaître l'ensemble de ses travaux dans les "Mémoires de l'Académie de Bologne" publiés en l'année 1791. A cette occasion il énonce l'hypothèse d'une "électricité animale" responsable des phénomènes vitaux. La théorie est séduisante. Elle rencontre l'adhésion des physiologistes qui, déjà, soupçonnent l'importance des phénomènes électriques dans le fonctionnement des organismes animaux. Elle fait le bonheur des médecins qui imaginent pouvoir justifier, avec plus de force, la présence de machines électriques dans leur cabinet. Peut-être, un jour, l'électricité fera-t-elle réellement marcher des paralytiques, peut-être soulagera-t-elle un cœur fatigué, peut-être rendra-t-elle l'audition aux sourds et la vue aux aveugles ?

 

L'hypothèse se heurte, aussi,  à de solides oppositions. Surtout de la part des physiciens. Dans le couple "métal/muscle", leur spécialité les amène à privilégier les métaux plutôt que les tissus vivants.

 

Parmi ceux-ci, un confrère italien de Galvani : Alexandre Volta (1745-1827).

 

Volta et la pile électrique.

 

         Volta est un professeur de physique qui enseigne d'abord à Côme puis à Pavie. C'est un scientifique "voyageur". On le trouve en Suisse où il rencontre Voltaire, en hollande où Van Marum lui présente sa célèbre "machine électrique", en Angleterre où il est reçu par Priestley, à Paris où il travaille avec Lavoisier.

 

Il est aussi l'auteur d'une abondante correspondance académique qui lui vaut un succès d'estime dès ses premiers travaux. Son "pistolet électrique" est particulièrement célèbre. Conçu vers 1777, il est constitué d'un tube traversé par deux électrodes et fermé par un bouchon à l'intérieur duquel on emprisonne un mélange d'air "inflammable" (hydrogène) et d'air "vital" (oxygène). Quand une étincelle est provoquée entre les deux électrodes, une explosion se produit qui expulse le bouchon avec violence. Plus tard ce dispositif prendra la forme plus sage d'un "eudiomètre" permettant la mesure des volumes gazeux intervenant dans ces réactions explosives. Volta l'utilisera ainsi pour étudier la combustion du "gaz des marais", c'est à dire du méthane recueilli dans le fond vaseux des marécages.

 

Volta, comme tous ses confrères européens, est fasciné par les observations de Galvani et son hypothèse de l'électricité animale. Après vérification, il adopte dans un premier temps les vues de son collègue de Bologne. Pourtant, rapidement, sa formation de physicien reprend le dessus. Là où Galvani voyait de "l'électricité animale", il trouvera de "l'électricité métallique. "Lorsque deux métaux sont en contact l'un avec l'autre, par suite de ce contact, par l'effet de cette hétérogénéité de nature, il y a développement d'électricité", estime-t-il.

 

Nous ne donnerons pas ici le détail de la lutte acharnée entre Galvani, Volta et leurs disciples respectifs. Si Volta vérifie la production d'électricité métallique en testant la série la plus étendue possible de couples métalliques, Galvani lui répond en obtenant la contraction d'une cuisse de grenouille tout simplement en recourbant le nerf et en l'appliquant sur la partie externe du muscle. Aucun besoin d'un métal : match nul !

 

Pourtant la victoire finira par tomber de façon éclatante dans le camp de Volta le jour où il imaginera la "pile" qui le rendra célèbre.

 

Mais avant d'aller plus loin, évoquons deux "inventions" de l'habile expérimentateur qu'est Volta. D'abord l'électromètre à brin de paille : deux brins de pailles sont suspendus ensemble dans un flacon bien sec à une tige conductrice. Celle-ci traverse le bouchon et supporte un plateau métallique. Quand on touche le plateau d'un corps chargé d'électricité, les deux pailles s'écartent. Amélioré, ce montage, déjà très sensible, deviendra électromètre à feuilles d'or.

 

Citons ensuite l'électrophore qui deviendra "condensateur", nom attribué par Volta à deux disques de laiton soigneusement poli et recouverts d'un vernis isolant, placés l'un sur l'autre, face isolante en regard. Sans entrer dans le détail de son fonctionnement, disons que le "condensateur" permet de charger plusieurs fois de suite l'un de ses plateaux par l'action à distance d'un corps électrisé sans avoir à décharger celui-ci. Associé à un électroscope, il permet de multiplier et donc de mieux observer les effets d'une infime charge électrique.

 

Muni de ces deux appareils, Volta est donc bien armé pour explorer le délicat mécanisme mis en jeu dans l'expérience de Galvani. C'est ainsi qu'il affirme constater que deux métaux différents, mis simplement en contact, se trouvent chargés l'un négativement, l'autre positivement, quand on les sépare.

 

Explication ? Volta imagine que les métaux sont non seulement conducteurs du fluide électrique mais encore "moteurs" de ce fluide. Ce fluide est, pour Volta, le fluide unique de Franklin. Pour le faire circuler, inutile de s'encombrer d'une machine : le simple contact entre deux métaux différents suffit à le faire passer de l'un à l'autre. Tous les couples n'ont d'ailleurs pas la même efficacité. Parmi ceux testés par Volta le couple Argent/Zinc lui semble le plus efficace. Quand on associe ces deux métaux le fluide électrique "passe de l'Argent au Zinc"  de telle sorte qu'une "tension électrique" positive se crée dans le zinc pendant qu'une "tension" négative apparaît dans l'argent.

 

Une "tension " : un mot nouveau vient enrichir le vocabulaire électrique en même temps que le terme de "électromoteur", par lequel Volta désigne le couple des deux métaux siège d'une "force électromotrice".

 

Les choses se passent-elles vraiment si simplement ? En réalité, pour observer les tensions positives ou négatives des métaux de ses couples, Volta est bien souvent obligé d'user d'un artifice : une rondelle de carton ou de feutre humide entre le métal et la plaque de cuivre de l'électroscope.

 

Ce simple conducteur n'influe en rien sur le phénomène, affirme Volta, mais a uniquement pour rôle de renforcer le contact électrique.

 

L'usage de ce "conducteur" humide permet aussi d'associer en série plusieurs couples métalliques en intercalant une rondelle imbibée de liquide entre deux couples successifs. Avec 2,3 ou 4 couples ont augmente les tensions entre les métaux extrêmes dans les mêmes proportions. Et pourquoi s'arrêter à quatre ?

 

Posez, dit Volta, une pièce d'argent sur une pièce de zinc, puis une rondelle de carton ou de feutre humide sur le zinc et poursuivez par couches successives jusqu'à vingt ou plus de couples. Vous obtenez ainsi une "colonne" formée d'éléments empilés. Une "pile" dira-t-on bientôt.

 


La "pile" de Volta. (Laëtitia B).

 

Si cette colonne, nous dit Volta, "parvient à contenir environ vingt de ces étages ou couples de métaux, elle sera déjà capable, non seulement de faire donner des signes à l'électromètre de Cavallo, aidé du condensateur au-delà de dix ou quinze degrés, de charger ce condensateur au point de lui faire donner une étincelle, mais aussi de frapper les doigts avec lesquels on vient toucher ses deux extrémités."

 

C'est par une lettre adressée le 20 mars 1800 à Joseph Banks, président de la Royal Society de Londres, que Volta fait part au monde des électriciens de la naissance de ce nouvel enfant de la science électrique. Dès les premiers mots Volta soigne sa mise en scène :

 

La pile de Volta

(Les Merveilles de la Science, y lire aussi la lettre de Volta)

 

" Après un long silence dont je ne chercherai pas à m'excuser, j'ai le plaisir de vous communiquer, Monsieur, et par votre moyen à la société royale, quelques résultats frappants auxquels je suis arrivé en poursuivant mes recherches sur l'électricité excitée par le simple contact des métaux de différentes espèces...

 

Le principal de ces résultats, et qui comprend à peu près tous les autres, est la construction d'un appareil qui ressemble par ses effets (c'est-à-dire pour les commotions qu'il est capable de faire éprouver dans les bras", etc.) aux bouteilles de Leyde, et mieux encore aux batteries électriques faiblement chargées, qui agiraient cependant sans cesse, et dont la charge, après chaque explosion, se rétablirait d'elle-même ; qui jouirait en un mot dune charge indéfectible, d'une action sur le fluide électrique , ou impulsion, perpétuelle...

 

Oui, l'appareil dont je vous parle, et qui vous étonnera sans doute, n'est qu'un assemblage de bons conducteurs de différentes espèces, arrangés d'une certaine manière. Vingt, quarante, soixante pièces de cuivre, ou mieux d'argent, appliquées chacune à une pièce d'étain, ou, ce qui est beaucoup mieux, de zinc et un nombre égal de couches  d'eau ou de quelque autre humeur qui soit meilleur conducteur que l'eau simple, comme l'eau salée, la lessive, etc. ; ou des morceaux de carton, de peau, etc., bien imbibés de ces humeurs... "

 

Suit une description précise de l'appareil et de ses effets. L'empilement peut d'ailleurs être plus commodément remplacé par un autre dispositif comme le propose Volta lui-même dans ce qu'il nomme un "appareil à couronne de tasses". Nous présenterons, dans un prochain chapitre, quelques dispositifs de ce type. Cependant, le succès du mot "pile" est tel qu'il se maintiendra dans le vocabulaire électrique jusqu'à nos jours même si une "pile alcaline", une "pile à combustible" ou une "pile photovoltaïque" sont bien loin de correspondre à un quelconque empilement !

 

La lettre de volta est lue devant les membres de la Royal Society le 26 juin mais dès le mois d'avril son contenu était connu des membres de la société. On imagine facilement la perplexité des savants réunis et l'agitation de leurs laboratoires dans les jours qui ont suivi. Dès le mois de Juillet, le "Journal philosophique de Nicholson" publiait à la fois la lettre de Volta et le récit d'une multitude d'expériences aussitôt exécutées par ceux qui en avaient été informés.

 

En France, l'Académie des Sciences, institution royale, a été remplacée par l'Institut National des Sciences. Volta est invité à y présenter son mémoire  en public. Cette lecture occupe trois séances consécutives les 16, 18 et 20 brumaires de l'an IX (Novembre 1800). Après chaque séance, Volta exécute les expériences décrites dans son mémoire. La seconde séance, à laquelle assiste Bonaparte provoque chez celui-ci un profond sentiment d'admiration pour le savant italien qu'il conservera toute sa vie. Au moyen d'une pile de quarante quatre couples, Volta produit de fortes commotions mais aussi des étincelles, la combustion d'un fil de fer et même la décomposition de l'eau.

 

Il fait également réaliser l'expérience du pistolet électrique, parfaitement adaptée au célèbre militaire auquel il s'adresse. Deux électrodes traversent la paroi d'une éprouvette à gaz, de la forme d'un pistolet, renfermant un mélange "tonnant" d'hydrogène et d'oxygène dans les proportions déterminées par Lavoisier. L'étincelle provoquant l'explosion, habituellement générée par une machine à friction, comme celle de Van Marum qui équipait le laboratoire de Lavoisier, est cette fois déclanchée par la pile. Le bruit de l'explosion et la violence avec laquelle fut expulsé le bouchon fermant le "pistolet" réveillèrent un auditoire qui n'était pas nécessairement uniquement composé de "savants".

 

Les appareils de Volta (Revue "La Nature", 1881)

 

La séance étant finie, Bonaparte, lui-même membre de l'Institut, propose de décerner à Volta une médaille d'or qui "servirait de monument" et marquerait l'époque de sa découverte. Il demande également qu'une commission soit nommée pour répéter toutes les expériences présentées par Volta. Parmi les membres de cette commission le "citoyen Coulomb" aura ainsi la chance de voir s'ouvrir une nouvelle branche de la science électrique au moment ou se termine sa propre carrière.

 

Le rapport de la commission est lu par Biot à la séance du 11 frimaire an IX (décembre 1800). L'exposé utilise, en particulier, les notions de "tension" et de "force électromotrice" introduites par Volta et qui survivront dans le vocabulaire électrique. Conformément au vœu de Bonaparte une médaille d'or de l'Institut est attribuée au savant italien ainsi qu'une somme de 6000 francs pour ses "frais de route".

 

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Bonaparte enthousiaste. (Laëtitia B.) cliquer sur l’image.

 

Bonaparte, conscient de l'avenir de cette nouvelle science, souhaite accélérer son développement. Le 26 prairial an X (juin 1801), il adresse d'Italie à Chaptal, alors ministre de l'intérieur, une lettre dans laquelle il demande à l'Institut de créer un prix de 3000 francs "pour la meilleure expérience qui sera faite dans le cours de chaque année sur le fluide galvanique" ainsi qu'un prix de 60 000 francs "à celui qui, par ses expériences et ses découvertes, fera faire à l'électricité et au galvanisme un pas comparable à celui qu'on fait faire à ces sciences Franklin et Volta".

 

Napoléon, précise : "Les étrangers de toutes les nations seront également admis au concours".

 

Quelques dizaines de rondelles d'argent ou de cuivre, autant de rondelles de zinc, de carton ou de feutre, de l'eau, (de préférence acidulée), suffisent pour entrer dans ce nouveau monde encore jamais exploré du "courant continu" avec la certitude d'en rapporter quelques brillantes pépites..

 

C'est d'Angleterre que partiront les premiers aventuriers.

 

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Voir aussi : La pile électrique, toute une histoire, par Hélène Bernicot.

                   Eloge de Volta par Arago

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Cet article est extrait d'un ouvrage paru chez Vuibert en juin 2009.

 

 

 

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Une vidéo du site Ampère-CNRS

 

 

 

 

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15 février 2018 4 15 /02 /février /2018 20:23

L'observation du dégagement "d'esprits" lors de la distillation de bois a été signalée, dès la fin du 17ème siècle par plusieurs scientifiques. Nous citerons à nouveau Stephen Hales et sa Statique de Végétaux (1735). Considérant que l'air fournissait l'essentiel de la matière des plantes, il avait entrepris d'en distiller une multitude. Exemple : un morceau de chêne.

 

"Un demi pouce cubique ou 135 grains d'un cœur de chêne fraichement coupé d'un arbre vigoureux et croissant, produisit 128 pouces cubiques d'air ; c'est-à-dire, une quantité égale à 216 fois le volume du morceau de chêne".

 

Comme il le souhaitait, de nombreux chimistes poursuivirent ses recherches sur les "airs" dégagés dans ces distillations.

 

Philippe Lebon invente le gazogène.

 

On rapporte qu'en l'année 1791, un jeune ingénieur issu de l'école des Ponts et Chaussées, Philippe Lebon (1767-1804), ayant placé une fiole de verre contenant de la sciure de bois sur un feu vif, observa que la "fumée" qui sortait de l'orifice du flacon s'enflammait quand on en approchait une bougie.

 

L'observation n'était pas nouvelle mais l'idée d'en faire une application industrielle mit le jeune homme dans un véritable état d'exaltation. Dans la cour de la maison de son père, à Brachay en Haute-Marne, il réalisa l'équivalent d'une cornue, construite de briques et fortement chauffée par un fourneau placé au-dessous. Les vapeurs qui se dégageaient étaient conduites dans une première cuve pleine d'eau, qui y recueillait les produits solubles et les goudrons, avant de sortir à l'air libre. Les gaz, enflammés donnaient une flamme très vive. Encouragé par ce premier résultat il perfectionna sa méthode et, en 1799, obtenait un brevet "pour exploiter un système d'éclairage désigné par le terme de thermolampe". Faute d'obtenir des pouvoirs publics un soutien suffisant il décidait d'en équiper son domicile et d'inviter les Parisiens à venir le visiter.

 

Après le succès de cette publicité, une première installation industrielle était réalisée dans la forêt de Rouvray, prés du Havre. La méthode commençait à faire ses preuves quand le jeune inventeur perdait la vie dans des conditions dramatiques. Ayant été invité, en tant qu'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, au sacre de Napoléon 1er le 2 décembre 1804, il était assassiné en traversant ce qui est aujourd'hui les Champs Elysées mais qui était alors un espace malfamé.

 

Ainsi se terminait en France une première expérience d'éclairage au "gaz hydrogène carboné", ainsi que l'avait nommé Lebon. Elle devait nous revenir d'Angleterre quelques années plus tard mais à partir de la houille. Nous en reparlerons.

 

Gazogène à bois, le retour.

 

Le gazogène à bois, tel qu'inventé par Philippe Lebon, avait l'avantage, sur celui utilisant la houille, de ne faire appel qu'à une énergie disponible, bon marché, renouvelable et utilisable en période de pénurie.

 

Des moteurs à explosion, des véhicules, ont été équipés de gazogènes. Ils pouvaient avoir une chance de succès à un moment où "l'essence de pétrole" était encore une denrée rare.

 

Cette rareté s'est particulièrement fait sentir pendant et après les guerres du début du 20ème siècle. On retrouve alors la vertu du bois, transformé en charbon de bois, pour l'alimentation de moteurs en "gaz pauvre". En réalisant une combustion du charbon dans une atmosphère sous-oxygénée on obtient du monoxyde de carbone CO qui peut donner un mélange explosif avec l'oxygène de l'air dans le cylindre d'un moteur en se transformant en dioxyde de carbone CO2.

 

La revue La Nature de mars 1922 consacre un article au gazogène Cazes, l'un des plus célèbres de l'époque.

 

Principaux atouts avancés : sa faible consommation. Un camion de quatre tonnes de charge utile consomme "seulement" entre 80 et 100 kg de charbon de bois aux 100 kilomètres et de 75 à 100 litres d'eau pour la vaporisation et le lavage des gaz.

 

Il semble surtout intéressant pour les gros porteurs. Il équipe par exemple les tracteurs Latil. Utilisés pendant la guerre de 1914-1918 pour tracter les canons, ils ont été reconvertis dans le civil. Un tracteur Latil de 20 tonnes utilisé pour transporter du bois et équipé d'un gazogène aurait fait économiser 40 000 francs de l'époque à son propriétaire.

 

 

Tracteur Latil équipé d'un gazogène.

Collection Christian Latil

 

Les produits pétroliers, dont la France est particulièrement dépourvue, restent coûteux. Le gazogène continuera donc à apparaître comme une solution.

 

La Direction Générale des Eaux et Forêts est particulièrement intéressée à la promotion de ce système. Tous les ans, de 1921 à 1939, elle organise, avec l'Automobile Club de France, des concours et des raids de véhicules à Gazogène. En 1925, la Compagnie des Chemins de Fer de Paris à Orléans et le Comité de la Forêt du Loir-et-Cher, organisaient un "Congrès du bois et du charbon utilisés comme carburants". En 1929 c'est la Compagnie de Chemin de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM) qui organise à son tour à Lyon un "Congrès du carbone végétal". L'un des intervenants y expose que la production française de charbon de bois est de 300 000 tonnes dont plus de 100 000 sont exportées et affirme qu'une meilleure utilisation des bois de petit diamètre permettrait de multiplier la production par cinq. En 1936, la société Panhard fait la publicité d'une "automotrice à gazogène à charbon de bois".

 

 

 

 

On ne compte plus les initiatives pour populariser ce type de carburant. En 1937, vingt véhicules dont sept camions lourds s'affrontent sur un circuit de 1700 kilomètres à l'occasion du Rallye des Eaux et Forêts. En 1938 on dénombre 6000 véhicules à gazogène, 19 autorails, plusieurs dizaines de péniches, plus de 3000 moteurs fixes.

 

Le système fait le bonheur des colonies françaises. Jusqu'en 1950 des gazogènes fournissent la vapeur qui fait tourner les génératrices électriques qui alimentent les villes de Conakry et Abidjan.

 

La guerre de 1939-45 donne un nouvel essor aux gazogènes. A la fin du conflit, sur les 100 000 véhicules utilitaires qui fonctionnent encore en France, 89 000 sont équipés de gazogènes. On estime que pendant la période de guerre, l'utilisation du bois a permis l'économie de 1 500 000 tonnes de produits pétroliers.

 

 

Véhicule à gazogène pendant la guerre 39-45.

 

Retour aux sources ?

 

Le retour du bois-énergie se fait également sous forme de gaz mais, plutôt que d'utiliser du charbon de bois pour fabriquer du "gaz pauvre", on préfèrera la méthanisation qui, en utilisant des déchets organiques sans valeur marchande, fait travailler gratuitement des bactéries et permet une cogénération chaleur/électricité. On commence même à voir, dans certaines villes, des bus dont les moteurs utilisent le méthane issu des déchets urbains.

 

 

 

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15 février 2018 4 15 /02 /février /2018 20:07

De quand date l'usage du charbon ? Le nom est réputé être issu du latin carbo signifiant braise. Le charbon serait donc une "braise éteinte", à moins qu'une braise ne soit elle-même qu'un "charbon ardent".

 

Une chose est certaine, le charbon qui a accompagné les sociétés humaines dans leur développement matériel était ce que nous distinguons aujourd'hui comme "charbon de bois" pour le différencier de notre "charbon" contemporain qui n'était à l'origine qu'un "charbon de terre" peu valorisé.

 

L'antiquité du charbon de bois.

 

En découvrant le feu, les humains ont nécessairement découvert les braises et le charbon de bois. Le charbon des restes des foyers est d'ailleurs la meilleure façon de les dater en utilisant la propriété radioactive du carbone 14.

 

Si la cuisine ou même la poterie pouvaient se contenter de la chaleur d'un feu de bois, les débuts de la métallurgie, ou la fusion du verre, nécessitaient des températures élevées qui pouvaient plus facilement s'obtenir par un feu de charbon de bois alimenté par l'air d'un soufflet.

 

Premier "métal" utilisé par l'homme pour ses outils, ses armes, ses bijoux, le bronze, alliage de cuivre et d'étain est attesté en Egypte dès –2550. Dans la chronologie admise en Europe, les "âges du bronze" européen s'étalent des environs de –2000 jusqu'à –750, date à laquelle commence "l'âge du fer". La fonte du bronze a besoin du charbon de bois pour atteindre les températures, supérieures à 900°C, nécessaires à l'opération.

 

Quand le fer remplace le bronze, les besoins en charbon de bois s'accroissent au même rythme que celui de la diffusion de ce métal.

 

L'industrie métallurgique et la grande époque des charbonniers.

 

Nous ne détaillerons pas ici les techniques de la métallurgie, nous les avons déjà largement évoquées quand nous avons parlé de Stahl, de Lavoisier et de la querelle du Phlogistique. Notons simplement que la métallurgie est d'abord un "art du feu" qui commence par la fabrication du charbon de bois. A l'époque médiévale et jusqu'au 18ème siècle, la proximité d'une forêt était tout aussi nécessaire que celle des minerais pour que s'installent des forges.

 

La construction des meules de charbon de bois

Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751)

 

Dans les clairières fumaient les meules, pyramides recouvertes de terre, dont il fallait mener la combustion de main de maître, pendant plusieurs journées, pour que le bois se transforme en charbon sans se consumer totalement.

 

A la fin du 18ème siècle le développement de la métallurgie crée la pénurie. Pierre-Clément de Grignon est "Maître de Forge" à Bayard sur Marne et Inspecteur Général des usines à feu sous Louis XVI. On lui attribue l'invention du mot sidérurgie. En 1775, regrettant la "perte irréparable" des forêts par des sidérurgistes incompétents, il publie des "Mémoires de Physique sur l'art de fabriquer le fer" dans le but d'y remédier.

 

"Les forêts s'appauvrissent et se détruisent par l'excès d'une consommation abusive. Quel intérêt la société n'a-t-elle pas de découvrir des moyens de conserver un bien si précieux, si nécessaire et si indispensable à nos Manufactures ? L'on y peut parvenir par une sage administration ; mais plus efficacement en économisant le charbon dans les travaux qui ont pour objet la réduction des mines (minerais) et leur métallisation, par la juste application des lois de la pyrotechnie dans la construction des fourneaux qui en consomment immensément ; puisqu'un seul fourneau consomme ordinairement en une année le produit de deux cents arpents de bois de l'âge de vingt-cinq ans : il y a en France près de six cents fourneaux de fonderie, c'est cent vingt mille arpents par an". Un arpent valant sensiblement ½ hectare, ce sont donc soixante mille hectares de bois qui disparaissent chaque année.

 

Il propose donc le plan d'un fourneau permettant d'économiser un cinquième du charbon habituellement utilisé.

 

Plan d'un fourneau économe en charbon de bois.

Grignon, Mémoires de Physique sur l'art de fabriquer le fer, 1775

 

Grignon est aussi un spécialiste en fabrication de charbon de bois. "Il en est de durs, de doux, de violents" écrit-il. Ils n'ont pas le même comportement selon qu'ils sont issus du chêne ou d'autres essences, qu'ils ont poussé sur des coteaux calcaires ou des montagnes granitiques. Le métallurgiste devra en tenir compte.

 

Mais qu'est-ce que le charbon ? Le chimiste viendra bientôt au secours du manufacturier.

 

Les chimistes et le charbon.

 

Avec Stephen Hales (1677-1761) nous avons rencontré le chimiste qui, le premier, a "distillé" du bois, des huiles et une multitude de matières organiques pour en extraire les "airs" qui, pensait-il, y étaient fixés et en constituaient la part essentielle. A la fin de cette opération, un résidu noir solide restait dans la cornue. Ce produit avait la propriété de pouvoir se consumer dans l'air sans flamme et en produisant une forte chaleur. C'est à ce corps que Hales donnait le nom de charbon.

 

Pour Macquer (1718-1784) le charbon est du "phlogistique fixé" : "une partie du Phlogistique contenu dans les matières animales et végétales, lorsqu'on fait brûler ces matières en les empêchant de s'enflammer, se joint intimement avec leur partie terreuse les plus fixes, et forme un composé qui ne peut se consumer qu'en rougissant et scintillant à l'air libre, sans jeter de flamme : on a donné à ce composé le nom de charbon".

 

Propriété essentielle de ce charbon pour l'adepte de Stahl qu'est Macquer : "il est très-propre à transmettre à d'autres substances le Phlogistique qu'il contient".

 

Lavoisier, adversaire du Phlogistique, y voit, quant à lui, un nouvel élément chimique. Contrairement à Hales et Macquer, il conservera le nom de charbon pour la matière brute ainsi nommée dans le commerce. Il désignera, dans un premier temps, par "substance charbonneuse" "le charbon dépouillé d’air inflammable aqueux, de terre et d’alcali fixe". Nous avons vu qu'il donnera ensuite à cette "substance charbonneuse" le nom de carbone.

 

Nous avons cité Stahl comme le premier à avoir noté le rôle "chimique" du charbon dans la réduction des minerais en métaux. Une observation ancienne aurait pu amener aux mêmes conclusions : celle du caractère explosif de la poudre noire et du rôle du charbon dans ce phénomène. Car, avec la métallurgie, la fabrication de poudre a été l'une des principales opérations industrielles liées au charbon de bois.

 

Lavoisier, le charbon et la poudre noire.

 

La poudre noire a été inventée en Chine et est connue pour avoir été utilisée comme arme aux alentours du 7ème siècle. Elle est réputée avoir été importée en occident par Marco Polo au 13ème siècle. C'est un mélange explosif de salpêtre, de soufre et de charbon de bois.

 

La poudre noire intéresse directement Lavoisier qui occupait la fonction de régisseur des poudres à une époque où, déjà, la science acceptait de se mettre au service de la guerre.

 

Dans un texte daté de 1793, et destiné à être publié dans l'Encyclopédie Méthodique, Lavoisier traite donc "Du charbon considéré chimiquement". Ce texte est une bonne synthèse des connaissances auxquelles il est parvenu sur le carbone et sur sa combinaison avec l'oxygène.

 

Dans cet article, qui s'adresse en priorité aux artilleurs et aux ingénieurs des manufactures de poudre, le mot "charbon" est encore utilisé, à la place de carbone. Il précise donc qu'on donne le nom de charbon "à une substance combustible noire qui reste de la distillation du bois, et en général des végétaux, ou bien qu'on en retire en les brûlant à l'air libre, et en arrêtant la combustion par suffocation".

 

La suite du mémoire traitera de la qualité des différents charbons de bois. En l'occurrence il doit combattre un préjugé. Le seul charbon autorisé pour la préparation de la poudre royale était celui réalisé avec le bois de "Bourdaine" :

"On a longtemps employé le saule, écrit-il, et on y avait été déterminé sans doute par sa légèreté et par la facilité de s'en procurer ; mais une ordonnance du Roi du 4 avril 1686 prescrit de n'employer à l'avenir que la bourdaine. La rareté de ce bois dans quelques provinces a obligé le conseil à prendre des précautions particulières pour assurer à l'administration des poudres les quantités de ce bois qui lui sont nécessaires ; mais il y a quelque lieu de craindre que le choix prescrit par l'ordonnance de 1686 n'ait pas été déterminé par des expériences assez décisives".

 

Ces expériences qui manquaient, il les réalise et après avoir testé la qualité calorifique de différents charbons, il aborde la question suivante : quel est le rôle du charbon dans la poudre noire ? La réponse nous ramène à la propriété expansive des gaz. Dans la réaction violente du carbone avec l'oxygène du salpêtre, Lavoisier explique que la rapide expansion des gaz qui en résulte, et en particulier celle du dioxyde de carbone, est responsable du phénomène d'explosion.

 

"Rien n'est plus facile d'après ce qu'on vient d'exposer que d'expliquer ce qui a lieu dans la détonation du nitre et, en général, dans toute détonation. Ce phénomène consiste dans la conversion subite et instantanée d'un corps solide en un fluide élastique aériforme"

 

Des évaluations faites des volumes gazeux obtenus, "on peut conclure, dit-il, sans rien exagérer, que le fluide élastique qui se dégage de la détonation tend à occuper à l'instant de l'inflammation un espace au moins 2000 fois plus grand que n'occupait le salpêtre".

 

La poudre n'a pas nécessairement une application militaire. Elle est utile à l'exploitation de mines et des carrières. On tentera aussi de l'utiliser dans le cylindre des premiers moteurs à "explosion".

 

Au moment où Lavoisier rédige ce mémoire ce sont d'abord les armées qui en réclament.

 

Un "rapport du comité de salut public sur la nécessité d’augmenter la fabrication d’armes, de salpêtre et de poudre, pour accroître tout à coup, dans une grande proportion, les moyens de défense de la République et d’exterminer ses ennemis", daté du 1er février 1794, se félicite d'avoir " rassemblé les hommes les plus éclairés de Paris dans la chimie et dans les arts chimiques". Un "nouvel art" de fabriquer la poudre "est sorti, disent-ils, tout entier et presque porté à sa perfection de la réunion fraternelle et patriotique ainsi que des veilles des artistes et des savants."

 

Pourtant, le savant de Paris, le plus éclairé "dans la chimie et les arts chimiques", le régisseur des poudres qui avait fait de sa fabrication un "art" industriel, mourait sur l'échafaud trois mois plus tard, le 8 mai, emporté par le tourbillon révolutionnaire.

 

L'explosion de la poudrerie de Grenelle le 31 août 1794, quelques mois après la mort de Lavoisier, fera 1000 morts. (document ministère de l'écologie)

 

Coup d'œil sur le charbon de bois aujourd'hui.

 

Pour en revenir au charbon de bois, essentiellement utilisé aujourd'hui, dans les sociétés industrialisées, pour alimenter le barbecue des jours d'été, il y a retrouvé une image plutôt sympathique. Mais serait-il menacé ? Le Journal Officiel de la République française du 20 janvier 2011 publie une question écrite d'un sénateur des Côtes-d'Or adressée à la "Ministre de l'Ecologie et du Développement Durable" au sujet de l'industrie française du charbon de bois. Son intervention, dont le but est, entre autres, de faire la promotion d'une entreprise de son département, débute par un éloge appuyé :

 

"Excellent réducteur, le charbon de bois "haut de gamme" carboépuré, conforme à la norme AFNOR, à destination de la restauration et des barbecues, est à nouveau très demandé, de même que pour la production "d'aciers écologiques ". En effet, le charbon de bois est une ressource renouvelable qui, en brûlant, libère moins de dioxyde de carbone que le charbon fossile. Le secteur du charbon de bois à usage industriel est donc en plein essor".

 

Mais alors où est le problème ?

 

Les producteurs de charbon de bois utilisent essentiellement les "dosses" des scieries. Ce sont les premières et dernières planches couvertes d'écorce et inutilisables en menuiserie. Mais voilà : avec le développement du bois-énergie, les scieurs installent des broyeurs et commercialisent ces dosses sous forme de copeaux ou de granulés. La matière première manque donc aux charbonniers.

 

Réponse prudente de la ministre, c'est "l'Europe" qui impose cette politique : "L'importance croissante du bois comme source d'énergie s'inscrit dans le plan national en faveur des énergies renouvelables établi en application de l'article 4 de la directive 2009/28/CE de l'Union européenne. Dans ce contexte qui s'impose à la France, celle-ci a fait le choix d'un développement raisonné et encadré des énergies renouvelables". Noter les prudents "raisonné" et "encadré".

 

Pour "articuler le développement des énergies renouvelables avec la pérennité des filières existantes, notamment de production de matériaux, de chimie du végétal (c'est nous qui soulignons) ou de carbonisation" la ministre annonce donc "la mobilisation de la ressource sylvicole de 21 millions de mètres cubes de bois supplémentaires à l'horizon 2020".

 

La Forêt, nouveau pétrole de la France ? "Trois tonnes de bois d'élagage équivalent à une tonne de fioul ; une tonne de bois consommée en substitution du fioul correspond à une tonne de CO2 évitée" indique une publication de l'Agence Régionale de l'Environnement de Haute-Normandie. La "mobilisation de la ressource sylvicole" équivalente, en moyenne, à une production de 12 millions de tonnes de bois ferait donc économiser 4 millions de tonnes de fioul, à comparer aux quinze millions de tonnes de fioul domestique actuellement consommés annuellement en France. Rendez-vous est pris en 2020 !

 

A noter aussi, dans la question du sénateur, la référence à la production "d'aciers écologiques" par du charbon de bois.

 

Ecologique ? On se souvient de l'Angleterre déboisée par sa sidérurgie au 18ème siècle et de Grignon, Maître de Forge, en France, déclarant en 1775 que "les forêts s'appauvrissent et se détruisent par l'excès d'une consommation abusive". On sait aussi qu'il existe, encore, des installations sidérurgiques importantes fonctionnant au charbon de bois. C'est le cas du Brésil, 9ème producteur mondial d'acier, qui reste le seul pays au monde à produire 35% de la fonte et de l'acier qui sort de ses fours, à partir de ce charbon issu, pour l'essentiel, des forêts amazoniennes ou de plantations d'eucalyptus. On estime, cependant, que 60% de ce charbon est produit par des structures "clandestines" dans des conditions sociales dégradées et dans une forêt déjà menacée par un déboisement en faveur des productions agricoles à vocation industrielle. Ce "verdissement" industriel serait-il vraiment "écologique" ?

 

N'oublions pas, cependant, que le charbon de bois est encore, avec le bois, une des sources essentielles de combustible domestique dans une large partie de la Planète. La FAO (Organisation des Etats-Unis pour l'Alimentation et l'Agriculture) nous indique que la production mondiale de bois de chauffage s’est élevée à 1 891 millions de m³ en 2011 et que près de 49 millions de tonnes de charbon de bois ont été produits la même année.

 

Deux milliards de personnes dépendent du bois comme source de chauffage. En Afrique, le bois, brut ou sous forme de charbon, représente de l'ordre de 70% de l'énergie utilisée. La consommation de charbon de bois de cette région représente 59% de la production mondiale et supplante peu à peu le bois. Cette énergie renouvelable est donc indispensable. On constate pourtant déjà qu'elle devra être exploitée avec mesure. On imagine aisément les effets, là aussi, d'une déforestation accélérée sur l'économie et l'écologie de ces pays et la nécessité d'y développer des sources d'énergies renouvelables complémentaires ou alternatives comme le recours à l'énergie solaire.

 

Quoi qu'il en soit, le bois et le charbon de bois, énergies des temps anciens, ont encore un bel avenir dans une société plus sobre et plus soucieuse de la qualité de son environnement naturel.

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15 février 2018 4 15 /02 /février /2018 19:58

Nous avons tracé à grands traits les étapes ayant mené à la compréhension de la nutrition et de la respiration des plantes, c'est-à-dire à celle du cycle du carbone et de la production d'oxygène sur la planète Terre. Cependant, avant qu'ils s'intéressent aux plantes et qu'ils en comprennent l'importance, l'étude de l'alimentation et de la respiration des animaux avait été la première à occuper les "chasseurs d'air". Et parmi ceux-ci, Lavoisier.

 

 

Lavoisier et la respiration animale.

 

Nous avons déjà évoqué le mémoire de 1777 de Lavoisier sur les "Expériences sur la respiration des animaux et sur les changements qui arrivent à l'air par leur poumon". Il y reprend les expériences de Priestley en plaçant "un moineau franc sous une cloche de verre remplie d’air commun et plongée dans une jatte pleine de mercure".

 

Mais contrairement à son prédécesseur il analyse avec clairvoyance la nature de l'air méphitique qui reste dans la cloche et constate qu'il est constitué de deux parties.

 

Il met la première en évidence en faisant passer sous la cloche une solution d' alcali caustique (hydroxyde de potassium), dont il sait qu'elle est avide d'acide crayeux aériforme (ainsi qu'il nomme en ce moment le dioxyde de carbone, CO2). Il constate la diminution de 1/6ème du volume du gaz contenu sous la cloche, "d’où il résulte, conclut-il, que l’air vicié par la respiration contient près d’un sixième d’un acide aériforme, parfaitement semblable à celui qu’on retire de la craie".

 

Cependant, dans l'air qui reste après cette opération qui en élimine le dioxyde de carbone, un animal meurt immédiatement, une flamme s'éteint. Ce n'est donc par de l'air ordinaire. Ce nouvel air méphitique il l'appellera, plus tard, mofette puis azote.

 

Cette expérience lui confirme :

 

- Que l'air ordinaire est composé de deux fluides, l'un nécessaire à la combustion et à la respiration, l'autre incapable d'assurer ces fonctions.

 

- Que dans la respiration, un animal absorbe la partie respirable de l'air (notre O2) et rejette sensiblement le même volume d'acide crayeux aériforme (notre CO2).

 

Que se passe-t-il dans le poumon ?

 

"L’opinion la plus généralement répandue n’attribuait à ce fluide (l'air) d’autres usages que ceux de rafraîchir le sang lorsqu’il traverse les poumons" écrit Lavoisier dans un texte daté de 1780. C'est en effet une opinion commune. Le poumon n'aurait pour rôle que celui d'une pompe aspirante et refoulante qui aspirerait un air frais pour refroidir le sang circulant dans ses vaisseaux, comme le fait l'eau, aujourd'hui, dans le radiateur d'une automobile.

 

Il comprend que le sang subit, en réalité, une réaction chimique et émet deux hypothèses :

 

"ou la portion d’air éminemment respirable contenue dans l’air de l’atmosphère est convertie en acide crayeux aériforme en passant par le poumon ; ou bien il se fait un échange dans ce viscère : d’une part, l’air éminemment respirable est absorbé, et, de l’autre, le poumon restitue à la place une portion d’acide crayeux aériforme presque égale en volume".

 

Connaissant les expériences de Priestley sur le sang, qui est rouge dans une atmosphère d'air éminemment respirable mais qui devient noir dans l'acide crayeux aériforme, il semble pencher vers la deuxième hypothèse. Cependant, avant de se prononcer, il lui faudra encore réaliser bien des expériences qui, dit-il, "jetteront encore un nouveau jour, non-seulement sur la respiration des animaux, mais encore sur la combustion ; opérations qui ont encore entre elles un rapport beaucoup plus grand qu’on ne le croirait au premier coup d’œil".

 

Les premières réponses se trouvent dans un mémoire sur la chaleur publié en 1780 par Lavoisier et Laplace. Les acteurs de ces expériences sont des cochons d'Inde, animaux dont Lavoisier considère qu'ils sont doux et que "la nature ne leur a donné aucun moyen de nuire". Par ailleurs "ils sont d'une constitution robuste, faciles à nourrir ; ils supportent longtemps la faim et la soif ; enfin ils sont assez gros pour produire en très peu de temps des altérations sensibles dans l'air qu'ils respirent" (mémoire de 1789).

 

Ces premières expériences de 1780 ont pour objectif d'établir une corrélation entre respiration et combustion. L'homme comme le cochon d'Inde sont en effet différents des plantes : par un mécanisme particulier ils doivent maintenir la température de leur corps. La quantité de chaleur ainsi produite doit nécessairement être liée à la réaction chimique qui en est la source. L'étude de la respiration animale est donc l'occasion pour Laplace et Lavoisier de mettre en œuvre une technique de mesure de la chaleur, particulièrement judicieuse, qu'ils sont les premiers à avoir utilisée.

 

Alors que l'habitude est prise, par nombre de nos contemporains, de surveiller la quantité de calories apportées par leur consommation alimentaire journalière ou même de calculer celles perdues par un effort physique, il ne nous semble pas inutile de revenir aux sources de ce savoir.

 

Savoir mesurer la chaleur.

 

Lavoisier développera ses conceptions de la chaleur dans un mémoire daté de 1783. À l’image du "fluide électrique", il imagine qu’il existe un "fluide igné" qui serait la matière de la chaleur. Plus précisément, il distingue deux types de chaleurs. L’une, la "chaleur libre", est celle qui circule naturellement d’un corps chaud vers un corps froid en élevant la température de l’un et en abaissant celle de l’autre. La seconde, la "chaleur combinée", est celle qui, par exemple, va faire fondre la glace sans que sa température ne varie.

 

Le lien entre les deux ?

 

"La chaleur qui disparaît au moment où la glace se convertit en eau, est de la chaleur qui passe de l’état libre à l’état combiné ; cette quantité de chaleur est constante et déterminée. On a observé, en effet, que, pour fondre une livre de glace, il fallait une livre d’eau à 60 degrés d’un thermomètre à mercure divisé en quatre-vingts parties : il n’existe plus de glace quelques instants après ce mélange, et toute l’eau est exactement à zéro du thermomètre. Il est clair que, dans cette expérience, la quantité de chaleur nécessaire pour élever une livre d’eau, de zéro du thermomètre à 60 degrés, a été employée à fondre une livre de glace, ou, en d’autres termes, que cette chaleur a passé de l’état libre à l’état combiné."

 

La fusion de la glace est donc un bon moyen de mesurer une quantité de chaleur, le thermomètre n’étant, de son côté, qu’un moyen de repérer une température. De là, un dispositif imaginé par Laplace :

 

"Nous n’avons encore de moyen exact pour remplir cet objet que celui imaginé par M. de Laplace (Voy. Mém. de l’Acad., 1780, page 364). Il consiste à placer le corps et la combinaison d’où se dégage la chaleur au milieu d’une sphère creuse de glace : la quantité de glace fondue est une mesure exacte de la quantité de chaleur qui s’est dégagée".

 

Le mémoire de 1780, auquel Lavoisier nous renvoie, est effectivement un véritable cours de calorimétrie qui pourrait valoir à Laplace et Lavoisier le titre de fondateurs de cette discipline. Des termes, encore utilisés, y sont définis : capacité de chaleur (aujourd’hui « capacité calorifique »), chaleur spécifique. Une unité de mesure est même proposée : la quantité de chaleur "qui peut élever d’un degré la température d’une livre d’eau commune".

 

Après l’unité, l’appareil de mesure.

 

Lavoisier lui donne le nom de "calorimètre" tout en s’excusant d’avoir ainsi réuni "deux dénominations, l’une dérivée du latin (calor), l’autre dérivée du grec" (mètre), se justifiant par le fait que "en matière de science on pouvait se permettre moins de pureté dans le langage, pour obtenir plus de clarté dans les idées". Il est vrai que le mot de "thermomètre", issu du seul grec, était déjà pris.

 

Le calorimètre est dérivé de l’idée de la sphère de glace creuse. Une enceinte extérieure est remplie de glace. Elle sert de couche isolante constamment maintenue à zéro degré de température.

 

À l’intérieur, un volume lui-même rempli de glace comporte, en son centre, un espace grillagé pour contenir le corps qui apporte de la chaleur. Celle-ci sera mesurée par le volume de glace fondue.

 

Au préalable, les expérimentateurs auront déterminé la chaleur latente de fusion de la glace, c’est-à-dire la quantité de chaleur nécessaire pour faire fondre une masse donnée de glace : "La chaleur nécessaire pour fondre la glace est égale aux trois quarts de celle qui peut élever le même poids d’eau de la température de la glace fondante à celle de l’eau bouillante." Nous laisserons, encore une fois, aux apprentis physiciens qui le souhaiteraient, le soin de vérifier que cette valeur est proche de nos mesures contemporaines.

 

 

Un cochon d'Inde passera de la cloche de verre, à droite, au calorimètre, à gauche.

Lavoisier, Mémoire sur la Chaleur, 1780

 

 

Mais revenons à nos cochons d'Inde.

 

Les cochons d'Inde et la respiration.

 

L'expérience consiste :

 

- premièrement à faire brûler un marceau de charbon sous une cloche renversée sur une cuve de mercure et déterminer la quantité "d'air fixe" produit par la combustion d'une masse donnée de charbon.

 

- deuxièmement à faire brûler le charbon dans le calorimètre et à mesurer la quantité de glace fondue par la combustion de la même masse.

 

- troisièmement à glisser un cochon d'Inde sous la même cloche, à le retirer à travers le mercure quand il commence à suffoquer et à mesurer la quantité d'air fixe produite.

 

- quatrièmement à placer le même cochon d'Inde dans le calorimètre et à mesurer la quantité de glace fondue pendant le temps correspondant à l'expérience précédente.

 

Les détails de l'expérience occupent plusieurs pages illustrant toutes les précautions prises. Contentons-nous de la conclusion.

 

Après dix heures dans le calorimètre, et après corrections des mesures, les auteurs considèrent que la respiration du cochon d'Inde a fait fondre 10,50 onces de glace et produit 224 grains d'air fixe.

 

Une expérience parallèle a montré que, de son côté, la combustion d'un morceau de charbon faisait fondre 10,38 onces de glace quant elle produisait ces mêmes 224 grains d'air fixe.

 

Une telle coïncidence imposait une conclusion :

 

"La respiration est donc une combustion, à la vérité fort lente, mais d’ailleurs parfaitement semblable à celle du charbon ; elle se fait dans l’intérieur des poumons, sans dégager de lumière sensible, parce que la matière du feu, devenue libre, est aussitôt absorbée par l’humidité de ces organes : la chaleur développée dans cette combustion se communique au sang qui traverse les poumons, et de là se répand dans tout le système animal.

 

Ainsi l’air que nous respirons sert à deux objets également nécessaires à notre conservation ; il enlève au sang la base de l’air fixe dont la surabondance serait très-nuisible ; et la chaleur que cette combinaison dépose dans les poumons répare la perte continuelle de chaleur que nous éprouvons de la part de l’atmosphère et des corps environnants".

 

Les poumons considérés comme le lieu d'une combustion dont le sang transporterait la chaleur dans l'ensemble du corps… La description, vue par les biologistes, nos contemporains, peut paraître simpliste mais c'est encore le schéma qui persiste dans l'opinion générale. "Brûler des calories" est, en effet, devenu une expression usuelle même si elle n'a scientifiquement aucun sens.

 

Ces considérations nous invitent à passer, avec Lavoisier et Séguin, du Cochon d'Inde à la machine humaine.

 

Lavoisier, Seguin et la respiration humaine.

 

Armand Jean François Seguin (1767-1835) est un chimiste qui fera fortune dans le tannage chimique des cuirs réalisé dans une manufacture installée sur une île de la Seine qui porte aujourd’hui son nom. Cette industrie est de première importance au moment où il faut équiper les soldats de la République, puis de l’Empire, en souliers et articles divers.

 

Le mémoire sur "la respiration des animaux", qu’il signe avec Lavoisier et qui est publié dans les Mémoires de l’Académie des sciences pour l’année 1789, est resté célèbre par son caractère spectaculaire. Les auteurs souhaitent d'abord mettre en évidence l'importance de leur travail :

 

"La respiration est une des fonctions les plus importantes de l’économie animale, et, en général, elle ne peut être quelque temps suspendue sans que la mort en soit une suite inévitable. Cependant, jusqu’à ces derniers temps, on a complètement ignoré quel est son usage, quels sont ses effets ; et tout ce qui est relatif à la respiration était au nombre de ces secrets que la nature semblait s’être réservés".

 

Lever un des plus importants secrets de la Nature ! Telle est bien l’ambition de ce mémoire. Le modèle de la "respiration/combustion" est à nouveau formulé :

 

"Dans la respiration, comme dans la combustion, c’est l’air de l’atmosphère qui fournit l’oxygène et le calorique ; mais, comme dans la respiration, c’est la substance même de l’animal, c’est le sang qui fournit le combustible, si les animaux ne réparaient pas habituellement par les aliments ce qu’ils perdent par la respiration, l’huile manquerait bientôt à la lampe, et l’animal périrait, comme une lampe s’éteint lorsqu’elle manque de nourriture".

 

Cette hypothèse inspire à ses auteurs des accents lyriques :

 

"On dirait que cette analogie qui existe entre la combustion et la respiration n’avait point échappé aux poètes, ou plutôt aux philosophes de l’Antiquité, dont ils étaient les interprètes et les organes. Ce feu dérobé du ciel, ce flambeau de Prométhée, ne présente pas seulement une idée

ingénieuse et poétique, c’est la peinture fidèle des opérations de la nature, du moins pour les animaux qui respirent : on peut donc dire, avec les Anciens, que le flambeau de la vie s’allume au moment où l’enfant respire pour la première fois, et qu’il ne s’éteint qu’à sa mort".

 

Après les cochons d'Inde le moment est alors venu de voir comment l'homme, lui-même, nourrit la flamme qui le maintient en vie.

 

Le compagnon de Lavoisier est un homme résolu. "Quelque

pénibles, quelque désagréables, quelque dangereuses même que fussent les expériences auxquelles il fallait se livrer, M. Seguin a désiré qu’elles se fissent toutes sur lui-même", écrit Lavoisier dans son compte-rendu.

 

Différentes situations sont testées, depuis le repos absolu jusqu’à un effort soutenu en passant par les périodes de digestion. On mesure l’air consommé et le rythme cardiaque. Des lois semblent lier ces données à l’effort réalisé :

 

"Ces lois sont même assez constantes, pour qu’en appliquant un homme à un exercice pénible, et en observant l’accélération qui résulte dans le cours de la circulation, on puisse en conclure à quel poids, élevé à une hauteur déterminée, répond la somme des efforts qu’il a faits pendant le temps de l’expérience".

 

 

Expérience de Lavoisier et Seguin sur la respiration.

(Traditionnellement cité comme « Sépia de Madame Lavoisier »)

 

 

Et voici que la mesure de l'émission de dioxyde de carbone pendant la respiration devient matière à réflexion sur la révolution sociale !

 

Souvenons-nous de la date de cette publication : 1789. Il n’est pas sans intérêt de suivre Lavoisier sur le chemin de traverse qu’il emprunte en marge de ses réflexions scientifiques.

 

"Tant que nous n’avons considéré dans la respiration que la seule consommation de l’air, le sort du riche et celui du pauvre étaient les mêmes ; car l’air appartient également à tous et ne coûte rien à personne ; l’homme de peine qui travaille davantage jouit même plus complètement de ce bienfait de la nature. Mais maintenant que l’expérience nous apprend que la respiration est une véritable combustion, qui consume à chaque instant une portion de la substance de l’individu ; que cette consommation est d’autant plus grande que la circulation et la respiration sont plus accélérées, qu’elle augmente à proportion que l’individu mène une vie plus laborieuse et plus active, une foule de considérations morales naissent comme d’elles-mêmes de ces résultats de la physique.

 

Par quelle fatalité arrive-t-il que l’homme pauvre, qui vit du travail de ses bras, qui est obligé de déployer pour sa subsistance tout ce que la nature lui a donné de forces, consomme plus que l’homme oisif, tandis que ce dernier a moins besoin de réparer ? Pourquoi, par un contraste choquant, l’homme riche jouit-il d’une abondance qui ne lui est pas physiquement nécessaire et qui semblait destinée pour l’homme laborieux ?

 

Gardons-nous cependant de calomnier la nature, et de l’accuser des fautes qui tiennent sans doute à nos institutions sociales et qui peut-être en sont inséparables. Contentons-nous de bénir la philosophie et l’humanité, qui se réunissent pour nous promettre des institutions sages, qui tendront à rapprocher les fortunes de l’égalité, à augmenter le prix du travail, à lui assurer sa juste récompense, à présenter à toutes les classes de la société, et surtout aux classes indigentes, plus de jouissances et plus de bonheur".

 

Propos teintés d'humanisme qui ne peuvent faire oublier à ses adversaires que l’homme de la "révolution chimique", celui qu’on accusait de dragonnades intellectuelles, est également le fermier général accusé de ruiner le peuple. Parmi tous ses confrères chimistes, il sera le seul à être englouti par le tourbillon de la révolution sociale. Il ne revendiquait cependant, du moins l’affirme-t-il en conclusion de son mémoire, que le droit de poursuivre son action dans le silence de son laboratoire.

 

"Nous terminerons ce mémoire par une réflexion consolante. Il n’est pas indispensable, pour bien mériter de l’humanité et pour payer son tribut à la patrie, d’être appelé à ces fonctions publiques et éclatantes qui concourent à l’organisation et à la régénération des empires. Le physicien peut aussi, dans le silence de son laboratoire et de son cabinet, exercer des fonctions patriotiques ; il peut espérer, par ses travaux, de diminuer la masse des maux qui affligent l’espèce humaine ; d’augmenter ses jouissances et son bonheur, et n’eût-il contribué, par les routes nouvelles qu’il s’est ouvertes, qu’à prolonger de quelques années, de quelques jours même, la vie moyenne des hommes, il pourrait aspirer aussi au titre glorieux de bienfaiteur de l’humanité".

 

Diminuer la masse des maux qui affligent l’espèce humaine… augmenter ses jouissances et son bonheur… C'est par cet appel d'un chimiste des lumières à une science idéalisée que nous terminerons cette première partie consacrée à la quête de cet air qui a été, tour à tour, méphitique, sylvestre, fixe, phlogistiqué, crayeux, charbonneux, carbonique… et dont on sait à présent qu'il est l'élément essentiel de la vie végétale et donc de la vie animale, la nôtre : le CO2.

 

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15 février 2018 4 15 /02 /février /2018 19:32

Le 17 avril 1787, est donc la date à laquelle Lavoisier, Guyton de Morveau, Fourcroy et Berthollet présentent le "Mémoire sur la nécessité de réformer et de perfectionner la nomenclature de la chimie" à la séance publique de l'Académie Royale des Sciences.

 

Une réception "nuancée" de la part des académiciens français.

 

Baumé, Cadet, Darcet, et Sage, sont les quatre académiciens auxquels revient la charge de présenter le "Rapport sur la Nouvelle Nomenclature". Le moins qu'on puisse dire est qu'ils ne sont pas réellement enthousiastes et qu'en ces années qui précèdent une tempête politique, ils sont loin de souhaiter le "matin du grand soir" d'une révolution chimique.

 

"Ce n'est pas encore en un jour qu'on réforme, qu'on anéantit presque une langue déjà entendue, déjà répandue, familière même dans toute l'Europe, & qu'on lui en substitue une nouvelle d'après des étymologies, ou étrangères à son génie, ou prises souvent dans une langue ancienne, déjà presque ignorée des savants, & dans laquelle il ne peut y avoir ni trace, ni notion quelconque des choses, ni des idées qu'on doit leur signifier".

 

Le problème majeur est l'avènement de l'oxygène au détriment du phlogistique. Pourquoi choisir l'aventure, estiment les rapporteurs, quand l'ancien système s'avère encore utile ?

 

"La théorie ancienne qu'on attaque aujourd'hui est incomplète sans doute ; mais celle qu'on lui substitue n'a-t-elle pas ses embarras, ses difficultés ? Dans l'ancienne, nombre de phénomènes s'expliquent comme on peut, à l'aide du phlogistique… Dans la nouvelle c'est l'oxygène réuni aux bases acidifiables, qui forme ces mêmes acides ; mais qui nous dira ce qu'est l'oxygène ? Ce qu'est ce radical acide ? "

 

Qui nous dira ce qu'est l'oxygène ? Manifestement les Académiciens ne semblent pas avoir trouvé la réponse dans les mémoires des nomenclateurs. S'ils trouvent quand même quelques avantages à la nouvelle théorie, c'est ceux qu'elle doit à la précision et au calcul "auxquels la perfection de nos appareils a fourni l'analyse".

 

Ils choisissent donc de ne pas choisir :

 

"Nous dirons seulement que lorsque nous nous sommes permis ces réflexions, nous n'avons pas plus prétendu combattre la théorie nouvelle que défendre l'ancienne…

 

Nous pensons donc qu'il faut soumettre cette théorie nouvelle, ainsi que sa nomenclature, à l'épreuve du temps, au choc des expériences, au balancement des opinions qui en est la suite ; enfin au jugement du public, comme au seul tribunal d'où elles doivent & puisse ressortir.

 

Alors ce ne sera plus une théorie, cela deviendra un enchaînement de vérités, ou une erreur. Dans le premier cas, elle donnera une base solide de plus aux connaissances humaines ; dans le second elle rentrera dans l'oubli avec toutes les théories & les systèmes de physique qui l'auront précédée".

 

La faire rentrer dans l'oubli, tel est l'objectif des phlogisticiens qui ne ménagent pas leurs critiques.

 

Des mots durs, barbares, qui choquent l'oreille.

 

Le "Journal d’observations sur la Physique, l’Histoire naturelle et sur les Arts et Métiers", nommé plus simplement "Journal de Physique de l'abbé Rozier" est "la" revue scientifique européenne du moment. Guyton de Morveau, Lavoisier, Fourcroy y publient régulièrement. En septembre 1787 elle rend compte, d'une façon relativement neutre, de la nouvelle Nomenclature qui vient d'être publiée à Paris. Dans cette première présentation, le seul commentaire retenu est celui des commissaires de l'Académie. Mais l'attaque ne tardera pas.

 

Jean-Claude de la Métherie, directeur de la revue et l'un de ses principaux rédacteurs, ne perd pas de temps. Dès le mois d'octobre, il publie un "Essai sur la nomenclature chimique". La critique, radicale, s'y énonce en cinq points.

 

1°) Les changements de nom doivent se faire peu à peu, avec sagesse et circonspection alors que cette nomenclature propose de changer tout de suite la plupart des mots et "cela ne s'est jamais fait, ni ne peut se faire dans aucune partie de la langue".

 

2°) On doit s'éloigner le moins possible des mots anciens, ce qui n'est manifestement pas le cas, les auteurs de la nomenclature revendiquant le droit de changer "la langue que nos maîtres ont parlée" en ne faisant grâce à aucune dénomination qui leur semblerait impropre.

 

3°) On "consultera autant qu'on pourra l'analogie". Or comment imaginer du charbon dans le gaz incolore appelé "carbonique" ou dans la craie la plus blanche ?

 

4°) "On ne doit point négliger l'harmonie des mots, & on ne peut absolument s'écarter du génie de la langue. Un mot nouveau ne doit être ni dur, ni barbare, surtout dans un moment où on adoucit tous les mots, & sans doute trop. Les oreilles sont si délicates qu'on ne dit plus paille, cheval, &c. On prononce pâie, zeval, zeveux, &c."

 

Or, ajoute De la Métherie, la nomenclature emploie ces mots " durs, barbares qui choquent l'oreille, & ne sont nullement dans le génie de la langue française, tels que carbonate, nitrate, sulfate, &c… aussi la plus grande partie des savants français, & nos plus grands écrivains, tel que M. de Buffon, les ont blâmés dès l'instant qu'on les a proposés".

 

5°) Cinquième point : une nomenclature ne doit pas reposer sur des idées systématiques "car autrement chaque école ayant un système différent, aura une nomenclature différente". Or, ses auteurs l'affirment eux-mêmes, le propre de leur nomenclature est qu'elle repose sur un ensemble d'idées philosophiques. Élément supplémentaire à charge : celles-ci sont "regardées comme fausses par le plus grand nombre des savants, qui par conséquent ne peuvent se servir de ces mots ".

 

La critique n'épargne aucune proposition. Pourquoi azote et non pas ammoniacogène dans la mesure où cet élément est également présent dans l'ammoniac. Pourquoi hydrogène et pas éléogène car le "gaz inflammable" est également présent dans les huiles. Et, en ce qui concerne l'objet de ce livre, quel intérêt à remplacer charbon par carbone ?

 

Ce premier article libère la parole des lecteurs de la revue. Chacun en rajoute en témoignage d'indignation.

 

La guerre est déclarée.

 

Dans le numéro de décembre 1787 du journal de physique, le premier à intervenir souhaite rester anonyme. "La chimie est maintenant à la mode", dit-il, "Nos belles dames, longtemps avant que le lycée leur en offrît des leçons, avaient paru sur les bancs des diverses écoles". C'est pourquoi la nouvelle Nomenclature "était attendue avec impatience". D'où sa déception et le sentiment d'avoir été victime d'une publicité mensongère : "plus les noms placés à la tête de cet ouvrage sont propres à exciter l'intérêt du lecteur, moins ils sollicitent leur indulgence".

 

Et d'indulgence, il n'en a pas ! Il reproche, en particulier, à ces illustres scientifiques, leur mauvais usage du grec. Comment oser mutiler "les beautés" de cette langue en fabriquant des mots dont la moitié est empruntée au latin, l'autre au grec. Et surtout, observe-t-il, quand on maîtrise si mal la langue. Oxygène et hydrogène, écrit-il, "signifient précisément le contraire de ce qu'ont voulu les Auteurs de la Nomenclature. La traduction du premier mot est engendré par l'acide & non générateur de l'acide ; celle du second engendré par l'eau et non générateur d'eau". Chez les Grecs, ajoute-t-il, "Diogène voulait dire fils de Jupiter" et, dans le vocabulaire usuel, homogène signifie "généré de façon identique" et non pas "générateur des mêmes choses".

 

Quant à quelques mots "un peu ridicules", ajoute-t-il, "tels que calorique, carbone, carbonique, carbonate, &c. je n'en parlerai point ; c'est les premiers, c'est peut-être les seuls dont le public fera justice".

 

Notre auteur anonyme n'avait manifestement rien d'un Nostradamus. Qui peut imaginer qu'il fut un temps où "carbone" ne faisait pas partie du langage commun et qu'il n'a été imposé, il y a seulement un peu plus de deux siècles, que par un quarteron de chimistes français.

 

Pourtant "Carbone" a été une des cibles principales des adversaires de la nomenclature.

 

Oubliez ces carbonates, ces carbures…

 

Étienne-Claude de Marivetz, qui signe en faisant état de son titre de baron, vient tresser des couronnes au directeur du Journal de Physique, le "véritable journal des Savants", pour son combat contre la Nomenclature. Il fallait, dit-il, "que les Étrangers apprissent que cette innovation n'avait été reçue que dans peu de laboratoires ; il fallait que les générations futures, en lisant avec étonnement ce dictionnaire, apprissent comment furent accueillis ces muriates, ces carbonates, ces carbures, ces sulfates, ces sulfites, ces sulfures, ces phosphates, ces phosphures, ces oxydes, &c. &c. &c. Il fallait que l'on sût que ces mots bizarres ne furent reçus que dans le jargon des adeptes qui les avaient imaginés".

 

Bien vite, conclut-il, "les carbonates et les carbures auront été oubliés" et on ne lira plus cette nomenclature "que comme on lit encore l'Histoire de Pantalon-Phoebus".

 

L'éloge historique de Pantalon-Phoebus est un texte extrait du "Dictionnaire néologique à l'usage des beaux-esprits du siècle" publié en 1726 par l'abbé Desfontaines sous couvert d'un "avocat de Province". Il s'agit d'un dictionnaire destiné à répandre dans la Province le beau parlé parisien et dans lequel un cabaretier devenait un "marchand d'ivresse" et une soupe un "phénomène potager". Le dictionnaire en question ne pouvait évidemment que provoquer l'ironie des lecteurs de la fin du siècle.

 

Oublié, est donc Pantalon-Phoebus, mais le baron de Marivetz lui-même n'attirerait plus l'attention s'il n'avait été l'un des pourfendeurs des carbonates et carbures.

 

Christophe Opoix, Maître en Pharmacie à Provins, a été, en cette année 1787, reçu à l'Académie d'Arras, alors sous la présidence de Maximilien de Robespierre. Il constate d'abord que les chimistes des générations antérieures ont su trouver les mots aptes à attirer un public nombreux. La chimie "a fait partie de la bonne éducation, & les femmes mêmes ont fréquenté assidument les amphithéâtres sans s'y trouver étrangères ou déplacées".

 

Il s'en prend, ensuite, ouvertement à Lavoisier, le "brillant orateur de la nouvelle doctrine" :

 

"Je le sais, un nombreux auditoire applaudit encore à ces Messieurs, et semblent leur répondre d'un grand succès ; mais quand la mode, la nouveauté & l'enthousiasme seront passées, quand on ne frappera plus les yeux à grands frais par des appareils nouveaux et imposants ; quand le brillant orateur de la nouvelle doctrine cessera de la soutenir de son éloquence facile et séduisante, quand la science dépouillée de ces secours étrangers, n'offrira plus qu'un squelette hideux, qu'un travestissement bizarre, qu'un extérieur repoussant, comptera-t-on le même nombre d'auditeurs ? "

 

Et naturellement, il ne donne pas, lui non plus, beaucoup de chances de survie à la nomenclature :

 

"Voulez vous savoir ce que je prévois avec regret ? Dans peu d'années les amphithéâtres seront déserts, & la science entièrement négligée. Les gens du monde pourront-ils accommoder leurs oreilles à l'étrange dissonance & à la barbarie des termes ? Auront-ils le courage de surmonter cette barrière qui va séparer la science de la Chimie de toutes les autres ? Les personnes studieuses qui, par goût, se destinent aux sciences, mais qui ne sont encore déterminées par aucune, préfèreront-elles une science qui n'aurait plus de rapport avec aucune autre, & que quelques personnes réunies peuvent au premier instant changer à ne la rendre plus reconnaissable ? "

 

A son tour, un professeur de Chimie de Madrid témoigne : "La nouvelle Nomenclature choque trop les oreilles espagnoles pour qu'elles puissent s'y accommoder. La langue espagnole ne se prête pas à de pareilles innovations. Aussi un apothicaire de Madrid qui voulut employer le mot carbonate, a été surnommé docteur Carbonato…"

 

Après de telles charges, qui oserait encore défendre la réforme proposée et qui parierait sur l'avenir des mots carbone, carbonate, carbonique ?

 

Et pourtant carbone, carbonique et carbonates se sont imposés.

 

En 1808 John Dalton (1766-1844) publie son "Nouveau système de philosophie chimique" dans lequel il propose une première représentation atomique de la matière. Dans le tableau des symboles des éléments qu'il présente, le carbone est en bonne place sous forme d'un disque noir.

 

(Dalton, Un nouveau système de philosophie chimique, 1808)

 

Il faudra attendre le Suédois Jöns Jacob Berzelius (1749-1848) pour qu'apparaissent les premières formules chimiques.

 

Berzelius est un personnage de premier plan dans la formation des concepts et des méthodes de la Chimie moderne. Né à Väversunda Sörgård en Suède, fils d'un maître d'école, il se destine à la médecine qu'il apprend à l'université de Uppsala. Rapidement il se consacre à la Chimie qu'il enseigne en parallèle avec la médecine. En 1819 paraît à Paris son "Essai sur la théorie des proportions chimiques et sur l'influence chimique de l'électricité" qui le révèle comme un maître incontesté.

 

Berzelius est un atomiste convaincu : "Les corps étant formés d'éléments indécomposables, doivent l'être de particules dont la grandeur ne se laisse plus ultérieurement diviser et que l'on peut appeler particules, atomes, molécules, équivalents chimiques, etc. Je choisirai de préférence la dénomination d'atome, parce que, mieux qu'une autre, elle exprime notre idée".

 

Précisons que comme Dalton, il ne fait pas la distinction entre atome et molécule. Il existe des atomes de corps composés comme des atomes de corps simples.

 

Dès ses premiers écrits Berzelius choisit de nommer les corps à partir du latin. Son modèle est Guyton de Morveau :

 

"L'on sait que la nomenclature fondamentale dont nous nous servons est due au génie de M. Guyton de Morveau, et qu'elle a été adoptée à la suite des rectifications faites par une commission des membres de l'institut. M. Guyton eut l'heureuse idée de changer le chaos de noms bizarres qui existait de son temps, en un système de définitions, ou en noms qui indiquaient la nature même des composés qu'ils représentaient, et il rendit par-là un service immense à la science."

 

Si Lavoisier n'est pas cité, son esprit rôde encore au-dessus de la chimie :

 

"La nomenclature latine, dite antiphlogistique, qui sert de base à la nomenclature française, est un véritable chef d'œuvre. Celui qui, avec un peu de connaissance de la chimie, la parcourt, la connaît tout de suite ; et elle contient pour ainsi dire une partie principale de la théorie de la science"

 

Comment imaginer plus beau compliment ? Berzelius, conservera les noms latinisés de la nomenclature française à quelques exceptions près, comme le sodium et le potassium auxquels il donnera les noms de Natrium et Kalium. On retiendra surtout son introduction des formules représentant les corps chimiques.

 

 

Symboles et équations chimiques.

 

Berzelius rappelle le temps des signes alchimiques "créés par le besoin de s'exprimer d'une matière mystique et incompréhensible pour le vulgaire". Jugement sévère car dans le même temps il reconnaît le choix judicieux des signes proposés par les réformateurs "antiphlogistiques" français alors que ceux-ci s'étaient, eux-mêmes, largement inspirés des signes alchimiques.

 

Quoi qu'il en soit, il considère qu'un signe introduit une inutile difficulté car, dit-il, "il est plus facile d'écrire un mot en abrégé que de dessiner une figure". D'où sa volonté de proposer d'autres signes. Non pas des signes "créés dans la vue de les placer, comme les anciens, sur les vases de laboratoire", mais des signes ayant pour objet "de nous mettre en état d'énoncer brièvement et avec facilité le nombre d'atomes élémentaires qui se trouve dans chaque corps composé".

 

Il choisit donc, comme symboles, les lettres de l'alphabet "pour pouvoir être facilement tracés et imprimés sans défigurer le texte". On prendra "la lettre initiale du nom latin de chaque corps simple" et pour distinguer deux corps dont le nom commencerait par la même lettre, il suffira d'y adjoindre les deuxièmes ou troisièmes lettres du nom. La méthode sera particulièrement utile pour le carbone car onze corps de l'actuel tableau périodique ont un nom commençant par C. Ainsi le carbone sera désigné par le C, tandis que le chlore le sera par Cl, le calcium par Ca, le chrome par Cr, le cobalt par Co, le cuivre par Cu, le cadmium par Cd, le césium par Cs, le cérium par Ce, le curium par Cm, le californium par Cf.

 

Pour les molécules contenant plusieurs atomes identiques, leur nombre sera indiqué par un exposant. Ainsi pour le "gaz carbonique" : CO2, pour l'eau : H2O. Le symbole a traversé le temps avec comme seule modification la transformation de l'exposant en un indice : H2O, CO2...

 

Le temps est donc venu des formules et équations chimiques, comme celle de la combustion du carbone.

 

C + O2 → CO2

 

Les propositions de Berzelius peuvent être considérées comme le couronnement de la réforme de la nomenclature chimique initiée 25 ans plus tôt par les chimistes français. Si, pour nos contemporains O2, H2O et CO2, sont bien autre chose que des signes cabalistiques, c'est à Guyton de Morveau, à Lavoisier et à Berzelius que nous le devons.

 

 

 

 

 

 

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15 février 2018 4 15 /02 /février /2018 19:30

 

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Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…coupable : le dioxyde de carbone.

 

Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.

 

Histoire du carbone et du CO2.

 

Un livre chez Vuibert.

 

feuilleter

 

L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone et celle du CO2.

 

L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole.

 

Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.

 

Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
 

Seront-ils entendus ?


contact : gerard.borvon@wanadoo.fr

02 98 85 12 30


L’introduction :

 

CO2, fatal ou vital ?

 

« CO2 - Élixir de vie et tueur du climat » est le titre d’une exposition présentée au musée Naturama de Aarau en Suisse à la charnière des années 2012 et 2013.

 

Élixir… le mot est fort. Il a été emprunté à l’arabe médiéval « al iksīr » désignant la liqueur d’immortalité des alchimistes ou la pierre philosophale supposée transformer le plomb en or.

 

Dans une première partie nous choisirons ce côté lumineux de l’histoire.
 

Nous découvrirons la suite de tâtonnements, de réussites et aussi parfois d’échecs, qui a fait prendre conscience de l’existence et du rôle de cet « élixir », le dioxyde de carbone et de ce joyau minéral, le carbone.

 

Tueur de climat. Qui peut encore le nier ? Et qui peut refuser de voir que la dangereuse augmentation du CO2 dans l’atmosphère, loin d’être une malédiction portée par ce gaz, est le résultat de l’emballement d’un monde industriel développé qui gaspille les ressources fossiles accumulées sur la planète au cours de millions d’années et les disperse sous forme d’objets inutiles et de polluants multiples.

 

Élixir ou poison, amour ou désamour… Le carbone et le dioxyde de carbone sont symboliques de cette chimie aux deux visages qui sont aussi ceux de la science en général.

 

D’une part, une science « pour comprendre », qui enthousiasme les scientifiques comme les esprits curieux par ses extraordinaires avancées dans la connaissance des phénomènes naturels. Une science qui donne la liberté de penser le monde en dehors des dogmes et qui, en même temps, peut apporter du confort à la vie quotidienne de chacune et chacun.

 

De l’autre côté, une science au service d’une « croissance infinie », décrétée par un système économique qui impose ses choix techniques et politiques. Une science et une technique dont les bénéfices pour la société sont de plus en plus occultés par les nuisances sociales et environnementales qu’elles provoquent.

 

Qui s’intéresse à l’histoire des sciences et des techniques ne peut échapper à ce double sentiment :

 

- L’émerveillement devant l’ingéniosité de l’esprit humain et les constructions intellectuelles et matérielles qu’il met en oeuvre pour comprendre son environnement et améliorer son cadre de vie.

 

- La lucidité devant le redoutable pouvoir des sciences et des techniques entre les mains de ceux pour qui elles représentent d’abord un outil pour posséder ou dominer.

 

À travers cette histoire du carbone et du CO2, nous n’échapperons pas à ces allers et retours.

 

Depuis l’Antiquité grecque jusqu’à Lavoisier nous suivrons une science dans laquelle nous serons tentés de ne reconnaître que la curiosité de l’enfance et l’enthousiasme de l’adolescence. Cette première partie nous apprendra ce que sont le carbone et le CO2 et comment ils contribuent à la vie sur cette planète.

 

Nous verrons ensuite une accélération extraordinaire des connaissances scientifiques et une multiplication de leurs applications techniques, au cours d’un xixe siècle qui s’achève avec les ondes électromagnétiques, les rayons X, la radioactivité, les premières automobiles, etc. Viendra ensuite le xxe siècle qui exploitera ces découvertes, pour le confort des sociétés développées, en même temps que se développeront leurs usages les plus redoutables.

 

Un développement qui amène à s’interroger sur la fonction des sciences dans nos sociétés. Car les scientifiques en font eux-mêmes le constat : alors qu’elle est depuis longtemps un indiscutable synonyme de progrès, à la fois pour les connaissances et pour la vie quotidienne, un désamour s’installe entre la science et la société.

 

C’est dans ces moments de doute qu’un retour aux sources peut faire revivre, à travers les écrits des auteurs des époques antérieures, les élans et les joies des premiers succès. Peut-être trouverons-nous également, dans ces expériences passées, des aides pour imaginer un nouvel avenir des sciences dans une société qui fonctionnerait sur d’autres bases que celles d’une croissance matérielle effrénée.

 

Note : nous avons choisi de scinder ce texte en cinq parties qui s’enchaînent mais qui pourraient également se lire de façon séparée.


 


Table des matières

 

CO2, fatal ou vital ?.

Première partie. D’Empédocle à Lavoisier, des quatre éléments à la naissance du carbone.

 

Au début étaient les quatre éléments. (voir)

Un modèle d’une grande puissance évocatrice.

Des quatre éléments aux quatre humeurs.

L’intermédiaire alchimique.

 

Jean-Baptiste Van Helmont, l’eau, la croissance des végétaux
et le « gas silvestre ». (voir)

L’alchimiste blasphémateur.

Les Anciens se sont trompés : il n’existe qu’un seul élément !.

Lavoisier et la contestation de la transmutation de l’eau en terre.

Au sujet du « gas silvestre » et de la naissance du mot « gaz ».

Hommage rendu à Van Helmont : l’adoption du mot « gaz ».

 

Georg Ernst Stahl, de l’élément feu jusqu’au phlogistique. (voir)

De l’alchimie à la chimie.

Du « principe sulfureux » au « principe inflammable » : le phlogistique.

Le charbon et les métallurgistes.

Un modèle diffusé par les chimistes français.

Quand Lavoisier était encore phlogisticien.

 

La course aux airs.

Stephen Hales (1677-1761). Quand l’air se transforme en pierre !. (voir)

Joseph Black (1728-1799) et l’air fixe.(voir)

Henry Cavendish (1731-1810), de l’air fixe à l’air inflammable
et autres airs factices.(voir)

Joseph Priestley (1733-1804), air fixe, air nitreux, air déphlogistiqué
et autres airs.(voir)

Les plantes ne fonctionnent pas comme prévu !.(voir)

Priestley mesure l’importance de l’observation..

Priestley et l’air fixe : poison ou remède ?.

Vraiment bizarre ?.

 

Priestley, Scheele, Lavoisier. De l’air déphlogistiqué à l’air du feu
et à l’oxygène. . . (voir)

Priestley (1733-1804), le phlogistique et l’air déphlogistiqué.

Carl Wilhelm Scheele (1742-1786) et l’air du feu.

Lavoisier (1743-1794), de l’air vital au principe oxygine et à l’oxygène.

1774-1777 : l’air est un mélange de deux fluides.

1777 : le phlogistique n’existe pas.

Quand l’air vital devient « air acidifiant » : le principe oxygine.

Quand naît l’oxygène.

 

Lavoisier. De l’air fixe à l’acide crayeux aériforme
et au gaz carbonique. . . (Voir)

Quand l’air fixe devient acide crayeux aériforme..

De l’acide crayeux aériforme à l’acide charbonneux.

Quand l’acide charbonneux devient gaz acide carbonique
et quand naît le carbone.

 

De l’offensive anticarbone à la victoire de CO2. (voir)

Une réception « nuancée » de la part des académiciens français.

Des mots durs, barbares, qui choquent l’oreille. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La guerre est déclarée.

Oubliez ces carbonates, ces carbures….

Et pourtant carbone, carbonique et carbonates se sont imposés.

Symboles et équations chimiques.

 

O2 et CO2 : le jour et la nuit des plantes. . . (voir)

Charles Bonnet et l’alimentation des plantes par leurs feuilles. . . . . . . .

Jan Ingenhousz : le soleil rythme la vie des végétaux.

La vie nocturne des plantes.

Comme les animaux, jour et nuit, les plantes respirent.

Senebier, ou comment les plantes s’alimentent.

Lavoisier et l’apport de la chimie.

Aujourd’hui.

Et avant-hier ?.

 

O2, CO2 et la respiration des animaux. . . (voir)

Lavoisier et la respiration animale.

Savoir mesurer la chaleur.

Après l’unité, l’appareil de mesure. .

Les cochons d’Inde et la respiration.

Lavoisier, Seguin et la respiration humaine.

Deuxième partie. Quand la chimie était verte. . .

 

Quand la chimie naissait des plantes. . . (voir)

Distiller les bois, les feuilles, les graines, les racines.

Les produits précieux des résines.

Une résine élastique : le caoutchouc.

Retour aux sources.

 

Au sujet des charbonniers et du charbon de bois. . . (voir)

L’antiquité du charbon de bois.

L’industrie métallurgique et la grande époque des charbonniers.

Les chimistes et le charbon.

Lavoisier, le charbon et la poudre noire.

Coup d’oeil sur le charbon de bois aujourd’hui.

Mais alors, où est le problème ?.

 

Du bois pour les gazogènes. . .(voir)

Philippe Lebon invente le gazogène.

Gazogène à bois, le retour.

Retour aux sources ?.

 

Des plastiques sans houille et sans pétrole. . . (voir)

Du coton-poudre au collodion.

Du collodion au Celluloïd.

Le succès de la soie artificielle.

Et aujourd’hui ?.

Troisième partie. Quand le charbon sort de terre. . .


Le charbon et la vapeur au siècle de l’industrie. . . (voir)

Avec Denis Papin, le siècle de la vapeur commence en Angleterre.

Newcomen, Watt : de la « pompe à feu » à la machine à vapeur.

En France, de la révolution sociale à la révolution industrielle.

Le versant noir du progrès.

De la mine aux tranchées.

La colonisation, l’autre guerre.

 

Quand le gaz de houille éclairait la ville. . . (voir)

Les pionniers britanniques.

L’éclairage au gaz en France.

Quand les « becs de gaz » investissent le paysage urbain.

Le gaz menacé par l’électricité.

La lumière électrique à Châteaulin quand Paris l’attend encore :
beau symbole !.

 

Le goudron de houille et le grand oeuvre des chimistes du 19ème siècle. (voir)

Le merveilleux goudron.

L’affaire de la garance.

La conquête de l’indigo.

La suprématie allemande.

Une industrie « précieuse pendant la guerre ».

Quatrième partie. Asphalte, bitume et pétrole.

 

Asphalte, bitume et pétrole avant l’automobile. (voir)

Asphalte et bitume sous Louis XV.

L’asphalte dans les villes de la Belle Époque.

Le pétrole, huile de la pierre.

Quand le pétrole était un médicament.

Quel usage pour ce pétrole ?.

Le pétrole du Caucase.

Le pétrole d’Amérique.

Et en Europe ?.

Le pétrole dans le monde en 1889.

La querelle des plutoniens et des neptuniens.

Premiers pipe-lines, premiers pétroliers, premières raffineries,
premiers accidents.

Le pétrole, un produit d’avenir ?.

 

Et l’automobile fut. (voir)

L’automobile et la vapeur.

Quand la fée électricité animait les tramways, les fiacres et les
automobiles.

L’autre moteur.

La victoire du pétrole.

1900 : le big-bang automobile.

 

Le pétrole d’après.

Pour conclure.

 

Le carbone et la vie. (voir)

La chimie devient « organique ».

De la synthèse organique à la génétique.

Le carbone, du big-bang à l’Homo sapiens.

Naissance de la Planète bleue.

Quand s’assemblent les molécules du vivant.

 

La science face au désamour. (voir)

Un débat à la Sorbonne.

Débattre de la science et de la vie il y a cent ans ?.

Débattre il y a cinquante ans ?.

Lanceurs d’alerte.

Retour à la Sorbonne.

Un problème de démocratie.

Cultiver les sciences.

Rapide plaidoyer pour l’histoire des sciences.

Les sciences, remède à la technocratie ?.


Bibliographie.

 

Index des noms propres.

 

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15 février 2018 4 15 /02 /février /2018 19:29

 

Lu sur La Recherche

 

Qu'il soit sous forme de charbon, de pétrole ou de gaz, le carbone a révolutionné notre quotidien depuis plus de deux siècles. Émis en fortes quantités sous forme de CO2 dans l'atmosphère, il a aussi perturbé le climat de la Terre. L'auteur retrace l'histoire de cet élément et de ses utilisations depuis la Grèce antique jusqu'à nos jours.

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Espace Sciences Rennes.

Le carbone et le dioxyde de carbone sont indispensables à la vie sur Terre. L’auteur raconte leur quête par les scientifiques. Leurs usages : d’abord pour la chimie des essences végétales puis comme source d’énergie avec le charbon et le pétrole à partir des 19e et 20e siècles. Mais interviennent aujourd’hui les conséquences sur l’environnement : pollution et réchauffement climatique.

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Hérault Tribune.

 

Histoire du carbone et CO2 - Gérard Borvon

 

Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…, coupable : le dioxyde de carbone. Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.

L'auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu'aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l'importance du carbone et celle du CO2. L'ouvrage décrit ensuite la naissance d'une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu'elle ne s'applique au charbon et au pétrole. Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.

Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd'hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique. Seront-ils entendus ?

Auteur:

Gérard Borvon a été enseignant de physique-chimie en lycée et formateur en histoire des sciences à l'IUFM de Bretagne. Auteur de nombreux travaux visant à diffuser la culture scientifique, il a déjà publié chez Vuibert une Histoire de l'électricité, de l'ambre à l'électron (2009) et une Histoire de l'oxygène, de l'alchimie à la chimie (2012).

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Lu sur Babelio.

 

L'auteur présente d'abord les étapes de la découverte du carbone par les scientifiques, depuis Empédocle (grec présocratique - de moins 490 à moins 430 av. JC environ), pour qui l'univers matériel était constitué de 4 éléments : l'eau, la terre, le feu et l'éther ou l'air. 
Ce n'est que relativement récemment que l'élément carbone fut isolé et identifié, et que les scientifiques comprirent son rôle vital (cycles végétatifs, constitution de l'ADN…).
Outre les théories des chercheurs à propos de la matière, leurs expériences et raisonnements sont exposés dans cet ouvrage, ceci de manière très compréhensible, y compris pour les non scientifiques.

Le bois, d'origine carbonée, fut l'une des premières sources d'énergie exploitée par l'homme, pour se chauffer, cuire ses aliments, travailler des métaux… Il céda en partie la place à son dérivé, le charbon de bois, qui permet d'atteindre de plus hautes températures. Puis le charbon sortit de terre… avant que le pétrole ne coule à flots ! Nous nous enfumons donc depuis des décennies, et la planète avec, d'autant plus que la population humaine croît et adopte des modes de vie de plus en plus énergivores. 
N'en déplaise aux climato-sceptiques, des gaz à effet de serre se sont accumulés dans l'atmosphère et continuent à y être rejetés massivement du fait des activités humaines, ce qui impacte le climat de manière dangereuse. 
Les matières premières carbonées ne sont pas seulement source d'énergie, elles servent aussi de matériaux pour les chimistes. J'ai été surpris de (re)découvrir que la chimie du bois et des végétaux - qui reviennent au goût du jour pour des raisons environnementales - a précédé la carbochimie et l'omniprésente pétrochimie. Les liens entre sciences fondamentales et sciences appliquées sont mis en évidence par des exemples de techniques utilisées quotidiennement. le carbone est indéniablement utile mais l'abus est néfaste pour tous.
A partir de l'exemple de cet élément, l'auteur élargit la réflexion à la place des sciences dans nos sociétés, aux bienfaits et méfaits auxquels elles donnent naissance. Cette dernière partie m'a moins intéressé que le coeur du sujet annoncé en titre.

Je recommande cet ouvrage à tous, qui présente l'histoire du carbone et du CO2, de manière documentée et vulgarisée... Que la réflexion sur nos sociétés et modes de vie se poursuive, sinon tant pis pour nos descendants, s'il en reste… 😥

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15 février 2018 4 15 /02 /février /2018 12:13

Revenons à ce gaz caractérisé comme "air fixe". Dans un mémoire lu le 3 mai 1777 à l'Académie des Sciences, Lavoisier traite des "expériences sur la respiration des animaux et sur les changements qui arrivent à l'air en passant par leurs poumons".

 

Chacun connaît l'importance de la respiration pour le maintien de la vie humaine et pourtant, nous dit Lavoisier, "nous connaissons peu l'objet de cette fonction singulière". Cet "objet", c'est l'air mais, ajoute-t-il, "toutes sortes d'air, ou plus exactement toutes sortes de fluides élastiques, ne sont pas propres à l'entretenir, et il est un grand nombre d'airs que les animaux ne peuvent respirer sans périr".

 

Lavoisier connaît les travaux de Hales, il est surtout admiratif des expériences de Priestley qui "a reculé beaucoup plus loin les bornes de nos connaissances… par des expériences très ingénieuses, très délicates et d'un genre très neuf". Lavoisier considère que son apport essentiel aura été de prouver que "la respiration des animaux avait la propriété de phlogistiquer l'air, comme la calcination des métaux et plusieurs procédés chimiques". Ou pour être plus bref : que la respiration est une combustion !

 

Lui-même veut le vérifier. Un moineau est placé sous une cloche pleine d'air renversée sur une cuve à mercure. Près d'une heure plus tard il ne bouge plus. L'air qui reste éteint une flamme. Un nouveau moineau qu'on y enferme n'y vit que quelques instants.

 

Cet "air vicié" présente une propriété qu'on ne trouve pas dans la simple "mofette" à laquelle Lavoisier donnera plus tard le nom d'Azote. Il précipite l'eau de chaux. Par ailleurs, une partie de cet air vicié est absorbée par une solution d'alkali fixe caustique (de la potasse). Par ces propriétés Lavoisier reconnaît cet air que les chimistes désignent comme "l'air fixe".

 

Le terme ne lui convient pas. Dans une note il s'en explique.

 

Quand l'air fixe devient acide crayeux aériforme.

 

" Il y a déjà longtemps que les physiciens et les chimistes sentent la nécessité de changer la dénomination très-impropre d’air fixe, air fixé, air fixable ; je lui ai substitué, dans le premier volume de mes Opuscules physiques et chimiques, le nom de fluide élastique ; mais ce nom générique, qui s’applique à une classe de corps très-nombreux, ne pouvait servir qu’en en attendant un autre.

 

Aujourd’hui, je crois devoir imiter la conduite des anciens chimistes ; ils désignaient chaque substance par un nom générique qui en exprimait la nature, et ils le spécifiaient par une seconde dénomination qui désignait le corps d’où ils avaient coutume de la tirer ; c’est ainsi qu’ils ont donné le nom d’acide vitriolique à l’acide qu’ils retiraient du vitriol ; le nom d’acide marin à celui qu’ils tiraient du sel marin, etc.

 

Par une suite de ces mêmes principes, je nommerai acide de la craie, acide crayeux, la substance qu’on a désignée jusqu’ici sous le nom d’air fixe ou air fixé, par la raison que c’est de la craie et des terres calcaires que nous tirons le plus communément cet acide, et j’appellerai acide crayeux aériforme celui qui se présentera sous forme d’air."

 

"Acide crayeux aériforme", propose donc Lavoisier, à un moment où, pourtant, il ne sait rien encore de la composition chimique de la craie. Plus tard c'est l'acide lui-même qui contribuera à donner son nom à la craie (carbonate de calcium) dans la nomenclature chimique. Nous en reparlerons. Pour le moment le chimiste s'interroge sur le mécanisme de la respiration. Il a constaté une faible diminution du volume de l'air dans la cloche. Deux hypothèses se présentent.

 

  • Il est possible, dit-il, "que l'air éminemment respirable qui est entré dans le poumon en ressorte en acide crayeux aériforme". Ce qui expliquerait la faible diminution du volume de l'air dans la cloche, l'air fixe étant supposé "moins élastique" que l'air ordinaire.

  • Il est possible aussi "qu'une portion de l'air éminemment respirable reste dans le poumon et qu'elle se combine avec le sang".

 

Les deux propositions se révèleront partiellement justes. Pour appuyer la seconde Lavoisier rappelle que Priestley lui-même, a exposé du sang à l'air éminemment respirable et à l'acide crayeux aériforme. Dans le premier cas le sang a pris une couleur rouge-vermeil, dans le second cas il est devenu noir. La remarque ne manque pas de pertinence mais il faudra encore de longues années avant qu'elle trouve sa justification.

 

Pour le moment, la nature de l'acide crayeux reste à élucider.

 

De l'acide crayeux aériforme à l'acide charbonneux.

 

Quatre ans se sont passés. Lavoisier a abandonné le phlogistique. Dans les publications de l'Académie des Sciences pour l'année 1781, on peut lire son "Mémoire sur la formation de l'acide nommé air fixe ou acide crayeux et que je désignerai désormais sous le nom d'acide du charbon".

 

Lavoisier rappelle d'abord sa conception de la combustion des métaux, à savoir la combinaison de ceux-ci avec la partie respirable de l'air qu'il désigne à présent comme principe oxygine (générateur d'acide) et qui deviendra gaz oxygène dans la Nomenclature qu'il publiera avec Guyton de Morveau, Fourcroy et Berthollet en 1787. Nous avons déjà évoqué la longue et difficile genèse de l'oxygène, celle du dioxyde de carbone, notre actuel CO2 est tout aussi mouvementée.

 

En même temps que de celle des métaux, Lavoisier s'est intéressé aux combustions du phosphore et du soufre. Celles-ci l'ont conduit aux acides phosphorique et sulfurique. Poursuivant avec la même logique, il décide de s'intéresser au plus anciennement connu des combustibles : le charbon.

 

Ce corps pose problème. Si les chimistes savent obtenir du soufre et du phosphore dans un état de quasi-pureté, il n'en va pas de même du charbon. Sa distillation laisse échapper un ensemble de gaz parmi lesquels un air inflammable aqueux qui prendra ensuite le nom d'hydrogène. Dans ses cendres on trouve des terres insolubles et de l'alkali fixe (de la potasse) soluble. D'où la précision de Lavoisier :

 

"Pour éviter toute équivoque, je distinguerai, dans ce mémoire, le charbon d’avec la substance charbonneuse ; j’appellerai charbon ce que l’on a coutume de désigner sous cette dénomination dans les usages de la société, c’est-à-dire un composé de substance charbonneuse, d’air inflammable aqueux, d’une petite portion de terre et d’un peu d’alcali fixe ; j’appellerai, au contraire, substance charbonneuse le charbon dépouillé d’air inflammable aqueux, de terre et d’alcali fixe".

 

C'est donc la "substance charbonneuse" qui se combine au principe oxygine de l'air dans la combustion du charbon. Abandonnant le nom "d'acide crayeux" qu'il lui avait précédemment donné, Lavoisier donne le nom d'acide charbonneux au gaz résultant de cette combustion.

 

Afin de déterminer les proportions de substance charbonneuse et de principe oxygine dans cet acide charbonneux, Lavoisier, aidé de Laplace et Meusnier, se livre à une multitude d'expériences qui l'amènent aux proportions :

 

Principe oxygine : 72,125 livres

Matière charbonneuse : 27,875 livres

Total de l’acide charbonneux : 100,000 livres

 

La lectrice ou le lecteur qui mobiliserait ses souvenirs scolaires pourrait vérifier qu'avec nos données actuelles (valeurs "arrondies" : 12g de carbone pour 32g d'oxygène dans les 44g d'une "mole" de CO2 soit 22,4l gazeux,), les 27,875% de carbone mesurés par Lavoisier sont très proches des 27,3% que nous donnent nos calculs.

 

En cette année 1781, l'air fixe, rebaptisé acide crayeux, est donc devenu acide charbonneux. Pourtant, si on connaît à présent sa composition, il attend encore son nom définitif.

 

Quand l'acide charbonneux devient gaz acide carbonique et quand naît le carbone.

 

Nous avons déjà évoqué la Nomenclature Chimique. Notons, pour mieux la situer, qu'elle prend son origine au début des années 1780, moment où la nécessité se fait jour d'une réforme dans la façon de nommer les corps chimiques.

 

C'est d'abord Louis-Bernard Guyton de Morveau (1737-1816), avocat au parlement de Dijon et chimiste reconnu internationalement qui publie dans le Journal de Physique de l'abbé Rozier, en 1782, un mémoire "Sur les dénominations chymiques, la nécessité d'en perfectionner le système et les règles pour y parvenir".

 

Le constat est simple : cette science qui a enfin réussi à s'imposer dans les Académies utilise une langue à peine sortie des grimoires des alchimistes. "Il n'est point de science, regrette-t-il, qui exige plus de clarté, plus de précision, & on est d'accord qu'il n'en est point dont la langue soit aussi barbare, aussi vague, aussi incohérente".

 

En France, d'autres chimistes partagent le même objectif et une autre réforme du vocabulaire est en marche : celle de Lavoisier et de ses collègues académiciens qui s'appuient sur une base théorique, celle du principe oxygine, très différente de celle de Guyton de Morveau partisan du phlogistique.

 

La concurrence est sévère. La théorie de Lavoisier semble même avoir des partisans parmi les collègues Bourguignons de Guyton de Morveau, mais cela n'empêche pas celui-ci de se montrer circonspect :

 

"Nous aurons plus d'une fois occasion de dire, & particulièrement aux articles Acide Vitriolique, Acide Saccharin, Phlogistique, &c. &c. que nous sommes bien éloignés d'adopter en entier l'explication dans laquelle ce savant Chymiste croit pouvoir se passer absolument du Phlogistique" (Encyclopédie méthodique, article chymie, p29).

 

Pourtant, trois ans plus tard, c'est avec Lavoisier qu'il présentera la Méthode de Nomenclature Chimique qui bannira le phlogistique de l'univers de la chimie.

 

Influent à l'Académie des sciences, Lavoisier (1743-1794) a su attirer autour de lui des collaborateurs efficaces et enthousiastes qui soutiennent sa théorie : Antoine-François Fourcroy (1755-1809), Claude Louis Berthollet (1748-1822), Jean Henri Hassenfratz (1755-1827), Pierre Auguste Adet (1763-1834).

 

C'est ce groupe, réuni autour de Lavoisier, qui accueille Guyton de Morveau quand il vient à Paris en février 1787 avec son projet de nomenclature déjà bien avancé. Avec lui, ils rédigent la nouvelle "Méthode de Nomenclature Chimique" présentée à l'assemblée publique de l'Académie des Sciences du 17 avril 1787.

 

Guyton de Morveau est chargé d'en présenter les nouveaux termes. L'oxygène, l'hydrogène et l'azote sont les premiers nommés. Concernant le nom des acides, l'un d'entre eux pose problème.

 

"Aucun n'a reçu autant de noms différents que ce gaz, auquel M. Black donna d'abord le nom d'air fixe, en se réservant expressément de changer dans la suite cette dénomination, dont il ne se dissimulait pas l'impropriété. Le peu d'accord des chimistes de tous les pays sur ce sujet nous laissait, sans doute, une liberté plus entière, puisqu'il nous montrait la nécessité de présenter enfin des motifs capables de décider l'unanimité : nous avons usé de cette liberté suivant nos principes.

 

Quand on a vu former l'air fixe par la combinaison directe du charbon et de l'air vital, à l'aide de la combustion, le nom de cet acide gazeux n'est plus arbitraire, il se dérive nécessairement de son radical, qui est la pure matière charbonneuse ; c'est donc l'acide carbonique, ses composés avec les bases sont des carbonates ; et, pour mettre encore plus de précision dans la dénomination de ce radical, en le distinguant du charbon dans l'acceptation vulgaire, en l'isolant par la pensée, de la petite portion de matière étrangère qu'il recèle ordinairement, et qui constitue la cendre, nous lui adaptons l'expression modifiée de carbone, qui indiquera le principe pur, essentiel du charbon, et qui aura l'avantage de le spécifier par un seul mot, de manière à prévenir toute équivoque."

 

De façon paradoxale, c'est donc l'acide carbonique, que nous désignons actuellement comme gaz carbonique dans le langage courant ou dioxyde de carbone dans une langue plus savante, qui a donné son nom au carbone !

 

La remarque n'est pas anodine. C'est le dioxyde de carbone, l'ancien "gas silvestre" ou "air fixe", qui relie la craie la plus blanche à la noirceur du charbon. Le charbon, bois fossilisé, faisant lui-même le lien entre le minéral et le végétal. Comment aurions-nous pu décrire ce "cycle du carbone" qui associe matière inerte et matière animée ; que serait devenue la "chimie organique", si Lavoisier s'en était tenu à son choix initial "d'acide crayeux aériforme" ?

 

Ce choix étant fait, la réaction de combustion du carbone peut désormais s'écrire dans une formulation qui nous est compréhensible.

 

Carbone + oxygène → gaz acide carbonique 

 

Le mot carbone est entré dans le langage quotidien et est partout compris dans le monde. Pourtant, nous verrons, à présent, qu'il ne s'est cependant pas imposé sans de fortes réticences.

 

 

 

 

 

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pour aller plus loin voir :

 

Un livre chez Vuibert.

 

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Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…


Coupable : le dioxyde de carbone.

 

Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.

 

L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone et celle du CO2.

 

L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole.

 

Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.

 

Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
 

Seront-ils entendus ?

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