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16 décembre 2017 6 16 /12 /décembre /2017 16:17

Le texte ci-dessous est extrait de la thèse de Michel Chalopin sur  L’enseignement mutuel en Bretagne de 1815 à 1850.

 

 

Les sociétés locales Reflets plus ou moins fidèles de la Société de Paris, les sociétés locales ont joué un rôle inédit dans la propagation de l’enseignement mutuel. Bien que leur création ait été encouragée par le ministre de l’Intérieur qui y voyait un moyen de pallier les difficultés financières ou l’hostilité des municipalités, celles-ci ont surtout été l’œuvre de notables convaincus de l’importance de l’instruction du peuple et agissant de leur propre chef. Ce qui les caractérise, c’est qu’elles financent, au moins en partie, une école mutuelle. Elles détiennent également un rôle d’administration et de surveillance. Ce dernier aspect les mettra quelquefois en conflit avec les autorités locales ou universitaires. En Bretagne, on compte seulement quatre de ces sociétés, à Nantes, Landerneau, Saint-Brieuc et Guingamp. Cependant, cette dernière ne sera pas étudiée car les documents sont trop lacunaires et ne permettent pas une comparaison avec les autres.

 

A Landerneau, l’école des industriels.

 

La première évocation d’une école mutuelle à Landerneau a lieu au sein du comité cantonal que l’inspecteur d’académie, Delamarre, réunit lors de sa tournée de l’été 1817. Nul doute que la proposition d’établir une telle école est venue de ce fonctionnaire car partout où il passe, il n’a de cesse de prêcher en faveur de la nouvelle méthode. Les membres du comité, tout en accueillant favorablement le projet, le reportent cependant à des jours plus propices.

 

Le projet généreux d’un ingénieur des Ponts-et-Chaussées

 

Pourtant, quelques mois plus tard, l’idée d’introduire l’enseignement mutuel à Landerneau commence à prendre forme grâce à l’action de Jean-Sébastien Goury, notable important appartenant à une riche famille de Landerneau. Celui-ci mène alors une brillante carrière dans l’administration des Ponts-et-Chaussées après avoir fait ses études à Paris en 1796, essentiellement à l’Ecole Polytechnique. Revenu dans son Finistère natal en 1801 en tant qu’ingénieur, il y exerce jusqu’en 1818, période à laquelle il est muté dans les Vosges, puis dans d’autres départements. Il faut attendre 1834 pour voir son retour au pays breton, cette fois avec le titre de directeur. Il finira sa carrière après avoir atteint, en 1840, le grade d’inspecteur général. Parallèlement à sa carrière administrative, il s’occupe également de politique et devient député en 1839 pour l’arrondissement de Châteaulin (Finistère). A la Chambre, il siège parmi les ministériels jusqu’en 1848, date à laquelle il se retire des affaires publiques.

 

Quand Jean-Sébastien Goury intervient auprès du maire de Landerneau au sujet de l’école mutuelle, il semble agir à la demande du préfet mais ses initiatives dépassent celles d’un simple émissaire, dévoilant plutôt l’action d’un véritable partisan de ce nouveau système d’enseignement. Ainsi, l’ingénieur échafaude un plan qui ne manque ni de réalisme, ni d’originalité. Tout d’abord, il n’attend rien du comité cantonal d’instruction primaire dont les membres, à ses yeux, sont peu préoccupés des affaires pour lesquelles on les a désignés. Il désire ensuite que l’école mutuelle soit administrée par des souscripteurs, indépendamment de la commune. Le principe est que les parents riches paient des rétributions suffisamment élevées pour pouvoir rémunérer un maître et instruire gratuitement une certaine proportion d’enfants pauvres. Il pense convaincre facilement les familles aisées car les tarifs qu’il propose sont concurrentiels par rapport à ce qui existe. Il déclare à ce propos : « On paye aujourd’hui en se fournissant plumes, encre et papier, un écu pour aller perdre son temps et ne rien apprendre en deux ou trois ans, on payera avec plaisir 4 francs pour apprendre à lire et à bien écrire en moins d’un an. » Il a d’ailleurs déjà sondé à ce sujet la plupart des notables de Landerneau dont une douzaine au moins sont prêts à envoyer leurs enfants à l’école mutuelle.

 

Cependant, les écoliers recrutés ne sont pas assez nombreux pour, à la fois, garantir un traitement décent au maître et pourvoir aux frais de fonctionnement de l’établissement.

 

Face à cette difficulté Goury, décidément très inventif, propose d’instruire les filles et les garçons dans le même local par le même maître mais à des heures différentes. Le clergé local va alors s’emparer de cette « bizarrerie » pour tuer dans l’œuf un projet qu’il voit d’un très mauvais œil. Les ecclésiastiques, loin de se contenter des accords de principe de leur évêque vis-à-vis de l’enseignement mutuel, paraissent accorder davantage de confiance aux propos diffusés par l’Ami de la religion et du roi, véritable arme de propagande cléricale qui se déchaîne contre la nouvelle méthode.

 

Face à la méfiance des prêtres, Goury est obligé d’user de diplomatie pour faire admettre une idée à laquelle il croit profondément. On le voit ainsi, armé des tableaux de lecture de l’enseignement mutuel, essayer de convaincre les membres du comité cantonal, composé, entre autres, du curé qui en est le président et d’un autre ecclésiastique, l’abbé Vistorte, aumônier des calvairiennes. Il explique au préfet les stratagèmes utilisés dans cette diplomatie un peu particulière : « J’ai mis en jeu toute ma rhétorique ; j’ai pris des détours sans nombre pour arriver à mon but ; j’ai flatté, j’ai eu l’air d’approuver sa sainte fureur ; j’ai même représenté au curé que c’était peut-être une raison pour faire bonne contenance et pour s’emparer en quelque sorte de l’établissement afin de le diriger d’une manière utile aux intérêts de la religion ; je lui ai proposé de mettre à la tête comme professeur un des vicaires ; (je savais que la chose était impossible). Profitant du regard favorable que m’a valu cette proposition, je suis parvenu à me faire écouter et à ébranler un peu le parti de l’opposition. J’ai déroulé les tableaux, j’ai donné des détails sur la méthode, sur les travaux des enfants et nous avons fini par ne faire plus que six têtes dans un bonnet. »

 

Les prêtres sont-ils vraiment convaincus ? Quoi qu’il en soit, ils décident d’écrire, en l’absence de l’évêque, au vicaire général du diocèse, l’abbé Tromelin, pour connaître son avis sur l’éventualité d’une école mutuelle à Landerneau. L’opinion déjà connue du prélat, favorable envers ces écoles, ne leur suffit-elle pas ? Ont-ils voulu court-circuiter la volonté de l’évêque en n’attendant pas son retour et en s’adressant à son grand vicaire qui, espéraient-ils, avait peut-être un autre avis sur la question ? C’est possible. En tout cas, Goury, comprenant sans doute la manœuvre, s’empresse de recommander au préfet de rencontrer au plus vite cet auxiliaire de l’évêque pour l’enjoindre à donner, à l’instar de son supérieur, un avis favorable envers l’école mutuelle projetée.

 

On ne connaît pas la réponse du vicaire général mais l’attitude des ecclésiastiques va devenir, à partir de ce moment, plus subtile. Au lieu de s’opposer à l’établissement de l’école mutuelle, ce qui serait récuser les accords antérieurs passés entre l’évêque et le préfet sur cette question, ces derniers préfèrent louvoyer et approuver ce genre d’établissement, mais à la condition qu’il ne concerne que les garçons. En réalité, ils savent pertinemment que le projet n’est pas viable financièrement si les filles ne sont pas adjointes.

 

Le clergé n’est pas le seul obstacle que Jean-Sébastien Goury trouve sur sa route. Le préfet lui-même, pourtant partisan de l’enseignement mutuel, n’approuve pas que le maître enseigne les petites filles. Il trouve cela inconvenant. Sans doute, anticipe-t-il également l’opposition du clergé sur ce point. Le magistrat propose alors qu’on renonce à l’école des filles. Cependant, Goury, pour des raisons financières qui ont déjà été expliquées, ne pouvant suivre l’opinion du préfet, son principal associé dans cette affaire, a trouvé, là encore, une solution. Il émet l’idée d’une surveillance faite par une femme pendant les heures où les filles seraient assemblées sous la direction du maître. Le conseil municipal, consulté sur ce projet, approuve cet arrangement.

 

Quant au préfet, on ne connaît malheureusement pas son avis. Goury doit d’ailleurs attendre près de deux mois une réponse de sa part, ce qui prouve probablement son embarras. Après le préfet, Goury doit également composer avec le maire et son conseil municipal sur la question de l’administration de l’école. Goury propose une société de souscripteurs gestionnaires de l’école. Mais ce mode d’administration ne convient pas au maire qui préfère voir l’établissement entrer dans le giron communal. Ce dernier argumente sa position ainsi : « Il semble que ce plan (celui de Goury) ne s’accorde pas avec l’intention de Monsieur le Préfet, que c’est, en effet, à la commune que ce magistrat offre un secours de 400 francs pour faire face aux premiers frais, et que c’est la commune qu’il charge de passer bail du local qui sera choisi et de porter en cas de besoin le loyer annuel dans ses budgets. » Goury acceptant ce point de vue, le conseil municipal décide finalement de retoucher le règlement que l’ingénieur avait conçu.

 

Quand Goury prend connaissance des changements apportés au règlement, il ne peut cacher sa déception. Il écrit alors au préfet : « Je n’ai parcouru que hier le projet de règlement de la société (…) je vois avec peine que cet acte n’est pas conformé à celui présenté et arrêté en conseil. Celui-ci avait 38 articles, celui-là n’en a que 15 ou 16. Dans celui qui vous a été présenté, M. le Maire s’installe comme président de la société et s’adjoint le curé et le juge de paix, en transporte en un mot le comité cantonal. Il n’a pas réfléchi que cette disposition était inconvenante et incompatible avec celles des articles 8 et 9 de l’ordonnance. Ces messieurs ne peuvent être à la fois surveillés et surveillants, et ne feront probablement pas partie de l’association ; plusieurs articles très utiles ont été supprimés et véritablement j’ai été surpris qu’après avoir voulu m’investir d’une confiance illimitée, M. le Maire n’ait pas jugé à propos de me consulter sur des changements aussi notables, à un acte qui avait été consenti par une association d’individus sur lesquels j’avais compté pour la réussite de notre projet et dont la retraite pourrait nuire. » Mais Goury ne veut pas perdre de temps en querelles inutiles et c’est en homme sage qu’il déclare : « Le mieux est ennemi du bien, ayons notre école et laissons l’amour propre se loger sur des fauteuils plus élevés. »

 

Après les difficultés survenues avec le clergé, le préfet et le maire, il faut encore subir les humeurs du sous-préfet. Ce dernier, pour des raisons personnelles, fait valoir ses préférences quant au choix du maître. Il s’oppose ainsi à la nomination de Mollier à la tête de l’école mutuelle, compliquant ainsi les projets de Goury. Le sous-préfet se plaint que cet instituteur, choisi par la municipalité, est dur envers ses élèves. Les raisons avouées du sous-préfet en cachent-elles d’autres ? En effet, Mollier est bien connu du magistrat car il a travaillé dans ses bureaux. N’assiste-t-on pas alors à une sorte de vengeance du sous-préfet envers un subalterne qui n’aurait pas donné satisfaction ? D’ailleurs, Goury s’étonne qu’on dénonce un maître qui non seulement a été autorisé mais qui, en outre, paraît convenir aux parents d’élèves qui fréquentent son école. Il en appelle au préfet pour régler cette affaire. Toutefois, malgré les embûches qui se dressent sur son chemin, Goury montre par sa ténacité, sa force de conviction et son esprit de conciliation qu’il est un vrai philanthrope, attaché au bien de l’humanité plus qu’au pouvoir. Il souffre de voir les enfants vagabonder dans les rues, miséreux et sans instruction. Il pense que dans cette misère germe le ferment du désordre politique et social. Malheureusement, il n’a pas le temps de voir le résultat de ses efforts car il est appelé à exercer à l’autre bout du pays, dans les Vosges.

 

La relance avortée du sous-préfet

 

Après le départ de Jean-Sébastien Goury, le projet d’établir une école mutuelle paraît bel et bien enterré. Mais 400 francs avaient été donnés pour sa réalisation par le préfet à la commune de Landerneau. Cet argent, resté inemployé, embarrasse alors le maire. En réalité, sur cette somme, il reste 388 francs car 12 francs avaient été payés à Goury pour l’achat des tableaux. Cette fois, c’est le sous-préfet, voulant donner suite au projet présenté par l’ingénieur des Ponts-et-Chaussées, qui propose un nouveau plan de financement. Ainsi, les 388 francs, reliquat de la subvention préfectorale, iraient pour les frais de premier établissement. Le traitement de l’instituteur, y compris celui de sa femme chargée de l’instruction des filles, serait de 900 francs annuels. Le sous-préfet suggère de ne payer que les premier huit mois pour commencer puisque l’école ne pourra pas s’ouvrir avant le 1er mai 1819. A cette fin, le magistrat pense utiliser l’excédant de 438,96 francs qui se trouve au budget de la ville de Landerneau pour 1819 auquel il ajouterait une partie de la somme destinée au secours des indigents, à savoir 346 francs. Le sous-préfet fait remarquer également à son supérieur que les préventions des ecclésiastiques au sujet du mélange des sexes ne sont plus fondées puisque la femme du futur directeur de l’école mutuelle se chargera de l’enseignement des filles à des heures différentes de celles des garçons.

 

Le préfet n’approuve pas le recours à la somme destinée au secours des indigents. Il préfère compter sur les seules ressources communales et sur la rétribution des élèves payants. Il est convaincu, cependant, par les arguments du sous-préfet de Brest en ce qui concerne l’enseignement séparé des garçons et des filles. Aussi écrit-il à l’évêque pour lever l’opposition cléricale locale. Mais le curé de Landerneau et l’abbé Vistorte font de la résistance. Ils avancent cette fois des suppositions qui ne font que mettre en évidence leur mauvaise foi. Ainsi, le curé déclare à son évêque : « Les motifs de notre opposition à l’établissement d’une école mutuelle à Landerneau sont 1°. Qu’il ne serait pas possible, surtout en hiver, d’empêcher la réunion simultanée des garçons et des filles, ce qui nous a paru dangereux pour les mœurs. 2°. Qu’il n’est pas question d’établir une institutrice pour les filles, qu’on déclare même qu’il n’y a point de fonds suffisants pour cela et qu’en conséquence l’instituteur sera chargé de l’instruction des deux sexes, ce que toujours nous avons voulu défendre par les règlements des diocèses. Cette école, d’après ce que l’on nous a déclaré au comité, ne pourrait se soutenir que par les contributions de ceux qui voudraient y envoyer leurs enfants et je suis persuadé que la plupart des gens aisés ne voudraient pas y envoyer les leurs, vu les inconvénients dont j’ai déjà parlé. »

 

L’évêque, en cette affaire, tranche en faveur du curé de Landerneau. Il confie : « Monsieur le curé de Landerneau est un des pasteurs les plus respectables de mon diocèse et aussi éloigné de tout esprit d’exagération qu’il est rempli de zèle pour tout ce qui peut contribuer au bien de ses paroissiens. » Le préfet juge sans doute plus sage de se conformer à l’avis du prélat. Pour calmer les craintes des ecclésiastiques, il demande donc que la commune garantisse un revenu pour l’institutrice. Il rappelle, en outre, que celle-ci devra être agréée par le comité cantonal, autrement dit par le curé et l’abbé Vistorte. Enfin, toute possibilité de rencontre entre les filles et les garçons doit être évitée. Il explique : « La différence des heures des leçons pour les deux sexes doit être assez grande, dans toutes les saisons pour qu’ils ne se trouvent jamais ensemble soit à la sortie soit à l’entrée de l’école116. » Voulant donner des gages sûrs au clergé, le préfet exige que l’on abandonne le projet pour les filles si toutes ces conditions ne sont pas réunies.

 

Face aux exigences préfectorales, relayant celles des ecclésiastiques, le conseil municipal déplore l’insuffisance de ses fonds. En outre, il n’est pas prêt à céder, pour l’établissement de l’école mutuelle, les sommes inutilisées restant au budget 1819. Il préfère réserver cette somme pour l’entretien des pavés, trahissant ainsi un intérêt peu soutenu pour l’instruction primaire. Ainsi, le projet était enterré une deuxième fois.

 

La victoire des négociants

 

Finalement le troisième et dernier acte est joué par quatre négociants qui ont sans doute été à l’origine du projet et dont l’ingénieur Goury, frère de l’un d’entre eux, s’est fait le porte parole. Ceux-ci constatant le refus de la commune de pourvoir aux frais d’établissement d’une école mutuelle à Landerneau, s’engagent à le financer moyennant le versement des secours accordés antérieurement par le préfet. Ils sont décidés à demander un instituteur à l’école modèle de Paris, ce qui indique leur désapprobation vis-à-vis de Mollier, maître choisi par la commune pour diriger l’école mutuelle. Ils expliquent au sous-préfet qu’ils veulent un instituteur qui connaisse la méthode dans toute sa pureté. Ces quatre hommes sont animés de sentiments philanthropiques. Ils déclarent qu’ils ont voulu jeter leur regard sur la classe laborieuse qui n’a pas les moyens d’assurer l’instruction à ses enfants. Ils font de cette instruction une condition essentielle de l'ordre social et politique qui doit régner en France. Ils s’affirment ainsi en accord avec les vues de la Société pour l’Instruction élémentaire.

 

Parmi ces quatre notables, se trouvent les trois figures de proue de l’industrie naissante à Landerneau, à savoir, Jean-Isidore Radiguet, Joseph-Marie Goury et François Heuzé. Ceuxci formeront, en 1821, une société ayant pour but la fabrication et le commerce de la toile de lin. Au début de la monarchie de Juillet, leurs ateliers emploieront 300 ouvriers, tisserands et blanchisseuses, auxquels s’ajouteront les services de 200 fileuses et 25 métiers répartis dans des fabriques rurales. Poursuivant avec succès leur entreprise, ils seront en 1845 les fondateurs de la Société linière du Finistère, exemple unique d’industrialisation à cette époque dans ce département.

 

Le premier de ces notables, Jean-Isidore Radiguet s’occupe, au début de la Restauration, du négoce de la toile et des graines. Son père, d’origine normande, avait luimême acheté une fabrique de toile dans la région122. Le deuxième, Joseph-Marie Goury, appartient à une famille de Landerneau, dont la fortune est liée, d’une part, aux fonctions fiscales de son père sous l’Ancien Régime et, d’autre part, au commerce de la toile et des vins. Ces deux hommes feront partie du conseil municipal à la fin de la Restauration et au début de la monarchie de Juillet. Joseph-Marie Goury semble s’être particulièrement engagé dans le développement de l’instruction primaire car il sera, sans discontinuité, de 1833 à 1850, membre assidu du comité local formé à cet effet à Landerneau. Sur le troisième, François Heuzé, on a peu de renseignements. On suppose son ascension sociale plus récente car le sous-préfet de Brest a noté en 1852 qu’il était «fils de ses œuvres ». Il deviendra le premier président de la Société linière du Finistère en 1845. Son fils, Gustave, élève de l’école mutuelle de Landerneau, lui succèdera. Enfin, en ce qui concerne Andrieux, le moins connu des quatre, celui-ci ne paraît pas, au contraire des trois autres, avoir fait partie de la Société linière. Cependant, il figure parmi les négociants les plus riches de Landerneau payant une patente aussi élevée que celle de Radiguet ou Heuzé.

 

Pendant plusieurs années, ces quatre hommes administrent l’école mutuelle de Landerneau. Ils trouvent, au printemps 1820, en la personne du capitaine Tourrette, le maître qui dirigera leur établissement. Madame Tourrette enseignera les filles dans une salle séparée mais à des heures identiques contrevenant ainsi aux prescriptions cléricales. Les notables ont voulu l’enseignement pour les filles et les garçons. Ils l’ont voulu aussi pour les riches et les pauvres. Max Radiguet, se référant à ses souvenirs d’enfance, l’affirme : « Toutes les classes de la société fournissaient leur contingent à l’école mutuelle. L’aristocratie, la roture, le prolétariat de la ville y étaient représentés presque en parties égales, sans que les relations entre écoliers aient sensiblement accusé ces différences de niveau social.» Il ajoute cependant que les costumes trahissaient l’inégalité des conditions sociales. Il note ainsi les pantalons des paysans retenus au milieu du ventre par un large au bouton ou le plus souvent une cheville de bois et ceux des autres portés plus haut et attachés par une bretelle ou boutonnés sous les bras. Il se souvient des coiffures bigarrées : « les casquettes de loutre pelées, les chapeaux vernis avec des cassures raccommodées au fil blanc, les bonnets phrygiens en laine brune des campagnards et le serre-tête à trois pièces du premier âge» Enfin, au-delà de la diversité des habits, il souligne ce qui différencie essentiellement le pauvre du riche : « Un peu d’ordre dans la tenue, du linge blanc, un coup de peigne distinguaient ceux d’entre nous qui appartenaient à la classe aisée. »

 

En réalité, si l’on en croit le maître lui-même, l’école ne correspond pas à cette vision idéalisée du mélange social. Ainsi, s’adressant aux fondateurs, dix ans après l’ouverture de l’école, celui-ci remet en cause le caractère philanthropique de leur œuvre : « La concession que vous obtîntes n’avait rien de moins que l’intérêt particulier et non celui de la commune, les rétributions que vous portâtes à 3 francs par élève étant trop élevées pour une pauvre ville comme Landerneau (...) aussi n’ai-je eu depuis 10 ans que les parents des enfants un peu aisés et tous ont passé sous ma direction au nombre de plus de 500 des deux sexes.»

 

Le maître ignore-t-il l’objectif de départ qui était d’assurer l’instruction des plus pauvres par les rétributions des plus riches ? Désabusé vis-à-vis des fondateurs, il force sans doute le trait. Des indigents ont sûrement fréquenté l’école mutuelle mais ils n’y ont jamais été nombreux. D’ailleurs, ayant entre 30 et 60 élèves, parmi lesquels une cinquantaine de payants était nécessaire pour assurer les appointements du maître, la proportion d’indigents devait être faible. Le projet, tel qu’il avait été pensé au départ, n’a jamais pu se réaliser. Sans doute les préjugés sociaux étaient plus importants que ne le laissaient paraître les propos de Max Radiguet. Les difficultés financières ont dû également l’hypothéquer.

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15 décembre 2017 5 15 /12 /décembre /2017 13:03

En 1876, un article de la revue La Nature annonce un événement de première importance dans le domaine de la chimie. Le chimiste Lecoq de Boisbaudran a isolé un corps auquel il a donné le nom de gallium. En référence au coq, ce gallinacé dont il porte le nom ou pour honorer sa patrie, la Gaule ? La controverse n'est pas tranchée.

 

A l'occasion de cette annonce le chimiste rend hommage à Mendeleev :

 

"il n'est pas besoin d'insister, dit-il, sur l'extrême importance qui s'attache à la

confirmation des vues théoriques de M. Mendeleev concernant la densité du nouvel élément.

On reste en effet frappé d'étonnement quand on compare les propriétés du métal que M. Mendeleev décrivait comme devant exister, avec celle du gallium actuellement mis à jour."

Ce métal, Medeleev l'avait prévu dès 1869 et il lui avait donné le nom de ekaaluminium. Gaston Tissandier qui signe l'article relève l'importance de l'événement : 

 

"Cette découverte prend donc actuellement un caractère  d'une importance capitale. L'apparition du gallium, ainsi comprise, ouvre à la science de nouveaux horizons. de même que l'astronomie révèle, par le calcul, l'existence de planètes ignorées, la chimie, s'appuyant sur des conceptions purement théoriques, peut également dévoiler celle des éléments, avant qu'on ait imaginé les réactions destinées à les faire connaître". 

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10 décembre 2017 7 10 /12 /décembre /2017 09:22

Ils sont partout

... dans la terre, les océans et les déserts. Ils vivent d’incroyables épopées sous nos pieds. Ils ont beaucoup de pouvoirs… et en particulier celui de donner la vie, car sans eux nous ne sommes rien. Ils … sont invisibles pourtant. Ce sont les microbes

Marc- André Selosse, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle va nous embarquer aujourd’hui dans le monde microscopique des bactéries et des champignons. Ce sont eux les véritables héros du royaume du vivant.

Ecouter : Les Savanturiers

 

Jamais seul

Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations

Nous savons aujourd’hui que les microbes ne doivent plus seulement être associés aux maladies ou à la décomposition. Au contraire, ils jouent un rôle en tous points essentiel : tous les organismes vivants, végétaux ou animaux, dépendent intimement de microbes qui contribuent à leur nutrition, leur développement, leur immunité ou même leur comportement. Toujours pris dans un réseau d’interactions microbiennes, ces organismes ne sont donc… jamais seuls.
Au fil d’un récit foisonnant d’exemples et plein d’esprit, Marc-André Selosse nous conte cette véritable révolution scientifique. Détaillant d’abord de nombreuses symbioses qui associent microbes et plantes, il explore les propriétés nouvelles qui en émergent et modifient le fonctionnement de chaque partenaire. Il décrypte ensuite les extraordinaires adaptations symbiotiques des animaux, qu’ils soient terrestres ou sous-marins. Il décrit nos propres compagnons microbiens – le microbiote humain – et leurs contributions, omniprésentes et parfois inattendues. Enfin, il démontre le rôle des symbioses microbiennes au niveau des écosystèmes, de l’évolution de la vie, et des pratiques culturelles et alimentaires qui ont forgé les civilisations.
Destiné à tous les publics, cet ouvrage constitue une mine d’informations pour les naturalistes, les enseignants, les médecins et pharmaciens, les agriculteurs, les amis des animaux et, plus généralement, tous les curieux du vivant. À l’issue de ce périple dans le monde microbien, le lecteur, émerveillé, ne pourra plus porter le même regard sur notre monde.
 
Professeur du Muséum national d’Histoire naturelle, Marc-André Selosse enseigne dans plusieurs universités en France et à l’étranger. Ses recherches portent sur les associations à bénéfices mutuels (symbioses) impliquant des champignons, et ses enseignements, sur les microbes, l’écologie et l’évolution. Il est éditeur de revues scientifiques internationales et d’Espèces, une revue de vulgarisation dédiée aux sciences naturelles. Il est aussi très actif dans ce domaine par des conférences, vidéos, documentaires et articles.
 

« Marc-André Selosse écrit de façon précise, dense, sans mot inutile, refusant le jargon, dans un style élégant et plein d'humour (...). Cet ouvrage a un mérite supplémentaire, assez rare pour qu'il importe de le signaler : il ne contient jamais rien d'ennuyeux. »

Francis Hallé, extrait de la postface

 

 

 

 

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9 décembre 2017 6 09 /12 /décembre /2017 08:45

Notre époque charge le dioxyde de carbone, le CO2, d’une lourde malédiction. C’est l’ennemi numéro un de notre environnement, le coupable, clairement désigné, de "crime climatique".

Qui peut encore le nier ? Mais qui peut refuser de voir que la dangereuse augmentation du CO2 dans l’atmosphère est le résultat de l’emballement d’un monde industriel développé qui gaspille les ressources fossiles accumulées sur la planète au cours de millions d’années et les disperse sous forme d’objets inutiles et de polluants multiples.

Qui, dans ce contexte, se souvient encore que le CO2 est d’abord l’aliment des plantes nécessaires à notre alimentation et que celles-ci, de plus, libèrent, en échange de leur consommation de CO2, l’oxygène que nous respirons à plein poumons ?

L’histoire de la découverte du dioxyde de carbone et de son rôle dans le fonctionnement du vivant est une aventure à rebondissements qui mérite d’être contée.

Après Van Helmont, Hales, Joseph Black, Priestley : Charles Bonnet, Jan Ingenhousz, Jean Senebier. Trois savants qui ont éclairé l’alimentation et la respiration des plantes.


Charles Bonnet (1720-1793) et l’alimentation des plantes par leurs feuilles.

 

Charles Bonnet, né le 13 mars 1720 à Genève et mort le 20 mai 1793 dans la même ville est un naturaliste et philosophe suisse. On le connaît surtout pour ses études sur les insectes et sa description de la parthénogenèse chez le puceron.

En 1754 il publie ses "Recherches sur l’usage des feuilles dans les plantes".

 

S’inspirant des études de Stephen Hales, il souhaite étudier la nature des échanges dans les feuilles et en particulier la façon dont elles participent à l’absorption de l’eau. Les deux faces d’une feuille sont différentes, "la surface supérieure est ordinairement lisse et lustrée" observe-t-il, "la surface intérieure au contraire est pleine de petites aspérités ou garnies de poils courts", il imagine donc une série d’expériences à partir d’une hypothèse :

 

"Ces différences assez frappantes ont sans doute une fin. L’expérience démontre que la rosée s’élève de la terre. La surface inférieure des feuilles, aurait-elle été principalement destinée à pomper cette vapeur et à la transmettre dans l’intérieur de la plante ? "

 

Pour y répondre, il imagine d’observer le comportement de feuilles disposées à la surface de l’eau en alternant les faces en contact avec le liquide. Celui-ci est contenu dans le récipient qui lui semble le mieux adapté par la largeur de son col : un vase à large ouverture désigné sous le nom de "poudrier" et dont on se sert également pour contenir des confitures.

 

Il multipliera les expériences ainsi que la nature des feuilles : lilas, poirier, vigne, tremble, laurier, cerisier, prunier, marronnier d’inde, murier blanc, tilleul, peuplier, abricotier, noyer, noisetier, chêne…

 

Les résultats obtenus n’auraient pas laissé une trace impérissable si une observation fortuite n’avait modifié le programme initial. C’est maintenant la totalité de la feuille qu’il décide de plonger dans l’eau.

 

"Au commencement de l’été de 1747, j’introduisis dans des Poudriers pleins d’eau, des rameaux de vigne. Ces rameaux appartenaient au cep planté dans le milieu d’un jardin.

 

Dès que le soleil commença à échauffer l’eau des vases, je vis paraître sur les feuilles des rameaux, beaucoup de bulles semblables à de petites perles. J’en observais aussi, mais en moindre quantité, sur les pédicules et sur les tiges.

 

Le nombre et la grosseur de ces bulles augmentèrent à mesure que l’eau s’échauffa davantage. Les feuilles en devinrent même plus légères ; elles se rapprochèrent de la superficie de l’eau".

 

Au fur et à mesure de la journée, les bulles qui adhèrent fortement aux feuilles grossissent au point que le diamètre de certaines "égalait à peu près celui d’une lentille". Mais une surprise attend l’observateur :

 

"Toutes disparurent après le coucher du soleil. Elles reparurent le lendemain matin, lorsque cet Astre vint à darder ses rayons sur les poudriers".


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Expérience de Bonnet : feuille dans un poudrier plein d’eau.


Les bulles réapparaissent encore le jour suivant mais en moins grande quantité. Pourtant, remarque Charles Bonnet, la température a augmenté. Ce qui ne manque pas de l’étonner dans la mesure où il imagine que l’émission de bulles est liée à la température de l’eau. Sans doute n’avait-il pas remarqué que l’ensoleillement, comme on peut le penser, avait, quant à lui, diminué.

 

Que contiennent ces bulles ? Il n’imagine pas que cela puisse être autre chose que de l’air qui est encore, pour lui comme pour Stephen Hales, un élément indécomposable.

 

Quelle conclusion de ces observations ? Charles Bonnet sait que l’air se dissout dans l’eau et ceci d’autant plus que celle-ci est froide. Il sait, aussi, que de l’air entre dans les feuilles des plantes par leurs pores. Un échange entre les feuilles et l’eau aurait donc lieu. La chaleur ferait sortir l’air, des pores des feuilles, en trop grande quantité pour que l’eau puisse le dissoudre. Il se formerait donc des bulles retenues sur leur surface. Le froid produirait l’effet inverse.

 

Charles Bonnet n’aura pas vu le rôle réel du soleil ni su caractériser le gaz qui se dégage. Il aura quand même eu le mérite d’avoir su observer un phénomène que d’autres interpréteront avec plus de bonheur. Son nom et son dispositif expérimental ne seront pas oubliés.

 

Trente ans plus tard, un médecin et botaniste Britannique d’origine néerlandaise, Jan Ingenhousz (ou Ingen-Housz, 1730-1799), saura comprendre le rôle de la lumière solaire dans ce mécanisme.


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Jan Ingenhousz : le soleil rythme la vie des végétaux.

 

Jan Ingenhousz (ou Jan Ingen-Housz) est un médecin et botaniste britannique d’origine néerlandaise, né le 8 décembre 1730 et mort le 7 septembre 1799.

 

Le médecin Sir John Pringle (1707-1782) l’encourage à entreprendre des études de médecine. Il s’installe à Londres à l’invitation de Pringle, alors président de la Royal Society et médecin du roi. Ingenhousz fréquente alors de grands scientifiques comme Joseph Priestley (1733-1804) et Benjamin Franklin (1706-1790).

 

Il publie en 1779, à Londres ses "Expériences sur les Végétaux" avec comme sous-titre : "Spécialement sur la propriété qu’ils possèdent à un haut degré, soit d’améliorer l’air quand ils sont au soleil, soit de le corrompre la nuit, ou lorsqu’ils sont à l’ombre".

 

Il traduit lui-même, en français, l’ouvrage rédigé en anglais, car, dit-il dans son introduction, "ce fût la crainte seule qu’un traducteur ne saisît pas partout mes idées, qui me détermina à le traduire moi-même". Le livre en français est publié pour la première fois dans l’été 1780, puis plusieurs fois réédité, notamment en 1787. Il sera ultérieurement traduit en hollandais et allemand.

 

Le sous-titre est explicite. Il connait les travaux de Priestley, dont il fait un éloge prononcé. Il lui reconnaît le mérite d’avoir montré que les plantes pouvaient purifier l’air vicié dans lesquelles on les plaçait. Il revendique, par contre, celui d’avoir montré le rôle de la lumière solaire dans ce phénomène, ce que n’avait pas vu Priestley.

 

"Il n’existe aucun ouvrage publié avant le mien, dans lequel l’auteur ait déduit … en termes exprès, que les végétaux répandent de l’air déphlogistiqué alentour d’eux au soleil seulement ".

 

Une des raisons de son succès est le fait que son dispositif expérimental tranche avec celui de Charles Bonnet. Que peut-on prouver en faisant agir le soleil sur des plantes recouvertes d’eau, dit-il, vu qu’elles ne "sont pas couvertes d’eau dans l’état naturel" ?

 

Il est vrai que les conditions expérimentales guident l’observation. Placer les feuilles dans l’eau, le jour, au soleil, fait immédiatement apparaître un dégagement de bulles d’oxygène parfaitement visibles. Par contre, le dioxyde de carbone étant très soluble dans l’eau, aucune bulle de ce gaz n’apparaît quand il se dégage le jour ou la nuit.

 

Ingenhousz, quant à lui, s’inspire des montages expérimentaux de Priestley qui place une plante sous une cloche pleine d’air ou d’un autre gaz.

 

C’est, en effet, après avoir pris connaissance de ses expériences sur la respiration des plantes qu’il a lui-même engagé ce travail, "brûlant de suivre les traces de la Nature dans ses merveilleuses opérations, annoncées et mises dans un si beau jour par cet homme respectable".

 

"Lorsque je trouvais dans les ouvrages de ce génie inventeur, écrit-il, de ce célèbre physicien, le docteur Priestley, l’importante découverte que la végétation d’une plante devient plus vigoureuse dans un air putride, et incapable d’entretenir la vie d’un animal, et qu’une plante refermée dans un vase plein d’air devenu malsain par la flamme d’une chandelle, rend à nouveau à cet air sa pureté primitive, et la faculté d’entretenir la flamme, je fus saisi d’admiration".

 

Il reconnaît, surtout, à Priestley, la découverte de "ce fluide aérien merveilleux qui surpasse si fort en pureté et en salubrité (eu égard à l’usage de la respiration) le meilleur air atmosphérique".

 

Cet air (notre oxygène), dit-il, "mérite à juste titre le nom d’air vital". Il lui attribue cependant, comme Priestley, le nom d’air déphlogistiqué, c’est-à-dire d’air "destitué de ce principe inflammable dont le meilleur air de l’atmosphère se trouve plus ou moins mêlé, et par lequel l’air est d’autant plus nuisible, qu’il en contient davantage".

 

Il note, cependant qu’il a su aller plus loin que son célèbre confrère dans sa réflexion :

 

"En enfermant une plante pendant vingt-quatre heures sous une cloche remplie d’air métiphisé, il était facile à découvrir, par différents moyens connus depuis longtemps, si cet air était corrigé ou empiré ; mais il était impossible de distinguer si c’était simplement la lumière du jour ou l’obscurité de la nuit, ou la chaleur, ou la végétation, qui avait produit l’effet. Il fallait absolument examiner, pour décider la question, l’état de cet air après l’avoir enfermé avec une plante dans un endroit obscur, et le comparer avec un air semblable qui aurait été exposé au soleil avec une pareille plante".

 

Même s’il limite ainsi la portée de la découverte de Priestley, il lui reconnait d’avoir montré "que le règne végétal est subordonné au règne animal et que ces deux règnes se prêtent des secours mutuels ; de façon que les plantes contribuent à entretenir le degré de pureté nécessaire dans l’atmosphère, pendant que les exhalaisons des animaux, nuisibles à eux-mêmes, servent de nourriture aux plantes", leçon d’écologie avant l’heure.

 

Pourtant, Jan Ingenhousz va s’employer à détruire cette image de paradis terrestre.

 

La vie nocturne des plantes.

 

Les plantes ont un secret, nous dit-il : comme Pénélope, elles détruisent pendant la nuit ce qu’elles ont construit le jour !

 

Il a su le découvrir par plus de cinq cents expériences "toutes faites en moins de trois mois, depuis le commencement de juin jusqu’au commencement de septembre". C’est dire la frénésie qui avait saisi leur auteur !

 

Pour les réaliser, il s’est "soustrait au bruit de la capitale" en se retirant " dans un village à dix milles de Londres" et affirme ne pas l’avoir regretté en constatant que "ses veilles n’avaient pas été entièrement sans fruit".

 

Ses observations sont effectivement d’une telle richesse et ses conclusions si clairement exprimées qu’il nous semble utile d’en reproduire l’essentiel en nous contentant d’en souligner les points les plus remarquables.

 

Il souligne d’abord le rôle de la lumière solaire

 

"A peine, dit-il, fus-je engagé dans ces recherches, que la scène la plus intéressante s’ouvrit à mes yeux, j’observai :

 

- Que les plantes n’avaient pas seulement la faculté de corriger l’air impur dans l’espace de six jours ou plus, comme les expériences de M. Priestley semblent l’indiquer, mais qu’elles s’acquittent de ce devoir important dans peu d’heures, de la manière la plus complète.

 

- Que cette opération merveilleuse n’est aucunement due à la végétation, mais à l’influence de la lumière du soleil sur les plantes.

 

- Que les plantes possèdent en outre l’étonnante faculté de purifier l’air qu’elles contiennent dans leur substance, et qu’elles ont sans doute absorbé dans l’atmosphère, et de le changer en un air des plus purs, véritablement déphlogistiqué.

 

- Qu’elles versent une espèce de pluie abondante (s’il est permis de s’exprimer ainsi) de cet air vital et dépuré, qui, en se répandant dans la masse de l’atmosphère, contribue réellement à en entretenir la salubrité, et à la rendre plus capable d’entretenir la vie des animaux.

 

- Qu’il s’en faut beaucoup que cette opération soit continuelle, mais qu’elle commence seulement quelque temps après que le soleil s’est levé sur l’horizon, après qu’il a, par l’influence de sa lumière, éveillé les plantes engourdies pendant la nuit, et après qu’il les a préparées et rendues capables de reprendre leur opération salutaire sur l’air, et ainsi sur le règne animal : opération suspendue entièrement pendant l’obscurité de la nuit.

 

- Que cette opération des plantes est plus ou moins vigoureuse, en raison de la clarté du jour, et de la situation de la plante plus ou moins à portée de recevoir l’influence directe du soleil.

 

- Que toutes les parties de la plante ne s’occupent pas de cet ouvrage, mais seulement les feuilles, les tiges et les rameaux verts qui les supportent.

 

- Que les plantes âcres, puantes et même les vénéneuses s’acquittent de ce devoir comme celles qui répandent l’odeur la plus suave et qui sont les plus salutaires.

 

- Que les feuilles nouvelles et celles qui n’ont pas encore acquis tout leur accroissement, ne répandent pas autant d’air déphlogistiqué, ni d’aussi bonne qualité, que celles qui sont parvenues à leur grandeur naturelle, ou déjà vieillies.

- Que quelques plantes, surtout parmi les aquatiques, excellent dans cette opération."

 

Mais là où il rompt avec l’ensemble des observations déjà faites, c’est quand il révèle,

 

- "Que toutes en général corrompent l’air environnant pendant la nuit et même au milieu du jour dans l’ombre.

 

- Que toutes les fleurs exhalent constamment un air mortel et gâtent l’air environnant pendant le jour et pendant la nuit, à la lumière et à l’ombre et qu’elles répandent un poison réel et des plus terribles dans une masse considérable d’air où elles se trouvent enfermées.

 

- Que les fruits en général conservent cette influence pernicieuse en tous temps, surtout dans l’obscurité, et que cette qualité vénéneuse des fruits est si grande que quelques-uns uns, même des plus délicieux, tels que les pêches, peuvent, dans une seule nuit, rendre l’air tellement empoisonné, que nous serions en danger de périr, si nous couchions une seule nuit dans une petite chambre, dont la porte et les fenêtres seraient exactement fermées et où se trouverait une grande quantité de ce fruit".

 

Ingenhousz venait de découvrir une activité encore inconnue des plantes : la respiration.

 

Comme les animaux, jour et nuit, les plantes respirent.

 

En effet, le jour et la nuit, comme les animaux, les plantes respirent. Elles absorbent de l’oxygène et rejettent du dioxyde de carbone.

Pendant le jour le phénomène est masqué par l’autre fonction végétale, équivalente à l’alimentation dans le règne animal : la photosynthèse, consommatrice de dioxyde de carbone et source d’oxygène.

 

Pendant la nuit ou dans l’obscurité, seule la respiration agit, consommant de l’oxygène et produisant du dioxyde de carbone. Pour ce qui est des fleurs et des fruits, "même des plus délicieux" il est vrai que, comme l’observe Ingenhousz avec emphase, ne participant pas à la photosynthèse, ils respirent cependant et, jour et nuit, "exhalent constamment un air mortel".

 

On comprendra sans peine que cette idée de plantes transformant l’air en "poison" pendant la nuit ait été considérée comme révolutionnaire, voire provocatrice, quand elle a été proposée et que, comme toute observation nouvelle, elle ait trouvé de sévères détracteurs auxquels Ingenhousz s’emploie à répondre :

 

"Les choses en sont venues au point que, pendant qu’on convient unanimement de l’influence bénigne des végétaux sur notre élément (bénigne utilisé ici au sens ancien de : qui fait du bien), et leur faculté de corriger l’air gâté et d’améliorer l’air bon, sont dues à la seule lumière solaire, et non à la chaleur ou à la végétation (vérité qu’aucun Ecrivain n’avait avant moi enseignée publiquement), quelques-uns croient cependant encore avoir des motifs de passer sous un profond silence, l’autre partie de ma doctrine, l’influence méphitique des plantes sur l’air, comme si elle ne méritait pas leurs regards, tandis que quelques autres la condamnent comme un système des plus absurdes, comme une doctrine injurieuse aux sages et sublimes procédés de la nature.

 

Ceux-ci, en faisant profession de défendre le ciel outragé, crient à haute voix qu’une doctrine qui attribue aux plantes l’office de répandre le jour, un vrai pabulum vitae, dans l’atmosphère, et d’exhaler ensuite un vrai poison autour de nous pendant la nuit, est injurieuse au créateur, et répugne à la saine raison".

 

Invoquer le "créateur" ne suffit pas, faites à votre tour mes expériences leur déclare-t-il en forme de défi, car votre refus d’expérimenter pourrait faire soupçonner de votre part " quelque appréhension d’examiner de près le fondement de ma doctrine, de crainte d’y rencontrer des vérités qui ne pouvaient être que désagréables à ceux qui croyaient avoir des raisons particulières de souhaiter que l’influence nocturne des végétaux fût une erreur".

 

Par cette "révolution" dans la description de la respiration des plantes, par cette levée de boucliers qui a suivi son annonce, serait-il exagéré de voir dans Ingenhousz l’équivalent en biologie d’un Lavoisier dans le domaine de la chimie ?


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Senebier ou comment les plantes s’alimentent.

 

Jean Senebier (1742-1809) est bibliothécaire à Genève et particulièrement intéressé par les sciences, en particulier la biologie. Il connaît les travaux de Priestley, Bonnet et Ingenhousz sur la "respiration" des plantes et s’emploie lui-même à les reprendre et à les développer.

 

Il publie ses résultats dans des "Mémoires physico-chimiques sur l’influence de la lumière solaire pour modifier les êtres des trois règnes de la nature, et surtout ceux du règne végétal (1782)" suivis des "Recherches sur l’influence de la lumière pour métamorphoser l’air fixe en air pur par la végétation (1783)".

 

Il reprend le mode opératoire de son compatriote Charles Bonnet en plaçant les feuilles étudiées dans l’eau. Persuadé que la lumière solaire est, comme l’a proposé Newton, constituée de particules et que celles-ci sont absorbées par les plantes, il imagine une action physique de la lumière du soleil dans la production d’air pur par les feuilles (nous dirions aujourd’hui qu’elles absorbent l’énergie lumineuse sous forme de photons). D’où son conseil de situer les habitations dans "les lieux bien découverts, où le soleil peut porter sur toutes les feuilles des végétaux son heureuse influence, et leur faire répandre à flots cet air salutaire, qui fera circuler la santé et la vie dans nos poumons et dans nos veines" (1783).

 

Il est, par contre, l’un des adversaires les plus sévères de Ingenhousz, qui d’ailleurs, le lui rend bien, en ce qui concerne la vie nocturne des plantes. En effet, il refuse d’accepter deux mécanismes opposés cohabitant dans les feuilles. Impossible, dit-il, qu’elles puissent, à la fois, rejeter de l’air fixe et en absorber. S’il observe bien que des plantes maintenues immergées pendant un long moment dans l’obscurité semblent émettre des gaz nocifs, c’est, pense-t-il, parce qu’elles ont commencé à pourrir.

 

Ses recherches portent donc essentiellement sur le mécanisme diurne : l’absorption d’air fixe et l’émission d’air pur. Il constate, par exemple, que dans une eau saturée d’air fixe (de CO2), le dégagement de bulles d’air est plus abondant et que cet air est de l’air pur.

 

Dans la nature, pense-t-il, l’air fixe, notre dioxyde de carbone, serait produit par "le mélange de l’air pur avec les matières phlogistiquées" qui sont présentes dans l’atmosphère. Etant plus dense que l’air il se concentrerait dans les basses couches de l’atmosphère où il se dissoudrait dans l’humidité atmosphérique. C’est ainsi que l’air fixe passerait dans les feuilles et les racines des plantes qui recueilleraient cette humidité sous forme de pluie ou de rosée.

 

Quant à l’émission d’air pur, elle serait "le résultat de la conversion de l’air fixe, opéré par l’action de la végétation" qui séparerait le phlogistique de l’air fixe pour en alimenter la plante, et qui en chasserait l’air pur "comme un excrément inutile".

 

Même si le phlogistique vient encore obscurcir l’interprétation du mécanisme, Senebier comprend, et exprime de façon claire, le fait important :

 

le dioxyde de carbone (l’air fixe) est l’aliment de la plante.

 

Notons au passage que le fait de considérer l’air pur comme un excrément est une image à la fois juste et propre à marquer les esprits. L’air fixe s’en trouve réhabilité. Du statut de gaz mortel il acquiert celui d’élément nécessaire à la vie des plantes et par là-même à l’ensemble de la vie animale.

 

Même si Senebier, n’a pas noté la fonction essentielle de l’alternance jour/nuit dans le fonctionnement des feuilles, son apport est cité par Lavoisier au même titre que ceux de Priestley et Ingenhousz. Il est vrai que dans l’introduction à ses "Recherches" datée de 1783, il proposait une nouvelle orientation de la biologie à laquelle un chimiste ne pouvait être indifférent :

 

"Convient-il d’employer la chimie dans l’étude de la physique, de l’histoire naturelle, des secrets de la végétation ? ".

 

Telle est la question qu’il pose et tel est son plaidoyer :

 

"Il est évident que si les lois seules du mouvement pouvaient expliquer tous les phénomènes de la végétation, il serait inutile de chercher de nouveaux moyens pour les pénétrer. Mais si les excellents philosophes qui ont observé avec tant de dextérité et de génie les végétaux ; si les Grew, les Malpighi, les Duhamel, les Bonnet ont à peine fait connaître l’anatomie végétale ; s’ils ont si peu avancé la physiologie des plantes, en scrutant leurs fibres, en suivant leurs vaisseaux ; s’ils ont à peine connu les fluides qui les animent, on désespérera d’aller plus loin qu’eux, en employant leurs moyens, parce qu’ils en ont tiré tout le parti possible. Ce n’est donc qu’avec de nouvelles lunettes qu’on pouvait raisonnablement espérer un nouvel horizon, et peut-être de nouveaux passages à de nouvelles vérités".

 

Si on fait appel à la chimie, écrit-il, "cette science générale et universelle, qui recherche la nature des corps par des moyens qui leur soient appropriés, la question sera résolue, car la chimie de Scheele, de Bergman, de Lavoisier de Priestley est cette science sublime et chaque naturaliste sera charmé de savoir qu’il y a une telle science et de tels savants".

 

Faire appel à la chimie...

 

C’est ce que fera Lavoisier qui éclairera le processus chimique accompagnant la respiration des plantes et des animaux et qui, dans le même mouvement, inventera les mots de carbone, d’oxygène, d’oxyde carbonique...

Senebier renoncera d'ailleurs au phlogistique et adoptera le système de Lavoisier.


 

pour aller plus loin voir :

 

Un livre chez Vuibert.

 

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Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…


Coupable : le dioxyde de carbone.

 

Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.

 

L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone et celle du CO2.

 

L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole.

 

Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.

 

Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
 

Seront-ils entendus ?


Voir aussi :

Une brève histoire du CO2. De Van Helmont à Lavoisier.

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8 décembre 2017 5 08 /12 /décembre /2017 16:29

Parler de "calories" à notre époque est une banalité. Elles s'affichent en particulier sur les étiquettes des emballages contenant nos aliments. En perdre devient une obsession pour certaines et certains d'entre nous.

Qui sait qu'avant Lavoisier et Laplace on ne savait pas les mesurer, ni même les nommer ?


Dans un mémoire daté de 1783, Lavoisier propose une réflexion "sur la nature de la chaleur et sur les effets généraux qu’elle produit".

 

A l’image du "fluide électrique", Lavoisier imagine qu’il existe un "fluide igné" et qui serait la matière de la chaleur. Plus précisément il distingue deux types de chaleur. L’une, la "chaleur libre" est celle qui circule naturellement d’un corps chaud vers un corps froid en élevant la température de l’un et en abaissant celle de l’autre. La seconde, la "chaleur combinée", est celle qui, par exemple, va faire fondre la glace sans que sa température ne varie. Le lien entre les deux ?

 

"La chaleur qui disparaît, au moment où la glace se convertit en eau, est, écrit-il, de la chaleur qui passe de l’état libre à l’état combiné ; cette quantité de chaleur est constante et déterminée. On a observé, en effet, que, pour fondre une livre de glace, il fallait une livre d’eau à 60 degrés d’un thermomètre à mercure divisé en quatre-vingts parties : il n’existe plus de glace quelques instants après ce mélange, et toute l’eau est exactement à zéro du thermomètre. Il est clair que, dans cette expérience, la quantité de chaleur nécessaire pour élever une livre d’eau, de zéro du thermomètre à 60 degrés, a été employée à fondre une livre de glace, ou, en d’autres termes, que cette chaleur a passé de l’état libre à l’état combiné."

 

La fusion de la glace est donc un bon moyen de mesurer une quantité de chaleur, le thermomètre n’étant, lui, qu’un moyen de repérer une température. De là un dispositif imaginé par Laplace :

 

"Lorsque le thermomètre monte, c’est une preuve qu’il y a un écoulement de chaleur libre qui se répand dans les corps environnants : le thermomètre, qui est au nombre de ces corps, en prend sa part en raison de sa masse et de la capacité qu’il a lui-même pour contenir la chaleur. Le changement du thermomètre n’annonce donc qu’un déplacement de la matière de la chaleur ; il n’indique tout au plus que la portion qu’il en a prise ; mais il ne mesure pas la quantité totale qui a été dégagée, déplacée ou absorbée.

 

Nous n’avons encore de moyen exact pour remplir cet objet que celui imaginé par M. de Laplace. (Voy. Mém. de l’Acad. 1780, page 364.) Il consiste à placer le corps et la combinaison d’où se dégage la chaleur au milieu d’une sphère creuse de glace : la quantité de glace fondue est une mesure exacte de la quantité de chaleur qui s’est dégagée."

 

Le mémoire de 1780, cité ici, est un véritable cours de calorimétrie qui pourrait voir attribuer à Laplace et Lavoisier le titre de créateurs de cette discipline. Les travaux de leurs contemporains y sont rappelés mais leur apport est déterminant.

 

Des termes, encore utilisés, y sont définis, capacité de chaleur (aujourd’hui capacité calorifique), chaleur spécifique. Une unité de mesure est même proposée :

 

"Si l’on suppose deux corps égaux en masse, et réduits à la même température, la quantité de chaleur nécessaire pour élever d’un degré leur température peut n’être pas la même pour ces deux corps ; et, si l’on prend pour unité celle qui peut élever d’un degré la température d’une livre d’eau commune, on conçoit facilement que toutes les autres quantités de chaleur, relatives aux différents corps, peuvent être exprimées en parties de cette unité."

 

La chaleur spécifique de l’eau sera donc prise comme unité. C’est de cette façon que sera définie, au début du 19ème siècle, la "grande" Calorie qui est la quantité de chaleur nécessaire pour élever de 1°C la température de 1kg d’eau, ou la "petite" calorie qui élève la température de 1g d’eau de 1°C.

 

Après l’unité, l’appareil de mesure. Lavoisier lui donne le nom de calorimètre tout en s’excusant d’avoir ainsi réuni "deux dénominations, l’une dérivée du latin, l’autre dérivée du grec" se justifiant par le fait que "en matière de science on pouvait se permettre moins de pureté dans le langage, pour obtenir plus de clarté dans les idées". Il est vrai que le mot de Thermomètre, issu du seul grec, était déjà pris.

 

Le calorimètre est dérivé de l’idée de la sphère de glace creuse. Une enceinte extérieure est remplie de glace. Elle sert de couche isolante constamment maintenue à zéro degré de température. A l’intérieur un volume lui-même rempli de glace comporte, en son centre, un espace grillagé pour contenir le corps qui apporte de la chaleur. Celle-ci sera mesurée par le volume de glace fondue.


Calorimètre de Lavoisier et Laplace

Lavoisier, Traité élémentaire de Chimie, 1789.


Au préalable les expérimentateurs auront déterminé la chaleur latente de fusion de la glace, c’est-à-dire la quantité de chaleur nécessaire pour faire fondre une masse donnée de glace : "La chaleur nécessaire pour fondre la glace est égale aux trois quarts de celle qui peut élever le même poids d’eau de la température de la glace fondante à celle de l’eau bouillante". Nous laisserons aux apprentis physiciens qui le souhaiteraient, le soin de vérifier que cette valeur est proche de nos mesures contemporaines.

 

Dans ce premier mémoire ce sont ainsi 11 chaleurs spécifiques qui sont mesurées, en prenant pour valeur unité celle de l’eau. Dans le traité qu’il publie en 1789, Lavoisier indique qu’il attend un tableau plus complet pour le publier car, dit-il, "nous ne le perdons pas de vue & il n’y a point d’hiver que nous ne nous en soyons plus ou moins occupés". C’est dire l’intérêt de Lavoisier pour cette nouvelle discipline. Mais il est vrai que les hivers qui suivront celui de 1789 lui seront certainement moins propres à de telles occupations. La liste s’arrêtera donc là.


Réplique d’un calorimètre de Laplace-Lavoisier


Nous n’en dirons pas plus sur ces avancées vers le concept de "chaleur" (même une théorie cinétique de la chaleur est évoquée). Pour en rester à la chimie, il est important de noter que les réflexions de Lavoisier sur la chaleur seront à l’origine d’une clarification de la notion "d’état de la matière".


Cette histoire est évoquée dans :

Suivre le parcours de l’oxygène depuis les grimoires des alchimistes jusqu’aux laboratoires des chimistes, avant qu’il n’investisse notre environnement quotidien.

 

Aujourd’hui, les formules chimiques O2, H2O, CO2,… se sont échappées des traités de chimie et des livres scolaires pour se mêler au vocabulaire de notre quotidien. Parmi eux, l’oxygène, à la fois symbole de vie et nouvel élixir de jouvence, a résolument quitté les laboratoires des chimistes pour devenir source d’inspiration poétique, picturale, musicale et objet de nouveaux mythes.

 

À travers cette histoire de l’oxygène, foisonnante de récits qui se côtoient, s’opposent et se mêlent, l’auteur présente une chimie avant les formules et les équations, et montre qu’elle n’est pas seulement affaire de laboratoires et d’industrie, mais élément à part entière de la culture humaine.


Voir aussi sur le site de EDUSCOL (Culture Siences-Chimie) de l’Ecole Normale Supérieure :

 

De l’offensive antiphlogistique aux trois états de la matière.


voir également :

 

Histoire du carbone et du CO2.
JPEG - 77.7 ko

Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…, coupable : le dioxyde de carbone. Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.

 

Un livre chez Vuibert.

feuilleter

 

L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone
et celle du CO2.

 

L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole. Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.

Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
 

Seront-ils entendus ?

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Gérard Borvon - dans Chimie
5 décembre 2017 2 05 /12 /décembre /2017 14:50

 

Combien de ces "jeunes ingénieurs, chimistes, biologistes, médecins, appartenant à cette élite intellectuelle qu'ont formée nos grandes écoles et nos facultés" seront tués ou mutilés  par les armes élaborées par les "savants" des deux camps.

 

 

http://cnum.cnam.fr/CGI/fpage.cgi?4KY28.87/180/120/329/5/313

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5 décembre 2017 2 05 /12 /décembre /2017 08:08

Par Gérard Borvon

6 Juillet 2017. Nicolas Hulot, ministre de l'écologie annonce la fin des véhicules thermiques pour 2040. L'occasion se présente de rappeler ce siècle qui s'est voué à la voiture et au pétrole.

L'article ci-dessous est extrait de l'ouvrage "Histoire du carbone et du CO2" (Gérard Borvon, Vuibert 2013)

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Dès sa naissance, la machine à vapeur a nourri l’imaginaire des ingénieurs. Fixe, elle pouvait actionner les marteaux pilons, les laminoirs, les presses, les scies… dans les ateliers. Montée sur un châssis muni de roues elle devenait locomotive et tirait de lourds wagons le long des voies ferrées construites pour l’occasion. L’idée d’en équiper des véhicules, capables de circuler sur n’importe quelle route ou rue, ne pouvait tarder.

L’automobile et la vapeur.

Pendant l’été de 1884, les Parisiennes et Parisiens qui se promenaient sur l’Avenue de la Grande-Armée à Paris, découvraient un étrange spectacle. Montée sur quatre roues semblables à celles équipant les vélocipèdes, ces nouveaux objets de mode, une machine à vapeur entraînait en crachotant deux vénérables personnages.

 

Nouvelle voiture à vapeur de Dion-Bouton-Trépardoux. (La Nature, 1884). cliquer sur les images pour agrandir.

Par un article de Gaston Tissandier, célèbre chroniqueur scientifique, nous apprenions que cette "voiture automobile" était l’œuvre de Messieurs le comte A. de Dion, G. Bouton et C. Trépardoux.

Une astucieuse chaudière alimentée par du coke, délivrait de la vapeur dans deux cylindres. L’ensemble se déplaçait jusqu’à 40km/h sans bruit excessif ni échappement notable de vapeur ou de fumée.

L’année suivante, c’est un "phaéton" qui est livré par les mêmes constructeurs à la curiosité des parisiens.

"Phaéton" à vapeur de Dion-Bouton-Trépardoux. (La Nature, 1885)

Jusqu’à la fin du siècle d’autres véhicules légers à vapeur seront expérimentés, parfois chauffés au pétrole au lieu du coke. Vite concurrencés, ils resteront des curiosités et la vapeur, dans le siècle à venir n’actionnera que les locomotives.

De cette période se maintiendra cependant le terme de "chauffeur", encore employé aujourd’hui, pour désigner le conducteur d’une automobile, ou celui de "chauffard" dont un dictionnaire nous rappelle qu’il désigne "un mauvais conducteur ou un conducteur imprudent".

En ces années 1880, la vapeur doit affronter une concurrente dynamique : l’électricité.

Quand la fée électricité animait les tramways, les fiacres et les automobiles.

En 1881 s’était tenue à Paris la première exposition internationale de l’électricité. Evènement considérable ! Edison y présentait ses premières lampes à filament de carbone, le téléphone se donnait en spectacle sous forme d’un théâtrophone qui permettait d’écouter, à distance, les chœurs et orchestres de l’Opéra voisin. Surtout, les Parisiens faisaient de longues queues pour monter dans l’attraction du moment : le premier tramway électrique. Il circulait entre la Place de la Concorde et le Palais de l’Industrie à une vitesse de 30km/h qui procurait des émotions aux plus téméraires. Une dizaine d’années plus tard, les tramways électriques seront devenus une banalité à Paris.

Tramway électrique à l’Exposition Internationale d’Electricité de 1881.(La Nature, 1881)

Le tramway n’y était d’ailleurs pas une invention nouvelle : des voitures sur rail transportant de nombreux voyageurs et tractées par des chevaux circulaient déjà sur des lignes exploitées par plusieurs compagnies privées. Cependant, à partir de 1892, la préfecture de Paris autorisait les compagnies exploitantes à adopter des véhicules pourvus d’une traction autonome.

La "Compagnie générale des omnibus" qui exploitait les lignes Cours-de-Vincennes-saint-Augustin, Louvre-Versailles et Louvre-Saint-Cloud, choisissait alors des moteurs à air comprimé qui fonctionnaient déjà sur les tramways nogentais. Une méthode non polluante dont on parle à nouveau aujourd’hui.

La "Compagnie des tramways de Paris et du département de la Seine" adoptait, pour sa part, la traction électrique sur les lignes qui lui étaient concédées à savoir : Madeleine-Saint-Denis, Neuilly-Saint-Denis, Saint-Denis-Châtelet. Ses élégantes voitures de 56 places disposaient d’une impériale couverte. Elles étaient autorisées à rouler à une vitesse de 12 km/h à Paris et de 16 km/h au-delà des fortifications.

Les voitures fonctionnaient sur batteries d’accumulateurs. La station centrale pour la charge des accumulateurs était établie à Saint Denis, au dépôt des tramways route de Gonesse. Un frein électrique puissant permettait d’arrêter le véhicule sur une distance de 3 mètres. Sécurité et respect de la qualité de l’air faisaient partie des impératifs du moment.

En 1898 la Compagnie exploitait une nouvelle ligne joignant République à Aubervilliers et à Pantin. L’alimentation se faisait par accumulateurs en ville et par trolleys aériens extra muros. L’usine d’alimentation électrique se trouvant à Aubervilliers.

Tramway entre paris et Aubervilliers. (La Nature 1898)

Les accumulateurs électriques alimentant les rames ne pourraient-ils pas également alimenter des fiacres sans chevaux ?

En 1898 l’Automobile-Club de France, qui avait été créé trois ans plus tôt par le comte de Dion et le baron de Zuylen, organisait un concours de "voitures de place automobiles". Sur les douze inscrites, onze sont électriques, une seule utilise le pétrole. Ce véhicule, présenté par la maison Peugeot, était d’emblée rejeté. Même s’il circule plus vite que ses concurrents, sa consommation d’essence, denrée rare à l’époque, est jugée excessive : 16,5 litres pour 60 kilomètres soit 25 litres pour un service journalier. "A défaut d’autre cause, et sans parler des inconvénients propres au moteur à essence de pétrole", ce chiffre seul semblait justifier le refus des organisateurs.

Le jugement est sévère : "Il semble désormais acquis par l’expérience que le fiacre à moteur à essence de pétrole ne saurait constituer un système d’exploitation de voitures publiques dans une grande ville". Une opinion que beaucoup de citadins partageraient volontiers aujourd’hui.

Par contre, côté électricité, on déroule le tapis rouge : "Nous ne saurions entrer ici dans tous les détails de ce concours qui a été pour tous, constructeurs, initiés et profanes, une révélation et un enseignement des plus précieux, une expérience de longue haleine dont profitera l’industrie des voitures électro-mobiles".

Véhicules de place électriques au concours de l’Automobile-Club de France. (La Nature 1898).

L’idée de fiacres électriques est mise en œuvre par la Compagnie Générale des Voitures qui avait elle-même participé au concours. Une usine est construite à Aubervilliers pour la construction des véhicules mais aussi pour la confection et la charge des batteries qui les alimentent. Le système est ingénieux. Régulièrement les fiacres retournent à l’usine où ils échangent les batteries vides contre des batteries chargées.

Le changement de batteries à la Compagnie Générale des Voitures. La Nature 1899.

Bientôt se tiendra à Paris l’exposition universelle de 1900. L’entreprise espère pourvoir y faire circuler 1000 fiacres. Dans le même temps apparaissent les premières voitures électriques individuelles.

L’exposition de 1899 de l’Automobile-Club de France témoigne des progrès réalisés en dix ans. Les petites voitures électriques attirent le public. En particulier celle présentée par les constructeurs Vedovelli et Priestley.

Voiture électrique Vedovelli-Priestley. La Nature, 1899.

Conçue pour deux personnes, confortablement installées, elle peut en accueillir deux autres en déployant le tablier avant qui se transforme en siège. Mais c’est surtout sa locomotion qui innove. Les accumulateurs permettent de faire de 70 à 80 kilomètres et les constructeurs ont prévu la possibilité d’un trajet plus long. Ils ont installé dans le coffre "une usine de charge portative". Il s’agit d’un petit moteur à pétrole de Dion-Bouton actionnant une dynamo fournissant un courant de 10A sous 110V. On peut donc recharger les batteries à l’étape.

Plus innovante encore, la voiture de l’entreprise Pieper, de Liège qui fonctionne, à la fois, au pétrole et à l’électricité. Empruntons sa description au chroniqueur de La Nature :

"A l’avant de la voiture se trouve placé un faible moteur à pétrole à refroidissement par ailettes.

Entre ce moteur et la commande de mouvement aux roues arrière, une dynamo, pouvant jouer le rôle de moteur électrique, et reliée à une petite batterie d’accumulateurs. Au départ, par l’intermédiaire de la dynamo-moteur, et en empruntant une faible quantité d’énergie à la batterie d’accumulateurs, ont met en marche le moteur à pétrole.

Sommes-nous sur une pente ou à l’arrêt ; en un mot, n’avons-nous pas besoin de toute l’énergie disponible au moteur à pétrole, immédiatement ce dernier actionne la dynamo qui charge les accumulateurs.

Si, au contraire, nous sommes en montée, immédiatement et automatiquement la dynamo fonctionne comme moteur en empruntant de l’énergie à la batterie d’accumulateurs, et son action s’ajoutera à celle du moteur à pétrole. On peut de la sorte n’employer que deux moteurs de faible puissance, une batterie d’accumulateurs très réduite puisque leurs effets respectifs peuvent s’ajouter.

D’autre part, en cas d’avarie au moteur à pétrole, on peut facilement rentrer au logis en n’utilisant que la dynamo-moteur.

Il serait prématuré d’émettre une opinion sur l’avenir que peut avoir cette nouvelle combinaison ; attendons encore que l’expérience nous renseigne sur la véritable valeur de cette disposition. On peut penser cependant que l’adjonction de l’électricité au pétrole pourra être féconde dans beaucoup de circonstances".

Quel avenir pour cette combinaison ? Elle sera régulièrement sortie de l’oubli. Elle est encore d’actualité aujourd’hui avec les moteurs hybrides, considérés comme une solution possible à la pollution des villes. Comme les voitures totalement électriques, elle nous apparaît pourtant comme une nouveauté dans un monde où les moteurs à pétrole ont, depuis longtemps, fait oublier la traction électrique.

L’autre moteur.

En 1891 est présentée à Paris la "voiture à pétrole de MM. Peugeot". La nouveauté de ce véhicule est son moteur à essence de pétrole. Ce liquide, facilement vaporisable, a déjà été utilisé dans des cylindres où il remplaçait la vapeur d’eau. Ici, le principe est différent, il s’agit d’un moteur à combustion interne : c’est l’explosion du mélange de l’essence vaporisée et de l’air qui repousse le piston. Nous ne ferons pas ici l’historique ni la description de ces moteurs à deux ou quatre "temps". Celui qui équipe le véhicule Peugeot a été fabriqué par les ingénieurs Panhard et Levassor exploitant la licence du moteur inventé par l’ingénieur allemand Daimler.

Voiture à pétrole Peugeot. La Nature, 1891.

Testée sur un voyage aller et retour entre Valentigney, dans le Doubs, commune voisine de la ville de Audincourt où est installée la première usine Peugeot, et Brest, la voiture a effectué le voyage de 2047 kilomètres en 139 heures de marche effective, soit une vitesse moyenne proche de 15km/h. L’exploit résidait en particulier dans le fait qu’elle avait réalisé cette "diagonale", sur les routes empierrées empruntées par les charrettes et les diligences, et ceci sans aucun dommage mécanique. L’opération publicitaire avait parfaitement fonctionné et la carrière de ce nouveau véhicule semblait bien partie.

 

La victoire du pétrole.

Pour échapper à son ennui ou exhiber sa prospérité, la bourgeoisie de cette fin du 19ème siècle a inventé deux activités : le sport et le tourisme. Premier objet symbolique de cette double activité : le vélocipède.

Devenu d’un usage commode avec l’invention du pneumatique, le "vélo" permet les excursions dans le voisinage des villes aussi bien que les courses cyclistes dans lesquelles s’affrontent les premiers "forçats de la route". C’est ainsi que, en 1891, le populaire Petit Journal, organise la première course cycliste Paris-Brest, suivie la même année par celle Paris-Belfort. Son objectif étant de "pousser au développement des exercices en plein air par le cyclisme et par la marche ; pousser au développement du bien-être social par la locomotion, individuelle ou collective, facilitée sur les grandes routes au gré de chacun".

Fort du succès de ces premières manifestations, le journal décide d’organiser en 1894, un concours de voitures sans chevaux.

première course automobile 1894

Les voitures engagées doivent être "sans danger, aisément maniables pour les voyageurs et ne pas coûter trop cher sur la route". Elles auront à parcourir 126 kilomètres sur la route Paris-Rouen. Des 102 véhicules inscrits en avril, il ne s’en présente plus que 47 en juillet pour subir les épreuves préliminaires. Quinze concurrents prennent finalement le départ : treize ont un moteur à pétrole, deux marchent à la vapeur avec un chauffage au coke.

Les voitures électriques qui s’étaient inscrites ont été éliminées d’emblée. La raison ? Il n’existe pas encore, le long des routes, d’usines de rechargement des batteries alors que le pétrole ou le coke peuvent s’y trouver ou être emportés sur le véhicule. La conclusion des organisateurs est sans appel : "La voiture à accumulateurs électriques est bien le fiacre de l’avenir, mais de longtemps encore elle ne saurait prétendre au rôle de voiture d’excursions".

Les rôles sont donc bien partagés : l’électricité c’est pour la ville, la vapeur ou le pétrole pour la campagne !

Parmi les quinze véhicules engagés se trouvent des constructeurs dont le nom traversera le siècle à venir : une voiture de Dion, cinq Peugeot, quatre Panhard et Levassor. La première arrivée est une "de Dion" à la vapeur. Elle fait le trajet en 5h40mn, soit une vitesse moyenne de 22,3 km/h bien au-delà des 12,5km/h imposés par les organisateurs. La première Peugeot à pétrole suit de près à 5h45mn. La dernière arrivée est l’autre machine à vapeur avec une moyenne de 14,3 km/h. Mais il ne s’agit pas d’une simple course de vitesse, la vapeur n’a pas convaincu et ce sont quatre véhicules à pétrole qui se voient attribuer les quatre premiers prix ex aequo.

Première course automobile, un 1er prix à la Panhard-Levassor à pétrole. La Nature, 1894.

 

En 1895, l’idée d’une course est reprise par le comte de Dion et le baron de Zuylen, futurs créateurs de l’Automobile-Club de France. Elle sera internationale et se fera entre Paris et Bordeaux aller et retour d’une seule traite (environ 1200 kilomètres). 21 véhicules quittent donc Versailles le 11 juin : 12 voitures à gazoline, 6 voitures à vapeur, deux bicyclettes à gazoline et même 1 voiture électrique qui ose encore affronter ses concurrentes à pétrole.

De leur côté les partisans de la vapeur espèrent bien prendre leur revanche. Espoir déçu, la première d’entre elles n’arrive qu’en neuvième position après un parcours qui aura duré 90h4mn. La première est une Panhard Levassor à pétrole qui termine la boucle en 48h48mn soit près de deux fois moins de temps. Pour Edouard Hospitalier qui commente la course, "C’est le triomphe incontestable et incontesté du moteur à gazoline dans une rude épreuve qui laissait bien des doutes sur l’endurance des conducteurs et des organes si complexes et si délicats réunis sur une voiture automobile".

L’année suivante, c’est l’Automobile-Club de France, nouvellement créé, qui organise une course Paris-Marseille-Paris. Encore une fois, le premier prix est attribué à une Panhard-Levassor. Un record de vitesse a même été battu entre Avignon et Marseille. Grâce à un mistral favorable la Delahaye n°6 a fait le trajet à la vitesse moyenne de 32,4km/h !

Cette vitesse commence pourtant à inquiéter les commentateurs qui s’interrogent sur la nécessité de poursuivre ces courses :

"Est-il nécessaire, après Paris-Rouen, Paris-Bordeaux-Paris et Paris-Marseille-Paris, de recommencer de nouvelles épreuves en augmentant encore, si possible, les vitesses ? Nous ne le pensons pas, et croyons utile d’exposer, comme épilogue de cette troisième course, les raisons qui nous semblent plus que suffisantes pour modifier du tout au tout le programme des futurs concours d’automobiles.

En premier lieu, les vitesses atteintes sont déjà excessives, et si on veut les augmenter encore, il est à craindre que l’administration, préoccupée des graves dangers qui pourraient survenir, ne viennent y mettre obstacle en imposant, comme on en a déjà prêté l’intention à M. Michel Lévy, l’éminent ingénieur en chef des mines chargé de la surveillance administrative des voitures automobiles, un dispositif limitant la vitesse à 30 kilomètres par heure en palier.

Il faut bien penser que les routes appartiennent à tout le monde, et que les automobiles ne sauraient émettre la prétention de les monopoliser à leur profit, en les remplissant de véhicules dont la vitesse serait dangereuse pour les piétons et les véhicules non automobiles.

Si ces grandes vitesses ne sont réservées qu’aux courses seules, on ne peut pas s’en occuper, la mode n’en durera qu’un temps. Mais ces vitesses ont des inconvénients bien plus graves encore pour l’avenir des automobiles que le danger, car on finit par se familiariser avec ce danger, et, le temps aidant on accepte ce qu’on ne peut empêcher. En vue de la vitesse, on a sacrifié tout le reste : confortable, commodité, sécurité, agrément, et jusqu’aux dispositions les plus élémentaires, les plus indispensables d’un véhicule qui, par destination, n’est pas destiné à concurrencer la locomotive". (E. Hospitalier)

"Le temps aidant on accepte ce qu’on ne peut empêcher". Une phrase à méditer dans notre présent où, malgré les résistances, tout plaide pour la limitation de la vitesse des automobiles : blessures graves et mortalité par accident, pollution de l’air, réchauffement climatique, épuisement des énergies fossiles, nécessité de limiter l’usage des voitures au transport de proximité et de privilégier le transport ferroviaire…

Des maires commencent à imposer des vitesses limitées à 30km/h dans leurs villes, la raison commencerait-elle à regagner le chemin perdu depuis les années 1900 ?

1900 : le big-bang automobile.

"Croyez-moi Messieurs, le monde est avec nous aujourd’hui et le mouvement à la tête duquel nous sommes sera irrésistible. Dans trois ans, nous serons deux mille membres, et il nous faudra un palais pour les recevoir".

Le propos est du comte de Dion au moment où il créé l’Automobile-Club de France en 1895. Le pari n’était pas hasardeux. Cinq ans plus tard, l’Exposition Universelle de Paris qui inaugure le 20ème siècle est l’occasion de l’affichage de cette montée en puissance. Pendant l’exposition, dans l’annexe de Vincennes, l’Automobile-Club organise un concours automobile international dont les critères sont les consommations (l’essence de pétrole est encore rare et chère), la régularité de fonctionnement, la facilité de direction et le confort. La liste des catégories en compétition donne une idée du développement atteint par l’automobile à cette date. On a déjà bien dépassé le stade du sport et du tourisme : motocycles, voitures familiales, fiacres et voitures de livraison, voiturettes, poids légers pour livraison, poids lourds…

Une dernière catégorie aurait pu être exposée : celle des automobiles de guerre. Elles ont donné lieu, cette même année, à des manœuvres dans la Beauce. Dans cette première étape il s’agissait d’alimenter un front éventuel au moyen de trains routiers tirés par de volumineux tracteurs. Il ne faudra pas longtemps pour imaginer les véhicules blindés équipés de canons et montés sur chenille qui contribueront au prochain cataclysme guerrier.

Convoi automobile militaire. La Nature 1900.

Les "salons de l’automobile" sont devenus des rituels auxquels se pressent les curieux. Le siècle de la vapeur a formé d’habiles mécaniciens, équipés d’outils perfectionnés, les progrès des moteurs sont rapides et dès le salon de 1905 ils ont pris des allures comparables à celles de nos moteurs contemporains.

Détail d’un moteur. Salon de 1905. La Nature, 1905.

Ces salons sont les vitrines d’une nouvelle branche de l’industrie dont la croissance explosive peut se comparer à celle de l’informatique à notre époque. Sa prospérité intéresse déjà le ministère des finances qui y voit matière à impôts. En 1905 il établit des statistiques révélatrices. De 1458 véhicules en 1899, il en a été fabriqué 19 886 en 1903. Une croissance de près de 300% par an ! Les voitures à deux places, affichage d’une prospérité bourgeoise, sont en pointe, elles représentent 72% de cette production.

C’est aussi une industrie qui exporte : le quart de sa production est achetée en Angleterre, en Italie, en Belgique, en Allemagne.

On commence à peine à envisager les bouleversements qui vont accompagner cette mutation. Il faudra de l’essence de pétrole pour alimenter ces moteurs, il faudra aussi de nouvelles routes adaptées à ces nouveaux véhicules qui annoncent leur venue par un nuage de la poussière arrachée par le caoutchouc des pneumatiques.

En Floride on avait trouvé le moyen d’y remédier en arrosant les routes d’un composé lourd issu des distillations du pétrole. Mais ce qui était possible dans ce pays d’abondance pétrolière ne pouvait être que trop onéreux en France, d’où l’idée d’utiliser, à la place, le goudron de houille issu des usines distribuant le gaz d’éclairage. En 1902 une expérience de goudronnage des routes était menée sur la route départementale de Champigny à Paris avec le concours du Touring Club de France (créé en 1890 à Neuilly-sur-Seine), de la Ville de Paris et de la Société Parisienne du Gaz. Essai concluant. Le goudron de houille, cette merveilleuse source de colorants et de parfums célébrée par Wurtz dans sa conférence de 1876, allait retrouver le rôle subalterne de déchet juste bon à recouvrir les routes. Rien de perdu, cependant, pour l’industrie chimique qui, se reconvertissant au pétrole, y trouvera tous les composés dont elle a besoin. Quant aux travaux publics, ils s’enrichissent d’une nouvelle activité : le goudronnage routier.

Pour l’Exposition Internationale de 1900, les organisateurs du salon de l’automobile se plaignaient d’avoir été relégués dans des hangars à Vincennes. En 1907 ils s’estimaient enfin reconnus : le Salon International de l’Automobile se tenait sous la coupole d’un Grand Palais abondamment éclairé dans un Paris illuminé pour l’occasion.

Un événement donnait du piment à la manifestation. La course Pékin-Paris, organisée par le journal Le Matin, avait quitté Paris le 10 juin 1907. Le 10 août après 44 jours de route, le prince Scipion Borghèse arrivait à Paris.

 

 

L’automobile devenait objet de rêve : "La promesse d’une vie nouvelle est dans son capot ; chacun de ses cylindres vaut le don d’une partie du monde. Les couleurs de ses cuivres, de son bronze ou de son acier sont celles de la terre conquise et des races traversées… c’est la roulotte idéale rêvée depuis des siècles par tout ce qu’il reste d’instinct migrateur dans nos cœurs sédentaires" (La Revue des deux mondes, décembre 1907, cité par Pierre Juhel, Histoire du Pétrole, Vuibert).

Trajet de la course Pekin-Paris. 1907.

Pendant qu’en France se développait cette industrie du rêve et du luxe automobile pour bourgeoisie raffinée, aux USA une autre voie était choisie. Henri Ford (1863-1947) créait, à Détroit, la "Ford Motor Company". Il y pratiquait le travail à la chaîne, inspiré des théories de Frederik Taylor (1856-1915). Le modèle unique qu’il produisait, la Ford T, d’un prix très inférieur aux voitures produites en France rencontrait un succès tel que la production américaine, balbutiante en 1900, dépassait la production française en 1907.

Publicité pour la Ford T.

Dès lors voitures de luxe et voitures populaires vont cohabiter pour occuper tous les créneaux d’un marché en expansion accélérée. Le 20ème siècle sera voué à la voiture et au pétrole.

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Histoire du carbone et du CO2.

 

Un livre chez Vuibert.

 

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Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…


Coupable : le dioxyde de carbone.

 

Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.

 

L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone et celle du CO2.

 

L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole.

 

Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.

 

Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
 

Seront-ils entendus ?

 

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4 décembre 2017 1 04 /12 /décembre /2017 09:42

En ce début d'année 1896, les rayons X sont au centre des débats des sociétés savantes de toute l'Europe. En France, l'Académie des Sciences s'intéresse de plus près aux corps "phosphorescents", c'est-à-dire ayant la propriété, qui est celle du phosphore blanc, d'émettre de la lumière après y avoir eux-mêmes été exposés.

 

Il a déjà été remarqué que certains corps phosphorescents émettaient une lumière capable d'impressionner une plaque photographique à travers son enveloppe de papier. La phosphorescence serait-elle liée à une émission des mêmes rayons X que ceux découverts par Röntgen ? Telle est la question que se posent plusieurs académiciens. Parmi eux Henri Becquerel.

 

Henri Becquerel : la découverte.

 

Henri Becquerel (1852-1908) est issu d'une lignée de physiciens. Son grand-père, Antoine Becquerel, est considéré comme le découvreur, en 1839, de l'effet photovoltaïque dont le principe est utilisé dans les capteurs solaires qui devraient produire une part de plus en plus importante de l'énergie électrique "renouvelable" de notre futur. Son père, Alexandre Edmond, s'est attaché à l'étude du magnétisme et de la phosphorescence. Tous deux académiciens, ils occupèrent le poste de professeur au muséum national d'histoire naturelle. Henry Becquerel prendra leur succession dans ces postes et fonctions.

 

Ancien élève de l'Ecole Polytechnique, il y est professeur lui-même depuis 1895. Dans cette période de son activité de recherche, il s'intéresse à la phosphorescence, reprenant ainsi l'un des sujets d'étude de son père, et en particulier à celle des sels d'uranium.

 

L'Uranium a été découvert dans la pechblende en 1789 par le chimiste allemand Martin Heinrich Klaproth et isolé en 1841 par Eugène Peligot. Difficile à obtenir en tant que métal il est essentiellement utilisé pour les propriétés colorantes de ses sels, en particulier pour colorer le verre. Il est aussi remarquable pour la phosphorescence de certains de ses composés.

 

Lors de la séance de l'Académie des Sciences du 2 mars 1896, qui suit de très près l'annonce de la découverte des rayons de Röntgen, plusieurs intervenants font état de rayons pénétrants émis par certains verres fluorescents.

 

Henri Becquerel qui utilise un sel phosphorescent de sulfate double d'uranium et de potasse affirme avoir observé des radiations qui, non seulement sont susceptibles de traverser certains métaux, tels que l'aluminium et le cuivre, mais sont encore actives 150 heures après que le sel ait été exposé à la lumière.

 

Il imagine que le sel d'uranium agit comme condensateur d'un rayonnement présent dans la lumière incidente et qui serait ensuite lentement restitué. En cette fin de 19ème siècle le principe de la conservation de l'énergie est solidement établi. L'énergie radiante qui provient des sels d'uranium doit nécessairement provenir d'une source externe.

 

Lors de la séance du 9 mars Becquerel démontre que ces radiations déchargent les corps électrisés et aussi qu'elles peuvent être réfléchies. A la séance du 23 mars il rend compte de l'efficacité du nitrate d'urane, autre sel d'uranium, comme "condensateur de lumière".

 

A la séance du 30 mars 1896 il fait connaître les différences qu'il a observées entre les "radiations de phosphorescence" et les radiations Röntgen. Pour évaluer leurs activités respectives il utilise un électromètre et des plaques photographiques. Il constate que les "radiations phosphorescentes" traversent aisément le cuivre et le platine qui arrêtent les rayons X. De même le quartz totalement opaque aux rayons X se laisse facilement traverser par les radiations issues des sels d'uranium. Pour résumer : les radiations issues des sels d'uranium sont bien plus pénétrantes que les rayons X !

 

Séance du 18 mai : Becquerel annonce que tous les sels d'uranium, et le métal pur lui-même, ont la propriété de rayonner qu'ils soient phosphorescents ou non.

 

Autre annonce spectaculaire : des sels d'uranium contenus dans des enveloppes de plomb épaisses de plusieurs millimètres, hermétiquement closes et enfermées depuis plus de trois mois dans des boîtes de carton noir placées elles mêmes dans une chambre noire, agissent sur des plaques photographiques disposées sur les enveloppes de plomb. Ni la fluorescence, ni l'exposition à la lumière ne sont donc nécessaires pour observer le rayonnement de l'uranium et de ses sels.

 

Séance du 23 novembre 1896. Becquerel n'a pas fait d'autre communication depuis la réunion du 18 mai. Il s'est occupé à vérifier ses premières observations. La relation qu'en donne la revue La Nature témoigne de la rigueur de sa démarche :

 

"M. Becquerel confirme aujourd'hui ses premières expériences en faisant connaître les résultats fournis par des sels d'urane enfermés depuis le mois de mars dans une double enveloppe de plomb, placée elle-même dans la chambre noire. La boîte intérieure est divisée en deux compartiments par un papier noir tendu parallèlement au fond de la boîte. Une disposition convenable permet de glisser, au-dessous de cette feuille de papier, un châssis muni d'une plaque photographique. Enfin les substances étaient posées sur une plaque de verre, au-dessus du papier noir ; elles étaient de plus enfermées dans des petits tubes, en forme de cloche, scellés à la paraffine sur la lame de verre, de façon à éviter l'action possible des vapeurs. Il a développé la plaque le 7 novembre, après huit mois. L'épreuve montre très nettement l'effet des radiations".

 

Ce luxe de précautions contraste avec la légende, si souvent répétée, d'un Becquerel découvrant la radioactivité par hasard en développant une plaque photographique oubliée dans un tiroir à proximité d'un minerai d'uranium.

 

Cette année 1896 mérite d'être marquée d'une pierre blanche. Les rayons X sont à peine découverts qu'un nouveau rayonnement, celui de l'uranium, révèle à la fois son existence et son originalité.

 

Le phénomène attend, à présent, d'être expliqué.

 

Marie Curie : premières hypothèses.

 

Marie Sklodowska, jeune polonaise récemment mariée à Pierre Curie, a choisi de prendre, pour sujet de thèse, la découverte de Becquerel. Elle dispose pour cela d'un précieux instrument : l'électromètre à quartz piézoélectrique mis au point par Pierre Curie.

 

La piézo-électricité a été découverte en 1880 par Pierre Curie et son frère Jacques qui constataient que certains cristaux produisaient un courant électrique lorsqu'ils étaient soumis à une action mécanique, pression ou étirement. Le quartz, qui est aujourd'hui l'élément essentiel des montres et horloges électroniques, en était le meilleur exemple.

 

Nous ne décrirons pas le fonctionnement de l'électromètre à quartz ( Voir à ce sujet : L'expérience de Marie Curie reconstituée à Rennes.). Disons simplement qu'il permet de mesurer, avec une extrême précision, les effets électriques du rayonnement, déjà décrits par Becquerel. Sa possession était un élément essentiel pour qui s'attaquait à l'étude du nouveau rayonnement.

A partir d'avril 1898 Marie Curie fait connaître ses premiers résultats. Une note sur les "Rayons émis par les composés de l'uranium et du Thorium" est présentée par Lippmann à la séance du 12 avril 1898 de l'Académie des sciences.

 

" J'ai étudié, écrit-elle, la conductibilité de l'air sous l'influence des rayons de l'uranium, découverts par M. Becquerel, et j'ai cherché si des corps autres que les composés de l'uranium étaient susceptibles de rendre l'air conducteur de l'électricité." Recherche logique, de même que "l'électricité" a pris son essor quand Gilbert a pu montrer qu'elle n'était pas uniquement la propriété de l'ambre, il importait de savoir, avant toute étude complémentaire, si la "radioactivité" (l'expression est de Marie Curie) ne se limitait pas à l'uranium.

 

Dans le laboratoire de l'Ecole municipale de Physique et de Chimie de Paris où elle mène ses recherches, elle avait pu rassembler une collection de sels et d'oxydes prêtés par différents laboratoires de recherche parisiens. Ses mesures confirment d'abord la propriété de l'uranium : "Tous les composés de l'uranium étudiés sont actifs et le sont, en général, d'autant plus qu'ils contiennent plus d'uranium".

 

Elles montrent surtout que l'uranium n'est pas un cas isolé : "Les composés du Thorium sont très actifs. L'oxyde de Thorium dépasse même en activité l'uranium métallique". Et même : " les rayons émis par le thorium sont plus pénétrants que ceux émis par l'uranium". Il existe donc dans la nature une nouvelle classe de corps, les corps "radioactifs", qui méritent d'être recherchés et étudiés.

 

Une observation annonce d'ailleurs de nouvelles découvertes : "Deux minéraux d'uranium : la pechblende (oxyde d'urane) et la chalcolite (phosphate de cuivre et d'uranyle) sont beaucoup plus actifs que l'uranium lui-même. Ce fait est très remarquable et porte à croire que ces minéraux peuvent contenir un élément beaucoup plus actif que l'uranium."

 

Sans attendre les résultats de cette recherche, Marie Curie émet aussi une première hypothèse concernant le mécanisme de la radioactivité qui s'inspire encore de la phosphorescence : "on pourrait imaginer que tout l'espace est constamment traversé par des rayons analogues aux rayons de Röntgen mais beaucoup plus pénétrants et ne pouvant être absorbés que par certains éléments à gros poids atomique, tels que l'uranium et le thorium." Franchir le pas et imaginer un rayonnement tout simplement issu du minéral est encore trop difficile.

 

Le Polonium.

 

Le 18 juillet 1898 une nouvelle communication "Sur une substance nouvelle radio-active", contenue dans la pechblende" signée de Pierre et de Marie Curie est lue par Becquerel à la séance de l'Académie des Sciences. Pour la première fois l'expression "substance radio-active" apparaît dans le langage scientifique. Le concept de "radioactivité" est né.

 

Si les auteurs n'hésitent pas à baptiser ainsi une propriété qui ouvrira une nouvelle branche de la physique c'est que leurs récentes études les ont mis en face d'une réalité nouvelle.

 

Ils rappellent d'abord l'observation de Marie Curie sur l'activité des certains minerais d'Uranium plus élevée que celle du métal lui-même et sur l'hypothèse d'y trouver un nouveau corps. : "Nous avons cherché à isoler cette substance dans la pechblende, et l'expérience est venue confirmer les prévisions qui précèdent" annoncent-ils.

 

Leur méthode consiste à faire subir au minerai une laborieuse série de réactions classiques de purification. La liste détaillée de ces opérations prouve, à la fois, l'obstination et la compétence des deux auteurs et de leur équipe. La série de manipulations aboutit à un mélange ne contenant plus que du Bismuth associé à un nouveau corps radioactif dont les propriétés chimiques, voisines de celles du Bismuth, ne permettent plus l'extraction par les procédés chimiques classiques.

 

Par un procédé physique pratiqué sur les sulfures du mélange, ils obtiennent finalement la séparation des deux corps : " On chauffe les sulfures dans le vide dans un tube de verre de Bohême vers 700°. Le sulfure actif se dépose sous forme d'enduit noir dans les régions du tube qui sont à 200°-300°, tandis que le sulfure de bismuth reste dans les parties chaudes." Dès ces premières manipulations les procédés d'enrichissement en matières radioactives sous forme chimique ou sous forme physique annoncent les méthodes qui seront développées à l'avenir.

 

Le résultat est probant : "En effectuant ces diverses opérations, on obtient des produits de plus en plus actifs. Finalement nous avons obtenu une substance dont l'activité est environ 400 fois plus grande que celle de l'uranium.

Nous avons recherché, parmi les corps actuellement connus, s'il en est d'actifs. Nous avons examiné des composés de presque tous les corps simples ; grâce à la grande obligeance de plusieurs chimistes, nous avons eu des échantillons des substances les plus rares. L'uranium et le thorium sont seuls, franchement actifs, le tantale l'est peut-être très faiblement.

Nous croyons donc que la substance que nous avons retirée de la pechblende contient un métal non encore signalé, voisin du Bismuth par ses propriétés analytiques. Si l'existence de ce nouveau métal se confirme, nous proposons de l'appeler polonium, du nom du pays d'origine de l'un de nous."

 

A n'en pas douter, les auteurs ont déjà l'assurance qu'un nouveau corps, fortement radioactif, viendra s'inscrire dans le tableau des éléments, proposé par le Russe Mendeleïev trente ans plus tôt. La découverte de la pile électrique par Volta puis de l'électrolyse par Nicholson, Carlisle et Davy avaient permis la découverte d'une importante quantité de nouveaux corps. Celle de la radioactivité annonce-t-elle une moisson aussi riche ? Si tel devait être le cas, Pierre et Marie Curie tiennent à en partager le mérite avec celui qui, le premier, avait découvert la propriété de l'Uranium : "Qu'il nous soit permis de remarquer que si l'existence d'un nouveau corps simple se confirme, cette découverte sera uniquement due au nouveau procédé d'investigation que nous fournissent les rayons de Becquerel."

 

Le Radium.

 

Après la découverte du polonium un travail encore plus exténuant attend le couple qui soupçonne l'existence d'un autre corps radioactif dans la pechblende. Nous ne décrirons pas cette aventure qui aboutit à la découverte du corps que les Curie désigneront du nom de radium. Un métal dont l'activité est d'abord estimée à 100 000 fois celle de l'uranium avant que le chiffre de 1 million de fois soit même proposé.

 

La découverte de nouveaux corps se poursuit donc mais la nature du rayonnement reste quant à elle un mystère. Le Radium, très radioactif, offre sur ce plan de nombreuses possibilités. Pierre et Marie Curie découvrent qu'il émet deux rayonnements. L'un est dévié par un champ magnétique, l'autre ne l'est pas.

 

Le rayonnement non dévié (en fait, il l'est, mais très faiblement) est rapidement absorbé par un obstacle matériel. Dans une communication présentée par Becquerel à la séance de l'Académie des sciences du 8 janvier 1900 "sur la pénétration des rayons de Becquerel non déviables par le champ magnétique", Marie Curie montre que ce rayonnement a une loi d'absorption singulière qui "rappelle plutôt la manière de se comporter d'un projectile, qui perd une partie de sa force vive en traversant des obstacles." Rutherford étudiera les propriétés de ces particules massives, chargées d'électricité positive, et désignera leur rayonnement sous le nom de "rayonnement α (alpha)". Plus tard sera découvert le "rayonnement γ (gamma)", analogue au rayonnement X mais encore plus pénétrant.

 

Le 5 mars 1900, Pierre et Marie Curie font lire par Becquerel à la séance hebdomadaire de l'Académie des Sciences un mémoire "Sur la charge électrique des rayons déviables du radium". Ayant constaté que "les rayons déviables du radium sont chargés d'électricité négative", ils établissent une analogie avec les rayonnements cathodiques dont le physicien français Jean Baptiste Perrin a montré, en 1895, qu'ils étaient constitués de particules négatives :

 

"Ainsi, écrivent-ils, dans le cas des rayons déviables du radium, comme dans le cas des rayons cathodiques, les rayons transportent de l'électricité. Or jusqu'ici, on n'a jamais reconnu l'existence de charges électriques non liées à la matière pondérale. On est donc amené, à considérer comme vraisemblable que le radium est le siège d'une émission constante de particules de matière électrisée négativement, capables de traverser sans se décharger des écrans conducteurs ou diélectriques.".

 

Ce rayonnement de particules négatives sera ultérieurement désigné sous le nom de "rayonnement β (bêta)".

 

Au moment même où Pierre et Marie Curie établissent l'analogie entre le rayonnement β du radium et les rayons cathodiques, on découvre en France les travaux du britannique Joseph John Thomson sur le rayonnement cathodique qui mettent en évidence l'existence de cette particule, commune aux deux rayonnements, et ses propriétés.

 

Ceux-ci lui vaudront de se voir attribuer la paternité de la découverte de la particule d'électricité négative qui sera plus tard désignée par le terme d'électron.

 

 

 

 

 

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3 décembre 2017 7 03 /12 /décembre /2017 17:35

Bernard Thomas est passionné par l'histoire de l'électricité au 18ème siècle. Il collectionne de précieux appareils et reproduit certains de ceux qui étaient utilisés pour les "spectacles électriques" donnés alors à la Cour ou devant le peuple. Mieux : il présente lui-même ces spectacles en costume d'époque.

 

 

Tout l'appareillage digne d'un Abbé Nollet compose sa collection.

 

On peut retrouver ces appareils sur son site : http://electricity.pagesperso-orange.fr/elecric/french.html

 

 

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1 décembre 2017 5 01 /12 /décembre /2017 13:29

Conférence de Fressoz Jean-Baptiste.

Si tout le monde a en tête la courbe croissante des émissions de CO2 depuis deux siècles, on en a curieusement pas d’histoire. Quels sont les grands processus historiques qu’il faut prioritairement mettre en relation avec cette courbe ? Quels sont les institutions, les pouvoirs, les imaginaires et les intérêts qui nous ont véritablement placés sur le chemin de l’abîme climatique ? Cette conférence visera à redonner au CO2 une histoire et donc une politique.

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