La France se prépare à soutenir la guerre d'indépendance américaine, Brest et sa région sont en pleine effervescence. Sébastien Le Braz, jeune chirurgien de marine, tient sont journal. Deux siècles plus tard, des fragments en sont retrouvés dans le grenier d'un manoir en cours de démolition dans sa ville natale de Landerneau.
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Je me nomme Sébastien Le Braz. Je suis né en 1753 dans la ville de Landerneau en Bretagne. Cette journée du 10 juin 1778 restera, j'en suis certain, l'une des plus mémorables de l'année de mes 25 ans. Quelques jours plus tôt le Chevalier de Bouffllers, colonel du premier régiment d'infanterie du Duc de Chartres, cantonné à Landerneau, m'avait proposé de l'accompagner à Poullaouen où il devait assurer la protection du Duc, cousin du Roi, à qui il avait pris la fantaisie de vouloir visiter les mines de plomb argentifères exploitées dans cette localité.
Diplômé depuis deux ans de l'école Royale de Chirurgie Navale de Brest, j'avais rencontré le Chevalier, peu de temps après l'arrivée de son régiment à Landerneau. Ses troupes étaient en mauvais état et pour répondre à la requête des édiles de Landerneau qui craignaient que la gale et les maladies «honteuses» ne se répandent dans la population, Mr. De Champeroux, le commissaire des guerres installé à Brest, leur avait délégué le jeune chirurgien de marine, originaire de la ville, que je suis. Sans doute avait-il plaidé ma bonne connaissance de la cité, passage obligé entre le Léon et la Cornouaille, pour faire oublier le soupçon d'inexpérience que mon jeune âge ne manquerait pas de susciter.
Uniforme de chirurgien de la marine.
Habit "gris d'épine" à veste et revers pourpre.
Boutons à l'ancre enlacée des serpents d'Epidaure.
Mr Daumesnil, le maire, s'étant refusé à installer des lits chez l'habitant pour les soldats réputés "vénériens" ou "galeux", ceux-ci avaient trouvé un asile provisoire au couvent des Ursulines, un vaste bâtiment qui était loin d'être totalement occupé. J'y avais fait au mieux, avec le peu de moyens dont je disposais, la gale et la gonorrhée n'étant pas les seules maladies dont étaient affectées les troupes souffrant, en particulier, de fluxions de poitrine après le climat humide et froid qui avait été celui de l'hiver passé.
Je crois avoir réussi à convaincre le chevalier, qui me surveillait du coin de l'oeil, de ma capacité à soigner ses soldats. Il a même été jusqu'à flatter mon orgueil en avouant qu'il n'attendait pas autant d'expérience chez un si jeune homme. Le chevalier manifestait, à qui voulait l'entendre, une sainte aversion pour le corps de médecins à qui il reprochait d'en être restés à Hyppocrate, masquant leur ignorance sous le vernis des formules latines. La pratique des armées lui avait fait connaître, disait-il, la valeur des chirurgiens militaires si régulièrement méprisés par les petits maîtres arrogants issus de la faculté.
De tels propos ne pouvaient que trouver écho chez le jeune chirurgien dont le Corps était si souvent en butte aux prétentions de celui des médecins de marine. A les entendre nous ne pouvions être que des exécutants justes capables, sous leur direction, de pratiquer une saignée ou de trancher un membre. Fort heureusement, l'idée se faisait jour d'une école de santé navale qui formerait à la fois médecins et chirurgiens.
De mon côté, j'avais pu constater que le chevalier lui-même manifestait une humanité, inhabituelle chez les officiers, vis-à-vis des hommes de sa troupe. Comment ne pas éprouver de la sympathie pour cet homme, citant Diderot en toute occasion, et dont le court séjour à Fernay auprès de Voltaire avait illuminé les années de jeunesse (voir). A son contact, je revivais les longues discussions qui avaient animé mes années d'études au Collège de Navarre dans un Paris où se concentrait, pensais-je alors, le meilleur de la science et de la philosophie.
Stanilas de Boufflers avait alors quarante ans. Si lui-même n'évoquait que peu son passé, ses soldats et ses officiers ne manquaient pas de broder sur une vie qui offrait matière à légende.
Il tenait son nom de Louis-François, marquis de Boufflers. De sa mère, la belle Marie-Françoise-Catherine de Beauvau Craon, femme d'esprit maniant aussi bien la plume que le pinceau, il tenait son héritage intellectuel. Le jeune Stanislas était né en 1738, quelque part sur la route qui menait sa mère à Nancy. Son prénom, il le devait à l'amant en titre de celle-ci, Stanislas Leszczynski ancien roi de Pologne et beau-père de Louis XV, reconnu en France, jusqu'à sa mort, comme duc de Lorraine.
La ville de Nancy où se passa sa prime enfance était le siège d'une cour brillante qui attirait artistes et gens de lettres. La Bibliothèque Royale de Nancy et la Société Royale des Sciences et Belles-Lettres de la ville bénéficiaient alors d'une audience qui dépassait largement les frontières du duché.
Destiné par sa famille à l'état ecclésiastique, il réussit, pour des écrits libertins, à se faire renvoyer du séminaire de Saint-Sulpice où il avait été mis en pension. Cette rébellion ayant convaincu ses proches de son inaptitude au sacerdoce, il fut doté, par son royal parrain, du titre de Chevalier de Malte. Ce titre lui assurait un revenu confortable, même s'il devait, pour le conserver, afficher un officiel célibat.
Il choisit alors la carrière militaire. S'illustrant par son courage dans plus d'une bataille, il se trouva rapidement promu colonel. C'est ainsi que je le rencontrai à Landerneau où son régiment attendait d'être embarqué sur un des bâtiments de l'escadre rassemblée à Brest pour la guerre qui se préparait contre l'Angleterre, au côté des insurgents américains.
L'attente lui semblait interminable. ". Il n'est pas plus question de se battre en Bretagne qu'au couvent de la Visitation", me confiait-il avoir écrit à la comtesse de Sabran, rencontrée peu de temps auparavant et dont il était aussi follement épris qu'un jeune adolescent à son premier amour.
Il ne se lassait pas de m'entretenir de l'élégance de la silhouette et de l'élévation de l'esprit de celle qu'il n'osait encore désigner que comme sa "soeur". Je fus le confident de ses amours en même temps que le guide chargé de le distraire par des flâneries le long de la rivière Elorn qui traverse la ville ou par des randonnées à cheval dans la campagne environnante. Le Chevalier prisait particulièrement les bois de Brézal, proches de la ville, où le marquis de Kersauzon organisait régulièrement des chasses à courre qui attiraient l'élite de la société bretonne aussi bien que les illustres visiteurs de passage.
Comtesse de Sabran
En ce mois de Juin ensoleillé, le Chevalier s'était donc fait un plaisir de m'inviter, à son tour, à une visite dont il imaginait qu'elle ne manquerait pas d'intérêt pour le jeune homme curieux de sciences et de techniques qu'il avait cru reconnaître en ma personne. La nécessité de prévoir la présence d'un chirurgien pour parer à tout accident était d'ailleurs un bon prétexte à cette proposition.
Le voyage jusqu'à Poullaouen avait été une agréable chevauchée. Nous étions partis la veille avec le projet de trouver refuge pour la nuit dans une auberge de Huelgoat qu'un négociant en toile, habitué des collectes dans les fermes-ateliers de la région, nous avait conseillée. En montant vers les Monts d'Arrée il avait d'abord fallu traverser les régions boisées de la vallée de l'Elorn en longeant la rivière sur laquelle tournaient les roues des multiples moulins qui y traitaient ici le blé et le sarrasin, là le cuir, plus loin le papier ou le lin. J'y reconnaissais certains lieux, de moi seul connus, où je venais braconner la truite et le saumon aux jours de ma jeunesse insouciante. Au printemps, les prés s'y couvraient de jonquilles que je ramenais par brassée sur les quais de Landerneau où je trouvais toujours quelque ménagère indulgente pour me les échanger contre de la menue monnaie. C'est ainsi que, pièce après pièce, j'avais économisé le prix du premier couteau à lame pliante acheté chez Herry, le forgeron de la rue des boucheries. ce couteau, au manche poli par l'usage et dont la lame a perdu un bon tiers de sa largeur à force d'être affûtée je le sens qui alourdit la poche droite de mon justaucorps.
La conversation allait bon train. Le chevalier me parla de Voltaire, revenu en France pour assister à la présentation d'Irène, sa dernière pièce jouée à la Comédie Française. Les nouvelles qu'il avait reçues de la Capitale le disaient en mauvaise santé.
- Je crains que son séjour ne soit trop long. Paris est trop jeune pour lui. La première curiosité une fois passée, on le laissera là.
Nous arrivions à Sizun. Une courte halte dans le bourg pour admirer l'enclos paroissial édifié au début du siècle précédent s'mposait. Le chevalier de Bouflers, dessinateur confirmé qui avait fait parvenir à Landerneau un matériel d'aquarelliste, y avait relevé sur les feuillets reliés dont il s'était muni, les éléments d'une architecture dont, à son grand étonnement, il n'avait trouvé, disait-il, les modèles que sur les palais des rives de la Loire ou encore dans les villes des Flandres. Aurait-il pu imaginer de telles savantes et élégantes construction et de si magnifiques vitraux dans ces villages aussi éloignés des cours princières ? Leur splendeur témoignait d'une richesse passée qui, pourtant déjà, semblait oubliée. Les toits moussus sommairement réparés et les peintures délavées des porches et des calvaires portaient la marque du déclin de l'industrie du tissage et du commerce des toiles de lin qui avaient fait la fortune du pays avant que les guerres répétées avec l'adversaire anglais, et l'arrêt du commerce maritime qui en avait résulté, l'aient partiellement ruiné.
Le Chevalier de Boufflers s'était particulièrement attaché à relever les figures de sirènes qui ornaient le pourtours de l'église, souvenir des vieux rites païens de l'eau que la religion chrétienne s'efforçait de mettre à son service à défaut de pouvoir les éradiquer. Il avait d'entrée été attiré par une sculpture sur l'ossuaire, à l'angle de l'arc de triomphe ouvrant l'enceinte de l'enclos paroissial. La Morgane aux seins nus qui y était représentée lui semblait inviter bien plus à une célébration du culte de Vénus qu'à un recueillement chrétien. Il se promettait de faire l'envoi, à la comtesse de Sabran, du dessin qu'il en avait réalisé et qu'il finirait à l'aquarelle de retour à Landerneau. Le message serait-il entendu ?
La Morgane de Sizun
Passé Sizun, les bois s'étaient clairsemés. Les larges coupes effectuées pour la construction des navires de guerre à l'arsenal de Brest avaient laissé la place aux landes et aux genêts dont l'or éclatait dans la campagne. Mais là aussi apparaissait le violet de la bruyère plus rase. Les fours des boulangers de la marine qui cuisaient le biscuit de mer avaient besoin de genêts pour la mise en chauffe. Dans cette période de préparatifs intenses, la campagne brestoise n'y suffisait plus. On venait jusqu'ici pour les récolter. Apportant leur touche à cette palette de couleurs, les champs enclos de hauts talus se couvriraient bientôt du bleu des fleurs du lin, transformant le paysage en une superbe mosaïque.
La dernière étape, après Commana et son église aux figures rustiques, avait fait surgir de ma mémoire l'univers des légendes dont j'avais été nourri dans ma prime enfance par Naïck, ma nourrice originaire du bourg de La Feuillée. Là, passé le col de Trévézel, s'étendait le Yeun Elez.
Le Yeun Elez est une large dépression occupée par une étendue marécageuse au cœur des Monts d'Arrée. En son centre se trouve le Youdic, le puits sans fond, entrée de l'enfer froid des légendes celtiques. Qui s'en approche ne trouvera d'abord qu'une flaque verdâtre mais gare à celui qui la verrait soudain bouillir, s'il ne s'échappe au plus vite il sentira le sol s'effondrer sous ses pieds et nul ne le retrouvera. Les nuits de pleine lune, des cris affreux montent du cœur du marais, tels ceux d'une meute furieuse en quête d'une proie à saisir. Ce sont les esprits des damnés qui maudissent les vivants qui les ont oubliés. Là règne l'Ankou, le serviteur de la mort. Qui a entendu le grincement des roues de sa charrette, à la tombée du jour, sait que le lendemain on sonnera pour les morts au clocher de l'église. Ainsi parlait Naïk, ma nourrice, le soir au coin de l'âtre quand les parents n'entendaient pas. Combien de nuits me suis-je réveillé, persuadé d'entendre le martèlement, sur le pavé du port, du manche de la faux de l'Ankou scandant l'avance grinçante de sa charrette.
L'église avait confié à l'Archange Saint Michel le soin de contenir les forces démoniaques dans le Yeun Elez. Mais les voyageurs pouvaient constater que sa chapelle, au sommet du Menez Mikaël qui dominait le paysage, menaçait ruine. En face, les rocs acérés qui couronnaient le Tuchen Kador rappelaient avec arrogance la puissance des vieux mythes dont la Nature était le seul temple.
Pour moi l'Arrée était d'abord le pays des guérisseurs et rebouteux qu'on venait consulter de très loin. Ma mère ne manquait pas de s'approvisionner en herbes et onguents vendus par les colporteurs et chiffoniers descendus de la "Montagne". Elle avait son préféré, Fanch le Pillaouer, qui savait la distraire des récits qu'il colportait de village en village. Ne négligeant pas l'ancienne science, je venais moi-même régulièrement rechercher ici les herbes qui guérissent et dont le secret m'avait été confié par celles et ceux que l'on désignait trop facilement comme sorcières ou sorciers. Ma bonne connaissance du parlé local, hérité des leçons de Naïck, facilitait le contact. Je trouvais chez Fanch ar Bleiz, de Botmeur, la provision de "Louzaouenn-ar-skevent", l'herbe aux poumons, la pulmonaire des français, que j'avais utilisée abandamment en tisanes associées à un sirop de miel de bruyère pour soulager mes soldats. J'y trouvais aussi la "louzaouenn-ar-goanvennoù", la petite consoude, dont je faisais des pommades contre les engelures. J'ignorais généralement le nom latin ou français de tous ces "louzoù", ces herbes que Fanch ne m'avait désignées qu'en breton, mais l'expérience me prouvait qu'elles n'en guérissaient pas moins.
Il me procurait en particulier un mélange de sa composition, efficace contre les fièvres qui se propageaient avec une affolante rapidité dans les salles où étaient confinés les malades. Il refusait, cependant, de me donner, même seulement, le nom des herbes qui le composaient, me disant simplement les cueillir au plus près du Youdic, là où elles s'étaient montrées capables de résister aux effluves méphytiques du marais comme à l'haleine des damnés qui s'exhalaient du lieu. Je ne lui en demandais pas plus sachant qu'un malheur le menaçait, me disait-il, s'il me confiait un secret qui ne se transmettait que d'ailleul à petit-fils.
Arrivée tardive à l'auberge du Huelgoat où un solide ragoût de mouton, suivi d'une montagne de crêpes arrosées d'un cidre pétillant, nous avait rassasiés après la frugalité du pain et du fromage emportés pour le voyage et grignotés à Sizun. Le détachement du régiment de Chartres, arrivé la veille, avait monté son bivouac près de l'étang qui alimentait les mines. Le Chevalier de Boufflers, qui leur avait confié la malle contenant nos tenues d'apparat, indispensables pour le lendemain, ainsi que mes précieux instruments de chirurgie, avait souhaité les visiter. Les quelques mots échangés autour du feu valaient mieux, disait-il, que l'ennui de certaines soirées mondaines auxquelles on l'invitait trop souvent. On y partageait la pomme de terre sortie brûlante des cendres qui était devenue le régal de ces feux de camp depuis que Monseigneur de la Marche, l'évèque du Léon, qui en avait gagné le surnom de Eskob ar patatez, en avait encouragé la culture quelques années plus tôt.
Levés tôt, suivis d'un contingent de l'infanterie de Chartres, uniforme blanc à parements et revers écarlates, nous fûmes reçu par l'un des propriétaires, le Comte Patrick d'Arcy. De Boufflers abordait avec un plaisir non dissimulé ce brillant militaire, alors âgé de 53 ans qu'il avait eu l'occasion de fréquenter sur les champs de bataille. Comment ne pas être admiratif pour un homme qui, bien qu'étant d'origine étrangère, avait été promu jusqu'au grade de maréchal de camp pour son action au service du Royaume.
Sur le trajet entre Huelgoat et Poullaouen, de Boufflers avait eu le temps de me tracer un portrait du personnage. Irlandais, né dans le canton de Galway en 1725, Patrick d'Arcy, dont le prénom avait été francisé en Patrice, est de ces familles jacobites qui poursuivent leur combat pour le rétablissement de la dynastie des Stuart sur le trône d'Angleterre. Emigré en France, c'est comme militaire des armées françaises qu'il avait espéré parvenir à ce but. Engagé comme capitaine dans le régiment de Condé, il s'était fait remarquer à Fontenoy en 1745, puis à la bataille de Rosbach pendant la guerre de Sept Ans. Promu brigadier, il devait assister avec douleur, à la montée en puissance de l'Angleterre et au déclin de la France. De Bouflers était persuadé que les nouvelles de la reprise de la guerre avec l'Anglais ne pourraient manquer de réveiller chez lui d'anciens espoirs et lui rappeler les projets élaborés avec ses amis jacobites pour une reconquête de l'Irlande et de l'Angleterre. Le Chevalier se promettait de s'en entretenir avec lui si l'occasion se présentait pendant la journée.
Mais là n'était pas pour le moment la première préoccupation du comte d'Arcy. Si de Bouflers écrivait des vers, d'Arcy résolvait des équations. Les sciences l'avaient consolé des revers de la guerre. Recueilli dans sa jeunesse par un oncle banquier à Paris, il avait appris les mathématiques auprès de Jean-Baptiste Clairaut, l'un des plus célèbres professeurs du moment. Il se passionna alors pour les mathématiques, la physique et la mécanique. Seulement âgé de 17 ans, il présentait des mémoires de mécanique à l'Académie Royale des Sciences dont il devenait sociétaire alors qu'il n'avait que 24 ans et qu'il poursuivait dans le même temps sa carrière militaire. La mécanique et la dynamique l'intéressaient particulièrement. Son Mémoire sur les machines hydrauliques publié par l'Académie des Sciences en 1755 était encore une référence trente ans plus tard. Les machines et ouvrages hydrauliques équipant la mine de plomb argentifère de Poullaouen, qui était alors l'une des plus importante d'Europe, pouvaient témoigner de cette science.
Près du comte d'Arcy se tenait un homme, dégageant une autorité naturelle malgré une tenue modeste. Il se montrait attentif aux explications que le comte semblait lui donner de l'aménagement du lieu, avec force gestes à l'appui. Remarquant notre présence, le comte s'approcha pour nous accueillir et, se dirigeant vers de Bouflers :
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Bienvenue sur ces terres bretonnes Chevalier. Je crois me souvenir que la dernière fois que nous nous sommes rencontrés cela sentait fortement la poudre. La bataille que nous menons ici peut sembler moins riche de gloire mais je suis persuadé que vous saurez voir que le courage des mineurs et des fondeurs peut souffrir la comparaison avec celui des soldats.
Permettez-moi de vous présenter mon ami et confrère de l'Académie des Sciences Antoine de Lavoisier qui est de passage dans la région et nous a fait l'honneur de répondre à l'invitation que je lui ai faite de nous accompagner.
Monsieur de Lavoisier, je vous présente le Chevalier de Bouflers, militaire et homme de lettres, aussi brillant dans les salons qu'il est intrépide sur les champs de bataille.
Rencontrer deux Académiciens, et pas des moindres, au même moment dans la commune de Poullaouen, jamais une telle chance ne m'avait été donnée pendant mes années parisiennes au Collège de Navarre ! Depuis trois ans, Lavoisier était titulaire de la Régie Royale des Poudres, sa présence à la pointe de Bretagne au moment où une guerre se préparait ne pouvait être fortuite. Nous apprendrons par la suite que quatre ans plus tôt il avait eu à analyser le minerai issu de la mine de Poullaouen dont le comte d'Arcy lui avait apporté un échantillon à l'Académie des sciences. Répondre à l'invitation du comte à l'occasion de son passage à Brest était donc bien plus qu'une marque de courtoisie. L'intérêt scientifique en était tout aussi primordial.
Antoine de Lavoisier.
Le Chevalier de Boufflers ne chercha pas à masquer l'étonnement et le plaisir que lui procurait cette annonce. Lavoisier, chimiste et fermier général, était l'une des personnalités les plus en vue de la capitale. La fréquentation régulière, à son laboratoire de l'arsenal, de Benjamen Franklin que chacun s'arrachait à Paris, ajoutait encore au prestige du jeune académicien qui, à trente cinq ans, avait commencé à bousculer les doctrines héritées des chimistes britanniques, les Black, Priestley, Cavendish, qui dominaient alors en Europe.
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Permettez-moi de vous saluer Monsieur l'Académicien, j'étais loin d'imaginer la présence de deux éminents membres de votre Assemblée en ces lieux. J'imagine que nous n'aurons pas la mémoire assez vive pour retenir tout ce que nous y apprendrons. Je voudrais vous présenter à mon tour le jeune Sébastien Le Braz, chirurgien de marine de brillant avenir, qui a accepté d'être mon compagnon de route et sur qui nous pourrons nous appuyer si, par malheur, un fâcheux accident survenait à l'un d'entre-nous.
Quelle attitude adopter face à de tels personnages ? La main sur la poitrine, je me contentai de m'incliner.
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Votre serviteur, Messieurs. En vous souhaitant, cependant, de ne pas avoir recours à mes services.
A en juger par le sourire des deux académiciens, la remarque, dont je me reprochais la plate banalité , semblait avoir été bien reçue.
Bientôt, de la route arrivant à la mine, une rumeur se mit a enfler. La foule massée sur chacun de ses côtés avait été bien chapitrée. Les cris de "Vive le Roi, Vive le Duc de Chartres", lancés par des meneurs bien répartis, étaient repris avec des sonorités dans lesquelles dominait la rudesse de l'accent breton. Un détachement de quatre cavaliers du régiment de Chartres apparut, bientôt suivi de la diligence du Duc près de laquelle chevauchait le comte de Genlis, capitaine de ses gardes.
C'est lui qui, le premier, avait attiré mon regard. Boufflers m'avait tant parlé de Félicité de Genlis, épouse du comte et brillante femme de lettres fréquentant Voltaire et Rousseau. Elle était surtout la maîtresse en titre du duc de Chartres depuis bientôt six ans et celui-ci l'avait désignée comme gouvernante de ses enfants. Cette fonction lui avait donné l'occasion de développer ses talents reconnus de pédagogue. Le comte, son époux, y avait gagné sa charge de capitaine, un logement au Palais-Royal et des gages de 6000 livres par an. Ainsi vont les mœurs à la Cour des Grands.
La visite commença rapidement après les présentations et compliments d'usage entre tous les éminents personnages accompagnant la visite. Il était connu que le comte d'Arcy considérait les mines de Poullaouen et de Huelgoat comme son chef d'oeuvre, la mise en application de tout ce qu'il avait pu exposer dans ses écrits théoriques en matière d'hydraulique. C'est donc par une description de l'équipement des mines qu'il voulut commencer la journée.
Celles-ci avaient chacune environ 500 pieds de profondeur et l'eau y ruisselait de toutes parts. Les puits seraient rapidement noyés s'il n'y avait eu des pompes assez puissantes pour les assécher. Ces machines devaient elles-mêmes être actionnées par un courant d'eau. Celle-ci n'existant pas sur place, il avait fallu la faire venir à grands frais par des aqueducs et des canaux.
Le comte d'Arcy nous en présenta rapidement le détail. Le principal des canaux d'Huelgoat a 3000 toises de longueur. L'eau coule d'abord dans une galerie percée dans une montagne de granit. Elle est ensuite conduite jusqu'à la mine par un canal creusé à travers des rochers, des précipices et des obstacles de toute espèce. Les différents canaux qui conduisent l'eau à Poullaouen ont ensemble une étendue de 9000 toises. On a construit en outre à la tête des canaux, tant à Poullaouen qu'à Huelgoat, de vastes étangs où l'excédent de l'eau qui coule pendant l'hiver est mis en réserve pour suppléer à ce qui manquerait pendant les temps de sécheresse.
Le duc de Chartres ayant voulut reconnaître le tracé du canal principal, nous l'avons suivi à pied depuis la mine en direction de Huelgoat. L'effort fut récompensé. Le chemin était un véritable enchantement. On rencontrait d'abord une rivière qui ne portait d'autre nom que "Rivière des mines". Sur sa berge s'ouvrait un petit canal d'une largeur d'environ trois pieds, qui allait jusqu'à la mine l'eau nécessaire pour faire fonctionner la machine hydraulique. Le chemin traversait un bois assez épais dans lequel s'ouvraient des clairières offrant de merveilleux points de vue sur la vallée en contre-bas. Le soin avec lequel le chemin est entretenu ainsi que les sièges de pierre qui y sont disposés donnent un air de jardin à la française à ce superbe paysage. Le comte d'Arcy nous explique qu'il organisait parfois des fêtes dans ces bois pour les visiteurs qu'il recevait de Paris. On y jouait de la musique, on y dansait. Les belles dames qui accompagnaient ces messieurs ne se seraient pas risquées sur un terrain boueux.
Au bout du chemin se trouvaient les machines hydrauliques qui servent à élever les eaux du fond des travaux jusqu'à la surface de la terre, c'est à dire jusqu'à une hauteur d'environ 500 pieds.Si j'ai bien retenu les explications du comte, elles sont au nombre de deux à Huelgoat et de trois à Poullaouen. Les roues à augets sont d'une taille peu ordinaire. Elles ont 30 à 35 pieds de diamètre. M. Darcy, sous les ordres duquel elles ont été construites, nous a dit avoir profité, pour obtenir le plus grand effet possible, de toutes les connaissances dont la mécanique et l'hydraulique se sont enrichies jusqu'à ce jour. Affichant une modestie qui lui faisait négliger de signaler ses propres travaux, il nous a cependant appris, avec une évidente satisfaction, que les mines de Huelgoat et Poullaouen étaient régulièrement visitées par des ingénieurs étrangers et largement copiées.
Le minerai de Poullaouen et d'Huelgoat est un minerai de plomb, connu sous le nom de galène, contenant un peu d'argent. C'est d'abord pour l'argent qu'elles sont exploitées. Cette mine, ainsi que presque toutes celles de cette nature, se trouve composée de filons ou espèces de tranches contenues entre deux rochers, et qui pénètrent dans la terre à une très grande profondeur. On attaque ces filons par des galeries horizontales et par des puits perpendiculaires. C'est le long de ces puits que sont placées les échelles. Malgré les prières instantes que faisaient pour l'en détourner tous ceux qui l'environnaient, c'est par cette route dangereuse que le duc de Chartres, accompagné du comte de Genlis et du chevalier de Boufflers a décidé de descendre jusqu'aux travaux les plus profonds. Un futur commandant d'escadre aspirant au grade de Grand Amiral de France pouvait-il reculer devant un tel défi ?
Malgré ma crainte du vide et les souvenirs d'histoires de korrigans farceurs hôtes de ces mines, dont m'abreuvait ma brave Naïck, il m'a bien fallu suivre cette équipée. Ne devais-je pas être au plus près d'un éventuel accident ?
La dureté du rocher qui enveloppe le minerai est telle, que les pics maniés à main d'homme ne peuvent parvenir à l'entamer. Il faut donc s'aider du secours de la poudre. Le prince affirma vouloir partager tous les dangers auxquels les ouvriers sont exposés. Il exigea qu'on fit la démonstration de l'explosion d'une mine en sa présence, et que l'exploitation se fit exactement comme à l'ordinaire.
Monsieur de Lavoisier qui nous accompagnait s'inquiéta de la façon dont étaient évacuées les vapeurs méphitiques issues de ces explosions. Il soupçonnait depuis peu, disait-il, que l'air contenait une partie vitale qui était absorbée et corrompue tant par les combustions que par la respiration des hommes. Il suggérait que, pour la santé des mineurs, une ventilation efficace soit réalisée. Mon émotion fut à son comble quand, se tournant vers moi, il suggéra qu'on y réfléchisse aussi pour les hôpitaux et les entreponts où vivaient et dormaient les équipages.
Ce voyage souterrain dura trois interminables heures. La remontée vers la lumière sur des échelles aux barreaux humides ne se fit pas sans difficultés et la solide collation qui nous attendait à la sortie fut accueillie avec un plaisir non dissimulé. Profitant de ce moment de complicité, le Chevalier de Boufflers voulut interroger Lavoisier sur les impressions qu'il avait retenues de son passage à Brest quelques jours plus tôt.
"J'ai eu sous les yeux le spectacle de la plus grande partie des forces maritimes de la France", lui répondit-il.
"Vingt cinq vaisseaux de ligne étaient en rade, deux étaient prêts à sortir du port, cinq ou six autres seront prêts à la fin de la campagne, m'a-t-on dit. Chaque jour la flotte fait des évolutions dans la rade et on fait détonner force salpêtre.
Je ne suis pas dans le secret mais il se dit que, outre cette flotte, il y aurait une chaîne de frégates depuis le port de Brest juqu'aux côtes d'Angleterre. Elles y seraient en observation afin que par une communication de signaux on sache tout ce qui se passe en Angleterre.
On saurait ainsi que l'amiral Keppel n'est pas sorti, que l'amiral Biron qui était sorti de Porsmouth est rentré à Plymouth peu de jours après."
Le Chevalier me confia, plus tard, que ces propos confirmaient ses craintes :
" on donnait à Brest le spectacle de la guerre mais on ne s'y préparait pas".
Après le froid humide de la mine, la chaleur irradiante des fours était au programme du lendemain. Cette deuxième visite donna lieu à des échanges très techniques entre le comte d'Arcy et Monsieur de Lavoisier. Il y était question de phlogistique. Le mot ne m'était pas inconnu. Il était évoqué dans les démonstrations de chimie auxquelles j'avais assisté au Jardin des Plantes pendant mon séjour parisien. Il désignait un «feu matériel» qui s'échapperait des corps en combustion.
Suivant la théorie alors admise, les minerais ne seraient que des métaux ayant perdu leur phlogistique. L'opérations métallurgique consistait alors à le leur restituer pour retrouver le métal. Cette fonction était dévolue au charbon de bois, riche en phlogistique, que l'on devait disposer avec art dans les fours pour parvenir au résultat souhaité.
Un court débat s'engagea à cette occasion entre d'Arcy et Lavoisier, ce dernier soupçonnant une autre mécanisme faisant intervenir cette partie vitale de l'air, nécessaire aux respirations et aux combustions, dont il nous avait déjà entretenus. On sentait, sous le débat courtois, un sujet brûlant entre initiés.
Peu attiré par ces échanges scientifiques et souhaitant se montrer à l'écoute de l'agitation sociale qui se développait dans le royaume, et dont il était soupçonné vouloir tirer bénéfice, le duc de Chartres avait voulu être instruit de tout ce qui concernait la police et l'administration des mines, les lois particulières qui y étaient appliquées et les dispositions faites pour maintenir l'ordre parmi les douze ou quinze cents hommes qu'elles occupaient. Il interrogea également les propriétaires sur les dispositions prises pour assurer aux ouvriers et à leurs veuves une subsistance honnête dans les cas de vieillesse, d'infirmité ou d'accident. Les réponses faites par ceux-ci ne pouvaient pas manquer de répondre au souhait "d'humanité éclairée" affiché par le Duc.
Ecoutant ce discours à distance je ne pouvais oublier le spectacle que j'avais observé lors de précédentes visites dans quelques hameaux du voisinage. J'y avais trouvé des habitants au teint blême, affectés de coliques provoquées par le plomb dissout dans l'eau des puits et des ruisseaux, souffrant de la faim après avoir abandonné leurs cultures pour le maigre salaire de la mine. Les anciens, me disaient-ils dans leur breton des montagnes, se souviennent du temps où les rivières du pays étaient poissonneuses.
Le plus hardi s'adressait avec une véhémence contenue à l'homme des villes responsables de son malheur, et que j'étais supposé représenter :
- Les brochets, les saumons, les dards, les brèmes, les perches foisonnaient dans les ruisseaux et les étangs. Les écoulements des mines ont tout détruit. Tout meurt, même les arbres jusqu'à cinquante pieds des rives. Ils ont perdu leur feuilles et sont brûlés jusqu'au cœur. Les troupeaux meurent de l'herbe empoisonnée !
J'avais entendu les mêmes plaintes de la part des riverains de l'Elorn dans les périodes du rouissage de lin pendant lesquelles la riviére et ses affluents devenaient de véritables cloaques. Fort heureusement, pour ces derniers, les pluies d'hiver ramenaient la vie dans la rivière. Il n'en va pas de même autour des mines et tout laisse à penser que l'eau y véhiculera du plomb pendant des dizaines d'années et peut-être même des siècles.
Le Duc de Chartres quitterait le pays en ignorant tout de cette réalité. Pour témoigner de sa satisfaction il avait fait présent de deux tabatières d'or, l'une au sieur Grévin inspecteur général des mines, l'autre au sieur Gérard, inspecteur des fontes. Seuls quelques ouvriers, choisis par les dirigeants de l'exploitation, reçurent de sa part les preuves de sa libéralité. Le peuple, quant à lui, fut invité à de plus générales réjouissances.
Le comte d'Arcy, familier de nos habitudes bretonnes avait fait publier dans toute la région qu'à l'occasion de la venue du Prince des jeux seraient organisés et avait fait annoncer des prix qui consistaient en moutons, en veaux, en jeunes bœufs et en différents autres objets relatifs au goût et aux besoins des habitants de la campagne. Ces jeux qui consistent principalement dans des luttes, où se développent à la fois la force et l'adresse, furent célébrés en présence du Prince, et les prix décernés le furent à son jugement, sur les conseils éclairés du comte, bon connaisseur des règles de la lutte telle qu'elle est pratiquée chez nous. Plus de trois mille personnes s'étaient rassemblées pour la fête. On reconnaissait à leurs costumes les différentes guises du pays. De Saint Thégonnec à Pleyben, de Chateaulin à Carhaix, et même depuis Quimper, on avait cheminé toute une journée pour ne pas manquer l'évènement. Comme l'enceinte de l'arène où se tenaient les luttes était trop resserrée pour les contenir, une partie du public s'était répandue dans la prairie voisine où s'exécutaient, au son des cornemuses et des bombardes, des danses à la manière des différents pays, celles de la montagne d'Arrée étant les plus applaudies.
Monsieur de Lavoisier semblait fasciné par le spectacle. M'ayant vu intéressé par ses propos sur la ventilation des mines et ses idées concernant les combustions, il s'était rapproché de moi. Il me confia que ce spectacle retraçait pour lui le tableau des mœurs antiques tels que ceux que nous décrit Homère. Craignant qu'il ne m'attribue une naïve crédulité, je n'ai pas osé lui parler de la légende transmise de génération en génération selon laquelle le peuple breton du roi Arthur et de l'enchanteur Merlin serait l'héritier direct de celui des Troyens arrivés jusqu'à nos rives en suivant Enée dans son exil.
Luttes bretonnes; "moeurs antiques tels ceux que nous décrit Homère".
Le retour a Landerneau nous sembla se faire avec une extraordinaire rapidité tant les commentaires sur les journées passées à Poullaouen et Huelgoat allaient bon train. Au fur et à mesure que nous nous rapprochions de Landerneau, la guerre retrouvait sa place dans l'esprit de de Boufflers. L'amertume était sensible dans ses propos.
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La guerre paraît s'allumer de tous les côtés mais j'ai encore bien de la peine à y croire. Il me semble que personne n'est assez fort pour l'entreprendre, ni assez faible pour y être forcé. Si elle a lieu, mon régiment devrait être embarqué avec le duc de Chartres pour une descente en Angleterre. Mais il me semble qu'on ne songe guère à une expédition de cette nature. On verrait beaucoup plus de mouvements de troupes, on rappellerait les soldats et officiers absents, on ferait des préparatifs de toute espèce… Mais, je le crains bien, nous n'irons point en Angleterre, et l'Angleterre ne viendra point ici. Nous passerons des années dans l'attente de ce qui n'arrivera pas, et plutôt avec l'air de craindre la guerre que de la préparer. Au lieu d'avoir la fièvre, nous aurons le frisson, ce qui n'est point du tout héroïque. Il n'y a rien de pis que le prélude de guerre que nous faisons. Mon régiment souffrirait moins en campagne. Il est fatigué, morcelé, ruiné, infecté de scorbut, de gale... Il ne nous manque plus que la peste que j'attends. La guerre en personne serait bien moins fâcheuse que tout cela. Elle offrirait au moins quelque dédommagement.
Pendant qu'il se morfondait à Landerneau, loin de le dame de ses pensées, les officiers des autres régiments goûtaient, me confiait-il, aux plaisirs de la capitale.
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Les tristes colonels de l'armée de Bretagne se flattent de revenir au mois de juin, mais je n'en crois rien. Il trouvent bien plus de raisons pour rester à Paris que pour revenir à Brest.
La guerre. Il fallait que j'y pense à mon tour. Plusieurs de ces hommes que je soignais au couvent des Ursulines m'avaient pris en amitié et m'avaient offert de ces figurines sculptées et autres objets que confectionnent les soldats en campagne. Je m'obligeais alors à oublier qu'en rétablissant leur santé je les préparais à affronter la mort ou les terribles mutilations des combats à revenir.
Il me fallait regarder la réalité en face. J'étais un chirurgien de la Marine Royale et la santé que je dispensais n'avait pour objet final que la souffrance et la mort. Celle de nos soldats ou celle de leurs ennemis. Fort heureusement, le pessimisme du Chevalier de Boufflers, redoutant que la guerre n'ait pas lieu, me donnait l'espoir de ne pas avoir trop rapidement à utiliser la scie et les tourniquets de ma trousse d'amputation.
Un superbe soleil couchant nous attendait à l'arrivée à Landerneau. Mieux valait, pour le moment, jouir des beautés de la Nature et garder en mémoire les rares moments vécus à Poullaouen, en particulier les quelques mots échangés avec Monsieur de Lavoisier qui, je le sentais, m'ouvraient de nouveaux horizons.
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Pour aller plus loin voir :
Lavoisier en Bretagne : visite aux mines de plomb argentifère de Poullaouen.
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