Comme science "académique", la chimie et l’électricité naissent sensiblement à la même époque : la charnière entre le 17ème et le 18ème siècle. Cependant elles sont le résultat de gestations très différentes.
L’électricité n’a pas de préhistoire. Plus de vingt siècles séparent les premiers propos attribués à Thalès sur les propriétés de l’ambre jaune et les travaux menés par William Gilbert en Angleterre qui montrent que la "vertu électrique" est largement répartie dans l’ensemble des corps.
Par contre les Stahl, Macquer, Lavoisier, héritent du riche outillage des artisans, des procédés laborieux des alchimistes et des modèles hérités de la science grecque (même s’ils sont parfois encombrants).
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A quel moment faut-il donc placer la naissance de la chimie ?
Si l’on considère que tout travail pour modifier les propriétés de la matière est de la chimie, elle commencerait avec l’apparition du feu et de la première cuisson. La fabrication de récipients d’argile, la composition de colorants pour les peintures rupestres, la connaissance des colles pour assembler les outils de pierre, l’élaboration des premiers métaux, les techniques de conservation des aliments, les parfums, les baumes... tout cela relève de la chimie.
Faut-il par contre dater la naissance de la chimie de l’apparition des premières "théories". La tâche serait alors difficile car seule l’écriture peut nous renseigner. Les métallurgistes, les chamans guérisseurs des premières sociétés orales inscrivaient, eux aussi, leurs gestes dans un rite inspiré d’une vision globale du monde, déjà donc une "théorie".
Peut-être devons nous tout simplement accepter de considérer la chimie comme l’une des activités les plus anciennement accomplies par l’homme pour transformer et comprendre la matière. L’histoire de la chimie serait alors intimement liée à l’histoire générale de l’humanité.
Plus modestement ici, nous allons évoquer quelques modèles qui, de Aristote à Lavoisier, ont organisé notre regard sur le monde de la matière.
Empédocle, Platon, Aristote et les quatre éléments.
Empédocle (490-435 Av JC) est à l’origine d’une doctrine qui rencontrera le succès : celle des quatre éléments primordiaux. Le feu, l’air, l’eau, la terre sont les quatre "racines" des choses. Les corps se composent et se décomposent à partir de ces quatre éléments sous l’action de deux forces opposées, l’attraction et la répulsion ou plutôt "l’amour" et la "haine".
Platon (428-348 Av JC) reprend le modèle d’Empédocle. Il associe à chaque élément un polyèdre régulier, c’est à dire un volume limité par des faces toutes identiques.
Le tétraèdre (pyramide à base triangulaire) est la figure du feu, subtil léger, piquant.
L’octaèdre est associé à l’air.
L’icosaèdre (à vingt faces triangulaires) est proche de la sphère qui peut rouler : c’est l’eau.
Le cube, stable, représente la terre.
Les cinq polyèdres réguliers et la manière de les construire (Jean-Mathurin Mazéas, Éléments d’arithmétique, d’algèbre et de géométrie, Paris, Nyon 1788)
Il existe un cinquième polyèdre régulier, le dodécaèdre, aux propriétés mathématiques plus riches. Il comporte 12 faces comme le nombre des signes du zodiaque. Chacune est un pentagone, figure construite à partir du "nombre d’Or" (supposé être le nombre magique des grecs soit (1+5exp1/2)/2).
Platon lui attribue un rôle particulier : "il restait une seule et dernière combinaison, dieu s’en est servi pour le tout quand il a dessiné l"arrangement final". Derrière cette formule ambigüe certains trouveront la force vitale, l’énergie ou tout autre concept illustrant l’animation de la matière.
Un mystérieux dodécaèdre gallo-romain.
Aristote (384-322 Av JC) élève de Platon qu’il ne quitte qu’à sa mort, reprend la doctrine des quatre éléments mais considère que chacun est construit à partir d’une matière primordiale unique. Les forces qui agissent pour leur donner forme sont quatre "qualités" : le chaud, le froid, le sec, l’humide formant quatre couples ( le"s couples chaud-froid et sec-humide étant exclus).
le feu est le résultat du couple chaud-sec sur la matière.
l’air celui du couple chaud-humide.
l’eau provient du froid-humide.
la terre du froid-sec.
Des règles régissent le fonctionnement de ces qualités. Si la chaleur donne du sec, un excès de chaleur donne de l’humide. Le froid produit de l’humide mais un excès de froid donne du sec.
En résumé :
Empédocle |
Platon |
Aristote |
Feu |
tétraèdre |
chaud-sec |
Air |
octaèdre |
chaud-humide |
Eau |
icosaèdre |
froid-humide |
Terre |
cube |
froid-sec |
Un modèle efficace. Pendant près de vingt siècles ce modèle sera dominant dans le monde occidental. Il fait reconnaître qu’il présente une force descriptive indéniable.
Comment théoriser le simple travail d’un potier ? Il utilise la terre, celle qu’il modèle, celle dont il construit son four pour en faire une véritable matrice. Il la combine avec l’eau pour obtenir une pâte à la consistance idéale. Il fait agir le feu et l’air du soufflet. Il connaît le rôle exact de chaque élément ainsi que la manière de l’utiliser.
Le verrier, le métallurgiste, à des variantes près, procèdent de même. En 1556, l’allemand Georg Bauer, dit Agricola, publie sous le titre ’De Re Metallica", le premier ouvrage d’importance sur le travail du métallurgiste. Décrivant l’art de la fusion il, se réfère à la théorie classique :
"Cela est la manière de procéder des fondeurs qui excellent à maîtriser les quatre éléments. Ils ne jettent pas dans le fourneau, plus qu’il ne convient, de minerai mêlé de terre ; ils versent de l’eau chaque fois qu’il en faut ; ils règlent avec justesse le souffle des soufflets, ils pklacent le minerai dans le feu, à l’endroit où il brûle bien."
Un modèle évolutif.
On peut choisir comme fil directeur, pour un bref aperçu de l’histoire de la chimie, le rapport des différents auteurs à la théorie des quatre éléments. Le modèle s’enrichit d’observations et de prédictions nouvelles mais en le poussant jusqu’à ses derniers retranchements on en fait apparaître nécessairement les limites. Naissent alors les modèles nouveaux, plus globalisants, plus efficaces, plus prédictifs.
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La terre recomposée des alchimistes.
L’élément "terre" est le premier dont le caractère "simple" ait été mis en cause. L’usage a nécessairement conduit à distinguer "des" terres. La terre arable des agriculteurs, la terre vitrifiable des potiers et des verriers, la terre métallifère des fondeurs, la terre combustible des charbonniers... ne sont, à l’évidence, pas de la même nature.
Alexandrie, en Égypte, est le point de rencontre des cultures grecques, égyptiennes et orientales, riches de savoirs et de pratiques concernant les transformations de la matière. Cette science ancienne a été recueillie et développée dans la culture arabe. Elle en a hérité des instruments, des méthodes, des corps nouveaux et du vocabulaire. Elle est devenue ce que nous appelons alchimie et que la chimie moderne qui naît au 18ème siècle a souvent injustement rejeté dans les ténèbres de la superstition.
Pourtant nul ne contestera l’apport technique de la pratique alchimique elle même en constant échange avec l’art des artisans. La distillation, l’extraction par les graisses, le bain-marie (du nom de l’alchimiste Marie la Juive), le perfectionnement des fourneaux, les cornues, les alambics, les différents creusets. C’est la recherche de solvants appropriés qui amène les alchimistes sur la voie des acides, comme "l’eau régale", mélange d’acide nitrique et d’acide sulfurique, qui dissout le métal royal : l’or.
La terre, matrice des métaux et, en particulier, de l’or.
De la version de l’alchimie adoptée par l’occident chrétien médiéval, on a surtout retenu la théorie de la transmutation des métaux. Une lente maturation se produit dans la terre qui amène les métaux de l’état le plus vil jusqu’à la pureté de l’or. Le rôle de l’alchimiste sera de découvrir les mécanismes de cette maturation afin de pouvoir les accélérer à l’intérieur de son laboratoire.
La terre n’y est plus considérée comme un pur élément. Les métaux, en particulier, relèvent de deux principes : le principe du "mercure", humide, froid, féminin, qui est le symbole du caractère métallique et le principe du "soufre", chaud, sec, masculin qui apporte au métal sa couleur et son caractère combustible. Un troisième principe, le "sel", préside à leur union. A noter que ces "principes" ne sont pas matériels. Le soufre, le mercure, le sel "philosophiques" se rencontrent dans une multitude de corps et ne sont pas réductibles aux seuls corps matériels qui portent ce nom.
L’élément "terre" s’est donc enrichi de nouveaux principes mais y a perdu dans sa simplicité. Devenu lui même un "principe", cet élément n’alimentera pas la réflexion des premiers chimistes.
Le soufre, par contre, avec son caractère combustible, sera très présent dans la première théorie chimique avérée, celle de Stahl. Le mercure, et ses transformations multiples sous l’effet de la chaleur sera à l’origine de l’une des expériences présentées par Lavoisier et fondatrices de la chimie contemporaine.
Les 7 métaux associés aux 7 planètes des alchimistes.
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L’élément feu et la chimie du phlogistique.
Contrairement à l’élément "Terre", l’élément "Feu" voit sa crédibilité renforcée. Sous le nom de "phlogistique", emprunté au grec, il est à la base, à la fin du 17ème siècle, de la première description à laquelle on puisse réellement appliquer le terme de "théorie chimique".
Le nom du médecin allemand Goerg Ernst Stahl (1660-1734) est indissociable de la théorie du phlogistique.
L’observation de la combustion du soufre ou du charbon, ainsi que celle des procédés métallurgiques, ont guidé sa réflexion.
Jusqu’à Stahl, le travail du métallurgiste était perçu comme un art de la fusion. Il était admis que, dans les minerais, les métaux se trouvaient mélangés à d’autres terres. Après le concassage, le tri et le lavage, la séparation du métal et des impuretés était complétée par l’œuvre du feu. Les restes de terres combustibles seront d’abord éliminées par "grillage" à l’air libre. Après la fusion à feu vif dans le fourneau, les terres vitrifiables formeront les scories flottant en surface tandis que le métal, libéré de sa gangue, sera recueilli, fondu, à la base de la matière incandescente.
Une observation plus attentive montrera a Stahl que l’arrangement du minerai et du charbon en couches successives dans le four par les fondeurs ne s’est pas fait au hasard, il a un double but. Celui de la production de la chaleur nécessaire à la fusion mais aussi celui de permettre une réelle réaction chimique entre les deux corps. Une théorie se construit alors autour de deux concepts.
Le concept du phlogistique.
Que se passe-t-il quand un corps brûle ? Il s’en dégage une matière qui est la matière du feu : le phlogistique. Un corps combustible est donc un corps riche en phlogistique. Il existe d’ailleurs des corps qui peuvent être considérés comme du phlogistique presque pur. Le soufre par exemple, cet élément cher aux alchimistes, brûle sans laisser de résidu. Ne serait-il pas composé de phlogistique pratiquement pur ? De même le charbon dont il ne reste que quelques cendres après la combustion.
Le concept de chaux métallique.
Les métaux également sont combustibles. Quand ils brûlent ils se séparent donc du phlogistique qu’ils contiennent. Ils se transforment alors en ce qui est communément appelé une "chaux métallique". La combustion n’est d’ailleurs pas indispensable, à part l’or, tous les métaux perdent progressivement leur phlogistique pour se transformer en chaux. Le fer devient rouille, même le cuivre devient "vert-de-gris". D-ailleurs Stahl constate que ce sont ces chaux et non pas le métal pur qui sont mélangées aux terres diverses dans les minerais.
Le travail du métallurgiste ?
Le métallurgiste ne se contente donc pas d’opérer une simple fusion. Le charbon a certes pour rôle de chauffer le fourneau mais, surtout, il doit apporter à la chaux métallique le phlogistique perdu par le métal et ainsi régénérer celui-ci. Il s’en suit une équation simple :
Chaux métallique + Charbon => métal
soit encore :
métal déphlogistiqué + phlogistique -> métal
Une théorie efficace.
La théorie du phlogistique était exactement celle dont la chimie avait besoin pour accéder au rang de science académique. En France elle sera vulgarisée par Rouelle (1703-1770) dont le plus célèbre disciple est Lavoisier. Celui-ci se montrera d’abord un élève fidèle. Visitant en 1778 les mines de plomb argentifère de Poullaouen dans le Finistère, il décrit les procédés mis en œuvre dans la plus pure tradition de la théorie du phlogistique, il se prépare cependant à en être le critique le plus sévère.
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La chasse aux airs.
La chasse aux airs est la grande affaire du début du 18ème siècle. Surtout en Angleterre. L’action d’un acide sur le calcaire produit une effervescence. L’acide "libère de l’air" qui était donc fixé dans la roche. Telle est l’interprétation dominante dans le premier tiers du 18ème siècle. Rapidement on se rends compte que cet air, désigné par le terme de "air fixe", n’a pas les propriétés habituelles de l’air : il n’entretient pas la vie, il trouble l’eau de chaux comme le fait l’air "vicié" expulsé par les poumons dans la respiration.
L’air apparaît comme susceptible d’autres curieuses variations. En 1766, Henri Cavendish (1731-1810) découvre "l’air inflammable" en faisant réagir les métaux avec des acides. Priestley (1733-1804) sait utiliser la cuve à mercure pour recueillir les "airs" nouveaux qu’il fait naître. Il découvre ainsi un air qui active les combustions, que l’allemand Scheele (1742-1786) appellera "feuerluft" (air du feu) et que l’on désignera en France comme "l’air vital" après qu’on aura constaté son influence sur la vie des plantes et des animaux. Dans sa gibecière, Priestley ramène également l’esprit de sel (le chlorure d’hydrogène), le gaz ammoniac et les gaz que nous appelons aujourd’hui sulfure d’hydrogène et éthylène.
Le phlogistique est d’abord soupçonné d’être responsable de ces différentes apparences de l’air. L’air fixe, par exemple, ne pourrait-il pas être de l’air saturé par le phlogistique provenant de la combustion du charbon, de "l’air phlogistiqué". L’air "vital" ne serait-il pas, à l’inverse, de l’air "déphlogistiqué" ? L’expérience nous montre en effet qu’il est capable d’activer la combustion ou la respiration qui toutes les deux libèrent du phlogistique.
Cette accumulation de propriétés nouvelles amène cependant à considérer qu’il n’existe pas "un" air mais "des" airs. L’air est alors perçu comme un mélange de plusieurs corps dans un état qualifié "d’aériforme", un état que Lavoisier désignera par le mot "gaz" proposé par Van Helmont (1577-1640) et qui dérive du néerlandais "geest", esprit.
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Lavoisier et la fin des quatre éléments.
Lavoisier hérite d’une chimie qui a éliminé la terre de la liste des principes élémentaires et s’apprête à en éliminer l’air. L’eau par contre, et surtout le feu, sont épargnés. Le feu rebaptisé phlogistique semble même assuré de conserver longtemps ce statut.
La théorie laisse cependant une question sans réponse. L’équation qui traduit la combustion d’un métal pourrait s’écrire :
métal => chaux métallique + phlogistique
Elle n’est pas totalement satisfaisante. L’équation précédente devrait traduire une baisse de poids du métal consécutive à l’émission du phlogistique. Or le premier apprenti chimiste venu sait que la combustion d’un métal donne une "chaux" dont la masse est supérieure à la masse du métal initial !
Une explication est communément avancée : le phlogistique s’échappant du métal, celui-ci se resserre à l’image d’une éponge privée d’eau. Il deviendrait donc plus "lourd". Explication évidemment peu satisfaisante qui confond masse et densité.
Certains chimistes mieux éclairés et plus imaginatifs évoqueront un phlogistique à "masse négative", mais sans convaincre.
Lavoisier et la véritable nature de l’air.
Dès 1772 Lavoisier (1743-1794) s’interroge sur la réalité du phlogistique. Les premiers doutes datent de 1774 et concernent les transformations d’un métal symbole : le mercure !
Le vif-argent (autre nom du mercure) est en effet un métal bien étrange. Longuement chauffé à feu modéré, il se transforme en une "chaux" de couleur rouge. Si cette chaux est portée sur un feu vif elle se transforme à nouveau en mercure.
Les alchimistes connaissaient cette propriété. Le Phénix, l’oiseau mythique renaissant de ses cendres, en est une possible illustration.
Les chimistes du 18ème siècle s’emparent de l’expérience mais le cadre théorique qui les guide a changé et l’expérience doit s’analyser dans le cadre de la théorie du phlogistique. Or ici, le métal réapparait sans l’intervention de charbon ou de tout autre corps riche en phlogistique. Le simple chauffage suffit.
L’allemand Scheele observe d’autre part que, non seulement l’apport de phlogistique n’est pas nécessaire, mais qu’un "air" particulier s’échappe de la chaux mercurique pendant cette opération. Un air qui active les combustions.
Lavoisier reprend les expériences en 1776. Mettant à profit l’équipement de son laboratoire, inégalé en Europe, il peut prouver que la formation de chaux mercurique s’accompagne d’une augmentation de masse exactement égale à celle perdue par l’air de l’enceinte close où est faite l’expérience. Cette masse est également celle du fluide aériforme restitué par la deuxième phase du chauffage. Une vérité apparaît : l’air est un corps composé dont l’une des parties est responsable des combustions.
L’hypothèse du phlogistique doit être abandonnée.
En 1777, Lavoisier estime avoir rassemblé suffisamment d’éléments pour lui porter les premières attaques. Ce qu’il fait par la rédaction de ses réflexions sur le phlogistique dans lesquelles il interprète les combustions, calcinations ou réductions à partir d’un principe simple :
"c’est que l’air pur, l’air vital, est composé d’un principe particulier qui lui est propre, qui en forme la base, et que j’ai nommé oxygine". Le terme deviendra "oxygène" (qui génère des acides) par la suite et désignera un corps nouveau et non plus un "principe".
La combustion d’un métal se décrit dès lors suivant le schéma désormais classique :
Métal + oxygène -> oxyde métallique
L’observation soutient la théorie : la chaux métallique est plus lourde que le métal initial car celui-ci a fixé l’oxygène de l’air. Les balances de précision dont est pourvu le laboratoire de Lavoisier confirment bien ce bilan.
La réduction des chaux (oxydes métalliques) en métal peut être elle même expliquée :
Oxyde métallique + carbone => métal + oxyde de carbone
Le rôle du carbone n’est pas de libérer du phlogistique mais de se combiner à l’oxygène contenu dans la chaux pour laisser apparaître le métal pur.
Ainsi, affirme Lavoisier "tout s’explique en chimie d’une matière satisfaisante, sans le recours du phlogistique. Il est, par cela seul, infiniment probable que ce principe n’existe pas".
Le coup est rude pour l’ancienne théorie dont les partisans ne rendent pas facilement les armes mais que les jeunes chimistes abandonnent rapidement.
A la fin de ce premier round, l’air et le feu ne sont plus des "éléments".
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Le dernier des éléments : l’eau.
Le coup de grâce au modèle des quatre éléments ainsi qu’à la théorie du phlogistique sera porté par la spectaculaire expérience de la décomposition et de la synthèse de l’eau.
Le 27 février 1785, Lavoisier réunit à son laboratoire de l’arsenal un public composé de l’élite des académiciens français et étrangers ainsi que les dignitaires amis des sciences. L’objectif est de prouver à ce public choisi la validité de sa théorie de l’oxydation en s’attaquant au dernier des éléments de la tradition grecque : l’eau !
L’eau est d’abord décomposée. Elle entre goutte à goutte dans le canon de fer d’un fusil placé en pente douce sur un lit de charbons ardents et porté au rouge. Le gaz qui s’échappe est recueilli sur une cuve à eau. Il est facile de montrer que ce gaz "13 fois plus léger que l’air atmosphérique" est le gaz généralement appelé "air inflammable".
Le canon de fer, de son côté, s’est alourdi. Lavoisier pèse et mesure :
" Le résultat de cette expérience présente une véritable oxydation du fer par l’eau : oxydation toute semblable à celle qui s’opère dans l’air sous l’action de la chaleur. Cent grains d’eau ont été décomposés ; 85 grains d’oxygène se sont unis au fer pour le constituer dans l’état d’oxyde noir, et il s’est dégagé 15 grains d’un gaz inflammable particulier : donc l’eau est composée d’oxygène et de la base d’un gaz inflammable".
Ce gaz, Lavoisier et ses collaborateurs le nomment :
"Aucun nom ne nous a paru plus convenable que celui d’hydrogène, c’est à dire principe générateur de l’eau."
L’eau est ensuite synthétisée. Deux courants, l’un de dioxygène (nom actuel de l’air vital) l’autre de dihydrogène (l’air inflammable), sont envoyés dans un ballon où une machine électrique provoque une étincelle. De l’eau apparaît qui se condense sur les parois du ballon. La masse de l’oxygène et celle de l’hydrogène se retrouvent dans la masse d’eau obtenue.
L’eau est donc bien un corps composé.
" ainsi, déclare Lavoisier, soit qu’on opére par voie de décomposition ou de recomposition, on peut regarder comme constant et aussi bien prouvé qu’on puisse le faire en chimie et en physique, que l’eau n’est point une substance simple ; qu’elle est composée de deux principes, l’oxygène et l’hydrogène" (Lavoisier, traité élémentaire de chimie, 1789, page 100).
Montage pour la décomposition de l’eau par Lavoisier
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Vie et mort des quatre éléments ?
A la fin du 18ème siècle le chimiste Lavoisier et ses collaborateurs ont donc signé l'acte de mort des quatre éléments en tant que théorie scientifique. Aucun d'entre eux ne résiste :
- Le feu n'est plus la substance matérielle que ses prédécesseurs immédiats ont cru pouvoir caractériser sous le nom de "phlogistique". Les combustions s'expliquent par des réactions entre éléments chimiques.
- L'air est en réalité un mélange de gaz dont les principaux sont l'azote et l'oxygène.
- L'eau peut se décomposer en oxygène et hydrogène.
- La terre a depuis longtemps perdu , avec l'alchimie, son statut d'élément.
Du point de vue scientifique l'affaire est entendue : oublions les quatre éléments.
Rien n’empêche pour autant qu’elle poursuive une carrière dans la poésie, la littérature, l’art en général. Le feu, l’air, l’eau, la terre, resteront encore longtemps des valeurs repères de nos représentations collectives, conscientes ou inconscientes. Chassées de la chimie académique, elles n’ont pas pour autant quitté les esprits.
Renaissance ?
C'est un scientifique et philosophe, Gaston Bachelard (1884-1962), qui les fait renaître sous une forme poétique dans "La psychanalyse du feu", "L’eau et les rêves", "L’air et les songes", "La terre et les rêveries de la volonté". La psychanalyse se définit comme une exploration de l'inconscient, les quatre éléments y seraient-ils durablement inscrits ?
Leur retour avec l'écologie ?
L'écologie ne rejette pas les enseignements de Lavoisier qui a exclu les quatre éléments de la réflexion scientifique. Elle est une des filles des sciences. Ce sont les scientifiques aujourd'hui regroupés dans le GIEC qui nous alertent, chiffres à l'appui, sur la catastrophe climatique qui s'annonce. D'autres scientifiques font le bilan de la perte de biodiversité qui menace allant même jusqu'à évoquer une sixième extinction en cours. Ce sont des agronomes qui dénoncent les dégâts de l'agriculture productiviste et proposent d'autres alternatives. L'écologie militante se nourrit de leurs recherches.
Pourtant les connaissances scientifiques ne s'opposent pas à la rêverie poétique. Il est remarquable que c'est encore souvent autour des quatre éléments que s'organise la réflexion des écologistes dans le débat public.
Le feu, c'est l'énergie. L'économiser, des énergies renouvelables non polluantes pour remplacer les énergies d'origine fossile ou nucléaire. Tel est le débat.
L'air ? On commence à peine à mesurer les effets de la pollution de l'air sur la santé (50.000 décès prématurés par an en France). Quant à l'augmentation des gaz à effet de serre et leur action sur le climat, tout a été dit.
L'eau. Sa pollution est dénoncée mais aussi son partage inégal sur la planète sans parler des sécheresses qui gagnent ici et des inondations ailleurs.
La terre. Celle qui nous nourrit. On semble seulement découvrir qu'elle est le résultat d'un long processus biologique que la chimie et la mécanique s'emploient à détruire.
Ainsi les quatre éléments de Empédocle, Platon, Aristote, trouvent une nouvelle jeunesse au service de la qualité de la vie sur notre Planète.
Voir : Feu, air, eau, terre. L'écologie et les quatre éléments.
Pour l’ensemble de cette histoire voir :
Suivre le parcours de l’oxygène depuis les grimoires des alchimistes jusqu’aux laboratoires des chimistes, avant qu’il n’investisse notre environnement quotidien.
Aujourd’hui, les formules chimiques O2, H2O, CO2,… se sont échappées des traités de chimie et des livres scolaires pour se mêler au vocabulaire de notre quotidien. Parmi eux, l’oxygène, à la fois symbole de vie et nouvel élixir de jouvence, a résolument quitté les laboratoires des chimistes pour devenir source d’inspiration poétique, picturale, musicale et objet de nouveaux mythes.
À travers cette histoire de l’oxygène, foisonnante de récits qui se côtoient, s’opposent et se mêlent, l’auteur présente une chimie avant les formules et les équations, et montre qu’elle n’est pas seulement affaire de laboratoires et d’industrie, mais élément à part entière de la culture humaine.
voir aussi :
Un livre chez Vuibert.
Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…, coupable : le dioxyde de carbone. Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.
L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone
et celle du CO2.
L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole. Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.
Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
Seront-ils entendus ?