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16 avril 2009 4 16 /04 /avril /2009 11:33

Histoire de l'aimant.

par Gérard Borvon

 

 

 

 

Poursuivre ce récit nous oblige à un retour sur nos pas. Thalès, nous disent Aristote et Hippias, communiquait la vie aux choses inanimées au moyen de l'ambre jaune mais, également, de la "pierre de magnésie" (μαγνήτις  λίθος), l'aimant naturel.



 

Contrairement à l'ambre, venu des contrées lointaines, l'aimant, oxyde de fer naturellement "magnétique" est largement réparti à la surface du globe. Ses propriétés n'en sont pas moins mystérieuses. L'un de ses noms en grec ancien : "pierre d'Hercule", témoigne de la force des pouvoirs qui lui étaient attribués.


 



Même si l'observation commune ne permettait pas de constater, de sa part, d'autres prodiges que l'attraction de quelques râpures de fer, la légende se nourrissait de récits d'îles attirant les vaisseaux munis de clous de fer et d'hommes cloués au sol par leurs souliers ferrés. Des auteurs aussi sérieux que Plutarque ou Ptolémée n'hésitaient pas à rapporter d'étranges pratiques. "Frottez un aimant avec une gousse d'ail ou du jus d'oignons, disaient-ils, et il cessera d'attirer le fer". "Trempez le dans du sang de bouc, disaient d'autres auteurs, et il reprendra toute sa force" (cité par Henri Martin, doyen de la Faculté des lettres de Rennes dans La foudre, l'électricité et le magnétisme chez les anciens. Paris 1866). A l'évidence une observation de type "scientifique" n'était pas encore à l'ordre du jour !


 



Le terme de "magnétisme" sera donc, comme celui "d'électricité", le principal héritage légué par les grecs.


 



Les hellénistes  du 19ème siècle qui, comme Henri Martin, se sont penchés sur l'origine de cette dénomination, ont constaté que l'expression "pierre de magnésie", a pu être interprétée de façon variable suivant les époques. Le sens qui s'est finalement figé est celui d'une pierre issue de la ville Magnésie, cité grecque d'Asie mineure. La ville étant supposée abriter des mines de cet oxyde de fer auquel nous donnons, aujourd'hui, le nom "d'oxyde magnétique" ou "magnétite", et que nous désignons par la formule Fe3O4.


 



Ce nom de "Pierre de Magnésie", sera également donné à d'autres minéraux. La "magnésie" est aussi une terre blanchâtre utilisée dans les pharmacopées anciennes comme laxatif. Elle donnera son nom au magnésium dont elle est l'hydroxyde. "Pierre de magnésie" sera aussi le nom ancien du Manganèse, corps  dont l'oxyde naturel était utilisé comme fondant par les premiers verriers ou les métallurgistes et qui est indispensable, actuellement, à la fabrication de nombreux alliages.


 



Retenons surtout que Magnésie a donné "magnétisme" et le mot anglais ou allemand "magnet" qui désigne ce que, en France, nous appelons "aimant".


 



Le terme d'aimant est, quant à lui, issu du latin adamas : le diamant. Par une voie obscure le mot "adamas" a également désigné une pierre de magnésie particulièrement active. Ce double sens se retrouve dans le latin médiéval mais bientôt le mot "diamas" désigne le diamant pendant que le terme adamas, conservé pour la magnétite, est interprété comme issu du verbe "adamare" (aimer avec passion) et traduit en langue romane par le mot "aymant" puis aimant (voir Henri Martin).


 



Le mystère et la poésie antiques renaissent ainsi dans une pierre capable d'amour. Le domaine des sciences n'échappe pas à la règle, les mots y sont chargés de l'histoire humaine.

 



 



L'héritage chinois.


 

 

         Magnet, aimant… Les grecs et les latins ont légué le vocabulaire au monde européen. Pourtant la propriété la plus fabuleuse de la pierre de magnésie leur avait échappé. C'est de Chine que viendront les premières lumières à travers l'instrument qui fera le bonheur des marchands et des navigateurs : la boussole.


 

A une période que certains auteurs fixent comme antérieure au troisième siècle avant notre ère y est attesté l'usage d'un "indicateur de sud". C'est une statuette montée sur un pivot vertical et dont le bras étendu montre en permanence le sud. C'est naturellement une tige aimantée qui guide ce bras.


 



On évoque aussi la trouvaille archéologique d'une cuiller divinatoire très particulière. La cuiller utilisée dans ce but  a une queue courte et tient en équilibre sur sa base arrondie. On la place au centre d'une plaque polie où sont gravés divers signes propres à lire l'avenir. Un coup vif sur la queue et la cuiller tourne. Quand elle s'arrête, il reste à interpréter les inscriptions indiquées par la direction de son manche. Une cuiller en magnétite et sa plaque de bronze ont ainsi été retrouvées laissant imaginer la façon dont les prêtres chinois aidaient le sort.


 



Plus sérieux. Des boussoles à aiguille suspendue, placées sur pivot ou sur un flotteur sont signalées, en Chine, entre le neuvième et douzième siècle de notre ère. Elles étaient utilisées pour des relevés terrestres. Peut-être étaient-elles déjà connues des ingénieurs qui ont dirigé la construction de la grande muraille.


 

 

Il est vraisemblable que la boussole a d'abord été adoptée par les arabes avant d'arriver en Europe au début du treizième siècle. Les navigateurs européens seront dès lors capables de s'éloigner des côtes et d'ouvrir les routes maritimes de l'Inde, de la Chine et des Amériques.

 



 

Pierre de Maricourt ( XIIIe siècle)


 

         C'est un "ingénieur militaire" au service du Duc d'Anjou, Pierre de Maricourt dit "Le Pèlerin", qui élucide une partie du mystère de la boussole (son nom est issu de l'italien "bussola" et évoque la "petite boîte" dans laquelle les navigateurs la tiennent enfermée). Pierre de Maricourt est d'ailleurs en Italie, occupé au siège de la ville de Lucera, quand, en 1269, il rédige, sous le titre "Epistola de magnete" (lettre sur l'aimant), le traité qui l'a rendu célèbre.


 

L'unanimité se fait pour considérer ce texte comme l'un des actes fondateurs de la science expérimentale. Suivons, un moment, sa démarche.


 

        


         D'abord quand il définit les "pôles" de l'aimant. "Cette pierre, dit-il, porte en elle la ressemblance du ciel… car dans le ciel il y a deux points remarquables parce que la sphère céleste se meut autour d'eux comme autour d'un axe. L'un est appelé le pôle Nord, l'autre le pôle Sud. Ainsi dans cette pierre tu trouves tout à fait de même deux points dont l'un est appelé pôle Nord et l'autre pôle Sud".


 

Le terme de "pôles" sera conservé dans le vocabulaire du magnétisme mais, notons-le : les pôles dont il est ici question ne sont pas ceux de la terre mais ceux du ciel. La boussole indique le Nord céleste. C'est à l'univers entier qu'est liée la Pierre.


 



L'image du ciel implique une sphère et deux pôles sur celle-ci. Il faut donc que l'aimant soit taillé en forme de sphère :


 

         "Pour la découverte de ces deux points tu peux employer divers moyens. L'un consiste à donner à la pierre une forme ronde avec l'instrument employé pour cela pour les cristaux et autres pierres."


 

         Reste à y placer les pôles : 

   

 

"Ensuite on pose sur la pierre une aiguille ou un morceau de fer en longueur équilibré comme une aiguille et suivant la direction du fer on marque une ligne divisant la pierre en deux. Ensuite on pose l'aiguille ou le morceau de fer en un autre endroit de la pierre et pour cet endroit, de la même manière, on marque de nouveau une ligne. Et, si tu veux, tu feras cela en plusieurs endroits et sans nul doute toutes ces lignes concourront en deux points comme tous les cercles du monde qu'on appelle azimuths concourent en deux pôles du monde opposés"


 

Ensuite :


 

        

         "Casse un petit morceau d'une aiguille qui soit long de deux ongles et pose le à l'endroit où le point a été trouvé comme on vient de le dire, et s'il se tient perpendiculairement à la pierre, tu as sans nul doute le point cherché…  et de même tu trouveras le point opposé. Si tu l'as bien fait et si la pierre est homogène et bien choisie, les deux points seront diamétralement opposés comme les pôles de la sphère céleste"


 

         Pour savoir lequel est le pôle Nord, lequel est le pôle Sud, il reste à placer la sphère dans un bol de bois posé sur l'eau et à la laisser s'orienter comme une boussole. On marquera alors comme "pôle Nord" celui qui se dirigera vers le Nord céleste.

 

 

Maintenant, expérimentons. Une deuxième pierre a été préparée, on l'approche de la première, et voilà que la Nature dévoile l'une des lois cachée jusqu'à présent à la connaissance des hommes !


 

         "Sache donc cette règle",écrit Maricourt " que le pôle Nord d'une pierre peut attirer le pôle Sud de l'autre et le pôle Sud son pôle Nord. Si au contraire tu approches le pôle Nord du pôle Nord, tu verras la pierre que tu portes fuir sur l'eau la pierre que tu tiens et de même si tu approches le pôle Sud du pôle Sud"


 

         Le moyen âge, dit-on, est période d'obscurantisme. Pierre de Maricourt semble vouloir prouver le contraire. Il faudra attendre plus de trois siècles pour que William Gilbert apporte de nouveaux éclairages sur le même sujet et plus de quatre siècles pour que Dufay décrive, avec la même précision, les lois de l'attraction et de la répulsion électrique.


 

Louis Néel, en recevant le prix Nobel de physique en 1970 pour ses travaux sur le ferromagnétisme, saura rendre, à Pierre de Maricourt, un hommage mérité. Après avoir salué les travaux de ses prédécesseurs, Pierre Curie, Paul Langevin, Pierre Weiss, il situe ses propres travaux dans l'héritage de son confrère médiéval :


 

" Seules restaient incomprises les propriétés de la plus ancienne des substances magnétiques connues : la magnétite ou pierre d'aimant qui a attiré l'attention des curieux depuis quatre mille ans. J'ai eu la chance de combler cette lacune et d'expliquer ces propriétés, avec la notion de ferromagnétisme.

Mais j'avais été précédé dans cette voie, au XIIIème siècle, par Pierre de Maricourt, auteur en 1269 du premier traité sérieux sur les aimants."


 

Pour ajouter à son mérite, notons que Pierre de Maricourt observe également l'aimantation du fer par le contact d'un aimant et qu'il inaugure l'expérience classique de "l'aimant brisé" : quand on brise un aimant, un pôle sud apparaît au niveau de la cassure sur le morceau qui porte le pôle Nord et un pôle Nord sur la partie qui porte le pôle Sud. Deux nouveaux aimants naissent donc de cette rupture.

 



 

 

William Gilbert


 

         Plus de trois siècles se sont écoulés. Nous retrouvons William Gilbert. C'est, rappelons le, dans le cadre d'un ouvrage sur le magnétisme qu'il avait été amené à différencier les actions de l'ambre et de l'aimant et à faire connaître la multiplicité des corps susceptibles d'être "électrisés" par le frottement. C'est lui faire justice que de reconnaître son apport tout aussi fondamental dans le domaine du magnétisme.


 

Quand, en l'année 1600, il publie "De Magnete" l'Univers n'est plus celui de Pierre de Maricourt. Depuis déjà plus d'un demi-siècle, Copernic a mis le soleil au centre du monde et rabaissé la Terre au rang d'une simple Planète. La sphère céleste s'est effacée, le Nord et le Sud ne sont plus les pôles du ciel mais les extrémités de l'axe autour duquel tourne la Terre. La boussole, quant à elle, est devenue l'objet de toutes les attentions. Il y a déjà plus d'un siècle qu'elle a guidé Christophe Colomb vers un nouveau monde. Mais, si ce n'est plus le ciel qui la dirige, comment fonctionne-t-elle ?


 

C'est la Terre, nous dit Gilbert, qui attire la boussole car elle est elle-même un gigantesque aimant.


 



Les aimants sphériques de Pierre de Maricourt pouvaient, de façon naturelle, amener à ce modèle. Gilbert en fera des "terellae", des petites Terres sur lesquelles il pourra promener une boussole. Il étudiera ainsi le phénomène d'inclinaison magnétique. Une boussole suspendue n'est horizontale qu'au niveau de l'Equateur. Elle s'incline ensuite quand on se dirige vers les pôles pour se présenter perpendiculaire à ceux-ci quand elle les atteint.


 



Il sait aussi que le Nord magnétique ne coïncide pas exactement avec le Nord géographique. Il n'ignore pas que Christophe Colomb, le premier, a observé la déclinaison, cet écart variable suivant les lieux entre le Nord et la direction de la boussole. Ces variations n'enlèvent rien au modèle qu'il propose. Il les attribue aux imperfections de la Terre qui, avec ses océans, ses montagnes, ses mines métalliques, est loin de l'homogénéité d'un aimant parfait.


 

        


         Mais la nouvelle théorie pose un problème de vocabulaire. Si la Terre est un aimant, son pôle Nord géographique qui attire le pôle Nord de la boussole est donc, en réalité, le pôle Sud de l'aimant terrestre !


 



Pour éviter la confusion, des physiciens des siècles suivants, proposeront d'appeler "pôle magnétique positif" le pôle Nord de l'aimant et "pôle magnétique négatif" son pôle Sud. Le pôle Nord de la terre serait ainsi, tout simplement, un pôle "moins" magnétique. Hélas le succès de cette nomenclature ne fut pas au rendez-vous.


 



Les physiciens du 19ème siècle pensaient pouvoir échapper à la confusion en utilisant le terme de "magnétisme boréal" pour l'aimantation du pôle Nord terrestre et de "magnétisme austral" pour celle du pôle opposé. Ainsi le pôle Nord d'une boussole présentait-il un magnétisme "austral". Cet usage artificiel de synonymes ne réglait cependant, en rien, le problème.


 



Combat perdu : les scientifiques ont jusqu'à présent renoncé à réformer un vocabulaire imposé par des siècles de pratique. Nouvelle cicatrice de la science : nous devons nous accommoder d'un "Nord magnétique" des géographes qui est en réalité un "Sud magnétique" des physiciens.


 

        


         L'ouvrage de Gilbert, qui, lui aussi, se reconnaît comme le continuateur de Pierre de Maricourt, restera la référence pendant près de deux siècles et c'est seulement à la fin du 18éme siècle que Coulomb viendra enrichir la connaissance du magnétisme par l'étude quantitative qu'il en fera au moyen de sa "balance".

 


 

Coulomb et la mesure


 

         C'est d'abord le magnétisme qui fait connaître Coulomb. En 1777, son mémoire, intitulé "Recherches sur la meilleure manière de fabriquer les aiguilles aimantées", est primé par l'Académie des sciences.


 

         Coulomb est de cette nouvelle génération de scientifiques qui mettent leur connaissance approfondie des mathématiques au service de la science expérimentale. Ses mémoires pourraient, encore aujourd'hui, donner lieu à d'intelligents exercices scolaires ou universitaires.


 

Quand il quitte le chantier du magnétisme, il nous a appris que, comme le fluide électrique, "le fluide magnétique agit suivant la raison inverse du carré des distances de ses molécules". Il a répertorié et amélioré les méthodes pour aimanter un barreau aimanté et pour en déterminer le degré d'aimantation.


 


          
            Le domaine du magnétisme semble avoir été entièrement exploré. Du moins a-t-on pu le penser pendant les trente années qui ont suivi.

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Cet article fait partie d'un ouvrage paru en juin 2009 chez Vuibert.


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4 avril 2009 6 04 /04 /avril /2009 07:48

Les deux espèces d'électricité.

par Gérard Borvon



         Un premier cours d'électricité est l'occasion d'une mise en scène classique dans la tradition expérimentale des professeurs de physique : Une tige d'ébonite est frottée, une boule de sureau suspendue à son fil de soie ou de nylon est attirée puis vivement repoussée. Commence alors une série de manipulations à base de chiffon de laine, de peau de chat, de tige de verre ou de règle de matière synthétique, supposée faire découvrir une propriété fondamentale de la matière : l'existence de deux espèces d'électricité.


         Progressant dans le cours on arrive rapidement à la notion de courant électrique. C'est là qu'apparaît "le"problème. A peine a-t-on défini son sens conventionnel de circulation, du pôle positif du générateur vers son pôle négatif dans le circuit extérieur, qu'il faut ajouter que le fluide électrique est, en réalité, constitué d'électrons négatifs se déplaçant en sens inverse !


         Une explication s'impose. Le professeur pressé évoquera une erreur ancienne. Peut-être même imaginera-t-il un hasardeux pile ou face. Il suffirait cependant d'un rapide retour sur l'histoire de l'électricité pour révéler, au lieu de décisions hâtives, la recherche obstinée d'une réalité physique. Dufay est l'un des premiers maillons de cette chaîne.


Dufay (1698-1739) et la répulsion électrique :


Nous avons déjà rencontré Charles-François de Cisternay Dufay. Peut-être le moment est-il venu de le présenter. Il est d’une famille de haute noblesse militaire. Lui même entre au régiment de Picardie, à l’âge de quatorze ans, comme lieutenant. Il participe à la courte guerre d’Espagne et conserve sa charge militaire jusqu’à 1723, année où il rejoint l’Académie des Sciences comme adjoint chimiste.





Comment un jeune homme de 25 ans peut-il sauter de la condition de soldat à celle de membre d’une prestigieuse académie scientifique ? Il faut, pour le comprendre, dire quelques mots de Dufay, le père.





Ce militaire avait été instruit par les jésuites à Louis-le-Grand. Il en conserve une culture qu’il continue à enrichir pendant ses campagnes militaires. « Les muses », disait-il, « guérissent des blessures de Mars ». Le propos se vérifie quand, en 1695,  la perte d’une jambe met fin à sa carrière militaire. Il revient à Paris où il se consacre à l’éducation de ses enfants et à l’enrichissement d’une fabuleuse bibliothèque. Charles-François pourra y cultiver son goût  pour les sciences dans le temps même où son père lui enseigne le métier des armes.





Chez les Dufay on rencontre de puissants personnages. Tel le Cardinal de Rohan qui soutient le jeune Charles-François quand celui-ci postule au poste d’adjoint chimiste à l’Académie, en 1723. Réaumur retient cette candidature.



Dufay mettra un point d’honneur à mériter cette distinction. Ses premiers travaux sont marqués par une curiosité débridée. Il passe de l’étude de la phosphorescence à celle de la chaleur libérée par "l’extinction" de la chaux "vive". De la solubilité du verre à la géométrie. De l’optique au magnétisme. Son énergie lui vaut d’être nommé Intendant du Jardin du Roi en 1732. C’est peu de temps après cette promotion qu’il entend parler des travaux de Gray. Il tient enfin "son" sujet. L’électricité lui donnera l’occasion de mettre en œuvre une méthode dont la rigueur n’aura pour équivalent que celle de Lavoisier, dans le domaine de la chimie,  un demi-siècle plus tard.



De magnifiques découvertes seront au rendez-vous. Elles feront l’objet d’une série de mémoires publiés dans l’Histoire de l’Académie des sciences à partir d’avril 1733.


Le premier de ces mémoires se présente comme une "Histoire de l’Electricité". Ce texte reste, même lu avec le recul de près de trois siècles, un honnête document. Avant de faire état de son apport personnel, Dufay choisit de « mettre sous les yeux du lecteur, l’état où est actuellement cette partie de la physique ». Il souhaite, dit-il,  rendre à chacun son mérite et ne conserver, pour lui, que celui de ses propres découvertes. Il veut surtout se libérer de l'obligation d'avoir à citer, à chaque moment, le nom de tel ou tel de ses prédécesseurs. Son projet, en effet, est ambitieux : il se propose de poser les premières pierres d'une véritable théorie de l'électricité. La plupart des auteurs qui l'ont précédé ont, dit-il, "rapporté leurs expériences suivant l'ordre dans lequel elles ont été faites". Son plan est différent: il veut classer leurs expériences et les siennes "afin de démêler, s'il est possible, quelques-unes des lois et des causes de l'électricité".



Un discours de la méthode :



Le second mémoire annonce sa méthode sous forme de six questions.


Il s’agit de savoir :




Quels sont les corps qui peuvent devenir électriques par frottement et si l’électricité est une qualité commune à l’ensemble de la matière.



Si tous les corps peuvent recevoir la vertu électrique par contact ou par approche d’un corps électrisé.



Quels sont les corps qui peuvent arrêter ou faciliter la transmission de cette vertu et quels sont ceux qui sont le plus vivement attirés par les corps électrisés.



Quelle est la relation entre vertu attractive et vertu répulsive et si ces deux vertus sont liées l’une à l’autre ou indépendantes.



Si la "force" de l’électricité peut être modifiée par le vide, la pression, la température…



Quelle est la relation entre vertu électrique et faculté de produire la lumière, propriétés qui sont communes à tous les corps électriques.


Un beau programme qui sera mené avec une remarquable rigueur.


Les trois premières questions cernent le problème de l'électrisation des corps et de la conduction électrique. Nous avons déjà vu comment Dufay s'intercale entre Gray et Franklin pour en établir les premières lois. La quatrième question pose, pour la première fois, le problème de la répulsion.



La répulsion rejoint l'attraction.



Depuis William Gilbert, et même depuis l'antiquité, électricité est synonyme d'attraction. Dufay n'échappe pas à la règle et, dans l'introduction à son premier mémoire il définit l'électricité comme "une propriété commune à plusieurs matières et qui consiste à attirer les corps légers de toute espèce placés à une certaine distance du corps électrisé par le frottement d'un linge, d'une feuille de papier, d'un morceau de drap ou simplement de la main".



Cependant, il a été troublé par l'une des observations faites par Otto de Guericke : celle du globe de soufre qui repousse le duvet qu'il a d'abord attiré. Il avoue n'être jamais parvenu à la reproduire. Par contre il rencontre le succès avec une expérience similaire proposée par Hauksbee. Il s'agit de frotter un tube de verre tenu horizontalement et de laisser tomber sur sa surface une parcelle de feuille d'or. Le résultat est spectaculaire :



"Sitôt qu'elle a touché le tube, elle est repoussée en haut perpendiculairement à la distance de huit à dix pouces, elle demeure presque immobile à cet endroit, et, si on approche le tube en l'élevant, elle s'élève aussi, en sorte qu'elle s'en tient toujours dans le même éloignement et qu'il est impossible de l'y faire toucher : on peut la conduire où l'on veut de la sorte, parce qu'elle évitera toujours le tube".



Même si les prouesses réalisées par la "fée électricité" ont apaisé depuis longtemps notre soif de merveilleux, l'expérience, aujourd'hui encore, mérite d'être tentée. Il importe pour cela de se munir du tube de verre adéquat. Celui de Dufay est du type de celui utilisé par Gray et qui est devenu un standard. Il a une longueur proche de un mètre et un diamètre de trois centimètres. Il est réalisé dans un verre au plomb. Gray et Dufay ne disent rien de la façon dont il était frotté, peut-être tout simplement par la main bien sèche de l'expérimentateur comme le recommandent plusieurs auteurs.



Pour avoir tenté l'expérience, je peux témoigner de l'importance du choix du tube de verre. Un simple tube à essai ne conviendra pas et encore moins la tige de verre d'un agitateur (bien que ce soit de cette façon que, depuis le 19ème siècle, l'expérience est décrite dans les manuels de physique). Leurs diamètres sont insuffisants. Il faut au minimum celui d'une solide éprouvette à gaz. J'ai personnellement rencontré le succès avec le col, long de 50cm, d'un ballon de verre pyrex extrait d'un matériel de chimie. Bien séché et frotté en utilisant le premier sac de "plastique" récupéré, il donne des résultats spectaculaires. Trouver une feuille d'or n'est pas trop difficile si on connaît un marbrier ou un relieur. On peut plus simplement utiliser un duvet ou quelques fibres de coton. Je conseillerais pour ma part les plumets d'un chardon cueillis secs à la fin de l'été.




Bien réalisée, cette expérience montre que la répulsion électrique est beaucoup plus spectaculaire que l'attraction. La parcelle de feuille d'or, le duvet ou le plumet de chardon, que vous aurez lâché, va se précipiter sur le tube frotté pour en être violemment repoussé jusqu'à trente, quarante, cinquante centimètres, voire plus. Personne ne peut être insensible à l'étrangeté d'une telle "lévitation".



Dufay donne de ces faits une interprétation immédiate : "lorsqu'on laisse tomber la feuille sur le tube, il attire vivement cette feuille qui n'est nullement électrique, mais dès qu'elle a touché  le tube, ou qu'elle l'a seulement approché, elle est rendue électrique elle même et, par conséquent elle en est repoussée, et s'en tient toujours éloignée".



Mais approchons le doigt ou un autre objet conducteur de la feuille : elle vient s'y coller pour retomber à nouveau sur le tube et à nouveau s'élever.



Explication simple encore, nous dit Dufay : "Sitôt que la feuille a touché ce corps, elle lui transmet toute son électricité, et par conséquent, s'en trouvant dénuée, elle tombe sur le tube par lequel elle est attirée, de même qu'elle l'était avant que de l'avoir touché ; elle y acquiert un nouveau tourbillon électrique" et est donc repoussée. Ainsi se trouve expliqué l'étrange comportement, parfois observé, de feuilles d'or dansant une sarabande entre le tube de verre et un objet proche.



Une simple remarque : Dufay parle de "tourbillon" électrique. La théorie des "tourbillons" est ici empruntée à Descartes. Pour celui-ci chaque corps céleste est entouré d'un tourbillon d'une matière subtile. Ces tourbillons en se touchant maintiennent les astres à distance l'un de l'autre et entraînent l'ensemble dans le mouvement d'horlogerie que chacun peut observer même si les rouages restent invisibles. De la même façon, les tourbillons "électriques" entourant deux corps électrisés les écarteront l'un de l'autre.



La loi de Dufay :



Fort de cette interprétation, Dufay passe alors en revue les observations antérieures et en particulier celles de Hauksbee concernant des fils de coton attachés à l'intérieur d'un globe de verre frotté et qui " s'étendent en soleil du centre à la circonférence". Tous ces faits le conduisent à une première loi de la répulsion :



"Il demeure pour constant, que les corps devenus électriques par communication, sont chassés par ceux qui les ont rendu électriques".



Par ce mécanisme de "l'attraction – contact – répulsion", (A.C.R), Dufay explique avec élégance une foule d'observations. Le phénomène doit cependant être approfondi. Il faut, en particulier, répondre à la question suivante :



Deux corps chargés d'électricité à deux sources différentes vont-ils également se repousser ?



En cherchant à le vérifier Dufay fait accomplir à l'électricité un nouveau bond en avant : "cet examen", dit-il," m'a conduit à une autre vérité que je n'aurais jamais soupçonnée, et dont je crois personne n'a encore eu la moindre idée".


Le moment est suffisamment important pour que nous lui laissions la parole :



" Ayant élevé en l'air une feuille d'or par le moyen du tube (de verre), j'en approchais un morceau de gomme copal (résine d'arbre exotique de la famille des légumineuses) frottée et rendue électrique, la feuille fut s'y appliquer sur le champ, et y demeura, j'avoue que je m'attendais à un effet tout contraire, parce que selon mon raisonnement, le copal qui était électrique devait repousser la feuille qui l'était aussi ; je répétais l'expérience un grand nombre de fois, croyant que je ne présentais pas à la feuille l'endroit qui avait été frotté, et qu'ainsi elle ne s'y portait que comme elle aurait fait à mon doigt, ou à tout autre corps, mais ayant pris sur cela mes mesures, de façon à ne me laisser aucun doute, je fus convaincu que la copal attirait la feuille d'or, quoiqu'elle fût repoussée par le tube : la même chose arrivait en approchant de la feuille d'or un morceau d'ambre ou de cire d'Espagne (cire végétale extraite de certaines espèces de palmiers) frotté.


Après plusieurs autres tentatives qui ne me satisfaisaient aucunement, j'approchai de la feuille d'or chassée par le tube, une boule de cristal de roche, frottée et rendue électrique, elle repoussa cette feuille de même, afin que je ne pus pas douter que le verre et le cristal de roche, ne fissent précisément le contraire de la gomme copal, de l'ambre et de la cire d'Espagne, en sorte que la feuille repoussée par les uns, à cause de l'électricité qu'elle avait contractée, était attirée par les autres : cela me fit penser qu'il y avait peut-être deux genres d'électricité différents."




Une hypothèse aussi hardie effraie d'abord son auteur. Si deux électricités existent réellement, comment ne les a-t-on pas encore signalées ! De nombreuses vérifications s'imposent. Dufay frotte toutes les matières dont il dispose : il faut bien se rendre à l'évidence, le phénomène est général.



" Voilà donc constamment deux électricités d'une nature différente, savoir celle des corps transparents et solides comme le verre, le cristal, etc. et celle des corps bitumineux ou résineux, comme l'ambre, la gomme copal, la cire d'Espagne, etc.


Les uns et les autres repoussent les corps qui ont contracté une électricité de même nature que la leur, et ils attirent, au contraire, ceux dont l'électricité est de nature différente de la leur."



Que dire de plus ? La loi  d'attraction et de répulsion électrique est toute entière dans ces deux phrases. Si nous cherchons son énoncé dans un manuel contemporain nous l'y retrouvons pratiquement au mot près. Reste à nommer ces deux électricités différentes :

 

" Voilà donc deux électricités bien démontrées, et je ne puis me dispenser de leur donner des noms différents pour éviter la confusion des termes, ou l'embarras de définir à chaque instant celle dont je voudrais parler : j'appellerai donc l'une l'électricité vitrée, et l'autre l'électricité résineuse, non que je pense qu'il n'y a que les corps de la nature du verre qui soient doués de l'une, et les matières résineuses de l'autre, car j'ai déjà de fortes preuves du contraire, mais c'est parce que le verre et la copal sont les deux matières qui m'ont donné lieu de découvrir ces deux espèces d'électricités."



Electricité vitrée, électricité résineuse... ces deux termes ont au moins le mérite de proposer des étalons commodes. La fin du mémoire constitue d'ailleurs un début de classement. Au registre des corps qui présentent de l'électricité résineuse nous trouvons l'ambre, la cire d'Espagne, la gomme copal, la soie, le papier. L'électricité vitrée apparaît sur le verre et aussi le cristal, la laine, la plume... mais laissons à Dufay le soin de présenter son plus bel exemple:



"Rien ne fait un effet plus sensible que le poil du dos d'un chat vivant. On sait qu'il devient fort électrique en passant la main dessus ; si on approche alors un morceau d'ambre frotté, il en est vivement attiré, et on le voit s'élever vers l'ambre en très grande quantité ; si, au contraire, on en

approche le tube, il est repoussé et couché sur le corps de l'animal".


         Ainsi débute la longue tradition des peaux de chat dans les laboratoires de nos lycées.


         Après les découvertes fondamentales que sont la conduction et l'électrisation par influence, la découverte des deux espèces d'électricité ouvre des voies prometteuses. La conclusion du mémoire manifeste l'espoir de progrès rapides.


         "Que ne devons nous point attendre d'un champ aussi vaste qui s'ouvre à la physique ? Et combien ne nous peut-il point fournir d'expériences singulières qui nous découvriront peut-être de nouvelles propriétés de la matière ? "


         Quand il écrit ces lignes, Dufay a trente cinq ans. Sa mort prématurée cinq ans plus tard lui laissera peu de temps pour tracer plus loin son sillon. Il lui aura surtout manqué le temps de défendre une théorie trop hardie pour la plupart de ses contemporains. Son disciple direct, l'Abbé Nollet, à peine plus jeune que lui, est le premier à la rejeter.


Dans son "Essai sur l'électricité des corps", il se livre à une vigoureuse critique de la théorie des deux électricités :


         " Question : Y a-t-il dans la nature deux sortes d'électricité essentiellement différentes l'une de l'autre ?

 

Réponse :  Feu M. Dufay séduit par de fortes apparences et embarrassé par des faits qu'il n'était guère possible de rapporter au même principe il y a trente ans, c'est à dire dans un temps où l'on ignorait encore bien des choses qui se sont manifestées depuis, M. Dufay dis-je, a conclu par l'affirmation sur la question dont il s'agit. Maintenant bien des raisons tirées de l'expérience, me font pencher fortement pour l'opinion contraire ; et je suis pas le seul de ceux qui ont examiné et suivi les phénomènes électriques, qui abandonne la distinction des deux électricités résineuse et vitrée".



Il propose pour sa part la théorie d'une matière électrique unique qui quitterait et rejoindrait les corps électrisés dans un double mouvement simultané.



" La matière électrique s'élance du corps électrisé en forme de rayons qui sont divergents entre eux et c'est là ce que j'appelle matière effluente ; une pareille matière vient, selon moi, de toutes parts au corps électrisé, soit de l'air atmosphérique soit des autres corps environnants et voilà ce que je nomme matière affluente ; ces deux courants qui ont des mouvements opposés, ont lieu tous deux ensemble. ".



Théorie confuse et sans réelle portée explicative mais l'Abbé Nollet est devenu le "Physicien électriseur" le plus célèbre des cours d'Europe et ses avis ont force de loi. Pendant de longues années il sera un obstacle, hélas efficace, à la diffusion de la théorie des deux électricités.



Nous ne quitterons pas Dufay sans un regret. Des découvertes de portée équivalente ne restent généralement pas anonymes. Coulomb, Volta, Galvani, Ampère, Laplace...vivent toujours dans le vocabulaire électrique à travers une loi, parfois une unité. Qui connaît encore Dufay ?


Déjà en 1893, Henri Becquerel, qui avait choisi d'en faire l'éloge à l'occasion du centenaire du Muséum d'Histoire Naturelle, devait constater cet oubli :



"Parmi les statues et les bustes qui ornent nos galeries, parmi les noms gravés sur nos monuments, j'ai cherché en vain la figure ou même le nom seulement d'un des hommes qui firent le plus de bien et le plus d'honneur au vieux Jardin des Plantes, le nom du prédécesseur de Buffon. Que dis-je, j'ai cherché jusqu'à son souvenir, et ni dans tout le muséum, ni dans Paris même, je n'ai pu trouver un portrait de Charles-François de Cisternay du Fay, intendant du Jardin Royal des Plantes".



Nous pourrions prolonger la longue période oratoire de Becquerel : "J'ai vainement cherché son souvenir dans les livres de physique, dans le nom des lois et des unités électriques...".



Est-il vraiment trop tard pour perpétuer le souvenir de ce physicien talentueux ? Rien ne nous empêche de signaler dans nos cours et dans nos manuels que la loi d'attraction et de répulsion électrique est la "loi de Dufay".



Dufay oublié, il faudra une longue suite d'observations et d'interprétations contradictoires pour que la théorie des "deux électricités" nous revienne. Le second maillon de cette chaîne est, à nouveau, Benjamin Franklin.



Benjamin Franklin (1706-1790) : un vocabulaire neuf pour un fluide unique.


         Contrairement à son prédécesseur, la renommée n'a pas oublié Franklin, "l'inventeur" du paratonnerre, avec qui nous pouvons, à présent, faire plus ample connaissance.


Dans le domaine de la physique il se décrit lui-même comme un amateur. Né à Boston en 1706, il est autodidacte. Son père est un modeste fabricant de chandelles et c'est chez son frère imprimeur qu'il peut assouvir sa passion pour la lecture. Il rencontre l'électricité par hasard vers l'âge de quarante ans. Il est alors à Philadelphie où il participe aux activités des cercles cultivés de la ville. Ceux-ci ont reçu d'Angleterre  un "coffret  électrique contenant "un tube de verre avec une note explicative sur l'emploi qu'on en peut faire" pour réaliser "certaines expériences électriques". L'auteur de cet envoi est Peter Collinson, membre de la Royal Society, l'académie des sciences anglaise. C'est un marchand Quaker de Londres entretenant des relations commerciales avec les colonies d'Amérique et qui ambitionne d'encourager les américains dans l'étude des sujets scientifiques. Il n'a pas manqué de joindre à son envoi une notice explicative : une relation des expériences spectaculaires menées en Allemagne par Bose et ses successeurs. Une "bouteille de Leyde" (nous reparlerons de ce premier condensateur électrique) est jointe au colis, elle procurera de vigoureuses secousses au "Tout-Philadelphie" pendant plusieurs mois.


         Franklin fait de ce matériel un usage plus scientifique dont il rend compte, à partir de mars 1747, sous forme de plusieurs lettres à son correspondant anglais M. Collinson, membre de la Royal Society.


Nous avons déjà évoqué la proposition qui servira de socle à toutes ses interprétation ultérieures : l'électricité est un fluide qui imprègne tous les corps. Le frottement a pour effet d'en faire passer une certaine quantité d'un corps à l'autre.



Cette nouvelle façon de percevoir l'électricité est parfaitement illustrée par la deuxième lettre qu'il adresse à Pierre Collinson. Trois personnages y sont mis en scène : A, B et C.


A est isolé sur un gâteau de cire, il frotte un tube de verre qu'il tend à B lui-même isolé. B approche la main du tube et en reçoit une étincelle. A ce moment le personnage C resté au sol, en contact avec la terre, tend les doigts vers A et B et reçoit de chacun une décharge électrique. Franklin propose une interprétation séduisante :


         "Nous supposons que le feu électrique est un élément commun, dont chacune des trois personnes susdites a une portion égale avant le commencement de l'opération avec le tube : la personne A qui est sur un gâteau de cire, et qui frotte le tube, rassemble le feu électrique de son corps dans le verre, et sa communication avec le magasin commun (la terre) étant interceptée par la cire, son corps ne recouvre pas d'abord ce qui lui manque ; B, qui est pareillement sur la cire, étendant la jointure de son doigt près du tube, reçoit le feu que le verre avait ramassé de A ; et sa communication avec le magasin commun étant aussi interceptée, il conserve de surplus la quantité qui lui a été communiquée. A et B paraissent électrisés à C, qui est sur le plancher ; car celui-ci ayant seulement la moyenne quantité de feu électrique, reçoit une étincelle de B, qui en a de plus, et il en donne à A qui en a de moins...


         De là quelques nouveaux termes se sont introduits parmi nous. Nous disons que B (ou tout autre corps dans les mêmes circonstances) est électrisé positivement et A négativement ; ou plutôt B est électrisé plus et A l'est moins, et tous les jours dans nos expériences nous électrisons les corps en plus ou en moins suivant que nous le jugeons à propos.".


         Pour la première fois, est donc exprimée la notion de charges positives et négatives. Cependant, nous l'avons compris, Franklin ignore l'interprétation de Dufay en termes de deux espèces d'électricité. Pour lui, le fluide électrique est unique, un corps chargé positivement en porte une quantité supplémentaire, un corps chargé négativement en a perdu. "Plus " et "moins" ne sont donc pas une nouvelle convention pour désigner deux électricités différentes mais ont le sens réel de gain et de perte.


Ce modèle, opposé à celui de Dufay, peut facilement convaincre. Il présente cependant de sérieuses lacunes. Comment peut-on affirmer, comme une évidence, que l'homme qui frotte le tube de verre fait passer l'électricité de son corps vers le tube ? Etait-il plus difficile d'imaginer que ce même homme arrache de l'électricité au tube frotté ?  Franklin propose une étrange hypothèse : il imagine que la "chose frottante" perd une partie de son fluide au profit de la "chose frottée". Mais qui frotte et qui est frotté dans cette opération ?



Regrettons, au passage, que Franklin n'ait pas d'abord frotté du soufre. Il lui aurait, pour la même raison, attribué une charge positive ce qui, nous le verrons par la suite, aurait simplifié la tâche des professeurs des siècles suivants.



La publication de ces premières lettres lui vaut à ce sujet un courrier critique. Un de ses correspondants lui signale le comportement différent du soufre et du verre et suggère l'existence de deux électricités. Franklin maintient son interprétation initiale. Tout au plus doit-il admettre qu'un corps peut non seulement gagner de l'électricité quand on le frotte, mais aussi en perdre. Persévérant dans son intuition première il décrète cependant que c'est bien le verre qui se charge "en plus" tandis que le soufre se charge "en moins".



Une seconde mise en garde est plus sévère. On n'étonnera personne en disant que le sujet favori de Franklin aura été le tonnerre. Il en imagine le processus de la façon suivante : la terre est la réserve, le "magasin" de l'électricité. En s'évaporant pour former les nuages, l'eau arrache au globe terrestre une certaine quantité de fluide qui lui est ensuite restituée sous forme d'éclairs. Or, après la découverte du paratonnerre, Franklin est en mesure de prélever et d'analyser l'électricité portée par les nuages. Il constate alors qu'ils sont généralement chargés "en moins". Il faudrait donc que l'eau ait abandonné de l'électricité au sol et que, dans le phénomène du tonnerre, ce soit "la terre qui frappe les nuages et non pas les nuages qui frappent la terre". Cette constatation, contraire au sens commun, chagrine son auteur et, finalement, le doute s'installe :



"Les amateurs de cette branche de la physique ne trouveront pas mauvais que je leur recommande de répéter avec soin et en observateurs exacts, les expériences que j'ai rapportées dans cet écrit et dans les précédents sur l'électricité positive et négative, et toutes celles du même genre qu'ils imagineront, afin de s'assurer si l'électricité communiquée par le globe de verre est réellement positive..."



Il faudra presque un siècle et demi pour apporter une réponse à cette question. Cette réponse, hélas, sera négative.



 Cela n'empêche pas la théorie du fluide unique de s'imposer. Elle possède, en effet, un pouvoir déductif très développé et sera la source d'un progrès rapide dans l'expérimentation. Aujourd'hui encore,  le schéma proposé par Franklin reste à la base de la plupart de nos raisonnements.




Entre Dufay et Franklin : les bas de soie de Robert Symmer.


         Robert Symmer (1707 - 1763) est écossais. Après une carrière dans la finance il se consacre aux sciences. En 1759 il publie dans les Philosophical Transactions de la Royal Society de Londres, le compte rendu d'expériences qui, malgré leur caractère étrange, lui vaudront une durable  renommée.



 Cela commence par une observation banale : des étincelles éclatent le soir quand il retire ses bas. Beaucoup de ses amis lui disent avoir fait la même observation mais, dit-il, "il n'a jamais entendu parler de quelqu'un qui ait considéré le phénomène de façon philosophique". C'est en effet une idée qui ne vient pas spontanément à l'esprit et c'est pourtant ce qu'il se propose de faire. Il décide donc de porter chaque jour deux paires de bas superposées, l'une de soie vierge l'autre de laine peignée. Heureuse initiative car alors le phénomène se renforce et surtout les deux paires de bas, quand on les sépare, manifestent une furieuse tendance à s'attirer. On peut même mesurer cette attraction en lestant l'une des paires au moyen de masses marquées de poids non négligeable.



Arrive un jour où un décès dans sa famille l'amène à porter le deuil. Il ne renonce pas pour autant à son expérience et enfile une paire de bas de soie noire sur ses habituels bas de soie naturelle. Ce soir là, au moment du déshabillage, l'effet est extraordinaire ! Jamais bas ne se sont attirés avec tant de fougue !



Quand la période de deuil touche à sa fin, et que des bas plus classiques reprennent leur place en position externe sur la jambe de Symmer, les phénomènes retrouvent leur cours plus modéré. Voici donc deux matériaux de choix pour une expérimentation sur les attractions électriques : la soie naturelle et la soie noire à laquelle le colorant a apporté de nouvelles propriétés. Pour décrire ces observations Symmer utilise d'abord le vocabulaire de Franklin mais, dans l'incapacité de décider lequel des deux bas perd ou gagne de l'électricité, il refuse un choix arbitraire et s'oriente, après avoir lu Dufay, vers l'idée de deux fluides électriques différents :



" C'est mon opinion, qu'il y a deux fluides électriques (ou des émanations de deux pouvoirs électriques distincts) essentiellement différents l'un de l'autre ; que l'électricité ne consiste pas en l'effluence et l'affluence de ces fluides, mais dans l'accumulation de l'un ou l'autre dans les corps électrisés ; ou, en d'autres termes elle consiste dans la possession d'une grande quantité de l'un ou l'autre pouvoir. Ainsi il est possible de garder un équilibre dans un corps, par contre si l'un ou l'autre pouvoir domine, le corps est électrisé de l'une ou l'autre manière".



Pour désigner ces électricités Symmer conserve les termes "positive" et "négative" qui associent une neutralité mathématique à la neutralité électrique de la matière. Tout en la sachant arbitraire il conservera également la convention de Franklin et appellera positive l'électricité qui apparaît en excès sur le verre frotté et négative celle qui s'accumule sur le soufre. C'est donc la théorie de Dufay habillée du vocabulaire de Franklin. C'est encore le modèle de nos "modernes" manuels.



Plusieurs auteurs souhaiteraient un armistice dans la querelle. C'est le cas du suédois T. Bergman qui propose en 1765, peu après la mort de Symmer, un "fluide neutre composé". Constitué de quantités égales de fluide négatif et de fluide positif, il ne se manifeste pas dans l'état normal d'équilibre. Certaines opérations, comme le frottement, le décomposent en deux fluides opposés. Cette théorie fera des adeptes après la découverte de la pile électrique.



Dufay, malgré la rigueur de sa méthode, a été rapidement oublié. Par contre, on trouve encore le nom de Symmer dans les manuels du début du XXème siècle.



Le XIXème siècle voit donc cohabiter deux modèles différents, celui du fluide unique plutôt enseigné en Angleterre et celui des deux fluides surtout utilisé en Europe continentale. Les raisons de choisir l'un ou l'autre sont souvent plus d'ordre philosophique que d'ordre pratique. Une attitude qu'illustre assez bien Charles-Augustin Coulomb (1736-1806), alors qu'il vient, en 1788, d'établir la loi mathématique de l'attraction et de la répulsion à distance.


Pour comprendre cette difficulté à choisir, il faut admettre que, certes, le modèle du fluide unique offre de sérieux avantages mais qu'il soulève également plusieurs difficultés qu'il serait trop commode de passer sous silence. Parmi elles, celle de la répulsion entre deux corps chargés négativement.



La répulsion entre deux corps portant "plus" d'électricité ne pose pas de problème à Franklin et à ses disciples : cette électricité supplémentaire forme, pensent-ils, une "atmosphère" qui entoure chaque corps chargé. Ces atmosphères, par leur simple action mécanique élastique, expliquent de façon simple la répulsion entre deux corps chargés positivement.


Le problème est différent avec deux corps ayant "perdu" de l'électricité. Aucune atmosphère ne les entoure. D'où alors provient la répulsion ? Ce phénomène qu'ils n'arrivent pas à expliquer de façon satisfaisante, sera la source d'un tourment permanent pour Franklin et ses partisans.



L'un d'entre eux, Franz Aepinus (1724-1802), professeur à Berlin puis à Saint-Pétersbourg, abandonne l'hypothèse des "atmosphères" électriques et adopte une vision "newtonienne" de l'action électrique. Celle-ci se ferait à distance, sans aucun support mécanique.



La matière "ordinaire" aurait le pouvoir d'attirer le fluide électrique jusqu'à s'en "gorger" comme une éponge et acquérir ainsi un état de neutralité électrique. Par contre, les particules de matière électrique, c'est admis, se repoussent entre elles. Deux corps chargés d'un surplus d'électricité doivent donc se repousser.



Mais pourquoi deux corps ayant perdu de l'électricité se repousseraient-ils ? Tout simplement parce que la matière ordinaire, privée d'électricité, a elle-même la propriété de répulsion à distance. Ainsi la répulsion se manifesterait entre deux corps chargés de trop d'électricité mais également entre deux corps ayant perdu du fluide électrique.



Cette "matière ordinaire", caractérisée par son volume, sa masse, son inertie, serait donc capable, à la fois, d'exercer sur elle-même des forces d'attraction à distance de nature gravitationnelle comme l'a proposé Newton et des forces de répulsion de nature électrique. Ce système assez compliqué ne pouvait convenir qu'à des franklinistes déjà convaincus. Ce n'est pas le cas de Coulomb : 

 

" M. Aepinius a supposé dans la théorie de l'électricité, qu'il n'y avait qu'un seul fluide électrique dont les parties se repoussaient mutuellement et étaient attirées par les parties des corps avec la même force qu'elles se repoussaient... Il est facile de sentir que la supposition de M. Aepinius donne, quant aux calculs, les mêmes résultats que celle des deux fluides... Je préfère celle  des deux fluides qui a déjà été proposée par plusieurs physiciens, parce qu'il me paraît contradictoire d'admettre en même temps dans les parties des corps une force attractive en raison inverse du carré des distances démontrée par la pesanteur universelle et une force répulsive dans le même rapport inverse du carré des distances". (Des deux natures d'électricité – Histoire de l'Académie Royale des Sciences – année 1788, page 671).



Il reste vrai, cependant, que le choix ne s'impose pas quand on étudie l'électricité à l'état statique. Le problème se pose-t-il différemment quand on considère la circulation de ce, ou de ces, fluide(s), c'est à dire quand on s'intéresse au "courant" électrique ?



La question sera très vite posée et nous allons nous autoriser à parcourir le temps qui nous mènera de Dufay à J.J. Thomson, en passant par Ampère et Maxwell, pour découvrir les différentes réponses qui lui seront apportées.

 

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Cet article fera partie d'un ouvrage publié en juin 2009 par Vuibert

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11 février 2009 3 11 /02 /février /2009 13:46

Cet article a pour objectif d'illustrer, à travers la découverte des rayons X en 1895, la fascination pour une technique nouvelle et l'absence d'esprit critique vis à vis de son usage.

Encore aujourd'hui le "principe de précaution" est une notion qui dérange. Les expériences passées devraient pourtant nous inciter à réfléchir.



Nous suivrons, mois après mois, la découverte qu'en font, à la fois, le grand public et les savants et ingénieurs les plus impliqués.

Nous verrons des anonymes exposés sans aucune retenue et des hommes de science entraînés jusqu'à en mourir par une passion dévorante.

Nous terminerons par une évocation rapide de l'évolution des normes de radioprotection.

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L'essentiel de la documentation sera extraite de "La Nature,  Revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l'industrie. " qui paraît depuis 1873. Quelques documents complémentaires proviennent de l'ouvrage de Guy et Marie-José Pallardy et de Auguste Wackenheim : "Histoire illustrée de la radiologie" (Editions Roger Dacosta - Paris - 1989).

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Bobine de Ruhmkorff, tube de Crookes : les éléments de la découverte.


Dans les années 1890 deux appareils occupent une place de choix dans tous les laboratoires qui se préoccupent de physique :

- une source de haute tension électrique : la bobine de Ruhmkorff.

- un tube cathodique : le tube de Crookes.

Ces appareils ne sortent pas du néant. Dès les débuts de l'électricité des machines électriques alimentent des sphères ou des tubes de verre dans lesquels on a réalisé le vide.

Les étranges phénomènes observés provoquent à la fois de l'admiration, de l'inquiétude et de nombreuses interrogations.

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La bobine de Ruhmkorff

 

 

 

 

A partir de la découverte de la pile électrique par Volta (1800), les applications chimiques et magnétiques du courant électrique occupent l'essentiel de l'activité des savants et ingénieurs. Les sources de tension généralement utilisées sont de l'ordre de quelque dizaines, voire quelques centaines de volts jusqu'à ce que des techniciens habiles proposent de nouveaux générateurs capables de produire des hautes tensions.

 

 

Heinrich Daniel Ruhmkorff (1803-1877) est un mécanicien et électricien allemand installé à Paris où il fabrique des instruments électriques et électromagnétiques de grande précision à un moment où l'électromagnétisme se développe.


Il réalise, en 1851, une bobine d'induction qui surpasse celles déjà imaginées par d'autres techniciens avant lui.


 

 

Sa bobine est un transformateur alimenté par un courant primaire de basse tension. Celui-ci est interrompu très fréquemment, ce qui produit un courant secondaire induit et de tension très élevée, capable de produire de fortes étincelles.

Les usages de la bobine seront multiples. L'étincelle permettra de provoquer l'explosion de mines à distance. La haute tension alimentera les ampoules à vide déjà utilisées par les premiers électriciens et qui deviendront les "tubes cathodiques" qui alimentent encore beaucoup de nous téléviseurs et écrans d'ordinateurs.



Et provoquent aussi de fortes secousses aux imprudents qui en touchent les deux pôles. Une propriété que des démonstrateurs forains s'empressent de faire sentir contre monnaie sur les quais de Paris.

 

 

 

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Le tube de Crookes



 

 

 

 

Crookes, sir William (1832-1919), chimiste et physicien britannique, a laissé son nom comme "l'inventeur" du premier tube à vide. La forme qu'il donne à ce tube (que l'on retrouve encore dans nos lycées) rend commode l'étude du rayonnement qui émane de sa cathode.

Alimenté par une bobine de Ruhmkorff, ce tube est présent dans tous les laboratoires, petits ou grands, de l'ensemble de l'Europe. La lumière qu'il émet fascine.

Elle peut être déviée par un champ électrique ou magnétique, elle rend fluorescent le verre qu'elle frappe.

Ces rayons que l'on nomme à présent "rayons cathodiques", que sont-ils ? Un jet de particules chargées d'électricité ? Une forme particulière de rayonnement lumineux ?

La question agite tout le monde des savants européens et partout des tubes de Crookes, alimentés par des bobines de Ruhmkorff,  sont sollicités afin de lui apporter une réponse satisfaisante.

 

 

 

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Sur la voie d'un étrange rayonnement

 

 

Plusieurs chercheurs, dont Hertz, avaient mis en évidence l'existence d'un rayonnement sortant du tube à partir de la zone d'impact des rayons cathodiques sur le verre. Ce rayonnement pensaient-ils ne pouvait être que de nature lumineuse. Une lumière particulière capable de traverser une fine plaque d'aluminium et d'impressionner une plaque photographique placée derrière elle.

Lénard, élève et préparateur de Hertz perfectionne la méthode en utilisant un tube fermé par une mince feuille d'aluminium. Le tube lui même est enfermé dans un cylindre métallique afin que la phosphorescence provoquée par le rayon cathodique à l'intérieur du tube ne viennent pas perturber l'observation.


 

 

 

Par ce moyen il vérifie la possibilité d'impressionner un papier photographique enfermé dans une boîte ou de rendre  lumineux un écran fluorescent placé à quelque distance.

Il approche de très près une découverte d'importance. C'est son collègue Wilhelm Röntgen qui sera à ce rendez-vous.

 

 

 

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Röntgen et les rayons X

 

 

Wilhelm Röntgen est professeur à l'université Julius Maximilian de Würzburg en Allemagne. L'observation qu'il révèle en décembre de l'année 1895 va rapidement faire le tour de l'Europe.

«Si on laisse passer la décharge d'une grosse bobine de Ruhmkorff à travers un tube à vide et que l'on recouvre le tube d'un manteau suffisamment ajusté de carton noir mince, écrit-il, on voit alors, dans la pièce complètement obscure, qu'un écran de papier recouvert de platinocyanure de baryum, amené à proximité de l'appareil, s'illumine fortement et devient fluorescent lors de chaque décharge. Cette fluorescence est encore visible à deux mètres de l'appareil. On est rapidement convaincu que cette fluorescence provient de l'appareil à décharge et d'aucun autre endroit de la conduite électrique.»

Il constate alors que ces rayons, jusqu'alors inconnus et qu'il baptise pour cette raison rayons "X", sont si pénétrants qu'ils sont capables non seulement de traverser l'air mais aussi le verre, le papier, le bois.

 

 

L'observation a déjà été faite mais Röntgen réalise une expérience inédite qui  parle immédiatement à l'imagination. 


S'il place sa main entre le tube et l'écran. Il en voit alors distinctement l'ombre et aperçoit également celle, plus claire, de ses os.

 

 

Voir à travers le corps humain, quoi de plus merveilleux ? On est bien loin des austères observations de laboratoire !

 

 


 
En recevant le rayonnement sur une plaque photographique encore plus sensible que l'oeil humain,  il prouve que tout ceci n'est pas une illusion et il en laisse une trace qu'il peut immédiatement diffuser dans l'Europe entière.



Méticuleux, Wilhelm Röntgen va rester seul dans son laboratoire  durant, dit-on, sept semaines pour multiplier les observations.  Quand il publie ses premiers clichés, et en particulier la photo d'une main féminine, celle de son épouse, portant une bague, c'est une véritable frénésie qui s'empare des laboratoires tous équipés du matériel qui permet de les reproduire dans l'instant.

 

 

 

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L'épopée des Rayons X

 

 

Dès lors nous allons suivre à travers les articles de "La Nature" l'avancée fulgurante des applications imaginées pour ces rayons inconnus. Elles recouvrent, dès les premiers mois, l'ensemble des applications actuelles. Nous constaterons que l'exaltation détruit tout réflexe de précaution.

Décembre 1895. Annonce de la découverte des rayons X de M. le professeur Wilhelm Conrad Röntgen.

Février 1896. Un premier article dans la revue "La Nature" avec la photographie du squelette d'une main. "Est-il nécessaire d'insister sur les immenses applications de cette nouvelle découverte ?" écrit l'auteur de l'article, " La possibilité de voir à travers le corps humain donnera au médecin un puissant moyen d'investigation. Un os brisé montrera toutes ses esquilles, que l'on pourra rechercher à l'endroit précis où elle se trouvent ; une balle, une aiguille même révélera sa présence par l'ombre qu'elle projettera sur l'écran ou sur la plaque sensible."

Mars 1896. Annonce de premiers usages médicaux des rayons X. Une balle est repérée dans une main blessée, une fracture de la jambe non consolidée est observée.

Mai 1896. La méthode se perfectionne. De superbes "radiographies" sont proposées.


 
Les ustensiles contenus dans une trousse de couture



ou le "squelette" de coquillages.





Juin 1896. Une nouvelle est arrivée d'Amérique. Le célèbre Edison a mis au point un fluoroscope qui permet d'observer directement à travers les corps. Un écran sensible est placé à l'extrémité d'une "chambre noire" dans laquelle l'observateur plonge le regard. Il suffit donc d'un tube de Crookes et de cette boîte pour que chacun puisse observer les os de sa propre main placée sur l'écran et irradiée par la lampe placée en face.



Edison précise bien que la réussite dépend de la puissance du tube de Crookes utilisé, c'est-à-dire du vide réalisé. Ce sont donc des rayons X de forte intensité qui viennent frapper l'observateur et en particulier son visage et ses yeux.

Une nouvelle version du fluoroscope de Edison, plus commode, est proposée pour les médecins. Comme la première, elle expose fortement l'utilisateur.




La douane également s'en équipe.



Septembre 1896. Un homme a reçu une balle dans la tête mais il n'en est pas mort. Une radiographie localise la balle après {{"sept quarts d'heures de pose"}} qui ont fatigué le patient et interdit une autre prise de vue.

On annonce aussi la radiographie d'une enfant nouveau né. De quoi faire frémir le lecteur contemporain quand on sait que l'exposition à une source intense de rayons X a duré plus de une heure. On observera bientôt les enfants à naître au sein même de leur mère !

Par une radioscopie des poumons d'un homme atteint de pleurésie, il a été possible d'étudier l'évolution de la maladie. La tuberculose osseuse ou pulmonaire, maladie caractéristique de l'époque, sera bientôt la cible privilégiée des auscultations par rayons X.

Octobre 1896. Encore une balle. Cette fois c'est dans la tête d'un enfant. Le tube à rayons X a été placé à ½ pouce du crâne des l'enfant. La pose a duré une heure.

L'intérêt de la communication réside dans la suite de l'article titré :

"Action dépilatoire des rayons X".

L'auteur explique : "au bout de 21 jours après l'expérience, les cheveux se mirent à tomber à l'endroit de pénétration des rayons X sur un diamètre de deux pouces à peu près ; la peau est saine ; le malade n'éprouve aucune douleur ; il n'y avait là aucune lésion".

Nulle inquiétude chez l'auteur qui propose, en guise de conclusion, d'utiliser cette méthode rapide et commode pour la dépilation.

 

 

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Les rayons X, le dernier cri de la mode


Une bobine de Ruhmkorff, un tube de Crookes, un écran fluorescent ? Quoi de plus simple qu'un équipement pour rayon X, d'autant plus que plusieurs fabricants se disputent un marché qui promet d'être juteux.




Ils offrent eux mêmes des démonstrations et ouvrent des cabinets de radiologues où leurs assistantes tiennent souvent le rôle du cobaye. {{Elles découvriront bientôt les effets de ces expositions répétées}}.




Mais c'est dans la rue que le succès devient le plus fort. De grands magasins attirent leur clientèle avec {{les deux spectacles du moment : le cinématographe et les rayons X.}}

Le grand chic pour un magasin de chaussures consiste à radiographier le pied de leurs clientes.








L'appareil à rayon X, comme avant lui le tube de Crookes, devient même l'un des éléments des cabinets d'occultisme.

 

 

 

 

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Le revers de la médaille

 

 

Novembre 1896. Un premier article titré : "les méfaits des rayons X". Le témoin a été démonstrateur en rayons X pendant l'été à Londres. Il a, donc, payé de sa personne pendant tout l'été à raison de plusieurs heures par jour d'exposition. Il témoigne :

"Dans les deux ou trois premières semaines je n'en ressentis aucun inconvénient mais au bout de quelque temps apparurent sur les doigts de ma main droite de nombreuse tâches foncées qui perçaient sous la peau. Peu à peu elles devinrent très douloureuses ; le reste de la peau était rouge et fortement enflammé. Ma main me faisait si mal que j'étais constamment obligé de la baigner dans de l'eau très froide… ". Une pommade calme momentanément la douleur mais " l'épiderme s'était desséché, il était devenu dur et jaune comme du parchemin et complètement insensible ; je ne fus donc pas surpris lorsque ma main se mit à peler".

 


Bientôt la peau puis les ongles tombent, les doigts enflent, les douleurs sont incessantes,

 

 

 

"j'ai perdu trois épiderme de la main droite et un de la main gauche, quatre de mes ongles ont disparu de la main droite et deux de la gauche et trois autres sont prêts à tomber. Pendant plus de six semaines j'ai été incapable de faire quoi que ce soit de ma main droite et je ne puis tenir une plume que depuis la perte de mes ongles… "

Le journaliste, rédacteur de l'article se veut cependant rassurant. Ce récit dit-il " pourrait effrayer quelques personnes qui tiennent à leur peau et les éloigner pour toujours du tube producteur des mystérieux rayons, c'est pourquoi nous croyons devoir insister sur le fait que les premiers désordres se sont produits après plusieurs semaines d'une exposition quotidienne d'un tube assez puissant pour permettre les démonstrations publiques."

Février 1897. Les médecins ont découvert ce qui sera l'un des usages essentiel des rayons X : on peut détecter une affection pulmonaire et en particulier une tuberculose par une radioscopie.

Un médecin détecte une tuberculose au dernier stade chez un jeune homme de 20 ans. Son père ayant entendu parler de cobayes tuberculeux guéris après exposition aux rayons X, demande de faire appliquer le traitement à son fils.

Le patient est soumis à {{une heure d'exposition aux rayons X chaque matin}} pendant plus d'un mois. On s'est assuré au préalable du fait que les rayons produits étaient suffisamment pénétrants. 

Même si la peau de sa poitrine doit subir de multiples brûlures, l'état du malade s'améliore au point qu'on le considère bientôt comme guéri.

L'a-t-il été définitivement ? Cette exposition a-t-elle eu des effets secondaires ? Nous ne le saurons pas.

 

 

 

Mai 1897. Deux expérimentateurs qui utilisent les rayons X depuis un an signalent l'effet produit sur leurs mains. L'épiderme s'est épaissi, les poils sont tombés, les ongles se sont exfoliés au point que l'on craint de les voir tomber.


 

 

 

 

 

Ce n'est qu'un début. Bientôt les plaies ne cicatrisent plus. Des cancers apparaissent sur les parties exposées. Il faudra amputer les doigts puis les membres de manipulateurs trop assidus. Ce sera souvent insuffisant et l'issue en sera fatale.

On observe aussi une modification de la formule sanguine et de nombreux cas de stérilité.

Des mesures de précaution sont préconisées. Dès 1904 un praticien américain conseille d'améliorer les tubes par l'usage d'une enceinte imperméable aux rayons X; de verre au plomb devant les écrans d'observation, d'une protection pour les opérateurs. On commence à comprendre les mécanismes de l'action des rayons X sur les cellules vivantes.


Mais bientôt ce sera la guerre 14/18 et l'usage massif des rayons X dans les infirmeries de campagne. "A la guerre, comme à la guerre" est une slogan bien connu. Les précautions viendront plus tard !

C'est en 1921 que Stanley Melville, pionniers des Rayons X et atteint par des lésions, propose la création en Angleterre du "British X-Ray an Radium Protection Committee". Celui ci émet des recommandations généralement ignorées par les radiologues qui les trouvent incommodes.

En 1925 se tient à Londres le premier "Congrès International de Radiologie" qui met en place une commission internationale de protection à laquelle adhèrent la Grande Bretagne, les Etats Unis, la France, l'Allemagne, l'Italie, la Suède. Les recommandations portent à la fois sur les rayons X et les radiations radioactives, désignés globalement sous le terme de "rayonnements ionisants", dont les effets ont été reconnus similaires.

 

 

 

 

 

 

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Un monument à la mémoire des victimes des radiations
 


Le Professeur allemand, Hans Meyer,  directeur d'une revue de thérapie par les rayonnements prend l'initiative d'un "Monument à la mémoire des victimes des radiations".

Il est inauguré en 1936  au voisinage du Pavillon Roentgen de l'hôpital St-Georg, à Hambourg.

Sur une colonne il porte le nom de 159 victimes dont la mort pour cause d'irradiation est certifiée.

La dédicace est de celles qui s'inscrivent sur les monuments aux morts de la dernière guerre.

"Aux radiologues de toutes les nations : médecins, physiciens, chimistes, techniciens, laborantins et infirmières qui ont fait don de leur vie dans la lutte contre les maladies de l'humanité. Ils ont héroïquement préparé la voie à une utilisation efficace et dépourvue de dangers des rayons X et du Radium ! Les oeuvres des morts sont immortelles."

Mais bientôt une nouvelle guerre sera là qui se terminera par les explosions nucléaire de Hiroshima et Nagazaki. A travers la fission nucléaire, l'utilisation "efficace et dépourvue de danger" de la radioactivité s'est transformée en holocauste !

 

 

 

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Les rayonnements ionisants après l'entrée dans l'ère nucléaire.


L'ère du nucléaire militaire.

 

 

 

Des bataillons de médecins et de scientifiques ont investi le Japon. Les irradiés de Hiroshima et Nagazaki ont enrichi les connaissances sur les effets des radiations. Le public en sera-t-il mieux protégé ?

Une nouvelle guerre a été déclarée. Une guerre de l'ombre qui s'est traduite par l'escalade dans l'armement nucléaire. Des bombes vont exploser en plein ciel libérant sur l'ensemble de la Planète les radio-éléments qui vont la contaminer pour des millénaires.

 

 

 

Au Névada des militaires vont être contraints à sortir des tranchées sous le champignon radioactif. Les enfants des écoles seront invités à assister au spectacle à distance. Les populations voisines recevront les retombées.


A Semipalatinsk, en URSS, les villages voisins des explosions ne seront pas évacués et les habitants utilisés comme cobaye.

Dans le Sahara ou à Moruroa, la France exposera aux radiations, les militaires de carrière aussi bien que les "appelés". Les populations de Polynésie ont été exposées en toute connaissance de cause. Malades aujourd'hui ils se battent pour la reconnaissance des dommages qu'ils ont subi.


L'ère du nucléaire "civil"

 

 

Dans cette activité "civile" intimement liée à l'ctivité "militaire"  l'exposition aux radiations est également la règle. Exposition des travailleurs dans les mines, particulièrement en Afrique. Exposition des travalleurs employés en sous traitance pour les nettoyages des enceintes ou leur démantèlement. Exposition et surtout contamination des riverains à l'occasion des accidents. Three Miles Island aus USA et Tchernobyl en Ukraine sont suffisamment explicites.

 

 

 

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Cachez ces rayonnements que nous ne saurions voir.

 

 

Pour développer ces deux activités il était de toute importance d'endormir la vigilance des populations et en particulier de geler toute recherche et toute information sur les effets des "petites doses" de rayonnement ionisants.

 

 

Des "normes" étaient fixées par des organismes présentés comme "indépendants", comme la Commission Internationale de protection radiologiques (CIPR) mais ces normes étaient dictées par un impératif :


être un compromis acceptable entre la protection de la santé et le nécessaire développement de l'industrie nucléaire que des normes trop strictes pourraient gêner.

Le terme adopé par le CIPR en 1977 est :

« aussi bas que raisonnablement possible compte tenu des facteurs économiques et sociaux »

 

 

 

Ce sont les luttes antinucléaires qui, à partir des années 1970, ont relancé les interrogations sur ces normes.

C'est Alice Steward, aux USA, qui enquête sur la santé des 35 000 personnes employées entre 1944 et 1977 à la centrale nucléaire de Hanford. Elle établit avec certitude une corrélation entre "faibles doses" reçues et survenue de cancers. Elle met en évidence une notion admise par tous aujourd'hui : il n'y a pas de seuil ! Toute irradiation peut être à l'origine d'un cancer.

C'est la "Gazette du Nucléaire" en France ou encore l'association PRI (Protection contre les Rayonnements Ionisants) qui font l'information que les autorités officielles s'emploient à dissimuler.

 

 

 

 

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Et les rayons X ?

 

 

Dans ces années de développement de l'industrie nuycléaire, tout se passe comme si aucune nouvelle donnée sur la possible nocivité des rayons X n'avait été portée à la connaissance des services médicaux.

L'usage des rayons X a, certes, été utile dans de nombreuses applications médicales et l'est toujours mais la technique est-elle sans danger et ces dangers sont-ils bien évalués ? 

Dans les années de l'après guerre on a lutté contre la tuberculose dans les écoles à coup de radioscopie annuelle et obligatoire.

L'appareil de radioscopie a meublé tous les cabinets des médecins et était utilisé comme un banal stétoscope. Les femmes enceintes elles mêmes nétaient pas épargnées.

Là encore les militants antinucléaires sont intervenus. Ils interpellent les médecins, les autorité médicales et bientôt la radioscopie systématique disparaîtra de l'univers médical.

Les normes sont devenues plus strictes mais sont-elles encore satisfaisantes ?

 

 

Sait-on que c'est L'Euratom (CEEA, ou Communauté européenne de l'énergie atomique) qui a en charge la fixation des normes dans le domaine médical ?

L'Euratom a été institué par le traité de Rome en 1957 pour une durée « illimitée ». Dans l'esprit de ses membres fondateurs (les membres de la CECA et de la CEE), l'Euratom est chargé de coordonner les programmes de recherche sur l'énergie nucléaire. Il vise notamment la « formation et la croissance rapide des industries nucléaires ».


C'est donc cet organisme dont le but est d'abbattre tous les obstacles qui freinent le développement de l'industrie nucléaire, et donc les normes qui l'entravent, qui, le 30 juin 1997 publie la Directive 97/43/Euratom du 30 juin 1997
relative à la protection sanitaire des personnes contre les dangers des rayonnements ionisants lors d'expositions à des fins médicales, remplaçant la directive 84/466/Euratom  .link

 

 

 

Cette directive retranscrite, pour ce qui concerne l'aspect médical, en droit français à travers le Décret n° 2003-270 du 24 mars 2003 relatif à la protection des personnes exposées à des rayonnements ionisants à des fins médicales et médico-légales et modifiant le code de la santé publique  link


Cette fois l'objectif affiché évacue l'impératif économique.

 

 

 

 

"toute exposition d'une personne à des rayonnements ionisants, dans un but diagnostique, thérapeutique, de médecine du travail ou de dépistage, doit faire l'objet d'une analyse préalable permettant de s'assurer que cette exposition présente un avantage médical direct suffisant au regard du risque qu'elle peut présenter et qu'aucune autre technique d'efficacité comparable comportant de moindres risques ou dépourvue d'un tel risque n'est disponible."

 

 

 

Il aura fallu toutes ces années avant que l'intérêt des malades prenne le pas sur l'intérêt économique. Reste à espérer que les " techniques d'efficacité comparable comportant de moindres risques ou dépourvues d'un tel risque" seront partout à la disposition de chacun.

 

 

Reste à espérer aussi que tous les moyens de contrôle seront développés. De récentes affaires de surexposition par des appareils mal réglés prouvent que la vigilence est encore insuffisante.

Reste surtout à developper la recherche afin de limiter encore l'usage et l'intensité de ces radiations dont l'effet s'ajoute à celui de tous ces polluants du "progrès" : amiante, pesticides, colles, vernis....

Quant à l'irradiation due à l'industrie nucléaire. Le démantèlement de la centrale électrique de Brennilis  link qui vient d'être arrêté pour cause de non respect des procédures et des normes nous prouve que le "principe de précaution" est encore un terme sans contenu pour les promoteurs de cette industrie.

 

 

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APPEL DES PROFESSIONNELS DE LA SANTE POUR L’INDEPENDANCE DE L’OMS


adressé à Madame CHAN, Directrice Générale de l’OMS et au Ministre de la Santé de votre pays

 

 

 

 

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) tend à résoudre les problèmes de santé publique. À cet effet, elle doit « aider à former parmi les peuples, une opinion publique éclairée » (Constitution de l’OMS, entrée en vigueur le 7 avril 1948). Or, depuis la signature le 28 mai 1959 de l’Accord OMS-AIEA (WHA 12-40), l’OMS paraît soumise à l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), pour ce qui concerne les risques liés à la radioactivité artificielle, notamment dans l’étude des conséquences sanitaires de l’explosion de Tchernobyl. Professionnels de la santé, nous nous joignons à ceux qui demandent que l’OMS recouvre son indépendance, conforme à sa Constitution, y compris dans le domaine des rayonnements ionisants.

Par le passé, l’OMS infiltrée par le lobby du tabac, a été paralysée dans la lutte contre le tabagisme passif. De la même manière, l’OMS est paralysée par le lobby de l’atome, incomparablement plus puissant, représenté par l’AIEA, placée au plus haut de la hiérarchie de l’ONU. Cette agence dépend du Conseil de Sécurité, d’où elle coordonne la promotion du nucléaire commercial. L’OMS et les autres agences dépendent, elles, seulement du Conseil Economique et Social.

L’objectif statutaire principal de l’AIEA est « l’augmentation et l’accélération de la contribution de l’énergie atomique pour la paix, la santé et la prospérité dans le monde entier ». L’Accord de 1959 exige que « chaque fois que l’une des parties se propose d’entreprendre un programme ou une activité dans un domaine qui présente ou peut présenter un intérêt majeur pour l’autre partie, la première consulte la seconde en vue de régler la question d’un commun accord ». L’Accord prévoit aussi, article III, « ... de prendre certaines mesures restrictives pour sauvegarder le caractère confidentiel de certains documents ». Cette confidentialité a conduit à la non-publication des actes des Conférences OMS de Genève sur Tchernobyl du 23-27.11.95. Promis pour mars 1996, les 700 participants attendent encore ces documents. Le Dr. Nakajima, alors Directeur Général de l’OMS, confirme en 2001, devant la télévision suisse italienne, que la censure des actes est due aux liens juridiques entre l’OMS et l’AIEA.

Pour les projets de recherche, « régler la question d’un commun accord », c’est ôter toute liberté à l’OMS dans le domaine des accidents nucléaires. L’annexe au programme des Conférences OMS de Genève, illustre ce fait, quand elle décrit la chronologie de l’accident de Tchernobyl. L’annexe confirme que sur le terrain, l’OMS s’est engagée trop tard. Les deux derniers points méritent d’être relus :
 « Début 1990 L’OMS [est] invitée par le Ministère soviétique de la Santé à mettre sur pied un programme international d’aide » ;
 « Mai 1991 Achèvement du Projet International par les soins de l’AIEA ».

 

 

 

Ainsi c’est l’AIEA qui a fourni les plans demandés par le Ministre de la Santé de l’URSS, en lieu et place de l’OMS. Ceci explique que les atteintes génétiques connues pour être essentielles depuis la publication en 1957 du rapport d’un groupe d’étude réuni par l’OMS sur les « Effets génétiques des radiations chez l’homme », aient été omises, les caries dentaires ayant pour l’AIEA une plus haute priorité.

En conséquence, ce sont les promoteurs du nucléaire, l’AIEA et son porte-parole l’UNSCEAR, tous deux obligés aux cadres autoproclamés de la CIPR 1, qui informent l’ONU sur les problèmes de santé à Tchernobyl. Citant 32 morts par irradiation en 1996, ils en concèdent 54 en 2005, et 4000 cancers de la thyroïde chez l’enfant, que l’AIEA ne peut plus contester, comme elle le fit jusqu’en 1995.

Il est urgent que l’OMS vienne en aide à un million d’enfants condamnés à vivre en milieu contaminé par des radionucléides de Tchernobyl. L’irradiation se fait jusqu’à 90% par voie interne, le reste par voie externe. Certains organes concentrent énormément de radionucléides. L’irradiation très chronique qui en résulte a des effets délétères sur la santé. Au Bélarus aujourd’hui, 85% des enfants des régions contaminées sont malades ; avant l’explosion ce n’étaient que 15%.1 Le Médecin chef de la Fédération de Russie signalait, en 2001, que 10% des 184.000 liquidateurs russes étaient décédés et qu’un tiers était invalide. L’Ukraine a fourni 260.000 liquidateurs. Selon le communiqué de presse de l’ambassade d’Ukraine à Paris publié le 25 avril 2005, 94,2% d’entre eux étaient malades en 2004. Lors des Conférences de Kiev en 2001, on apprenait que 10% de ces travailleurs sélectionnés, la moitié étant de jeunes militaires, étaient décédés et qu’un tiers était gravement invalide, la situation se détériorant rapidement. L’ambassade d’Ukraine comptait 87,85% de malades chez les habitants des territoires encore radiologiquement contaminés. La proportion des malades augmentait d’année en année.

 

Des centaines d’études épidémiologiques en Ukraine, au Bélarus ou dans la Fédération de Russie ont établi l’apparition dans les territoires contaminés d’une augmentation significative de tous les types de cancers causant des milliers de morts, une augmentation de la mortalité périnatale et infantile, un grand nombre d’avortements spontanés, un nombre croissant de malformations et d’anomalies génétiques, des troubles et des retards du développement mental, un nombre croissant de maladies neuropsychiques, de cécités et de maladies des systèmes respiratoire, cardiovasculaire, gastro-intestinal, urogénital et endocrinien.

 

Nous, professionnels de la santé, nous nous joignons aux associations qui depuis plus de dix ans contestent ces dérèglements. Nous soutenons les vigies qui stationnent silencieusement à l’entrée de l’OMS depuis le 26 avril 2007. Nous demandons avec eux la révision de l’Accord (WHA 12-40) afin de rendre à l’OMS son indépendance conforme à sa Constitution.

 

Nous demandons que la révision de l’Accord soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine Assemblée Mondiale de la Santé (WHA), pour que l’OMS puisse « agir en tant qu’autorité directrice et coordinatrice, dans le domaine de la santé » ; « stimuler et guider la recherche... » ; « fournir toutes informations, donner tous conseils et toute assistance dans le domaine de la santé » [Articles 2 a, n et q de la Constitution de l’OMS], même lorsqu’il s’agit de rayonnements ionisants ou des conséquences sanitaires de Tchernobyl. Il faut étudier l’effet des faibles doses très chroniques, liées à l’incorporation prolongée de radionucléides artificiels.


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