Le monde a deux ans pour agir contre le changement climatique sinon il affrontera des « conséquences désastreuses », a averti l’ONU, en appelant la société civile à réclamer « des comptes » aux dirigeants de la planète.
C’est un compte à rebours qu’il a lancé. Et qui sonne comme une annonce de fin du monde.
Lundi, le chef de l’ONU, Antonio Guterres, a prononcé un discours particulièrement alarmiste, autour de la question climatique. « Nous sommes confrontés à une menace existentielle directe », dit-il. « Le changement climatique est la question déterminante de notre époque – et nous sommes à un moment décisif. Le changement climatique évolue plus vite que nous et sa rapidité a provoqué un séisme à travers le monde. »
Pour lui, c’est clair : « Si nous ne changeons pas de cap d’ici 2020, nous risquons de manquer le moment où nous pouvons éviter un changement climatique incontrôlé, avec des conséquences désastreuses pour les humains et tous les systèmes naturels qui nous soutiennent. »
Le secrétaire général de l’ONU dresse un bilan particulièrement inquiétant de l’état de la planète : « Nous connaissons des températures record dans le monde entier », dit-il. « Selon l’Organisation météorologique mondiale, au cours des deux dernières décennies, 18 des années les plus chaudes depuis 1850 ont été enregistrées et cette année s’annonce comme la quatrième plus chaude. Les vagues de chaleur extrêmes, les incendies, les tempêtes et les inondations laissent une trace de mort et de dévastation. »
Trop de dirigeants ont refusé d’écouter
Il estime encore que « nous avons été prévenus. Les scientifiques nous le disent depuis des décennies », mais que « beaucoup trop de dirigeants ont refusé d’écouter. » Et selon lui, les résultats sont déjà visibles. « Dans certaines situations, ils ressemblent aux pires scénarios des scientifiques. »
Le chef des Nations unies cite ainsi la banquise arctique qui « disparaît plus vite que nous ne l’avions imaginé » ; le fait que cette année, pour la première fois, des glaces de mer épaisses et permanentes au nord du Groenland ont commencé à se fragmenter ; un réchauffement « spectaculaire dans l’Arctique qui affecte les conditions météorologiques dans l’hémisphère nord » ; ou encore des feux de forêt durent plus longtemps et se propagent davantage.
Autre conséquence qu’il décrit : « Les océans deviennent de plus en plus acides, et menacent les fondements des chaînes alimentaires qui soutiennent la vie. Et, sur terre, le niveau élevé de dioxyde de carbone dans l’atmosphère rend les cultures de riz moins nutritives, menaçant le bien-être et la sécurité alimentaire de milliards de personnes. »
La société doit interpeller les dirigeants
Face à ce désastre annoncé, Antonio Guterres estime qu’il est encore possible d’agir. Même si manque selon lui la volonté politique des dirigeants. « Nous savons ce que nous devons faire. Et nous savons même comment le faire. Nous avons les outils pour rendre nos actions efficaces. »
L’Accord de Paris , signé il y a trois ans, qui qui prévoit de contenir d’ici à 2100 le réchauffement climatique « bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels », était « vraiment le strict minimum pour éviter les pires impacts du changement climatique ». Mais même ces objectifs ne seront pas tenus. « Ce qui nous manque encore, même après l’Accord de Paris, c’est le leadership et l’ambition de faire ce qui est nécessaire. »
Antonio Guterres en appelle aux dirigeants, et appelle chacun à se mobiliser. « Il est impératif que la société civile -jeunes, groupes de femmes, secteur privé, communautés religieuses, scientifiques et mouvements écologiques dans le monde– demande des comptes aux dirigeants », a insisté le secrétaire général des Nations unies. Dans son discours, il cite plusieurs pistes : « Nous devons arrêter la déforestation, restaurer les forêts détériorées et changer notre manière de cultiver ». Il faut aussi revoir « la manière de chauffer, de refroidir et d’éclairer nos bâtiments pour gaspiller moins d’énergie ».
Antonio Guterres brandit aussi
l’argument du porte-monnaie
« Des avantages énormes attendent l’humanité si nous pouvons relever le défi climatique. Un grand nombre de ces avantages sont économiques. » Selon lui, l’action climatique et le progrès socio-économique se renforcent mutuellement : des terres dégradées restaurées signifient de meilleurs niveaux de vie pour des agriculteurs qui ne migrent plus vers les villes, l’assainissement de l’eau sauverait la vie de 360.000 bébés, l’air pur qui a un impact sur la santé publique… Il estime que ce combat produirait « des gains de 26 trillions de dollars d’ici 2030 par rapport au statu quo ». Sera-t-il entendu ? Son discours survient en tout cas deux jours avant un sommet mondial inédit pour l’action climatique qui doit réunir à San Francisco des milliers d’élus, de maires, de responsables d’ONG et d’entreprises.
L'Union européenne ne protège pas suffisamment la santé de ses habitants contre la pollution de l'air, dénonce la Cour des comptes européenne, dans un rapport publié ce 11 septembre.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la pollution atmosphérique serait responsable de 400 000 décès prématurés chaque année ; ce serait mêmeplus de 500 000 décès selon l'Agence européenne pour l'environnement.« Un coût humain et économique qui n'a pas suscité d'action appropriée à l'échelle de l'UE »,jugent les auditeurs de la Cour des comptes.
Celle-ci incrimine d'abord la législation, qui repose sur la directive sur la qualité de l'air ambiant, adoptée en 2008, il y a 20 ans. Ses normes sont« nettement moins strictes que les lignes directrices de l'OMS », elles autorisent les dépassements fréquents des seuils, ne comportent pas de limite d'exposition journalière pour les particules fines (PM2,5) et sont« trop peu contraignantes au regard des dernières données scientifiques »sur les effets sanitaires de la pollution, lit-on.
Certes, la directive a contribué à faire diminuer les émissions de polluants atmosphériques : - 89 % pour les émissions de d'oxyde de soufre entre 1990 et 2015, - 56 % d'émissions dioxyde d'azote, et - 26 % d'émissions de particules fines (PM2,5) depuis 2000. Mais cela ne se traduit pas par des réductions d'ampleur similaire au niveau des concentrations en polluants atmosphériques. La pollution atmosphérique serait même sous-estimée faute d'avoir été mesurée dans des endroits stratégiques (à proximité des axes routiers ou des sites industriels), souligne la Cour.
Ces conclusions rejoignentcelles de la Cour des comptes française qui soulignait, en janvier 2016 qu'une quarantaine de zones dépassaient les seuils réglementaires européens en matière de dioxyde d'azote ou de PM2,5 malgré deux décennies de réduction des émissions de polluants. Elles font aussi écho à l'appel de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'environnement (ANSES) pour que la France se dote de normes plus protectrices.
Sanctions sans effets
Autre grief : les États membres ne mettent pas en œuvre cette directive. En 2016, 13 États membres dépassaient les valeurs limites pour les particules fines, et 19 pour le dioxyde d'azote. La France faisait partie des deux listes.
Les mesures coercitives prises par la Commission européenne semblent peu dissuasives. Voire inefficaces, tant les délais s'étirent. La France a ainsi été renvoyée devant la justice en mai dernier pour non-respect des seuils relatifs au dioxyde d'azote, après des mises en garde infructueuses depuis... 2005.
Plus largement, les pays ne prennent pas suffisamment en compte la nécessité de réduire la pollution atmosphérique dans leurs politiques publiques (transports, énergie, industrie, agriculture, etc.) regrette la Cour.
Seul point positif : les citoyens, notammentvialesassociations qui vont jusqu'à porter le combat devant les tribunaux, commeen France, commencent à être mieux sensibilisés, souligne l'instance européenne.
Actualisation de la directive européenne
Les Sages recommandent une action plus efficace de la part de la commission, grâce au partage de bonnes pratiques des États membres ou à des procédures d'infraction plus courtes. Elle invite la commission à réviser la directive sur la qualité de l'air ambiant, en l'alignant sur les lignes directrices de l'OMS, et à améliorer l'emplacement des stations de mesure de la pollution. La Cour des comptes demande enfin que les politiques de l'UE intègrent la qualité de l'air comme priorité et que les pays améliorent la sensibilisation et l'information au public, avec l'aide des professionnels de santé.
L’institut, qui emploie 5 000 permanents, est composé de plus de 300 équipes, dont certaines s’intéressent à la thématique santé-environnement, notamment à l’impact des pesticides sur la santé, depuis 20 ans, à travers des études épidémiologiques (cohortes) ou expérimentales. L’INSERM a ainsi publié une expertise collective en 2013 sur les effets sanitaires de l’exposition aux produits phytosanitaires.
Le professeur a indiqué que les différentes résultats démontrent de « fortes présomptions, à 80 % » de liens de causalité entre l’exposition aux produits phytopharmaceutiques et l’apparition de certains cancers et de certaines pathologies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson. Ce lien est particulièrement bien avéré en ce qui concerne les professionnels utilisateurs (agriculteurs) ou fabricants. D’autres résultats, moins nombreux, démontrent aussi des effets sur la population générale, notamment des problèmes de fertilité ou de malformations congénitales. (voir)
En entendant la présentation du professeur, la présidente de la mission Elisabeth Toutut-Picard a noté que c’était « la première fois qu’un expert scientifique a le courage de se positionner » sur cette question du lien de causalité, depuis le début des travaux de la mission.
L’électricité est une énergie qui ne se stocke pas
Si la majorité des énergies primaires (gaz, pétrole ou charbon) se stocke facilement, il est en revanche très difficile de stocker l’électricité en grande quantité. Cependant, il est possible de la convertir en d’autres formes d’énergies intermédiaires et stockables (potentielle, cinétique, chimique ou thermique).
Jusque dans les années 1980, les moyens de conversion permettant le stockage du courant alternatif étaient excessivement coûteux, voire très peu fiables ou inexistants. Cela a évolué avec l’arrivée de l’électronique de puissance plus performante et dont les puissances traitées sont maintenant quasiment illimitées. Aujourd’hui, les recherches sur le sujet du stockage sont légion. En témoignent les nombreux travaux lancés tant à l’échelon français qu’à échelon européen.
Le stockage, cause énergétique internationale
En effet, dans un de ses rapports publiés en 2009, l’Agence internationale de l’énergie estime les besoins de stockage supplémentaires pour l’Europe occidentale entre 0 et 90 GW d’ici 2050, en fonction des progrès des techniques de prévision météorologique (en particulier concernant l’énergie éolienne) et du développement des réseaux électriques intelligents. Ces estimations sont fondées sur l’hypothèse d’une production électrique assurée à 30 % par des énergies renouvelables (Blue Map Scenario 2050).
La Commission européenne a fait du stockage de l’électricité un de ses chantiers prioritaires et a souligné à plusieurs reprises le rôle primordial du stockage : communication du 10 novembre 2010 « Énergie 2020 – Stratégie pour une énergie compétitive, durable et sûre », demande de réalisation d’une analyse des capacités de stockage nécessaires en Europe dans un schéma d’ensemble de toutes les infrastructures prioritaires pour 2020-2030, etc. En outre, le 20 juillet 2010, l’Union européenne a lancé un nouvel appel à projets dans le domaine de l’énergie qui englobe, entre autres, la thématique du stockage de l’électricité. Pour la Commission européenne, l’objectif est de retenir un ou deux projets collaboratifs de démonstrateurs améliorant la « gestion de l’énergie sur différents aspects pour élargir le recours à la production d’électricité par les énergies renouvelables, y compris en termes de qualité du courant ». L’enveloppe d’aide budgétaire prévue se situera entre 20 et 50 millions d’euros.
En France, le stockage est également considéré comme un élément clef à prendre en compte dans les années à venir : la DGEC parle d’un « vecteur énergétique très prometteur dans la décarbonisation des usages énergétiques » et de nouvelles solutions de stockage sont expérimentées dans les différents démonstrateurs : Millener, Nice Grid, Pégase, etc.
Quatre enjeux prioritaires ont été identifiés :
les systèmes de stockage doivent prendre en compte tous les enjeux environnementaux (analyse de type cycle de vie) ;
la valorisation économique du dispositif de stockage doit être intégré dès la conception ;
le développement de procédés industriels doit être accompagné (d’où l’idée de lancer des démonstrateurs) ;
le cadre institutionnel et réglementaire propice au déploiement du stockage doit être défini.
"Quand une seule maladie atteint un grand nombre d'individus au même moment, il faut en attribuer la cause à ce qui est le plus commun ; à ce que nous utilisons tous le plus ; or c'est ce que nous respirons." (Hippocrate, Nature de l'Homme)
On peut commander l'ouvrage chez l'auteur (15€ port compris) : gerard.borvon@wanadoo.fr.
Fin novembre 2014, Conférence environnementale, discours télévisé de François Hollande, depuis l’Élysée. Sujet principal : la « Conférence mondiale pour le climat » qui sera organisée à Paris en décembre 2015.
Sous les ors de la République, le cadre est majestueux, le discours se veut impérial :
"C’est la troisième conférence environnementale, c’est la première fois qu’elle se tient ici à l’Élysée.
Elle marque donc la volonté qui est la mienne, qui est celle de l’État, de faire de l’environnement non pas simplement une cause nationale, mais un enjeu européen et mondial.
C’est la tradition de la France de porter un message universel. Longtemps, elle a pensé que c’était sur les droits de l’Homme et les droits économiques qu’elle pouvait faire entendre sa voix. Aujourd’hui, consciente des risques et des menaces, la France veut être exemplaire."
Dans ce flot de paroles convenues, une petite phrase retient toute mon attention :
"Sur la pollution de l’air, nous sommes conscients que nous devons diminuer le taux des particules, aller plus loin dans l’identification des véhicules polluants, des mesures à prendre en cas de pic…"
J’écoute et plus le propos est lyrique et plus je mesure le gouffre qui sépare le discours de la pratique. On continue à recouvrir de bitume des terres agricoles et des espaces naturels pour en faire les parkings de supermarchés. On éventre des espaces boisés pour faire passer les voies rapides qui amèneront encore plus de voitures dans les centres-villes déjà saturés. On continue à épandre sur les sols les engrais industriels, les lisiers et les pesticides qui empoisonnent l’eau des rivières et rendent insalubre l’air que nous respirons.
Militant, en Bretagne, au sein d’une association environnementale plus particulièrement attachée à la préservation de la qualité de l’eau et des milieux aquatiques, j’ai siégé à ce titre au Comité de bassin Loire-Bretagne et au Comité national de l’Eau, organe consultatif où j’ai vu passer cinq ministres en l’espace d’une dizaine d’années. J’y ai constaté la faiblesse des administrations, et particulièrement celle des ministres, incapables de résister à la pression permanente des lobbies de l’industrie, de l’agriculture et des distributeurs d’eau. J’y ai mesuré l’importance de la société civile lorsqu’il s’agit de défendre un espace de vie démocratique.
Dans ces institutions opaques, une poignée de militants associatifs sont noyés dans un océan de représentants de l’industrie, de l’agriculture et des administrations. Ils s’efforcent d’y faire entendre la petite voix de leurs concitoyens attachés à la défense de l’environnement naturel et de leur cadre de vie.
À l’écoute des militants d’autres régions, j’ai pu constater que, malgré sa mauvaise réputation, la Bretagne n’est pas nécessairement la plus polluée des régions françaises. Les grandes plaines céréalières, les régions productrices de fruits, les vignobles, lui disputent plusieurs records. En vérité, la pollution est chez nous plus visible. Le réseau serré des ruisseaux et rivières qui maillent notre territoire apporte, sans délai, les excès de nitrates sur les côtes où se développent les algues vertes. Leur putréfaction émet les gaz nocifs dont tout laisse à penser qu’ils ont déjà provoqué la mort de deux personnes en plus de celle de nombreux animaux sauvages ou domestiques.
Si le cas breton est l’un des mieux connus, on le doit d’abord aux associations de protection de l’environnement et de consommateurs qui y sont particulièrement actives et donnent de la Bretagne l’image d’ « une région qui se bat pour son environnement ».
Jusqu’à présent, la pollution de l’eau a été leur cible principale. Mais peu à peu la conscience d’une source de pollution encore plus inquiétante s’est fait jour, celle du dangereux cocktail que l’air transporte jusqu’à nos poumons, en Bretagne comme sur tout le territoire : pesticides, oxydes d’azote, ozone, particules fines…
Si on s’en tenait aux informations délivrées par la plupart des grands médias, la pollution de l’air ne concernerait que les grandes villes. Il a fallu le hasard d’une campagne de mesures dans une commune proche du lieu où j’habite pour que je découvre une tout autre réalité.
SIMULACRES DÉMOCRATIQUES
Landivisiau est une petite ville du Finistère de 9 000 habitants. Début 2012 sous les derniers hoquets du quinquennat Sarkozy, ceux-ci ont eu la surprise d’apprendre que le président du Conseil régional, le futur ministre de la guerre Jean-Yves Le Drian, en accord avec le ministre de l’énergie de l’époque, Éric Besson, avaient choisi leur commune pour y implanter une centrale électrique de 450 mégawatts fonctionnant au gaz fossile. Les habitants, subissant déjà les nuisances d’une base aéronavale et d’une quatre-voies toutes proches découvraient ainsi un projet qui allait s’inscrire à proximité immédiate de leur ville. Dans cette commune prospère peu habituée aux mouvements sociaux, allait commencer une guérilla entre un collectif d’opposants très déterminés et l’habituel réseau des notables locaux, chambres de commerce et élus confondus.
Cela fait partie du rituel : une enquête publique dite « pour la protection de l’environnement », assortie de dossiers aussi épais que volontairement obscurs, s’est tenue en mairie. Pour qui savait lire, il était évident que les milliers de tonnes de CO2 libérées par la centrale et les pollutions multiples qui viendraient s’ajouter à celle déjà existantes, allaient à l’encontre de toutes les déclarations vertueuses des dirigeants politiques concernant la protection de l’environnement et celle de l’air en particulier.
Les habitants de Landivisau savent lire. Par milliers, ils ont témoigné contre le projet, rejoints par les associations environnementalistes les plus représentatives en Bretagne. Résultat ? Un avis favorable des commissaires enquêteurs et du préfet sans prise en compte d’une seule de leurs remarques. Ils s’y attendaient, on leur avait déjà refusé l’organisation d’un débat public et une longue habitude de ce genre d’enquête leur avait appris que, de Flamanville à Notre-Dame-des-Landes en passant par Sivens, elles n’étaient qu’un simulacre dans une partie où les jeux étaient faits d’avance.
Balayées les remarques solidement argumentées et en particulier celles concernant la pollution de l’air. Ayant commencé à s’informer sur ce que savent déjà sur le sujet les scientifiques et les organismes engagés dans la protection de la santé publique, les habitants de Landivisiau n’ont pu qu’être effarés en constatant l’inertie des pouvoirs politiques, administratifs et judiciaires face à l’énormité du problème.
UNE POLLUTION SOUS-ESTIMÉE
La 21e Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 21), à défaut d’apporter de réelles réponses, a eu au moins un mérite : le problème du dérèglement climatique, provoqué essentiellement par l’excès de CO2 dans l’atmosphère, ne peut plus être occulté. Sécheresses ici, inondations là, tornades, raz de marée, îles et côtes englouties… sans compter l’apparition de nouvelles maladies et le bouleversement des équilibres biologiques affectant tout le monde vivant : le sombre tableau décrit par les différents intervenants avait des allures d’apocalypse.
Pourtant la pollution de l’air provoquée par le gaspillage inconsidéré des réserves d’énergie fossile (charbon, pétrole, gaz) ne se limite pas à celle du CO2.
On commence seulement à mesurer les concentrations en poisons divers (pesticides, composés benzéniques, particules fines…) dans l’atmosphère et à en observer les effets sur la santé humaine. En témoigne le rapport de novembre 2015 de l’Agence européenne de l’environnement (AEE). Il constate que la pollution atmosphérique constitue le premier risque sanitaire d’origine environnementale en Europe. « Elle raccourcit l’espérance de vie des personnes affectées et contribue à l’apparition de maladies graves, telles que des maladies cardiaques, des troubles respiratoires et des cancers… » Elle est responsable « de plus de 430 000 décès prématurés en Europe par an » ! Un constat accablant dont les auteurs sont pourtant loin d’évoquer le profil des habituels lanceurs d’alertes des associations écologistes.
En nous appuyant sur les rapports issus des organismes officiels et des centres de recherche scientifique internationalement reconnus, nous montrerons que la connaissance de l’extrême gravité de la pollution de l’air est déjà bien établie. Nous évoquerons la détresse de celles et ceux dont la santé est déjà gravement atteinte. Nous ferons le constat de l’extrême faiblesse des réponses politiques face à ce scandale sanitaire.
Quand, en France, des études, reprises par le ministèrede la Santé, estiment que 42 000 morts par an sont imputables à la pollution de l’air pour un coût annuel pouvant atteindre 100 milliards d’euros, comment ne pas être révolté face au peu de mesures envisagées ?
Puisse ce court ouvrage apporter une information utile à toutes celles et tous ceux qui, au-delà de l’indignation, ont décidé que le moment de l’action est venu.
Il y a urgence : lorsque j’ai commencé la rédaction du livre, les décès prématurés étaient estimés à 42 000, alors que je relis ce jeu d’épreuves on nous apprend que la comptabilité macabre due à la pollution de l’air en France est désormais responsable directement de 48 000 personnes.
avant-propos
L’ère du méchant air. 7
Simulacres démocratiques. 10
Une pollution sous-estimée .12
chapitre I
Ces pesticides que l’on respire. 15 (voir)
Pas de normes pour l’air.18
Des pesticides à pleins poumons.19
En Bretagne et plus encore ailleurs. 20
Une prise en comptetardive. 25
chapitre II
Quand les politiques publiques se bouchent le nez. 27 (voir)
Surveiller. 28
Des crédits insuffisants. 31
Un fiasco français. 34
chapitre III
Dealers de glyphosate. 37 (voir)
Ça suffit ! 39
Une inertie criminelle. 47
chapitre IV
Particules fines, gros dégât sanitaire. 51 (voir)
Les particules fines, définition. 53
Cancer du poumon : l’inquiétant bilan.56
Particules fines et mortalité à court terme en France. 57
Bébés, les premiers menacés. 58
« La dose ne fait pas le poison ». 60
Europe : un état des lieux. 63
chapitre V
Aux Antilles : silence, on empoisonne. 69 (voir)
Les épandages aériens, à quand la fin ? 70
Le scandale du chlordécone. 72
Aux Antilles, la justice coûte cher. 74
L’affaire Belpomme. 77
L’après-Belpomme. 82
chapitre VI
Les enfants, premières victimes. 87 (voir)
Pélagie : grossesse et atrazine en Bretagne. 90
Interdire les épandages ? 93
chapitre VII
Savoir ! 101 (voir)
Quand la démocratie se perd dans les bureaux d’en haut. 103
Aux Antilles : savoir, et après ? 105
En Bretagne : savoir, et après ? 112
Glyphosate : à quand les mesures de sa présence dans l’air ? 114
Vouloir ? Le Grenelle ou l’échec en spectacle. 117
Guerre chimique. 120
chapitre VIII
Utopies ? villes, routes, champs, jardins sans pesticides. 121 (voir)
Le bio, une agriculture savante d’avant la chimie. 126
Le temps du retour à l’agronomie. 130
Effet de serre, pollution de l’air le temps presse.133 (voir)
Le CO2 et le reste.136
Si le contrôle et le maintien de la qualité de l'eau en France a fait l'objet de la "grande" loi de 1964, il a fallu attendre 1996 pour que soit votée une "loi sur l'Air et l'Utilisation Rationnelle de l’Énergie (LAURE)". Respirer un air sain serait-il moins important que de boire une eau potable ?
L'air, la santé et la loi.
Comme souvent en France lorsqu'il s'agit d'environnement, la loi répondait, avec des années de retard, à des directives cadres issus des institutions européennes : la directive du 15 juillet 1980, concernant des valeurs limites et des valeurs guides de qualité atmosphérique pour l'anhydride sulfureux et les particules en suspension, la directive du 3 décembre 1982, concernant une valeur limite pour le plomb contenu dans l'atmosphère, la directive du 7 mars 1985, concernant les normes de qualité de l'air pour le dioxyde d'azote et la directive du 21 septembre 1992, concernant la pollution de l'air par l'ozone. Ces directives européennes s'inscrivant elles-mêmes dans le cadre des lignes directrices de l'organisation mondiale de la santé (OMS) dont le préambule déclarait que "le fait de respirer de l’air pur est considéré comme une condition essentielle de la santé et du bien-être de l’homme".
Dans son article premier la loi française définissait son objet : "L’État et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l'objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé."
"Un air qui ne nuise pas à sa santé...".L'air, reconnu sur le plan international comme une "condition essentielle de la santé et du bien-être de l’homme" , serait donc devenu, dans la loi française, une menace dont il faille se protéger ? C'est hélas ce que l'on découvre à la lecture des mesures effectuées par les 29 associations agréées par le Ministère de l'Environnement pour la surveillance de la qualité de l'air en France : respirer peut, effectivement, nuire à notre santé !
La qualité de l'air surveillée.
Étonnante histoire que celle de ces associations de surveillance de la qualité de l'air. Rappelons que la loi sur l'eau de 1964 avait eu, entre autres mérites, de définir six Agences de Bassin. Établissements publics dépendant du ministère de L'Environnement, ces agences sont chargées de mettre en œuvre la politique de l’État en matière de qualité de l'eau. Rien de cela pour la protection de l'air, les associations auxquelles on en a confié sa surveillance sont des associations régies par la loi de 1901 qui, pour plusieurs, existaient bien avant que soit votée la loi sur l'air et, donc, relevaient d'une initiative, non pas publique mais associative.
En Bretagne, par exemple, l'association "Air Breizh" est issue d'une association loi 1901 nommée ASQAR ( association pour la surveillance de la qualité de l’air de l’agglomération rennaise) créée en 1987. Airparif, en Île-de-France, a été créée en 1979.
Le mouvement s'est accéléré à la suite du décret n° 90-389 du 11 mai 1990 instituant "une taxe parafiscale sur les émissions de polluants dans l'atmosphère affectée au financement de la lutte contre la pollution de l'air et perçue par l'Agence pour la qualité de l'air". La discrète "Agence pour la Qualité de l’Air" (AQA), créée par une loi du 7 juillet 1980, était un établissement public à caractère industriel et commercial, sous tutelle du ministre délégué à l’Environnement. En 1990-1991, la fusion de l’AQA, de l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie et de l’Agence nationale pour la récupération et l’élimination des déchets a donné naissance à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Depuis 1999 la taxe perçue par l'ADEME est incluse dans la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP). Sont visées les installations émettant des oxydes de soufre et d'azote, des vapeurs organiques, des particules fines.
Une partie de cette taxe étant affectée au financement de la surveillance de la qualité de l'air, un arrêté du 9 mai 1995 établissait la liste de la trentaine d'associations agrées par le ministère de l'environnement et autorisées à la percevoir. La loi de 1996 formalisait ce fonctionnement en précisant que "Dans chaque région, et dans la collectivité territoriale de Corse, l’État confie la mise en œuvre de cette surveillance à un ou des organismes agréés. Ceux-ci associent, de façon équilibrée, des représentants de l’État et de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, des collectivités territoriales, des représentants des diverses activités contribuant à l'émission des substances surveillées, des associations agréées de protection de l'environnement, des associations agréées de consommateurs et, le cas échéant, faisant partie du même collège que les associations, des personnalités qualifiées".
Depuis cette date des associations agréées existent dans chaque région de métropole et d'outre-mer et sont regroupées au sein de la "Fédération des Associations de Surveillance de la qualité de l'air (ATMO France)". En sont membres les représentants des organismes de l’État (Préfectures, DREAL, ADEME, ARS, DRAF ...), les collectivités territoriales ( Conseil généraux, communautés urbaines, grandes villes... ), les principaux industriels concernés ( chambres de commerce et d'industrie, chambres d'agriculture, EDF, grosses unités industrielles...), des personnes qualifiées (scientifiques, structures médicales, associations... ).
Des crédits insuffisants.
Leur financement ? Les Agences de l'eau fonctionnent avec le pactole des redevances pollutions payées par chaque consommateur et figurant sur sa facture d'eau potable. Mais il n'y a pas encore de facture pour l'air qu'on respire ! le budget des associations membres de l'ATMO repose donc essentiellement sur les dotations de l’État, sur une partie de la taxe payée par les installations polluantes (TGAP) et sur les subventions volontaires des collectivités territoriales. Résultat : un budget insuffisant et qui se restreint de plus en plus d'où un nombre limité de mesures effectuées et des points de mesure trop peu nombreux. Huit points de mesure, par exemple en Bretagne dont 3 seulement bénéficiant de mesures complètes permettant d'établir l'indice de qualité de l'air ATMO. Pour les agglomérations de plus de 100 000 habitants cet indice est calculé à partir des concentrations de quatre polluants : le dioxyde soufre (SO2), le dioxyde d'azote (NO2), l'ozone (O3) et les particules en suspension de diamètre inférieur à 10 micromètres (PM10). Ces mesures limitées aux grandes agglomérations sont à l'évidence très insuffisantes quand on constate que c'est sur l'ensemble du territoire que les habitants respirent un cocktail de pollutions diverses générées par l'industrie,l'agriculture, le chauffage urbain et les transports.
Dans un interview rapporté par la revue Actu-Environnement de septembre 2013, la présidente d'ATMO-France, plaidait pour une rallonge des crédits attribués aux associations membres. Avec l'élaboration des schémas régionaux climat-air-énergie, la révision des plans de protection de l'atmosphère incluant la mesure des concentrations de pesticides dans l'air et des polluants atmosphériques à proximité du trafic en milieu urbain, les associations agréées croulent sous les nouvelles missions. Leur présidente revendiquait qu'elles perçoivent une partie des taxes qui seraient prélevées sur les transports. C'était le temps où la redevance "poids-lourds" était encore dans les projets gouvernementaux.
Il est vrai que avec 50 millions d'euros par an partagés entre 27 associations à comparer aux 2 milliards d'euros à la disposition des six Agences de l'eau, il semblait impossible de répondre à l'urgence de l'heure, d'autant plus que la situation semblait s'aggraver. Les finances publiques étant "étriquées", la part de l'État et celle des collectivités locales pouvaient difficilement augmenter. Pire, certaines collectivités réduisaient leur contribution volontaire, allant jusqu'à la supprimer. Finalement, le financement des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air dépendait du "bon vouloir des collectivités", regrettait Régine Lange, rappelant que le suivi de la qualité de l'air constitue pourtant un outil d'aide à la prise de décision pour ces mêmes collectivités.
Pour étayer son argumentation la présidente faisait valoir les 42.000 décès par an résultant de la pollution atmosphérique par les particules fines, "un chiffre issu de l'étude Cafe (Clean Air for Europe, Air pur pour l'Europe) de 2000 et qui n'est pas contesté".
Par ailleurs, rappelait-elle, le coût annuel associé à la mortalité précoce liée à la pollution atmosphérique est évalué entre 20 et 30 milliards d'euros par an, selon une étude récente réalisée par les services du ministère de l’Écologie. Un rapport du Sénat, publié en juillet 2015 sous le titre "Pollution de l'air : le coût de l'inaction", estimait quant à lui ce coût à 100 milliard d'euros.
Ne pas oublier, le contentieux ouvert par la Commission européenne à l'encontre de la France pour non-respect des valeurs limites applicables aux particules PM10 qui pourrait aboutir à une condamnation assortie d'une amende et d'astreintes financières, à savoir : onze millions d'euros d'amende et 240.000 euros par jour de dépassement du seuil réglementaire, soit plus de 100 millions d'euros pour la première année et 85 millions pour les années suivante. Nous parlerons de ces particules fines, PM10, PM2,5,dont l'extrême dangerosité se révèle chaque jour un peu plus.
En conclusion la présidente de ATMO-France rappelait que, si la santé publique doit être le soucis premier des autorités, une autre évidence s'imposait : "agir pour la qualité de l'air, c'est agir pour les finances publiques" .
Propos entendus ? En Avril 2015, alors que Paris venait de subir des pics de pollution particulièrement graves, la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal décidait de réduire de 15% la subvention de l'Etat à Airparif !
L'état n'est pas le seul à se désengager. Sur 64 départements adhérents à ATMO-France une vingtaine ont annoncé leur départ pour 2016, ou risquent de baisser leurs apports. La région parisienne est particulièrement touchée : les Yvelines viennent de se retirer d’Airparif pour 2016, après la Seine-et-Marne en 2015 et les Hauts-de-Seine en 2012. Et cela dans la plus totale indifférence !
Le printemps a parfois d'étranges couleurs. Une photo publiée par une association agréée de protection de l'environnement du Finistère montre un champ dont le couvert végétal est d'un orange éclatant. La légende qui l'accompagne précise que cette photo n'a pas été prise pendant la canicule de l'été 2003 mais dans un mois d'avril bien arrosé.
Pourquoi cette couleur ?
Ce champ a la particularité d’être situé à proximité des sources de l'Élorn, la rivière qui alimente l’agglomération brestoise en eau potable ainsi que la majorité de la population du Nord-Finistère (300.000 habitants). Directive Cadre Européenne oblige, dans cette région en excédent structurel de nitrates dans les rivières, les exploitants agricoles doivent semer un couvert végétal pendant l’hiver pour capter les excédents de nitrates présents dans leur sol.
Au printemps ce couvert doit laisser la place au maïs qui bientôt absorbera les mètres cubes de lisier accumulés pendant l’hiver et qui déborde des fosses. Il faut donc le détruire. Comment ? Par un moyen mécanique respectueux de l’environnement ? Ce serait trop demander. Place au Roundope* qui vous nettoie tout cela en un seul passage et tant pis pour la pollution de l’air et de l’eau.
D’où ces couleurs lumineuses des champs de Bretagne en ce beau printemps.
*Note : Les militants locaux ont pris l'habitude de désigner par "Roundope" toute espèce de mélange à base de glyphosate utilisé comme désherbant. Toute ressemblance avec une marque connue, ajoutent-ils, ne serait pas totalement fortuite.
La folie du Roundope, dont le glyphosate est le produit actif, a été contagieuse. Ce sont les services de l'équipement qui en aspergeaient les bords des routes. Ce sont les employés communaux qui le pulvérisaient sur les trottoirs, y compris au ras des cours de récréation et des aires de jeu. Il a fallu la pression persistance des associations de protection de l'environnement pour que la pratique régresse. Grâce à leur action, les mêmes qui hier arrosaient copieusement leurs espaces publics de désherbants divers, affichent aujourd'hui des panneaux dont le décor, agrémenté de fleurs, d'abeilles et de papillons, fait savoir au visiteur que les pesticides sont désormais bannis de leur commune.
Mais les dealers de dope glyphosatée ne renoncent pas si facilement.
Le Roundope ça suffit !
Ce jour d'avril 2008, de nombreux lecteurs matinaux de leur quotidien préféré, ont eu du mal à avaler leur première tasse de café : sur une demi page ils pouvaient découvrir un placard publicitaire de la société Monsanto en faveur de son produit phare, le Roundup. Celui-ci avait clairement pour cible les "jardiniers du dimanche".
Le placard publicitaire annonçait d'entrée la couleur : "Encore un week-end perdu a arracher les mauvaises herbes. Il suffit d'oublier un fragment de racine pour devoir tout recommencer. Et si vous demandiez un coup de main à Roundup, le complice de votre tranquillité ? "
L'opération était habile et le vocabulaire bien choisi : faire de chaque amateur de jardinage un "complice". Ceci à condition qu'aucun d'entre-eux n'ait la curiosité de lire l'étiquette du produit sur laquelle il lui est recommandé :
de ne pas pulvériser quand il y a du vent.
de ne pas traiter par temps de pluie.
de ne pas traiter en plein hiver ni par temps très sec.
de ne pas traiter par grande chaleur.
de ne pas traiter à moins de 5 mètres d'un point d'eau ou de bouches d'eau pluviale ou d'eaux usées.
d'éloigner les enfants et les animaux domestiques de la zone traitée pendant environ 6 heures.
de porter une tenue recouvrant intégralement le corps avec gants et bottes.
de rincer trois fois son matériel après application sans faire de rejet dans les eaux usées.
Résumons : ne pas utiliser quand il pleut ou quand il fait sec, quand il fait chaud ou quand il fait froid. Ne pas oublier les gants, les bottes, le masque, la tenue de cosmonaute. Séquestrer les enfants et les animaux. Bref, quel est le jardinier, sachant lire une notice et soucieux de sa santé, de celle de ses proches et surtout de sa "tranquillité" pendant le week-end, qui pourrait avoir envie d'utiliser un tel produit !
Parmi les lecteurs de ce pavé publicitaire, les plus scandalisés étaient certainement les militants de l’association "Eau et Rivières de Bretagne" qui s'étaient fortement engagés dans la lutte contre les publicités mensongères des marchands de phytotoxiques. Pour ces militants la nouvelle publicité de Monsanto, producteur du Roundup, constituait une incroyable provocation.
En juillet 2001, l'association avait porté plainte pour publicité mensongère, à l’encontre des dirigeants de la société : dans plusieurs campagnes publicitaires télévisuelles ainsi que sur les emballages de ses produits, Monsanto affirmait que le Roundup était « 100 % biodégradable, respectait l’environnement, et était sans danger pour l’homme » ! Un procès-verbal d'infraction avait été dressé par la Direction de la Concurrence et de la Consommation.
Aux États-Unis, dès 1996, Monsanto avait dû abandonner cette publicité à la suite d’une procédure judiciaire engagée par le procureur général de l’État de New-York. Cette publicité avait, hélas, eu le temps d'atteindre son objectif et permis le développement des ventes du désherbant qui représentaient alors environ 60 % du marché.
En France, l'affaire était traitée par le tribunal correctionnel de Lyon. Le 26 janvier 2007, il condamnait, deux responsables des sociétés Monsanto et Scotts France, pour publicité mensongère sur les pesticides de la marque commerciale "Roundup". En plus de l'amende 15 000 euros, les deux sociétés étaient condamnées à verser des dommages et intérêts aux deux associations, Eau & Rivières de Bretagne et CLCV (Consommation Logement Cadre de Vie), qui s’étaient constituées partie civile.
Monsanto ayant fait appel de cette décision, le jugement définitif, n'était pas encore rendu au moment où passait cette publicité qui, cette fois, se gardait bien de déclarer que le Roundup "protégeait" l'environnement. Seul, sous forme de provocation, un gentil "toutou" à l'angle du placard publicitaire rappelait la précédente campagne dans laquelle l'animal était sensé traiter au Roundup la plante qui avait poussé au dessus de l'os qu'il convoitait.
La sanction était finalement confirmée par un arrêt du 9 octobre 2009 de la chambre criminelle de la cour de cassation. Selon les magistrats, le mensonge publicitaire résultait d’une "présentation qui élude le danger potentiel du produit par l’utilisation de mots rassurants et induit le consommateur en erreur en diminuant le souci de précaution et de prévention qui devraient normalement l’inciter à une consommation prudente". L'affaire était donc entendue, grâce à l'action des associations, le Roundup ne pourrait plus se présenter comme inoffensif et de surcroît "biodégradable".
Côté scientifiques, d'autres "lanceurs d'alerte" avaient pris le relais.
Dangereux le Roundope ?
On connaît le combat du biologiste Gilles-Eric Séralini pour faire connaître ses travaux et ceux de son équipe sur la nocivité du Roundup. Dans leur première étude, publiée en 2007, les biologistes ont voulu voir quels étaient les effets du pesticide sur des cellules embryonnaires mises en culture. Ils constataient que, même à des doses considérées comme non toxiques, le produit empêchait la formation d’hormones sexuelles essentielles au bon développement du fœtus, de ses os et de son sexe. On connaît les pressions et interventions multiples pour combattre et dénaturer les résultats obtenus et la ténacité du chercheur à défendre sa méthode et à exiger que les études réalisées par les industriels pour la mise en marché du produit soient rendues publiques.
D'autres chercheurs, agissant par d'autres voies, avaient eux-mêmes trouvé des résultats analogues.
Fin juin 2007, le titre d'un article du journal Le Télégramme, diffusé en Bretagne, ne pouvait qu'attirer le regard : "Santé, Un herbicide hautement cancérigène". Le professeur Robert Bellé de la station biologique de Roscoff rendait compte des travaux qu'il menait avec son équipe sur des cellules d'oursins. Pourquoi l'oursin ? Les travaux menés à Roscoff, comme d'autres ailleurs, ont démontré que le génome de l'oursin est très proche de celui de l'homme. L’oursin, dont la femelle pond des millions d’œufs, est un modèle idéal d’étude de la fécondation et du développement embryonnaire. Les chercheurs l'utilisent donc comme matériau d'expérience. L'article évoque prudemment "l'herbicide le plus répandu en Occident". Chacun aura reconnu le Roundope.
Conclusion ? "Ce produit est cancérigène parce qu’il engendre un dysfonctionnement du point de surveillance de l’ADN. Le composant actif qu’il contient, dénommé glyphosate, n’est pas le seul élément toxique de cet herbicide. Ce sont les produits de formulation l’accompagnant qui rendent l’ensemble particulièrement dangereux pour la santé. Pour être efficace, le glyphosate doit pénétrer dans les cellules des plantes. L’herbicide, dont nous parlons, est composé d’une formule qui le permet, affectant l’ADN par la même occasion".
L'Association "Santé Environnement France" qui regroupe près de 2500 médecins donne la liste de 10 adjuvants de formulations de pesticides à base de glyphosate. Dans la liste de leurs effets toxiques, on note : réactions allergiques, dommages génétiques, problèmes thyroïdiens, réduction de la fertilité, tumeurs de la peau, cancers...
Des cancers ? Quels cancers ?
"Dès qu’elles seront possibles, les études épidémiologiques permettront de démontrer l’incidence de ce produit sur les différents types de cancer." affirmait l'équipe du Docteur Bellé "En particulier sur les cancers des voies respiratoires puisque le produit pulvérisé contient la formulation à des concentrations très supérieures (500 à 2.500 fois plus) à celles qui engendrent le dysfonctionnement du point de surveillance de l’ADN."
Ainsi le propos nous ramène à la pollution de l'air par les pesticides.
Ce Roundope que l'on respire.
Les publications françaises sont peu nombreuses concernant la présence des pesticides dans l'air. Le glyphosate, pourtant "l'herbicide le plus répandu en Occident", et son produit de dégradation tout aussi nocif, l'AMPA, sont particulièrement absents des quelques rares études qui ont été réalisées. La puissance du groupe Monsanto qui produit le Roundup y serait-elle pour quelque chose ?
Aux USA, une étude menée dans l'état du Mississippi, montrait que le glyphosate, largement utilisé sur les cultures OGM, se retrouvait dans 86% des échantillons d'air et dans 77% de ceux d'eau de pluie recueillis. En Europe l'association des "Amis de la Terre" fait état de tests menés dans 17 pays européens sur des prélèvements d'urine. Ils montrent que 43,9 % des échantillons contiennent des traces de ce produit chimique. Preuve d'une pollution généralisée : tous les volontaires qui ont donné ces échantillons vivent en ville et aucun d'entre eux n'a utilisé, ni manipulé de produits à base de glyphosate dans la période précédent les tests.
En dehors de son aspect cancérigène, le glyphosate, comme la plupart des pesticides,
est soupçonné de perturber le système endocrinien, ce qui peut avoir des conséquences
irréversibles à certaines phases du développement de l'enfant pendant et après la
grossesse.
Mais il faut franchir l'Atlantique pour en avoir quelques
échos. Les Amis de la Terre rapportent que dans les
secteurs d'Amérique du Sud où est cultivé le soja
transgénique arrosé au glyphosate, le nombre de
malformations congénitales a augmenté. Au Paraguay
on constatait que les femmes qui vivent à moins d'un
kilomètre des champs sur lesquels le pesticide est épandu,
ont plus de deux fois plus de risques d'avoir des bébés
mal-formés. En Équateur et en Colombie, où des
herbicides à base de glyphosate ont été utilisés pour
contrôler la production de cocaïne, il y avait un taux plus
élevé d'altérations génétiques et de fausses-couches
durant la saison d'épandage. Retour en France.
Des études analogues sont faites, en Bretagne, sur l'effet
de la contamination par un herbicide, sur des femmes
enceintes et sur les enfants qu'elles mettent au monde.
Mais, hélas, cet herbicide n'est pas le glyphosate.
Ces études portent sur l'atrazine, un pesticide actuellement
interdit et que le Roundup a remplacé. N'aurait-il pas été
plus utile d'étudier la contamination par le pesticide
aujourd'hui le plus utilisé et dont on sait déjà qu'il pollue
l'air, les sols, les rivières, les nappes souterraines et les
baies côtières. Mais veut-on vraiment savoir ?
Enfin le réveil ? Le 20 mars 2015, le Centre international de recherche
sur le cancer (Circ), agence de l'Organisation mondiale de
la santé (OMS) basée à Lyon, spécialisée dans le cancer
qui a étudié l’ensemble de recherches scientifiques
menées sur les effets de cette substance, a estimé qu'il
existe suffisamment de preuves pour définir le glyphosate
cancérogène chez les animaux. En laboratoire, des
modifications chromosomiques ont été constatées, ainsi
que des tumeurs au pancréas, aux reins et un risque
accru de cancer de la peau. Réaction en France ?
Allait-on enfin interdire ce produit comme on a interdit
l'atrazine, le lindane ? "La France doit être à l'offensive
sur l'arrêt des pesticides" déclarait La ministre de
l'Ecologie Ségolène Royal. Offensive ? Pas un mot sur
l'usage agricole mais, fidèle à sa technique des effets
d'annonce intempestifs suivis d'une retraite immédiate,
elle faisait savoir que, à compter du premier janvier 2018,
l'accès aux produits phytosanitaires "pour les jardiniers
amateurs" ne pourra se faire que "par l'intermédiaire d'un
vendeur certifié". Pas d'interdiction donc, ni dans les
champs ni dans les jardins, mais trois ans accordés pour
faire ses provisions en libre-service, trois ans pour oublier
les propos de la ministre et trois ans pour permettre à
Monsanto d'organiser sa riposte. Ce que l'entreprise à
entrepris immédiatement. Prudent, le CIRC s'était
contenté de classer le glyphosate comme cancérogène
"probable" sur l'homme.
Cependant les preuves existent, et les études de Séralini ,
de Bellé et d'autres chercheurs en Suède, aux USA et
au Canada l'ont montré, qu’il accroît fortement le risque
de développer certains types de cancer.
Refusant d'attendre que le constat de milliers de morts par cancer amène le classement en "cancérogène certain" du glyphosate, plusieurs organisations, et entre autres la ligue contre le cancer, ont demandé l'interdiction de ce pesticide. On a attendu de constater les effets de l'atrazine sur les femmes enceintes et leurs enfants pour l'interdire. Le même laxisme concernant le glyphosate serait criminel.
Les associations de surveillance de la qualité de l'air ne surveillent essentiellement que les agglomérations de plus de 100.000 habitants. Elles y mesurent les concentrations de quatre polluants liés aux combustions : le dioxyde de soufre (SO2), le dioxyde d'azote (NO2), l'ozone (O3) et les particules en suspension de diamètre inférieur à 10 micromètres (PM10) et à 2,5 micromètres (PM2,5). Parmi ces quatre éléments, la pollution par les particules fines retient particulièrement l'attention.
Dans les rues de Paris...
Un article du journal Le Monde du 24 Novembre 2014 a été repris par l'ensemble des médias. Son titre : "La pollution à Paris aussi nocive que le tabagisme passif". Une image surtout a été retenue : "le 13 décembre 2013, les rues de Paris étaient aussi polluées qu’une pièce de 20 mètres carrés occupée par huit fumeurs".
Les données, rendues publiques par l'association Airparif, ont pu être obtenues grâce à un ballon captif installé au dessus de la ville et équipé d’un appareil laser capable de mesurer en continu les nanoparticules présentes dans l’air, mis au point par le CNRS. Avec ce matériel sophistiqué, les concentrations en particules ultra-fines, dont le diamètre est inférieur à 0,1 micromètre (0,1µm) et qui sont les plus nocives, ont pu, pour la première fois, être mesurées.
L'article du Monde relève l’intérêt capital de mesurer ces nanoparticules qui sont massivement présentes dans l’air. "Il y a deux cents fois plus de particules comprises entre 0,2 et 1µm qu’entre 1 et 10µm. Et il ne s’agit là que de la partie immergée de l’iceberg, car les particules en dessous de 0,2µm sont encore plus nombreuses", souligne Jean-Baptiste Renard, directeur du laboratoire de physique et de chimie de l’environnement et de l’espace du CNRS interrogé par la journaliste auteure de l'article. Chaque jour, les Parisiens inhalent 100 000 particules à chaque respiration.
La Capitale n'est pas la seule concernée. Le 13 mars 2014, l'alerte rouge était décrétée en Bretagne. Pendant la nuit la pollution par les particules PM10 avait atteint le seuil de 80 microgrammes par m3 d'air. A Brest le taux de 96µg/m3 avait été atteint, soit près de quatre fois le taux toléré par l'OMS. En janvier 2015 le préfet de Haute-Savoie a dû interdire aux camions de passer par le tunnel du Mont-Blanc afin de protéger les habitants de la vallée de Chamonix, le taux de particules fines ayant atteint 125 µg/m3 soit largement au dessus du seuil d'alerte de 80 µg.
En mai 2011, la Commission Européenne a ciblé 16 zones, en France, dans lesquelles "depuis l'entrée en vigueur de la législation, en 2005, les valeurs limites applicables aux PM10ne sont pas respectées". Les zones visées sont Marseille, Toulon, Avignon, Paris, Valenciennes, Dunkerque, Lille, le territoire du Nord Pas-de-Calais, Grenoble, Montbéliard/Belfort, Lyon, le reste de la région Rhône-Alpes, la zone côtière urbanisée des Alpes-Maritimes, Bordeaux, la Réunion et Strasbourg. Elle a donc renvoyé la France devant la Cour de justice de l'UE "pour non-respect des valeurs limites […] applicables aux particules en suspension connues sous le nom de PM10."
Les particules fines, définition.
En langage des sciences de l'atmosphère, on désigne par "particule fine" les matières solides ou liquides suspendues dans l'atmosphère et dont la masse est suffisamment faible pour que leur vitesse de chute soit négligeable par rapport à celle du déplacement des masses d'air qui les contiennent. Les termes de PM10, PM2,5, PM1, (PM pour Particulate Matter en anglais) désignent les particules dont le diamètre est inférieur à 10, 2,5 ou 1 micromètre et qui font l'objet de normes (1 micromètre, symbole μm, est égal à 1 millionième de mètre).
Ces particules, de nature différente, peuvent avoir différents impacts sur la santé. On y trouve les particules issues des moteurs diesels, sphères de carbone agglomérées à des molécules d'hydrocarbures et de sels minéraux, de taille variant de 0,05μm à 1μm. Y sont associées d'autres molécules organiques, des métaux, des toxines, des pollens, des allergènes divers. Elles proviennent essentiellement du chauffage urbain et du trafic routier, c'est donc un phénomène qui concerne l'ensemble de la population. S'y ajoutent des polluants "secondaires" issus de transformations physico-chimiques des gaz. L'exemple du gaz ammoniac est connu. Issu majoritairement des épandages agricoles d'engrais et de lisiers, il peut former des sels d'ammonium solides avec les oxydes d'azote et de soufre libérés par les combustions.
Le classement des particules correspond à leur plus ou moins grande pénétration dans l'organisme. Les plus grosses sont retenues dans les voies respiratoires supérieures. Lorsque leur diamètre est compris entre 10μm et 3μm, elles se déposent au niveau de la trachée et des bronches. A moins de 3μm elles atteignent les alvéoles pulmonaires et s'y accumulent au fur et à mesure des expositions. La communauté scientifique est particulièrement préoccupée par les particules PM0,1, nanométriques ou ultrafines, de diamètre inférieur à 0,1μm (1 nanomètre, symbole 1nm, est 1 milliardième de mètre). Ces particules peuvent passer dans le sang et atteindre tous les organes et, dans certains cas, le noyau même des cellules, perturbant ainsi leur fonctionnement.
Les directives OMS.
L'Organisation Mondiale de la Santé ne prescrit pas de normes mais des "lignes directrices". Elles sont destinées à fixer un objectif à atteindre au niveau mondial compte tenu des niveaux plus élevés généralement constatés. Elles sont basées sur l'état des connaissances du moment et ne prétendent nullement garantir une protection sanitaire totale.
Cela est particulièrement flagrant pour les particules fines. La plupart des systèmes de surveillance systématique sont établis sur la mesure des PM10 or il est actuellement connu que les particules les plus nocives sont celles de diamètre très inférieur. On sait aussi qu'il n'existe aucun seuil de nocivité. Aussi faible soit elle, toute ingestion de particules fines peut avoir un effet à plus ou moins long terme.
Ceci étant précisé, l'OMS propose actuellement les nombres guide suivants :
- Particules PM10 (moins de 10 microns) : 20 μg/m3 en moyenne annuelle – maximum de 50 μg/m3 en moyenne sur 24 heures.
- Particules PM2.5 (moins de 2,5 microns) : 10 μg/m3 en moyenne annuelle – maximum de 25μg/m3 en moyenne sur 24 heures.
Les normes en France et leur respect.
La France, comme chaque pays fixe ensuite ses propres normes.
- Pour les PM10, trois normes sont fixées.
. Des valeurs limites : 50µg/m³ sur 24h (35 jours de dépassement autorisés par an) - moyenne annuelle : 40 µg/m³ (le double de l'objectif OMS).
. Un seuil d'information : 50 µg/m³ sur 24 heures.
. Un seuil d'alerte : 80 µg/m³ sur 24 heures.
- Pour les PM2,5 : une moyenne annuelle de 25 µg/m³. Très loin des 10 μg/m3 préconisés par l'OMS.
Des normes nettement supérieures, donc, à celles préconisées par l'OMS et pourtant très régulièrement dépassées, en particulier pendant les premiers mois de l'année. Et ceci en France comme en Europe.
Cancer du poumon : l'inquiétant bilan de l'OMS.
Même si on commence à peine à étudier leur mode d'action et leurs effets sur la santé, les premiers résultats obtenus sont déjà alarmants.
Le 17 octobre 2013, l'Agence internationale de Recherche sur le cancer de l'OMS (International Agency for Research on Cancer – IARC), publiait un rapport sur "La pollution de l'air extérieur, une cause majeure de mort par le cancer". Après avoir analysé des études portant sur des milliers d'hommes et de femmes suivis pendant plusieurs décennies, l'étude établissait qu'il existe des preuves suffisantes pour affirmer que l'exposition à la pollution de l'air extérieur provoque le cancer du poumon. Il était également noté un risque accru de cancer de la vessie. L'organisation estimait que plus de 2 millions de personnes dans le monde meurent chaque année du fait de l’inhalation de particules fines présentes dans l’air dont 220 000 cancers du poumon chez des personnes ne fumant pas. l'OMS décidait donc de classer la pollution de l'air dans la catégorie "cancérigène certain".
Particules fines et mortalité à court terme.
En janvier 2015, l’Institut français de veille sanitaire (InVS), publiait un rapport sur l'Impact à court terme des particules en suspension (PM10) sur la mortalité dans 17 villes françaises, 2007-2010.Établissement public, l'Institut de veille sanitaire créé en 1998 et placé sous la tutelle du ministère chargé de la Santé, réunit les missions de surveillance, de vigilance et d’alerte dans tous les domaines de la santé publique. Son action dans le domaine de l'environnement est récente. En 2004 il a vu ses missions complétées et renforcées "afin de répondre aux nouveaux défis révélés par les crises sanitaires récentes et les risques émergents".
Leur étude portait sur "les effets à court terme des PM10 sur la mortalité, même à des concentrations conformes à la réglementation de l'Union européenne (40 µg/m3 en moyenne annuelle) et proches des valeurs guides de l'OMS (20 µg/m3)".
L'InVS se référait au projet Aphekom (Improving Knowledge an Communication for Decision Making on Air Pollution and Health in Europe), projet européen regroupant de nombreuses villes d'Europe de Stockholm à Athènes et de Dublin à Bucarest. Leur étude "avait montré que les niveaux trop élevés de PM10 (comparés au seuil recommandé par l’OMS) étaient responsables de près de 1000 hospitalisations pour causes cardiovasculaires dans neuf villes françaises". Les niveaux trop élevés de PM2,5 étant quant à eux "responsables de plus de 2900 décès anticipés par an dans ces mêmes villes". En conclusion l'InVS soulignait la nécessité d’agir pour diminuer les niveaux de particules en France. Cette action devant concerner tant les pics que les niveaux de fond.
Cancers, décès anticipés, mais aussi atteinte aux fœtus dans le ventre même de leur mère.
Bébés premiers menacés.
Une étude récente publiée par la revue britannique The Lancet Respiratory Medecine, montrait que la pollution de l'air a des conséquences néfastes sur le développement du fœtus pendant une grossesse. Comme dans le cas des pesticides, l'exposition aux particules fines PM2,5 (particules d'un diamètre inférieur à 2,5 micromètres), accroît le risque de donner naissance à des bébés de faible poids et ayant un périmètre crânien réduit. En s’appuyant sur les données de "l'étude européenne de cohortes sur les effets de la pollution atmosphérique" (ESCAPE - European Study of Cohorts for Air Pollution Effects), les investigateurs ont réuni les données de 14 études menées dans 12 pays européens et impliquant 74 000 femmes ayant accouché (hors grossesses multiples) entre 1994 et 2011.
Les chercheurs estiment que pour toute augmentation de 5 microgrammes par mètre cube (5µg/m³) de l’exposition aux particules fines pendant la grossesse, le risque de donner naissance à un bébé de petit poids (inférieur à 2,5 kg) à terme, augmente de 18 %. Ils ajoutent qu'il "est important de noter que ce risque accru persiste à des taux inférieurs à la limite annuelle actuelle fixée par les directives de l’UE sur la qualité de l’air, qui est de 25 µg/m³ pour les particules fines".
Les taux d’exposition moyens aux PM2,5 pendant la grossesse dans la population étudiée allaient, selon la zone, de moins de 10 μg/m³ à près de 30 μg/m³. Rémy Slama, directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui a coordonné l'étude en France estimait que "si les concentrations de particules fines étaient ramenées à 10µg/m3 comme le recommande l'Organisation mondiale de la santé, 22 % des cas de petits poids pour les nourrissons nés à terme pourraient être évités. Par ailleurs, "Un faible poids de naissance est associé à des problèmes de santé dans l’enfance, ainsi qu’à l’âge adulte". ajoutait-il.
Invité par Mathieu Vidard à l'émission "La Tête au carré" en janvier 2015, Rémy Slama, faisait état d'une étude sur l'autisme menée par l'école de santé publique de Harvard auprès de 160 enfants qui suggérait "que plus le niveau de particules fines pendant la grossesse était élevé plus le risque que l'un de ces enfants développe des troubles du spectre autistique augmentait". Et ajoutait-il, "c'est réalisé aux États Unis avec des niveaux d'exposition aux particules fines qui sont plutôt plus faibles que ceux qu'on a en France aujourd'hui".
Invitée à la même émission, Barbara Demeinex, spécialiste des hormones, qui a développé des méthodes innovantes pour détecter in vivo la présence de polluants environnementaux, estimait que "toute femme enceinte, aujourd'hui, qu'elle le veuille ou qu'elle ne le veuille pas, est exposée à un cocktail, une mixture, de produits chimiques dont certains vont pouvoir entrer dans le liquide amniotique". Et qui dit hormones, dit "perturbateurs endocriniens".
Les perturbateurs endocriniens.
Faute de voter des lois protectrices, les assemblées parlementaires ne sont pas avares en rapports dont les contenus mériteraient d'être mieux connus et, surtout, mieux utilisés. Le 25 février 2014, était enregistré à la Présidence de l"Assemblée nationale, un rapport d'information présenté par Jean-Louis Romégas, député, "sur la stratégie européenne en matière de perturbateurs endocriniens".
L’expression "perturbateur endocrinien" a été employée pour la première fois en 1991, lors d’une conférence scientifique pluridisciplinaire réunie à l’initiative de Theo Colborn, zoologiste et experte en santé environnementale, afin de désigner l’action de produits chimiques synthétiques non dégradables sur les diverses fonctions du système endocrinien. Les premières publications scientifiques, faisant état d’observations environnementales de perturbations du système reproductif des poissons ou des batraciens, notamment en mer Baltique, datent des années 1970.
En 2002, le Programme international sur la sécurité chimique de l’OMS a proposé une définition qui fait aujourd’hui l’objet d’un consensus international : "une substance ou un mélange exogène altérant une ou plusieurs fonctions du système endocrinien et provoquant de ce fait des effets néfastes sur la santé de l’organisme intact ou sur celle de sa descendance" . Effets néfastes, c'est à dire "changement dans la morphologie, la physiologie, la croissance, la reproduction, le développement ou la longévité d’un organisme".
L'action de ces perturbateurs ne se caractérise pas par un effet toxique direct mais par une modification du système de régulation hormonale susceptible de provoquer un effet toxique. Un perturbateur endocrinien est une molécule qui mime, bloque ou bouleverse l’action d’une hormone. Il peut imiter le comportement d’hormones naturelles en se fixant, comme elles, sur des récepteurs cellulaires ce qui entraîne une amplification des réactions chimiques normales. Il peut aussi annihiler des récepteurs cellulaires, ce qui empêche des hormones naturelles de s’y fixer et de communiquer leurs messages aux cellules touchées. L'action des perturbateurs endocriniens participe grandement à cette "épidémie moderne" de maladies chroniques : cancers, maladies cardiovasculaires, obésité, diabète, allergies, affections mentales... décrite par André Cicolella, chimiste, toxicologue et chercheur en santé environnementale.
Ce qui est neuf avec les perturbateurs endocriniens c'est que "la dose ne fait pas le poison". En effet, leur toxicité n’est pas fonction de la dose de produit ingéré mais essentiellement du stade de développement auquel l'organisme se trouve au moment de l’exposition. Les périodes les plus problématiques du cycle de vie sont la vie prénatale, la petite enfance, la puberté. Cette notion n’a pas été facile à intégrer, même par la communauté scientifique, car elle rompt avec plusieurs siècles d’histoire et de pratique de la toxicologie. Il faut donc prendre avec un sens extrêmement critique les normes actuelles édictées pour les différents polluants qui sont insuffisamment protectrices et devront être revues à la baisse. Ce qui signifie, à plus forte raison, que celles qui existent doivent être rigoureusement appliquées.
Europe: état des lieux.
Un rapport issu de la Commission de la Science et de la technologie du parlement européen, daté de 1998, devrait, lui aussi, nous alerter. Dès son introduction il enfonce le clou :
"On s'est rendu compte depuis quelques années que les particules fines, émises principalement lors des processus de combustion et en suspension dans l'air, présentaient un risque considérable pour la santé. D'après les recherches effectuées, les particules fines seraient responsables chaque année en Europe de centaines de milliers de cas de maladie et d'hospitalisations ainsi que de dizaines de milliers, peut-être même de centaines de milliers de décès. Ces particules en suspension provoquent des allergies, de l'asthme, des affections cardio-vasculaires et respiratoires, voire augmentent l'incidence des cancers...
Les études les plus récentes font apparaître qu'une exposition de longue durée aux particules fines provoque un accroissement de la mortalité directement proportionnel à leur concentration. Les teneurs couramment enregistrées de nos jours augmentent la mortalité de plusieurs points de pourcentage. Les effets nocifs des particules fines sur la santé sont si importants que des mesures de lutte s'avèrent indispensables.".
La dénonciation est d'une rare radicalité. Pourtant la liste des membres de la commission, auteurs de ce texte, est loin d'évoquer le profil des habituels lanceurs d'alertes des associations écologistes. A noter, parmi ceux-ci, le président français de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, ce qui n'empêche pas la France d'être assignée devant la Cour européenne de justice pour non-respect des normes de PM10.
Et en France ?
Au niveau de la France, le chiffre de 42 000 décès par an liés à la pollution de l'air ne serait probablement pas contesté par les scientifiques réuni(e)s à Paris, en octobre 2013, à la Cité des Sciences et de l'Industrie, à l'occasion des "Deuxièmes Assises de la Qualité de l'Air". Plusieurs des diapositives présentées (que l'on peut retrouver sur le site internet du ministère de l'écologie), illustraient, par des schémas explicites, le transfert des plus petites particules jusqu'aux bronchioles et aux alvéoles pulmonaires, puis leur migration vers le cœur, le foie, les reins et même le cerveau. Retenons quelques-uns des effets décrits, sans nous laisser effrayer par certains des termes médicaux utilisés :
Poumons : inflammation – stress oxydatif – aggravation de la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) et progression plus rapide de la maladie – dégradation de la fonction pulmonaire.
Sang : augmentation de la coagulabilité – diffusion des particules à travers la paroi capillaire – thrombose périphérique – diminution de la saturation en oxygène.
Système vasculaire : athérosclérose – accélération de l'évolution des plaques d'athérome et instabilité des plaques – vasoconstriction et hypertension.
Coeur : altération de la fonction cardiaque – augmentation de la fréquence des troubles du rythme – troubles de la repolarisation du tissu cardiaque – augmentation de l'ischémie* myocardique.
Cerveau : augmentation de l'ischémie* cérébrale.
*Note : une ischémie est une diminution de l'apport sanguin artériel à un organe entraînant une baisse de l'oxygénation de ce dernier. Elle peut conduire à l'infarctus, c'est à dire à la mort, d'une partie ou de la totalité de cet organe. Les cas les plus graves sont les ischémies touchant le cerveau ou le muscle cardiaque.
S'y ajoutaient des conclusions en matière de cancers, à savoir : lien entre risque de cancer du poumon et pollution de l'air, en particulier par les particules fines – indices d'association entre cancer de la vessie et pollution de l'air.
En clôture de la première journée des Assises, l'adjointe au Directeur Général du ministère de la Santé rappelait que l'OMS avait classé les particules fines comme étant cancérogènes pour l'homme et que "de nombreuses études épidémiologiques et toxicologiques menées à travers le monde, et notamment en France, montrent que l’inhalation quotidienne des polluants présents dans l’air conduit à l’apparition ou à l’aggravation de pathologies telles que des maladies de l’appareil respiratoire et diverses altérations du système cardio-vasculaire". Elle ajoutait que "d’autres impacts semblent également se confirmer : notamment des effets sur la reproduction, sur le développement fœtal, sur le développement neurologique, sur la fonction cognitive, de même que, par exemple, l’athérosclérose et le diabète".
Quant aux conséquences économiques, elle rappelait que "selon une évaluation récente réalisée par le Commissariat général au développement durable, les coûts sanitaires de la pollution de l’air extérieur seraient, dans notre pays, compris entre 20 et 30 milliards d’euros par an". Tenant compte des effets à long terme, d'autres experts réunis par le Sénat évaluaient de leur côté le coût à 100 milliards par an.
42 000 morts prématurés et des dizaines de milliards de coût par an et pendant ce temps les lobbies de l'automobile, des transports routiers, de l'énergie, de l'industrie agro-alimentaire, continuent à s'opposer aux mesures qui limiteraient la pollution de l'air.
Combien de temps encore pourrons nous l'accepter !
Béatrice Ibéné, présidente de l’Association pour la Sauvegarde et la réhabilitation de la Faune des Antilles, vétérinaire, vit et travaille en Guadeloupe (voir). Elle était à Paris le lundi 28 avril 2014, devant le Conseil d’État, pour défendre un référé contre l'arrêté autorisant les épandages aériens aux Antilles. Interrogée par le journal Reporterre, elle expliquait que cette pratique est ancienne et que l'interdiction des épandages aériens depuis 2009 n'y change rien tant les dérogations sont nombreuses. Dernier en date, l'arrêté du 23 décembre 2013 permettait aux producteurs de bananes de continuer les épandages aériens de produits dangereux sur les Antilles pendant douze mois consécutifs.
Les épandages aériens, à quand la fin ?
Le gros problème de l’épandage aérien, affirmait-elle, "c’est la dérive des produits car ce mode de diffusion expose tous les êtres vivants aux pesticides. On a des témoignages récurrents de gens qui sentent les émanations à plus de huit cents mètres des zones d’épandage alors que la distance de sécurité imposée en France n’est que de 50 mètres. En Guadeloupe, les habitations ne sont jamais bien loin des bananeraies".
Ainsi donc, dans les Antilles comme en métropole, les nuages de pesticides ne respectent pas la frontière des 50m imposée par la loi !
Le 6 mai 2014, Béatrice Ibéné et son association remportaient une superbe victoire. Le Conseil d'État suspendait les autorisations d'épandage et condamnait l'État à verser 1000 euros à chacune des associations requérantes.
Dans sa déclaration à Reporterre, Béatrice Ibéné notait également : "En Guadeloupe tout est pollué par le chlordécone et on en a pour minimum cent cinquante ans pour s’en débarrasser. Malgré cela on continue à déverser des substances chimiques sans se soucier des effets du mélange". Ou encore ; "En 2011, Il y eu un rapport interministériel sur un plan d’action sur le chlordécone qui conclut qu’aux Antilles, vu l’ampleur des pollutions et de la petitesse des territoires, il faudrait une agriculture sans pesticide".
La qualité des mémoires remis par les associations avait emporté la décision mais le Conseil d'État ne pouvait également ignorer le "Rapport d'évaluation des plans d'action chlordécone aux Antilles" présenté en octobre 2009 par des autorités peu soupçonnées d'activisme écologiste telles que le Conseil Général de l'Environnement et du Développement Durable, l'Inspection Générale des Affaires Sociales, le Conseil Général de l'Agriculture de l'Alimentation et des Espaces Ruraux, l'Inspection Générale de l'Administration de l'Éducation nationale et de la Recherche. En conclusion que nous disaient ces grandes administrations de l'État réunies ?
"Aux Antilles françaises, des groupes de population particulièrement exposés (les travailleurs en agriculture, les familles consommant les produits de leur jardin, les pêcheurs etc.) mais aussi, de diverses façons, l’ensemble de la population sont touchés par la contamination des sols par la Chlordécone, les produits phytosanitaires organochlorés, et tous les pesticides quels qu’ils soient (le Glyphosate par exemple).
En effet, les milieux naturels sont le réceptacle obligé de toutes les percolations, lixiviations, lessivages et autres formes d’érosion qui entraînent et diffusent ces molécules et leurs produits de dégradation. Alors que l’on pensait qu’elle serait prisonnière des sols des anciennes bananeraies, la molécule de Chlordécone n’est qu’un témoin de ces différentes formes de contamination inévitable...
Les Antilles ne font que témoigner un peu plus tôt qu’en métropole, du fait de leur échelle géographique plus réduite, des dangers et des conséquences des pesticides [,,.] Développer "une agriculture sans pesticides" sur tout le territoire devient donc indispensable, et, associée à la préservation des richesses des forêts et de la végétation tropicales dont l’attrait touristique est encore peu mis en valeur, ces objectifs pourront devenir des atouts pour un développement durable de ces îles."
Il nous faut parler du chlordécone (ou de la chlordécone, molécule parfois féminisée en fonction des auteurs) comme exemple flagrant de la désinformation en œuvre dès qu'il s'agit de dévoiler un réel scandale environnemental. Une leçon qu'il faudra retenir concernant cette pollution dont on commence à peine à parler : celle de l'air par les pesticides ou les particules fines.
Le scandale du chlordécone.
Le 15 mars 2014, la chaîne de télévision "Public Sénat" diffusait un documentaire réalisé par Thierry Derouet sous le titre : Chlordécone : poison durable.
La présentation annonçait un document sans concession : "L'affaire de la Chlordécone est le scandale sanitaire le plus retentissant de ces dix dernières années aux Antilles françaises. Cette molécule a été épandue sur les bananiers pendant plus de vingt ans, jusqu'en 1993 et sûrement un peu au-delà. Classé comme cancérigène possible, ce pesticide avait été interdit dès 1976 aux États-Unis.". Cette émission télévisée constitue l'un des témoignages les plus objectifs sur ce scandale à chaque fois étouffé dès qu'il revient sur la scène médiatique.
Treize années plus tôt, en juillet 2001 était remis, à la ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, Dominique Voynet, un "rapport sur la présence de pesticides dans les eaux de consommation humaine en Guadeloupe". La ministre n'ayant pas eu le temps de l'exploiter, car elle quittait son ministère le même mois, il semblait s'être perdu dans l'un ou l'autre des services ministériels. Il méritait pourtant mieux que cet oubli.
Il avait pour auteurs Henri Bonan de l'Inspection Générale des Affaires Sociales et Jean-Louis Prime de l'Inspection Générale de l'Environnement. Ce travail leur avait été demandé à la suite des résultats d’une campagne renforcée de contrôle des teneurs en pesticides dans l’eau, menée par la DDASS de Guadeloupe en 1999. Les mesures avaient montré des taux très élevés de pesticides organochlorés (Chlordécone, Dieldrine et β-hexachlorocyclohexane) dans l’eau distribuée et même dans l’eau embouteillée. Pourtant ces produits, utilisés sur les cultures de canne à sucre et surtout de bananes, étaient interdits d’usage depuis, respectivement, 1993, 1972 et 1987. Les taux de pollution mesurés avaient amené la fermeture d’une usine d’embouteillage d’eau de source et de captages alimentant plusieurs communes.
Parmi les pesticides retrouvés dans l'eau, les auteurs relevaient particulièrement la pollution par le chlordécone. En vingt ans au moins quatre rapports s'étaient succédés qui en décrivaient la présence et les effets, mais sans aucun succès. Pourtant depuis le grave accident survenu aux USA sur une usine fabricant du chlordécone et son interdiction dans ce pays en 1977, on connaît la nocivité de ce produit considéré comme cancérigène et facteur de troubles neurologiques. On sait aussi qu'il est fortement rémanent, on estime à plusieurs siècles sa persistance dans les sols traités où il contamine les plantes qui y poussent ainsi que les animaux et humains qui les consomment.
Informées du contenu du rapport Bonan-Prime, par Gérard Borvon président de l'association S-eau-S de Bretagne (voir), les associations de consommateurs et de protection de l'environnement de Guadeloupe et Martinique sont les premières à se mobiliser mais tout est fait pour les dissuader.
Aux Antilles la justice coûte cher.
Le 24 février 2006, quatre associations guadeloupéennes, l'Union des producteurs agricoles de Guadeloupe, l'Association Agriculture-Société-Santé-Environnement, l'Union régionale des consommateurs, l'Association SOS Environnement Guadeloupe, portaient plainte contre X pour "Mise en danger d’autrui (risque immédiat de mort ou d’infirmité) par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence.Administration de substance nuisible ayant porté atteinte à l’intégrité d’autrui ".
Suite à ce dépôt de plainte, chacune a reçu du Doyen des juges d’instruction au tribunal de grande instance de Basse Terre une "Ordonnance fixant une consignation (partie civile)" ainsi libellée:
"Attendu que le plaignant a manifesté l’intention de se constituer partie civile, le plaignant ne bénéficiant pas de l’Aide Juridictionnelle, fixons à 1500 euros le montant de la consignation"
Au total ce sont donc 6000 euros qui sont demandés à ces associations, dont les moyens sont limités, pour que leur plainte soit simplement retenue ! Sachant que l'objectif légal d'une telle consignation est de garantir le paiement de l'amende susceptible d'être prononcée contre les associations pour le cas où leur constitution de partie civile serait jugée abusive par le tribunal correctionnel, cette mesure était clairement perçue par les associations comme une tentative de dissuasion.
La suite devait confirmer leurs craintes. Les associations ont choisi pour avocat Harry Durimel. Fervent défenseur de l’écologie et de la nature, il a été à la pointe de tous les combats pour la défense de l’environnement, des droits de l’Homme et des libertés. C’est en partie sous son impulsion qu’une plainte avec constitution de partie civile a été déposée. Rejoint depuis par une dizaine de ses confrères dans ce combat, il bataille pour vaincre la résistance qu’oppose le Procureur de la République à la recevabilité de ladite plainte.
Le 16 Mai 2007, Harry Durimel recevait une convocation pour le 4 Juin 2007 devant un Juge d’Instruction à Pointe-à-Pitre, en vue de son éventuelle mise en examen pour des prétendus faits de violation du secret de l’instruction et entrave à sa bonne marche remontant à Février et Mars 2004, c’est-à-dire plus de 3 ans plus tôt. Une vieille et banale affaire sur fond d'écoutes téléphoniques et dans laquelle l'avocat n'était en rien concerné.
De l’avis unanime des avocats qui ont eu accès au dossier, (plus d’une cinquantaine d’avocats se sont constitués pour sa défense), le dossier instruit ne contenait aucun élément probant permettant de mettre en cause leur confrère et s’analysait comme "une violation massive et systématique de toutes les règles de droit". L'ordre des avocats de Guadeloupe décidait de façon unanime d’apporter son soutien inconditionnel à Harry Durimel et appelait l'ensemble des avocats à se mobiliser le lundi 4 juin 2007 en suspendant toutes activités judiciaires quelles qu’elles soient.
Leur motion était transmise à la Ministre de la Justice, au Conseil National des Barreaux, à la Conférence des Bâtonniers de France et d’Outremer, au Bâtonnier de Paris, à la Confédération Nationale des Avocats, à la FNTJJA, au Syndicat des Avocats de France (SAF), aux Syndicats d’Avocats de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane, la Ligue des Droits de l’Homme (LDH). Sous l'effet de la mobilisation l'affaire finalement se dégonflait.
Dans le même temps, en Martinique, une plainte pour empoisonnement était déposée par l'Association de Sauvegarde du Patrimoine Martiniquais (ASSAUPAMAR). Sept ans se sont passés et l'instruction est toujours en cours.
Quand l'affaire du chlordécone se transforme en affaire Belpomme.
Le 18 septembre 2007, le Professeur Dominique Belpomme, cancérologue, rendait public un "Rapport d’expertise et d’audit externe concernant la pollution par les pesticides en Martinique. Conséquences agrobiologiques, alimentaires et sanitaires et proposition d’un plan de sauvegarde en cinq points."
A la demande d'élus et d'associations de la Martinique, le Professeur Belpomme s'était rendu sur place pendant une courte semaine début mai. Il avait pu mesurer la détresse de la population et celle des élus qui malgré les demandes adressées aux autorités métropolitaines constataient le poids d'une Omerta généralisée. Le rapport qu'il rédige alors est essentiellement une compilation de ce qui n'est déjà que trop connu sur la nocivité du chlordécone et la pollution généralisée des Antilles. Tout en regrettant que ces études n'aient pas été menées également en Martinique, il reprend les premières conclusions des études épidémiologiques menées en Guadeloupe : Karu-prostate (sur le cancer de la prostate), Hibiscus (sur le taux de contamination de la population), Timoun (sur les femmes enceintes et les nouveaux-nés).
En résumé il conclut que :
"Les Antilles traversent actuellement une crise extrêmement grave liée à l’utilisation massive de pesticides depuis de nombreuses années. Cette crise revêt en Martinique deux aspects principaux :
(1) Au plan agricole, la détérioration progressive des sols avec pour conséquences leur stérilisation et la possibilité de sérieux problèmes alimentaires.
(2) Au plan de la santé publique, la très forte augmentation d’incidence des cancers de la prostate et du sein, et possiblement une augmentation du nombre des cas de malformations congénitales et de pertes de fécondité."
Dans l’un et l’autre cas, ajoute-t-il " ces phénomènes risquent d’être à l’origine, dans l’immédiat, de problèmes économiques et sanitaires sérieux et, à terme, d’un dépérissement de l’île et de sa population".
D'où son appel à l'action :
"Pour sauver les Antilles du désastre économique et sanitaire qui s’annonce et protéger les générations futures, il est urgent d’agir non seulement en gérant efficacement la crise actuelle, mais aussi en faisant en sorte qu’elle ne se renouvelle pas, autrement dit en réformant les pratiques agricoles et économiques actuelles, en vertu du principe de précaution."
Rien de bien révolutionnaire. Tout cela a déjà été écrit et publié. Mais le Professeur Belpomme est une personnage "médiatique" qui ne rechigne pas à s'exposer aux feux de la rampe. Par ailleurs, les titres à scandale font recette : "Cancer aux Antilles : publication du rapport Belpomme" titrait un grand hebdomadaire national relayé par ses confrères de la grande presse, par les radios, les télévisions. Les gros titres et les extraits qui les accompagnaient ne rendaient pas réellement compte du contenu du rapport mais le cancer fait parler et fait vendre. Cette publicité surfaite a pourtant atteint son objectif : on ne peut plus ignorer en métropole le drame qui se vit aux Antilles. L'accusation est grave : on a empoisonné la Guadeloupe et la Martinique !
Ici commence "l'affaire Belpomme".
Rapidement une mobilisation se développe pour discréditer une étude qui pourtant ne mérite pas tant d'honneurs. Le journal Ouest-France, daté du 21 septembre 2007 soit trois jours après la publication du rapport, titre : "Pas de catastrophe sanitaire aux Antilles". Sont interrogés les chercheurs du laboratoire Inserm de Rennes qui mènent les études sur le chlordécone en Guadeloupe. Manifestement la mission est d'étouffer le scandale.
Trop de cancers de la prostate ? Réponse des chercheurs : "l'indice élevé de cancers de la prostate se retrouve dans les autres îles caraïbes et dans la population noire américaine. En revanche, il y a moins de cancers du testicule que dans la population blanche". Perte de fertilité masculine ? "les chercheurs ont capturé des rats sauvages vivant sur des sols contaminés : leur reproduction semble partiellement altérée. Mais on ne retrouve pas ce résultat chez les ouvriers dont le sperme a été analysé". Problème sur les femmes enceintes ? "on ne voit pas émerger un facteur de risque qui dépasserait les autres".
En résumé : circulez il n'y a rien à voir dans les Antilles. Plus grave, l'article prête à l'un des scientifiques, le professeur Multigner, des propos clairement diffamatoires : "je conçois que des scientifiques puissent avoir des opinions différentes, mais je trouve inadmissible que l'on utilise le mensonge".
Mensonge ? Interrogé le 7 novembre 2007 par la commission des affaires économiques de l'Assemblée Nationale, Luc Multigner ne reprenait pas le propos mais regrettait simplement que "aucune concertation préalable n’ait été faite avec un certain nombre d’experts de santé publique ayant dans leur domaine déjà travaillé sur cette question, tels ceux, par exemple, de l’unité 625 de toxicologie de l’Inserm, de l’unité 292 "Fertilité" du même institut, ou les services de néonatalogie et de pédiatrie du CHU de Pointe-à-Pitre, ou encore des urologues s’agissant de l’évolution des cas de cancers de la prostate". Pas de mensonge donc mais un crime de lèse majesté : on n'avait pas consulté les "experts".
Mais que nous disaient alors ces "experts" ? Question déontologie le chercheur de l'Inserm aurait pu, lui aussi, recevoir quelques leçons car au moment même où il accusait son confrère de mensonge il avouait que lui même n'était pas en mesure d'affirmer quoi que ce soit: " Dans un an à dix huit mois, nous pourrons répondre aux interrogations les plus urgentes. Personne n'est en mesure d'affirmer qu'il y a catastrophe sanitaire. Il est possible qu'il y ait certains effets, mais personne n'a la réponse". Donc, si on le comprenait bien, l'équipe de l'Inserm ne saurait pas avant un an au minimum s'il y avait, ou pas, "catastrophe sanitaire" aux Antilles mais cela ne l'empêchait pas cependant d'affirmer qu'il n'y en avait pas. Nous verrons par la suite que les résultats définitifs se montreront pourtant bien préoccupants et viendront contredire cet optimisme de commande.
Notons que la leçon n'a pas été retenue et que, quelques années plus tard, le même déchaînement médiatique allait s'abattre sur le professeur Séralini et son étude sur les effets du Roundup.
L'affaire Belpomme et après.
Décrire toutes les études actuellement réalisées aux Antilles sur le problème de la pollution par le chlordécone, rapporter la détresse des populations concernées et la lutte des associations pour obtenir des mesures de protection et de retour à la normale prendrait plusieurs volumes. Contentons nous de jeter un rapide coup d’œil sur ce qui est aujourd'hui avéré.
Dans une publication de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm) du 22 juin 2010, on lit sous le titre : "Exposition au chlordécone et risque de survenue du cancer de la prostate", l'introduction suivante :
"des chercheurs de l’Inserm (Unité Inserm 625 - Groupe d’Étude de la reproduction chez l'homme et les mammifères, Université Rennes 1), du CHU de Pointe-à-Pitre (Service d’urologie, Université des Antilles et de la Guyane) et du Center for Analytical Research and Technology (Université de Liège, Belgique) montrent que l’exposition au chlordécone, un insecticide perturbateur endocrinien employé aux Antilles françaises jusqu’en 1993, est associée significativement à une augmentation du risque de survenue du cancer de la prostate."
On été suivis, entre 2004 et 2007, des hommes originaires de la Caraïbe (Guadeloupe, Martinique, Haïti, Dominique). Leur exposition au chlordécone avait été évaluée par une méthode originale d’analyse de la molécule dans le sang. La réponse aux interrogations de 2007 était donc claire et le journal Libération pouvait titrer "Le Chlordécone augmente le risque de cancer", ce que le journal Le Monde traduisait plus tard par "Guadeloupe : monstre chimique" sans risquer cette fois de s'attirer les foudres des "autorités scientifiques".
Moments de vérité à l'émission Public-Sénat.
Revenons à l'émission de Cécile Everard et Thierry Derouet, sur le " Chlordécone : poison durable". Parmi les personnes interrogées se trouvaient Luc Multigner (Inserm U625, Rennes et Pointe-à-Pitre) et Pascal Blanchet (Service d’Urologie du CHU de Pointe-à-Pitre/Abymes) deux des coauteurs de l'article cité précédemment.
Moments de vérité :
Luc Multigner : "le chlordécone était arrivé à contaminer la majorité voire l'ensemble de la population essentiellement par voie alimentaire."
Pascal Blanchet (au sujet du cancer de la prostate) : "c'est un cancer qui est beaucoup plus fréquent que dans les autres régions de France. Deux fois plus de cancers et on en meurt deux fois plus. C'est celui qui saute aux yeux de toutes les familles parce que chaque famille a un membre homme de sa famille qui a été touché et il représente à lui tout seul chaque année 500 nouveaux cas en Guadeloupe 500 nouveaux cas en Martinique ce qui fait la moitié des nouveaux cancers tous sexes confondus. Le chlordécone est un facteur de risque supplémentaire de survenue du cancer de la prostate dans nos deux régions."
Luc Multigner : "parallèlement on s'est intéressé aux effets sur l'enfant pendant la vie intra-utérine et pendant la vie extra-utérine ce que l'on appelle le développement postnatal. Ce que nous avons constaté c'est que l'exposition prénatale a une influence sur le développement et en particulier sur deux aspects, l'un que l'on appelle la mémoire récente chez les enfants de 7 ans et puis l'autre ce qu'on appelle la motricité fine, la motricité fine étant la capacité à pouvoir articuler, jouer avec des jeux c'est toute cette capacité d'appréhension des objets. Alors ce que l'on a constaté c'est que plus les mamans étaient exposées au chlordécone plus les scores qu'on pouvait déduire de ces différents tests étaient moins bons. Est-ce que c'est grave docteur ? En soit non. Mais pour nous c'est un signal , une alarme car on sait de plus en plus que des petites modifications subtiles peuvent éventuellement perdurer dans le temps et être des signes précurseurs d'effets, alors cette fois ci d'effets de santé importants qui vont se manifester uniquement à un âge avancé".
Ce jour là ces chercheurs ne parlent pas la langue de bois. Sans doute, dans ce moment de vérité, faut-il s'efforcer d'oublier les propos anciens de Luc Multigner à l'encontre de Dominique Belpomme. Certainement faut-il surtout regretter, sans s'en étonner, que son témoignage d'aujourd'hui ne rencontre pas la même couverture médiatique que celui de Belpomme qui, sans avoir le même poids scientifique, avait quand même réussi à alerter l'opinion publique.
Luc Multigner est d'ailleurs le premier à stigmatiser l'indifférence hexagonale à ce problème antillais :
"Imaginez un instant que le chlordécone, au lieu d'être utilisé aux Antilles, ait été utilisé dans une région comme la région bretonne et que une bonne partie des sols agricoles soient pollués pendant des décennies voire pendant des centaines d'années avec un contaminant qui est quand même d'un potentiel toxique très important et qui contaminerait 90% de la population bretonne. Vous imaginez l'impact ou la perception que cela aurait eu. Alors peut-être que parce que les Antilles sont loin, parce que l'Outremer est loin, on a du mal à percevoir l'étendue de ce problème. Et comme le problème est relativement nouveau il faut faire preuve d'imagination et cette imagination ne doit pas être partagée, seulement par le scientifique, mais par tous les acteurs du dossier et, bien sur, par la puissance publique".
Nous reparlerons de la Bretagne qui ne connaît pas le chlordécone mais n'est pas épargnée par d'autres polluants et nous quitterons provisoirement les Antilles en citant le commentaire qui conclut ce superbe moment de télévision :
"Avec une échelle géographique réduite les Antilles ne font que témoigner un peu plus tôt qu'en métropole des dangers et des conséquences insoupçonnées de l'emploi des pesticides, Le mal est fait, les générations futures devront se débrouiller avec la nature mais aujourd'hui chaque Antillais porte en lui une parcelle de la pollution dans son sang et dans son âme."
Retrouvons cette émission télévisée, décidément très riche, de Public-Sénat. Dans le débat qui suit le reportage réalisé aux Antilles, Benoît Duquesne a invité, entre autres, le professeur Narbonne, toxicologue. Pour répondre à l'avocat des associations guadeloupéennes qui déclarait que "si ça s'était passé en Bretagne, les choses n'auraient pas évolué de la même façon", il répondait : "il y a la même contamination en Bretagne. Il y a la même étude qui se fait en Bretagne aujourd'hui sur les femmes enceintes pour regarder les effets de l'exposition aux pesticides puisque la Bretagne est un pays agricole qui a beaucoup utilisé de pesticides. On a vu là aussi les problèmes d'élevage avec les proliférations d'algues, les résidus d'antibiotiques dans l'eau et donc la Bretagne est extrêmement polluée".
Et à Benoît Duquesne qui remarquait que dans le film "il y a quelqu'un qui dit regardez ce qui se passe en Bretagne, il suffit qu'il y ait quelques algues vertes, un cheval qui meurt et c'est une affaire nationale! ", il répondait : "ce n'est pas un hasard si la même équipe d'épidémiologie qui est en train d'étudier ce qui se passe aux Antilles vient de Rennes, Donc ça veut dire que le cœur de l'épidémiologie des effets des pesticides est en Bretagne et qu'on a délocalisé une équipe sur les Antilles".
Ainsi donc la Bretagne et les Antilles sont les sujets principaux des épidémiologistes qui étudient les effets de la pollution par les pesticides sur les femmes enceintes et leurs enfants. En Guadeloupe l'étude s'appelle Timoun, un joli mot du créole guadeloupéen signifiant enfant. En Bretagne elle s'appelle Pélagie. Pélagie comme la déesse de la mer ? Non, Pélagie comme "Perturbateurs Endocriniens : Étude Longitudinale sur les Anomalies de la Grossesse, l’Infertilité et l’Enfance"! C'est moins poétique mais c'est beaucoup plus parlant.
Timoun, grossesse et chlordécone aux Antilles.
L'étude Timoun a été menée sur une "cohorte mères-enfants" incluant 1068 femmes (ne pas s'effrayer, la "cohorte" est ici un terme scientifique bien pacifique). Ces futures mères ont été vues en consultation en fin de grossesse dans les maternités de Guadeloupe entre 2004 et 2007. Les données sociodémographiques, médicales et celles concernant l’alimentation pendant la grossesse ont été recueillies par questionnaire et dans les dossiers médicaux. La concentration de chlordécone a été mesurée dans le sang maternel recueilli à l’accouchement.
Conclusion : "Nos résultats suggèrent un impact possible de l’exposition chronique par le chlordécone sur une diminution de la durée de gestation. Elle est plausible compte tenu de l’action du chlordécone sur les récepteurs aux œstrogènes et/ou à la progestérone in vitro et in vivo, lesquels jouent un rôle déterminant dans le déclenchement de l’accouchement. Cette association est observée après prise en compte des autres facteurs de risque de prématurité et ce risque, s’il est avéré, est susceptible de contribuer au taux de prématurité élevé présent dans cette population. Des recommandations ont été mises en place depuis plusieurs années en vue de réduire les apports alimentaires en chlordécone et donc l’imprégnation globale de la population".
Et les nouveaux nés ?
Sur le site de l'Inserm un article de septembre 2012 indique que 153 nourrissons, garçons et filles, ont fait l’objet d’un suivi à l’âge de 7 mois. La conclusion mérite d'être citée :
"L’exposition prénatale au chlordécone a été estimée par son dosage sanguin dans le sang du cordon. L’exposition post-natale a, quant à elle, été estimée par son dosage dans le lait maternel ainsi que par la fréquence de consommation par les nourrissons de denrées alimentaires susceptibles d’être contaminées par le chlordécone. Puis, la mémoire visuelle, l’acuité visuelle et le développement moteur des nourrissons ont été testés."
Les scientifiques notent un lien entre exposition prénatale au chlordécone et perturbations de l'attention et de la motricité du nouveau né. L’exposition postnatale, quant à elle, a été retrouvée associée à des troubles de la mémoire visuelle et de la capacité d'attention.
"En conclusion,l’exposition prénatale au chlordécone ou postnatale via la consommation alimentaire est associée à l’âge de 7 mois a des effets négatifs sur le développement cognitif et moteur des nourrissons".
Les chercheurs rapprochent ces troubles de certaines particularités décrites dans le passé chez des adultes exposés professionnellement au chlordécone et caractérisées par un appauvrissement de la mémoire à court terme. Ils et elles s’interrogent aussi sur la possibilité que ces observations, faites chez les nourrissons à l’âge de 7 mois, puissent annoncer de troubles permanents à un âge plus avancé. Pour Sylvaine Cordier et Luc Multigner, "seul le suivi des enfants au cours des années à venir permettra de répondre à ces interrogations". Les enfants de la cohorte Timoun font l’objet actuellement d’un suivi à l’âge de 7 ans.
Pélagie, grossesse et Atrazine en Bretagne.
C'est un article du journal Ouest-France du 9 décembre 2009 qui alerte ses lecteurs. Son titre : "Pesticides durant la grosses, bébé trinque". Le titre, accrocheur, est évidemment de la rédaction. Il résume bien, cependant, les propos tenus par les deux scientifiques de l'Inserm qui sont interrogées.
Leur étude consistait à évaluer le niveau d'exposition aux pesticides des femmes enceintes et à en mesurer l'impact sur la grossesse et le développement de l'enfant. Entre 2002 et 2006, elles ont suivi 3400 femmes résidant en Ille-et-Vilaine, Côtes-d'Armor et Finistère.
Dans les urines de six cents femmes elles ont trouvé deux pesticides potentiellement toxiques pour la reproduction et le développement neuropsychologique. 95% des analyses montraient des traces d'insecticides organophosphorés, 30 à 40% de traces d'herbicides de la famille des triazines, dont le modèle est l'Atrazine, utilisés dans la culture du maïs, interdits depuis 2003, mais toujours présents dans l'environnement et l'eau.
La question vient naturellement : quel impact sur la grossesse et le nourrisson ?
Réponse : "Même à des niveaux faibles, la présence de triazines augmente les risques d'anomalie de croissance dans l'utérus, avec un faible poids de naissance, qui peut être un handicap pour le développement du bébé, et un périmètre crânien plus petit, ce qui n'est pas bon pour le système nerveux central."
Autre question : d'où viennent les pesticides ?
Réponse : "Avec Air Breizh, nous avons mesuré la quantité de pesticide largué dans l'air après usage agricole. Nous avons établi un lien entre le problème de croissance du foetus et la quantité de pesticide dans l'air. On pense souvent que l'exposition aux pesticides est professionnelle ou alimentaire. Or, vivre à proximité d'une zone agricole n'est pas anodin".
La contamination par l'air ! Pour la première fois une étude, publiée en France, en fait clairement état. Et ces propos ne sont pas "paroles en l'air". Il est dommage que la publication rédigée en anglais, sous le titre "Environmental determinants of the urinary concentrations of herbicides during pregnancy: the PELAGIE mother-child cohort (France)"(1) ne soit pas disponible en français. Un rapide survol montre cependant l'usage que les deux scientifiques ont fait des images par satellites pour localiser les volontaires participant à l'enquête ainsi que les champs plantés en céréales. On y voit également comment elles ont utilisé les données météo pour intégrer la direction et la vitesse du vent dans leurs mesures. Le lecteur, incapable de comprendre les formules savantes dans lesquelles les scientifiques font entrer leurs données, constate au moins qu'elles ne s'avancent pas sans de solides arguments quand elles affirment que "vivre à proximité d'une zone agricole n'est pas anodin".
Quant aux mères testées de la "PELAGIE mother-child cohort", n'ont-elles été informées du résultat de l'enquête que par ce seul article du journal Ouest-France ? Ont-elles été personnellement alertées sur un possible "handicap pour le développement" de leur enfant et conseillées sur la façon dont elles peuvent y remédier ? Ou, n'étant rien de plus qu'un numéro anonyme dans une statistique, sont-elles maintenues dans une ignorance habillée du secret médical ?
Une chose est certaine : les pouvoirs publics, administrations, élus(e)s régionaux et nationaux, de même que les lobbies industriels et agricoles ne peuvent plus, quant à eux, ignorer cette réalité. Dès lors l'inaction devient criminelle.
Interdire les épandages ?
Début mai 2014, une vingtaine d'enfants et une enseignante d'une école primaire de Gironde avaient été pris de malaises après l'épandage d'un fongicide sur des vignes situées à proximité de leur établissement. Dès la fin du mois, la ministre de l'Environnement Ségolène Royal annonçait fin mai qu'elle présenterait "très prochainement", avec son collègue de l'Agriculture, une interdiction des épandages de produits phytosanitaires à moins de 200 mètres des écoles.
Mobilisation immédiate de la FNSEA qui annonce une manifestation pour la fin juin et premier bémol du ministre de l'agriculture Stéphane Le Foll : "Il s'agit d'avoir des mesures pour protéger des lieux publics, en particulier des écoles, des hôpitaux voire des maisons de retraite, et ça restera cet objectif-là", déclare-t-il au micro d'Europe 1."Jamais il n'a été question d'interdire à 200 m de toutes les habitations". Une maison isolée ou un lotissement n'étant pas un lieu "public" on pourra donc continuer à intoxiquer les enfants, mais seulement chez eux !
Pourtant, protéger les seuls lieux publics c'est encore trop demander. De conciliabules en conciliabules dans les couloirs ministériels l'amendement encadrant l’épandage de pesticides près des lieux "sensibles" a été bien édulcoré quand il arrive à l’examen de la commission ad hoc puis quand il passe au parlement.
11 septembre 2014.
L'Assemblée Nationale adopte la "petite loi" d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Son article L.253-7-1 est ainsi rédigé :
"À l’exclusion des produits à faible risque ou dont le classement ne présente que certaines phases de risque déterminées par l’autorité administrative :
1° L’utilisation des produits mentionnés à l’article L.253-1 est interdite dans les cours de récréation et espaces habituellement fréquentés par les élèves dans l’enceinte des établissements scolaires, dans les espaces habituellement fréquentés par les enfants dans l’enceinte des crèches, des haltes-garderies et des centres de loisirs ainsi que dans les aires de jeux destinées aux enfants dans les parcs, jardins et espaces verts ouverts au public."
La loi Labbé de février 2014 avait déjà interdit, à partir de 2020, l'usage des pesticides "pour l'entretien des espaces verts, des forêts ou des promenades accessibles ou ouverts au public et relevant de leur domaine public ou privé". L'interdiction d'utiliser des pesticides dans les cours de récréation, les crèches, les haltes-garderies, les aires de jeux, n'est donc qu'un rappel des règlements déjà existants ou à échéance proche. Mais pour ce qui est de l'autre côté du grillage, là où se font les épandages, voyons ce que dit la suite de ce nouvel article L.253-7-1 :
"2° L’utilisation des produits mentionnés au même article L.253-1 à proximité des lieux mentionnés au 1° du présent article ainsi qu’à proximité des centres hospitaliers et hôpitaux, des établissements de santé privés, des maisons de santé, des maisons de réadaptation fonctionnelle, des établissements qui accueillent ou hébergent des personnes âgées et des établissements qui accueillent des personnes adultes handicapées ou des personnes atteintes de pathologie grave est subordonnée à la mise en place de mesures de protection adaptées telles que des haies, des équipements pour le traitement ou des dates et horaires de traitement permettant d’éviter la présence de personnes vulnérables lors du traitement.
Lorsque de telles mesures ne peuvent pas être mises en place, l’autorité administrative détermine une distance minimale adaptée en deçà de laquelle il est interdit d’utiliser ces produits à proximité de ces lieux."
Oubliés donc les 200m. En cas de danger immédiat, c'est encore "l'autorité administrative", à savoir le préfet ou l'un de ses subalternes, qui devra prendre la décision de déterminer "une distance minimale adaptée en deçà de laquelle il est interdit d’utiliser" des pesticides. Quel est le kamikaze qui prendra ainsi le risque de voir sa préfecture noyée dans le lisier ou le centre des impôts local partir en feu de joie, comme on a encore pu le voir il n'y a pas si longtemps.
Parlons maintenant des "protections adaptées" supposées protéger les "personnes vulnérables". Qui peut imaginer qu'une simple haie puisse être un écran efficace contre un nuage de pesticides quand on sait qu'on peut en trouver les retombées à des kilomètres. N'oublions pas les consignes de sécurité données à celui qui, l'autre côté de la haie, s'active à épandre du glyphosate :
Bien regarder les prévisions météo: températures extérieures comprises entre 15°C et 25°C, éviter les temps secs mais aussi les temps humides, pas de pluies prévues dans les 6 heures après l’application, vérifier la direction du vent, pas d'application par vent supérieur à 18km/h.
Porter des équipements de protection individuelle (EPI), c'est à dire combinaison, gants et chaussures imperméables, lunettes, masque avec filtre adapté, veiller à entretenir et à renouveler régulièrement les EPI. Exécuter parfaitement les procédures d’habillages et de déshabillage. Ne jamais stocker les EPI avec les pesticides. Prendre une douche après chaque application de pesticides. Attendre six heures avant d'entrer dans la parcelle traitée.
De plus n'oublions pas que la haie protectrice n'est considérée comme nécessaire que dans des cas bien limités : écoles, aires de jeux, centres de santé, hébergements pour personnes âgées... Habitations individuelles pas concernées. Votre enfant sera supposé être protégé tant qu'il sera en classe mais chez vous...
Stéphane le Foll l'avait bien dit : "Jamais il n'a été question d'interdire à 200 m de toutes les habitations". Par contre il est prévu d'empêcher de construire des établissements "sensibles" à proximité des champs où du pesticide est épandu.
En effet l'article L.253-7-1 se termine par : "En cas de nouvelle construction d’un établissement mentionné au présent article à proximité d’exploitations agricoles, le porteur de projet prend en compte la nécessité de mettre en place des mesures de protection physique". En clair : pas de permis de construire si le "porteur du projet" ne peut garantir qu'il a pris toutes les mesures pour que pas une molécule de pesticide ne parvienne à franchir la "protection physique" qu'il aura mis en place. Bon courage aux maires qui auraient à instruire le dossier d'implantation d'une école, d'un jardin public, ou d'un lieu de santé en milieu rural !
Quant à un nouveau lotissement, n'en parlons pas. En résumé : un article de loi supposé protéger les populations sensibles, se transforme en un article qui protège les pollueurs !
Quant aux personnes isolées, qu'elles ne comptent pas sur la loi pour les protéger. Témoin, l'histoire de la "famille assiégée par les pesticides" rapportée par Médiapart. En juillet 2004 cette famille fait l’acquisition d’une maison dans un village de l’Eure-et-Loir, aux confins du Perche, afin d’offrir à leurs deux jeunes enfants de l’air pur et le contact avec la nature. Ils pensent avoir gagné "un petit coin de paradis". Au printemps de l'année suivante, alors qu’ils fêtent l’anniversaire de l’un de leurs enfants dans le jardin, où se trouvent une vingtaine de personnes, surgit l’énorme tracteur d'un voisin agriculteur, qui commence à épandre un nuage de pesticides à l’odeur nauséabonde sur le champ qui entoure leur maison. Le tracteur roule à un mètre de la haie, et la rampe d’épandage déborde carrément au-dessus de la haie du jardin. C'est le début d'un long combat de la famille pour défendre son droit à respirer d'autant plus que l'un des enfants, âgé de trois ans, tombe rapidement malade. Famille ostracisée et même menacée, indifférence et complicité des pouvoirs publics vis à vis des pollueurs... en 2010 la famille renonce et déménage. Combien de familles, ne disposant pas de la possibilité de changer de domicile, sont contraintes à subir cette pollution sans même oser protester par peur de représailles.
Les deux scientifiques de l'Inserm de Rennes qui ont mené l'étude Pélagie des effets des pesticides sur les femmes enceintes et leurs nouveaux-nés ont bien des raisons de l'affirmer : "vivre à proximité d'une zone agricole n'est pas anodin".
(1)Déterminants environnementaux des concentrations urinaires d'herbicides pendant la grossesse : La cohorte mère-enfant PELAGIE.
Les herbicides sont généralement les pesticides les plus largement utilisés appliqués aux cultures agricoles.Cependant, la littérature contient peu de preuves utiles pour évaluer les sources potentielles d'exposition de la population générale aux herbicides, notamment en raison de la proximité résidentielle des cultures.L'objectif de cette étude était d'exploiter les données de la cohorte mère-enfant PELAGIE pour identifier les principaux déterminants de la charge corporelle liée à l'exposition aux herbicides chloroacétanilide et triazine couramment utilisés sur les cultures de maïs en Bretagne, en France, avant 2006.
Échantillons d'urineprovenant d'une sous-cohorte de femmes sélectionnées au hasard au cours du premier trimestre de la grossesse (n = 579) ont été analysées pour détecter les métabolites de l'herbicide.L'exposition résidentielle résultant de la proximité des cultures de maïs a été évaluée à l'aide de scores basés sur des images satellite combinées à des données météorologiques.Les données sur le régime alimentaire, la consommation d'eau du robinet (provenant du réseau public d'approvisionnement en eau), les professions et l'utilisation d'herbicides par les ménages ont été collectées au moyen de questionnaires.Les herbicides ont été quantifiés dans 5,3 % à 39,7 % des échantillons d'urine.L'alachlore et l'acétochlore ont été retrouvés le plus souvent dans l'urine des femmes vivant dans les zones rurales.La présence de métabolites de triazine désalkylée dans les échantillons d'urine était positivement associée à la proximité résidentielle des cultures de maïs (OR = 1,38, IC à 95 % : 1,05 à 1,80).Les métabolites urinaires de l'atrazine et de la triazine désalkylée étaient corrélés à la consommation d'eau du robinet (OR = 2,94, 1,09-7,90 et OR = 1,82, 1,10-3,03, respectivement) ;Les métabolites de triazine hydroxylée étaient corrélés à la consommation de poisson (OR = 1,48, 1,09-1,99).
Cette étude renforce les résultats précédents qui suggèrent que la contamination de l'environnement résultant des activités agricoles peut contribuer à l'exposition de la population générale aux herbicides.
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Comme l'art ou la littérature,les sciences sont un élément à part entière de la culture humaine. Leur histoire nous éclaire sur le monde contemporain à un moment où les techniques qui en sont issues semblent échapper à la maîtrise humaine.
La connaissance de son histoire est aussi la meilleure des façons d'inviter une nouvelle génération à s'engager dans l'aventure de la recherche scientifique.