Robida, dans son ouvrage "Le 20ème siècle, la vie électrique", publié en 1890, nous décrit un monde soumis à des pollutions diverses. Eau et air pollués, malbouffe... il ne manque que l'effet de serre et le réchauffement climatique.
23 ans plus tard, le 1er avril 1913, paraissait le premier numéro d'une revue promise à un long succès : "La Science et la Vie", devenu "Science et Vie".
On pouvait y lire un article sur "La répression des fraudes alimentaire", avec une citation du professeur et académicien Paul Brouardel :
"Quand un homme a pris le matin, à son premier déjeuner, du lait conservé par l'aldéhyde formique, quand il a mangé à midi une tranche de jambon contenant du borax, accompagnée d'épinards verdis par du sulfate cuivre, quand il a arrosé cela d'une demi-bouteille de vin fuchsiné ou plâtré à l'excès, et cela pendant vingt ans, comment voulez-vous que cet homme ait encore un estomac ? ".
Mais Robida n'avait pas prévu l'effet de serre et le dérèglement climatique.
Relisons Robida.
" La science moderne a mis tout récemment aux mains de l'homme de puissants moyens d'action pour l'aider dans sa lutte contre les éléments, contre la dure saison, contre cet hiver dont il fallait naguère subir avec résignation toutes les rigueurs, en se serrant et se calfeutrant chez soi, au coin de son feu.
Aujourd'hui les observatoires ne se contentent plus d'enregistrer passivement les variations atmosphériques ; outillés contre pour la lutte contre les variations intempestives, ils agissent et ils corrigent autant que faire se peut les désordres de la nature.
Quand les aquilons farouches nous soufflent le froid des banquises polaires, nos électriciens dirigent contre les courants aériens du Nord des contre-courants plus forts qui les englobent dans un noyau de cyclone factice et les amènent se réchauffer au dessus des Saharas d'Afrique ou d'Asie, qu'ils fécondent en passant par des pluies torrentielles.
Ainsi ont été reconquis à l'agriculture les Saharas divers, d'Afrique, d'Asie et d'Océanie ; ainsi ont été fécondés les sables de Nubie et les brûlantes Arabies.
De même, lorsque le soleil d'été surchauffe nos plaines et fait bouillir douloureusement le sang et la cervelle des pauvres humains, paysans ou citadins, des courants factices viennent établir entre nous et les mers glaciales une circulation atmosphérique rafraîchissante.
Les fantaisies de l'atmosphère, si nuisibles ou si désastreuses parfois, l'homme ne les subit plus comme une fatalité contre laquelle aucune lutte n'est possible. L'homme n'est plus l'humble insecte, timide, effaré, sans défense devant le déchaînement des forces brutales de la Nature, courbant la tête sous le joug et supportant tristement aussi bien l'horreur régulière des interminables hivers que les bouleversements tempêtueux et les cyclones.
Les rôles sont inversés, c'est à la Nature domptée aujourd'hui de se plier sous la volonté réfléchie de l'Homme"
Inondations, incendies et cyclones dévastateurs... La Nature rappelle avec violence à l'Homme du 21ème siècle, "humble insecte, timide, effaré", qu'elle ne se laisse pas si facilement dompter.
22 avril 2017, des milliers de personnes dans le monde marchent pour la science en réponse à l'hostilité de certains milieux politiques à l'égard des sciences. L'appel issu des USA a été relayé en France par de nombreux scientifiques. Dans une tribune publiée dans Le Monde, plusieurs d'entre eux expliquaient la démarche :
"Depuis le 20 janvier 2017 et l’investiture de Donald Trump, chaque jour amène son lot d’annonces fracassantes et de décrets liberticides. Les sciences, et plus généralement le monde académique, font partie des premières cibles de la nouvelle administration. Une hostilité idéologique à l’égard des sciences s’exprime désormais dans la doctrine officielle de la Maison Blanche. Le président Trump a ainsi dès les premiers jours cherché à contrôler les programmes de recherche susceptibles de recevoir des crédits fédéraux, et restreint la diffusion des résultats de grandes agences fédérales comme l’Agence pour la Protection de l’Environnement (EPA), à la tête de laquelle a été placé un climatosceptique proche des lobbies de l’énergie."
Mais le problème débordait largement des USA, la France elle même n'était pas épargnée. Nous y avions aussi nos scientificoscepticles.
"Si la négation des résultats scientifiques (issus des sciences de la nature comme des sciences humaines et sociales) est pour l’heure moins développée en France qu’aux États-Unis, les motifs d’inquiétude n’en restent pas moins nombreux. Cela concerne des prises de position répétées de nos responsables politiques : du haro sur la soi-disant « culture de l’excuse » des sciences humaines et sociales au retour du « roman national » dans les programmes d’histoire, jusqu’aux sorties de route climatosceptiques d’un ancien Président de la République, sans oublier l’intronisation du moteur diesel « au cœur de la mobilité environnementale ». Les orientations « stratégiques » de l’État sur la recherche et l’enseignement supérieur ces dernières années sont une autre source de préoccupation. Dans la maigre part consacrée aux sciences des programmes politiques des principaux candidats à la prochaine élection présidentielle de 2017, et ce quel que soit leur bord, celles-ci ne comptent qu’à travers leur mise au service de l’innovation et de l’« économie de la connaissance ». Cette vision étriquée et à court-terme contribue à l’affaiblissement des recherches fondamentales, menées sur le long terme, qui seules permettent de suffisamment comprendre notre monde et nos sociétés pour détecter et aider à anticiper ses évolutions futures.
Aux États-Unis, en France et partout ailleurs, les sciences doivent être remises au cœur du débat public. Marcher en nombre, comme ont décidé de le faire les scientifiques états-uniens, et ceux d’au moins huit pays européens, est un moyen d’y parvenir. La Marche citoyenne pour les Sciences en France initiée le 27 janvier participe de ce mouvement international. Synchronisée dans plusieurs villes de France où des comités locaux sont en cours d’organisation, elle rassemblera le 22 avril prochain toutes les citoyennes et tous les citoyens qui estiment que, dans notre démocratie, la reconnaissance de la démarche scientifique fondée sur la collecte, la vérification, et l’analyse rationnelle de faits et la garantie de son indépendance vis-à-vis des pouvoirs en place sont des enjeux essentiels. Hasard du calendrier, cette grande manifestation aura lieu la veille du premier tour de la présidentielle. C’est une formidable opportunité de montrer que sciences et démocratie forment un couple inséparable."
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Londres 1772. Joseph Priestley publie "Experiments and Observations on different kinds of Air". Un ouvrage fondamental sur le chemin de la découverte de nombreux gaz dont, en particulier, l'oxygène. L'auteur à conscience de la hardiesse de ses découvertes. Il y aurait donc "plusieurs sortes d'airs" et non pas cet élément unique issu de la physique des quatre éléments de Empédocle, Platon et Aristote. Nous lisons dans l'introduction de la traduction française de son ouvrage : "Je passerai pour un Enthousiaste chez quelques-uns, mais je m'embarrasse fort peu de cette imputation, parce que je trouve mon bonheur dans les vues qui m'y exposent."
Nous avons aussi nos "Enthousiastes". Eux aussi nous parlent de l'air. Ils sont membres du GIEC et nous alertent sur cette découverte de la fin du 20ème siècle : l'activité humaine a enrichi l'atmosphère de cet "air" que Priestley désignait comme "air fixe" car il savait déjà qu'on le trouvait "fixé" dans les calcaires d'où il pouvait être extrait par l'action des acides et dans les végétaux, libéré par la combustion, la putréfaction ou la fermentation. Cet "air fixe" que de puis Lavoisier on désigne sous le nom de dioxyde de carbone et que, avec Berzéluis, nous résumons dans la formule CO2.. Ce gaz, à l'origine de la vie sur terre, dont l'excès aujourd'hui menace l'équilibre biologique de la Planète.
Mais pourquoi citer Priestley au moment où des scientifiques marchent pour la science ? Parce que, lui même, dans l'introduction de son ouvrage s'insurge contre ces politiques si dédaigneux des sciences. Plus de deux siècles nous séparent, et pourtant quelques vérités nous rassemblent et méritent d'être rappelées.
Lisons Priestley. Il s'adresse aux personnes "qui affectent de parler avec un mépris arrogant" des ouvrages scientifiques. Parmi ceux-ci les "personnes distinguées par leur rang ou par leur fortune" qui, essentiellement attirées par les carrières politiques font peu de cas des sciences. Pourtant leur dit-il :
"Si l'on veut acquérir une réputation étendue & durable, les travaux littéraires, & surtout les travaux scientifiques sont préférables aux travaux politiques à bien des égards.Ceux-là sont d'autant plus favorables au développement des facultés humaines quele système de la nature est au-dessus de tout système politique.
Si l'on considère l'utilité la plus étendue, les sciences ont le même avantage sur la politique. Les grands succès dans cette dernière s'étendent rarement au delà d'un état particulier & d'un temps limité ; tandis qu'un travail heureux dans les sciences rend un homme le bienfaiteur de tout le genre humain et de tous les siècles. La réputation du plus grand homme d'Etat que ce pays ait jamais produit, est-elle comparable à celle des Bacon, des Newton ou des Boyle ? & n'avons-nous pas de plus grandes obligations à des hommes pareils qu'à tout ce qu'il y a de plus illustre dans la Biographie Britannique ? Chaque région où les sciences ont fleuri peut fourni des exemples semblables".
Nous avons, nous aussi, la chance d'habiter une de ces régions "où les sciences ont fleuri". Les noms de Descartes, de Lavoisier, de Laplace, d'Ampère, de Pasteur, de Becquerel, de Curie, et déjà de quelques-uns de nos contemporains, ont franchi nos frontières et sont devenus des repères durablement inscrits dans cette nouvelle culture "sans frontière" qui irrigue la Planète. Mais qui, dans le monde, se souviendra d'un Sarkozy ou d'un Hollande et même d'un De Gaulle ou d'un Mitterrand ?
Le 23 novembre 2016, notre ami Gabriel Gorre nous a présenté, lors d'une conférence-expérience sur la "Chambre à brouillard".
Selon les mots d'Ernest Rutherford il s'agit du "plus original et plus merveilleux instrument expérimental". Il permet de détecter et de visualiser les émissions radioactives.
1976. En Bretagne débutait la mobilisation contre un projet de centrale nucléaire à Plogoff dans la Pointe de Raz.
Et voilà ce titre qui nous parle d'écologie. Et voilà ces vagues de sons électroniques qui rompent avec tout ce qui a été entendu jusqu'alors. Et voilà cette pochette de Michel Granger, ce crâne encore saignant sortant du bleu de la Planète Terre.
Avec Jean Michel Jarre un mot de la chimie entrait dans le domaine du rêve, de la poésie. Je m'en suis souvenu en écrivant une "Histoire de l'Oxygène, de l'alchimie à la chimie". Le livre s'ouvre sur Empédocle, philosophe grec du 4ème siècle avant notre ère, qui initie la théorie des quatre éléments sous une forme poétique. Il se termine avec Jean Michel Jarre qui, peut-être sans que j'en sois conscient, m'a servi de fil conducteur dans ce récit.
L'ambition de La Marche des Sciences fut de montrer que le passé éclaire l'avenir, que le scientifique ne vit pas dans sa tour d'ivoire et que le fossé traditionnel entre sciences et lettres, qui perdure encore aujourd'hui, pourrait être aboli.
Après sept ans d’histoire des sciences sur France Culture, et pour clore l’aventure, La Marche des Sciences consacre sa dernière émission à l'importance des sciences et de leur histoire dans la société d'aujourd'hui.
Telle est la question que je pose en introduction du livre que j'ai écrit sous le titre "Histoire du carbone et du CO2" (Vuibert, 2013). Notre époque voit d'abord, et comment s'en étonner, dans le dioxyde de carbone libéré par l'activité humaine, le responsable de ce réchauffement de l'atmosphère qui perturbe l'ensemble de la Planète et met en danger de larges parts de l'Humanité.
Pourtant sans le dioxyde de carbone aucune vie n'existerait sur Terre et des générations de scientifiques ont été nécessaires avant que nous le comprenions. Transformer ce gaz dont ils ont eu tant de difficultés à faire valoir le rôle essentiel en une menace pour la vie ajoute au scandale de cet "anthopocène" dont on ne mesure pas encore où il conduira l'espèce humaine et les autres espèces vivantes avec lui.
Car la diabolisation du carbone n'est qu'un élément d'une question plus générale : faut-il avoir peur de la chimie ? (titre du livre de Bernadette Bensaude-Vincent, Seuil, 2005). Ou plus généralement, faut-il avoir peur des sciences ?
Question douloureuse pour qui a la passion des sciences, de leur histoire, de leur part de rêve, de la soif de connaître qu'elles alimentent, de la façon dont elles contribuent à nous libérer des vieilles peurs et des vieilles douleurs. Et pourtant la question est d'une brûlante actualité : les "sciences" font peur.
En introduction, Michel Alberganti, l'animateur, rappelait le contexte :
"Nous n’aurions pas eu l’idée de débattre d’un tel sujet il y a cent ans, ni même, sans doute, 50 ans, ni, peut-être, 30 ans. Mais en 1986, il y a 27 ans, s’est produite la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Et c’est peut-être à ce moment, plus encore qu’après la bombe atomique, que le doute a commencé à s’installer. Pour la première fois, une activité civile fondée sur la science et la technologie engendrait un drame humain de très grande ampleur.Avant même cet événement traumatisant, René Dumont avait plaidé en faveur des thèses qui allaient fonder le mouvement écologiste ".
Débattre de la science et de la vie il y a cent ans ?
Ayons la curiosité d'y aller voir. C'est justement il y a cent ans, le 1er avril 1913, que paraissait le premier numéro d'une revue promise à un long succès : "La Science et la Vie", devenu "Science et Vie".
Côté "Vie", on pouvait y lire un article sur "Les grands chirurgiens français d'aujourd'hui" ou encore un article sur les "petits agents de la mort", mouches, puces, moustiques… Et même, déjà, un article sur "La répression des fraudes alimentaire", avec une citation du professeur et académicien Paul Brouardel :
"Quand un homme a pris le matin, à son premier déjeuner, du lait conservé par l'aldéhyde formique, quand il a mangé à midi une tranche de jambon contenant du borax, accompagnée d'épinards verdis par du sulfate cuivre, quand il a arrosé cela d'une demi-bouteille de vin fuchsiné ou plâtré à l'excès, et cela pendant vingt ans, comment voulez-vous que cet homme ait encore un estomac ? ". Première alerte, donc, contre la "malbouffe".
Mais, dès les premières pages de la revue le lecteur avait été invité à suivre "La naissance, la vie et la mort d'un canon". La couverture de la revue représentait d'ailleurs l'usinage de ce fameux canon, avec, au premier plan, un officier, sabre au côté, surveillant l'opération.
Poursuivant leur lecture jusqu'aux dernières pages, un lecteur ou une lectrice, pouvaient également y lire un article de Gabriel Lippmann, prix Nobel de Physique en 1908. Celui-ci, sous le titre "La science et la vie", entendait montrer comment "la science joue dans notre vie un rôle immense" et à quel point "elle fait essentiellement partie de notre avenir comme de notre passé".
L'invention de la roue, du bateau, de l'imprimerie, ont, écrivait-il, "créé l'époque moderne". Mais il y ajoutait la poudre :
"Car il n'est pas jusqu'à l'artillerie qui ne soit un instrument de progrès, j'allais dire de paix et de progrès, à condition qu'elle soit de plus en plus savante".
Le discours était dans l'esprit du temps : la science devait être au service de la guerre et la guerre au service de l'industrie, du commerce… et de la science ! La démonstration qu'en faisait Lippmann mérite qu'on y jette un coup d'œil.
"Le boulet rond et le canon de bois, écrivait-il, ont suffit pour détruire le morcellement féodal et donner l'essor aux grandes nations. Aujourd'hui nous sommes plus avancés : nous avons une technique si perfectionnée que pour en tirer parti et surtout pour les perfectionner davantage, ce qui devient pour chacun une nécessité, il faut à chaque pays une foule de soldats suffisamment intelligents, d'officiers instruits, et par conséquent de corps savants et des écoles de haut enseignement bien organisées.
De plus, tout cela coûte horriblement cher, même en temps de paix. Aussi faut-il, pour porter le fardeau croissant des milliards, des revenus considérables ; c'est-à-dire une forte industrie ; c'est-à-dire un grand nombre d'industriels éclairés, de commerçants qui comprennent leur siècle ; il faut, en un mot, une classe bourgeoise cultivée".
A ce texte effarant d'un "savant", mettant la science au service du massacre qui allait, dans peu de temps, engloutir des millions d'hommes, il faut opposer le "discours à la jeunesse" de Jaurès, lu le 10 juillet 1903 devant les élèves du lycée d'Albi et la célèbre phrase :
"L’humanité est maudite, si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer éternellement".
Un texte dont l'actualité ne peut nous échapper :
"? [.] J’ose dire, avec des millions d’hommes, que maintenant la grande paix humaine est possible, et si nous le voulons, elle est prochaine. Des forces neuves y travaillent : la démocratie, la science méthodique, l’universel prolétariat solidaire.
La guerre devient plus difficile, parce qu’avec les gouvernements libres des démocraties modernes, elle devient à la fois le péril de tous par le service universel, le crime de tous par le suffrage universel.
La guerre devient plus difficile parce que la science enveloppe tous les peuples dans un réseau multiplié, dans un tissu plus serré tous les jours de relations, d’échanges, de conventions ; et si le premier effet des découvertes qui abolissent les distances est parfois d’aggraver les froissements, elles créent à la longue une solidarité, une familiarité humaine qui font de la guerre un attentat monstrueux et une sorte de suicide collectif".
Dans le siècle qui allait suivre c'est, hélas, le sombre tableau dressé par Lippmann qui allait s'imposer.
Débattre il y a cinquante ans ?
En 1960 la première bombe atomique française explosait à Reggane, dans le Sahara algérien. Quinze ans plus tôt, le 18 octobre 1945, le général de Gaulle avait signé le décret de création du Commissariat à l'Energie Atomique, le CEA. C'était trois mois après l'explosion des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. La presse avait alors titré sur une victoire de la science, et de la science française en particulier. "L'Amérique vient de révéler au monde une découverte scientifique qui est bien la plus sensationnelle du siècle", annonçait L'Humanité du 8 août 1945.
"La libération de l'énergie atomique, problème sur lequel se penchaient dès avant la guerre les physiciens les plus éminents de tous les pays, vient d'être réalisée. Son emploi dans la guerre contre le Japon, sous la forme d'une bombe dont la puissance est terrifiante, montre bien que cette découverte change la face de la guerre moderne. Elle peut aussi, dans peu d'années, changer la face économique du monde. Il convient aujourd'hui d'expliquer aussi clairement que possible ce qu'est cette énergie, d'où elle provient, et de situer la part qu'ont prise les savants français, et en particulier Frédéric Joliot-Curie, dans les travaux et lesrecherches qui ont permis cette conquête monumentale de l'homme".
Comme Jaurès en 1905, il fallait un Albert Camus pour sauver l'honneur des intellectuels français.
"Le monde est ce qu'il est, c'est-à-dire peu de chose. C'est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d'information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique", écrivait-il dans l'éditorial du journalCombat de ce même 8 août 1945.
"On nous apprend, en effet, au milieu d'une foule de commentaires enthousiastes que n'importe quelle ville d'importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d'un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l'avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.
En attendant, il est permis de penser qu'il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d'abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l'homme ait fait preuve depuis des siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d'aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d'idéalisme impénitent, ne songera à s'en étonner".
Oui, c'était bien la science qui s'était consacrée au meurtre organisé. Les promoteurs du projet Manhattan étaient bien des "savants", des "Prix Nobel".
Aujourd'hui, tout enseignant qui initie ses élèves aux mystères du noyau atomique, qui explique les phénomènes naturels que sont la radioactivité, la fission et la fusion nucléaire, ne peut chasser de son esprit le fait que la première apparition publique de la science nucléaire a été la mort immédiate et la souffrance prolongée de centaines de milliers de personnes.
Pourtant l'aventure de la découverte de la radioactivité mérite d'être enseignée : l'intuition de Becquerel étudiant la phosphorescence de l'uranium, la volonté et l'énergie de Marie Curie découvrant le Polonium puis le Radium, l'enthousiasme de Rutherford, de Bohr et de tous les physiciens qui ont éclairé la structure de l'atome, la pensée révolutionnaire de Einstein établissant le lien entre masse et énergie...
C'est encore cette découverte historique qui nous éclaire sur la nature de l'Univers : le big-bang, la formation des galaxies, des étoiles, des atomes… Toute cette science qui nous a appris, suivant une expression devenue célèbre, que nous sommes des "poussières d'étoiles", commence avec la découverte, il y a à peine plus d'un siècle, de la radioactivité et des phénomènes nucléaires.
Plus près de nous : le soleil dont la lumière est l'autre source de la vie terrestre. C'est, à nouveau, la physique nucléaire qui nous explique la libération d'énergie provoquée par les phénomènes de "fusion" au cœur de notre étoile. Mais comment en parler sans évoquer la folie humaine qui, en utilisant le même principe, a construit et disséminé les milliers de bombes dont une seule peut, en un instant, déclencher le cataclysme qui anéantira l'essentiel de la vie terrestre ?
Peut-on faire oublier le danger en affirmant que le nucléaire c'est aussi une énergie pour la paix.
Qui peut être dupe ? Les premières "piles atomiques" ont été construites pour produire les éléments nécessaires aux bombes. Les premiers "réacteurs nucléaires" ont équipé des sous-marins qui n'avaient rien de pacifiques. Les pays qui ont mis en place un programme de centrales électriques nucléaires sont aussi ceux qui avaient pour objectif premier la fabrication de bombes. Ceux qui cherchent à le faire aujourd'hui veulent surtout entrer dans le club fermé des "grands", ceux qui disposent de la menace nucléaire.
Atome pour la paix, nous disait-on. Atome sans danger, voulait-on nous faire croire. Et il y a eu Three Mile Island en 1979, Tchernobyl en en 1986, Fukushima en 2011. Alors oui, il est temps après un si long silence, que des amoureux des sciences, que des scientifiques disent stop !
A l'évidence les temps ont changé et il faut reconnaître que les scientifiques présents à la tribune du colloque de la Sorbonne le prouvaient en exprimant avec force ces "vérités qui dérangent".
Lanceurs d'alerte.
On y a parlé organisme génétiquement modifiés.
Le biologiste Jacques Testard y montrait que le problème n'avait rien de "scientifique" et que bien au contraire la démarche était clairement une "usurpation de la science" : "si on avait demandé à Darwin : "qu’est-ce que vous pensez de l’idée de fabriquer une plante qui va fabriquer son insecticide et donc détruire les insectes". Il aurait dit : "mais c’est stupide. En trois ou quatre ans les insectes auront muté et votre plante ne servira plus à rien. Il faudra en faire une autre et comme il vous faut dix à douze ans pour la fabriquer vous aurez toujours du retard sur la réalité". Donc on n’est pas dans la science."
Ailleurs, en Bretagne, des scientifiques lancent d'autres alertes. "OGM et Roundup danger ou pas ?" est le titre d'un article du journal Le Télégramme du 26 février 2013. On y annonce une conférence du professeur Robert Bellé, du laboratoire CNRS de Roscoff. Il avait été, dès 2002, le premier à publier dans la revue Nature, les résultats de son étude sur "la toxicité, à faible dose, des produits à base de Roundup".
Le Roundup est massivement utilisé dans la région depuis l'interdiction, en 2003, de l'atrazine. Il colore les champs en jaune-orangé au début du printemps. Il se concentre dans les eaux des rivières mais surtout il imprègne l'air pendant les périodes d'épandage. Le professeur Bellé et son équipe ont montré que cet herbicide perturbait à très faible dose, le développement des cellules et était donc un facteur potentiel de cancers et de malformations génitales.
Dans la région, on parle également de l'atrazine. Cet herbicide reconnu cancérigène, mutagène et tératogène (provoquant mutations et malformations génétiques), a bien été interdit depuis 2003, mais, faiblement biodégradable, on le trouve encore dans l'air et dans l'eau des rivières. Une équipe de l'INSERM de Rennes (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a commencé à en traquer les effets, en Bretagne, chez les femmes enceintes, les nourrissons et les jeunes enfants. Les premiers résultats sont déjà alarmants.
"Pesticides durant la grossesse, bébé trinque", titrait le journal Ouest-France en décembre 2009. Les premiers résultats de l'étude avaient été publiés. Chez 95 % des 600 femmes testées, on retrouvait des traces d'insecticides organophosphorés; chez 30 à 40 %, des traces d'herbicides de la famille de l'atrazine, utilisés dans la culture du maïs, interdits mais toujours présents dans l'environnement et l'eau. Quel est l'impact sur la grossesse ? L'étude montrait que, même à des niveaux faibles, leur présence "augmentait les risques d'anomalie de croissance dans l'utérus, avec un faible poids de naissance, qui pouvait être un handicap pour le développement du bébé, et un périmètre crânien plus petit, ce qui n'est pas bon pour le système nerveux central".
Retour à la Sorbonne.
On y a parlé effet de serre.
La recherche et l'exploitation des gaz de schiste est le débat du moment. "Ce que je n’aime pas dans les gaz de schiste c’est l’idée que, si on les exploite, on ne va plus se poser la question de la fin des énergies fossiles puisque le terme annoncé va être reculé non pas de 15 ou 20 ans mais de beaucoup plus" déclarait Etienne Klein, physicien au CEA, "du coup on va envoyer dans l’atmosphère tout le carbone que contient la croûte terrestre. Vous parliez du réchauffement climatique, voilà à mon avis un mauvais exemple de démocratie. Alors que les scientifiques après 40 années de recherches se mettent d’accord, on crée artificiellement une controverse qui permet de justifier un débat et d’entendre sur les ondes et à la télévision toutes sortes de choses qui permettent de ne pas croire ce que nous savons".
"Ne pas croire ce que nous savons" est devenu une des attitudes les plus caractéristiques de notre époque et d'habiles manipulateurs, armés d'un discours d'allure scientifique s'emploient à semer le doute.
On y a parlé nanotechnologie.
Le sujet nous ramène au carbone. La fibre de carbone est la première à avoir révélé ses extraordinaires propriétés. Associée à des résines dans des matériaux composites elle combine légèreté et résistance. Des cannes à pêche jusqu'aux navettes spatiales ses applications se sont multipliées. Plus étranges encore les fullerènes, ces très esthétiques sphères composées d'atomes de carbone. Le premier connu est composé de 20 atomes associés en 12 pentagones et de 20 hexagones. Sa figure ressemblant aux structures géodésiques de l'architecte Fuller, il en a hérité le nom de "fullerène" ou encore celui, plus populaire de "footballène" par analogie avec le ballon de football. Dans la même catégorie on peut ranger les nanotubes et récemment le graphène, couche monoatomique de carbone aux propriétés encore à peine explorées mais qui ajoute à celle des autres matériaux de nouveaux espoirs dans les domaines de l'électronique ou de la photonique. Comment ne pas comprendre l'enthousiasme des physiciennes et physiciens, jeunes pour la plupart, engagés dans ces recherches.
Mais comment également ne pas partager les inquiétudes de celles et ceux qui voient ces produits utilisés dans des applications, au mieux inutiles, au pire dangereuses. Car la particularité des fibres et nanoparticules, l'amiante nous l'a appris, est de se concentrer dans les organes humains et d'y provoquer des dommages que seul le temps révèle.
"La recherche scientifique est désormais largement orientée en fonction des intérêts du système oligarchique, tandis que les institutions publiques de contrôle de l'activité technique ont été systématiquement affaiblies", constate Hervé Kempf, journaliste au Monde (Fin de l'Occident, naissance du monde, Seuil, 2013). "C'est ainsi que les applications d'un phénomène nouveau sont mises en œuvre avant même que ses lois soient bien comprises. Les technologies dites nouvelles sont introduites dans l'espace commun sans qu'en aient préalablement été pesés les risques et inconvénients. Et quand les choses tournent mal, ce qui est fréquent, comme dans le cas des organismes génétiquement modifiés ou de l'énergie nucléaire, la responsabilité du désastre est supportée par la collectivité et non par les opérateurs privés".
A la Sorbonne, Etienne Klein rappelait que, concernant les nanoparticules, "il y a eu un débat qui s’est déroulé dans 18 villes de France par des conférences publiques pendant une période assez longue de six mois". Mais il constatait que seulement 3000 personnes s'étaient déplacées et qu'il n'y avait eu que 30 000 clics sur le site web de la CNDP (la Commission nationale de débat public) donc un intérêt faible. "Ce qu’a montré ce débat également c’est que la technologie c’est l’impensé du politique" ajoutait-il, "puisque pendant ces six mois aucun parti politique ne s’est intéressé au débat".
Politique, le mot était lâché.
Un problème de démocratie.
"Nos politiques ne sont pas du tout à la hauteur de la démocratie qu’ils prétendent diriger" confirmait Jacques Testard, "et s’il n’y a pas plus de monde dans les fameux débats démocratiques c’est simplement que les gens savent bien que cela ne mène à rien. C’est à dire que les jeux sont faits avant qu’on lance le débat". Et le biologiste de rappeler le débat sur la centrale nucléaire EPR de Flamanville en 2006. Alors que le débat était à peine lancé, le Premier ministre Dominique de Villepin annonçait : "étant donnée les avancées du débat public en cours, nous allons construire EPR à Flamanville". Cela montre "comment nos politiques prennent au sérieux des débats qu’ils ont eux-mêmes suscités", concluait Jacques Testard.
Un autre problème est souligné par Hervé Kempf : "les élites dirigeantes sont incultes. Formées en économie, en ingénierie, en politique, elles sont souvent ignorantes en science et quasi toujours dépourvues de la moindre notion d'écologie. Le réflexe habituel d'un individu qui manque de connaissances est de négliger voire de mépriser les questions qui relèvent d'une culture qui lui est étrangère, pour privilégier les questions où il est le plus compétent. Les élites agissent de la même manière. D'où, de leur part, une sous-estimation du problème écologique" (Comment les riches détruisent la planète, Seuil, 2007).
Incultes, ignorants en science… si désamour il y a, c'est visiblement vis-à-vis d'un système politique qui a oublié le sens du mot "démocratie".
Mais cette "inculture" est-elle uniquement celle de nos "élites" ? La façon d'enseigner les sciences n'est-elle pas, elle aussi, une des raisons du manque de culture scientifique de notre société en général ?
Cultiver les sciences.
En mars 2002, était publié un rapport sur la "Désaffection des étudiants pour les études scientifiques". Présenté par un ancien président de l'Académie des sciences, il répondait à une demande du ministère de l'Education Nationale et synthétisait les contributions de sommités du monde des sciences et de l'éducation.
Le constat n'était pas nouveau et avait déjà alimenté de nombreux débats : depuis plusieurs années les lycéens et étudiants boudaient les disciplines scientifiques et particulièrement la physique et la chimie. Diagnostic : enseignements qui mériteraient d'être "rendus plus attrayants" car consistant "trop souvent en un "pensum" pour les élèves", fossé culturel entre sciences humaines et sciences "dures". La difficulté des études et la "faible attractivité des carrières scientifiques en terme de salaires" est aussi notée. Mais on n'oublie pas la mauvaise image des sciences répandue dans la population :
"la Science et la Technologie sont présentées dans les médias, et surtout dans la presse, essentiellement comme étant la source de problèmes : on ne parle que rarement de la première pour montrer que son rôle est toujours nécessaire pour révéler et comprendre ces problèmes, ni de la seconde pour dire qu'elle seule peut apporter des solutions, lesquelles sont ensuite mises en œuvre, ou ne le sont pas…"
Les rédacteurs du rapport croyaient-ils vraiment réhabiliter la science et la technologie en affirmant qu'elles ont pour rôle de révéler et corriger les problèmes qu'elles avaient elles-mêmes créés ?
"On oublie, se défendaient-ils, qu'Internet ou le téléphone portable sont des conséquences du travail de physiciens, et les immenses succès de la science finissent par créer une sorte de saturation de l'émerveillement – tout en laissant subsister l'inquiétude, p. ex. devant l'absence d'une preuve absolue (évidemment impossible à obtenir) que le téléphone portable ne donne pas de tumeurs cérébrales…"
Présenter internet et le téléphone portable comme un "immense succès de la science" n'est-ce pas justement la meilleure façon de dénaturer les sciences et particulièrement la physique. Qu'y a-t-il de science dans le téléphone portable et qu'y a-t-il d'anti-science dans les inquiétudes des personnes habitant à proximité des antennes relais qui se multiplient ?
Les rédacteurs du rapport sont plus judicieux quand ils rappellent que, parmi les atouts méritant d'être mieux exploités, il y a le fait que "la pratique de la science est une activité ludique par excellence" même s'ils constatent que "malheureusement, ceci ne se révèle que tard…"
Et justement, là est le problème. Pourquoi faudrait-il accepter que le côté ludique des sciences ne se révèle que tard, c'est-à-dire trop tard ?
Et surtout croit-on vraiment répondre au problème en appliquant la proposition n°7 de la liste des 18 actions envisagées :
"dans le domaine de l'action dans les médias, étudier la possibilité d'une série de courts clips sur le thème du caractère ludique de la science : "La Science, c'est fun", ou "La Science, c'est le pied"…"
Fort heureusement, des émissions de "culture scientifique", attractives tout en étant sérieuses, existent déjà dans les programmes radiophoniques et télévisés. Il existe également de nombreuses collections et revues de culture scientifique de bonne qualité qui ont la faveur des lecteurs. Les musées des sciences sont de plus en plus " didactiques" tout en renforçant leur approche "ludique". Le Palais de la Découverte, à Paris, est un ancêtre qui n'a pas pris de rides. Des figures de "savants" s'illustrent avec éclats et alimentent un discours qui fait encore rêver de suivre leurs traces, du médiatique Hubert Reeves qui nous fait voyager à travers les étoiles jusqu'à Serge Haroche, récent prix Nobel, qui nous invite à découvrir les mystères du plus profond de la matière. Certains médias et "médiateurs" savent faire aimer la science.
Le problème est le fossé qui se creuse de plus en plus entre cette image brillante et l'ennui qui se distille trop souvent dans les cours de sciences, au lycée comme à la faculté.
Il ne saurait être question d'analyser ici les multiples causes de cette désaffection. Pour ce qui est de la physique et de la chimie, en classes scientifiques, on peut au moins noter la modification incessante des programmes. Chaque nouvelle génération d'inspecteurs généraux et chaque nouveau ministre de l'éducation, semblant vouloir apporter sa touche de "fun" au programme précédent, il en résulte un édifice incohérent que les enseignants de base ont bien du mal à faire tenir debout. Noter aussi le "bachotage" renforcé par cette mode stupide, lancée par les médias et reprise par les ministères de l'éducation, qui consiste à noter les lycées en fonction de leur pourcentage de reçus au baccalauréat. Au-dessous de 90% l'établissement est cloué au pilori. Pour y parvenir, dans les classes scientifiques, la méthode est simple : éliminer de l'enseignement tout ce qui n'est pas directement lié à la résolution d'exercices. Comment aimer les sciences avec un tel régime ?
Noter aussi, dans une société où chacun reconnaît la place essentielle prise par les sciences et les techniques, la nocivité de la frontière qui sépare l'enseignement "purement littéraire" de l'enseignement "purement scientifique". Pourquoi faut-il absolument priver les littéraires de sciences et les scientifiques de littérature ?
Rapide plaidoyer pour l'histoire des sciences.
La littérature scientifique ne pourrait-elle pas être un moyen d'amener les "littéraires" aux sciences et les "scientifiques" aux lettres ?
En 1926, Paul Langevin, publiait un texte sur "La valeur éducative de l'Histoire des sciences". Critiquant le dogmatisme et le conservatisme des manuels qu'il traitait "d'admirables catéchismes de science expérimentale" il leur opposait le style alerte des mémoires originaux.
Combien la remarque était juste. Se contenter d'un exposé magistral au sujet d'un scientifique des siècles passés, ou sur une expérience ancienne, peut ne servir à rien d'autre qu'à encombrer encore un peu plus un cours qui ne l'est déjà souvent que trop.
Prendre le temps de feuilleter un ouvrage vieux d'un ou deux siècles, lire de la science dans une prose ancienne, reproduire si possible les manipulations décrites, ont une toute autre dimension.
Où trouver ces ouvrages ? On ne sait pas assez que nombre de bibliothèques municipales, y compris de petites villes, ont dans leurs réserves des ouvrages du 18ème siècle arrachés par les révolutionnaires aux châteaux et aux monastères. Moins rares encore sont les revues scientifiques comme La Nature, l'Année scientifique, les Causeries scientifiques… auxquelles étaient abonnées les bibliothèques des municipalités des petites villes industrielles du 19ème siècle. Les rechercher est déjà une première démarche mais aujourd'hui ont les trouve largement numérisées et accessibles sur internet. Mention spéciale pour le site du Conservatoire des Arts et Métiers (http://cnum.cnam.fr/), celui de l'Académie des Sciences (http://www.academie-sciences.fr/) où ceux spécialisés sur Ampère (www.ampere.cnrs.fr) ou Lavoisier (www.cnrs.fr/lavoisier).
Nous ne prétendrons pas ici proposer, avec l'histoire des sciences et la littérature scientifique, "le" remède au désamour dont souffre l'enseignement scientifique, d'autant plus que cette désaffection a essentiellement des causes extérieures à l'enseignement. Mais qui pourrait nous reprocher d'en avoir évoqué l'intérêt en conclusion d'un livre qui a eu pour point de départ une histoire, celle du dioxyde de carbone.
Puisque nous avons évoqué internet, nous pouvons aussi noter à quel point cet outil offre une possibilité de "recyclage", voire même de formation initiale, pour celles et ceux qui, mesurant la force et l'intérêt des sciences, ne veulent pas en laisser l'usage aux seuls technocrates.
Les sciences remède à la technocratie ?
Si les sciences sont une espèce menacée, il semble qu'elles aient trouvé refuge dans la niche écologique constituée par les associations que l'on peut regrouper sous le terme "d'associations de protection de l'environnement" ou "d'associations écologistes". Chaque région en compte plusieurs dont la qualité scientifique ne peut, pour la plupart, être mise en doute. Il est même courant que des services publics leur sous-traite des études scientifiques "de terrain". La pratique s'est à ce point généralisée que le rapport de 2002 sur la "Désaffection des étudiants pour les études scientifiques" souhaite explicitement les enrôler dans le dispositif de revalorisation de l'enseignement scientifique officiel.
"Création sur la Toile d'un portail attrayant réservé aux sites de culture scientifique et technique, aux activités des Musées et des Clubs Scientifiques, Cafés des Sciences et associations de ce domaine, des Cafés des Sciences Juniors traitant pour les lycéens de sujets du type "Sciences et Citoyens", des sites étrangers voisins (notamment des sites francophones), des Expo-Sciences, etc".
Si ces associations occupent un terrain didactique abandonné par l'éducation nationale, beaucoup d'entre elles, et en particulier les plus importantes, se sont créées par la nécessité d'opposer un discours scientifique à une atteinte locale ou généralisée à leur environnement naturel ou humain. Elles peuvent être animées par des scientifiques professionnels, enseignants, chercheurs… mais le plus souvent par des autodidactes dont le bagage scientifique met à mal bien des "experts" officiels. Elles créent leurs "laboratoires indépendants" employant des ingénieurs et techniciens dotés des diplômes délivrés par l'Université. Elles ont leurs propres juristes qui se sont souvent formés au travers de luttes de terrain. Elles savent rechercher sur internet les sources fiables et échanger avec d'autres leurs propres productions.
C'est la Criirad (Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité), et non pas un service de l'Etat, qui a informé les populations concernées de la nature et des risques des retombées radioactives après Tchernobyl et qui aide les ONG japonaises à s'équiper après la catastrophe de Fukushima. Le Criigen (Comité de Recherche et d'Information Indépendantes sur le Génie génétique) s'est créé sur le même principe.
Ces associations ont une caractéristique commune : elles ne rejettent pas les sciences. Bien au contraire la plupart de leurs animatrices et animateurs affichent leur amour des sciences. C'est par l'enrichissement de leur réflexion scientifique qu'elles entendent combattre les choix technocratiques qu'on leur impose.
Noter aussi que ce sont les associations qui soutiennent ces lanceurs d'alerte qui, issus du monde scientifique, sont trop souvent dénigrés par leur milieu d'origine. Exemple : ce sont essentiellement les associations qui popularisent les conclusions et propositions des scientifiques regroupés dans le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) alors que d'autres "scientifiques" font valoir leurs titres académiques pour les combattre. Supprimer ?
"Une autre science est possible ! " est le titre d'un récent ouvrage de la philosophe des sciences, Isabelle Stengers. Elle y plaide pour une pour "une intelligence publique de la science" qui passerait par la collaboration entre "spécialistes" et "connaisseurs" et pour une culture scientifique "active" :
"une culture active implique la production conjointe de spécialistes et de connaisseurs avertis, capables d'évaluer le genre d'information qu'on leur donne, d'en discuter la pertinence, de faire la différence entre simple propagande et pari risqué.
L'existence de tels connaisseurs, ou amateurs, constitue pour les spécialistes un milieu exigeant, qui les contraint à entretenir avec ce qu'ils proposent un rapport "cultivé" – ils savent le danger de passer sous silence les points faibles, car ceux et celles à qui ils s'adressent feront attention aussi bien à ce qui est affirmé qu'à ce qui est négligé ou omis".
Les germes de la "science civilisée", pour laquelle plaide Isabelle Stengers, sont peut-être déjà en œuvre dans ces groupes de scientifiques critiques et dans ces associations.
Les germes de la "science civilisée", pour laquelle plaide Isabelle Stengers, sont peut-être déjà en œuvre dans cette convergence entre scientifiques critiques et "connaisseurs" associatifs.
Les grandes questions environnementales aujourd'hui sont celles de l'énergie, de l'eau, du changement climatique et de la biodiversité.
La biodiversité est née dans l'océan ancestral, bâtie sur la chimie pré-biotique issue d'une géo-diversité antérieure, vers 3850 millions d'années (Ma), quand les premières cellules se sont clonées par scissiparité. La vie s'est ensuite diversifiée dans l'océan durant des milliards et des centaines de millions d'années et se sont alors produits des évènements essentiels pour le vivant : l'émergence de la cellule eucaryote, la capture de bactéries qui deviendront les organites par symbiose (mitochondries et plastes), la pluri-cellularité et, enfin, le développement de la sexualité. Tout est en place quand la vie métazoaire organisée sort des océans vers 450 Ma. La biodiversité (arthropodes) explose sur les continents dans les forêts du Carbonifère et se répand partout, les espèces s'organisent en populations, écosystèmes, biomes... Depuis 570 Ma, il a été mis en évidence une soixantaine de « crises d'extinction », dont cinq particulièrement prépondérantes, la plus aigüe s'étant déroulée vers 251 Ma, entre Permien et Trias (charnière paléozoïque/mésozoïque), durant laquelle 96 % des grandes espèces se sont éteintes.
La biodiversité est bien autre chose que les seuls catalogues ou inventaires d'espèces qui ont été élaborés depuis quelques siècles, à partir de grandes expéditions ou de travaux sur de longues périodes sur le terrain. Elle est en fait l'ensemble des relations établies entre les êtres vivants et avec leur environnement. C'est tout simplement la fraction vivante de la nature !
Actuellement, la biodiversité est menacée par quatre grands phénomènes dans lesquels l'humanité a bien sa part : la destruction et la contamination des milieux naturels, la prédation en excès et la surexploitation des ressources naturelles, les introductions anarchiques d'espèces d'un milieu à un autre et, enfin, le réchauffement climatique. Après la conquête du feu (vers 800 000 ans), la fin du nomadisme au Néolithique (12-8000 ans) associée au développement de l'agriculture et de l'élevage et, plus tard, l'invention de la machine à vapeur (fin XVIIIe), l'humain a été de plus en plus impactant sur les milieux naturels et les a profondément transformés. En réalité, nous ne faisons aujourd'hui que prolonger et accélérer ce mouvement, amplifié par la démographie et l'idée délétère « d'asservissement » de la nature.
En trois-quatre siècles, l'humanité aura épuisé la totalité des ressources combustibles fossiles accumulées durant des centaines de millions d'années et, aujourd'hui, les espèces vivantes disparaissent de la planète à un rythme de 100 à 300 fois supérieur au taux d'extinction « naturel » attendu. Ceci a amené certains à se demander si l'humain n'était pas en train de mettre en place les conditions d'une sixième crise massive d'extinction ! Nous sommes confrontés à des prévisions de plus en plus précises d'un épuisement des ressources finies, dans le monde fini qui est le nôtre. Seules les ressources vivantes sont renouvelables mais, bien souvent, l'humain les surexploite et dépasse alors les « seuils de renouvelabilité ».
Les écosystèmes les plus riches en espèces sont, sur les continents, les forêts tropicales humides et, dans les océans, les récifs coralliens. Aujourd'hui, nous connaissons un peu plus de deux millions d'espèces (1,7 million d'espèces terrestres et 300 000 espèces marines), décrites et déposées dans les musées. Il en demeure plus de 80 % à découvrir.
Depuis 2007, l'humanité vit majoritairement dans les cités et, à l'heure actuelle, nous nous intéressons tout particulièrement au retour de la biodiversité en ville. Pourquoi faut-il impérativement enrayer cette érosion de la diversité biologique ? Tout simplement parce que nous ne pouvons pas nous en passer, nous en sommes constitués et la côtoyons en permanence ! Les services qu'elle nous rend sont incontournables. En 2002, à Johannesburg, les Nations Unies avaient fixé l'année 2010 pour l'arrêt de cette érosion. Pourtant, lors de la conférence d'introduction de l'année dédiée à la biodiversité à l'Unesco à Paris en janvier 2010, nous avons collectivement constaté que nous avions échoué. Nous avons alors décidé de repousser l'échéance à 2020 et de consacrer la décennie 2010-2020 au sauvetage de la biodiversité.
Mais pourquoi réussirions-nous mieux entre 2010 et 2020 quelque chose que nous avons été incapables d'organiser entre 2002 et 2010 ? Projet réaliste ou rêve insensé ? C'est une question que nous nous étions déjà posée lors du premier colloque du Collège de France à l'étranger, à Bruxelles, en 2006. Dans ce cadre, l'apport des sciences participatives est très substantiel, tant pour fournir des données aux chercheurs qui ne peuvent être présents partout et tout le temps, que pour responsabiliser grand public et « amateurs » et, collectivement, faire pression sur les acteurs d'un développement insoutenable.
De par les changements de tous ordres qu'il déclenche depuis deux siècles et en accélération croissante, l'humain crée certainement, en ce moment même, des conditions favorables à l'apparition d'espèces, mais, au fur et à mesure, il détruit également les écosystèmes. Le résultat risque d'être bien consternant. L'humain, avec son cortège d'activités, ses plantes et ses animaux domestiques, est devenu la plus puissante force évolutive s'exerçant sur la nature. Nous sommes entrés dans l'anthropocène. Nous réfléchissons aux limites d'adaptabilité des écosystèmes et de l'humain.
Pourra-t-il tout simplement s'adapter à lui-même ? Le capital naturel ne peut indéfiniment être appauvri et nous ne pouvons pas nous passer des services rendus par les écosystèmes. En estimant les vitesses d'évolution, en tentant de prédire les trajectoires possibles et en planifiant les mécanismes à l'avance, nous pourrions sans doute fortement réduire notre impact sur les espèces et les écosystèmes et sérieusement améliorer les coûts économiques et sociaux de nos activités sur la nature. Une prise de conscience généralisée est en cours mais le changement de nos habitudes suivra-t-il un rythme au moins aussi rapide que celui des changements environnementaux de tous ordres que nous déclenchons autour de nous ?
Ce n'est pas sûr. Saurons-nous pleinement justifier, et enfin mériter, au cours de ce XXIe siècle, ce terme de sapiens dont nous nous sommes affublés ?
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Signe du temps : "en trois-quart de siècle l'humanité aura épuisé la totalité des ressources combustibles fossiles accumulées durant des centaines de millions d'années" nous dit très justement Gilles Boeuf qui par ailleurs considère que la "surexploitation des ressources naturelles" est une des menaces majeures à l'encontre de la biodiversité. C'est pourtant l'entreprise pétrolière Total qui sponsorise cette présentation !
Pendant ce temps ce sont les associations de protection de l'environnement qui se mobilisent pour l'arrêt des forages pétroliers en eau profonde projetés par cette entreprise.
Le mardi 10 novembre 2015, dans les locaux de l’université de Rennes 1 à Beaulieu, s’est déroulé un événement exceptionnel :
La reconstitution de la manipulation des époux Curie, faite en 1898, permettant de « voir la radioactivité ».
Les petits-enfants Curie, Hélène Langevin-Joliot et Pierre Joliot, ont marqué, par leur présence et par leurs chaleureuses prises de parole, l’intérêt de cette reconstitution, intérêt tant historique que scientifique.
L’un des appareils utilisés ( conçu par Pierre Curie) fut acheté en 1900 par la faculté des sciences de Rennes, place Pasteur… ce qui montre que Rennes suivait de près la science en évolution.
L’ensemble de ces instruments sont des pièces remarquables des collections scientifiques de Beaulieu.
Ils ont été patiemment remis en état de fonctionnement par Dominique Bernard, Julie Priser, aidés de manière déterminante par Bernard Pipelet, talentueux restaurateur d’instruments scientifiques.
Florence Riou a saisi les moments clés de cette démonstration et, dans un magnifique montage, nous la fait revivre en la situant bien dans l’histoire des connaissances de la radioactivité. Pour cela elle utilise des photos des fonds Musée Curie et association Joliot-Curie.
L'association "Rennes en Sciences, Place Pasteur" qui a été à l'origine de cette reconstitution milite pour le développement de la culture scientifique et technique dans sa ville et en particulier pour la création d'un musée des sciences dans les locaux de l'ancienne faculté des sciences, Place Pasteur.
CO2, Elixir ou poison ? Telle est la question à laquelle j'ai tenté de répondre dans "L'histoire du Carbone et du CO2", le livre que j'ai publié chez Vuibert.
J'y notais que la diabolisation actuelle du dioxyde de carbone, ennemi numéro un du climat, n'est qu'un élément d'une question plus générale : faut-il avoir peur de la chimie ? (titre du livre de Bernadette Bensaude-Vincent, Seuil, 2005). Ou plus généralement, faut-il avoir peur des sciences ?
Question douloureuse pour qui a la passion des sciences, de leur histoire, de la soif de connaître mais aussi de rêver qu'elles alimentent, de la façon dont elles contribuent à libérer les humains des vieilles peurs et des vieilles douleurs. Et pourtant la question est d'une brûlante actualité : les "sciences" font peur.
Un débat à la Sorbonne.
En mars 2013, s'est tenue à la Sorbonne une table ronde retransmise, par France-Culture, dans le cadre de l'émission "Science publique". Son thème : "La science est-elle le problème ou la solution ? ".
Michel Alberganti, l'animateur, rappelait le contexte :
"Nous n’aurions pas eu l’idée de débattre d’un tel sujet il y a cent ans, ni même, sans doute, 50 ans, ni, peut-être, 30 ans. Mais en 1986, il y a 27 ans, s’est produite la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Et c’est peut-être à ce moment, plus encore qu’après la bombe atomique, que le doute a commencé à s’installer. Pour la première fois, une activité civile fondée sur la science et la technologie engendrait un drame humain de très grande ampleur.Avant même cet événement traumatisant, René Dumont avait plaidé en faveur des thèses qui allaient fonder le mouvement écologiste ".
Débattre de la science et de la vie il y a cent ans ?
Ayons la curiosité d'y aller voir. C'est justement il y a cent ans, le 1er avril 2013, que paraissait le premier numéro d'une revue promise à un long succès : "La Science et la Vie", devenu "Science et Vie".
Côté "Vie", on pouvait y lire un article sur "Les grands chirurgiens français d'aujourd'hui" ou encore, et déjà, un article sur "La répression des fraudes alimentaire". Mais, dès les premières pages de la revue le lecteur était invité à suivre "La naissance, la vie et la mort d'un canon". La couverture de la revue représentait d'ailleurs l'usinage de ce fameux canon, avec, au premier plan, un officier, sabre au côté, surveillant l'opération.
Poursuivant leur lecture jusqu'aux dernières pages, un lecteur ou une lectrice, pouvaient y lire un article de Gabriel Lippmann, prix Nobel de Physique en 1908. Celui-ci, sous le titre "La science et la vie", entendait montrer comment "la science joue dans notre vie un rôle immense" et à quel point "elle fait essentiellement partie de notre avenir comme de notre passé".
L'invention de la roue, du bateau, de l'imprimerie, ont, écrivait-il, "créé l'époque moderne". Mais il y ajoutait la poudre :
"Car il n'est pas jusqu'à l'artillerie qui ne soit un instrument de progrès, j'allais dire de paix et de progrès, à condition qu'elle soit de plus en plus savante".
Le discours était dans l'esprit du temps : la science devait être au service de la guerre et la guerre au service de l'industrie, du commerce… et de la science ! La démonstration qu'en faisait Lippmann mérite qu'on y jette un coup d'œil.
"Le boulet rond et le canon de bois, écrivait-il, ont suffit pour détruire le morcellement féodal et donner l'essor aux grandes nations. Aujourd'hui nous sommes plus avancés : nous avons une technique si perfectionnée que pour en tirer parti et surtout pour les perfectionner davantage, ce qui devient pour chacun une nécessité, il faut à chaque pays une foule de soldats suffisamment intelligents, d'officiers instruits, et par conséquent de corps savants et des écoles de haut enseignement bien organisées.
De plus, tout cela coûte horriblement cher, même en temps de paix. Aussi faut-il, pour porter le fardeau croissant des milliards, des revenus considérables ; c'est-à-dire une forte industrie ; c'est-à-dire un grand nombre d'industriels éclairés, de commerçants qui comprennent leur siècle ; il faut, en un mot, une classe bourgeoise cultivée".
Oui la science était alors la solution : celle dont avaient besoin les capitalismes européens en lutte pour leur hégémonie. A ce texte effarant d'un "savant", mettant la science au service du massacre qui allait, dans peu de temps, engloutir des millions d'hommes, il faut opposer le "discours à la jeunesse" de Jaurès, lu le 10 juillet 1903 devant les élèves du lycée d'Albi et la célèbre phrase :
"L’humanité est maudite, si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer éternellement".
Un texte dont l'actualité ne peut nous échapper :
"Quoi donc ? La paix nous fuira-t-elle toujours ? [.] J’ose dire, avec des millions d’hommes, que maintenant la grande paix humaine est possible, et si nous le voulons, elle est prochaine. Des forces neuves y travaillent : la démocratie, la science méthodique, l’universel prolétariat solidaire.
La guerre devient plus difficile, parce qu’avec les gouvernements libres des démocraties modernes, elle devient à la fois le péril de tous par le service universel, le crime de tous par le suffrage universel.
La guerre devient plus difficile parce que la science enveloppe tous les peuples dans un réseau multiplié, dans un tissu plus serré tous les jours de relations, d’échanges, de conventions ; et si le premier effet des découvertes qui abolissent les distances est parfois d’aggraver les froissements, elles créent à la longue une solidarité, une familiarité humaine qui font de la guerre un attentat monstrueux et une sorte de suicide collectif".
Dans le siècle qui allait suivre c'est, hélas, le sombre tableau dressé par Lippmann qui allait s'imposer.
Débattre il y a cinquante ans ?
En 1960 la première bombe atomique française explosait à Reggane, dans le Sahara algérien. Quinze ans plus tôt, le 18 octobre 1945, le général de Gaulle avait signé le décret de création du Commissariat à l'Energie Atomique, le CEA. C'était trois mois après l'explosion des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. La presse avait alors titré sur une victoire de la science, et de la science française en particulier. "L'Amérique vient de révéler au monde une découverte scientifique qui est bien la plus sensationnelle du siècle", annonçait L'Humanité du 8 août 1945.
"La libération de l'énergie atomique, problème sur lequel se penchaient dès avant la guerre les physiciens les plus éminents de tous les pays, vient d'être réalisée. Son emploi dans la guerre contre le japon, sous la forme d'une bombe dont la puissance est terrifiante, montre bien que cette découverte change la face de la guerre moderne. Elle peut aussi, dans peu d'années, changer la face économique du monde. Il convient aujourd'hui d'expliquer aussi clairement que possible ce qu'est cette énergie, d'où elle provient, et de situer la part qu'ont prise les savants français, et en particulier Frédéric Joliot-Curie, dans les travaux et lesrecherches qui ont permis cette conquête monumentale de l'homme".
Comme Jaurès en 1905, il fallait un Albert Camus pour sauver l'honneur des intellectuels français.
"Le monde est ce qu'il est, c'est-à-dire peu de chose. C'est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d'information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique", écrivait-il dans l'éditorial du journal Combat de ce même 8 août 1945.
"On nous apprend, en effet, au milieu d'une foule de commentaires enthousiastes que n'importe quelle ville d'importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d'un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l'avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.
En attendant, il est permis de penser qu'il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d'abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l'homme ait fait preuve depuis des siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d'aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d'idéalisme impénitent, ne songera à s'en étonner".
Oui, c'était bien la science qui s'était consacrée au meurtre organisé. Les promoteurs du projet Manhattan étaient bien des "savants", des "Prix Nobel".
Aujourd'hui, tout enseignant qui initie ses élèves aux mystères du noyau atomique, qui explique les phénomènes naturels que sont la radioactivité, la fission et la fusion nucléaire, ne peut chasser de son esprit le fait que la première apparition publique de la science nucléaire a été la mort immédiate et la souffrance prolongée de centaines de milliers de personnes.
Pourtant l'aventure de la découverte de la radioactivité mérite d'être enseignée : l'intuition de Becquerel étudiant la phosphorescence de l'uranium, la volonté et l'énergie de Marie Curie découvrant le Polonium puis le Radium, l'enthousiasme de Rutherford, de Bohr et de tous les physiciens qui ont éclairé la structure de l'atome, la pensée révolutionnaire de Einstein établissant le lien entre masse et énergie...
C'est encore cette histoire qui nous éclaire sur la nature de l'Univers. Le big-bang, la formation des galaxies, des étoiles, des atomes… Toute cette science qui nous a appris, suivant une expression devenue célèbre, que nous sommes des "poussières d'étoiles", commence avec la découverte, il y a à peine plus d'un siècle, de la radioactivité et des phénomènes nucléaires.
Cette science qui vient de nous livrer une "photographie" de l'Univers 380 000 ans après sa naissance nous fait rêver en même temps qu'elle nous invite à mesurer la fragilité de notre existence.
Plus près de nous : le soleil dont la lumière est l'autre source de la vie terrestre. C'est encore la physique nucléaire qui nous explique la libération d'énergie provoquée par les phénomènes de "fusion" au cœur de notre étoile. Mais comment en parler sans évoquer la folie humaine qui, en utilisant le même principe, a construit et disséminé les milliers de bombes dont une seule peut, en un instant, déclencher le cataclysme qui anéantira l'essentiel de la vie terrestre ?
Peut-on faire oublier le danger en affirmant que le nucléaire c'est aussi une énergie pour la paix.
Qui peut être dupe ? Les premières "piles atomiques" ont été construites pour produire les éléments nécessaires aux bombes. Les premiers "réacteurs nucléaires" ont équipé des sous-marins qui n'avaient rien de pacifiques. Les pays qui ont mis en place un programme de centrales électriques nucléaires sont aussi ceux qui avaient pour objectif premier le fabrication de bombes. Ceux qui cherchent à le faire aujourd'hui veulent surtout entrer dans le club fermé des "grands", ceux qui disposent de la menace nucléaire.
Atome pour la paix, nous disait-on. Atome sans danger, voulait-on nous faire croire. Et il y a eu Three Mile Island en 1979, Tchernobyl en en 1986, Fukushima en 2011. Alors oui, il est temps après un si long silence, que des amoureux des sciences, que des scientifiques disent stop !
A l'évidence les temps ont changé et il faut reconnaître que les scientifiques présents à la tribune du colloque de la Sorbonne le prouvaient en exprimant avec force ces "vérités qui dérangent".
Lanceurs d'alerte.
On y a parlé organisme génétiquement modifiés.
Le biologiste Jacques Testard y montrait que le problème n'avait rien de "scientifique" et que bien au contraire la démarche était clairement une "usurpation de la science" : "si on avait demandé à Darwin : "qu’est-ce que vous pensez de l’idée de fabriquer une plante qui va fabriquer son insecticide et donc détruire les insectes". Il aurait dit : "mais c’est stupide. En trois ou quatre ans les insectes auront muté et votre plante ne servira plus à rien. Il faudra en faire une autre et comme il vous faut dix à douze ans pour la fabriquer vous aurez toujours du retard sur la réalité". Donc on n’est pas dans la science."
Ailleurs, en Bretagne, des scientifiques lancent d'autres alertes. "OGM et Roundup danger ou pas ?" est le titre d'un article du journal Le Télégramme du 26 février 2013. On y annonce une conférence du professeur Robert Bellé, du laboratoire CNRS de Roscoff. Il avait été, dès 2002, le premier à publier dans la revue Nature, les résultats de son étude sur "la toxicité, à faible dose, des produits à base de Roundup".
Le Roundup est massivement utilisé dans la région depuis l'interdiction, en 2003, de l'atrazine. Il colore les champs en jaune-orangé au début du printemps. Il se concentre dans les eaux des rivières mais surtout il imprègne l'air pendant les périodes d'épandage. Le professeur Bellé et son équipe on montré que cet herbicide perturbait à très faible dose, le développement des cellules et était donc un facteur potentiel de cancers et de malformations génitales.
Dans la région, on parle également de l'atrazine. Cet herbicide reconnu cancérigène, mutagène et tératogène (provoquant mutations et malformations génétiques), a bien été interdit depuis 2003, mais, faiblement biodégradable, on le trouve encore dans l'air et dans l'eau des rivières. Une équipe de l'INSERM de Rennes (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a commencé à en traquer les effet, en Bretagne, chez les femmes enceintes, les nourrissons et les jeunes enfants. Les premiers résultats sont déjà alarmants.
"Pesticides durant la grossesse, bébé trinque", titrait le journal Ouest-France en décembre 2009. Les premiers résultats de l'étude avaient été publiés. Chez 95 % des 600 femmes testées, on retrouvait des traces d'insecticide organophosphorés; chez 30 à 40 %, des traces d'herbicides de la famille de l'atrazine, utilisés dans la culture du maïs, interdite depuis 2003, mais toujours présents dans l'environnement et l'eau. Quel est l'impact sur la grossesse ? L'étude montrait que, même à des niveaux faibles, la présence de triazines (famille de l'atrazine) "augmentait les risques d'anomalie de croissance dans l'utérus, avec un faible poids de naissance, qui pouvait être un handicap pour le développement du bébé, et un périmètre crânien plus petit, ce qui n'est pas bon pour le système nerveux central".
Retour à la Sorbonne : on y a parlé effet de serre.
La recherche et à l'exploitation des gaz de schiste est le débat du moment. "Ce que je n’aime pas dans les gaz de schiste c’est l’idée que si on les exploite on ne va plus se poser la question de la fin des énergies fossiles puisque le terme annoncé va être reculé non pas de 15 ou 20 ans mais de beaucoup plus" déclarait Etienne Klein, physicien au CEA, "du coup on va envoyer dans l’atmosphère tout le carbone que contient la croûte terrestre. Vous parliez du réchauffement climatique, voilà à mon avis un mauvais exemple de démocratie. Alors que les scientifiques après 40 années de recherches se mettent d’accord, on crée artificiellement une controverse qui permet de justifier un débat et d’entendre sur les ondes et à la télévision toutes sortes de choses qui permettent de ne pas croire ce que nous savons".
"Ne pas croire ce que nous savons" est devenu une des attitudes les plus caractéristiques de notre époque et d'habiles manipulateurs, armés d'un discours d'allure scientifique s'emploient à semer le doute.
On y a parlé nanotechnologie.
Le sujet nous ramène au carbone. La fibre de carbone est la première à avoir révélé ses extraordinaires propriétés. Associée à des résines dans des matériaux composite elle combine légèreté et résistance. Des cannes à pêche jusqu'aux navettes spatiales ses applications se sont multipliées. Plus étranges encore les fullerènes, ces très esthétiques sphères composées d'atomes de carbone. Le premier connu est composé de 20 atomes associés en 12 pentagones et de 20 hexagones. Sa figure ressemblant aux structures géodésiques de l'architecte Fuller, il en a hérité le nom de "fullerène" ou encore celui, plus populaire de "footballène" par analogie avec le ballon de football. Dans la même catégorie on peut ranger les nanotubes et récemment le graphène, couche monoatomique de carbone aux propriétés encore à peine explorées mais qui ajoute à celle des autres matériaux de nouveaux espoirs dans les domaines de l'électronique ou de la photonique. Comment ne pas comprendre l'enthousiasme des physiciennes et physiciens, jeunes pour la plupart, engagés dans ces recherches.
Mais comment également ne pas partager les inquiétudes de celles et ceux qui voient ces produits utilisés dans des applications, au mieux inutiles, au pire dangereuses. Car la particularité des fibres et nanoparticules, l'amiante nous l'a appris, est de se concentrer dans les organes humains et d'y provoquer des dommages que seul le temps révèle.
"La recherche scientifique est désormais largement orientée en fonction des intérêts du système oligarchique, tandis que les institutions publiques de contrôle de l'activité technique ont été systématiquement affaiblie", constate Hervé Kempf, journaliste au Monde (Fin de l'Occident, naissance du monde, Seuil, 2013). "C'est ainsi que les applications d'un phénomène nouveau sont mises en œuvre avant même que ses lois soient bien comprises. Les technologies dites nouvelles sont introduite dans l'espace commun sans qu'en aient préalablement été pesés les risques et inconvénients. Et quand les choses tournent mal, ce qui est fréquent, comme dans le cas des organismes génétiquement modifiés ou de l'énergie nucléaire, la responsabilité du désastre est supportée par la collectivité et non par les opérateurs privés".
Retour à la Sorbonne et sur les nanoparticules : "il y a eu un débat qui s’est déroulé dans 18 villes de France par des conférences publiques pendant une période assez longue de six mois" rappelait Etienne Klein. Mais il constatait que seulement 3000 personnes s'étaient déplacées et qu'il n'y avait eu que 30 000 clics sur le site web de la CNDP (la Commission nationale de débat public) donc un intérêt faible. "Ce qu’a montré ce débat également c’est que la technologie c’est l’impensé du politique" ajoutait-il, "puisque pendant ces six mois aucun parti politique ne s’est intéressé au débat".
Politique, le mot était lâché.
Un problème de démocratie.
"Nos politiques ne sont pas du tout à la hauteur de la démocratie qu’ils prétendent diriger" confirmait Jacques Testard, "et s’il n’y a pas plus de monde dans les fameux débats démocratiques c’est simplement que les gens savent bien que cela ne mène à rien. C’est à dire que les jeux sont faits avant qu’on lance le débat". Et le biologiste de rappeler le débat sur la centrale nucléaire EPR de Flamanville en 2006. Alors que le débat était à peine lancé, le premier ministre Dominique de Villepin annonçait : "étant donnée les avancées du débat public en cours, nous allons construire EPR à Flamanville". Cela montre "comment nos politiques prennent au sérieux des débats qu’ils ont eux-mêmes suscités", concluait Jacques Testard.
Plus sévère encore, Daniel Andler, mathématicien, professeur de philosophie des sciences et de théorie de la connaissance à l’université Paris-Sorbonne : "nous avons affaire à une classe politique "illiterate". Ils sont illettrés ces gens-là, ils ne travaillent pas. Ils n’étudient pas les dossiers. Le problème, ce n’est pas la science. Le problème c’est vraiment la politique" .
Un jugement que semble partager Hervé Kempf : "les élites dirigeantes sont incultes. Formées en économie, en ingénierie, en politique, elles sont souvent ignorantes en science et quasi toujours dépourvues de la moindre notion d'écologie. Le réflexe habituel d'un individu qui manque de connaissances est de négliger voire de mépriser les questions qui relèvent d'une culture qui lui est étrangère, pour privilégier les questions où il est le plus compétent. Les élites agissent de la même manière. D'où, de leur part, une sous-estimation du problème écologique" (Comment les riches détruisent la planète, Seuil, 2007).
Illettrés, incultes, ignorants en science… le jugement est sévère et si désamour il y a, c'est visiblement vis-à-vis d'un système qui a oublié le sens du mot "démocratie".
Mais cette "inculture" est-elle uniquement celle de nos "élites" ? La façon d'enseigner les sciences n'est-elle pas, elle aussi, une des raisons de l'inculture scientifique de notre société en général ?
Cultiver les sciences.
En mars 2002, était publié un rapport sur la "Désaffection des étudiants pour les études scientifiques". Présenté par un ancien président de l'Académie des sciences, il répondait à une demande du ministère de l'Education Nationale et synthétisait les contributions de sommités du monde des sciences et de l'éducation.
Le constat n'était pas nouveau et avait déjà alimenté de nombreux débats : depuis plusieurs années les lycéens et étudiants boudaient les disciplines scientifiques et particulièrement la physique et la chimie. Diagnostic : enseignements qui mériteraient d'être "rendus plus attrayants" car consistant "trop souvent en un "pensum" pour les élèves", fossé culturel entre sciences humaines et sciences "dures". La difficulté des études et la "faible attractivité des carrières scientifiques en terme de salaires" est aussi notée mais on n'oublie pas la "faute aux médias" :
"la Science et la Technologie sont présentées dans les médias, et surtout dans la presse, essentiellement comme étant la source de problèmes : on ne parle que rarement de la première pour montrer que son rôle est toujours nécessaire pour révéler et comprendre ces problèmes, ni de la seconde pour dire qu'elle seule peut apporter des solutions, lesquelles sont ensuite mises en oeuvre, ou ne le sont pas…"
Les rédacteurs du rapport croyaient-ils vraiment réhabiliter la science en affirmant qu'elle avait pour rôle pour révéler et comprendre les problèmes qu'elle avait elle-même créés ?
"On oublie, se défendaient-ils, qu'Internet ou le téléphone portable sont des conséquences du travail de physiciens, et les immenses succès de la science finissent par créer une sorte de saturation de l'émerveillement – tout en laissant subsister l'inquiétude, p. ex. devant l'absence d'une preuve absolue (évidemment impossible à obtenir) que le téléphone portable ne donne pas de tumeurs cérébrales…"
Présenter internet et le téléphone portable comme un "immense succès de la science" n'est-ce pas justement la meilleure façon de dénaturer la science et particulièrement la physique. Qu'y a-t-il de science dans le téléphone portable et qu'y a-t-il d'anti-science dans les inquiétudes des personnes habitant à proximité des antennes relai qui se multiplient ?
Les rédacteurs du rapport sont plus judicieux quand ils rappellent que parmi les atouts méritant d'être mieux exploités il y a le fait que "la pratique de la science est une activité ludique par excellence" même s'ils constatent que "malheureusement, ceci ne se révèle que tard…"
Et justement, là est le problème. Pourquoi faudrait-il accepter que le côté ludique des sciences ne se révèlent que tard ?
Et surtout croit-on vraiment répondre au problème en appliquant la proposition n°7 de la liste des 18 actions envisagées :
"dans le domaine de l'action dans les médias, étudier la possibilité d'une série de courts clips sur le thème du caractère ludique de la science : "La Science, c'est fun", ou "La Science, c'est le pied"…"
Les bonnes émissions de "culture scientifique" existent déjà dans les programmes radiophoniques et télévisés. Il existe de nombreuses revues de culture scientifique de bonne qualité qui ont la faveur des lecteurs. Les musées des sciences sont de plus en plus " didactiques" tout en renforçant leur approche "ludique". Le Palais de la Découverte, à Paris, est un ancêtre qui n'a pas pris de rides. Des figures de "savants" s'illustrent avec éclats et alimentent un discours qui fait encore rêver, du médiatique Hubert Reeves qui nous fait voyager à travers les étoiles jusqu'à Serge Haroche, récent prix Nobel, qui nous invite à découvrir les mystères du plus profonds de la matière. Certains médias savent faire aimer la science.
Le problème est le fossé qui se creuse de plus en plus entre cette image brillante et l'ennui qui se distille trop souvent dans les cours de sciences, au lycée comme à la faculté.
Il ne saurait être question d'analyser ici les multiples causes de cette désaffection. Pour ce qui est de la physique et de la chimie, en classes scientifiques, on peut au moins noter la modification incessante des programmes. Chaque nouvelle génération d'inspecteurs généraux et chaque nouveau ministre de l'éducation, semblant vouloir apporter sa touche de "fun" au programme précédent, il en résulte un édifice incohérent que les enseignants de base ont bien du mal à faire tenir debout. Noter aussi le "bachotage" renforcé par cette mode stupide, lancée par les médias et reprise par les ministères de l'éducation, qui consiste à noter les lycées en fonction de leur pourcentage de reçus au baccalauréat. Au dessous de 90% l'établissement est cloué au pilori. Pour y parvenir la méthode est simple : éliminer de l'enseignement tout ce qui n'est pas directement lié à la résolution d'exercices. Comment aimer les sciences avec un tel régime ?
Dans une société où chacun reconnaît la place essentielle prise par les sciences et les techniques, la nocivité de la frontière qui sépare l'enseignement "purement littéraire" de l'enseignement "purement scientifique". Pourquoi faut-il absolument priver les littéraires de sciences et les scientifiques de littérature ?
Rapide plaidoyer pour l'histoire des sciences.
La littérature scientifique ne pourrait-elle pas être un moyen d'amener les "littéraires" aux sciences et les "scientifiques" aux lettres ?
En 1926, Paul Langevin, publiait un texte sur "La valeur éducative de l'Histoire des sciences". Critiquant le dogmatisme et le conservatisme des manuels qu'il traitait "d'admirables catéchisme de sciences expérimentale" il leur opposait le style alerte des mémoires originaux. Combien la remarque était juste. Se contenter d'un exposé magistral sur un ancien scientifique ou sur une expérience ancienne peut ne servir à rien d'autre qu'à encombrer encore un peu plus un cours qui ne l'est déjà souvent que trop.
Prendre le temps de feuilleter un ouvrage vieux d'un ou deux siècles, lire de la science dans une prose ancienne, reproduire si possible les manipulations décrites, ont une tout autre dimension.
Où trouver ces ouvrages ? On ne sait pas assez que nombre de bibliothèques municipales, y compris de petites villes, ont dans leurs réserves des ouvrages du 18ème siècle arrachés par les révolutionnaires aux châteaux et aux monastères. Moins rares encore sont les revues scientifiques comme La Nature, l'Année scientifique, les Causeries scientifiques… auxquelles étaient abonnées les bibliothèques des municipalités des petites villes industrielles du 19ème siècle. Les rechercher est déjà une première démarche mais aujourd'hui ont les trouve largement numérisées et accessibles sur internet. Mention spéciale pour le site du Conservatoire des Arts et Métiers (http://cnum.cnam.fr/), celui de l'Académie des Sciences (http://www.academie-sciences.fr/) où ceux spécialisés sur Ampère (www.ampere.cnrs.fr) ou Lavoisier (www.cnrs.fr/lavoisier).
Nous ne prétendrons pas ici proposer, avec l'histoire des sciences, "le" remède au désamour dont souffre l'enseignement scientifique, d'autant plus que cette désaffection a essentiellement des causes extérieures à l'enseignement. Mais qui pourrait nous reprocher d'en avoir évoqué l'intérêt sur un site consacré à l'histoire des sciences.
Puisque nous avons évoqué internet, nous pouvons aussi noter à quel point cet outil offre une possibilité de "recyclage" pour celles et ceux qui, mesurant la force et l'intérêt des sciences, ne veulent pas en laisser l'usage aux seuls technocrates.
Les sciences remède à la technocratie ?
Si les sciences sont une espèce menacée, il semble qu'elles aient trouvé refuge dans la niche écologique constituée par les associations que l'on peut regrouper sous le terme "d'associations de protection de l'environnement" ou "d'associations écologistes". Chaque région en compte plusieurs dont on ne peut mettre en doute la qualité scientifique des expertises de la plupart. Il est même courant que des services publics leur sous-traite des études scientifiques "de terrain". La pratique s'est à ce point généralisée que le rapport de 2002 sur la "Désaffection des étudiants pour les études scientifiques" souhaite explicitement les enrôler dans son dispositif de revalorisation de l'enseignement scientifique officiel.
"Création sur la Toile d'un portail attrayant réservé aux sites de culture scientifique et technique, aux activités des Musées et des Clubs Scientifiques, Cafés des Sciences et associations de ce domaine, des Cafés des Sciences Juniors traitant pour les lycéens de sujets du type "Sciences et Citoyens", des sites étrangers voisins (notamment des sites francophones), des Expo-Sciences, etc.
Valorisation dans les établissements scolaires des activités des Ateliers de Science, par leur reconnaissance institutionnelle et par un soutien financier. Les établissements scolaires et universitaires devraient être le lieu normal d'exercice des activités des Clubs scientifiques, des Associations, etc. La circulaire du 21 mars 2001 donne à ce sujet des orientations précieuses. Dans le même ordre d'idées, l'implication directe et institutionnelle des établissements dans les activités de culture scientifique et technique organisées localement (Camps de vacances scientifiques, fêtes scientifiques, visites de Musées scientifiques, manifestations diverses) devrait être encouragée et favorisée."
Si ces associations occupent un terrain didactique abandonné par l'éducation nationale, beaucoup d'entre elles, et en particulier les plus importantes, se sont créées par la nécessité d'opposer un discours scientifique à une atteinte locale ou généralisée à leur environnement naturel ou humain. Elles peuvent être animées par des scientifiques professionnels, enseignants, chercheurs… mais le plus souvent par des autodidactes dont le bagage scientifique met à mal bien des "experts" officiels. Elles créent leurs "laboratoires indépendants" employant des ingénieurs et techniciens dotés des diplômes délivrés par l'Université. Elles ont leurs propres juristes qui se sont souvent formés au travers de luttes de terrain. Elles savent rechercher sur internet les sources fiables et échanger avec d'autres leurs propres productions.
C'est la Criirad (Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité), et non pas un service d'état, qui a informé les populations concernées de la nature et des risques des retombées radioactives après Tchernobyl et qui aide les ONG japonaises à s'équiper après la catastrophe de Fukushima. Le Criigen (Comité de Recherche et d'Information Indépendantes sur le Génie génétique) s'est créé sur le même principe.
Ces associations ont une caractéristique commune : elles ne rejettent pas les sciences. Bien au contraire la plupart de leurs animatrices et animateurs affichent leur amour des sciences. C'est par l'enrichissement de leur réflexion scientifique qu'elles entendent combattre les choix technocratiques qu'on leur impose.
Noter aussi que ce sont essentiellement les associations, la "société civile", qui soutiennent ces lanceurs d'alerte scientifiques regroupés dans le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). Ce sont elles qui, pour l'essentiel, popularisent leurs conclusions et propositions.
"Une autre science est possible ! " est le titre d'un récent ouvrage de la philosophe des sciences, Isabelle Stengers. Les germes de la "science civilisée" pour laquelle elle plaide sont peut-être déjà en œuvre dans ces groupes de scientifiques et dans ces associations.
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Comme l'art ou la littérature,les sciences sont un élément à part entière de la culture humaine. Leur histoire nous éclaire sur le monde contemporain à un moment où les techniques qui en sont issues semblent échapper à la maîtrise humaine.
La connaissance de son histoire est aussi la meilleure des façons d'inviter une nouvelle génération à s'engager dans l'aventure de la recherche scientifique.