Gérard Borvon
Août 2017, sur le sable de la plage de la baie des trépassés un "mandala" géant. Il a été réalisé à l'initiative de l'association "Plogoff, mémoire d'une lutte" qui, chaque année, organise une marche dans la pointe du Raz en souvenir de l'abandon du projet de centrale nucléaire à Plogoff. Cette année, la cinéaste Dominique Agniel est en cours de tournage de son film "Plogoff mon amour, mémoire d'une lutte". Elle est à l'origine de ce projet de mandala, réalisé sous la direction de Émilie Vincent. Ses images ponctueront son film.
A y regarder de plus près, un message écologique est inscrit dans le sable.
En opposition aux centrales nucléaires, le feu, l'air, l'eau, la terre, les quatre éléments de Empédocle, Platon, Aristote, sont mis à contribution. Chacun est associé à une énergie alternative.
- Le feu symbolise l'énergie du soleil qui trône au centre de la composition.
- L'air nous rappelle le vent qui souffle dans les éoliennes dont les premières, en Bretagne, ont été installées dans le Cap Sizun à proximité de Plogoff.
- L'eau, c'est l'énergie des fleuves mais aussi des courants marins si actifs dans la mer d'Iroise.
- La terre fournit la biomasse qui, bien exploitée, peut apporter un complément d'énergie.
Une renaissance des quatre éléments ?
A la fin du 18ème siècle le chimiste Lavoisier et ses collaborateurs ont signé l'acte de mort des quatre éléments en tant que théorie scientifique. Aucun d'entre eux ne résiste :
- Le feu n'est plus la substance matérielle que ses prédécesseurs immédiats ont cru pouvoir caractériser sous le nom de "phlogistique". Les combustions s'expliquent par des réactions entre éléments chimiques.
- L'air est en réalité un mélange de gaz dont les principaux sont l'azote et l'oxygène.
- L'eau peut se décomposer en oxygène et hydrogène.
- La terre a depuis longtemps perdu , avec l'alchimie, son statut d'élément.
Du point de vue scientifique l'affaire est entendue : oublions les quatre éléments.
Et voilà qu'un scientifique et philosophe, Gaston Bachelard (1884-1962), les fait renaître sous une forme poétique dans "La psychanalyse du feu", "L’eau et les rêves", "L’air et les songes", "La terre et les rêveries de la volonté". La psychanalyse se définit comme une exploration de l'inconscient, les quatre éléments y seraient-ils durablement inscrits ?
Leur retour avec l'écologie ?
L'écologie ne rejette pas les enseignements de Lavoisier qui a exclu les quatre éléments de la réflexion scientifique. Elle est une des filles des sciences. Ce sont les scientifiques aujourd'hui regroupés dans le GIEC qui nous alertent, chiffres à l'appui, sur la catastrophe climatique qui s'annonce. D'autres scientifiques font le bilan de la perte de biodiversité qui menace allant même jusqu'à évoquer une sixième extinction en cours. Ce sont des agronomes qui dénoncent les dégâts de l'agriculture productiviste et proposent d'autres alternatives. L'écologie militante se nourrit de leurs recherches.
Pourtant les connaissances scientifiques ne s'opposent pas à la rêverie poétique. Il est remarquable que c'est encore souvent autour des quatre éléments que s'organise la réflexion des écologistes dans le débat public.
Le feu, c'est l'énergie. L'économiser, des énergies renouvelables non polluantes pour remplacer les énergies d'origine fossile ou nucléaire. Tel est le débat.
L'air ? On commence à peine à mesurer les effets de la pollution de l'air sur la santé (50.000 décès prématurés par an en France). Quant à l'augmentation des gaz à effet de serre et leur action sur le climat, tout a été dit.
L'eau. Sa pollution est dénoncée mais aussi son partage inégal sur la planète sans parler des sécheresses qui gagnent ici et des inondations ailleurs.
La terre. Celle qui nous nourrit. On semble seulement découvrir qu'elle est le résultat d'un long processus biologique que la chimie et la mécanique s'emploient à détruire.
Ainsi les quatre éléments de Empédocle, Platon, Aristote, trouvent une nouvelle jeunesse au service de la qualité de la vie sur notre Planète.
La mer a emporté vers d'autres horizons le message des quatre éléments tracé dans le sable de la Baie des Trépassés. La force poétique du feu, de l'air, de l'eau, de la terre, qui a traversé les millénaires, habite encore, et peut-être pour longtemps, nos inconscients.
à écouter : Stivell, Beg ar van.