" Théorie électromagnétique de la lumière".
Tel est le titre du Chapitre XX du "traité d’électricité et de magnétisme" de Maxwell.
"En plusieurs passages de ce Traité", écrit-il, "on a tenté d’expliquer les phénomènes électromagnétiques par une action mécanique transmise d’un corps à un autre par l’intermédiaire d’un milieu qui remplirait l’espace compris entre les corps. La théorie ondulatoire de la lumière suppose aussi l’existence d’un milieu. Nous avons maintenant à montrer que le milieu électromagnétique a des propriétés identiques à celles du milieu où se propage la lumière".
Ce milieu, généralement désigné sous le nom d’éther en référence à la matière mythique supposée emplir la sphère céleste, a déjà fait l’objet d’une longue traque.
Le Hollandais Christiaan Huyghens (1629–1695), est considéré comme le premier défenseur d’une théorie ondulatoire de la lumière. Dans le Traité de la lumière qu’il publie en 1678 il présente la lumière comme une vibration qui se propage sphériquement dans un milieu qu’il désigne sous le nom d’éther et dont la propriété essentielle serait d’être le support de l’onde lumineuse.
Les ondes lumineuses de Huyghens.
Dans son Traité d’optique publié en 1704, Newton fait un autre choix : celui de considérer la lumière comme composée de particules émises par la source lumineuse et se propageant dans un espace vide. C’est sa théorie qui sera retenue par la plupart des savants jusqu’au début du 19ème siècle.
Le premier à la contester sérieusement est un médecin anglais, Thomas Young (1773-1829). L’observation des interférences lumineuses lui confirme son interprétation de la lumière comme une onde.
L’expérience désignée aujourd’hui sous le terme de "fentes d’Young" donne l’occasion d’un montage classique dans les programmes d’enseignement de la physique. Un faisceau lumineux tombe sur un écran opaque percé de deux fentes parallèles, les faisceaux diffractés sortant de ces fentes sont reçus sur un écran blanc et dessinent des franges alternativement claires et sombres.
Expérience des "fentes d’Young".
Cette expérience, présentée aujourd’hui comme la preuve même de la nature ondulatoire de la lumière, n’a, cependant, pas su convaincre les compatriotes de Young : on ne s’attaquait pas impunément à la théorie de Newton !
La contestation la plus sérieuse viendra de France et fera connaître Augustin Fresnel.
Ingénieur, issu de l’Ecole Polytechnique, Fresnel a été nourri des théories newtoniennes de la lumière. Pourtant son intuition le porte à préférer une interprétation ondulatoire. Son premier dispositif est un simple trou dans un volet éclairant un cheveu : des franges alternativement claires et sombres apparaissent sur l’écran placé derrière l’obstacle.
Fresnel est rompu aux calculs. En faisant la supposition que les vibrations lumineuses ont la forme mathématique la plus simple possible, la sinusoïde, et que d’autre part elles s’additionnent quand elles sont "en phase" et se retranchent quand elles sont "en opposition de phase", il réussit à interpréter mathématiquement l’existence des franges alternativement claires et sombres. Il présente ses résultats à l’Institut en octobre et novembre 1815. Ceux-ci sont combattus par les partisans de Newton, en particulier Biot et Laplace.
Il est vrai que la théorie laisse des zones d’ombres. Pour expliquer la "polarisation" de la lumière, Fresnel doit considérer que les vibrations de l’éther sont transversales et non pas longitudinales comme peuvent l’être, par exemple, les ondes sonores dans l’air. La propriété d’un dispositif polarisant, un cristal de calcite par exemple, pourrait, en effet, s’expliquer par sa capacité à ne laisser passer que les vibrations effectuées dans une seule des directions perpendiculaires au rayon lumineux.
L’explication par des ondes transversales est élégante mais l’existence de telles ondes exige que l’éther soit un milieu matériel particulièrement rigide. Cette rigidité est incompatible avec l’extrême fluidité qui lui est généralement attribuée. Il faut en effet que l’éther, dans lequel baigne l’Univers, ne freine pas l’éternel mouvement des étoiles dont il nous transmet la lumière. Rigide et fluide en même temps, tel devrait être l’éther. Difficile équation.
Rien d’étonnant donc à ce que les adversaires de la nature ondulatoire de la lumière ne se laissent pas aussi facilement convaincre : cet éther qui serait si commode sur le plan mathématique ne peut se décrire de façon physiquement rationnelle.
C’est la mesure de la vitesse de la lumière dans les milieux transparents par Foucault et Fizeau qui viendra mettre fin au débat vingt ans après le mort de Fresnel. En effet cette mesure prouve que, comme le prévoit la théorie ondulatoire, la lumière est ralentie en les traversant alors que la théorie de Newton prévoyait le contraire.
Pour autant le problème de la nature de l’éther lumineux reste entier.
Le mot "éther" est bien commode. On l’utilise à chaque fois qu’il faut meubler l’espace d’un "fluide", d’une "essence" propre à conforter une nouvelle théorie physique. A l’éther lumineux la science électrique doit elle ajouter un éther électrique ?
"Remplir l’espace d’un nouveau milieu toutes les fois que l’on doit expliquer un nouveau phénomène ne serait point un procédé bien philosophique », nous dit Maxwell. Aussi se fixe-t-il un objectif : montrer que l’éther lumineux et l’éther électromagnétique n’en font qu’un et pour cela déterminer la vitesse qui devrait être celle d’une onde électromagnétique se déplaçant dans ce milieu.
"Si, dit-il, l’on trouve que la vitesse de propagation des perturbations électromagnétiques est la même que la vitesse de la lumière, et cela, non seulement dans l’air, mais dans tous les autres milieux transparents, nous aurons de fortes raisons de croire que la lumière est un phénomène électromagnétique."
Pour parvenir à cette conclusion il emprunte deux voies, partant de deux points apparemment très éloignés :
une réflexion sur les unités électriques.
Une description mathématique des champs électriques et magnétiques débouchant sur l’équation de propagation d’une onde électromagnétique dans un milieu non conducteur.
Maxwell n’est pas simplement ce savant écossais qui, à l’âge de 34 ans, se retire pendant six ans dans son manoir de Glenlair dans le comté de Galloway au sud de l’Ecosse pour y rédiger son Traité d’électricité et de magnétisme. Il est aussi, comme beaucoup de ses confrères britanniques, ce spécialiste recherché par les entrepreneurs et ingénieurs engagés dans l’aventure des applications industrielles de l’électricité.
Il est l’animateur, au sein de "l’Association Britannique pour l’avancement des sciences", du comité chargé de la définition d’une unité standard de résistance. Un sujet qui s’inscrit dans la définition d’un système général d’unités électriques dont nous aurons, plus tard, l’occasion de parler.
Maxwell, Thomson et l’ensemble des électriciens britanniques décident d’adopter pour l’électricité les seules unités de la mécanique. Les unités de masse, de longueur et de temps seront donc à la base des unités électriques.
Mais un problème apparaît alors. Si on prend pour base les lois de l’électrostatique, on trouve un système d’unités différent de celui qui prendrait pour base les lois de l’électromagnétisme.
L’exemple de la charge électrique est particulièrement parlant. Sa valeur, que l’on désignera par Qm quand elle est mesurée dans le système électromagnétique, a une dimension, et donc une unité, différente de celle de la charge Qe mesurée dans le système électrostatique. Mais, observation particulièrement intéressante, il se trouve que le rapport Qe/Qm a la dimension d’une vitesse (exprimée en m/s ou en cm/s suivant les unités utilisées).
Une vitesse semble donc lier les deux systèmes électromagnétiques et électrostatiques !
Au moment où Maxwell écrit son Traité cette vitesse a été déterminée numériquement. Maxwell décrit la méthode utilisée par Weber et Kohlrausch. Pour résumer : il s’agit de décharger une "bouteille de Leyde" (nous avons parlé de ce premier condensateur) dont la charge aura été mesurée en unités électrostatiques dans un circuit comprenant un galvanomètre "balistique" mesurant la charge en unités électromagnétiques. Le rapport Qe/Qm donne 3,11.108 m/s.
Maxwell lui-même met au point un nouveau dispositif, une "balance", qui lui donne un rapport égal à 2,88.108 m/s.
En 1848, H.L Fizeau, en utilisant une roue dentée tournant à grande vitesse avait mesuré la vitesse de la lumière pour laquelle il avait trouvé la valeur de 3,15.108 m/s. Une mesure ultérieure faite par Foucault donne 2,98.108m/s.
Une telle proximité entre la valeur du quotient Qe/Qm et celle de la vitesse de la lumière ne pouvait manquer d’attirer l’attention d’un physicien comme Maxwell, déjà persuadé de la nature identique de la lumière et de l’onde électromagnétique.
Revenons à l’éther et aux champs électriques et magnétiques. Dans sa volonté de convaincre, Maxwell en a donné une image mécanique faite de "cellules" en rotation.
Ces "cellules", enfilées comme des perles le long des lignes de champ magnétique, sont mises en rotation par le passage d’un courant dans le conducteur qui induit le champ. De l’énergie cinétique est ainsi créée et transmise à travers l’éther. Sous l’action de cette rotation, les cellules s’aplatissent, comme sous l’effet d’un force centrifuge, provoquant ainsi une tension le long des lignes de champ et donc la transmission d’une énergie potentielle.
Cette image fait sourire comme feront peut-être sourire les "trous de vers" et les "cordes" dont la physique moderne peuple notre Univers contemporain. Par contre les "équations de Maxwell" sont toujours considérées comme l’un des socles de la physique.
Nous ne les détaillerons pas ici. Disons simplement que Maxwell adapte à son étude de l’éther, les outils mathématiques élaborés par Laplace, Poisson ou Hamilton qu’il cite au début de son traité. Leurs équations ont été particulièrement efficaces pour l’étude de la propagation des ondes dans les milieux élastiques. Les deux coefficients qui interviennent dans la vitesse de ces ébranlements (l’élasticité du milieu et sa masse volumique) trouvent leur équivalent, pour l’éther, dans :
son "pouvoir spécifique pour l’induction électrostatique ", désigné par Maxwell par la lettre K et que nous désignons aujourd’hui par la lettre ε.
sa "perméabilité" magnétique qu’il désigne par µ.
Il s’en suit une équation de propagation semblable à celle obtenue pour un milieu élastique et dont la solution amène à une vitesse de propagation, v, telle que v2 = 1/(K.µ).
Or il se trouve que l’expression mathématique de cette vitesse v de propagation de l’onde est également celle du rapport Qe/Qm dont nous avons vu que la valeur est, justement, très proche de celle de la lumière.
Même s’il se montre prudent, Maxwell ne doute pas qu’il tient la preuve de l’identité de la lumière avec une onde électromagnétique :
"Il est manifeste que la vitesse de la lumière et le rapport des unités sont des quantité de même ordre de grandeur ; mais, jusqu’à ce jour, on ne saurait dire qu’aucune des deux ait été déterminée avec assez de précision pour que l’on puisse affirmer que l’une est plus grande que l’autre. Il est à souhaiter que de nouvelles expériences déterminent, avec plus de précision, le rapport de grandeur de ces deux quantités.
En attendant, notre théorie, qui affirme l’égalité de ces deux quantités et qui donne une raison physique de cette égalité, ne se trouve certainement pas contredite par la comparaison de ces résultats, tels qu’ils sont"
En conclusion du chapitre de son traité consacré à sa Théorie électromagnétique de la lumière, Maxwell propose même le schéma d’une onde plane transversale. Ce schéma illustre encore nos manuels.
Les contestations ne manqueront pourtant pas. William Thomson lui-même, devenu Lord Kelvin, rejette avec mépris cet éther rigide et fluide à la fois. Il faudra la découverte des ondes électromagnétique par Hertz pour que les équations de Maxwell soient reconnues à leur juste valeur. Mais leur auteur ne sera plus là pour savourer son triomphe.
Voir aussi :
Quand Faraday découvre l’induction électromagnétique.
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Voir aussi :
La Lumière et l'électricité d'après Maxwell et hertz par Poincaré
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