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29 juin 2025 7 29 /06 /juin /2025 16:38

 

première mise en ligne : mercredi 10 août 2005, par Gérard Borvon

 

 

Qui n’a pas entendu parler de la pollution des eaux bretonnes par les nitrates et les pesticides. Qui ne sait, à présent, que le problème est général sur l’ensemble du territoire français où plus des 3/4 des ressources sont contaminées à des degrés divers. Pourtant c’est à des milliers de kilomètres de l’hexagone qu’il faut aller chercher les exemples les plus dramatiques de territoires contaminés : dans les paradis ensoleillés de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane ou de la Réunion.

 

Une cargaison de patates douces a alerté la métropole en Octobre 2002. A cette date les fonctionnaires de la Direction Générale de la Concurrence et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) ont arrêté, sur le port de Dunkerque, une tonne et demie de patates douces en provenance de la Martinique et contenant des quantités importantes de Chlordécone. Cet insecticide extrêmement toxique utilisé sur les exploitations de bananes est pourtant interdit depuis 1993. Le fait que les habitants de la Martinique aient consommé ces tubercules depuis de nombreuses années n’avait alerté personne mais qu’ils arrivent sur le marché de Rungis et voilà le scandale dévoilé !

 

Pourtant l’information sur cette pollution était connue depuis bien des années. L’année précédente, un rapport particulièrement documenté sur la pollution de l’eau et des sols en Guadeloupe aurait mérité, lui aussi, une mobilisation médiatique.

 

Réaction timide : une mission d’information parlementaire se rendait en Martinique et Guadeloupe début 2005. Son rapport, rendu public au milieu du mois de Juillet, n’a recueilli que la plus totale indifférence.

 

Cette contribution a pour objectif de tenter d’informer et de mobiliser tous ceux qui, dans le milieu associatif, politique ou médiatique, auront à cœur de faire cesser et surtout de réparer ce qui constitue un véritable crime contre l’environnement naturel et la santé des populations dans les départements et territoires d’outremer.

 

Guadeloupe : Un rapport sans langue de bois.

 

Nous donnerons d’abord quelques éléments du rapport remis le 5 Juillet 2001 à Dominique Voynet, ministre de l’environnement, et à Dominique Gillot, secrétaire d’état à la santé par le docteur Henri Bonan de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) et Jean-Louis Prime de l’Inspection Générale de l’Environnement (IGE). Ce "Rapport sur la présence de pesticides dans les eaux de consommation humaine en Guadeloupe", reconnaissait, enfin, l’urgence de la situation et jugeait "difficilement admissible" l’absence d’un plan d’amélioration des pratiques agricoles.

 

Ce travail leur avait été demandé à la suite des résultats d’une campagne renforcée de contrôle des teneurs en pesticides dans l’eau, menée par le DDASS de Guadeloupe en 1999. Les mesures avaient montré des taux très élevés de pesticides organochlorés (Chlordécone, Dieldrine et β-hexachlorocyclohexane (HCHβ)) dans l’eau distribuée et même dans l’eau embouteillée. Pourtant ces produits, utilisés sur les cultures de canne à sucre et surtout de bananes, étaient interdits d’usage depuis, respectivement, 1993, 1972 et 1987. Ces mesures avaient amené la fermeture d’une usine d’embouteillage d’eau de source (Capesterre Dolé) et des captages alimentant plusieurs communes.

 

Un Phénomène déjà bien connu :

 

En introduction, le rapport faisait état de données déjà récoltées depuis plus de vingt ans et dont on peut s’étonner qu’elles soient restées sans effet.

 

1977, rapport Snégaroff : A la suite d’une mission menée par l’INRA, ce rapport établissait l’existence d’une pollution dans les sols des bananeraies et des milieux aquatiques environnants par les insecticides organochlorés. Des taux de deux à quatre fois supérieurs aux normes étaient déjà relevés dans les eaux des rivières testées. Un signal d’alerte qui aurait dû être entendu.

 

1979-80, rapport Kermarrec : Il souligne la bioaccumulation dans l’environnement de substances organochlorées utilisées comme pesticides. L’étude porte sur le perchlordécone, substance utilisée dans la culture du manioc, ignames, patates douces et fruitières (orangers, citronniers, ananas). Les poissons vivant dans une eau contenant 0,01 μg/l de perchlordécone concentraient ce pesticide 82.000 fois, des crabes 60.000 fois, des crevettes 130.000 fois. Le perchlordécone étant très voisin du Chlordécone utilisé sur les bananes, le rapport soulignait déjà le risque de contamination en Guadeloupe et Martinique. On attendra encore 20 ans avant de s’en inquiéter réellement, 20 ans de contamination pour les travailleurs agricoles et les habitants.

 

1993 : étude dans l’estuaire du Grand Carbet (Guadeloupe) : Cette étude a été menée sur l’initiative de l’UNESCO dans le cadre d’un bilan sur l’état de la mer Caraïbe. Le Grand Carbet, l’une des rivières les plus exposées de Guadeloupe, prend sa source à 1400 mètres d’altitude au pied de la Soufrière. Sur les 13 km2 de son bassin versant, environ 4 km2 sont occupés par des bananeraies sur lesquelles 174 tonnes/an de pesticides sont déversées dont 54 de Chlordécone. La présence de Chlordécone dans l’eau et les sédiments est relevée.

 

1998 : rapport Balland-Mestres-Fagot. Une mission d’Inspection demandée par les ministères de l’environnement et de l’agriculture est menée en Martinique et Guadeloupe dans le but de faire la synthèse des résultats connus et de proposer les actions à entreprendre. Premier constat : l’état des lieux reste à faire.

 

2001 : Rapport Bonan-Prime. (voir)

 

Étant à l'époque membre du Comité National de l"Eau, j'ai eu connaissance, en 2003, de ce rapport qui avait été remis à Dominique Voynet juste avant son départ du Ministère de l'Environnement et qui n'avait donc donné lieu à aucune suite. Après en avoir fait un résumé, que j'ai transmis à mes ami.e.s écologistes de Guadeloupe, dont l'avocat Harry Durimel. Je leur ai, ensuite, fait prendre connaissance de l'ensemble du rapport lors d'un voyage, en 2005, pour les rencontrer. Le rapport était alors totalement ignoré de la population locale aussi bien des médias locaux que j'ai eu l'occasion de rencontrer.(voir : Scandale du chlordécone. Depuis le début, e Bretagne,, solidaires de nos ami.e.s des Antilles, en Bretagne, leur combat est le nôtre.)

 

Le rapport commence par un historique. Les exigences de qualité auxquelles doivent satisfaire les eaux distribuées datent du décret 89-3 du 3 janvier 1989. Un décret bien tardif quand on sait que la directive cadre européenne correspondante avait été publiée le 15 juillet 1980. Pourtant c’est seulement en 1995 qu’était définie, en France, une valeur limite pour les pesticides et produits assimilés. La France, plusieurs fois condamnée, mérite bien son titre de "lanterne rouge" pour la protection de l’environnement en Europe.

 

En Guadeloupe, la recherche des pesticides n’était d’ailleurs effective qu’à partir de 1998 avec déjà des résultats alarmants pour plusieurs produits (des dépassements de 11 à 35 fois la norme).

 

Il faut savoir que les méthodes d’analyses des pesticides sont difficiles à mettre en œuvre et excessivement coûteuses. En 1994, 500 molécules étaient homologuées sur le territoire français (il y en a actuellement environ 1000 entrant dans la composition de 10.000 formules différentes). Parmi celles-ci, seulement 60 représentaient 80% des utilisations. Pour en contrôler l’usage un Comité de Liaison " Eau Produits Antiparasitaires" était mis en place en 1992. Ce comité était amené à classer les substances à rechercher en priorité par ordre de risque décroissant. Ces listes étaient diffusées aux préfets en 1994, en leur demandant de les adapter à la réalité régionale (on ne traite pas de la même façon le maïs et les arbres fruitiers) et, éventuellement, de les compléter.

 

Les spécificités de l’agriculture en Guadeloupe et de façon plus générale aux Antilles auraient nécessité une adaptation de cette liste (on n’utilise pas de produits destinés aux bananes et à la canne à sucre sur le territoire métropolitain), ce qui n’a pas été fait. Mais de toutes façons ces départements n’avaient aucun moyen d’effectuer les analyses. Le nombre de produits à rechercher et le niveau de précision exigé demandent des équipements sophistiqués et coûteux. La mise en œuvre demande un personnel qualifié. En France seuls quelques laboratoires sont en mesure de réaliser de telles mesures. Les coûts surtout sont dissuasifs : entre 500 et 1000 euros pour une seule analyse complète !

 

Quand, en 1998, la Direction Régionale de l’Environnement (DIREN) de Guadeloupe a décidé de lancer une première étude, il n’existait pas, aux Antilles, de laboratoire adapté. Les mesures portaient sur 30 molécules de pesticides retenues sur la liste hexagonale complétées de trois autres spécifiques : le chlordécone, le malathion, le propiconazolone. Confiées à des laboratoires métropolitains, ces analyses révélaient l’incapacité de ceux-ci à en rechercher la plupart. L’Institut Pasteur n’était en mesure que d’en analyser 15 sur 33, le Laboratoire de la Ville de Paris (CRECEP) seulement 10 sur 33 et aucun des deux ne savait rechercher le chlordécone, produit particulièrement nocif.

 

Cette première série d’analyses ayant révélé un "bruit de fond", la DDASS et la DIREN étaient amenées à mener une étude plus ciblée. 9 sites étaient retenus, 46 molécules recherchées dont 14 molécules organochlorées retirées du marché. Parmi celles-ci trois particulièrement toxiques : la dieldrine, interdite depuis 1972, le HCHβ, interdit depuis 1987 et le Chlordécone, interdit depuis 1993. Trois produits à la fois toxiques et possédant une longue durée de vie dans l’environnement. Cette fois on avait enfin trouvé un laboratoire capable de mener ces mesures : le Laboratoire Départemental de la Drôme. Le résultat était édifiant :

 

Dans l’eau :

 

- 45% des prélèvements dépassaient la norme de 0,03 μg/l de dieldrine dans les 5 sources avec un pic de 0,340 μg/l soit 11 fois la norme
- 80% des prélèvements dépassaient la norme de 0,10 μg/l de HCHβ avec un pic de 2,00 μg/l soit 20 fois la norme.
- 100% des prélèvements dépassaient la norme de 0,10 μg/l de chlordécone avec un pic de 10,30 μg/l (103 fois la norme !).

 

Dans les sols :

 

Les trois pesticides étaient présents à des taux compris entre 600 fois et 100 000 fois les normes admissibles dans l’eau.

La publication de ces résultats a provoqué une situation de crise. Les deux captages les plus pollués ont dû être fermés. La consommation d’eau interdite de même que l’autorisation de mise en bouteille pour une usine d’eau de source. Solution d’urgence : des interconnexions ont été mises en place, de l’eau en bouteille a été distribuée, un traitement des pesticides par charbon actif a été installé sur les usines de prélèvement. Solutions d’urgence qui ne résoudront rien à plus long terme.

A présent les Guadeloupéens l’ont compris : leur île est gravement empoisonnée et elle l’est pour longtemps. Concernant la présence massive de produits depuis longtemps interdits on a pu évoquer la poursuite d’usages frauduleux mais on constate surtout qu’on ignorait tout de la rémanence de ces produits dans les sols. On évoque à présent des dizaines d’années, voire des siècles avant de les voir disparaître.

 

Autres pesticides.

 

Les insecticides ne sont pas les seuls pesticides mesurés. Les herbicides utilisés pour les cultures de canne à sucre et le maraîchage apportent leur part de pollution. Dans l’eau de la ravine des Coudes, par exemple, on a trouvé 100 fois la norme d’Améthrine, 53 fois la norme pour l’Héxazinone et 194 fois pour le diuron. Or la plaine de Grippon, sur laquelle s’écoule la ravine des Coudes, constitue la ressource en eau potable la plus importante de la Grande-Terre. On imagine aisément les effets de ces cocktails sur la santé humaine.

 

Des effets inquiétants pour la santé

 

Les effets d’une intoxication aiguë par les 3 organochlorés analysés en Guadeloupe (dieldrine, HCHβ, Chlordécone) sont connus par la littérature médicale : une atteinte du système nerveux central avec apparition de tremblements, de contractures musculaires, troubles du rythme cardiaque, hypertension, troubles visuels, troubles de la coordination, atteinte des fonctions sexuelles. Des convulsions sévères pouvant même entraîner la mort sont décrites. Une enquête associative menée sur le terrain auprès de travailleurs agricoles chargés d’épandre ces produits montre que le risque n’est pas uniquement théorique. Comment conserver un masque dès que la chaleur monte aux premières heures de la matinée ? Et quel intérêt quand la sueur saturée de pesticides y dégouline ? Pourtant il manque une statistique sur les travailleurs agricoles amenés d’urgence à l’hôpital après un évanouissement en plein champ pendant un épandage.

 

En métropole, la surveillance médicale des travailleurs agricoles est assurée par la Mutuelle Sociale Agricole (MSA). Concernant les pesticides, un réseau de "toxicovigilance" a été mis en place. Les cas d’intoxication sont signalés par les médecins du travail ou de la MSA et même directement par téléphone (1000 appels en 2004). Les résultats donnent lieu à une synthèse largement diffusée dans les milieux agricoles. Mais, fait remarquer le rapport de la commission parlementaire :

 

"En vertu de l’article L.752-4 du code de la sécurité sociale, les travailleurs agricoles des départements d’outre-mer ne relèvent pas de la MSA, mais du régime général de la sécurité sociale. Ils sont donc exclus de ce réseau de toxicovigilance."

 

On ne sait donc rien de la fréquence et des effets des intoxications aiguës dans les Antilles.

 

Les effets d’une intoxication chronique sont plus difficiles à cerner mais des chiffres commencent à parler. Effet cancérigène d’abord et la question se pose du rôle des pesticides dans le fort taux de cancers de la prostate en Guadeloupe (220 à 240 cas nouveaux par an). Effet sur le cerveau ensuite : une forme atypique de la maladie de Parkinson est particulièrement présente en Guadeloupe et on peut soupçonner les pesticides quand on constate qu’on a trouvé une proportion plus forte de chlordécone dans le cerveau des personnes décédées. Mais c’est dans le domaine des troubles de reproduction, et plus précisément de l’infécondité masculine qu’il existe le plus de signes du rôle néfaste des pesticides.

 

Cependant, faute d’études approfondies et de volonté de les mener à bien, les preuves formelles font défaut. Faut-il être optimiste quand le rapport Bonan/Prime estime que "La Guadeloupe constitue un lieu privilégié pour poursuivre un certain nombre d’études épidémiologiques sur les effets des pesticides sur la santé humaine" (page 57). Hélas oui, les habitants des îles peuvent, dans ce domaine, servir de cobayes, comme d’autres dans les domaines de l’amiante ou de l’irradiation radioactive.

 

En Martinique aussi.

 

Si c’est en Guadeloupe qu’a été menée la première mission d’inspection nous avons noté que c’est de Martinique qu’est venue l’alerte en métropole. Ou plutôt du port de Dunkerque où les services de la répression des fraudes saisissent une tonne et demie de patates douces en provenance de la Martinique et dans lesquelles une analyse révèle une forte contamination par le Chlordécone. Comme en Guadeloupe on soupçonne, sans pouvoir le prouver, un usage frauduleux de ce pesticide interdit mais surtout on se pose enfin la question de sa persistance dans les sols et de sa concentration dans la chaîne alimentaire. Là encore, la culture "industrielle"des bananes est mise en cause.

 

Un rapport établi par Eric Godard, ingénieur du génie sanitaire à la Direction de la Santé et du Développement Social (DSDS) de la Martinique, à l’occasion du Forum International en Santé Environnementale, qui s’est tenu en mars 2003, éclaire sur la pollution de l’eau, mais surtout des sols, par le chlordécone.

 

L’eau, naturellement, est contaminée mais le rapport s’attache surtout à montrer la présence du pesticide dans les aliments. Des patates douces, par exemple, présentent 19 000 fois la dose maximale de chlordécone admise pour l’eau. Les poissons d’eau douce peuvent en contenir près de 4000 fois la dose maximale admise. Même le poisson d’eau de mer n’est pas épargné.

 

La question se pose donc : faut-il continuer à produire des tubercules ou à manger du poisson et des crustacés en Guadeloupe et Martinique ? Les services de la répression des fraudes de la Martinique, dans le cadre d’un plan de contrôle renforcé, ont détecté plus de 40% de lots de "légumes racines" non conformes. La population ayant été exposée à cette pollution pendant plus de trente ans, le rapport de la DSDS estime que la mesure de l’imprégnation des cobayes humains serait un bon indicateur du niveau de la pollution générale de l’environnement.

 

En novembre 2002, le groupe régional phytosanitaire (GREPHY) de Martinique a défini un plan d’action. La cellule interrégionale d’épidémiologie (CIRE) a, d’abord, lancé une enquête sur les habitudes alimentaires (contenu du panier de la ménagère) des habitants, de façon à préciser les niveaux de contamination des principaux aliments et définir l’exposition du consommateur antillais. De même une cartographie des sols contaminés sera établie et une procédure d’analyse des produits cultivés. En Guadeloupe, l’Institut Pasteur est à présent en mesure de faire ces analyses. Un jour peut-être les Antillais sauront exactement comment on les empoisonne.

 

Ce jour n’est pas encore venu car, étant donné la modicité des moyens humains et matériels mis en œuvre, il ne faut pas attendre de miracles. C’est d’ailleurs ce que constate la mission parlementaire qui fait part de l’inquiétude des scientifiques face "à la rareté de la ressource budgétaire pour financer les laboratoires". En attendant les produits des sols et des rivières polluées continuent à arriver sur les marchés locaux.

 

 

Principe de Précaution ou de Ponce Pilate ? Principe de précaution : l’Etat se couvre. Il faut des responsables : ce seront les agriculteurs. Les préfets de Guadeloupe et de Martinique ont pris des arrêtés pour imposer à tout producteur de légume à risque (légumes racines et bulbes divers) un autocontrôle de sa production. Il devra vérifier la conformité de ses produits au regard du code de la consommation sur la base de l’article L 212-1. Un article redoutable déjà mentionné au moment de la crise de "la vache folle". Le contrevenant peut être poursuivi pour le délit de mise en danger d’autrui, le délit d’atteinte à la personne, le délit de tromperie. Rien que cela. Tout agriculteur doit donc justifier de l’autocontrôle effectué. Il doit déclarer la mise en culture (ou l’intention de cultiver) ses sols à la Chambre d’Agriculture. Celle-ci prélève alors un échantillon de sol, fait effectuer une analyse par un laboratoire agréé et communique le résultat à l’exploitant (coût : 240€ par échantillon). Si le sol est contaminé et que l’exploitant décide, malgré tout, d’y installer ou d’y poursuivre sa culture, il doit obligatoirement faire analyser sa récolte avant commercialisation. L’analyse du sol est prise en charge par des fonds publics mais l’analyse du végétal, est à la charge du producteur, soit 120 € par analyse hors frais de transport. Si sa récolte est contaminée il a alors l’obligation de la faire détruire à ses frais. Destruction d’ailleurs impossible à réaliser quand on sait que les fours à haute température nécessaires pour la destruction des molécules des organochlorés n’existent évidemment pas aux Antilles. Les parlementaires qui se sont rendus début 2005 dans les Antilles (Messieurs Edmond-Mariette, Le Guen, Manscour, Sauvadet, Vialatte), devaient constater l’impossible mise en œuvre de ce programme. Seulement 28% des agriculteurs de Martinique avaient appliqué la procédure en 2004, les autres continuant à commercialiser, sans contrôle, des légumes racines produits sur des sols pouvant être pollués. Il est vrai que la sanction prévue est loin d’être dissuasive : une amende de 39 euros ! Sanction d’autant moins dissuasive qu’il est impossible de mettre en œuvre un contrôle efficace. Le coût, pour l’administration, de l’analyse de seulement 10 échantillons prélevés à l’aveugle sur un marché coûterait plus de 1000 euros, sans compter le salaire des fonctionnaires ! Face à cette situation les propositions de la mission parlementaire ne peuvent sembler que dérisoires :


- Créer un label pour les produits provenant d’un sol non contaminé. Mais un label n’a aucun sens s’il ne s’accompagne pas d’un organisme de contrôle vigilant et doté de moyens. Les agriculteurs bios en savent quelque chose.
- "Décourager" la vente de produits le long des routes. Vœu pieu. Qui pourra légalement empêcher le petit producteur de proposer sa production à la vente. Faudra-t-il aussi interdire la consommation des produits du jardin sous peine d’amende ? Et pourquoi limiter cette mesure aux marchés d’outremer. Est-on certain que les légumes vendus sur les marchés métropolitains sont exempts de pesticides ou de métaux lourds ? Plus inquiétant : alors que la loi interdit clairement toute trace de pesticides non autorisés dans les végétaux (arrêté du 5 août 1992), il est prévu, avant la fin 2005, d’instaurer une LMR (limite maximale de résidus) pour le chlordécone. L’objectif étant de permettre la poursuite de la culture et de la vente des tubercules contaminés. Chacun sait que les limites admissibles ne répondent à aucun critère de santé.

 

Dans le cas présent, la méthode de détermination, serait édifiante :

 

"Afin de fixer les LMR, il importe de cerner avec précision l’exposition des populations au chlordécone par voie alimentaire. En d’autres termes si la population consomme beaucoup de patates douces, la LMR pour ce légume sera faible, si elle consomme peu, la LMR pourra être plus élevée" (rapport parlementaire page 50).

 

Transposée en Bretagne, ou dans d’autres régions particulièrement polluées, une telle méthode amènerait à constater que, pour cause de pollution par les nitrates et les pesticides, la population bretonne consomme peu d’eau du robinet et qu’on peut donc augmenter les normes de potabilité (par exemple jusqu’à 100mg/l pour les nitrates, comme le demandent certains représentants agricoles). Ainsi l’eau serait partout considérée comme "respectant les normes de potabilité" et tant pis pour ceux qui n’auraient pas les moyens d’acheter de l’eau en bouteille.

 

A l’évidence toutes ces manipulations des "normes" sont d’abord une façon de ne pas répondre au problème posé.

 

Un MétalEurop agricole.

 

Un sol aussi contaminé ne peut que nous remettre en mémoire des exemples de pollution industrielle comme celle de Seveso (contamination des sols par la dioxine) ou de Métaleurop par le plomb. Cette dernière pollution ainsi que l’accident de AZF ont inspiré la loi du 30 juillet 2003 relative à la "prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages provoqués dans l’environnement". A présent une usine polluante devra remettre en état les sols qu’elle aura pollués. Dans le cas des pesticides utilisés dans les départements d’outremer, même si les utilisateurs agricoles ne peuvent être totalement absouts, la responsabilité des fabricants et marchands d’engrais et celle de l’état devraient être établies et un véritable plan de décontamination mis en place. Car il n’est pas possible de laisser les sols dans cet état pendant encore des dizaines et peut-être des centaines d’années !

 

Ce n’est pourtant pas l’avis des parlementaires venus en mission. Leur rapport s’emploie, à plusieurs reprises, à dédouaner les services de l’Etat. Il se caractérise aussi par un renoncement à envisager toute mesure radicale de réparation :

 

"Aucune solution de dépollution des sols n’est envisageable à court terme" écrivent-ils (p90 du rapport).

 

L’incinération des terres leur semble inimaginable vu la difficulté du procédé et les volumes concernés, "la dépollution par la plantation de légumes racines prendrait, selon les informations recueillies par la mission, notamment auprès de l’INRA, plusieurs dizaines d’années." Ajoutent-ils.

 

Les parlementaires soulignent également cette estimation de l’INRA :

"il faudra plusieurs siècles pour que le lessivage des terres par le drainage vienne à bout de la pollution au chlordécone".

Phrases effrayantes. Les pouvoirs publics, la collectivité nationale, ont laissé empoisonner le sol et l’eau des Antilles et rien ne serait tenté pour réparer ?

 

Mais il y aurait encore à dire.

 

Les cas de la Guadeloupe et de la Martinique sont les mieux connus mais les pollutions par les pesticides existent aussi à la Réunion.

 

En Guyane, c’est la pollution des rivières par le mercure utilisé par les orpailleurs qui domine. Les populations autochtones n’ont que le choix entre abandonner leur mode de vie ou s’empoisonner. Quant à la faune, n’en parlons pas.

 

Mais tous ces milieux fragiles doivent subir une autre source majeure de pollution : l’absence ou le mauvais fonctionnement de l’assainissement urbain ou individuel. Dans des régions où la population est concentrée près du littoral et où les permis de construire sont souvent considérés comme une formalité dont on peut se passer, la pollution organique et bactérienne est redoutable. Sur les 15 stations existant à la Réunion, par exemple, seules trois fonctionnent à peu près normalement et plusieurs communes en sont même totalement dépourvues. En Guadeloupe la capacité totale d’épuration des stations communales n’est que de 40% de la population totale. Pollution à laquelle il faut ajouter celle des distilleries de rhum.

 

Devant un tableau aussi désespérant une question se pose : comment en sommes nous arrivés là !

 

Les oubliés des lois sur l’eau.

 

1964 une grande loi sur l’eau... pour la métropole.

 

La "loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution" est la grande loi française sur l’eau. Dès le début des années 60, le constat a été fait d’une dégradation accélérée de la qualité de l’eau consécutive à la période de croissance de l’après-guerre. Le constat est fait que le milieu naturel n’est plus en mesure d’absorber la pollution et que s’imposent des programmes d’investissement pour prévenir la pollution, d’autant plus que les besoins en eau, prévisibles pour les années à venir, s’annoncent sans commune mesure avec ceux du passé.

 

Originalité : la loi propose une politique de décentralisation avant la lettre en divisant la France en six bassins hydrographiques organisés autour des principaux fleuves de l’hexagone : Adour-Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée-Corse, Seine-Normandie. Dans chaque bassin il est créé un "comité de bassin" composé de représentants des collectivités locales, de représentants d’usagers et de représentants désignés par l’état. A ces Comités de Bassin sont accolées six "agences financières de bassin", établissements publics administratifs dotés de la personnalité civile et de l’autonomie financière. L’agence a le pouvoir d’établir et de percevoir des"redevances" qui sont redistribuées aux entreprises et collectivités qui souhaitent mettre en place des outils de dépollution.

 

A partir des années 90 ces redevances voient tripler leur montant. Le pactole ainsi récolté atteint 10 milliards d’euros au niveau national par an en 2004, ce qui n’empêche pas la France d’être considérée comme le mauvais élève de la classe européenne et d’être régulièrement condamnée par la Cour de Justice Européenne pour manquement à ses obligations dans le domaine de la lutte contre les pollutions de l’eau.

 

Un oubli manifeste : les départements et territoires d’outre-mer. Il faut attendre trente ans (loi sur l’eau de1992), pour que les comités de bassin apparaissent dans les DOM/TOM. Le premier n’est créé qu’en 1996 en Martinique. Le dernier, celui de Mayotte, n’est pas encore en place. Sa composition vient d’être fixée par un décret de janvier 2005.

 

Mais un "comité de bassin" n’a qu’un rôle essentiellement consultatif. La réalité des pouvoirs et des moyens techniques et financiers se trouvent entre les mains des Agences de l’Eau. Or rien de tel outre-mer. Il existe bien, sur le papier, un partenariat technique organisé avec les Agences de métropole (l’Agence Adour-Garonne serait en charge de la Guadeloupe, Loire-Bretagne de la Martinique, Rhône-Méditerranée-Corse de la Guyane et de la Réunion, Seine-Normandie de Saint-Pierre-et-Miquelon). Mais ce morcellement n’annonce aucune réelle volonté de transfert technique ou financier important. Les sommes qui lui ont été consacrées sont restées dérisoires.

 

Ce n’est pas la loi sur l’eau mais la loi d’orientation pour l’Outre-mer qui, en décembre 2000, a pris la dimension de ce problème en décidant la création, dans chaque département d’Outre-mer, d’un Office de l’Eau, établissement public à caractère administratif, rattaché à chaque département. Dans un premier temps ces offices de l’eau n’étaient pas autorisés à percevoir des redevances pour aider à réaliser des travaux entrant dans le cadre de la préservation ou de la restauration de la qualité de l’eau. Depuis la loi de programme pour l’Outre-mer votée en 2003, ils le peuvent. Auront-ils la volonté et les moyens de le faire ?

 

La montée en puissance des agences de l’eau métropolitaines a été lente. Pendant 25 ans les redevances pour prélèvement et pollution ont été à un niveau peu significatif. Il a fallu attendre 1990 pour constater la brutale accélération qui aujourd’hui amène le niveau des taxes et redevance à une moyenne de 20% de la facture d’eau.

 

Afin de rattraper le retard pris dans les DOM/TOM, le niveau des redevances devrait atteindre un niveau au moins équivalent à celui de la métropole. Les consommateurs accepteront-ils de payer 20% plus cher une eau dont ils savent qu’elle est gravement polluée ? Déjà en Bretagne des consommateurs ont commencé à refuser de payer une part de leur redevance pollution pour protester contre l’inefficacité de l’état et des agences face à la montée des pollutions. Quarante ans de retard ne se rattraperont pas aussi facilement.

 

L’oubli, encore l’oubli.

 

Les DOM/TOM font-ils partie du territoire français ? Dans le rapport annuel de L’IFEN (Institut Français de l’Environnement) sur l’état de l’environnement en France rien ne manque : pollution de l’air, de l’eau, des sols jusqu’à même la pollution radioactive résultant de l’explosion de Tchernobyl. Tout, oui, concernant le territoire métropolitain mais rien, ou très peu, sur les îles et territoires lointains qui mériteraient pourtant plusieurs chapitres à eux tous seuls.

 

Les DOM/TOM font-ils partie de la communauté européenne ? On peut s’interroger quand on voit comment s’y applique la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil européen établissant un "cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau". L’objectif visé est un retour au "bon état écologique" pour 2015. Première étape pour y parvenir : un état des lieux. Une synthèse des états des lieux des différents bassins était présentée au Comité National de l’Eau du 23 juin 2005. Si l’état des six bassins continentaux était détaillé celui des départements et territoires d’outre-mer était à peine évoqué. Les liens internet qui permettaient d’avoir accès aux documents complets de chaque bassin révélaient un manque évident d’éléments chiffrés concernant l’essentiel de l’outremer.

 

La réalité est que les départements et territoires d’outremer ont été totalement laissés en marge de la politique de l’eau menée par la France. Il est surtout scandaleux de constater que la France a attendu près de quarante ans pour commencer à y installer des organismes de bassins.

 

Un devoir de réparation :

 

Certes, des comités de bassin, des offices de l’eau se mettent en place dans les DOM/TOM mais personne ne peut imaginer que, livrés à leurs seuls moyens techniques et financiers, ils puissent redresser quarante ans de laisser-faire. Ces biotopes particulièrement riches, ces milieux fragiles, auraient dû faire l’objet d’une attention particulière. On les a, tout au contraire, laissés se dégrader pour des intérêts à court terme. L’état français a un devoir de réparation vis-à-vis de ces départements et territoires qui font partie du patrimoine mondial.

 

La directive cadre européenne exige le retour à un bon état écologique des milieux aquatiques de l’ensemble du territoire Français pour 2015. Une priorité s’impose : la remise en état des sols et des milieux aquatiques des territoires et départements d’outremer.

 

Voir aussi sur ce site :Antilles, silence on empoisonne !
http://seaus.free.fr/spip.php?article21

 

et Le SDAGE de Guadeloupe. En particulier avis du Comité National de l’eau page 133.
http://www.guadeloupe.environnement.gouv.fr/DCE/page_telechargement.htm#Le%20SDAGE%20de%20Guadeloupe

 

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21 novembre 2024 4 21 /11 /novembre /2024 13:40

La Terre au Carré.

photo Nicole et Félix le Garrec

Après-guerre, en Bretagne surtout, et dans une moindre mesure dans les zones moins bocagères, les haies ont été arrachées à coups de bulldozer, les talus arasés, et les vergers réduits à néant. C'est ce qu'on a appelé le remembrement et voici son histoire oubliée racontée dans une BD.
Avec Inès Léraud Journaliste

 

En mai 1978, Gildas Le Coënt, emprisonné neuf mois en hôpital psychiatrique, est libéré. Cette affaire marque un nouvel épisode de la bataille bretonne contre le remembrement. Elle reflète une réalité vécue par des milliers de paysans à travers la France pendant les décennies de modernisation agricole. Inès Léraud est journaliste, et lanceuse d’alerte en 2019 face à l’omerta des algues vertes. Elle publie aujourd'hui « Champs de bataille, l'histoire enfouie du remembrement », sa deuxième BD, une enquête avec Pierre van Hove, publiée chez La Revue Dessinée et les Éditions Delcourt.

 

 

Des blessures toujours vives dans la mémoire collective

 

 

Les témoignages recueillis révèlent des traumatismes profonds. Comme le rapporte Jacqueline Goff née en 1953 : "Je revois l'apparition des bulldozers, ce saccage qui détruit tout, les arbres, les talus. Ce n'était pas un remembrement, un démembrement, c'était le chaos." sur France Culture. Cette mémoire douloureuse se transmet encore dans les villages, où certaines familles ne se parlent plus depuis cette époque.
 

 

Une modernisation imposée qui a divisé les campagnes

 

 

Le remembrement, lancé après la Seconde Guerre mondiale, visait à adapter l'agriculture française aux enjeux de productivité et de concurrence internationale. "C'était une société paysanne qui n'était pas dans une logique de l'argent" explique Inès Léraud, "il s'agissait de regrouper les parcelles, d'arracher les arbres, les talus, pour avoir des champs facilement cultivables par des machines". Cette politique crée alors des tensions durables, opposant les "gagnants", appelés "profiteurs" et les "lésés" du remembrement.

 

 

Ce qui frappe Inès Léraud et Léandre Mandard en travaillant sur le sujet du remembrement, c'est l'ampleur des résistances et des conflits liés à cette question. Un mouvement contestataire qu'on aurait difficilement imaginé vu le peu de cas qu'en ont fait les sociologues ruraux et les historiens jusque-là. "Or, dans les archives départementales, les cartons de réclamation, de recours, de lettres, de mécontentement. Il y en avait partout, dans toutes les archives départementales où je suis allée sur le territoire français. Les bulldozers du remembrement ont dû être accompagnés des forces de l'ordre pour intervenir" explique Inès Léraud.

 

 

Un impact environnemental majeur qui persiste

 

 

Les conséquences de cette transformation radicale des paysages se font encore sentir aujourd'hui. "Il y a 23 000 kilomètres de haies qui disparaissent chaque année, il y en a 3 000 qui sont replantées, donc on perd 20 000 kilomètres de haies chaque année", souligne Inès Léraud. Cette destruction massive du bocage, associée à la diminution drastique du nombre d'agriculteurs (passé de 7 millions en 1946 à 400 000 aujourd'hui), illustre l'ampleur des changements opérés. "Certains chercheurs parlent même d'éthnocide, on a perdu 90% des paysans." explique Inès Léraud.

 

La suite est à écouter...

 

 

Inès Léraud et Léandre Mandard, agrégé d’histoire et doctorant au Centre d’histoire de Sciences-Po (CHSP). Après avoir étudié le mouvement militant gallo au XXe siècle, il s’intéresse à l’histoire sociale, culturelle et environnementale de la modernisation agricole en Bretagne.
 

 

Sa thèse, qu’il soutiendra en 2025, sous la direction d'Alain Chatriot, s'intitule « Révolution dans le bocage. Genèse, exécution et contestations du remembrement rural en Bretagne (1941-2007) ». Il a travaillé avec Inès Léraud comme « conseiller historique ». Il avait également collaboré à l’ouvrage « Algues Vertes, l’histoire interdite » en proposant une version en gallo, titrée « Limouézeries, l’istouère defendue » Inès Léraud, et Léandre Mandard sont tous deux membres de « Splann ! » (« clair », en breton), un média en ligne indépendant consacré à l'investigation en Bretagne (Inès Léraud en est cofondatrice).

 

_____________________________________________________________________________________

 

 Ils reconstruisent les paysages détruits par le remembrement.

 

extrait de S-eau-S, l'eau en danger.

 

 

Ils sont quelques « fêlés » à vouloir remonter le cours du temps :
 

 

Décembre 1992, dans un champ au dessus de la rivière Elorn une trentaine de personnes s’occupent à reconstruire un talus à l’ancienne dans un champ travaillé par Goulven Thomin, agriculteur bio. Le maître d’œuvre, Mikael Madec, est bien connu en Bretagne comme le collecteur assidu des gestes et des mots de la vie traditionnelle. Auteur d’un livre en breton sur la construction des talus, il a su mettre la main à la pâte et retrouver les méthodes anciennes. Sous sa direction donc, une équipe découpe les mottes, une autre les véhicule avec précaution, la troisième se livre au délicat travail de l’assemblage. En trois heures, malgré la pluie fine, une centaine de mètres d’un beau talus arrondi est monté. Il ne reste plus qu’à s’attabler devant le solide casse - croûte qui est de tradition quand Goulven invite ses amis à un « grand chantier ».

 

Naturellement l’opération est symbolique. Cette parcelle avait jadis été remembrée de force. Son propriétaire, Jean Tanguy, s’était placé devant les engins venus araser ses talus, il avait fallu faire intervenir la gendarmerie.

 

Il s’agissait donc de rappeler à tous ceux qui semblaient les avoir oubliées, les multiples fonctions des talus : remparts contre les vents dominants, barrières contre le ruissellement, pièges pour les nitrates et les pesticides, refuges pour les plantes et les animaux « sauvages », facteurs d’équilibre biologiques.

 

Bien sûr, 100m de talus reconstruits n’allaient pas inverser à eux seuls la tendance. Les bulldozers du remembrement en avait détruit 200 000 km !

 

Sur la parcelle voisine, pour parfaire la démonstration, un tracto-pelle travaillait lui aussi à remonter un talus. Chacun pouvait apprécier la meilleure qualité esthétique du talus « fait main » mais reconnaissait cependant que le travail mécanique faisait quand même moins mal aux reins. Il ne s’agissait pas de « retourner à la marine à voile », comme le faisait remarquer Jean-Yves Kermarrec, un des pionniers de la lutte pour la protection de l’environnement dans le secteur. Les nouveaux paysans ont une vision très « nouvelle » de la vie. L’informatique, internet, ne leur font pas peur, pas plus que le tracteur, quand il est manié de façon conviviale. Ce qu’un engin a démoli, un autre engin peut le reconstruire !

 

Restait à espérer que la course engagée entre ceux qui redressent les talus et ceux qui les détruisent tournerait à l’avantage des premiers.

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8 juillet 2024 1 08 /07 /juillet /2024 14:07


 

 

2 septembre 2002. Sommet mondial de la Terre des Nations Unies, à Johannesburg en Afrique du Sud.

 

 

https://www.dailymotion.com/video/x80sm2x

 

Jacques Chirac, à la tribune, scande son discours par de larges mouvements des bras. Une pause, un coup d’œil sur les notes, préparées par l’un de ses collaborateurs, et vient la phrase :
 

 

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs »


 

Et pour frapper encore plus fort :


 

« Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’humanité contre la vie. »
 

 

Effet garanti devant les soixante mille délégués et présidents, venus de cent quatre-vingt-sept pays, au premier rang desquels Nelson Mandela. Les médias français, le lendemain, auront compris le message du jour et ne manqueront pas de le diffuser en boucle.
 

 

Les délégués à ce sommet de Johannesburg se retrouvaient pour faire le point sur l’application des engagements pris dix ans plus tôt à la « Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement » qui s’était tenue à Rio de Janeiro, au Brésil, pendant le mois de juin de 1992. Cette conférence est restée dans les mémoires comme le « Sommet de la Terre de Rio ». 178 pays y étaient représentés, 110 chefs d’État et de gouvernement, 2000 représentants d’ONG (organisations non gouvernementales) et surtout des milliers de personnes au forum organisé en parallèle par les ONG. Un vrai succès qui s’est conclu par une « Déclaration de Rio sur l’Environnement et le Développement » énonçant 27 principes dont celui de « développement durable ». Même s’il a été depuis largement détourné par tous ceux qui ne retenaient que le « développement » oubliant le « durable », il incluait le droit reconnu à chaque humain à une vie saine en harmonie avec la Nature, l’élimination de la pauvreté, la  priorité accordée aux .pays les plus vulnérables.
 

 

Plus concrètement était adopté par les chefs d’État présents un « Agenda 21 », plan d’action pour le 21e siècle énumérant 2500 principes précisant l’application de la déclaration. Son chapitre 9 consacré à la « Protection de l’atmosphère » alertait déjà sur le bouleversement climatique.
 

 

Oui, déjà, en 1992, à Rio, on le savait. La Planète brûlait !
 

 

10 ans plus tard à Johannesburg, le point doit être fait sur la mise en application des engagements de Rio. Les représentants des États producteurs et consommateurs de combustibles fossiles qui se succèdent à la tribune ont bien retenu le vocabulaire des militants écologistes. Après le président français soudainement inspiré, chacun se doit de participer à la surenchère verbale.
 

 

La réalité de leur engagement se révèle pourtant tout autre. Le sujet le plus épineux est l’énergie : quelle part pour les renouvelables ? Les ONG se battent pour qu’un objectif chiffré et un calendrier soient fixés pour leur miseen œuvre. La montagne de discussions accouche finalement de la proposition de les accroître « substantiellement » de façon « urgente ». Il urgeait surtout de ne s’engager sur rien. De même, alors qu’il était question de supprimer toutes les subventions aux énergies fossiles, on ne parle plus dans le texte final que de faire la promotion des énergies fossiles « propres ». Propres ? Les lobbies du pétrole et du gaz ont su traduire : carte blanche pour ne rien changer tout en adoptant une novlangue écolo. Place au greenwashing !
 

 

Quant aux deux milliards de personnes dans le monde qui n’ont pas accès à des services énergétiques satisfaisants et qui seront les premières à subir les effets du dérèglement climatique, le texte final n’en  disait rien. Les véritables gagnants étaient les États-Unis, l’Arabie saoudite, le Japon, le Canada, l’Australie, qui avaient réussi à protéger leurs intérêts dans le domaine des combustibles fossiles.
 

 

Dehors les ONG manifestaient leur colère. Yves Cochet, député des Verts ironisait : « Jacques Chirac parle  d’or mais ne parle pas d’argent ». Dans l’ombre, Nicolas Hulot, le récent conseiller pour l’environnement du président français, cherchait à limiter les dégâts. De « cette immense montagne » qui, ajoutait-il, « va probablement accoucher d’une souris », il réussissait à extraire un élément positif : « sur un plan psychologique, c’est quand même important parce que là, les derniers doutes sont levés. »
 

 

Effectivement, pour les ONG, les derniers doutes avaient été levés à Johannesburg. On savait à présent qu’il n’y avait rien à attendre de ces sommets mondiaux où chacun se livre à une surenchère d’envolées lyriques sur la protection de l’environnement sans l’intention de mettre en œuvre un seul des engagements publiquement annoncés.


 

Aux armes citoyens !


 

Retour de Johannesburg, chacun a pu constater que Jacques Chirac s’est bien employé à mettre en sourdine ses déclamations écologistes. Pourtant, le 3 février 2007, l’occasion lui était donnée de récidiver. C’est par un « Appel de Paris » qu’il concluait la réunion de travail du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, qui se tenait dans la capitale française. Les rapports des experts se font de plus en plus précis. Ce rapport, le quatrième depuis la création du GIEC, est particulièrement alarmiste. Il constate que la fonte complète de l’inlandsis du Groenland pourrait entraîner une élévation du niveau de la mer de plusieurs mètres. Résultat : les terres de basse altitude seraient submergées. De nombreuses régions et même des États disparaîtraient de la carte.
 


Jacques Chirac semble trouver les rapporteurs du GIEC bien trop timides. En nouveau prophète de  l’écologie, il n’hésite pas à faire de la surenchère. « Le jour approche où l’emballement climatique échappera à tout contrôle : nous sommes au seuil de l’irréversible », assène-t-il. Cette fois le mot qui devra rester dans les annales sera : Révolution !
 

 

« Face à l’urgence, le temps n’est plus aux demi-mesures : le temps est à la Révolution. La Révolution des consciences. La Révolution de l’économie ».
 

 

Qui se souvient des « Bastilles économiques » prises par Jacques Chirac ? Les lobbies de l’automobile, de l’agrochimie et du pétrole, ont-ils eu à se plaindre de son passage au pouvoir ? Ont-ils été mis hors d’état de nuire ces ci-devant pyromanes dénoncés par ce nouveau Robespierre ?
 

 

Elf et l’argent du pétrole

 


Au moment même où, à Johannesburg, Jacques Chirac lançait sa célèbre imprécation, Loïk Le Floch-Prigent, ancien PDG d’Elf, préparait son procès en appel dans ce qui est devenu « l’affaire Elf ». Il a fallu toute la persévérance et le courage des juges Eva Joly et Laurence Vichnievsky pour mettre à jour l’une des affaires de corruption les plus tristement célèbres de la fin du 20e siècle : les marchés du pétrole acquis par Elf en échange de somptueux dessous de table remis aux différents chefs des États concernés. Avec à la clé une partie du butin rapatrié et partagé entre les responsables politiques du moment en France.
 

 

« Cette fois je vais tout dire » déclare Loïk Le FlochPrigent dans une interview au journal Le Parisien le 26 octobre 2002. Chirac savait, dit-il. Il a ainsi l’intention de produire une lettre « signée de la main de Jacques Chirac », établissant que ce dernier « était parfaitement au courant des commissions versées par Elf ». Interrogé par le Journal du dimanche en septembre2011, l’avocat Robert Bourgi, successeur de  Jacques Foccart, révélait à son tour « vingt-cinq ans de pratiques occultes sous Chirac ». Il a des comptes à régler et raconte les transferts de fonds entre les chefs d’État africains et Jacques Chirac. « Moi-même, j’ai participé à plusieurs remises de mallettes à Jacques Chirac, en personne, à la mairie de Paris » dit-il,  citant en particulier la présidentielle de 2002 avec les liasses de billets, trois millions de dollars, remis à Dominique de Villepin de la part de Omar Bongo.

 

 

https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i09036599/jacques-chirac-une-histoire-abracadabrantesque

 

Propos « abracadabrantesques » ? L’Histoire le dira mais à Johannesburg, comme plus tard à Paris, les chefs de gouvernements et diplomates, bien informés des dessous de la politique française en matière de pétrole et de corruption, ont dû être admiratifs devant l’aplomb du chef de l’État français.
 

 

La maison brûle ?
 

 

Reste pourtant la phrase-choc. Elle réapparaît à chaque nouvelle grand-messe concernant le climat. Elle a été, fort justement, détournée par l’ironie de celles et ceux qui ne peuvent que subir le double langage des grands de cemonde. Ils constatent que ce « nous » qui « regardons ailleurs » s’applique, à l’évidence en premier lieu, à laplupart des chefs d’État.

 


 - L e climat se détraque... et ils regardent ailleurs.


- Les océans s’étouffent sous les plastiques... et ils regardent ailleurs.
 

- Les oiseaux, les insectes, disparaissent... et ils regardent ailleurs.
 

- La famine menace des millions de personnes... et ils regardent ailleurs.
 

- Les canicules, les inondations, les ouragans, les incendies, font des milliers de morts... et ils regardent ailleurs.

 

 

Pour aller plus loin.

 

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6 juillet 2024 6 06 /07 /juillet /2024 14:35

 

« Le programme du RN est une imposture »

 

 

https://x.com/i/status/1806669097196835285

 

 

Quand je regarde le programme du Rassemblement National qui aborde les questions d'écologie j'y vois une imposture.

 

Première imposture. C'est de prétendre défendre l'indépendance et la souveraineté tout en proposant des mesures qui vont acter une plus lourde dépendance à l'approvisionnement en énergie fossile, notamment en pétrole et en gaz et donc une dépendance par rapport à d'autres puissances qui, on l'a vu avec la Russie, ne nous sont pas favorables.

 

Et puis par ailleurs, une deuxième imposture qui est de prétendre protéger les personnes sachant que ne pas agir en  fonction du changement climatique que ce soit de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou l'anticipation pour l'adaptation et la gestion de risques, c'est un énorme facteur d'inégalité, c'est la pire action à mener pour protéger les plus fragiles.

 

Et la dernière chose c'est que pour un parti qui prétend mettre en avant la transmission, ignorer les enjeux de transmission et de protection des écosystèmes, c'est une forme de patrimoine aussi, ne rien proposer pour le faire quand on voit les questions posées sur les coraux, sur le forêts, sur les glaciers, sur le littoral avec la montée du niveau de la mer, évidemment c'est se mettre la tête dans le sable. C'est du déni, non pas nécessairement du problème, mais du constat scientifique de la capacité à agir, des leviers d'action. Et une chose qui est certaine avec la changement climatique, si on se met la tête dans le sable les problèmes ne se résoudront pas, ils risquent d'être beaucoup plus, beaucoup plus difficiles à gérer.

 

 

Voir aussi la déclaration du conseil scientifique du CNRS.

 

Le Conseil scientifique du @CNRS rappelle son attachement aux principes à vocation universelle de liberté, d'égalité, de fraternité, de laïcité, de solidarité, de tolérance et d’hospitalité.

 

 

 

 

 

Message bien reçu.

L'imposture du Rassemblement National a été rejetée.

 

 

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24 mars 2024 7 24 /03 /mars /2024 12:20

 

Le 25 mars 2023, une grande manifestation avait lieu à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), pour protester contre une mégabassine en projet. Contestées depuis des années, ces immenses retenues d’eau sont destinées à irriguer de grandes exploitations céréalières. Mais le gouvernement n’entendait pas céder d’un pouce. Pis, il avait préparé une répression d’une ampleur démesurée. Le bilan : plus de 200 blessés, dont plusieurs dans un état tel qu’ils sont restés entre la vie et la mort pendant plusieurs semaines. Cette journée de carnage a aussi accablé le mouvement écologiste, traumatisé par la violence étatique.

 

L’histoire de cette folle journée, il fallait la raconter en images, en vidéo, il fallait en retracer le déroulement, établir les faits. Contrer, aussi, le récit officiel, par lequel le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a prétendu que les forces policières n’avaient fait que leur devoir face à « l’ultragauche ».

 

Ce récit inédit, Off Investigation et Reporterre le présentent, en coproduction, dans une réalisation de Clarisse Feletin et Maïlys Khider. Et parce que la vérité doit être connue de toutes et de tous, nous le diffusons en accès libre :

 

 https://youtu.be/3ymjnILRclQ

Ce sont deux médias libres qui ont produit cette enquête : libres de la pression d’actionnaires, libres du pouvoir, libres de la publicité. Et c’est pourquoi, financés uniquement par les internautes, nous pouvons mener des enquêtes, avec pour seule contrainte la recherche de la vérité. Pour nous soutenir, c’est ici.

 


 

Le 25 mars 2023, la manifestation de Sainte-Soline marquait un tournant dans la lutte écologiste. Un an plus tard, Reporterre consacre une série d’articles aux mégabassines et à leur contestation.

__________________________________________________________________________________________________________________

Ce film me rappelle un autre répression sanglante. Celle de la manifestation de Malville en 1977.

 

Extrait : Que peut faire une population victime d’une telle obstination sinon exprimer publiquement son opposition ? La manifestation de 1976 n’a pas pu arrêter les travaux, il faut donc que celle de 1977 soit réellement massive. Les organisateurs veulent faire de ce rassemblement "une grande manifestation internationale et pacifique qui montrera la volonté massive des populations de s’opposer aux programmes nucléaires civils et militaires".

 

La manifestation sera internationale. La pollution n’a pas de frontières. Pourquoi les Français seraient-ils les seuls à manifester quant les Suisses, les Italiens, les Allemands sont aussi directement menacés ? Déjà les écologistes veulent penser et agir en européens. On leur fera payer cher cette mobilisation transfrontalière mais le mouvement est initié : on retrouvera des Allemands, des Suisses, des Italiens, des Anglais et bien d’autres nationalités aux rassemblements de Plogoff deux ans plus tard.

 

La manifestation sera pacifique. La présence du MAN (Mouvement pour une Alternative Non-violente) est le gage de cette volonté. Le rassemblement doit d’abord être un lieu de rencontres. Pour cela il est organisé en deux temps. Le 30 juillet des débats et forums se tiendront dans les différentes localités qui accueillent les marcheurs. Le 31, une marche pacifique se rendra sur le site.

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23 novembre 2023 4 23 /11 /novembre /2023 18:09

Gérard Borvon

(première mise en ligne,15/08/2018)

 

"C'est un fait connu, & sans doute depuis longtemps, qu'une chambre, qu'un carrosse, une couche, sont plus fortement chauffés par le soleil, lorsque ses rayons passent au travers de verre ou de châssis fermés, que quand ces mêmes rayons entrent dans les mêmes lieux ouverts & dénués de vitrage. On sait même que la chaleur est plus grande dans les chambres ou les fenêtres ont un double châssis."

 

C'est ainsi que Horace Bénédict de Saussure débutait une lettre, datée du 17 avril 1784, adressée, depuis Genève, au "Journal de Paris". Géologue et naturaliste né à Conches près de Genève, en 1740, Saussure est surtout connu pour ses excursions dans les Alpes et en particulier pour avoir été l'un des premiers à atteindre le sommet du Mont Blanc où il avait pu constater que la température d'ébullition de l'eau n'était plus que de 86° de notre échelle Celsius.

 

La chaleur est également l'un de ses premiers centres d'intérêt. C'est pourquoi ce phénomène d'élévation de la température derrière une vitre ne pouvait pas manquer d'attirer son attention.

 

"Lorsque je réfléchis pour la première fois à ces faits si connus, je fus bien étonné qu'aucun Physicien n'eût cherché à voir jusqu'où pouvait aller cette augmentation ou cette concentration de la chaleur", écrit-il.

 

Horace Bénédict de Saussure, l'héliothermomètre et l'effet de serre.

 

Il se propose donc de rendre compte d'une série de mesures qu'il a commencées dès 1767. Son dispositif expérimental, auquel il donne le nom d'Héliothermomète, est une "caisse en sapin d'un pied de longueur sur 9 pouces de largeur et de profondeur". Des études antérieures lui ont montré qu'un corps sombre absorbe mieux la chaleur, il choisit donc de tapisser l'intérieur de la boite "d'un liège noir épais d'un pouce" qui constitue par ailleurs un bon isolant thermique. Son couvercle est constitué de trois glaces "placées à un pouce et demi de distance l'une de l'autre". l'expérience demande de suivre la course du soleil de telle sorte que ses rayons entrent toujours dans la boite perpendiculairement à la vitre. Utilisant cette méthode, la plus grande température qui est atteinte est de 87,7°, "c'est à dire de plus de 8 degrés au dessus de la chaleur de l'eau bouillante". L'échelle utilisée est ici celle de Réaumur qui fixe à 80 degrés la température d'ébullition de l'eau. Prenant des mesures pour mieux isoler la boite, il obtiendra même des températures atteignant 128°R soit 160°C.

 

Voilà pour l'observation.

"Quant à la théorie, écrit-il, elle me paraît si simple, que je ne crois pas qu'elle ajoute beaucoup à la gloire de celui qui la développera". Il se souvient que "l'immortel Newton" a prouvé que les corps sont réchauffés par la lumière qu'ils absorbent. L'explication lui paraît donc évidente :

 

 

"Sans décider si les rayons du soleil sont eux-mêmes du feu, ou s'ils ne font qu'imprimer au feu contenu dans les corps un degré de mouvement qui produit la chaleur, c'est un fait qu'ils les réchauffent. C'est un fait tout aussi certain, que quand le corps sur lesquels ils agissent est exposé en plein air, la chaleur dont ils le pénètrent lui est en partie dérobée par les courants qui règnent dans l'air, & par ceux que cette chaleur produit elle même, Mais si ce corps est situé de manière à recevoir ses rayons sans être accessible à l'air, il conserve une plus grande proportion de la chaleur qui lui est imprimée".

 

La météorologie mesure aujourd'hui l'importance des phénomènes de convection pour les échanges de chaleur dans les fluides, en particulier dans l'atmosphère ou dans les océans. Saussure les avait déjà bien analysés en constatant que dans une boite vitrée, fermée et isolée, l'air conservait sa chaleur car il ne pouvait y avoir d'échange avec l'air extérieur plus froid. Bien imaginées aussi les applications possibles de son montage expérimental.

 

"Quant aux applications, je m'en suis aussi occupé", écrit-il, Comme je ne me flattais pas de fondre des métaux, je ne pensais qu'à faire servir cette invention à des usages qui ne demandent qu'une chaleur peu supérieure à celle de l'eau bouillante. Je voulais aussi éviter l'assujettissement et la perte du temps qu'entraîne la nécessité de présenter toujours la caisse au soleil à mesure que sa position change. Dans cette intention j'ai essayé d'employer des calottes de verre hémisphériques qui s'emboîtent les unes dans les autres".

 

L'idée se justifiait, la démarche témoignait d'un réel comportement scientifique. Hélas, le résultat escompté ne fut pas au rendez-vous et l'expérimentateur constate "qu'on ne pourrait pas même se flatter de faire cuire sa soupe dans cet appareil". Il préfère donc s'en tenir à sa caisse initiale qui en plus de pouvoir servir de "thermomètre solaire" serait apte, dit-il, à pratiquer des distillations ou toute autre opération qui ne demanderait pas "un degré de chaleur fort supérieur à celui de l'eau bouillante". Pourrait-il imaginer que deux siècles et demi plus tard de telles boites, d'une plus grande surface, au fond noirci traversé par des serpentins parcourus par un liquide caloporteur, seraient disposées sur les toits des maisons pour fournir à ses occupants l'eau chaude nécessaire à leur usage domestique. Son dispositif, qui avait mis en évidence ce que nous désignons aujourd'hui comme "effet de serre", est en effet devenu, par l'usage des panneaux solaires thermiques, une utilisation économe, intelligente et non-polluante du rayonnement solaire.

 

Jean Baptiste Joseph Fourier. De l'héliothermomètre à la température du globe terrestre.

 

Fourier (1768-1830) est d'abord connu comme mathématicien pour ses "séries", outil mathématique qu'il a d'abord appliqué à l'étude de la diffusion de la chaleur. En 1827 est publié dans les Mémoires de l'Académie des Sciences de l'Institut de France son "MÉMOIRE sur les températures du globe terrestre et des espaces planétaires". S'interrogeant sur l'influence de l'atmosphère sur la température du globe il fait une référence appuyée aux travaux de Saussure. On doit, dit-il au célèbre voyageur, une expérience qui apparaît très propre à éclairer la question". Il décrit avec précision l'instrument mis au point par Saussure. Celui-ci l'intéresse particulièrement par le fait qu'il a permis à son constructeur de "comparer l'effet solaire sur une montagne très élevée à celui qui avait lieu dans une plaine inférieure", montrant ainsi le rôle de l'épaisseur de l'atmosphère dans le phénomène.

 

"La théorie de cet instrument est facile à concevoir", dit-il. Comme Saussure il considère "que la chaleur acquise se concentre parce qu'elle n'est point dissipée immédiatement par le renouvellement de l'air". Il y ajoute une seconde raison qui nous rapproche d'une vision contemporaine largement vulgarisée :

 

"la chaleur émanée du soleil a des propriétés différentes de la chaleur obscure. Les rayons de cet astre se transmettent en assez grande partie au-delà des verres dans toutes les capacités et jusqu'au fond de la boite. Ils échauffent l'air et les parois qui le contiennent : alors la chaleur ainsi communiquée cesse d'être lumineuse; elle ne conserve que les propriétés communes de la chaleur rayonnante obscure. Dans cet état, elle ne peut traverser librement les plans de verre qui couvrent le vase ; elle s'accumule de plus en plus dans une capacité enveloppée d'une matière très-peu conductrice, et la température s'élève jusqu'à ce que la chaleur affluente soit exactement compensée par celle qui se dissipe".

 

Une dizaine d'années sépare ce texte de la présentation par Fresnel de sa théorie ondulatoire de la lumière. Cette "chaleur rayonnante obscure" attendra encore quelques années avant d'être qualifiée de "rayonnement infrarouge".

 

L'analogie avec l'atmosphère s'impose alors à Fourier. Le même phénomène expliquerait la température plus élevée dans les basses couches de l'atmosphère. Si les différentes couches de l'atmosphère restaient immobiles, elles se comporteraient comme des vitres. "la chaleur arrivant à l'état de lumière jusqu'à la terre solide perdrait tout-à-coup et presque entièrement la faculté qu'elle avait de traverser les solides diaphanes ; elle s'accumulerait dans les couches inférieures de l'atmosphère, qui acquerraient ainsi des températures élevées". Fourier n'ignore pourtant pas que l'air chaud s'élève et se mélange à l'air froid des altitudes mais il estime que ce phénomène ne doit pas altérer totalement l'effet de la lumière obscure "parce que la chaleur trouve moins d'obstacles pour pénétrer l'air, étant à l'état de lumière, qu'elle n'en trouve pour repasser dans l'air lorsqu'elle est convertie en chaleur obscure".

 

Depuis Lavoisier on sait que l'air est un mélange de gaz, que signifie alors la perméabilité de l'air au rayonnement solaire ou à la "chaleur rayonnante obscure" ? Les différents gaz qui le composent ont-ils tous le même comportement ? C'est la question que se pose John Tyndall.

 

John Tyndall (1820-1893), le découvreur des gaz à "effet de serre".

 

John Tyndal est né en Irlande et y a vécu sa jeunesse. Autodidacte, comme Faraday dont il a été l'élève, ses travaux scientifiques lui valent une solide renommée, tant en Europe que dans les États d'Amérique. Excellent vulgarisateur, il donne, en 1864 à Cambridge, une conférence, sous le titre "La radiation", dans laquelle il expose ses travaux sur l'absorption des rayons lumineux par différents gaz. Sa traduction par l'Abbé Moigno est publiée en France dès l'année suivante. Son traducteur est enthousiaste : "Le motif de sa dissertation lui était imposé par l'immense retentissement de ses admirables découvertes dans le domaine des radiations lumineuses et caloriques. Il l'a traité avec une lucidité, une sobriété, une élégance, une aisance magistrales ; et nous ne nous souvenons pas d'avoir lu avec plus de plaisir d'autres dissertations scientifiques".

 

Le texte est court (64 pages) et l'éloge justifié. Il mérite d'être lu dans sa totalité. Qui le lirait y trouverait l'essentiel de ce que nous enseignent les climatologues aujourd'hui. Son exposé s'attache d'abord à établir l'existence de lumières invisibles à l’œil. Il est acquis, depuis Fresnel, que la lumière solaire est composée de multiples radiations. En particulier il s'intéresse à celle qu'il désigne sous le terme "d'ultra-rouge" et que nous désignons aujourd'hui comme "infra-rouge". Il expose comment son existence a été révélée par l'astronome britannique William Herschel. L'expérience est belle, elle mérite d'être rappelée.

 

"Forçant un rayon solaire à passer à travers un prisme, il le résolut dans ses éléments constituants, et le transforma en ce qu'on appelle techniquement le spectre solaire (souligné par lui). Introduisant alors un thermomètre au sein des couleurs successives, il détermina leur pouvoir calorifique, et trouva qu'il augmentait du violet, ou du rayon le plus réfracté, au rouge ou rayon le moins réfracté du spectre. Mais il ne s'arrêta pas là. Plongeant le thermomètre dans l'espace obscur au delà du rouge, il vit que, quoique la lumière eût entièrement disparu, la chaleur rayonnante qui tombait sur l'instrument était plus intense que celle que l'on avait mise en évidence à tous les points du spectre visible."

 

Mentionnant les travaux de Ritter et Stokes sur les "ultraviolets" Tyndall pouvait alors présenter le rayonnement solaire comme composé de "trois séries différentes".

  1. des rayons ultra-rouges d'une très grande puissance calorique, mais impuissants à exciter la vision.

  2. Des rayons lumineux qui déploient la succession suivante de couleurs : rouge, orangé, jaune, vert, bleu, indigo, violet

  3. des rayons ultra-violets, impropres à la vision comme les rayons rouges, dont le pouvoir calorifique est très faible, mais qui en raison de leur énergie chimique, jouent un rôle très important dans le monde organique.

 

Suit un exposé sur la nature des radiations. Quel est le lien entre la chaleur dégagée dans un fil de platine chauffé au rouge ou au blanc par un courant électrique le traversant et la perception de cette lumière par l’œil ? Son compatriote Maxwell a émis récemment l'hypothèse selon laquelle la lumière serait une onde électromagnétique se déplaçant dans un hypothétique éther. Sa réponse est conforme au modèle. Il existe dit-il un "éther lumineux" qui comme l'air transmet les sons, est "apte à transmettre les vibrations de la lumière et de la chaleur". Ainsi "chacun des chocs de chacun des atomes de notre fil excite en cet éther une onde qui se propage dans son sein avec la vitesse de 300 000 kilomètres par seconde". C'est cette onde, reçue par la rétine, qui provoque chez nous la sensation de lumière.

 

Le chapitre qui suit a pour titre "Absorption de la chaleur rayonnante par les gaz". Son objet concerne particulièrement notre sujet, à savoir ce que nous désignons par "effet de serre".

 

"Limitant tout d'abord nos recherches au phénomène de l'absorption, nous avons à nous figurer une succession d'ondes issues d'une source de rayonnement et passant à travers un gaz. Quelques-unes de ces ondes viennent se heurter contre des molécules gazeuses et leur cèdent leur mouvement ; d'autres glissent autour des molécules, ou passent à travers leurs espaces intermoléculaires, sans obstacle sensible. Le problème consiste à déterminer si de semblables molécules libres ont à un degré quelconque le pouvoir d'arrêter les ondes de la chaleur, et si les différentes molécules possèdent ce pouvoir à différents degrés".

 

Le montage expérimental consiste en un plaque de cuivre chauffée jusqu'à incandescence. La lumière produite est transmise à un tube fermé par deux plaques de sel gemme "seule substance solide qui offre un obstacle presque insensible au passage des ondes calorifiques". Le tube peut être rempli de gaz divers sous la même pression de 1/30 d'atmosphère. La température y est mesurée par une "pile thermo-électrique", instrument d'une invention récente.

 

 

 

Les résultats sont publiés dans un tableau qui exprime les quantités de radiations absorbées respectivement par les différents gaz, "en prenant pour unité la quantité absorbée par l'air atmosphérique".

 

 

On y retrouve la plupart des gaz dont la nuisance nous préoccupe aujourd'hui. En particulier le dioxyde de carbone (acide carbonique), le protoxyde d'azote, l'acide nitreux.

 

Un dernier résultat "incroyable" !

 

Une dernière partie vient compléter ce tableau. Elle concerne l'étude "des vapeurs aqueuses de l'atmosphère dans leurs rapports avec les températures terrestres". L'importance des résultats mérite une mise en scène. Après les premières mesures effectuées sur différents gaz, "nous voici préparés à accepter un résultat qui sans ces préliminaires serait apparu complètement incroyable", annonce le conférencier.

 

Le nouveau gaz étudié n'est autre que la vapeur d'eau. C'est "un gaz parfaitement impalpable, diffusé dans toute l'atmosphère même les jours les plus clairs". La quantité de cette vapeur est infinitésimale comparée à la composition de l'air en oxygène et azote. Pourtant les mesures effectuées montrent que son effet est 200 fois supérieur à celui de l'air qui la contient. Ce fait, note-t-il, "entraîne les conséquences les plus graves relativement à la vie sur notre planète".

 

Conséquences les plus graves ? C'est exactement ce que seraient tentés de dire la plupart de nos contemporains mais John Tyndall y voit en réalité une chance. La chaleur du sol échauffé par les rayons du soleil se communiquent à l'atmosphère sous formes de ces ondes de lumière "ultra-rouges" de grande puissance calorique. L'air seul serait insuffisant pour les retenir. Heureusement, constate Tyndall "les vapeur aqueuses enlèvent leur mouvement aux ondes éthérées, s'échauffent et entourent ainsi la terre comme d'un manteau qui la protège contre le froid mortel qu'elle aurait sans cela à supporter".

 

Plus tard, dans sa conclusion, le constat prend des proportions lyriques. "La toile d'araignée tendue sur une fleur suffit à la défendre de la gelée des nuits ; de même la vapeur aqueuse de notre air, tout atténuée qu'elle soit, arrête le flux de la chaleur rayonnée par la terre, et protège la surface de notre planète contre le refroidissement qu'elle subirait infailliblement, si aucune substance n'était interposée entre elle et le vide des espaces célestes". Il en veut pour preuve que partout où l'air est sec (déserts, sommets des hautes montagnes) cela entraîne des températures diurnes extrêmes. Inversement "pendant la nuit, la terre rayonne sans aucun obstacle la chaleur vers ses espaces célestes et il en résulte un minimum de température très-basse".

 

La découverte est d'importance et il la revendique. S'il reconnaît à ses prédécesseurs, de Saussure, Fourier, Pouillet, Hopkins, d'avoir "enrichi la littérature scientifique" sur ce sujet, il fait le constat que ce n'est pas, à présent, à l'air, comme ils l'ont fait, qu'il faut s'intéresser mais à la vapeur d'eau qu'il contient.

Notons ici que, s'il cite Saussure, l'effet qu'il décrit n'a plus rien à voir avec celui d'une serre dans laquelle l'air chauffé par le soleil serait confiné. C'est donc de façon erronée que l'expression "effet de serre" continue à alimenter nos débats contemporains. D'où vient l'expression ? on la trouve utilisée par Arrhenius, dont nous verrons bientôt la contribution. "Fourier, écrit-il, le grand physicien français, admettait déjà (vers 1800) que notre atmosphère exerce un puissant effet protecteur contre la perte de chaleur par rayonnement. Ses idées furent plus tard développées par Pouillet et Tyndall. Leur théorie porte le nom de la théorie de la serre chaude (souligné par nous), parce que ces physiciens admirent que notre atmosphère joue le même rôle que le vitrage d'une serre".  Si le terme retenu par le milieu scientifique est "forçage radiatif", l'image torride d'une serre est tellement plus parlante que son succès est assuré pour longtemps encore.

 

Ainsi donc la terre est protégée par la vapeur d'eau ? Nous sommes dans la première période du développement industriel de l'Europe, comment Tyndall pourrait-il imaginer que cet équilibre qui dure depuis des milliers d'années sera rompu dans le siècle à venir. Non pas essentiellement par la vapeur d'eau mais par le CO2. Que dit-il de ce gaz ? Il a déjà mesuré que son pouvoir d'absorption des rayons lumineux est près de 1000 fois supérieur à celui de l'air. Il constate également qu'il existe un nombre de rayons "pour lesquels l'acide carbonique est impénétrable". Il en fait même un moyen de mesure du taux de CO2 dans l'air expiré par les poumons. Mais il ne percevra pas son rôle prépondérant dans le réchauffement de l'atmosphère. Ce sera la contribution de Svante Arrhenius.

 

Svante Arrhenius.

 

Svante Arrhenius est né à Vik en Suède en 1859. Chimiste, Prix Nobel, les apprentis chimistes le connaissent par la loi concernant les vitesses des réactions chimiques à laquelle on a donné son nom. Les météorologues se souviennent d'abord de ses études sur l'absorption de la lumière infrarouge par la vapeur d'eau et le CO2. Son article "De l'influence de l'acide carbonique dans l'air sur la température au sol", publié en 1896, a été longtemps une référence. Même si ses calculs ont ensuite été contestés, son analyse a amené certains commentateurs à faire de Arrhenius "le père du changement climatique".

 

Utilisant des mesures faites par Frank Washington Very et Samuel Pierpont Langley sur le rayonnement lunaire, il déduit le pourcentage d'absorption du CO2 par notre atmosphère. Il prend alors conscience du fait que l'augmentation rapide de la consommation de charbon peut contribuer à augmenter cette quantité. "L'acide carbonique, écrit-il, forme une fraction si peu importante de l'atmosphère que même la consommation industrielle de charbon semble pouvoir y influer. La consommation annuelle de houille a atteint en 1907 1200 millions de tonnes et elle augmente rapidement". Il note que sa progression est régulière : 510 millions de tonnes en 1890, 550 millions de tonnes en 1894, 690 en 1899, 890 en 1904 et il estime donc que "la quantité répandue dans l'atmosphère puisse être modifiée, dans le cours des siècles, par la production industrielle" .

La combustion de ce charbon faisant augmenter le taux de CO2 dans l'atmosphère, il estime que si ce taux doublait, la température terrestre pourrait augmenter de l'ordre de 4°C.

 

Ce taux était alors de l'ordre de 300ppm (300 parties par million) et il n'imaginait pas ce doublement avant 3000 ans, c'est à dire le temps qu'il estimait nécessaire avant d'épuiser l'essentiel des ressources du sous-sol en charbon. Un siècle plus tard, ce taux a déjà dépassé 400ppm. Sans être trop pessimistes les scientifiques du Giec estiment que cette augmentation de température de 4°C pourrait être atteinte à la fin de ce siècle et nous alertent sur tous les bouleversements qui nous attendent !

 

Arrhenius, quant à lui, n'est pas inquiet. S'il pense aux générations futures c'est en considérant que cette augmentation de la température pourrait  avoir pour elles un aspect bénéfique. Il l'affirme sans hésiter dans un ouvrage publié en 1907 dans lequel il présente sa vision de l'apparition et de l'évolution de la vie sur terre sous le titre "Worlds in the making; the evolution of the universe", traduit en France sous le titre "L'évolution des mondes.

 

"Nous entendons souvent, écrit-il, des lamentations sur le fait que le charbon stocké dans la terre est gaspillé par la génération présente sans aucune pensée pour la future… Nous pouvons trouver une sorte de consolation dans la considération que ici, comme souvent, il y a un bénéfice d'un côté pour un dommage de l'autre. Par l'influence de l'accroissement du pourcentage de l'acide carbonique dans l'atmosphère, nous pouvons espérer profiter dans le futur d'un climat meilleur et plus équitable, spécialement en ce qui regarde les régions les plus froides de la terre. Dans le futur la terre produira des cultures beaucoup plus abondantes qu'actuellement, au profit de l'accroissement rapide de l'humanité."

 

 

Il a fallu moins d'un siècle pour que ce rêve d'un avenir radieux, du moins pour les habitants de l'hémisphère nord, se transforme en cauchemar pour l'ensemble de la planète Terre.

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Il manquait une femme dans cette liste, un article du journal Reporterre vient combler ce vide.

Eunice Foote, pionnière oubliée des sciences climatiques
 

 

 

 

Des années avant que les travaux sur le changement climatique accèdent à une reconnaissance internationale, Eunice Foote découvrait les prémices de l’effet de serre avec ses expériences maison.

 

 

 

 

 

Voir :https://reporterre.net/Eunice-Foote-pionniere-oubliee-des-sciences-climatiques?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_quotidienne

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Aujourd'hui.

L'article de Svante Arrhenius a eu de l'audience dans les milieux scientifiques mais l'époque n'était pas encore à une large médiation hors de ceux-ci. Ses prédictions d'augmentation de la température ont rapidement été oubliées, Ceci d'autant plus qu'elles annonçait une ère de prospérité. Plus de 3/4 de siècle plus tard, il a fallu des pionniers comme Claude Lorius pour que le sujet revienne à l'ordre du jour.

 

Voir :

Claude Lorius. Un pionnier de l'étude du climat.

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Voir aussi :

 

 

Histoire du Carbone et du CO2. De l'origine de la vie au dérèglement climatique.

 

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Extrait :

 
CO2, fatal ou vital ?

 

« CO2 - Élixir de vie et tueur du climat » est le titre d’une exposition présentée au musée Naturama de Aarau en Suisse à la charnière des années 2012 et 2013.

 

Élixir… le mot est fort. Il a été emprunté à l’arabe médiéval « al iksīr » désignant la liqueur d’immortalité des alchimistes ou la pierre philosophale supposée transformer le plomb en or.

 

Dans une première partie nous choisirons ce côté lumineux de l’histoire.
 

Nous découvrirons la suite de tâtonnements, de réussites et aussi parfois d’échecs, qui a fait prendre conscience de l’existence et du rôle de cet « élixir », le dioxyde de carbone et de ce joyau minéral, le carbone.

 

Tueur de climat. Qui peut encore le nier ? Et qui peut refuser de voir que la dangereuse augmentation du CO2 dans l’atmosphère, loin d’être une malédiction portée par ce gaz, est le résultat de l’emballement d’un monde industriel développé qui gaspille les ressources fossiles accumulées sur la planète au cours de millions d’années et les disperse sous forme d’objets inutiles et de polluants multiples.

 

Élixir ou poison, amour ou désamour… Le carbone et le dioxyde de carbone sont symboliques de cette chimie aux deux visages qui sont aussi ceux de la science en général.

 

 

 

 

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25 septembre 2023 1 25 /09 /septembre /2023 12:43

 

Il a cru en la possibilité d’un changement avec l’élection d’Emmanuel Macron, il en est revenu. Pour Reporterre, le climatologue Jean Jouzel confie son soutien à « toutes les formes d’engagement ».

 

Jean Jouzel, 76 ans, est un infatigable porte-parole de la lutte contre le changement climatique. Climatologue et glaciologue, il s’est fait connaître en 1987 en publiant, avec Claude Lorius, la première étude établissant formellement le lien entre concentration de CO₂ dans l’atmosphère et réchauffement climatique.

 

Il a été vice-président du Groupe 1 du Groupement intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) de 2002 à 2015. En février dernier, il a reçu le prix Vetlesen, considéré comme l’équivalent pour les sciences de la Terre du prix Nobel. Reporterre l’a rencontré, une heure durant, dans un jardin du XIIᵉ arrondissement de Paris.




Reporterre — Ce lundi 25 septembre, Emmanuel Macron doit détailler le plan de « planification écologique » du gouvernement. Qu’attendez-vous de ces annonces ?

 

Jean Jouzel — À vrai dire, elles me préoccupent peu. Je sais qu’elles ont été préparées sérieusement par l’équipe d’Antoine Peillon [le secrétaire général à la Planification écologique].

 

Elles iront dans le sens de la feuille de route du pays, qui est ambitieuse : la France s’est engagée à réduire de 55 % ses émissions à l’horizon 2030 [par rapport à 1990], et souhaite atteindre la neutralité carbone en 2050. J’adhère à ces objectifs.

 

Mais on connaît bien le problème actuel : il y a un fossé entre les annonces et leur mise en œuvre. Il manque un gouvernement qui ait de l’entrain, qui se décide à entraîner franchement les citoyens, les élus et les entreprises dans ce grand défi. Pour cela, il faudrait déjà qu’à la tête de l’État, Emmanuel Macron cesse de semer la confusion en déclarant, par exemple, que « la France, c’est 1 % des émissions mondiales ».

 

Ce faisant, le président minimise la responsabilité historique de la France dans le changement climatique, tout en relativisant l’importance et l’ampleur du travail qu’elle doit fournir. [Il marque une pause] Cette déclaration m’a agacé. C’est démotivant, ce n’est pas comme ça qu’on va réussir à emmener tout le monde sur le chemin de la sobriété : il offre une porte de sortie rêvée à celles et ceux qui ne souhaitent pas bouger. Et ce n’est pas une bonne façon de vendre le travail qui est fourni par ailleurs.



Vous avez rencontré la majorité des présidents de la Vᵉ République. On vous sent particulièrement déçu par Emmanuel Macron…

 

Oui, parce qu’au moment de son élection, j’avais placé pas mal d’espoir en lui. J’étais confiant. Je l’ai rencontré il y a pile dix ans, en 2013, après que le Giec a adopté le rapport du Groupe 1 à Stockholm. J’étais invité par le président François Hollande pour présenter ces travaux, et il était là [Emmanuel Macron était secrétaire général adjoint du cabinet du président de la République].

 

J’ai échangé quelques mots avec lui et je l’ai senti sincèrement intéressé. Quand il s’est présenté à la présidentielle de 2017, j’étais prêt à lui apporter mon soutien. Il venait quand même d’un gouvernement de gauche et — c’est de notoriété publique — ma sensibilité est à gauche. J’étais à l’Élysée le jour de son intronisation en 2017.

« Emmanuel Macron venait quand même d’un gouvernement de gauche. [...] J’étais à l’Élysée le jour de son intronisation. » © Mathieu Génon / Reporterre

 

Depuis, même si je sais la difficulté de gouverner, j’ai eu des déceptions. Récemment, il y a eu l’épisode de ses vœux aux Français pour l’année 2023 et sa phrase « Qui aurait pu prédire […] la crise climatique aux effets spectaculaires, cet été dans notre pays ? » Je ne comprends toujours pas comment il a pu dire cela, alors qu’il me citait en 2016 dans son livre « Révolution », en disant que Jouzel ne peut pas se tromper.

 

Mais mon enthousiasme avait déjà été bien entamé au moment de la Convention citoyenne pour le climat. J’ai vécu cette initiative de l’intérieur : le processus était remarquable et les propositions établies par les citoyens tirés au sort étaient vraiment ambitieuses. Emmanuel Macron aurait pu — et dû — prendre ces mesures à bras-le-corps. Mais à la fin, la plupart n’ont même pas été prises en compte. Je reste persuadé qu’il est passé à côté d’un grand effet d’entraînement de la société.

 

« J’ai le sentiment qu’Emmanuel Macron aimerait réussir, mais sans prendre les décisions nécessaires »

 

Le gouvernement s’y était déjà pris comme un manche avant le mouvement des Gilets jaunes. La taxe carbone, telle qu’elle était envisagée, était injuste : cette réforme aurait mis à genoux les personnes aux revenus les plus modestes, en leur demandant de contribuer trois fois plus que celles aux revenus les plus élevés. C’est une platitude, mais sans justice sociale, on ne pourra pas y arriver.

 

Quand le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz est sorti — celui qui a évalué à 66 milliards d’euros supplémentaires par an, d’ici à 2030, les sommes à investir pour atteindre la neutralité carbone — la recommandation qui consistait à taxer les riches a été balayée avec empressement par l’exécutif. C’est comme s’il s’était promis de ne pas demander plus d’efforts aux riches ; ce qui est quand même assez incompatible avec la lutte contre le changement climatique. En résumé, j’ai le sentiment qu’Emmanuel Macron aimerait réussir, mais sans prendre les décisions nécessaires, parce qu’elles heurtent sa pensée ultra libéraliste.



Le 29 août 2023, vous avez participé à un débat à l’université d’été du Medef, à l’hippodrome de Longchamp. Vous avez rappelé, devant des chefs d’entreprise et face à Patrick Pouyanné, PDG de TotalÉnergies, qu’il fallait cesser d’investir dans les énergies fossiles. La réponse de Patrick Pouyanné : « Cette transition, je suis désolée Jean, mais elle prendra du temps. J’assume de poursuivre mes investissements pétro-gaziers car la demande croît. Je respecte l’avis des scientifiques, mais il y a la vie réelle ». Vous vous en êtes ému dans plusieurs sorties médiatiques. Pourquoi ce moment vous a-t-il tant remué ?

 

Ce jour-là, je n’ai rien dit d’exceptionnel. J’ai rappelé des faits désormais bien connus, qui se trouvent dans le rapport du Giec. J’ai mentionné l’écrasante responsabilité des combustibles fossiles dans l’augmentation de l’effet de serre. J’ai dit qu’au regard de ces connaissances, j’étais totalement en phase avec le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, qui appelle à cesser les investissements dans le secteur fossile.

 

Ce n’est pas la première fois que j’interagis avec Patrick Pouyanné et sa réaction ne m’a pas surprise. Il est dans son rôle. Il est PDG d’une entreprise pétrolière qui a intérêt à ce que la transition prenne du temps. Et quand il parle de « la vie réelle », il n’a pas forcément tort : nos modes de transport sont encore très largement fossiles, pareil pour le chauffage domestique. Même si des choses se passent, aujourd’hui, nos sociétés dépendent largement des énergies fossiles.

« Le capitalisme actuel est fort incompatible avec ce qui est nécessaire si on veut prendre la mesure du réchauffement climatique. » © Mathieu Génon / Reporterre

 

Mais la différence entre lui et moi, c’est qu’il s’accommode bien de cette « vie réelle » et des profits qu’elle lui permet de réaliser. De mon côté, je dis que ça ne doit pas durer : cette « vie réelle », ce sont aussi les incendies au Canada qui brûlent l’équivalent d’un quart de la surface de la France, les plus de 10 000 morts en Libye, les pluies torrentielles en Grèce, les canicules à répétition, l’Iran qui se met à l’arrêt pendant deux jours parce qu’il fait 55 °C…

 

En ayant pris 1 degré supplémentaire, force est de constater que ce que nous avions anticipé au cours des cinquante dernières années se réalise sous nos yeux. Dans ce contexte, ce qui m’a chiffonné, c’est d’avoir reçu un accueil glacial, et que le discours de Patrick Pouyanné puisse être applaudi chaudement — même au Medef, car je considère la transition écologique comme une grande opportunité pour les entreprises.



N’est-il pas temps d’entrer en rupture avec Pouyanné et le capitalisme fossile, d’arrêter de négocier ?

 

Le capitalisme actuel est, en effet, fort incompatible avec ce qui est nécessaire si on veut prendre la mesure du réchauffement climatique. Pouyanné incarne ce capitalisme ultralibéral. La libéralisation de l’économie a eu des effets assez terribles.

 

« Si on ne donne pas de limites au capitalisme, on ne s’en sortira pas »

 

Aujourd’hui, les entreprises sont moins au service de la société qu’aux actionnaires. Leur vision, c’est la rentabilité à court terme et elles continuent d’orienter la demande future vers les fossiles.



Quand vous parlez du capitalisme « actuel », c’est que vous pensez qu’il peut être réformé ? Une récente étude publiée dans la revue Lancet Planetary Health, indique que la croissance est incompatible avec la préservation d’un climat vivable sur Terre.

 

Si on ne donne pas de limites au capitalisme, on ne s’en sortira pas. Est-ce qu’on pourrait avoir un capitalisme plus assagi, qui prendrait mieux en compte les problèmes environnementaux ? J’aimerais, même si je ne suis pas naïf.

 

J’aimerais que le capitalisme se mette au service de la société, tienne compte des gens, de ses externalités, que l’État ait plus de poids. Il faudrait que l’OMC, l’épine dorsale du capitalisme, donne un prix sérieux au carbone. Ce serait moins mal que l’ultralibéralisme actuel. C’est peut-être un vœu pieux, mais je n’ai pas d’autre proposition.



Le 14 septembre dernier, vous avez signé avec plus de 300 scientifiques une tribune, publiée dans « Le Monde », appelant le gouvernement et l’Assemblée nationale à soutenir un traité de non-prolifération des énergies fossiles. Faut-il démanteler l’industrie fossile avant qu’elle ait épuisé ses actifs ?

 

Du point de vue des sciences du climat, oui. Nous sommes à un moment de bascule pour préserver les conditions d’habitabilité de notre planète et, comme l’a souligné le dernier rapport du Groupe 3 du Giec, respecter l’objectif fixé par l’accord de Paris d’un réchauffement de 1,5 °C ou de 2 °C nous impose d’abandonner de façon prématurée les infrastructures utilisant des énergies fossiles.

 

Pareil pour les nouveaux projets, évidemment. C’est pourquoi nous avons demandé à TotalÉnergies d’abandonner, par exemple, le projet d’oléoduc de pétrole géant East African Crude Oil Pipeline (Eacop), en Ouganda et en Tanzanie.

« Respecter l’objectif fixé par l’accord de Paris d’un réchauffement de 1,5 °C ou de 2 °C nous impose d’abandonner de façon prématurée les infrastructures utilisant des énergies fossiles. » © Mathieu Génon / Reporterre

 

Après, je reconnais que derrière, ça pose plusieurs problèmes. Pour que ça marche, il faut que ce soit acceptable notamment pour le continent africain qui cherche à se développer avec l’argent de son pétrole. Cela implique de déployer massivement les énergies renouvelables, et aussi d’être à la hauteur du point de vue de la solidarité.

 

Je suis révolté par le temps qui est pris par les pays développés pour réunir les « 100 milliards de dollars par an » qu’ils se sont engagés, en 2009 à Copenhague, à fournir aux pays en développement à partir de 2020, pour financer leurs actions de lutte contre le changement climatique. On n’y est pas, alors qu’on a bien vu pendant la pandémie de Covid-19 qu’on était capable de faire des plans Marshall pour des crises majeures.

 



Ces derniers temps, comme l’a analysé le journaliste du « Monde » Stéphane Foucart, l’aggravation des effets du réchauffement coïncide avec un retour du climatoscepticisme. Avez-vous vu venir ce phénomène ?

 

Le climatoscepticisme a muté, parce qu’il était dos au mur. Plus personne ne peut décemment dire que « le Giec exagère » et même le député RN Thomas Ménagé est revenu sur sa déclaration. On les entend moins sur le déni de la réalité scientifique du changement climatique ou de la responsabilité humaine, où ils ont perdu la bataille.

 

Mais ils ont trouvé d’autres voies pour s’exprimer. Ils versent, notamment, dans le « rassurisme » : ils nous rassurent sur le fait qu’on va pouvoir s’adapter, même en conservant nos modes de vie actuels grâce à des solutions technologiques. Ce qui m’inquiète, c’est que ces discours sont assez généralisés, et notamment dans le monde politique.

 

La porte de sortie qu’on voit venir gros comme une maison, c’est la géoingénierie, avec l’ensemencement des nuages ou l’injection de particules de soufre dans la stratosphère. Ce ne sont pas des solutions, ce sont des épées de Damoclès sur les générations futures.



Que pensez-vous des actions menées par des collectifs comme les Soulèvements de la Terre ? Après toutes ces années à tenter d’alerter les décideurs, à les pousser à changer de braquet, défendez-vous l’idée qu’on s’oppose frontalement à la machine ?

 

Je respecte et je soutiens toutes les formes d’engagement, dont les actions des Soulèvements de la Terre. J’ai été extrêmement choqué par l’utilisation du terme d’« écoterrorisme » par Gérald Darmanin. Je suis assez proche du monde agricole et, même quand les agriculteurs mènent des manifestations qui se terminent par de la casse, on ne parle jamais d’« agriterrorisme ». J’espère que Gérald Darmanin sera débouté une seconde fois dans l’affaire de la dissolution des Soulèvements de la Terre.

« J’ai dû faire à peu près toutes les marches climat. Je regrette qu’il n’y en ait plus. » © Mathieu Génon / Reporterre



Est-ce qu’on vous retrouvera un jour dans une action de désobéissance civile aux côtés des Scientifiques en rébellion, la main collée à une BMW ?

 

[Il rit] Je me trouve un peu vieux pour faire tout ça, donc je ne vous promets rien, mais les Scientifiques en rébellion ont toute mon amitié et mon soutien. En revanche, j’ai dû faire à peu près toutes les marches climat. Je regrette qu’il n’y en ait plus.



Avez-vous l’espoir que la COP28, à Dubaï, mène à des avancées importantes ?

 

Chaque continent a le droit d’organiser la COP, il faut que ça tourne. Évidemment, on ne peut pas aller à Dubaï sans que pratiquement tous les ministres aient le bras dans le pétrole jusqu’au coude. Mais je suis un éternel optimiste et je pense qu’on ne peut pas discuter de la fin des fossiles sans les producteurs. Il faut essayer de mettre une date sur la fin des énergies fossiles.

 

Ma principale crainte, c’est que la COP28 se transforme en grande promotion de la capture et du stockage du carbone, voire de la géoingénierie. Elle sera, en tout cas, très importante, car elle doit permettre de mesurer le retard pris par rapport aux objectifs de l’Accord de Paris, et doit permettre d’avancer sur l’indemnisation des pertes et dommages.

 

J’ai participé à toutes les COP depuis 2000 ou 2001 et on me demande souvent à quoi riment les COP et le Giec. J’estime que la communauté scientifique a joué son rôle et, même si on est encore loin du compte, je n’imagine pas un monde sans COP. On n’en serait nulle part.

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9 juin 2023 5 09 /06 /juin /2023 12:18

 

Une affiche de l’affichiste quimpérois Alain Le Quernec figure au catalogue de plusieurs musées. Réalisée pour soutenir la lutte contre le projet de centrale nucléaire à Plogoff, elle demeure un témoignage fort de cette lutte victorieuse du pot de terre contre le pot de fer.

 

Son histoire mérite d’être contée.

 

Voir : http://plogoff-chronique-de-la-lutte.over-blog.com/2014/11/nucleaire-informez-vous-histoire-d-une-affiche-6.html

 

 

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10 janvier 2022 1 10 /01 /janvier /2022 20:59

Un article, dont l'actualité est brûlante, publié par le Courrier de l'Unesco en 1958, à l'occasion de la remise, à Bertrand Russell, du Prix Kalinga de vulgarisation scientifique.

 

Il fut un temps où les savants considéraient avec dédain ceux qui tentaient de rendre leurs travaux accessibles à un large  public. Mais, dans le monde actuel, une telle attitude n'est plus possible. Les découvertes de la science moderne ont mis entre les mains des gouvernements une puissance sans précédent dont ils peuvent user pour le bien ou pour le mal. Si les hommes d'Etat qui détiennent cette puissance n'ont pas au moins une notion élémentaire de sa nature, il n'est guère probable qu'ils sauront l'utiliser avec sagesse. Et, dans les pays démocratiques, une certaine formation scientifique est nécessaire, non seulement aux hommes d'Etat, mais aussi au grand public.

 

Faire acquérir cette formation au plus grand nombre n'est pas chose facile. Ceux qui savent effectivement servir de trait d'union entre les techniciens et le public accomplissent une tâche qui est nécessaire non seulement pour le bien-être de l'homme, mais simplement pour sa survie. Je crois que l'on devrait faire beaucoup plus dans ce sens, pour assurer l'éducation de ceux qui ne se destinent pas à devenir des spécialistes scientifiques. Le Prix Kalinga rend un immense service à la société, en encourageant ceux qui s'attaquent à cette entreprise difficile.

 

Dans mon pays, et, à un moindre degré, dans d'autres pays de l'Occident, on considère en général par suite d'un regrettable appauvrissement de la tradition de la Renaissance que la « culture » est essentiellement littéraire, historique et artistique. Un homme n'est pas considéré comme inculte s'il ignore tout de l’œuvre de Galilée, de Descartes et de leurs successeurs. Je suis convaincu que tout le programme d'enseignement général devrait comprendre un cour d'histoire de la science du XVII° siècle à nos jours, et donner un aperçu des connaissances scientifiques modernes, dans la mesure où celles-ci peuvent être exposées sans faire appel à des notions techniques. Tant que ces connaissances sont réservées aux spécialistes, il n'est guère possible aux nations de diriger leurs affaires avec sagesse.

 

Il existe deux façons très différentes .d'évaluer les réalisations humaines : on peut les évaluer d'après ce que l'on considère comme leur excellence intrinsèque ; on peut aussi les évaluer en fonction de leur efficacité en tant que facteurs d'une transformation de la vie et des institutions humaines. Je ne prétends pas que l'un de ces procédés d'évaluation soit préférable à l'autre.

 

Je veux seulement faire remarquer qu'ils donnent des échelles de valeur très différentes. Si Homère et Eschyle n'avaient pas existé, si Dante et Shakespeare n'avaient pas écrit un seul vers, si Bach et Beethoven étaient restés silencieux, la vie quotidienne de la plupart de nos contemporains serait à peu près ce qu'elle est. Mais, si Pythagore, Galilée et James Watt n'avaient pas existé, la vie quotidienne, non seulement des Américains et des Européens de l'Ouest, mais aussi des paysans indiens, russes et chinois serait profondément différente. Or, ces transformations profondes ne font que commencer. Elles affecteront certainement l'avenir encore plus qu'elles n'affectent le présent.

 

Actuellement, la technique scientifique progresse à la façon d'une vague de chars d'assaut qui auraient perdu leurs conducteurs : aveuglément, impitoyablement, sans idée, ni objectif. La principale raison en est que les hommes qui se préoccupent des valeurs humaines, qui cherchent à rendre la vie digne d'être vécue, vivent encore en imagination dans le vieux monde pré-industriel, ce monde qui nous a été rendu familier et aimable par la littérature de la Grèce et par les chefs-d’œuvre que nous admirons à juste titre des poètes, des artistes et des compositeurs, de l'ère pré-industrielle.

 

Ce divorce entre la science et la « culture », est un phénomène moderne. Platon et Aristote avaient un profond respect pour ce que de leurs temps on connaissait de la science. Le Renaissance s'est autant préoccupée de rénover la science que l'art et la littérature. Léonard de Vinci a consacré plus d'énergie à la science qu'à la peinture. C'est aux architectes de la Renaissance que l'on doit la théorie géométrique de la perspective. Pendant tout le XVIII° siècle, de grands efforts ont été entrepris pour faire connaître au public les travaux de Newton et de ses contemporains. Mais à partir du début du XIX° siècle, les concepts et les méthodes scientifiques deviennent de plus en plus abstrus, et toute tentative pour les rendre intelligibles au plus grand nombre apparaît de plus en plus illusoire. La théorie et la pratique de la physique nucléaire moderne ont révélé brutalement qu'une ignorance totale du monde de la science n'est plus compatible avec la survie de l'humanité.

 

Le texte ci-dessus reproduit dans sa presque totalité l'allocution prononcée par Bertrand Russell au cours de la cérémonie de remise du Prix Kalinga, le 28 janvier, à la Maison de l'Unesco.

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50 ans plus tard : Un phénomène toujours de notre temps.

2007: "Les élites dirigeantes sont incultes. Formées en économie, en ingénierie, en politique, elles sont souvent ignorantes en sciences et quasi toujours dépourvues de la moindre notion d'écologie." (Hervé Kempf, Comment les riches détruisent: la Planète, Seuil, 2007.)

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2 novembre 2020 1 02 /11 /novembre /2020 12:48

10 contre arguments:

« Alors que les énergies fossiles sont devenues plus chères que la plupart des sources renouvelables et qu’elles sont responsables d’une grande partie de la pollution mondiale et des perturbations climatiques, certaines voix continuent à nier la nécessité d’une révolution énergétique et s’en prennent au solaire » constate Bertrand Piccard. À l’origine de Solar Impulse, premier avion zéro-carburant, l’explorateur juge « primordial de tordre le cou à quelques idées reçues. »

 

Solar Impulse, le premier avion zéro-carburant à l’autonomie perpétuelle. | REUTERS ARCHIVES

 

« L’électricité produite à partir du solaire coûte trop cher »

Commençons par l’argument le plus courant : c’est trop cher. C’était vrai autrefois, mais ça ne l’est plus. D’après un rapport d’IRENA, le coût de l’électricité photovoltaïque a baissé de 82 % depuis 2010, et cette tendance va s’intensifier dans le futur. L’année dernière, un record a été établi par l’entreprise française Akuo Energy (dont plusieurs technologies sont labellisées par la Fondation Solar Impulse) lors d’un appel d’offres du gouvernement portugais. Une centrale de 150 MW fournira de l’électricité solaire à un prix record de 1,5 centime / kWh. Dans de nombreux endroits du monde, le solaire est devenu la source d’énergie la plus compétitive, devant les énergies fossiles polluantes, et bien souvent devant le nucléaire.

 

 
C’est vrai qu’elles sont intermittentes. Le soleil ne nous éclaire pas la nuit, et pas tous les jours. Mais face à ce sujet, qui est d’ailleurs fondamental dans la transition écologique, de nombreuses technologies deviennent disponibles afin de stocker l’énergie produite. L’hydrogène est en une, tout comme les batteries au lithium, notamment celles des véhicules électriques lorsqu’ils ne roulent pas, l’air comprimé ou les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP). D’autres moyens innovants existent, tels que les briques de céramique recyclées qui stockent la chaleur à des températures comprises entre 500 et 1 000 °C, ou encore Energy Vault, qui a développé une grue de 120 mètres de haut, qui hisse des blocs de béton lorsqu’il y a trop d’électricité et les laissent redescendre en générant de l’électricité lorsqu’on en a besoin.

 

C’est clair que le coût du stockage doit être intégré dans le prix final de l’électricité solaire, mais même ainsi, le photovoltaïque reste compétitif, tant ces technologies ont évolué.

 

« C’est une menace pour le monde industriel et financier traditionnel »

Ce n’est vrai que si les dinosaures s’arcboutent sur le passé. C’est pour cela qu’il faut encourager les compagnies pétrolières à prendre dès maintenant le virage écologique et à se renommer compagnies énergétiques. La diversification des majors dans la production et la distribution d’énergies renouvelables ne peut que leur être bénéfique. Sans même parler du service aux consommateurs, qui devient une source importante de revenus comme Engie le démontre chaque jour. Cet été, malgré la publication de l’un de ses pires résultats trimestriels, l’action BP a clôturé en hausse de 6,5 % après l’annonce de leur stratégie environnementale, qui annonçait une multiplication par dix de ses investissements dans les renouvelables et une neutralité carbone en 2050 ! Pourquoi ? Parce que les fonds de pension et assurances-vie savent pertinemment que les investissements dans les énergies fossiles deviennent des actifs pourris, comme les subprimes en 2008…

 
 

« Le changement climatique est un problème à très long terme »

J’entends parfois certains dire que les énergies solaires sont avant tout un moyen de lutter contre les changements climatiques, qui est un problème à long terme – quand ils ne nient pas tout simplement l’existence de cette crise – et que nous avons d’autres priorités immédiates. C’est doublement inexact. D’abord parce que les conséquences du changement climatique se font déjà ressentir partout dans le monde. Mais aussi, et surtout, parce que l’énergie solaire permet de lutter contre un autre problème catastrophique et très actuel : la pollution de l’air. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé, ce fléau touche 9 personnes sur 10 dans le monde et tue approximativement 8 millions de personnes chaque année à cause des maladies qu’elle engendre.

 

 

« Il n’y a pas suffisamment de soleil partout »

Mais là où il n’y a pas de soleil, il peut y avoir du vent, des cours d’eau, des vagues, de la géothermie… Le solaire n’est pas la panacée et doit être combiné avec d’autres sources complémentaires. Il n’y a pas une solution unique pour répondre à ce problème, mais une combinaison de technologies propres.

 

 

« Ça ne suffira pas à garantir les besoins en électricité du monde entier »

Au rythme du gaspillage actuel dans le monde, c’est vrai : environ 75 % de l’énergie produite est perdue en raison des technologies archaïques qui sont toujours en service. C’est pourquoi je me bats depuis de nombreuses années pour que l’efficience énergétique soit une priorité de l’agenda environnemental. Nous devons mettre en place des normes et réglementations beaucoup plus strictes dans ce domaine afin que nos appareils électriques, bâtiments, transports et usines soient plus efficients en énergie.

 

 

« Les panneaux solaires nécessitent trop d’énergie pour leur fabrication »

J’ai vu récemment un « expert » annoncer à une commission parlementaire qu’un panneau solaire met 30 ans à rembourser son énergie grise, c’est-à-dire l’énergie nécessaire à sa fabrication, son transport, son recyclage, etc. Or ce chiffre est totalement faux. Dans la moitié du monde, comprenant une grande partie de la France, ce chiffre se situe entre 6 mois et un an. C’est-à-dire qu’en moins de 12 mois, un panneau solaire a remboursé l’électricité qu’il a nécessitée pour sa fabrication.

 

Durant les 30 années suivantes de son exploitation, il produit une électricité décarbonée et inépuisable.

 

« C’est une énergie pour pays riches »

Totalement faux. Comme c’est la façon de produire l’électricité la meilleure du marché, l’énergie solaire, puisqu’elle est décentralisée, en permet l’accès aux populations les plus isolées et défavorisées. Tant de pays pauvres s’appauvrissent encore davantage chaque année en dépensant leurs devises pour acheter du gaz ou du pétrole, sans avoir les moyens de tirer des lignes à haute tension, que l’énergie solaire devient la seule façon d’assurer un développement économique local et une stabilité sociale.

 

 

« Le solaire nécessite des subventions publiques »

Si son développement a effectivement démarré par une garantie de rachat de l’électricité solaire à des prix souvent élevés, c’est l’inverse qui se produit aujourd’hui un peu partout : les énergies fossiles sont subventionnées à hauteur de milliards de dollars dans le monde et ne couvrent en rien leurs externalités, c’est-à-dire les dégâts sanitaires et environnementaux qu’elles causent.

 

 

« Ce n’est pas beau »

Dites plutôt : ce n’était pas beau. Aujourd’hui, les tuiles solaires, comme celles du pavillon français de l’Exposition universelle de Dubaï, permettent de s’adapter à tous les contextes.

 

Vous l’aurez compris, je suis un fervent défenseur de l’énergie solaire. Non pas parce qu’elle m’a permis de voler nuit et jour à bord de Solar Impulse, ni même parce qu’elle permet de lutter contre les changements climatiques. Mais parce qu’elle est une alternative logique, avant même d’être écologique qui crée des emplois durables et produit une électricité moins chère que les énergies fossiles. Les demi-experts ne pourront pas l’empêcher de devenir une source d’énergie majeure dans le monde, à condition que l’on se protège de leurs contre-vérités.

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