La liberté de recherche, la liberté pédagogique et le partage des résultats scientifiques sont les bases nécessaires d’une science de qualité, intègre et socialement responsable. Ces bases sont en train de vaciller outre Atlantique. À peine installé à la Maison Blanche, Donald Trump a donné carte blanche à Elon Musk – qui ne dispose d’aucun mandat électif – pour mettre en œuvre un travail de sape de la démocratie américaine. Hors de tout contrôle parlementaire, le milliardaire libertarien s’adonne aux autodafés numériques. Parmi les nombreux secteurs touchés, il y a le monde de la recherche, à commencer par la santé publique. Le National Institutes of Health (NIH), le plus grand centre de recherche médicale du monde, subit de graves restrictions de ses activités : arrêt des réunions, suppressions d’évènements scientifiques, blocage de publications, gel des échanges internationaux et des collaborations, suspension de recrutements, etc. La santé n’est plus un bien commun : les sites Internet des centres CDC (centres de contrôle et de prévention des maladies) restreignent l’accès aux informations relatives au VIH (Virus de l’Immunodéficience Humaine) et aux personnes LGBTQI+.
De son côté, la Fondation nationale pour la science (NFS) a établi une liste de dizaines de mots dont l’utilisation dans des publications scientifiques est susceptible d’entraîner un refus de subventions. Figurent dans la liste les mots “genre”, “femme”, “diversité”, “égalité”, “socioculturel”. Parallèlement aux coupes massives de crédits et au démantèlement de nombreuses agences fédérales, Elon Musk, entouré de jeunes ingénieurs disposant de pouvoirs vertigineux, y compris sur le Trésor américain, s’est lancé dans une entreprise orwellienne de destruction de la démocratie et de contrôle du langage scientifique lui-même. Prend corps, sous nos yeux sidérés, le rêve fou d’un homme pour contrôler le savoir, le réel et le monde.
Ces attaques massives d’Elon Musk contre les activités scientifiques vont très vite impacter toute la communauté internationale au travers des nombreux outils et base de données que gèrent les Instituts nationaux de la santé (NIH). Les recherches internationales en biologie subiront les conséquences des restrictions autoritaires de l’administration Trump, remettant en cause un principe fondamental de la science : le partage et la collaboration. Ces entreprises de liquidation de la science et de la liberté académique risquent également de nourrir un peu plus les projets des divers partis politiques et gouvernements qui, ici en Europe, partagent les orientations libertariennes de D. Trump et E. Musk ou basculent vers les droites extrêmes.
C’est que, partout dans le monde, loin d’être protégé comme bien commun, le savoir est devenu un enjeu majeur autour duquel s’affrontent, de manière de plus en plus violente, différents groupes de pression. Post-vérité, « faits alternatifs », pressions politiques et financières, croyances érigées en certitudes, storytelling et clash, complaisances médiatiques, nouveau management public, course aux financements et à la notoriété : la liste est longue des pratiques qui dénaturent l’acquisition et le partage du savoir et fabriquent de l’ignorance, en particulier au moyen des réseaux sociaux et de certains médias. Si ces attaques contre le savoir ne sont pas nouvelles, elles ont connu une accélération rapide dans la période récente, du fait des progrès technologiques qui tout à la fois permettent la diffusion rapide des fake-news et provoquent l’enfermement dans des circuits de croyance éloignés de toute rationalité.
Mais si la fabrique de l’ignorance prospère, c’est d’abord parce qu’elle sert les intérêts de groupes économiques, financiers et politiques très puissants, à l’image de l’empire d’Elon Musk, qui ont bien compris l’avantage stratégique d’accaparer la connaissance, de la contrôler et de la falsifier. Aujourd’hui, ces stratégies délétères constituent une menace directe pour la démocratie, dont l’exercice effectif suppose un espace public de pensée, de critique réciproque et de délibération. Sans savoir partagé et sans langage commun, aucun dialogue constructif n’est possible.
Pour faire reculer cette menace, l’Université, comme institution en charge de produire, critiquer, transmettre et conserver les savoirs, doit pouvoir exercer ses activités en toute indépendance vis-à-vis de toutes les formes de pouvoir. Car l’Université et la Recherche sont fondées sur une interrogation illimitée sur le monde, qui ne s’arrête devant rien, qui se propose de fournir et de partager des clés de compréhension, sans finalité pratique et monnayable, et qui se remet elle-même constamment en cause. Cette extraordinaire capacité à se renouveler et à réinventer notre vision du monde garantit la production et le partage d’un savoir fiable, conscient de ses acquis mais aussi de ses limites, seul à même d’alimenter de manière constructive et saine le débat démocratique. Mais cette capacité ne peut s’exercer que grâce à la liberté accordée aux universitaires de choisir collectivement, en conjuguant connaissances et intuition, les objets de travail les plus fructueux ainsi que les méthodologies les plus heuristiques, et de diffuser sans limite les résultats de leurs recherches, y compris, en particulier, si ceux-ci bousculent opinions et croyances.
Cette liberté, condition d’une recherche et d’un enseignement universitaire au service d’une société démocratique, porte un nom : la liberté académique. Elle n’est réductible ni à une liberté individuelle ni à la liberté de dire ou de faire n’importe quoi. Elle s’appuie sur des normes éthiques et intellectuelles qui font l’objet de négociations et de débats permanents au sein de la communauté universitaire, notamment au travers de l’évaluation par les pairs. Elle se nourrit d’interactions permanentes avec la société. Elle garantit la possibilité pour les universitaires de travailler en toute indépendance. Elle conditionne cette exigence sociale de la science : proposer des explications rationnelles du monde et formuler des recommandations utiles et accessibles à toutes et tous.
Il est urgent, dans l’intérêt de la démocratie, de promouvoir et défendre la liberté académique, aujourd’hui mise à mal partout dans le monde. Les attaques dont elle fait l’objet parasitent la production de connaissance, polluent la pensée et dégradent la qualité des débats. Mais surtout elles entravent le mouvement propre de questionnement endogène de la recherche, une force qui doit alimenter de manière continue la culture démocratique pour former des citoyennes et des citoyens émancipés, lucides et responsables.
Le Conseil d’Administration de l’Association pour la Liberté Académique ALIA