L'eau n'est pas un élément. Sa décomposition.
L'expérience répond à une demande, faite par le Roi à l'Académie des Sciences, de trouver "les moyens les plus économiques de faire de l’air inflammable en grand" pour gonfler les premiers aérostats militaires.
Réalisée en compagnie de Jean-Baptiste Meusnier, elle consiste à faire passer un courant de vapeur d'eau dans un "canon" de fer porté au rouge. Le montage est inspiré de celui déjà utilisé par Stephen Hales pour étudier les airs dégagés des végétaux et tissus animaux et repris par Joseph Priestley. L'eau est amenée dans un canon de fer chauffé sur des charbons ardents :
/image%2F0561035%2F20250420%2Fob_df5318_eau.jpg)
Expérience de décomposition de l'eau.
Mémoires de l'Académie des Sciences 1784.
"Cet appareil nous a donné lieu de faire les observations qui suivent si, lorsque le canon de fusil est rouge et incandescent, on y laisse couler de l’eau goutte à goutte et en très-petite quantité, elle s’y décompose en entier, et il n’en ressort aucune portion par l’ouverture inférieure du canon ; le principe oxygine de l’eau se combine avec le fer et le calcine ; en même temps le principe inflammable aqueux, devenu libre, passe dans l’état aériforme, et avec une pesanteur spécifique qui est environ de deux vingt-cinquièmes de celle de l’air commun".
L'eau est donc bien un composé de principe oxygine et de principe inflammable aqueux.
L'eau n'est pas un élément. Sa synthèse.
Dans un mémoire lu devant l'Académie des Sciences, Lavoisier décrit l'expérience qu'il a réalisée sur la synthèse de l'eau.
Le montage consiste en un ballon de verre dans lequel arrivent deux conduites amenant, l'une le gaz inflammable, l'autre le principe oxygine. Le tout étant enflammé par une étincelle électrique.
"Ce fut le 24 juin 1783 que nous fîmes cette expérience, M. de Laplace et moi, en présence de MM. le Roi, de Vandermonde, de plusieurs autres académiciens, et de M. Blagden, aujourd’hui secrétaire de la Société royale de Londres ; ce dernier nous apprit que M. Cavendish avait déjà essayé, à Londres, de brûler de l’air inflammable dans des vaisseaux fermés, et qu’il avait obtenu une quantité d’eau très-sensible."
/image%2F0561035%2F20250420%2Fob_acf8df_synthese.jpg)
Montage utilisé par Lavoisier pour la synthèse de l'eau.
Traité élémentaire de chimie. 1789.
"Nous commençâmes d’abord à chercher, par voie de tâtonnement quelle devait être l’ouverture de nos robinets pour fournir la juste proportion des deux airs ; nous y parvînmes aisément en observant la couleur et l’éclat du dard de flamme qui se formait au bout de l’ajutoir ; la juste proportion des deux airs donnait la flamme la plus lumineuse et la plus belle. Ce premier point trouvé, nous introduisîmes l’ajutoir dans la tubulure de la cloche, laquelle était plongée sur du mercure, et nous laissâmes brûler les airs jusqu’à ce nous eussions épuisé la provision que nous en avions faite :
Dès les premiers instants, nous vîmes les parois de la cloche s’obscurcir et se couvrir de vapeurs ; bientôt elles se rassemblèrent en gouttes, et ruisselèrent de toutes parts sur le mercure, et, en quinze ou vingt minutes, sa surface s’en trouva couverte.
L’embarras était de rassembler cette eau ; mais nous y parvînmes aisément en passant une assiette sous la cloche sans la sortir du mercure, et en versant ensuite l’eau et. le mercure dans un entonnoir de verre : en laissant ensuite couler le mercure, l’eau se trouva réunie dans le tube de l’entonnoir ; elle pesait un peu moins de 5 gros.
Cette eau, soumise à toutes les épreuves qu’on put imaginer, parut aussi pure que l’eau distillée : elle ne rougissait nullement la teinture de tournesol ; elle ne verdissait pas le sirop de violettes ; elle ne précipitait pas l’eau de chaux ; enfin, par tous les réactifs connus, on ne put, y découvrir le moindre indice de mélange."
Cette dernière remarque est d'importance. Le principe oxygine aurait donc généré, non pas un acide qui rougirait la liqueur de tournesol, mais une eau parfaitement pure !
L'observation aurait dû amener à une révision, ou du moins à une inflexion, de la théorie. La contradiction est pourtant passée sous silence. Ce qui compte alors, c'est de pouvoir revendiquer d'avoir été le premier à prouver que l'eau est un corps composé, d'en avoir caractérisé les composants et d'en avoir mesuré les proportions.
"Cette seule expérience de la combustion des deux airs, et leur conversion en eau, poids pour poids, ne permettait guère de douter que cette substance, regardée jusqu’ici comme un élément, ne fût un corps composé ; mais, pour constater une vérité de cette importance, un seul fait ne suffisait pas ; il fallait multiplier les preuves, et, après avoir composé artificiellement de l’eau, il fallait la décomposer : je m’en suis occupé pendant les vacances de 1783, et j’ai rendu compte très-sommairement du succès de mes tentatives, dans un mémoire lu à la rentrée publique de la Saint-Martin, et dont l’extrait a été publié dans plusieurs journaux."
Les quatre éléments ont vécu.
Lavoisier a souhaité créer un évènement national qui puisse illustrer de façon spectaculaire l'aboutissement de sa théorie. Longuement préparée, la démonstration a lieu en février 1785. Sont invités les académiciens, et le "tout Paris" du monde politique et économique. L'expérience dure deux jours. L'eau est d'abord décomposée par le procédé du canon de fer chauffé. L'hydrogène ainsi obtenu est ensuite enflammé dans un courant d'oxygène et l'eau obtenue pesée.
Comme s'il n'avait été conçu que pour cette seule expérience, tout le matériel du laboratoire de Lavoisier est mis en œuvre. Son objectif est atteint : impressionner les témoins et les convaincre de la réalité des propositions de son auteur. Rapidement la démonstration provoque le ralliement de membres importants de la communauté scientifique à commencer par Berthollet qui occupe, cette année là, la fonction de Directeur annuel de l'Académie des Sciences. Autour de Lavoisier commence à se constituer le groupe de ceux qui deviendront les "chimistes français".
1785 marque la fin de la doctrine des quatre éléments. Lavoisier est celui qui lui a donné le coup de grâce. Il a exclu le feu principe, le phlogistique, de la chimie. L'air est devenu un mélange du principe oxygine avec une moufette, l'eau un composé de principe oxygine et de principe inflammable aqueux.
Le "principe oxygine" n'est pas encore l'oxygène, le "principe inflammable aqueux" attend de devenir l'hydrogène. La théorie a encore besoin de s'affermir, le vocabulaire de s'éclairer. Vient, alors, la rencontre avec Guyton de Morveau et l'établissement de la nouvelle Méthode de Nomenclature Chimique.