Dans les premières années du XIIIème siècle se livre, en Angleterre, une traque aux "airs". Un premier nom l'illustre : celui de Stephen Hales. Connu comme chimiste et physiologiste, il communique en 1727, à la Société Royale de Londres, le résultat de ses expériences sur la physiologie des végétaux. Ces travaux initient une nouvelle façon de recueillir ce que nous désignons aujourd'hui par le mot "gaz" et l'amènent à des observations inédites sur les propriétés de l'air. Buffon qui a lu sa communication trouve indispensable de la traduire. Elle paraît en 1735 sous le titre : "La statique des végétaux et l'analyse de l'air".
Le traducteur est enthousiaste. "L'Angleterre produit rarement d'aussi bonnes choses", écrit-il. "La nouveauté des découvertes et de la plupart des idées qui composent cet ouvrage, surprendra sans doute les Physiciens. Je ne connais rien de mieux dans son genre, et le genre par lui-même est excellent". Il note en particulier le passage sur l'analyse de l'air qui est "le plus bel endroit de son livre" :
"Aurait-on imaginé, écrit-il, que l'air pût devenir un corps solide ? Aurait-on crû qu'on pouvait lui ôter et lui rendre sa vertu de ressort ? Aurions nous pu penser que certains corps, comme la Pierre de la Vessie ou le Tartre sont pour plus des deux tiers de l'air solide et métamorphosé ? "
En effet, à l'occasion de son étude sur la physiologie des végétaux, Hales a entrepris "de faire des recherches profondes, & suivies sur la nature de l'air, & de tacher de découvrir en quoi consiste la qualité qui le rend si important et si nécessaire à la vie & à l'accroissement des végétaux".
Ayant constaté que les végétaux "tirent beaucoup d'air, non-seulement par la racine, mais aussi par le tronc & les branches", il cherche à en extraire cet « air » qu’il désigne par le terme « d’air fixe » car « fixé dans les végétaux.
Pour ce faire, il imagine un montage, qui sera repris par ses successeurs, et qui est proche de ceux que nous utilisons actuellement dans nos laboratoires.
Un montage ingénieux.
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Montage destiné à recueillir les gaz
Stephen Hales, Statique des végétaux.
Le corps à analyser est placé dans une cornue disposée sur un foyer. Un tuyau de plomb, fixé à son extrémité, débouche dans un vase qui a été rempli d'eau et retourné sur une cuve à eau. Les gaz dégagés lors de cette "distillation" peuvent y être recueillis. Par cette méthode, Hales obtiendra "de l'air" à partir « du sang, du suif, de la graisse, des pois, du blé de Turquie, de l'anis, de l'eau de vie ». Cet « air fixe » qu’il a ainsi libéré est vraisemblablement un mélange de plusieurs corps gazeux, fidèle à Platon et Aristote Hales n’y reconnaît que l’un des quatre éléments décrits par la doctrine encore classique.
L’auteur extrait même cet air de corps aussi étranges que des écailles d'huître ou des cornes de daim " Deux cents quarante et un grains, ou la moitié d'un pouce cubique de la pointe des cornes d'un Daim, distillés dans une retorte de fer, faite d'un canon de mousquet, que j'échauffais jusqu'à feu blanc dans la forge d'un serrurier produisirent 117 pouces cubiques d'air ; c'est-à-dire 234 fois leur volume…".
Noter ici ce détail important : l'utilisation, comme cornue, d'un canon de mousquet chauffé au blanc. Ce montage sera régulièrement utilisé par la suite, en particulier par Priestley et Lavoisier et nous verrons que le fer du canon était loin d'être neutre dans ces opérations.
La liste des corps organiques ainsi décomposés est impressionnante. Toute cette accumulation d'expériences amène leur auteur à décrire un « cycle de l’air », passant, alternativement dans les corps, de l’état « fixé » à l’état « élastique »..
"L'on y verra, écrit Hales, que tous les corps contiennent une grande quantité d'air [.] l'on verra que ces particules d'air fixe [.] sont souvent chassées des corps denses par la chaleur ou la fermentation, & transformées en d'autres particules d'air élastique ou repoussant, & que ces mêmes particules élastiques retournent par la fermentation, & quelquefois sans fermentation, à leur forme précédente ; c'est-à-dire deviennent de nouveaux corps denses. C'est par cette propriété amphibie (souligné dans le texte) de l'air, que se font les principales opérations de la nature".
Par ce caractère "amphibie" de l'air, par ces cycles de décompositions et de recombinaisons, Hales décrit l'air comme un véritable réactif chimique : "Puisque l'air se trouve en si grande abondance dans presque tous les corps ; puisque c'est un principe si actif et si opératif ; puisque ses parties constituantes sont d'une nature si durable, que l'action la plus violente du feu ou de la fermentation, n'est pas capable des les altérer jusqu'à leur ôter la faculté de reprendre par le feu ou la fermentation, leur élasticité,[.] ne pouvons nous pas adopter ce protée (souligné dans le texte), tantôt fixe, tantôt volatil, & le compter parmi les principes chimiques, en lui donnant le rang que les Chymistes lui ont refusé jusqu'à présent, d'un principe très actif".
Remarquons que la seule qualité de l'air dont il observe la modification au cours des réactions est une propriété physique : son élasticité. Depuis Boyle et Mariotte on considère l'air comme un corps parfaitement élastique dont on a su établir les lois liant son volume et sa pression.Par la voie expérimentale, Hales estime donc avoir rétabli l'air dans son statut de "principe". Il invite donc la classe des chimistes, ses contemporains, à s'engager dans cette "chimie de l'air" qu'il a initiée. "Je souhaite que cet essai puisse engager d'autres personnes à travailler dans le même goût ; le champ est vaste, il faut pour le défricher plusieurs têtes et plusieurs mains" devait-il conclure.
Message reçu par ses compatriotes qui construiront, étape par étape, non pas une chimie "de l'air" mais une chimie "des airs". Parmi ceux-ci, Henry Cavendish et Joseph Priestley.