Le mot hydrogène est généralement associé à celui de gaz. Pourtant il fut un temps où le terme "gaz" ne faisait pas partie du vocabulaire des chimistes. A l’origine du mot nous rencontrons un médecin adepte des procédés alchimiques.
Jean-Baptiste Van-Helmont (1579-1644) est né à Bruxelles, alors ville des Pays-Bas espagnols. Après des études de philosophie à l’université du duché de Brabant, il étudie l’astronomie, l’algèbre, la géométrie. Il se tourne ensuite vers la médecine dont il obtient le diplôme en 1599.
Rejetant les enseignements de Hippocrate et de Gallien, il s’inspire de la médecine pratiquée par Paracelse (1493-1541) et les alchimistes, faisant intervenir des remèdes essentiellement issus du monde minéral.
Van-Helmont se singularise également par son une opposition à la théorie des quatre éléments de Platon et Aristote qui est encore, à cette époque, à la base de toute réflexion sur la matière.
"Les Anciens, dit-il, ont établi les quatre éléments pour fondement de la nature, & attribuent toutes leurs opérations aux qualités et aux complexions qui résultent de leur mélange. Comme cette doctrine a été nourrie et continuée dans les écoles de siècle en siècle, pour l’enseignement de la jeunesse au préjudice des mortels, aussi faut-il tâcher d’en réprimer l’abus afin qu’on puisse dorénavant reconnaître les erreurs qui se sont glissées par-là envers la cause des maladies."(voir : Les œuvres de Jean-Baptiste Van Helmont)
Un seul élément : l'eau.
Pour Van Helmont, ce ne sont pas quatre mais un seul élément qui génère l’ensemble des corps. Tous, animaux, végétaux et minéraux sont faits uniquement d’eau !
Tous les corps, dit-il, qu’on a cru être mixte, "de quelque nature qu’ils puissent être, opaques ou transparents, solides ou liquides, semblables ou dissemblables (comme pierre, soufre, métal, miel, cire, huile, cerveau, cartilages, bois, écorce, feuilles, etc.) sont matériellement composés de l’eau simple et peuvent être totalement réduits en eau insipide sans qu’il y reste la moindre chose du monde de terrestre".
Il ne se contente pas de l’affirmer, il entend le prouver ! Et ceci en faisant appel à l’expérience. Celle-ci, décrite par son traducteur, concerne la croissance des végétaux.
"Il prit un grand vase de terre, auquel il mit 200 livres de terre desséchée au four qu’il humecta avec de l’eau de pluie. Puis il y planta un tronc de saule qui pesait cinq livres. Cinq années après le saule, qui avait cru en ladite terre, fut arraché et se trouva pesant de 169 livres et environ 3 onces de plus.
Le vaisseau était fort ample, enfoncé en terre, et couvert d’une lame de fer blanc étamé percé, en forme de crible, de force petits trous afin qu’il n’y ait que l’eau de pluie ou l’eau distillée seule (de laquelle la terre du vaisseau était arrosée lorsqu’il en faisait besoin) qui y puisse découler. Les feuilles ne furent point pesées parce que c’était en automne quand les feuilles tombent que l’arbre fut arraché.
Il fit derechef ressécher la terre du vase et la terre ne se trouva diminuée que d’environ deux onces qui s’étaient pu perdre en vidant ou emplissant le vaisseau. Donc il y avait 164 livres de bois, d’écorce et de racines qui étaient venues de l’eau."
De même dit-il "La terre, la fange, la boue, & tout autre corps tangible tirent leur véritable matière de l’eau et retournent en eau tant naturellement que par art".
Plus important pour la suite de cette histoire : la naissance de la notion de gaz.
L’Idée de la possibilité pour l’eau de se transformer en terre aura une longue vie que même Lavoisier jugera utile de contester. Surtout, Van Helmont observe que tous les corps ne se transforment pas immédiatement en eau. L’exemple le plus remarquable est celui du charbon dont il affirme que, pendant sa combustion, il libère un " esprit sauvage nommé gas ". Cet esprit constituerait d’ailleurs l’essentiel du charbon, car, dit-il "soixante deux livres de charbons consumés ne laissent guère plus d’une livre de cendres. Donc les soixante livres de surplus ne seront qu’esprit".
Ce « gas silvestre », cet « esprit sauvage », Van Helmont le retrouve dans une multitude d’observations. Il se dégage dans les fermentations du vin, de l’hydromel, du pain qui lève. Il s’échappe de la poudre à canon qui s’enflamme. C’est à lui que Van Helmont attribue, avec justesse, les effets funestes de la grotte du chien dans la région de Naples, les suffocations des ouvriers dans les mines ou des vignerons dans les celliers où le vin fermente.Nous avons compris que le "gas silvestre" de Van-Helmont, qui provoque l’asphyxie des vignerons imprudents, est du dioxyde de carbone, notre CO2.
Lavoisier, qui a lu avec intérêt des œuvres de Van-Helmont, relève particulièrement le mot "gas" dont il note qu’il vient du mot hollandais ghoast qui signifie esprit. Il ajoute que les Anglais "expriment la même idée par le mot ghost et les Allemands par le mot geist". Il lui fallait un mot nouveau pour remplacer le terme « d’état aériforme » des corps. Dans le premier chapitre de son Traité élémentaire de chimie publié en 1789 il l’emprunte à Van Helmont : "presque tous les corps de la Nature sont susceptibles d’exister sous trois états différents ; dans l’état de solidité, dans l’état de liquidité et dans l’état aériforme […] Je désignerai dorénavant ces fluides aériformes sous le nom générique de gaz".
Ainsi naît la notion de gaz, l’un des attribut courant de notre hydrogène. La prochaine étape nous fera visiter les laboratoires de ces premiers « philosophes de la matière » que furent les alchimistes.