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4 novembre 2025 2 04 /11 /novembre /2025 17:21

 

 

 

Le Chevalier De Boufflers, colonel du régiment du Duc de Chartres était cantonné à Landerneau dans les années de préparation à la guerre d’indépendance de l’Amérique. Sa correspondance avec la comtesse de Sabran contient de nombreuses indications sur la préparation de cette guerre. Ce sont ces passages qui sont recueillis ci-dessous.

 

 

 

 

 

 

Février 1778.
Je suis arrivé en grande hâte pour ne rien faire. Il n’est pas plus question de se battre en Bretagne qu’au couvent de la Visitation, et il paraît que nous en serons quitte, non pas pour la peur, mais pour l’ennui.

 

Brest, 21 février 1778.
Ce pays-ci est plein d’ennuis, et nous n’en serons payé par aucune gloire. Je n’ai rien à vous mander : tout ce que nous y faisons dépend des nouvelles d’Angleterre que vous avez cinq jours avant nous, et suivant que vous les interprétez nous sommes en mouvement ou au repos. En tout nous prenons beaucoup de précautions dont une partie me paraît insuffisante et l’autre inutile.

 

Landerneau, 2 mars 1778.
Vous vous égayez un peu sur notre guerre de Bretagne : on voit bien que vous n’y êtes pas. Savez vous qu’il n’y manque que des ennemis ? Car d’ailleurs nous avons un général, un maréchal des logis, un état-major, un équipage d’artillerie et de vivres et nous nous appelons l’armée de Bretagne. Je vous prie dorénavant d’en parler avec les respect  qui convient à une armée, ou bien je proposerai pour vous punir de mettre quelqu’un de mon régiment à discrétion chez vous.

 

Landerneau 3 avril 1778.
Toutes mes nouvelles se bornent à celles que vous savez. Je ne crois pas plus à la guerre que vous. On dit que M. le duc de Chartres s’embarquera dans un mois. Il emmènent des détachements de son régiment sur ses vaisseaux : je demande et je crois être sûr de le suivre.

 

Landerneau avril 1778.
La guerre paraît s’allumer de tous les côtés, et j’ai encore bien de la peine à y croire. Il me semble que personne n’est assez fort pour l’entreprendre, ni assez faible pour y être forcé. Si elle à lieu je crois que je serai embarqué avec le duc de Chartes. Dieu veuille que ce soit pour une descente car sans cela il y a peu de gloire pour nous sur des vaisseaux. Mais il me semble qu’on ne songe guère à une expédition de cette nature. On verrait beaucoup plus de mouvement de troupes, on rappellerait les soldats et les officiers absents qui ne doivent rentrer que le 15 mai, on ferait des préparatifs de toute espèce que par malheur je ne vois pas faire et je serai toujours sans espérance.

 

Landerneau 28 avril 1778.
Il n’y a rien de pis que le prélude de la guerre que nous faisons. Mon régiment souffrirait moins en campagne. Il est fatigué, morcelé, ruiné, infecté de scorbut, de gale, etc. : il ne nous manque plus que la peste que j’attends. La guerre en personne serait bien moins fâcheuse que tout cela ; elle offrirait au moins quelque dédommagement. Mais je le crains bien, nous n’irons point en Angleterre, et l’Angleterre ne viendra point ici. Nous passerons des années dans l’attente de ce qui n’arrivera pas, et plutôt avec l’air de craindre la guerre que de la préparer. Au lieu d’avoir la fièvre, nous aurons le frisson, ce qui n'est point du tout héroïque. Les tristes colonels de Bretagne se flattent de revenir au mois de juin, mais je n’en crois rien. Il y avait beaucoup plus de raisons pour ne pas partir de Paris que pour y retourner.

 

Landerneau 6 mai 1778.
On dit ici beaucoup de nouvelles dont il faut attendre la confirmation, entre autres qu’il va sortir dix sept vaisseaux  de la rade pour aller à la rencontre d’un même nombre d’anglais dont on a connaissance.


Landerneau 1er juin 1778.
Envoyez moi donc le système de Pythagore. Il n’est point du tout en vigueur dans la rue ou je demeure : c’est celle des bouchers . Je ne sors et ne rentre jamais qu’entre deux haies de veaux palpitants ; je marche sur des entrailles sanglantes, « que des chiens dévorant se disputent entre eux ». Une odeur de carnage parfume toutes les approches de ma demeure.

 

Landerneau.24 juin 1778.

Je n'ai rien de plus pressé que de vous dire combien vous êtes aimable, chère sœur, et de vous remercier d'avoir pensé à moi sans y être forcée par l'importunité de mes lettres. Depuis la dernière, que vous auriez dû recevoir avant le 19, j'ai toujours été en l'air, tantôt à cause de M. le duc de Chartres que j'ai suivi dans différentes courses (1), tantôt à cause de M. de la Clochetterie dont le nom ne vous est sûrement pas inconnu à cette heure.
Après son glorieux combat, sa frégate, très maltraitée du canon et diminuée de la moitié de son équipage, avait été conduite la nuit par des scélérats, qui se donnaient pour connaître les côtes, dans un endroit plein de roches où elle avait touché et dont elle ne pouvait sortir sans les plus grands risques. A portée d'elle étaient mouillés des bâtiments anglais, qui paraissaient avoir intention de l'attaquer, et de faire passer des chaloupes entre elle et la terre pour la brûler. J'ai marché à la côte avec un de mes bataillons et cent hommes d'un autre régiment, j'ai rassemblé des chaloupes de six lieues au loin pour porter secours à la frégate et combattre les chaloupes ennemies au besoin, j'ai fait allumer grand nombre de feux sur toute la côte pour faire supposer un gros corps de troupes à portée. Soit que toutes ces précautions aient été utiles ou inutiles, il n'a rien paru, et votre pauvre frère Jean s'en alla comme il était venu, bien peiné de ne pouvoir pas faire un peu de bruit dans le monde.
 
Parlons de M. de la Clochetterie. Je l'ai vu deux ou trois fois sur son bord, blessé, tranquille, occupé de sa besogne et de son équipage, entouré de gens qui ne pensaient ni à leurs blessures, ni à leurs fatigues, ni à leurs exploits en le voyant. Son équipage, quoique diminué de moitié et accablé de travail depuis deux jours, ne songeait qu'à mettre le bâtiment en état de recommencer le combat, et ne voulait point prendre de nourriture ni de sommeil pour ne pas perdre un instant de travail. Les blessés que j'ai vus à un hôpital dont mon régiment a la garde ne se plaignaient point, et tous ne parlaient que de la manière dont ils s'étaient battus. Cependant il manquait à l'un une jambe, à l'autre un bras, à un troisième deux ; il y en avait un avec les deux cuisses emportées. J'ai vu panser tout cela, entre autres dix des plus maltraités qui étaient dans la même chambre; c'est un horrible spectacle ; mais ce qui console, c'est de voir qu'il y a au dedans des braves gens un baume intérieur qui adoucit tous leurs maux, c'est l'idée de la gloire et le contentement de soi-même.

 

Landerneau 7 juillet 1778.
Je vais à Brest voir partir une armée navale de trente-deux vaisseaux de guerre et de huit ou dix frégates ? C’est un spectacle qui n’a été vu qu’en 1704 et qui a si mal fini qu’on ne comptait pas le revoir du siècle. J’espère que cette flotte-ci part sous de meilleurs auspices et qu’elle va nous frayer le chemin de l’Angleterre. Jamais tant d’ardeur, de patriotisme et d’instruction n’ont été réunis. J’ai fait ce que j’ai pu pour suivre mon colonel  sur l’océan, mais son cousin s’y est opposé. Je suis bien fou d’aimer la gloire, elle ne veut pas de moi.

 

Landerneau 13 juillet 1778.
Je vais vous quitter pour aller à Brest, savoir des nouvelles de la mer. Il en vient tant de mensonges qu’on ne sait jamais que croire. Tantôt on dit que nous ramenons des prises, tantôt que nous sommes pris. Ce qu’il y a de sûr, c’est que d’ici à peu de jours on aura la paix ou la guerre. Les deux escadres sont en présence depuis longtemps, et des deux côtés on a bien envie de décider la question. Je souhaite toute sorte de gloire aux marins, mais je voudrais qu’elle ne fût pas pour eux seuls. 

 

Landerneau le 15 juillet 1778.
On vient de nous envoyer des recrues affreuses, de petits misérables qu’on gardait à l’île de Ré pour les faire passer en Amérique. Parmi les cent petits galeux qui me sont tombés en partage, j’ai trouvé le fils d’un excellent sculpteur, nommé Adam. Il sait assez bien dessiner, et je compte l’employer pour l’éducation de mes aspirants. Je lu ferai ainsi gagner sa vie , et peut-être dans quelque  temps le rendrai-je à sa famille. Je me sens de la fraternité pour tout ce qui dessine.  

 

Anizy début août 1778. La comtesse de Sabran au chevalier de Boufflers.
Comment mon frère, on se bat, on gagne presque une victoire, on fait du moins peur aux Anglais et vous ne me le mandez pas ! Il faut que ce soit la Gazette qui me l’apprenne ! (2)

Quoique vous ne vouliez pas absolument me parler de guerre, ma politique ne peut pas s’en taire, et je vous dirais que j’ai été extrêmement étonnée de retrouver dans le Courrier de l’Europe l’amiral Keppel ressuscité. On l’avait tué à Paris ainsi qu’à Anizy, et je m’étais arrangée en conséquence. Je ne saurais vous dire combien j’ai été choquées par son insolence : il s’attribue toute la gloire du combat. A l’entendre parler, il a fait fuir tous les français. Ce qu’il y a de charmant, c’est que les deux lettres des généraux anglais et français disent absolument la même chose. Il me paraît qu’on ne veut pas rester dans cette incertitude, car on nous annonce de grands préparatifs. Mais ce n’est pas assez : il nous faut de grands succès. 

 

Landerneau le 12 septembre 1778.
Concevez-vous que depuis plus de quinze jours nous n'avons plus de nouvelles de l’escadre ? A la première sortie on en avait tous les jours. Cette fois-ci on a envoyé frégates sur frégates , sans compter beaucoup de petits bâtiments : aucun n’a trouvé l’armée. En attendant je vois journellement transporter des malades de Brest, qui viennent séjourner à Landerneau pour se rendre à l’hôpital qu’on vient d’établir à Morlaix. Tout cela donne des idées, et des idées tristes. Il paraît qu’on s’attend à une grande affaire : c’est jouer bien gros jeu, et un jeu où l’on perd en perdant et où l’on perd encore en gagnant. J’aime beaucoup ce qu’une femme de mes amies me disait à Brest, à la première sortie : « Nous autres femmes de marins après le malheur ce que nous craignons le plus, c’est le bonheur ». je trouve que ce mot-là est tendre et profond.
J’emporte ma lettre à Brest pour vous mander de là les nouvelles que j’apprendrai. Elles m’importent beaucoup, parce que d’elles dépend notre sort cet hiver. Si on cherche toujours à se battre sans le faire, nous attendrons la décision ; si on est assez battu pour que les anglais puissent tenter quelque entreprise, nous resterons ; si on est assez battant pour que nos troupes de terre puissent entreprendre quelque-chose, nous resterons encore ; et nous ne partirons , je crois, que dans le cas où une fatigue égale des deux côtés et une égale disposition à la conciliation feront tomber pendant l’automne et l’hiver les armes des mains.

 

Brest 12 septembre 1778.
Je suis à Brest. Il est arrivé aujourd’hui des nouvelles de l’armée, mais seulement au commandant de la marine, et l’officier qui les apporte est impénétrable. Il jure ses grands dieux qu'il n’a pas vu les Anglais, et il paraît qu’au lieu d’être sur les côtes d’Angleterre on est sur les côtes d’Espagne. Plusieurs vaisseaux et frégates partis d’ici, après l’escadre, n’ont pu la rejoindre. Le Réfléchi, entre autres, aurait été pris si les Anglais avaient risqué le combat. Il est mauvais voilier, il porte soixante-quatre canons, et il avait affaire à un bon voilier de quatre-vingts qui le tenait à petite portée. Il est rentré et va retourner avec d’autres, conduits par l’officier qui repart.

 

Landerneau 28 septembre 1778.
Je pars dans trois jours pour vous aller chercher, sœur plus aimable qu’Antigone. J’attends toujours de vos nouvelles, et la crainte d’aller où vous ne seriez pas m’a fait rester où j’étais. Il m’est d’ailleurs venu une foule d’affaires, surtout le départ imprévu et précipité de mon régiment, qui est éparpillé sur terre et sur mer, et qu’il faut mettre sous trois jours en marche pour Douai. 

 

 

(1). Parmi les "courses" du duc de Chartres,  la visite des mines de plomb de Poullaouen où la présence du chevalier de Boufflers est notée par Lavoisier. (voir)

 

(2). A Brest, le duc de Chartres est considéré comme le responsable de la "presque victoire" ou du "semi-échec"  du combat d'Ouessant. Le silence du Chevalier de Boufflers, colonel du régiment du Duc, s'explique aisément. 

 

XXXXXXXXXX

 

On parle aussi du Chevalier de Boufflers dans :

 

Sébastien Le Braz. Journal d'un chirurgien de marine, à Brest au temps de la guerre d'indépendance américaine.
 

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