Nous avons rencontré Hauksbee en 1705 quand, en frottant dans l’obscurité un globe de verre dans lequel il avait fait le vide, il y faisait apparaître une étrange lueur qui semblait suivre le doigt qui s’en approchait.
Plus tard, l’abbé Nollet reprenait ces expériences dans une mise en scène qui leur assurait une durable publicité.
Expérience des vases lumineux réalisée par l’abbé Nollet
Sa méthode était plus efficace. Au lieu de frotter le récipient de verre, il l’électrisait en faisant pénétrer, à son autre extrémité, le classique canon de fer, suspendu par des cordons de soie, qui recevait l’électricité du globe de la machine électrique.
L’expérience était réalisée dans l’obscurité. Laissons parler Nollet :
"Si vous portez la main au robinet de métal qui tient à l’un des goulots du matras purgé d’air ou que vous approchiez vos doigts de la surface du verre tandis qu’on électrise le conducteur : vous verrez dans l’intérieur du vaisseau plusieurs jets d’une matière très lumineuse ; et si vous le touchez, vous apercevrez une pareille matière qui se répand dans son épaisseur, à peu près comme une huile imprégnée de phosphore." (Nollet, leçons de physique expérimentale). Notons que le terme de phosphore ne fait ici nullement référence à l’élément chimique dont la découverte en Europe date de la fin du 17ème siècle mais de façon générale, en accord avec l’étymologie grecque, à tout "porteur de lumière".
Pour Nollet, l’expérience indique qu’il est "très probable que la matière électrique est la même que celle du feu et de la lumière".
Bien plus tard, Faraday s’intéresse à son tour au phénomène. Il utilise un tube muni de deux électrodes à ses extrémités et dans lequel il peut faire le vide. Quand le vide n’est pas poussé à son maximum, une lueur l’emplit dès que les électrodes sont reliées à une source de haute tension.
Poussant plus loin le vide, il observe une frange sombre dans la colonne lumineuse du côté de la cathode. Cette zone sans lumière s’élargit quand le vide augmente. Cette observation sera mise à profit par son compatriote William Crookes.
L’étude des décharges dans les gaz raréfiés prend une nouvelle vigueur avec William Crookes (1832-1919). Le savant britannique est déjà célèbre pour avoir découvert un nouvel élément, le Thallium, et aussi pour son radiomètre.
L’appareil est encore commercialisé, souvent sous forme de curiosité. C’est un rotor léger, constitué par un ensemble de quatre plaques carrées dont l’une des faces est blanche et l’autre noire. Placé dans une ampoule vide de son air, le rotor tourne sous l’action de la lumière. Crookes en avait fait un usage scientifique, en particulier pour la mesure des radiations invisibles comme les radiations infrarouges.
Crookes accepte la théorie cinétique des gaz proposée par Bernoulli. Celui-ci considère les gaz comme formés de molécules se déplaçant en ligne droite mais changeant rapidement de direction à l’occasion des chocs avec les autres molécules ou les parois des vases les contenant. Dans les tubes de Faraday ou de Geissler, Crookes fait l’hypothèse que les molécules se chargent d’électricité au contact de la cathode et en sont violemment repoussées.
Si le vide est insuffisant elles rencontrent rapidement d’autres molécules, la violence du choc se traduisant par une émission lumineuse.
Si on pousse le vide, la trajectoire rectiligne des molécules, perpendiculairement à la surface de l’électrode, s’allonge et un espace sans lumière apparaît. Celui qui avait déjà été observé par Faraday. Un vide très poussé, comme celui auquel parvient Crookes, fait même disparaître tout effet lumineux à l’intérieur du tube. Seul est visible l’impact du faisceau sur le verre qui s’éclaire à l’endroit où il le rencontre.
Pour mettre en évidence l’existence de ce jet invisible, supposé être constitué de molécules, Crookes a l’idée de leur opposer des obstacles. Un montage célèbre est celui d"une roue à palettes montée sur des rails de verre. Soumise au rayonnement, elle tourne et avance. On peut choisir le sens du mouvement en choisissant l’électrode alimentée
On peut aussi placer dans le tube un écran fluorescent, par exemple recouvert de sulfure de carbone. Placé légèrement incliné le long du trajet du faisceau, il le rend visible. Le montage est encore présent dans nos lycées pour l’étude des rayonnements cathodiques.
Autre méthode : présenter sur le trajet du faisceau un obstacle dont l’ombre se verra sur l’extrémité élargie du tube. Le tube muni d’une croix inclinable à volonté deviendra un équipement classique des laboratoires.
Il résulte de cette étude une observation qui mériterait explication : les particules suivent un trajet rectiligne toujours perpendiculaire à la surface de la cathode. La place de l’anode n’a aucune influence. Il ne s’agit donc pas d’un "courant électrique" passant d’une électrode à l’autre mais d’un phénomène de type nouveau qui sera désigné par le terme de "rayonnement cathodique".
Le 16 janvier 1880 Crookes exécute ses expériences devant la Société française de physique. Elles laissent les spectateurs perplexes.
Le rayonnement est dévié par l’approche d’un corps chargé d’électricité et se comporte comme constitué de particules chargées d’électricité négative. Mais il est également dévié par un aimant comme le serait un courant électrique. Alors, flux de charges électriques ou courant d’électricité ?
N’oublions pas qu’en France les deux notions sont très différentes : un courant électrique est constitué par le déplacement simultané et en sens inverse des deux fluides. L’un positif, l’autre négatif.
Plus étrange. Deux pinceaux parallèles sont créés à partir de deux cathodes voisines. Vont-ils se repousser car constitués de particules de même charge ou s’attirer comme le font deux courants électriques de même sens ? Ils se repoussent, ce sont donc des particules chargées d’électricité et non des courants électriques tels que pouvait les décrire Ampère.
Mais quel type de particules ? Ces expériences se font dans des tubes où le vide est extrême. Crookes a mis au point des machines "pneumatiques" qui permettent de faire un vide particulièrement poussé. En les faisant fonctionner longtemps (jusqu’à quinze jours) il arrive à un vide qu’il estime à un millionième d’atmosphère. Les particules chargées ne peuvent donc pas être des molécules d’air résiduel. Crookes imagine un quatrième état de la matière, la "matière radiante", dont une des caractéristiques sera cette propagation rectiligne à partir de la cathode
Il faudra attendre la fin du siècle avec J.J. Thomson et la découverte de l’électron pour trouver une explication du phénomène acceptable par l’ensemble du monde scientifique. Les applications seront alors nombreuses : ampoules à vide équipant les premiers appareils électroniques, tubes cathodiques des oscilloscopes, des écrans de télévisions et des premiers ordinateurs, etc…
Le tube cathodique sera aussi à l’origine de découvertes aussi importantes que le rayonnement X et la radioactivité.
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