La Nature est généreuse. En dotant le soufre et le verre de la propriété d’attraction, elle a permis à tout un chacun de s’emparer du phénomène électrique. Le plus simple bâton de soufre ou le plus banal des tubes de verre donnent déjà de beaux effets. Mais ces matériaux se prêtent surtout à la fabrication de " machines " qui viendront compléter les " cabinets de curiosités ", attraction obligatoire de toute demeure noble ou bourgeoise qui se respecte, dès la deuxième moitié du 17ème siècle.
Otto de Guericke (1602-1686)
Parmi les constructeurs, un premier nom émerge, celui de Otto de Guericke. Il est le descendant d’une famille de notables de la ville franche de Magdebourg. Son père et son grand-père y ont tous deux occupé la fonction de bourgmestre, contribuant à en faire une cité prospère et populeuse. Il étudie d’abord à l’université de Leipzig puis rejoint Leyde pour compléter son instruction dans les langues ainsi que dans l’art des fortifications et des machines de guerre.
En 1626, il regagne Magdebourg où ses connaissances deviennent rapidement utiles car, en 1631, la cité protestante est assiégée par les armées de l’Empereur d’Allemagne en conflit avec la Suède dont la ville est alliée.
Le 20 mai, à l’aube, les troupes de mercenaires catholiques du seigneur de guerre Tilly, composées d’Espagnols, d’Italiens, de Français, de Polonais et d’Allemands pénètrent dans la ville. La population résiste de façon héroïque mais ne parvient pas à repousser les assaillants. Commence alors ce qui est resté dans les mémoires comme le "massacre de Magdebourg" : en quatre jours, vingt mille civils sont passés au fil de l’épée ou brûlés vifs dans l’incendie de leur maison.
Une fois la paix revenue, Otto de Guericke contribue à relever la ville de ses ruines et en devient maire. Dans cette fonction, il représente Magdebourg au congrès de paix qui, en 1648, clôt cette "guerre de trente ans". Bon négociateur, il obtient pour sa ville, la reconnaissance de ses anciens privilèges. Cette mission l’amène à siéger à la Diète impériale. C’est à l’une de ces réunions, à Ratisbonne, en 1654, qu’il choisit de révéler les capacités de la pompe à vide qu’il a récemment mise au point.
L’expérience dite des "hémisphères de Magdebourg " est bien connue. Elle fait suite aux expériences de Torricelli (1608-1647) sur la pression atmosphérique.
En 1643, pour répondre au problème posé par les fontainiers de Florence qui avaient des difficultés à pomper l’eau dans leurs puits au-delà de 32 pieds (environ 10 mètres), Toricelli avait renversé un tube plein de mercure sur une cuve contenant le même liquide. Il avait pu constater que le mercure descendait dans le tube pour se stabiliser à une hauteur de 28 pouces (76cm) au-dessus de la surface libre. Il démontrait ainsi l’existence de la pression atmosphérique mais aussi celle du vide dont, prétendaient ses adversaires, la Nature avait "horreur".
Le sujet passionne Otto de Guericke qui entreprend avec succès, la mise au point d’une pompe capable de faire le vide dans un récipient plein d’air. Après avoir tenté de vider un tonneau qui ne résista pas à l’expérience, Guericke fait fabriquer une sphère de cuivre, composée de deux demi-sphères jointives, et munie d’un robinet. Devant un nombreux public, il fait le vide dans cette sphère imposante d’une aune de diamètre (1,19 mètre). Vingt-quatre chevaux attelés aux hémisphères sont incapables de rompre l’adhérence entre les deux parties.
Cette expérience inaugure avec éclat la pratique de la "science spectacle" dont la popularité sera également déterminante dans l’avancement de la science électrique.
L’expérience des "Hémisphères de Magdebourg" est un repère dans l’histoire de la mécanique. La place de Guericke dans celle de l’électricité est plus modeste. Son apport dans ce domaine était d’ailleurs resté ignoré de la plupart de ses contemporains. Pourtant, près d’un siècle plus tard, plusieurs physiciens, et en particulier le français Dufay, constatent qu’on aurait gagné à considérer ses expériences avec plus d’attention.
Guericke, en réalité, ne s’intéresse qu’incidemment à l’électricité. Il ne la rencontre qu’à travers les questions qu’il se pose sur le fonctionnement de l’Univers. Il s’interroge d’abord sur celui de la terre. Parmi les "vertus" qu’il attribue à notre globe, deux lui semblent fondamentales. D’abord une vertu "conservative" : la terre attire à elle tous les matériaux qui sont nécessaires à sa formation, l’eau, les roches... Ensuite une vertu "expulsive" : elle repousse tout ce qui peut la détruire. Le feu, par exemple, dont la flamme monte vers le ciel.
Guericke en propose une spectaculaire démonstration. Prendre, dit-il, un ballon de verre de la taille de la " tête d’un enfant", le remplir de soufre finement moulu, chauffer jusqu’à fusion du soufre, laisser refroidir, casser le verre et recueillir le globe de soufre. Munir la boule d’un manche et la placer sur un support de bois. Frotter cette boule vigoureusement d’une main bien sèche.
La "machine électrique" de Otto de Guericke
(Louis Figuier, Les Merveilles de la Science)
La boule manifestera alors plusieurs des vertus terrestres. La vertu "conservative" d’abord, en attirant à elle des objets légers.
Plus étonnante est l’observation de la vertu "expulsive" ! Le globe repousse parfois ce qu’il a d’abord attiré. Une plume, par exemple, après avoir touché le globe en est repoussée. Ainsi suspendue dans l’air, elle peut être promenée dans toute la pièce. Mieux : quel que soit le mouvement du globe elle semble lui présenter toujours la même face. Exactement comme la lune vis à vis de la terre.
Guericke, qui a lu Gilbert, ne peut douter un seul instant que la vertu attractive de la terre ne soit tout simplement de nature électrique. Quant à la vertu répulsive, personne avant lui ne semble l’avoir notée. Il lui attribue une cause différente et l’imagine uniquement propre aux éléments constitutifs de la terre et parmi ceux-ci au soufre. Il passe, ainsi, à côté d’une vérité qui restera longtemps occultée jusqu’à ce que le Français Dufay en fasse l’étude approfondie et montre que l’électricité possède également une "vertu répulsive" !
Les récits de Guericke recèlent d’autres riches intuitions. Pour prouver que l’air n’est pas le véhicule de l’attraction, il montre que cette vertu peut se transmettre par l’intermédiaire d’un fil de lin, long de plus de un mètre, tendu à partir de la surface du globe. Cette première observation de la "conduction" électrique restera, elle aussi, sans lendemain. Il appartiendra à l’Anglais Gray de la redécouvrir près d’un siècle plus tard.
Même si son titre de gloire reste la fameuse expérience des hémisphères et si son apport théorique dans le domaine de l’électricité est resté limité, le talent d’observateur et d’expérimentateur de Guericke, reconnu par ses successeurs, mérite la place qui lui est réservée dans le Panthéon des électriciens.
Hauksbee ( ?- 1713)
L’électricité et le vide font également bon ménage dans les machines imaginées par Francis Hauksbee.
On connaît mal les premières années de sa vie. Autodidacte, il est remarqué par Newton. En décembre 1703, le célèbre physicien, auteur de la loi de gravitation universelle, devient président de la Royal Society of London, la plus importante Académie scientifique anglaise. Il engage Hauksbee comme son expérimentateur principal. Jusqu’en 1705, celui-ci anime donc les séances de l’Académie. En particulier par des expériences classiques sur le vide inspirées de Guericke.
A partir de cette date il s’oriente vers l’étude de la phosphorescence "mercurielle" ou "barométrique". Depuis 1675, une observation faite de façon fortuite intrigue les physiciens. Quand on bouscule, dans l’obscurité, un tube barométrique disposé dans les conditions de l’expérience de Toricelli, une lueur phosphorescente apparaît dans le vide libéré à la partie supérieure du tube. Au moment où Hauksbee s’attaque au problème, il est généralement admis que cette lueur provient d’une émanation du mercure. Pour sa part il choisit d’user de méthode et d’étudier les rôles respectifs du vide, du verre et du mercure.
Le vide ? Hauksbee emplit partiellement de mercure un ballon dans lequel il fait le vide. L’ensemble reste obscur tant que le liquide reste immobile. Il est donc clair que le vide n’est pas suffisant mais que, par contre, le frottement, provoqué par le mouvement, est indispensable.
Frottement sur le mercure ou sur le verre ? A partir de novembre 1705 Hauksbee utilise, pour répondre à cette question, un montage qui fait abstraction du mercure. Il s’agit d’une sphère de verre munie de deux pièces de cuivre diamétralement opposées lui servant d’axe. Cette sphère peut être mise en mouvement rapide en la plaçant sur une machine inspirée d’un tour de menuisier. Mais sa propriété essentielle est d’avoir été conçue pour qu’on puisse y réaliser le vide. Hauksbee a pris la précaution de ménager un robinet dans une des pièces de l’axe qui peut être relié à une pompe à vide.
La machine électrique de Hauksbee. Un robinet permet d’y faire le vide
(Louis Figuier, Les Merveilles de la Science)
La sphère, vidée de son air, est mise en mouvement et frottée par la main de l’expérimentateur. Soudain, dans l’obscurité, la sphère s’emplit d’une forte lueur diffuse. Un mur situé à dix pieds en est éclairé. Un livre tenu à proximité du globe peut être lu. Quand un doigt s’approche de la sphère, la lumière se concentre en filaments qui semblent attirés par ce doigt. La lumière diminue progressivement quand, peu à peu, on laisse entrer l’air dans le tube.
Même quand la pression atmosphérique est atteinte, on peut encore arracher quelques lueurs au globe. Elles sont externes cette fois, et se présentent sous la forme nouvelle d’étincelles. Hauksbee hésite encore mais pour Newton, la cause est entendue : La lumière ne provient ni du vide, ni du mercure mais du verre !
Nous savons, à présent, que si c’est bien le verre qui est électrisé, la lueur, elle, provient de l’air. Dans le globe "vide", il reste encore du gaz résiduel et celui-ci est "ionisé" sous l’effet du champ électrique créé par la friction du verre. Il devient, par ce fait, lumineux, à l’image du néon dans un tube d’éclairage. Naturellement cette interprétation était impossible à qui n’avait ni la connaissance de la nature de l’air, ni, à plus forte raison, de l’existence et de la constitution des atomes.
Cette "phosphorescence électrique" continuera à obséder des générations de physiciens. Son étude amènera aux tubes cathodiques qui, pour quelque temps encore, équipent nos écrans de télévision et d’ordinateurs. La découverte des rayons X, celle des électrons, celle de la radioactivité, seront également au bout de cette aventure que nous évoquerons par la suite.
Pour le moment, les démonstrations de Hauksbee, à la fois spectaculaires et inquiétantes quand elles se font dans l’obscurité d’un cabinet, deviennent les expériences vedettes des spectacles de physique.
Tube ou globe ?
Une chose est sûre : à ceux qui considéraient le verre comme un matériau secondaire et de peu d’effets électriques, et qui continuaient à lui préférer l’ambre, le soufre ou la cire, Hauksbee oppose un démenti convaincant.
Le verre s’impose donc, mais sous quelle forme ? Hauksbee lui-même pour ses démonstrations classiques renonce à ses sphères et n’utilise qu’un tube de flint-glass, ce verre au plomb utilisé pour l’optique et dont les Anglais sont les spécialistes. Avec un tube long de un mètre et de trois centimètres de diamètre, il attire de fines feuilles de cuivre à plusieurs dizaines de centimètres de distance. Ces feuilles de cuivre, ou mieux : d’or, plus sensibles que des morceaux de ficelles ou de papier, deviendront le matériau classique des laboratoires d’électricité. Pour les mettre en mouvement, un tube de verre est largement suffisant.
Le globe, monté sur un tour, sera oublié pendant trente ans jusqu’au moment où, vers 1733, un physicien allemand, Bose, en reprenne l’idée.
Bose (1710-1761)
Georg Matthias Bose, né à Leipzig, s’intéresse aux nouveautés de la physique et des mathématiques tout en poursuivant ses études de médecine. En 1738 il est nommé sur une chaire de "philosophie naturelle" à l’université de Wittenberg. De ce poste, il établit des relations suivies avec tout ce que l’Europe compte comme personnes de renom, aussi bien scientifiques que hommes de lettres, de religion ou de politique. L’aspect magique de l’électricité le séduit. Quand ses lectures l’amènent à rencontrer les expériences électriques de Gray et Dufay (deux personnages de première importance dont nous reparlerons), et en particulier celles sur les conducteurs et les isolants ; quand, de plus, il retrouve la description du globe de Hauksbee, il sait qu’il a trouvé, à la fois, sa vocation et son public.
Il complète d’abord le dispositif de Hauksbee par un montage qui deviendra le standard de tous les laboratoires européens. Un tube de fer, qui prend parfois la forme d’un canon de fusil, est suspendu horizontalement à deux cordons de soie. Il effleure, sans pourtant le toucher, le globe de verre frotté. Ce "premier conducteur" servira ensuite à distribuer le "fluide électrique", par l’intermédiaire de chaînes ou de conducteurs divers vers les dispositifs expérimentaux qui l’entourent.
Bose organise alors des "fêtes électriques" qui ne se limitent pas à son public d’étudiants. Imaginez un repas où vous avez convié tous les notables les plus en vue dans votre ville. Les pieds de la table ont été isolés par des galettes de cire de même que la chaise que vous vous êtes réservée. De la machine électrique que vous avez actionnée et que vous avez dissimulée, un fil conducteur est amené jusqu’à proximité de votre main. Au moment où vos convives voudront saisir leur fourchette, il vous suffira d’établir le contact avec la table pour qu’un choc électrique vienne les faire bondir sur leur chaise. Au dessert vous mettrez le feu à une coupe de liqueur alcoolisée simplement par l’approche de l’un de vos doigts d’où seuls les plus proches spectateurs auront vu sortir une étincelle. Vos invités seront alors tout disposés à vous suivre dans le cabinet de curiosités où vous les transporterez dans un univers à la fois merveilleux et terrifiant.
Merveilleux ! Des galettes de cire épaisse sont disposées sur le sol. Chaque participant monte sur l’une d’entre elles et tend la main à ses voisins, formant ainsi une chaîne dont le premier maillon tient fermement le canon de fusil suspendu au-dessus du globe de la machine. Quand le globe est mis en mouvement, la personne située à l’autre extrémité de la chaîne tend la main au-dessus de feuilles d’or placées sur une coupelle. Chacun voit alors les feuilles s’élever d’un vol léger, comme attirées par une volonté magique, vers la main ouverte de l’expérimentateur. Eteignons les bougies qui éclairent ce salon aux volets fermés et tendons le doigt vers le conducteur de la machine, nous en verrons jaillir de lumineuses étincelles. Sous forme d’apothéose on pourra proposer la démonstration de la "béatification électrique". La plus aimable personne de l’assemblée est conviée à monter sur un gâteau de cire et à saisir le conducteur. Quand la machine est vigoureusement actionnée ses cheveux se déploient en une auréole qui s’éclaire, dans l’obscurité, des milles lueurs de la sainteté.
Terrifiant ! L’homme qui a le courage de faire couler quelques gouttes de son sang les voit scintiller comme des perles de feu dans l’obscurité au moment où il se saisit du conducteur. Les doigts tendus d’une personne reliée à la machine peuvent tuer les pauvres mouches vers lesquelles on dirigera l’étincelle. Ne pourra-t-on demain faire de plus conséquentes victimes ? De telles manipulations auraient certainement valu le bûcher à leurs auteurs aux temps, encore proches, de l’Inquisition !
Terrifiant et traître ! Aussi belle soit la jeune personne auréolée par le contact de la machine, il ne faudra pas s’aviser de vouloir en approcher les lèvres pour un baiser. La "Vénus électrisée" défendra sa vertu par une sérieuse secousse électrique.
Electricité de salon
(Louis Figuier, Les merveilles de la science)
Les nouvelles de ces merveilles parviennent en France et en particulier à l’abbé Nollet qui est alors le plus en vue des électriciens européens. Il avoue n’avoir pu dormir avant d’avoir lui-même construit et perfectionné une machine qui devient alors un meuble volumineux.
L’abbé Nollet (1700-1770)
Le globe, de un pied de diamètre, utilisé par Nollet, est en verre épais. La roue qui l’entraîne au moyen d’une courroie passant par une poulie fixée sur son axe, doit avoir au moins quatre pieds de diamètre et être munie d’une manivelle qui permette à deux hommes de l’actionner. Nollet préfère frotter le globe à la main mais de nombreux physiciens européens ont choisi de lui adjoindre un coussin de cuir.
La Machine électrique de l’Abbé Nollet (1747)
(Louis Figuier, Les Merveilles de la Science)
Les machines à plateau.
Cette volumineuse machine équipera la plupart des cabinets de physique jusqu’à ce que l’Anglais Ramsden (1735-1800) construise la première machine à plateau en 1768. La machine à plateau se perfectionne rapidement et deviendra vraiment efficace quand apparaîtront les premières machines " à influence électrique ", c’est à dire ne nécessitant aucun frottement. La célèbre machine inventée par l’Anglais Wimshurst en 1883, équipe encore les laboratoires de nos lycées.
La machine de Van Marum construite en 1784 est encore une attraction remarquée au pavillon des Pays-Bas de l’Exposition Internationale d’électricité de Paris en1881. (La Nature, 1881)
Commentaire du Bulletin de l’Union des Physiciens :
Voici un ouvrage à mettre entre toutes les mains, celles de nos élèves dès les classes de premières S et STI de nos lycées, et entre les mains de tous les futurs enseignants de sciences physiques et de physique appliquée (tant qu’il en reste encore !).
L’auteur est un collègue professeur de sciences physiques, formé à l’histoire des sciences, et formateur des enseignants en sciences dans l’académie de rennes. Bref quelqu’un qui a réfléchi tant à l’histoire de sa discipline qu’à son enseignement et sa didactique, et cela se sent. Le style est fluide et imagé, bref plaisant au possible.