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16 décembre 2017 6 16 /12 /décembre /2017 16:17

Le texte ci-dessous est extrait de la thèse de Michel Chalopin sur  L’enseignement mutuel en Bretagne de 1815 à 1850.

 

 

Les sociétés locales Reflets plus ou moins fidèles de la Société de Paris, les sociétés locales ont joué un rôle inédit dans la propagation de l’enseignement mutuel. Bien que leur création ait été encouragée par le ministre de l’Intérieur qui y voyait un moyen de pallier les difficultés financières ou l’hostilité des municipalités, celles-ci ont surtout été l’œuvre de notables convaincus de l’importance de l’instruction du peuple et agissant de leur propre chef. Ce qui les caractérise, c’est qu’elles financent, au moins en partie, une école mutuelle. Elles détiennent également un rôle d’administration et de surveillance. Ce dernier aspect les mettra quelquefois en conflit avec les autorités locales ou universitaires. En Bretagne, on compte seulement quatre de ces sociétés, à Nantes, Landerneau, Saint-Brieuc et Guingamp. Cependant, cette dernière ne sera pas étudiée car les documents sont trop lacunaires et ne permettent pas une comparaison avec les autres.

 

A Landerneau, l’école des industriels.

 

La première évocation d’une école mutuelle à Landerneau a lieu au sein du comité cantonal que l’inspecteur d’académie, Delamarre, réunit lors de sa tournée de l’été 1817. Nul doute que la proposition d’établir une telle école est venue de ce fonctionnaire car partout où il passe, il n’a de cesse de prêcher en faveur de la nouvelle méthode. Les membres du comité, tout en accueillant favorablement le projet, le reportent cependant à des jours plus propices.

 

Le projet généreux d’un ingénieur des Ponts-et-Chaussées

 

Pourtant, quelques mois plus tard, l’idée d’introduire l’enseignement mutuel à Landerneau commence à prendre forme grâce à l’action de Jean-Sébastien Goury, notable important appartenant à une riche famille de Landerneau. Celui-ci mène alors une brillante carrière dans l’administration des Ponts-et-Chaussées après avoir fait ses études à Paris en 1796, essentiellement à l’Ecole Polytechnique. Revenu dans son Finistère natal en 1801 en tant qu’ingénieur, il y exerce jusqu’en 1818, période à laquelle il est muté dans les Vosges, puis dans d’autres départements. Il faut attendre 1834 pour voir son retour au pays breton, cette fois avec le titre de directeur. Il finira sa carrière après avoir atteint, en 1840, le grade d’inspecteur général. Parallèlement à sa carrière administrative, il s’occupe également de politique et devient député en 1839 pour l’arrondissement de Châteaulin (Finistère). A la Chambre, il siège parmi les ministériels jusqu’en 1848, date à laquelle il se retire des affaires publiques.

 

Quand Jean-Sébastien Goury intervient auprès du maire de Landerneau au sujet de l’école mutuelle, il semble agir à la demande du préfet mais ses initiatives dépassent celles d’un simple émissaire, dévoilant plutôt l’action d’un véritable partisan de ce nouveau système d’enseignement. Ainsi, l’ingénieur échafaude un plan qui ne manque ni de réalisme, ni d’originalité. Tout d’abord, il n’attend rien du comité cantonal d’instruction primaire dont les membres, à ses yeux, sont peu préoccupés des affaires pour lesquelles on les a désignés. Il désire ensuite que l’école mutuelle soit administrée par des souscripteurs, indépendamment de la commune. Le principe est que les parents riches paient des rétributions suffisamment élevées pour pouvoir rémunérer un maître et instruire gratuitement une certaine proportion d’enfants pauvres. Il pense convaincre facilement les familles aisées car les tarifs qu’il propose sont concurrentiels par rapport à ce qui existe. Il déclare à ce propos : « On paye aujourd’hui en se fournissant plumes, encre et papier, un écu pour aller perdre son temps et ne rien apprendre en deux ou trois ans, on payera avec plaisir 4 francs pour apprendre à lire et à bien écrire en moins d’un an. » Il a d’ailleurs déjà sondé à ce sujet la plupart des notables de Landerneau dont une douzaine au moins sont prêts à envoyer leurs enfants à l’école mutuelle.

 

Cependant, les écoliers recrutés ne sont pas assez nombreux pour, à la fois, garantir un traitement décent au maître et pourvoir aux frais de fonctionnement de l’établissement.

 

Face à cette difficulté Goury, décidément très inventif, propose d’instruire les filles et les garçons dans le même local par le même maître mais à des heures différentes. Le clergé local va alors s’emparer de cette « bizarrerie » pour tuer dans l’œuf un projet qu’il voit d’un très mauvais œil. Les ecclésiastiques, loin de se contenter des accords de principe de leur évêque vis-à-vis de l’enseignement mutuel, paraissent accorder davantage de confiance aux propos diffusés par l’Ami de la religion et du roi, véritable arme de propagande cléricale qui se déchaîne contre la nouvelle méthode.

 

Face à la méfiance des prêtres, Goury est obligé d’user de diplomatie pour faire admettre une idée à laquelle il croit profondément. On le voit ainsi, armé des tableaux de lecture de l’enseignement mutuel, essayer de convaincre les membres du comité cantonal, composé, entre autres, du curé qui en est le président et d’un autre ecclésiastique, l’abbé Vistorte, aumônier des calvairiennes. Il explique au préfet les stratagèmes utilisés dans cette diplomatie un peu particulière : « J’ai mis en jeu toute ma rhétorique ; j’ai pris des détours sans nombre pour arriver à mon but ; j’ai flatté, j’ai eu l’air d’approuver sa sainte fureur ; j’ai même représenté au curé que c’était peut-être une raison pour faire bonne contenance et pour s’emparer en quelque sorte de l’établissement afin de le diriger d’une manière utile aux intérêts de la religion ; je lui ai proposé de mettre à la tête comme professeur un des vicaires ; (je savais que la chose était impossible). Profitant du regard favorable que m’a valu cette proposition, je suis parvenu à me faire écouter et à ébranler un peu le parti de l’opposition. J’ai déroulé les tableaux, j’ai donné des détails sur la méthode, sur les travaux des enfants et nous avons fini par ne faire plus que six têtes dans un bonnet. »

 

Les prêtres sont-ils vraiment convaincus ? Quoi qu’il en soit, ils décident d’écrire, en l’absence de l’évêque, au vicaire général du diocèse, l’abbé Tromelin, pour connaître son avis sur l’éventualité d’une école mutuelle à Landerneau. L’opinion déjà connue du prélat, favorable envers ces écoles, ne leur suffit-elle pas ? Ont-ils voulu court-circuiter la volonté de l’évêque en n’attendant pas son retour et en s’adressant à son grand vicaire qui, espéraient-ils, avait peut-être un autre avis sur la question ? C’est possible. En tout cas, Goury, comprenant sans doute la manœuvre, s’empresse de recommander au préfet de rencontrer au plus vite cet auxiliaire de l’évêque pour l’enjoindre à donner, à l’instar de son supérieur, un avis favorable envers l’école mutuelle projetée.

 

On ne connaît pas la réponse du vicaire général mais l’attitude des ecclésiastiques va devenir, à partir de ce moment, plus subtile. Au lieu de s’opposer à l’établissement de l’école mutuelle, ce qui serait récuser les accords antérieurs passés entre l’évêque et le préfet sur cette question, ces derniers préfèrent louvoyer et approuver ce genre d’établissement, mais à la condition qu’il ne concerne que les garçons. En réalité, ils savent pertinemment que le projet n’est pas viable financièrement si les filles ne sont pas adjointes.

 

Le clergé n’est pas le seul obstacle que Jean-Sébastien Goury trouve sur sa route. Le préfet lui-même, pourtant partisan de l’enseignement mutuel, n’approuve pas que le maître enseigne les petites filles. Il trouve cela inconvenant. Sans doute, anticipe-t-il également l’opposition du clergé sur ce point. Le magistrat propose alors qu’on renonce à l’école des filles. Cependant, Goury, pour des raisons financières qui ont déjà été expliquées, ne pouvant suivre l’opinion du préfet, son principal associé dans cette affaire, a trouvé, là encore, une solution. Il émet l’idée d’une surveillance faite par une femme pendant les heures où les filles seraient assemblées sous la direction du maître. Le conseil municipal, consulté sur ce projet, approuve cet arrangement.

 

Quant au préfet, on ne connaît malheureusement pas son avis. Goury doit d’ailleurs attendre près de deux mois une réponse de sa part, ce qui prouve probablement son embarras. Après le préfet, Goury doit également composer avec le maire et son conseil municipal sur la question de l’administration de l’école. Goury propose une société de souscripteurs gestionnaires de l’école. Mais ce mode d’administration ne convient pas au maire qui préfère voir l’établissement entrer dans le giron communal. Ce dernier argumente sa position ainsi : « Il semble que ce plan (celui de Goury) ne s’accorde pas avec l’intention de Monsieur le Préfet, que c’est, en effet, à la commune que ce magistrat offre un secours de 400 francs pour faire face aux premiers frais, et que c’est la commune qu’il charge de passer bail du local qui sera choisi et de porter en cas de besoin le loyer annuel dans ses budgets. » Goury acceptant ce point de vue, le conseil municipal décide finalement de retoucher le règlement que l’ingénieur avait conçu.

 

Quand Goury prend connaissance des changements apportés au règlement, il ne peut cacher sa déception. Il écrit alors au préfet : « Je n’ai parcouru que hier le projet de règlement de la société (…) je vois avec peine que cet acte n’est pas conformé à celui présenté et arrêté en conseil. Celui-ci avait 38 articles, celui-là n’en a que 15 ou 16. Dans celui qui vous a été présenté, M. le Maire s’installe comme président de la société et s’adjoint le curé et le juge de paix, en transporte en un mot le comité cantonal. Il n’a pas réfléchi que cette disposition était inconvenante et incompatible avec celles des articles 8 et 9 de l’ordonnance. Ces messieurs ne peuvent être à la fois surveillés et surveillants, et ne feront probablement pas partie de l’association ; plusieurs articles très utiles ont été supprimés et véritablement j’ai été surpris qu’après avoir voulu m’investir d’une confiance illimitée, M. le Maire n’ait pas jugé à propos de me consulter sur des changements aussi notables, à un acte qui avait été consenti par une association d’individus sur lesquels j’avais compté pour la réussite de notre projet et dont la retraite pourrait nuire. » Mais Goury ne veut pas perdre de temps en querelles inutiles et c’est en homme sage qu’il déclare : « Le mieux est ennemi du bien, ayons notre école et laissons l’amour propre se loger sur des fauteuils plus élevés. »

 

Après les difficultés survenues avec le clergé, le préfet et le maire, il faut encore subir les humeurs du sous-préfet. Ce dernier, pour des raisons personnelles, fait valoir ses préférences quant au choix du maître. Il s’oppose ainsi à la nomination de Mollier à la tête de l’école mutuelle, compliquant ainsi les projets de Goury. Le sous-préfet se plaint que cet instituteur, choisi par la municipalité, est dur envers ses élèves. Les raisons avouées du sous-préfet en cachent-elles d’autres ? En effet, Mollier est bien connu du magistrat car il a travaillé dans ses bureaux. N’assiste-t-on pas alors à une sorte de vengeance du sous-préfet envers un subalterne qui n’aurait pas donné satisfaction ? D’ailleurs, Goury s’étonne qu’on dénonce un maître qui non seulement a été autorisé mais qui, en outre, paraît convenir aux parents d’élèves qui fréquentent son école. Il en appelle au préfet pour régler cette affaire. Toutefois, malgré les embûches qui se dressent sur son chemin, Goury montre par sa ténacité, sa force de conviction et son esprit de conciliation qu’il est un vrai philanthrope, attaché au bien de l’humanité plus qu’au pouvoir. Il souffre de voir les enfants vagabonder dans les rues, miséreux et sans instruction. Il pense que dans cette misère germe le ferment du désordre politique et social. Malheureusement, il n’a pas le temps de voir le résultat de ses efforts car il est appelé à exercer à l’autre bout du pays, dans les Vosges.

 

La relance avortée du sous-préfet

 

Après le départ de Jean-Sébastien Goury, le projet d’établir une école mutuelle paraît bel et bien enterré. Mais 400 francs avaient été donnés pour sa réalisation par le préfet à la commune de Landerneau. Cet argent, resté inemployé, embarrasse alors le maire. En réalité, sur cette somme, il reste 388 francs car 12 francs avaient été payés à Goury pour l’achat des tableaux. Cette fois, c’est le sous-préfet, voulant donner suite au projet présenté par l’ingénieur des Ponts-et-Chaussées, qui propose un nouveau plan de financement. Ainsi, les 388 francs, reliquat de la subvention préfectorale, iraient pour les frais de premier établissement. Le traitement de l’instituteur, y compris celui de sa femme chargée de l’instruction des filles, serait de 900 francs annuels. Le sous-préfet suggère de ne payer que les premier huit mois pour commencer puisque l’école ne pourra pas s’ouvrir avant le 1er mai 1819. A cette fin, le magistrat pense utiliser l’excédant de 438,96 francs qui se trouve au budget de la ville de Landerneau pour 1819 auquel il ajouterait une partie de la somme destinée au secours des indigents, à savoir 346 francs. Le sous-préfet fait remarquer également à son supérieur que les préventions des ecclésiastiques au sujet du mélange des sexes ne sont plus fondées puisque la femme du futur directeur de l’école mutuelle se chargera de l’enseignement des filles à des heures différentes de celles des garçons.

 

Le préfet n’approuve pas le recours à la somme destinée au secours des indigents. Il préfère compter sur les seules ressources communales et sur la rétribution des élèves payants. Il est convaincu, cependant, par les arguments du sous-préfet de Brest en ce qui concerne l’enseignement séparé des garçons et des filles. Aussi écrit-il à l’évêque pour lever l’opposition cléricale locale. Mais le curé de Landerneau et l’abbé Vistorte font de la résistance. Ils avancent cette fois des suppositions qui ne font que mettre en évidence leur mauvaise foi. Ainsi, le curé déclare à son évêque : « Les motifs de notre opposition à l’établissement d’une école mutuelle à Landerneau sont 1°. Qu’il ne serait pas possible, surtout en hiver, d’empêcher la réunion simultanée des garçons et des filles, ce qui nous a paru dangereux pour les mœurs. 2°. Qu’il n’est pas question d’établir une institutrice pour les filles, qu’on déclare même qu’il n’y a point de fonds suffisants pour cela et qu’en conséquence l’instituteur sera chargé de l’instruction des deux sexes, ce que toujours nous avons voulu défendre par les règlements des diocèses. Cette école, d’après ce que l’on nous a déclaré au comité, ne pourrait se soutenir que par les contributions de ceux qui voudraient y envoyer leurs enfants et je suis persuadé que la plupart des gens aisés ne voudraient pas y envoyer les leurs, vu les inconvénients dont j’ai déjà parlé. »

 

L’évêque, en cette affaire, tranche en faveur du curé de Landerneau. Il confie : « Monsieur le curé de Landerneau est un des pasteurs les plus respectables de mon diocèse et aussi éloigné de tout esprit d’exagération qu’il est rempli de zèle pour tout ce qui peut contribuer au bien de ses paroissiens. » Le préfet juge sans doute plus sage de se conformer à l’avis du prélat. Pour calmer les craintes des ecclésiastiques, il demande donc que la commune garantisse un revenu pour l’institutrice. Il rappelle, en outre, que celle-ci devra être agréée par le comité cantonal, autrement dit par le curé et l’abbé Vistorte. Enfin, toute possibilité de rencontre entre les filles et les garçons doit être évitée. Il explique : « La différence des heures des leçons pour les deux sexes doit être assez grande, dans toutes les saisons pour qu’ils ne se trouvent jamais ensemble soit à la sortie soit à l’entrée de l’école116. » Voulant donner des gages sûrs au clergé, le préfet exige que l’on abandonne le projet pour les filles si toutes ces conditions ne sont pas réunies.

 

Face aux exigences préfectorales, relayant celles des ecclésiastiques, le conseil municipal déplore l’insuffisance de ses fonds. En outre, il n’est pas prêt à céder, pour l’établissement de l’école mutuelle, les sommes inutilisées restant au budget 1819. Il préfère réserver cette somme pour l’entretien des pavés, trahissant ainsi un intérêt peu soutenu pour l’instruction primaire. Ainsi, le projet était enterré une deuxième fois.

 

La victoire des négociants

 

Finalement le troisième et dernier acte est joué par quatre négociants qui ont sans doute été à l’origine du projet et dont l’ingénieur Goury, frère de l’un d’entre eux, s’est fait le porte parole. Ceux-ci constatant le refus de la commune de pourvoir aux frais d’établissement d’une école mutuelle à Landerneau, s’engagent à le financer moyennant le versement des secours accordés antérieurement par le préfet. Ils sont décidés à demander un instituteur à l’école modèle de Paris, ce qui indique leur désapprobation vis-à-vis de Mollier, maître choisi par la commune pour diriger l’école mutuelle. Ils expliquent au sous-préfet qu’ils veulent un instituteur qui connaisse la méthode dans toute sa pureté. Ces quatre hommes sont animés de sentiments philanthropiques. Ils déclarent qu’ils ont voulu jeter leur regard sur la classe laborieuse qui n’a pas les moyens d’assurer l’instruction à ses enfants. Ils font de cette instruction une condition essentielle de l'ordre social et politique qui doit régner en France. Ils s’affirment ainsi en accord avec les vues de la Société pour l’Instruction élémentaire.

 

Parmi ces quatre notables, se trouvent les trois figures de proue de l’industrie naissante à Landerneau, à savoir, Jean-Isidore Radiguet, Joseph-Marie Goury et François Heuzé. Ceuxci formeront, en 1821, une société ayant pour but la fabrication et le commerce de la toile de lin. Au début de la monarchie de Juillet, leurs ateliers emploieront 300 ouvriers, tisserands et blanchisseuses, auxquels s’ajouteront les services de 200 fileuses et 25 métiers répartis dans des fabriques rurales. Poursuivant avec succès leur entreprise, ils seront en 1845 les fondateurs de la Société linière du Finistère, exemple unique d’industrialisation à cette époque dans ce département.

 

Le premier de ces notables, Jean-Isidore Radiguet s’occupe, au début de la Restauration, du négoce de la toile et des graines. Son père, d’origine normande, avait luimême acheté une fabrique de toile dans la région122. Le deuxième, Joseph-Marie Goury, appartient à une famille de Landerneau, dont la fortune est liée, d’une part, aux fonctions fiscales de son père sous l’Ancien Régime et, d’autre part, au commerce de la toile et des vins. Ces deux hommes feront partie du conseil municipal à la fin de la Restauration et au début de la monarchie de Juillet. Joseph-Marie Goury semble s’être particulièrement engagé dans le développement de l’instruction primaire car il sera, sans discontinuité, de 1833 à 1850, membre assidu du comité local formé à cet effet à Landerneau. Sur le troisième, François Heuzé, on a peu de renseignements. On suppose son ascension sociale plus récente car le sous-préfet de Brest a noté en 1852 qu’il était «fils de ses œuvres ». Il deviendra le premier président de la Société linière du Finistère en 1845. Son fils, Gustave, élève de l’école mutuelle de Landerneau, lui succèdera. Enfin, en ce qui concerne Andrieux, le moins connu des quatre, celui-ci ne paraît pas, au contraire des trois autres, avoir fait partie de la Société linière. Cependant, il figure parmi les négociants les plus riches de Landerneau payant une patente aussi élevée que celle de Radiguet ou Heuzé.

 

Pendant plusieurs années, ces quatre hommes administrent l’école mutuelle de Landerneau. Ils trouvent, au printemps 1820, en la personne du capitaine Tourrette, le maître qui dirigera leur établissement. Madame Tourrette enseignera les filles dans une salle séparée mais à des heures identiques contrevenant ainsi aux prescriptions cléricales. Les notables ont voulu l’enseignement pour les filles et les garçons. Ils l’ont voulu aussi pour les riches et les pauvres. Max Radiguet, se référant à ses souvenirs d’enfance, l’affirme : « Toutes les classes de la société fournissaient leur contingent à l’école mutuelle. L’aristocratie, la roture, le prolétariat de la ville y étaient représentés presque en parties égales, sans que les relations entre écoliers aient sensiblement accusé ces différences de niveau social.» Il ajoute cependant que les costumes trahissaient l’inégalité des conditions sociales. Il note ainsi les pantalons des paysans retenus au milieu du ventre par un large au bouton ou le plus souvent une cheville de bois et ceux des autres portés plus haut et attachés par une bretelle ou boutonnés sous les bras. Il se souvient des coiffures bigarrées : « les casquettes de loutre pelées, les chapeaux vernis avec des cassures raccommodées au fil blanc, les bonnets phrygiens en laine brune des campagnards et le serre-tête à trois pièces du premier âge» Enfin, au-delà de la diversité des habits, il souligne ce qui différencie essentiellement le pauvre du riche : « Un peu d’ordre dans la tenue, du linge blanc, un coup de peigne distinguaient ceux d’entre nous qui appartenaient à la classe aisée. »

 

En réalité, si l’on en croit le maître lui-même, l’école ne correspond pas à cette vision idéalisée du mélange social. Ainsi, s’adressant aux fondateurs, dix ans après l’ouverture de l’école, celui-ci remet en cause le caractère philanthropique de leur œuvre : « La concession que vous obtîntes n’avait rien de moins que l’intérêt particulier et non celui de la commune, les rétributions que vous portâtes à 3 francs par élève étant trop élevées pour une pauvre ville comme Landerneau (...) aussi n’ai-je eu depuis 10 ans que les parents des enfants un peu aisés et tous ont passé sous ma direction au nombre de plus de 500 des deux sexes.»

 

Le maître ignore-t-il l’objectif de départ qui était d’assurer l’instruction des plus pauvres par les rétributions des plus riches ? Désabusé vis-à-vis des fondateurs, il force sans doute le trait. Des indigents ont sûrement fréquenté l’école mutuelle mais ils n’y ont jamais été nombreux. D’ailleurs, ayant entre 30 et 60 élèves, parmi lesquels une cinquantaine de payants était nécessaire pour assurer les appointements du maître, la proportion d’indigents devait être faible. Le projet, tel qu’il avait été pensé au départ, n’a jamais pu se réaliser. Sans doute les préjugés sociaux étaient plus importants que ne le laissaient paraître les propos de Max Radiguet. Les difficultés financières ont dû également l’hypothéquer.

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