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21 octobre 2021 4 21 /10 /octobre /2021 20:41

Gérard Borvon. première mise en ligne mai 2015.

 

La vie affiche sa singularité : sur la centaine de corps inscrits dans le tableau périodique des éléments chimiques, quatre seulement lui servent de support et un seul est indispensable : le carbone ! Qui aurait pu imaginer, au temps des alchimistes, que le résidu noir qui restait au fond de leur cornue quand toutes les matières utiles en avaient été dégagées, était, en réalité, le principe organisateur du vivant, le "mercure" de la véritable "pierre philosophale" capable de transformer la matière inerte en organisme vivant.

 

Le programme du chimiste, après Lavoisier, semblait tout tracé : étudier les corps en séparant les éléments qui les constituent, c'est-à-dire les analyser.

 

Une nouvelle question se posait alors. Le chimiste allait-il pouvoir reproduire l'œuvre de la nature et faire renaître, à partir du carbone, de l'oxygène, de l'azote et de l'hydrogène les corps organiques dont ils étaient issus ?

 

La chimie devient "organique".

 

Dans "la chimie organique fondée sur le synthèse" (1860) Marcellin Berthelot (1827-1907) consacre un chapitre à "la synthèse des matières organiques". Il y pose clairement le problème : "A partir du jour où Lavoisier fonda la chimie sur la base définitive des corps simples, le domaine minéral de cette science ne tarda pas à être parcouru dans tous les sens, ses limites furent tracées, ses lois générales découvertes. Bientôt on put à volonté décomposer toute substance minérale, la résoudre par l'analyse des éléments qui la constituent ; puis, à l'inverse, on réussit presque toujours à reconstituer le composé primitif par l'union des corps simples que l'analyse avait mis en évidence ; il devint en général facile d'expliquer et de reproduire les conditions naturelles dans lesquelles ce composé pouvait avoir pris naissance.

Lorsqu'on essaya d'aborder par les mêmes méthodes l'étude des matières organiques, on reconnut aussitôt une différence radicale. A la vérité, on parvint aisément à décomposer ces matières et à les ramener à leurs éléments. Ceux-ci se trouvèrent même bien moins nombreux que les éléments des minéraux ; car ils se réduisent presque exclusivement à quatre corps, savoir : le carbone, l'hydrogène, l'oxygène et l'azote. Mais, dès qu'il s'agit de recomposer les matières organiques à l'aide des éléments mis en évidence par l'analyse, dès que l'on tenta de reproduire, par l'art, la variété infinie de leurs états et de leurs métamorphoses naturelles, tous les efforts demeurèrent infructueux. Une barrière, en apparence insurmontable s'éleva dès lors entre la chimie organique et la chimie minérale".

 

Pour la plupart des contemporains de Berthelot la cause était, en effet, entendue : la Nature agissait par un moyen qui échappait au chimiste : une "force vitale" dirigeait la matière vivante.

 

"Il n'y a que les tissus végétaux vivants, il n'y a que leurs organes végétants, qui puissent former les matières qu'on en extrait, et aucun instrument de l'art ne peut imiter les compositions qui se font dans les machines organisées des plantes", déclarait Fourcroy, collaborateur de Lavoisier. L'opinion du très respecté Berzelius n'était pas différente. Plus radical encore le chimiste Charles Gerhardt déclarait : "le chimiste fait tout le contraire de la nature vivante ; il brûle, détruit, opère par analyse ; la force vitale opère par synthèse, elle reconstitue l'édifice abattu par les forces chimiques" (Précis de chimie organique, 1844). Le terme "d'organique" utilisé pour décrire cette nouvelle chimie illustrait d'ailleurs le fait qu'elle était supposée n'être mise en œuvre que par les seuls "organismes" vivants.

 

De la synthèse organique à la génétique.

 

Berthelot est de ceux qui refusent cette distinction. "La synthèse, dit-il, nous conduit à la démonstration de cette vérité capitale, que les forces chimiques qui régissent la matière organique sont réellement et sans réserve les mêmes que celles qui régissent la matière minérale" (La Chimie organique fondée sur la synthèse, 1860).

 

Preuve à l'appui, son expérience de "l'œuf électrique", présentée en 1862 devant l'Académie des sciences, est restée célèbre. Un ballon équipé de deux électrodes de carbone est rempli d'hydrogène. Des décharges électriques y étant répétées, le carbone et l'hydrogène se combinent pour former de l'acétylène C2H2. L'addition d'hydrogène puis d'eau sur la triple liaison liant les deux atomes de carbone de l'acétylène conduira ensuite à l'éthylène, C2H4, puis à l'alcool éthylique, C2H5OH, corps "organique" produit naturellement par la fermentation du glucose contenu, entre autre, dans le jus du raisin ou le malt des brasseries.

 

De la petite molécule d'alcool éthylique à la complexité de l'ensemble des corps organiques il y aura bien des étapes à franchir mais, devant une assemblée d'industriels de la chimie, Berthelot osait quand même une prophétie pour l'an 2000, date symbolique qui alimentait déjà nombre de fictions de l'époque.

 

"Un jour viendra où chacun emportera pour se nourrir sa petite tablette azotée, sa petite motte de matière grasse, son petit morceau de fécule ou de sucre, son petit flacon d'épices aromatiques, accommodés à son goût personnel ; tout cela fabriqué économiquement et en quantités inépuisables par nos usines ; tout cela indépendant des saisons irrégulières, de la pluie ou de la sécheresse, de la chaleur qui dessèche les plantes, ou de la gelée qui détruit l'espoir de fructification ; tout cela exempt de ces microbes pathogènes origine des épidémies et ennemis de la vie humaine". Rêve d'hier pour une "malbouffe" d'aujourd'hui, ainsi vivent les prophéties.

 

Plus conférencier que chercheur, Berthelot laissera à d'autres le soin de franchir les étapes de cette voie royale qu'il annonçait. Son obstination à refuser les atomes, et à imposer ce refus dans l'enseignement de la chimie en France, laissera le champ libre à la chimie allemande qui deviendra la première en Europe, en particulier sous l'impulsion de Friedrich August Kekulé (1829-1896). C'est ce dernier qui établira les différents modes de liaison des atomes de carbone, en particulier dans la molécule de benzène. La légende, véhiculée par le savant lui-même, est trop belle pour ne pas être rapportée : ce serait en rêvant une nuit à l'Ouroboros, le serpent se mordant la queue, symbole des alchimistes, qu'il aurait eu la vision de la structure cyclique du benzène.

 

 

L'Ouroboros

(voir aussi : Berthelot, Les origines de l'Alchimie, 1885)

 

Les élèves et successeurs de Kekulé, les Körner, Van't Hoff, Fischer, Baeyer, Friedel, Crafts… engagent alors la chimie dans l'extraordinaire aventure de la synthèse organique "acte de création qui mobilise toutes les facultés – raisonnement, intuition, goût esthétique" (Bernadette Bensaude-Vincent, Isabelle Stengers, Histoire de la chimie, La découverte, 1993).

 

La synthèse organique, nous l'avons déjà évoquée avec la houille et le pétrole. Elle a alimenté une industrie productrice de plastiques, de biocides et autres produits dont on peut discuter de l'intérêt et de la nocivité. Mais qui peut refuser de voir que, dans le même temps, la chimie organique, associée à la biologie, a fait faire un bond extraordinaire à la connaissance des mécanismes de la vie.

 

Depuis Lamarck et Darwin l'évolution du monde vivant alimente les débats des scientifiques et agite "l'opinion publique". En 1970, Jacques Monod (1910-1976) publie "Le hasard et la nécessité, essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne". L'ouvrage était, pour beaucoup de lectrices et lecteurs, l'occasion d'une prise de conscience des avancées de la connaissance dans le domaine de la biologie depuis près d'un siècle.

 

Jacques Monod devait alors sa notoriété au Prix Nobel de physiologie ou médecine qu'il avait partagé en 1965 avec François Jacob et André Lwoff pour leurs découvertes concernant le "contrôle génétique des synthèses enzymatiques et virales".

 

Faut-il décrypter ? Il y était question d'ADN, acide désoxyribonucléïque et de son messager l'ARN, acide ribo nucléique. Difficile de résumer en quelques lignes une histoire qui nous mène jusqu'au gène, ce groupe de molécules dont on sait aujourd'hui qu'il commande la mécanique du vivant. Elle commence en l'année 1869, quand le biologiste suisse, Friedrich Miescher, isole une substance riche en phosphore dans le noyau des cellules à laquelle il donne le nom de nucléine. Plus tard, l'allemand Richard Altmann montre que ce corps est la combinaison d'un acide, qu'il nomme acide nucléique et de protéines, un acide aminé.

 

Les trois lettres, ADN, devenues aussi banales dans le langage courant que peut l'être la formule CO2, représentent cet acide : l'acide désoxyribonucléïque. En 1896, Albrecht Kossel montre que l'acide se compose de quatre éléments, adénine, cytosine, thymine, guanine, désignées par les lettres A, C, T et G. Nous retiendrons seulement que ces quatre lettres, et les quatre molécules qu'elles désignent, constituent, associées sous formes de gènes, l'alphabet du code qui régit les mécanismes de la vie.

 

La génétique, associant les outils et les concepts de la biologie, de la chimie, de la physique, est certainement la plus grande aventure scientifique du 20ème siècle. De l'archéologue à qui elles apprennent le nom des parents de Toutânkhamon jusqu'au médecin qui cherche le remède à une maladie génétique, ses applications sont trop popularisées pour que nous en fassions ici la liste.

 

Posant la question "que sommes-nous", la génétique amène l'autre question : "d'où venons-nous".

 

Le carbone, du Big-bang à l'homo-sapiens.

 

Fred Hoyles (1915-2001), cosmologiste Britannique, n'imaginait pas le succès de son "big-bang" quand il utilisait cette expression ironique en 1950 pour désigner la théorie qui supposait une expansion de l'univers dont l'origine se situerait à 13,7 milliards d'années de notre ère.

 

Tout aurait donc commencé par un "Big-bang". C'est-à-dire une évolution de l'univers qui débute par un état dans lequel l'espace, le temps, l'énergie seraient une seule et même chose. Même si notre imagination est incapable de nous en donner une représentation, c'est du moins ce que décrivent les équations issues des théories actuelles.

 

A partir de cet indicible, l'univers se dilate à une vitesse prodigieuse. Arrive l'instant où se forment les premières particules : des quarks, des électrons, des neutrinos. Elles se combinent bientôt en protons et neutrons cohabitant avec leurs jumeaux d'antimatière qui peu à peu disparaîtront dans un scénario que les chercheurs modernes n'ont pas encore fini d'écrire.

 

Nous sommes alors à quelques milliers d'années de l'origine, la température est "descendue" jusqu'à 10.000 degrés. Apparaît l'atome le plus simple dont le noyau ne comporte qu'un seul proton : l'hydrogène. Vient ensuite l'hélium dont le noyau contient deux protons et deux neutrons. Chaque noyau étant associé à son cortège d'électrons. Les nuages d’hydrogène et d’hélium se refroidissent et se contractent sous l'effet de la gravité en une multitude de grumeaux : les galaxies.

 

Deux milliards d'années se sont passées. Les galaxies elles-mêmes se sont fractionnées en nuages d'hydrogène et d'hélium qui se concentrent à leur tour sous l'action de la gravitation. Leur densité augmente, leur température atteint des millions de degrés. Bientôt les chocs disloquent les atomes d'hydrogène dont les protons se regroupent quatre par quatre pour donner des noyaux d'hélium, libérant au passage d'énormes quantités d'énergie sous la forme d'un flux de particules de lumière : les photons. Ainsi naissent et brillent les premières étoiles.

 

La réserve d'hydrogène s'épuise. Faute de réactifs, le rayonnement de l'étoile fléchit et la gravitation reprend le dessus. Le cœur d'hélium atteint la centaine de millions de degrés. Dans ce formidable "Athanor" commence le rêve des alchimistes. Les noyaux d'hélium se combinent trois par trois pour former du carbone et quatre par quatre pour donner de l'oxygène. Puis se forme l'azote et ainsi naissent les quatre éléments primordiaux, ceux qui seront à l'origine de la vie : H, C, O, N.

 

Nous ne décrirons pas ici la vie mouvementée des étoiles. L'extinction des plus petites sous forme de "naine noire", l'explosion des plus grosses dans l'éclair d'une "supernova" visible même en plein jour. De ces vies naissent tous les éléments qui s'affichent dans les cases du tableau périodique et qui, expulsés lors des feux d'artifice des explosions finales, constituent la poussière interstellaire qui engendrera les planètes.

 

Naissance de la Planète bleue.

 

Un nuage d'hydrogène et d'hélium a pris la forme d'une élégante galaxie spirale, notre voie lactée. Parmi les étoiles qui y naissent l'une, de taille raisonnable, est située aux 2/3 de son centre, notre Soleil. Un anneau de poussières stellaires l'entoure. Celles-ci s'agrègent autour des plus gros grains. Ainsi se forment les planètes solaires elles-mêmes entourées d'anneaux et de satellites.

 

Une ségrégation s'établit. Plus proches du soleil sont les planètes telluriques : Mercure, Vénus, Terre, mars. Peu massives, elles ont un sol solide dont les roches sont composées des éléments les plus lourds. Plus loin se trouvent Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, les géantes gazeuses, essentiellement formées d'hydrogène et d'hélium.

 

La Terre, nous dit Stephen Hawking, est une suite de hasards heureux.

 

- Sa distance au soleil lui donne une température compatible avec la présence d'eau liquide.

 

- Son orbite est un cercle presque parfait, ce qui lui procure une température sensiblement constante et uniquement modulée par les saisons résultant de l'inclinaison de son axe de rotation par rapport à son plan orbital. Une orbite plus aplatie provoquerait l'ébullition des océans au moment où la Terre serait la plus proche du soleil et les ferait geler quand la Terre en serait la plus éloignée. Difficile de s'adapter !

 

- Sa masse est juste suffisante pour que la force de gravité lui conserve une atmosphère. Trop faible, elle perdrait ses gaz et aurait un ciel aussi noir que celui de la lune.

 

On sait aujourd'hui que ce hasard n'est pas unique. La traque des planètes orbitant autour de soleils étrangers a été lancée et la liste de celles tout aussi miraculeusement situées devrait s'allonger rapidement. L'hypothèse d'une vie qui pourrait s'y développer, peut-être même suivant le mode terrestre, prend corps. Et pourquoi ne pas rêver : des êtres intelligents, peut-être un jour, capteront les signaux que nous avons commencé à leur adresser.

 

Quand s'assemblent les molécules du vivant.

 

Revenons à la Terre. Vers les années 1950 on estimait son atmosphère initiale, constituée quatre milliards d'années plus tôt, comme étant composée de vapeur d'eau, d'hydrogène, de méthane et d'ammoniac. L'eau apporte l'oxygène. Le méthane apporte le carbone, l'ammoniac l'azote. L'hydrogène se présente aussi bien à l'état de simple molécule qu'associé à chacun des trois autres. Les quatre éléments constitutifs des acides aminés sont donc présents dans cette atmosphère. Est-ce suffisant pour produire ces molécules support du vivant?

 

En 1953, Le jeune chimiste Stanley Miller, encore étudiant en thèse, imaginait une expérience rappelant l'œuf de Berthelot. Dans un simple ballon de verre, un dispositif simulant le système "eau-atmosphère primitive" était soumis à l'action d'étincelles électriques reproduisant les éclairs qu'une atmosphère si chargée ne pouvait manquer de provoquer.

 

Après plusieurs jours d'exposition, les parois du ballon présentaient des traces huileuses et l'eau qu'il contenait était devenue brune. Dans cette "soupe primitive" l'étudiant trouvait trois acides aminés. La découverte faisait l'effet d'un coup de tonnerre et l'idée s'imposait : l'origine de la vie est terrestre !

 

Mais bientôt la terre quitte son statut privilégié. Les astronomes ont détecté dans le gaz interstellaire une multitude de molécules composées des quatre éléments du vivant, C, H, O, N. On y trouve essentiellement des molécules de dihydrogène H2, d'eau H2O. On y trouve aussi des molécules construites sur un squelette de carbone : du monoxyde de carbone CO, du méthane CH4, de l'ammoniac NH3, toutes molécules que l'on retrouve dans l'atmosphère initiale de la terre. On y détecte surtout une bonne centaine de molécules particulièrement complexes dont des acides aminés qui se concentrent sur les météorites. Une nouvelle proposition rencontre la faveur des scientifiques : la vie est née de l'espace, la Terre n'ayant été qu'un support fertile !

 

Mais faut-il exclure totalement une origine terrestre ? La Terre, avec ses volcans ou ses sources hydrothermales enfouies dans les fonds océaniques est riche en milieux où pressions et températures peuvent provoquer des synthèses proches de celles naissant dans l'univers stellaire. Il est admis que les acides aminés, produits aussi bien sur terre que dans l'espace, ont trouvé sur notre planète, et en particulier dans ses océans, les conditions des réactions chimiques propices à la naissance de la vie. L'eau est en effet essentielle. Elle concentre les molécules qu'elle reçoit et favorise les occasions de rencontres. Elle protège les nouvelles combinaisons des rayons ultraviolets issus d'un soleil encore particulièrement actif.

 

En quelques centaines de millions d'années les molécules se complexifient, les acides aminés s'assemblent en protéines de plus en plus longues jusqu'à atteindre les millions d'atomes de l'ADN. La vie s'installe dans une atmosphère sans oxygène jusqu'à ce qu'apparaissent les premiers organismes utilisant le rayonnement solaire pour puiser leur carbone dans le gaz carbonique de l'atmosphère en y rejetant un déchet, l'oxygène, qui rend l'atmosphère toxique pour la plupart des organismes vivant alors sur terre.

 

Une autre forme de vie va naître et une longue évolution mènera à l'être humain. Un être humain qui s'interroge encore sur la nature de cette vie qui anime la matière carbonée et sur la suite de hasards qui a fait s'allumer, chez lui, cette conscience qui lui a permis d'imaginer toute cette histoire. Ailleurs, peut-être, sur d'autres planètes tournant autour d'autres soleils, d'autres êtres vivent.

 

Des êtres qui pourraient nous être proches ? Comme Jacques Monod il est difficile de l'imaginer. "L'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'Univers d'où il a émergé par hasard", écrivait-il en conclusion de son essai sur le "hasard et la nécessité".

 

Chacune des espèces vivant sur terre est elle-même seule dans "l'immensité indifférente de l'Univers" mais on sait, à présent, que toutes sont interdépendantes. Le hasard les a fait naître mais le hasard n'est plus nécessairement la première cause de leur disparition. Un espèce, l'espèce humaine, est devenue, en moins de deux siècles, le premier des animaux terrestres capable de modifier, profondément, les conditions de la vie sur la planète. Au point d'y menacer l'existence des autres espèces, y compris de la sienne.

 

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voir aussi : Carbone et CO2. De l'origine de la vie au dérèglement climatique. Toute une histoire.

 

 

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8 septembre 2021 3 08 /09 /septembre /2021 17:00

 

Les récentes analyses scientifiques d’une œuvre du peintre David (1748-1825) bouleversent notre compréhension de ce portrait emblématique en révélant des modifications artistiques majeures.

 

 

L'analyse du tableau de Jacques-Louis David, "Antoine Laurent Lavoisier (1743-1794) et Marie-Anne Lavoisier  (1758-1836)" a révélé de nombreuses modifications et une première version de l'oeuvre, différente.

Crédits: Metropolitan of Art, MET, New York

 

"Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme"… Lavoisier, le père de la chimie moderne n’aurait pu mieux dire ! Dans l’étude d’une des plus célèbres réalisations du peintre Jacques-Louis David (1748-1825), le double Portrait d’Antoine-Laurent Lavoisier et Marie-Anne Lavoisier, exposé depuis 1977 au Metropolitan Museum of Art (MET) de New York (Etats-Unis), l’utilisation des nouvelles technologies a révélé un secret au coeur de l'oeuvre, attribuant soudain un regain d’intérêt pour cette toile représentant le couple de savants six ans avant qu'Antoine-Laurent Lavoisier ne soit guillotiné sous la Terreur en 1794.

 

Un article publié dans la revue Heritage science sous la direction du conservateur David Pullins affirme en effet que trois années d'analyses ont révélé des modifications importantes apportées par le chef de file du mouvement néoclassique français à la composition originale de son tableau monumental (259,7 x 194,6cm). Cette "première étude technique approfondie jamais réalisée sur un tableau de David", laisse en effet apparaitre le couple dans une toute autre posture et un décor beaucoup plus aristocratique. 

 

 

Les transformations de l'oeuvre originale "Portrait d’Antoine-Laurent Lavoisier (1743-1794) et Marie-Anne Lavoisier (1758-1836)", par le peintre David (1748-1825), révélées par de récents examens.  ©Metropolitan Musem of Art, New york.

Un riche couple aristocratique "consommateur de grand luxe"

 

Les analyses effectuées par les équipes de conservation et de recherche scientifique du MET ont été réalisées grâce notamment à la microscopie optique, utilisée initialement dans le cadre de l’élimination d’un vernis synthétique détérioré. Une approche analytique combinant de la spectrométrie de fluorescence des rayons X (MA-XRF), de la spectroscopie Raman associés à de la microscopie électronique à balayage et de la réflectographie infrarouge (IRR) ont ensuite permis de faire apparaitre certaines irrégularités et des couleurs sous-jacentes inattendues. Aux yeux des spécialistes, celles-ci révèlent qu’à l’origine, le peintre David, artiste alors à la mode au sein de la haute société parisienne, avait opté pour une tout autre représentation du couple. Pas celle du savant et de son épouse et collaboratrice "Ils travaillaient ensemble à la publication d’un Traité élémentaire de chimie", explique Stephane Blond, Maître de conférences en histoire moderne à l’Université d’Evry (Essonne).

 

Mais plutôt celle d’un riche couple aristocratique "consommateur de grand luxe". Ainsi, madame Lavoisier arborait initialement un grand chapeau à plumes orné de rubans bleus, de noeuds et de fleurs artificielles -dit "chapeau à la Tarare"- très en vogue en ces années. De même, la nappe rouge a drapé ce qui était originellement un bureau décoré de bronze doré. Ce n'est qu'ultérieurement que David a choisi d'y rajouter les instruments scientifiques qui marquent la place du couple à la naissance de la chimie moderne, changeant ainsi radicalement le sens de son tableau. David montre ainsi Lavoisier dans ce qui est sans doute l'hôtel du Grand Arsenal où le savant des Lumières possédait un laboratoire que matérialisent baromètre, gazomètre et autre ballon de verre sur la toile. En procédant à ces modifications, le peintre a-t-il choisi d'atténuer l'impression de richesse émanant de sa première version et de privilégier le savant par rapport à sa charge de Fermier général, riche collecteur des impôts royaux?

 

Le tableau de Jacques-Louis David tel qu'il est aujourd'hui exposé. © Metropolitan Musem of Art, New york.

Des modifications apportées par David juste avant la Révolution Française de 1789

 

"Il a finalement mis en avant le statut de scientifiques progressistes du couple, présentant Lavoisier et son épouse comme des penseurs rationnels réunis dans une pose affectueuse", écrivent les auteurs de la publication. Une pose dirait-on plus populaire. Les analyses ont également permis de comprendre de quelle manière magistrale David est parvenu à modifier son œuvre en dissimulant la première version par l’utilisation de mélanges de peinture qui permettaient une couverture maximale de la toile, en laissant peu d’indices de ses transformations en surface.  

 

Probable version originale du portrait du couple Lavoisier par David. ©Metropolitan Musem of Art, New york.

 

La toile ayant été datée et signée en 1788, ces modifications ont été apportées par David juste avant la Révolution Française de 1789. Des circonstances historiques qui expliquent sans doute ces changements, l'évolution rapide des évènements ayant peut-être conduit l'artiste (et ses modèles?) a faire preuve d'une sobre prudence. L'hostilité envers Lavoisier avait en effet grandi depuis sa commande en 1784 d'un mur autour de Paris destiné à faire respecter la perception des impôts, peut-on lire dans le magazine Burlington, qui publie également ces résultats. Ce ressentiment n'a d'ailleurs fait que croître, atteignant son paroxysme à  l'été 1789, lorsque le savant, trois semaines après la chute de la Bastille, avait en tant que Régisseur des poudres, ordonné qu'une grande quantité de barils de poudre à canon soient retirés de l'Arsenal de Paris: une façon de rendre les munitions inaccessibles, selon la population, ce qui avait déclenché des émeutes. Une chose est certaine, le renom "et le génie de Lavoisier ne l'ont pas sauvé de la guillotine", a commenté David Pullins. Et ce sont ses fonctions de collecteur des impôts qui l'y ont plus sûrement envoyées!

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15 février 2018 4 15 /02 /février /2018 20:23

L'observation du dégagement "d'esprits" lors de la distillation de bois a été signalée, dès la fin du 17ème siècle par plusieurs scientifiques. Nous citerons à nouveau Stephen Hales et sa Statique de Végétaux (1735). Considérant que l'air fournissait l'essentiel de la matière des plantes, il avait entrepris d'en distiller une multitude. Exemple : un morceau de chêne.

 

"Un demi pouce cubique ou 135 grains d'un cœur de chêne fraichement coupé d'un arbre vigoureux et croissant, produisit 128 pouces cubiques d'air ; c'est-à-dire, une quantité égale à 216 fois le volume du morceau de chêne".

 

Comme il le souhaitait, de nombreux chimistes poursuivirent ses recherches sur les "airs" dégagés dans ces distillations.

 

Philippe Lebon invente le gazogène.

 

On rapporte qu'en l'année 1791, un jeune ingénieur issu de l'école des Ponts et Chaussées, Philippe Lebon (1767-1804), ayant placé une fiole de verre contenant de la sciure de bois sur un feu vif, observa que la "fumée" qui sortait de l'orifice du flacon s'enflammait quand on en approchait une bougie.

 

L'observation n'était pas nouvelle mais l'idée d'en faire une application industrielle mit le jeune homme dans un véritable état d'exaltation. Dans la cour de la maison de son père, à Brachay en Haute-Marne, il réalisa l'équivalent d'une cornue, construite de briques et fortement chauffée par un fourneau placé au-dessous. Les vapeurs qui se dégageaient étaient conduites dans une première cuve pleine d'eau, qui y recueillait les produits solubles et les goudrons, avant de sortir à l'air libre. Les gaz, enflammés donnaient une flamme très vive. Encouragé par ce premier résultat il perfectionna sa méthode et, en 1799, obtenait un brevet "pour exploiter un système d'éclairage désigné par le terme de thermolampe". Faute d'obtenir des pouvoirs publics un soutien suffisant il décidait d'en équiper son domicile et d'inviter les Parisiens à venir le visiter.

 

Après le succès de cette publicité, une première installation industrielle était réalisée dans la forêt de Rouvray, prés du Havre. La méthode commençait à faire ses preuves quand le jeune inventeur perdait la vie dans des conditions dramatiques. Ayant été invité, en tant qu'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, au sacre de Napoléon 1er le 2 décembre 1804, il était assassiné en traversant ce qui est aujourd'hui les Champs Elysées mais qui était alors un espace malfamé.

 

Ainsi se terminait en France une première expérience d'éclairage au "gaz hydrogène carboné", ainsi que l'avait nommé Lebon. Elle devait nous revenir d'Angleterre quelques années plus tard mais à partir de la houille. Nous en reparlerons.

 

Gazogène à bois, le retour.

 

Le gazogène à bois, tel qu'inventé par Philippe Lebon, avait l'avantage, sur celui utilisant la houille, de ne faire appel qu'à une énergie disponible, bon marché, renouvelable et utilisable en période de pénurie.

 

Des moteurs à explosion, des véhicules, ont été équipés de gazogènes. Ils pouvaient avoir une chance de succès à un moment où "l'essence de pétrole" était encore une denrée rare.

 

Cette rareté s'est particulièrement fait sentir pendant et après les guerres du début du 20ème siècle. On retrouve alors la vertu du bois, transformé en charbon de bois, pour l'alimentation de moteurs en "gaz pauvre". En réalisant une combustion du charbon dans une atmosphère sous-oxygénée on obtient du monoxyde de carbone CO qui peut donner un mélange explosif avec l'oxygène de l'air dans le cylindre d'un moteur en se transformant en dioxyde de carbone CO2.

 

La revue La Nature de mars 1922 consacre un article au gazogène Cazes, l'un des plus célèbres de l'époque.

 

Principaux atouts avancés : sa faible consommation. Un camion de quatre tonnes de charge utile consomme "seulement" entre 80 et 100 kg de charbon de bois aux 100 kilomètres et de 75 à 100 litres d'eau pour la vaporisation et le lavage des gaz.

 

Il semble surtout intéressant pour les gros porteurs. Il équipe par exemple les tracteurs Latil. Utilisés pendant la guerre de 1914-1918 pour tracter les canons, ils ont été reconvertis dans le civil. Un tracteur Latil de 20 tonnes utilisé pour transporter du bois et équipé d'un gazogène aurait fait économiser 40 000 francs de l'époque à son propriétaire.

 

 

Tracteur Latil équipé d'un gazogène.

Collection Christian Latil

 

Les produits pétroliers, dont la France est particulièrement dépourvue, restent coûteux. Le gazogène continuera donc à apparaître comme une solution.

 

La Direction Générale des Eaux et Forêts est particulièrement intéressée à la promotion de ce système. Tous les ans, de 1921 à 1939, elle organise, avec l'Automobile Club de France, des concours et des raids de véhicules à Gazogène. En 1925, la Compagnie des Chemins de Fer de Paris à Orléans et le Comité de la Forêt du Loir-et-Cher, organisaient un "Congrès du bois et du charbon utilisés comme carburants". En 1929 c'est la Compagnie de Chemin de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM) qui organise à son tour à Lyon un "Congrès du carbone végétal". L'un des intervenants y expose que la production française de charbon de bois est de 300 000 tonnes dont plus de 100 000 sont exportées et affirme qu'une meilleure utilisation des bois de petit diamètre permettrait de multiplier la production par cinq. En 1936, la société Panhard fait la publicité d'une "automotrice à gazogène à charbon de bois".

 

 

 

 

On ne compte plus les initiatives pour populariser ce type de carburant. En 1937, vingt véhicules dont sept camions lourds s'affrontent sur un circuit de 1700 kilomètres à l'occasion du Rallye des Eaux et Forêts. En 1938 on dénombre 6000 véhicules à gazogène, 19 autorails, plusieurs dizaines de péniches, plus de 3000 moteurs fixes.

 

Le système fait le bonheur des colonies françaises. Jusqu'en 1950 des gazogènes fournissent la vapeur qui fait tourner les génératrices électriques qui alimentent les villes de Conakry et Abidjan.

 

La guerre de 1939-45 donne un nouvel essor aux gazogènes. A la fin du conflit, sur les 100 000 véhicules utilitaires qui fonctionnent encore en France, 89 000 sont équipés de gazogènes. On estime que pendant la période de guerre, l'utilisation du bois a permis l'économie de 1 500 000 tonnes de produits pétroliers.

 

 

Véhicule à gazogène pendant la guerre 39-45.

 

Retour aux sources ?

 

Le retour du bois-énergie se fait également sous forme de gaz mais, plutôt que d'utiliser du charbon de bois pour fabriquer du "gaz pauvre", on préfèrera la méthanisation qui, en utilisant des déchets organiques sans valeur marchande, fait travailler gratuitement des bactéries et permet une cogénération chaleur/électricité. On commence même à voir, dans certaines villes, des bus dont les moteurs utilisent le méthane issu des déchets urbains.

 

 

 

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15 février 2018 4 15 /02 /février /2018 20:07

De quand date l'usage du charbon ? Le nom est réputé être issu du latin carbo signifiant braise. Le charbon serait donc une "braise éteinte", à moins qu'une braise ne soit elle-même qu'un "charbon ardent".

 

Une chose est certaine, le charbon qui a accompagné les sociétés humaines dans leur développement matériel était ce que nous distinguons aujourd'hui comme "charbon de bois" pour le différencier de notre "charbon" contemporain qui n'était à l'origine qu'un "charbon de terre" peu valorisé.

 

L'antiquité du charbon de bois.

 

En découvrant le feu, les humains ont nécessairement découvert les braises et le charbon de bois. Le charbon des restes des foyers est d'ailleurs la meilleure façon de les dater en utilisant la propriété radioactive du carbone 14.

 

Si la cuisine ou même la poterie pouvaient se contenter de la chaleur d'un feu de bois, les débuts de la métallurgie, ou la fusion du verre, nécessitaient des températures élevées qui pouvaient plus facilement s'obtenir par un feu de charbon de bois alimenté par l'air d'un soufflet.

 

Premier "métal" utilisé par l'homme pour ses outils, ses armes, ses bijoux, le bronze, alliage de cuivre et d'étain est attesté en Egypte dès –2550. Dans la chronologie admise en Europe, les "âges du bronze" européen s'étalent des environs de –2000 jusqu'à –750, date à laquelle commence "l'âge du fer". La fonte du bronze a besoin du charbon de bois pour atteindre les températures, supérieures à 900°C, nécessaires à l'opération.

 

Quand le fer remplace le bronze, les besoins en charbon de bois s'accroissent au même rythme que celui de la diffusion de ce métal.

 

L'industrie métallurgique et la grande époque des charbonniers.

 

Nous ne détaillerons pas ici les techniques de la métallurgie, nous les avons déjà largement évoquées quand nous avons parlé de Stahl, de Lavoisier et de la querelle du Phlogistique. Notons simplement que la métallurgie est d'abord un "art du feu" qui commence par la fabrication du charbon de bois. A l'époque médiévale et jusqu'au 18ème siècle, la proximité d'une forêt était tout aussi nécessaire que celle des minerais pour que s'installent des forges.

 

La construction des meules de charbon de bois

Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751)

 

Dans les clairières fumaient les meules, pyramides recouvertes de terre, dont il fallait mener la combustion de main de maître, pendant plusieurs journées, pour que le bois se transforme en charbon sans se consumer totalement.

 

A la fin du 18ème siècle le développement de la métallurgie crée la pénurie. Pierre-Clément de Grignon est "Maître de Forge" à Bayard sur Marne et Inspecteur Général des usines à feu sous Louis XVI. On lui attribue l'invention du mot sidérurgie. En 1775, regrettant la "perte irréparable" des forêts par des sidérurgistes incompétents, il publie des "Mémoires de Physique sur l'art de fabriquer le fer" dans le but d'y remédier.

 

"Les forêts s'appauvrissent et se détruisent par l'excès d'une consommation abusive. Quel intérêt la société n'a-t-elle pas de découvrir des moyens de conserver un bien si précieux, si nécessaire et si indispensable à nos Manufactures ? L'on y peut parvenir par une sage administration ; mais plus efficacement en économisant le charbon dans les travaux qui ont pour objet la réduction des mines (minerais) et leur métallisation, par la juste application des lois de la pyrotechnie dans la construction des fourneaux qui en consomment immensément ; puisqu'un seul fourneau consomme ordinairement en une année le produit de deux cents arpents de bois de l'âge de vingt-cinq ans : il y a en France près de six cents fourneaux de fonderie, c'est cent vingt mille arpents par an". Un arpent valant sensiblement ½ hectare, ce sont donc soixante mille hectares de bois qui disparaissent chaque année.

 

Il propose donc le plan d'un fourneau permettant d'économiser un cinquième du charbon habituellement utilisé.

 

Plan d'un fourneau économe en charbon de bois.

Grignon, Mémoires de Physique sur l'art de fabriquer le fer, 1775

 

Grignon est aussi un spécialiste en fabrication de charbon de bois. "Il en est de durs, de doux, de violents" écrit-il. Ils n'ont pas le même comportement selon qu'ils sont issus du chêne ou d'autres essences, qu'ils ont poussé sur des coteaux calcaires ou des montagnes granitiques. Le métallurgiste devra en tenir compte.

 

Mais qu'est-ce que le charbon ? Le chimiste viendra bientôt au secours du manufacturier.

 

Les chimistes et le charbon.

 

Avec Stephen Hales (1677-1761) nous avons rencontré le chimiste qui, le premier, a "distillé" du bois, des huiles et une multitude de matières organiques pour en extraire les "airs" qui, pensait-il, y étaient fixés et en constituaient la part essentielle. A la fin de cette opération, un résidu noir solide restait dans la cornue. Ce produit avait la propriété de pouvoir se consumer dans l'air sans flamme et en produisant une forte chaleur. C'est à ce corps que Hales donnait le nom de charbon.

 

Pour Macquer (1718-1784) le charbon est du "phlogistique fixé" : "une partie du Phlogistique contenu dans les matières animales et végétales, lorsqu'on fait brûler ces matières en les empêchant de s'enflammer, se joint intimement avec leur partie terreuse les plus fixes, et forme un composé qui ne peut se consumer qu'en rougissant et scintillant à l'air libre, sans jeter de flamme : on a donné à ce composé le nom de charbon".

 

Propriété essentielle de ce charbon pour l'adepte de Stahl qu'est Macquer : "il est très-propre à transmettre à d'autres substances le Phlogistique qu'il contient".

 

Lavoisier, adversaire du Phlogistique, y voit, quant à lui, un nouvel élément chimique. Contrairement à Hales et Macquer, il conservera le nom de charbon pour la matière brute ainsi nommée dans le commerce. Il désignera, dans un premier temps, par "substance charbonneuse" "le charbon dépouillé d’air inflammable aqueux, de terre et d’alcali fixe". Nous avons vu qu'il donnera ensuite à cette "substance charbonneuse" le nom de carbone.

 

Nous avons cité Stahl comme le premier à avoir noté le rôle "chimique" du charbon dans la réduction des minerais en métaux. Une observation ancienne aurait pu amener aux mêmes conclusions : celle du caractère explosif de la poudre noire et du rôle du charbon dans ce phénomène. Car, avec la métallurgie, la fabrication de poudre a été l'une des principales opérations industrielles liées au charbon de bois.

 

Lavoisier, le charbon et la poudre noire.

 

La poudre noire a été inventée en Chine et est connue pour avoir été utilisée comme arme aux alentours du 7ème siècle. Elle est réputée avoir été importée en occident par Marco Polo au 13ème siècle. C'est un mélange explosif de salpêtre, de soufre et de charbon de bois.

 

La poudre noire intéresse directement Lavoisier qui occupait la fonction de régisseur des poudres à une époque où, déjà, la science acceptait de se mettre au service de la guerre.

 

Dans un texte daté de 1793, et destiné à être publié dans l'Encyclopédie Méthodique, Lavoisier traite donc "Du charbon considéré chimiquement". Ce texte est une bonne synthèse des connaissances auxquelles il est parvenu sur le carbone et sur sa combinaison avec l'oxygène.

 

Dans cet article, qui s'adresse en priorité aux artilleurs et aux ingénieurs des manufactures de poudre, le mot "charbon" est encore utilisé, à la place de carbone. Il précise donc qu'on donne le nom de charbon "à une substance combustible noire qui reste de la distillation du bois, et en général des végétaux, ou bien qu'on en retire en les brûlant à l'air libre, et en arrêtant la combustion par suffocation".

 

La suite du mémoire traitera de la qualité des différents charbons de bois. En l'occurrence il doit combattre un préjugé. Le seul charbon autorisé pour la préparation de la poudre royale était celui réalisé avec le bois de "Bourdaine" :

"On a longtemps employé le saule, écrit-il, et on y avait été déterminé sans doute par sa légèreté et par la facilité de s'en procurer ; mais une ordonnance du Roi du 4 avril 1686 prescrit de n'employer à l'avenir que la bourdaine. La rareté de ce bois dans quelques provinces a obligé le conseil à prendre des précautions particulières pour assurer à l'administration des poudres les quantités de ce bois qui lui sont nécessaires ; mais il y a quelque lieu de craindre que le choix prescrit par l'ordonnance de 1686 n'ait pas été déterminé par des expériences assez décisives".

 

Ces expériences qui manquaient, il les réalise et après avoir testé la qualité calorifique de différents charbons, il aborde la question suivante : quel est le rôle du charbon dans la poudre noire ? La réponse nous ramène à la propriété expansive des gaz. Dans la réaction violente du carbone avec l'oxygène du salpêtre, Lavoisier explique que la rapide expansion des gaz qui en résulte, et en particulier celle du dioxyde de carbone, est responsable du phénomène d'explosion.

 

"Rien n'est plus facile d'après ce qu'on vient d'exposer que d'expliquer ce qui a lieu dans la détonation du nitre et, en général, dans toute détonation. Ce phénomène consiste dans la conversion subite et instantanée d'un corps solide en un fluide élastique aériforme"

 

Des évaluations faites des volumes gazeux obtenus, "on peut conclure, dit-il, sans rien exagérer, que le fluide élastique qui se dégage de la détonation tend à occuper à l'instant de l'inflammation un espace au moins 2000 fois plus grand que n'occupait le salpêtre".

 

La poudre n'a pas nécessairement une application militaire. Elle est utile à l'exploitation de mines et des carrières. On tentera aussi de l'utiliser dans le cylindre des premiers moteurs à "explosion".

 

Au moment où Lavoisier rédige ce mémoire ce sont d'abord les armées qui en réclament.

 

Un "rapport du comité de salut public sur la nécessité d’augmenter la fabrication d’armes, de salpêtre et de poudre, pour accroître tout à coup, dans une grande proportion, les moyens de défense de la République et d’exterminer ses ennemis", daté du 1er février 1794, se félicite d'avoir " rassemblé les hommes les plus éclairés de Paris dans la chimie et dans les arts chimiques". Un "nouvel art" de fabriquer la poudre "est sorti, disent-ils, tout entier et presque porté à sa perfection de la réunion fraternelle et patriotique ainsi que des veilles des artistes et des savants."

 

Pourtant, le savant de Paris, le plus éclairé "dans la chimie et les arts chimiques", le régisseur des poudres qui avait fait de sa fabrication un "art" industriel, mourait sur l'échafaud trois mois plus tard, le 8 mai, emporté par le tourbillon révolutionnaire.

 

L'explosion de la poudrerie de Grenelle le 31 août 1794, quelques mois après la mort de Lavoisier, fera 1000 morts. (document ministère de l'écologie)

 

Coup d'œil sur le charbon de bois aujourd'hui.

 

Pour en revenir au charbon de bois, essentiellement utilisé aujourd'hui, dans les sociétés industrialisées, pour alimenter le barbecue des jours d'été, il y a retrouvé une image plutôt sympathique. Mais serait-il menacé ? Le Journal Officiel de la République française du 20 janvier 2011 publie une question écrite d'un sénateur des Côtes-d'Or adressée à la "Ministre de l'Ecologie et du Développement Durable" au sujet de l'industrie française du charbon de bois. Son intervention, dont le but est, entre autres, de faire la promotion d'une entreprise de son département, débute par un éloge appuyé :

 

"Excellent réducteur, le charbon de bois "haut de gamme" carboépuré, conforme à la norme AFNOR, à destination de la restauration et des barbecues, est à nouveau très demandé, de même que pour la production "d'aciers écologiques ". En effet, le charbon de bois est une ressource renouvelable qui, en brûlant, libère moins de dioxyde de carbone que le charbon fossile. Le secteur du charbon de bois à usage industriel est donc en plein essor".

 

Mais alors où est le problème ?

 

Les producteurs de charbon de bois utilisent essentiellement les "dosses" des scieries. Ce sont les premières et dernières planches couvertes d'écorce et inutilisables en menuiserie. Mais voilà : avec le développement du bois-énergie, les scieurs installent des broyeurs et commercialisent ces dosses sous forme de copeaux ou de granulés. La matière première manque donc aux charbonniers.

 

Réponse prudente de la ministre, c'est "l'Europe" qui impose cette politique : "L'importance croissante du bois comme source d'énergie s'inscrit dans le plan national en faveur des énergies renouvelables établi en application de l'article 4 de la directive 2009/28/CE de l'Union européenne. Dans ce contexte qui s'impose à la France, celle-ci a fait le choix d'un développement raisonné et encadré des énergies renouvelables". Noter les prudents "raisonné" et "encadré".

 

Pour "articuler le développement des énergies renouvelables avec la pérennité des filières existantes, notamment de production de matériaux, de chimie du végétal (c'est nous qui soulignons) ou de carbonisation" la ministre annonce donc "la mobilisation de la ressource sylvicole de 21 millions de mètres cubes de bois supplémentaires à l'horizon 2020".

 

La Forêt, nouveau pétrole de la France ? "Trois tonnes de bois d'élagage équivalent à une tonne de fioul ; une tonne de bois consommée en substitution du fioul correspond à une tonne de CO2 évitée" indique une publication de l'Agence Régionale de l'Environnement de Haute-Normandie. La "mobilisation de la ressource sylvicole" équivalente, en moyenne, à une production de 12 millions de tonnes de bois ferait donc économiser 4 millions de tonnes de fioul, à comparer aux quinze millions de tonnes de fioul domestique actuellement consommés annuellement en France. Rendez-vous est pris en 2020 !

 

A noter aussi, dans la question du sénateur, la référence à la production "d'aciers écologiques" par du charbon de bois.

 

Ecologique ? On se souvient de l'Angleterre déboisée par sa sidérurgie au 18ème siècle et de Grignon, Maître de Forge, en France, déclarant en 1775 que "les forêts s'appauvrissent et se détruisent par l'excès d'une consommation abusive". On sait aussi qu'il existe, encore, des installations sidérurgiques importantes fonctionnant au charbon de bois. C'est le cas du Brésil, 9ème producteur mondial d'acier, qui reste le seul pays au monde à produire 35% de la fonte et de l'acier qui sort de ses fours, à partir de ce charbon issu, pour l'essentiel, des forêts amazoniennes ou de plantations d'eucalyptus. On estime, cependant, que 60% de ce charbon est produit par des structures "clandestines" dans des conditions sociales dégradées et dans une forêt déjà menacée par un déboisement en faveur des productions agricoles à vocation industrielle. Ce "verdissement" industriel serait-il vraiment "écologique" ?

 

N'oublions pas, cependant, que le charbon de bois est encore, avec le bois, une des sources essentielles de combustible domestique dans une large partie de la Planète. La FAO (Organisation des Etats-Unis pour l'Alimentation et l'Agriculture) nous indique que la production mondiale de bois de chauffage s’est élevée à 1 891 millions de m³ en 2011 et que près de 49 millions de tonnes de charbon de bois ont été produits la même année.

 

Deux milliards de personnes dépendent du bois comme source de chauffage. En Afrique, le bois, brut ou sous forme de charbon, représente de l'ordre de 70% de l'énergie utilisée. La consommation de charbon de bois de cette région représente 59% de la production mondiale et supplante peu à peu le bois. Cette énergie renouvelable est donc indispensable. On constate pourtant déjà qu'elle devra être exploitée avec mesure. On imagine aisément les effets, là aussi, d'une déforestation accélérée sur l'économie et l'écologie de ces pays et la nécessité d'y développer des sources d'énergies renouvelables complémentaires ou alternatives comme le recours à l'énergie solaire.

 

Quoi qu'il en soit, le bois et le charbon de bois, énergies des temps anciens, ont encore un bel avenir dans une société plus sobre et plus soucieuse de la qualité de son environnement naturel.

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15 février 2018 4 15 /02 /février /2018 19:30

 

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Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…coupable : le dioxyde de carbone.

 

Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.

 

Histoire du carbone et du CO2.

 

Un livre chez Vuibert.

 

feuilleter

 

L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone et celle du CO2.

 

L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole.

 

Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.

 

Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
 

Seront-ils entendus ?


contact : gerard.borvon@wanadoo.fr

02 98 85 12 30


L’introduction :

 

CO2, fatal ou vital ?

 

« CO2 - Élixir de vie et tueur du climat » est le titre d’une exposition présentée au musée Naturama de Aarau en Suisse à la charnière des années 2012 et 2013.

 

Élixir… le mot est fort. Il a été emprunté à l’arabe médiéval « al iksīr » désignant la liqueur d’immortalité des alchimistes ou la pierre philosophale supposée transformer le plomb en or.

 

Dans une première partie nous choisirons ce côté lumineux de l’histoire.
 

Nous découvrirons la suite de tâtonnements, de réussites et aussi parfois d’échecs, qui a fait prendre conscience de l’existence et du rôle de cet « élixir », le dioxyde de carbone et de ce joyau minéral, le carbone.

 

Tueur de climat. Qui peut encore le nier ? Et qui peut refuser de voir que la dangereuse augmentation du CO2 dans l’atmosphère, loin d’être une malédiction portée par ce gaz, est le résultat de l’emballement d’un monde industriel développé qui gaspille les ressources fossiles accumulées sur la planète au cours de millions d’années et les disperse sous forme d’objets inutiles et de polluants multiples.

 

Élixir ou poison, amour ou désamour… Le carbone et le dioxyde de carbone sont symboliques de cette chimie aux deux visages qui sont aussi ceux de la science en général.

 

D’une part, une science « pour comprendre », qui enthousiasme les scientifiques comme les esprits curieux par ses extraordinaires avancées dans la connaissance des phénomènes naturels. Une science qui donne la liberté de penser le monde en dehors des dogmes et qui, en même temps, peut apporter du confort à la vie quotidienne de chacune et chacun.

 

De l’autre côté, une science au service d’une « croissance infinie », décrétée par un système économique qui impose ses choix techniques et politiques. Une science et une technique dont les bénéfices pour la société sont de plus en plus occultés par les nuisances sociales et environnementales qu’elles provoquent.

 

Qui s’intéresse à l’histoire des sciences et des techniques ne peut échapper à ce double sentiment :

 

- L’émerveillement devant l’ingéniosité de l’esprit humain et les constructions intellectuelles et matérielles qu’il met en oeuvre pour comprendre son environnement et améliorer son cadre de vie.

 

- La lucidité devant le redoutable pouvoir des sciences et des techniques entre les mains de ceux pour qui elles représentent d’abord un outil pour posséder ou dominer.

 

À travers cette histoire du carbone et du CO2, nous n’échapperons pas à ces allers et retours.

 

Depuis l’Antiquité grecque jusqu’à Lavoisier nous suivrons une science dans laquelle nous serons tentés de ne reconnaître que la curiosité de l’enfance et l’enthousiasme de l’adolescence. Cette première partie nous apprendra ce que sont le carbone et le CO2 et comment ils contribuent à la vie sur cette planète.

 

Nous verrons ensuite une accélération extraordinaire des connaissances scientifiques et une multiplication de leurs applications techniques, au cours d’un xixe siècle qui s’achève avec les ondes électromagnétiques, les rayons X, la radioactivité, les premières automobiles, etc. Viendra ensuite le xxe siècle qui exploitera ces découvertes, pour le confort des sociétés développées, en même temps que se développeront leurs usages les plus redoutables.

 

Un développement qui amène à s’interroger sur la fonction des sciences dans nos sociétés. Car les scientifiques en font eux-mêmes le constat : alors qu’elle est depuis longtemps un indiscutable synonyme de progrès, à la fois pour les connaissances et pour la vie quotidienne, un désamour s’installe entre la science et la société.

 

C’est dans ces moments de doute qu’un retour aux sources peut faire revivre, à travers les écrits des auteurs des époques antérieures, les élans et les joies des premiers succès. Peut-être trouverons-nous également, dans ces expériences passées, des aides pour imaginer un nouvel avenir des sciences dans une société qui fonctionnerait sur d’autres bases que celles d’une croissance matérielle effrénée.

 

Note : nous avons choisi de scinder ce texte en cinq parties qui s’enchaînent mais qui pourraient également se lire de façon séparée.


 


Table des matières

 

CO2, fatal ou vital ?.

Première partie. D’Empédocle à Lavoisier, des quatre éléments à la naissance du carbone.

 

Au début étaient les quatre éléments. (voir)

Un modèle d’une grande puissance évocatrice.

Des quatre éléments aux quatre humeurs.

L’intermédiaire alchimique.

 

Jean-Baptiste Van Helmont, l’eau, la croissance des végétaux
et le « gas silvestre ». (voir)

L’alchimiste blasphémateur.

Les Anciens se sont trompés : il n’existe qu’un seul élément !.

Lavoisier et la contestation de la transmutation de l’eau en terre.

Au sujet du « gas silvestre » et de la naissance du mot « gaz ».

Hommage rendu à Van Helmont : l’adoption du mot « gaz ».

 

Georg Ernst Stahl, de l’élément feu jusqu’au phlogistique. (voir)

De l’alchimie à la chimie.

Du « principe sulfureux » au « principe inflammable » : le phlogistique.

Le charbon et les métallurgistes.

Un modèle diffusé par les chimistes français.

Quand Lavoisier était encore phlogisticien.

 

La course aux airs.

Stephen Hales (1677-1761). Quand l’air se transforme en pierre !. (voir)

Joseph Black (1728-1799) et l’air fixe.(voir)

Henry Cavendish (1731-1810), de l’air fixe à l’air inflammable
et autres airs factices.(voir)

Joseph Priestley (1733-1804), air fixe, air nitreux, air déphlogistiqué
et autres airs.(voir)

Les plantes ne fonctionnent pas comme prévu !.(voir)

Priestley mesure l’importance de l’observation..

Priestley et l’air fixe : poison ou remède ?.

Vraiment bizarre ?.

 

Priestley, Scheele, Lavoisier. De l’air déphlogistiqué à l’air du feu
et à l’oxygène. . . (voir)

Priestley (1733-1804), le phlogistique et l’air déphlogistiqué.

Carl Wilhelm Scheele (1742-1786) et l’air du feu.

Lavoisier (1743-1794), de l’air vital au principe oxygine et à l’oxygène.

1774-1777 : l’air est un mélange de deux fluides.

1777 : le phlogistique n’existe pas.

Quand l’air vital devient « air acidifiant » : le principe oxygine.

Quand naît l’oxygène.

 

Lavoisier. De l’air fixe à l’acide crayeux aériforme
et au gaz carbonique. . . (Voir)

Quand l’air fixe devient acide crayeux aériforme..

De l’acide crayeux aériforme à l’acide charbonneux.

Quand l’acide charbonneux devient gaz acide carbonique
et quand naît le carbone.

 

De l’offensive anticarbone à la victoire de CO2. (voir)

Une réception « nuancée » de la part des académiciens français.

Des mots durs, barbares, qui choquent l’oreille. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La guerre est déclarée.

Oubliez ces carbonates, ces carbures….

Et pourtant carbone, carbonique et carbonates se sont imposés.

Symboles et équations chimiques.

 

O2 et CO2 : le jour et la nuit des plantes. . . (voir)

Charles Bonnet et l’alimentation des plantes par leurs feuilles. . . . . . . .

Jan Ingenhousz : le soleil rythme la vie des végétaux.

La vie nocturne des plantes.

Comme les animaux, jour et nuit, les plantes respirent.

Senebier, ou comment les plantes s’alimentent.

Lavoisier et l’apport de la chimie.

Aujourd’hui.

Et avant-hier ?.

 

O2, CO2 et la respiration des animaux. . . (voir)

Lavoisier et la respiration animale.

Savoir mesurer la chaleur.

Après l’unité, l’appareil de mesure. .

Les cochons d’Inde et la respiration.

Lavoisier, Seguin et la respiration humaine.

Deuxième partie. Quand la chimie était verte. . .

 

Quand la chimie naissait des plantes. . . (voir)

Distiller les bois, les feuilles, les graines, les racines.

Les produits précieux des résines.

Une résine élastique : le caoutchouc.

Retour aux sources.

 

Au sujet des charbonniers et du charbon de bois. . . (voir)

L’antiquité du charbon de bois.

L’industrie métallurgique et la grande époque des charbonniers.

Les chimistes et le charbon.

Lavoisier, le charbon et la poudre noire.

Coup d’oeil sur le charbon de bois aujourd’hui.

Mais alors, où est le problème ?.

 

Du bois pour les gazogènes. . .(voir)

Philippe Lebon invente le gazogène.

Gazogène à bois, le retour.

Retour aux sources ?.

 

Des plastiques sans houille et sans pétrole. . . (voir)

Du coton-poudre au collodion.

Du collodion au Celluloïd.

Le succès de la soie artificielle.

Et aujourd’hui ?.

Troisième partie. Quand le charbon sort de terre. . .


Le charbon et la vapeur au siècle de l’industrie. . . (voir)

Avec Denis Papin, le siècle de la vapeur commence en Angleterre.

Newcomen, Watt : de la « pompe à feu » à la machine à vapeur.

En France, de la révolution sociale à la révolution industrielle.

Le versant noir du progrès.

De la mine aux tranchées.

La colonisation, l’autre guerre.

 

Quand le gaz de houille éclairait la ville. . . (voir)

Les pionniers britanniques.

L’éclairage au gaz en France.

Quand les « becs de gaz » investissent le paysage urbain.

Le gaz menacé par l’électricité.

La lumière électrique à Châteaulin quand Paris l’attend encore :
beau symbole !.

 

Le goudron de houille et le grand oeuvre des chimistes du 19ème siècle. (voir)

Le merveilleux goudron.

L’affaire de la garance.

La conquête de l’indigo.

La suprématie allemande.

Une industrie « précieuse pendant la guerre ».

Quatrième partie. Asphalte, bitume et pétrole.

 

Asphalte, bitume et pétrole avant l’automobile. (voir)

Asphalte et bitume sous Louis XV.

L’asphalte dans les villes de la Belle Époque.

Le pétrole, huile de la pierre.

Quand le pétrole était un médicament.

Quel usage pour ce pétrole ?.

Le pétrole du Caucase.

Le pétrole d’Amérique.

Et en Europe ?.

Le pétrole dans le monde en 1889.

La querelle des plutoniens et des neptuniens.

Premiers pipe-lines, premiers pétroliers, premières raffineries,
premiers accidents.

Le pétrole, un produit d’avenir ?.

 

Et l’automobile fut. (voir)

L’automobile et la vapeur.

Quand la fée électricité animait les tramways, les fiacres et les
automobiles.

L’autre moteur.

La victoire du pétrole.

1900 : le big-bang automobile.

 

Le pétrole d’après.

Pour conclure.

 

Le carbone et la vie. (voir)

La chimie devient « organique ».

De la synthèse organique à la génétique.

Le carbone, du big-bang à l’Homo sapiens.

Naissance de la Planète bleue.

Quand s’assemblent les molécules du vivant.

 

La science face au désamour. (voir)

Un débat à la Sorbonne.

Débattre de la science et de la vie il y a cent ans ?.

Débattre il y a cinquante ans ?.

Lanceurs d’alerte.

Retour à la Sorbonne.

Un problème de démocratie.

Cultiver les sciences.

Rapide plaidoyer pour l’histoire des sciences.

Les sciences, remède à la technocratie ?.


Bibliographie.

 

Index des noms propres.

 

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15 février 2018 4 15 /02 /février /2018 19:29

 

Lu sur La Recherche

 

Qu'il soit sous forme de charbon, de pétrole ou de gaz, le carbone a révolutionné notre quotidien depuis plus de deux siècles. Émis en fortes quantités sous forme de CO2 dans l'atmosphère, il a aussi perturbé le climat de la Terre. L'auteur retrace l'histoire de cet élément et de ses utilisations depuis la Grèce antique jusqu'à nos jours.

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Espace Sciences Rennes.

Le carbone et le dioxyde de carbone sont indispensables à la vie sur Terre. L’auteur raconte leur quête par les scientifiques. Leurs usages : d’abord pour la chimie des essences végétales puis comme source d’énergie avec le charbon et le pétrole à partir des 19e et 20e siècles. Mais interviennent aujourd’hui les conséquences sur l’environnement : pollution et réchauffement climatique.

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Hérault Tribune.

 

Histoire du carbone et CO2 - Gérard Borvon

 

Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…, coupable : le dioxyde de carbone. Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.

L'auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu'aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l'importance du carbone et celle du CO2. L'ouvrage décrit ensuite la naissance d'une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu'elle ne s'applique au charbon et au pétrole. Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.

Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd'hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique. Seront-ils entendus ?

Auteur:

Gérard Borvon a été enseignant de physique-chimie en lycée et formateur en histoire des sciences à l'IUFM de Bretagne. Auteur de nombreux travaux visant à diffuser la culture scientifique, il a déjà publié chez Vuibert une Histoire de l'électricité, de l'ambre à l'électron (2009) et une Histoire de l'oxygène, de l'alchimie à la chimie (2012).

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Lu sur Babelio.

 

L'auteur présente d'abord les étapes de la découverte du carbone par les scientifiques, depuis Empédocle (grec présocratique - de moins 490 à moins 430 av. JC environ), pour qui l'univers matériel était constitué de 4 éléments : l'eau, la terre, le feu et l'éther ou l'air. 
Ce n'est que relativement récemment que l'élément carbone fut isolé et identifié, et que les scientifiques comprirent son rôle vital (cycles végétatifs, constitution de l'ADN…).
Outre les théories des chercheurs à propos de la matière, leurs expériences et raisonnements sont exposés dans cet ouvrage, ceci de manière très compréhensible, y compris pour les non scientifiques.

Le bois, d'origine carbonée, fut l'une des premières sources d'énergie exploitée par l'homme, pour se chauffer, cuire ses aliments, travailler des métaux… Il céda en partie la place à son dérivé, le charbon de bois, qui permet d'atteindre de plus hautes températures. Puis le charbon sortit de terre… avant que le pétrole ne coule à flots ! Nous nous enfumons donc depuis des décennies, et la planète avec, d'autant plus que la population humaine croît et adopte des modes de vie de plus en plus énergivores. 
N'en déplaise aux climato-sceptiques, des gaz à effet de serre se sont accumulés dans l'atmosphère et continuent à y être rejetés massivement du fait des activités humaines, ce qui impacte le climat de manière dangereuse. 
Les matières premières carbonées ne sont pas seulement source d'énergie, elles servent aussi de matériaux pour les chimistes. J'ai été surpris de (re)découvrir que la chimie du bois et des végétaux - qui reviennent au goût du jour pour des raisons environnementales - a précédé la carbochimie et l'omniprésente pétrochimie. Les liens entre sciences fondamentales et sciences appliquées sont mis en évidence par des exemples de techniques utilisées quotidiennement. le carbone est indéniablement utile mais l'abus est néfaste pour tous.
A partir de l'exemple de cet élément, l'auteur élargit la réflexion à la place des sciences dans nos sociétés, aux bienfaits et méfaits auxquels elles donnent naissance. Cette dernière partie m'a moins intéressé que le coeur du sujet annoncé en titre.

Je recommande cet ouvrage à tous, qui présente l'histoire du carbone et du CO2, de manière documentée et vulgarisée... Que la réflexion sur nos sociétés et modes de vie se poursuive, sinon tant pis pour nos descendants, s'il en reste… 😥

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15 février 2018 4 15 /02 /février /2018 12:13

Revenons à ce gaz caractérisé comme "air fixe". Dans un mémoire lu le 3 mai 1777 à l'Académie des Sciences, Lavoisier traite des "expériences sur la respiration des animaux et sur les changements qui arrivent à l'air en passant par leurs poumons".

 

Chacun connaît l'importance de la respiration pour le maintien de la vie humaine et pourtant, nous dit Lavoisier, "nous connaissons peu l'objet de cette fonction singulière". Cet "objet", c'est l'air mais, ajoute-t-il, "toutes sortes d'air, ou plus exactement toutes sortes de fluides élastiques, ne sont pas propres à l'entretenir, et il est un grand nombre d'airs que les animaux ne peuvent respirer sans périr".

 

Lavoisier connaît les travaux de Hales, il est surtout admiratif des expériences de Priestley qui "a reculé beaucoup plus loin les bornes de nos connaissances… par des expériences très ingénieuses, très délicates et d'un genre très neuf". Lavoisier considère que son apport essentiel aura été de prouver que "la respiration des animaux avait la propriété de phlogistiquer l'air, comme la calcination des métaux et plusieurs procédés chimiques". Ou pour être plus bref : que la respiration est une combustion !

 

Lui-même veut le vérifier. Un moineau est placé sous une cloche pleine d'air renversée sur une cuve à mercure. Près d'une heure plus tard il ne bouge plus. L'air qui reste éteint une flamme. Un nouveau moineau qu'on y enferme n'y vit que quelques instants.

 

Cet "air vicié" présente une propriété qu'on ne trouve pas dans la simple "mofette" à laquelle Lavoisier donnera plus tard le nom d'Azote. Il précipite l'eau de chaux. Par ailleurs, une partie de cet air vicié est absorbée par une solution d'alkali fixe caustique (de la potasse). Par ces propriétés Lavoisier reconnaît cet air que les chimistes désignent comme "l'air fixe".

 

Le terme ne lui convient pas. Dans une note il s'en explique.

 

Quand l'air fixe devient acide crayeux aériforme.

 

" Il y a déjà longtemps que les physiciens et les chimistes sentent la nécessité de changer la dénomination très-impropre d’air fixe, air fixé, air fixable ; je lui ai substitué, dans le premier volume de mes Opuscules physiques et chimiques, le nom de fluide élastique ; mais ce nom générique, qui s’applique à une classe de corps très-nombreux, ne pouvait servir qu’en en attendant un autre.

 

Aujourd’hui, je crois devoir imiter la conduite des anciens chimistes ; ils désignaient chaque substance par un nom générique qui en exprimait la nature, et ils le spécifiaient par une seconde dénomination qui désignait le corps d’où ils avaient coutume de la tirer ; c’est ainsi qu’ils ont donné le nom d’acide vitriolique à l’acide qu’ils retiraient du vitriol ; le nom d’acide marin à celui qu’ils tiraient du sel marin, etc.

 

Par une suite de ces mêmes principes, je nommerai acide de la craie, acide crayeux, la substance qu’on a désignée jusqu’ici sous le nom d’air fixe ou air fixé, par la raison que c’est de la craie et des terres calcaires que nous tirons le plus communément cet acide, et j’appellerai acide crayeux aériforme celui qui se présentera sous forme d’air."

 

"Acide crayeux aériforme", propose donc Lavoisier, à un moment où, pourtant, il ne sait rien encore de la composition chimique de la craie. Plus tard c'est l'acide lui-même qui contribuera à donner son nom à la craie (carbonate de calcium) dans la nomenclature chimique. Nous en reparlerons. Pour le moment le chimiste s'interroge sur le mécanisme de la respiration. Il a constaté une faible diminution du volume de l'air dans la cloche. Deux hypothèses se présentent.

 

  • Il est possible, dit-il, "que l'air éminemment respirable qui est entré dans le poumon en ressorte en acide crayeux aériforme". Ce qui expliquerait la faible diminution du volume de l'air dans la cloche, l'air fixe étant supposé "moins élastique" que l'air ordinaire.

  • Il est possible aussi "qu'une portion de l'air éminemment respirable reste dans le poumon et qu'elle se combine avec le sang".

 

Les deux propositions se révèleront partiellement justes. Pour appuyer la seconde Lavoisier rappelle que Priestley lui-même, a exposé du sang à l'air éminemment respirable et à l'acide crayeux aériforme. Dans le premier cas le sang a pris une couleur rouge-vermeil, dans le second cas il est devenu noir. La remarque ne manque pas de pertinence mais il faudra encore de longues années avant qu'elle trouve sa justification.

 

Pour le moment, la nature de l'acide crayeux reste à élucider.

 

De l'acide crayeux aériforme à l'acide charbonneux.

 

Quatre ans se sont passés. Lavoisier a abandonné le phlogistique. Dans les publications de l'Académie des Sciences pour l'année 1781, on peut lire son "Mémoire sur la formation de l'acide nommé air fixe ou acide crayeux et que je désignerai désormais sous le nom d'acide du charbon".

 

Lavoisier rappelle d'abord sa conception de la combustion des métaux, à savoir la combinaison de ceux-ci avec la partie respirable de l'air qu'il désigne à présent comme principe oxygine (générateur d'acide) et qui deviendra gaz oxygène dans la Nomenclature qu'il publiera avec Guyton de Morveau, Fourcroy et Berthollet en 1787. Nous avons déjà évoqué la longue et difficile genèse de l'oxygène, celle du dioxyde de carbone, notre actuel CO2 est tout aussi mouvementée.

 

En même temps que de celle des métaux, Lavoisier s'est intéressé aux combustions du phosphore et du soufre. Celles-ci l'ont conduit aux acides phosphorique et sulfurique. Poursuivant avec la même logique, il décide de s'intéresser au plus anciennement connu des combustibles : le charbon.

 

Ce corps pose problème. Si les chimistes savent obtenir du soufre et du phosphore dans un état de quasi-pureté, il n'en va pas de même du charbon. Sa distillation laisse échapper un ensemble de gaz parmi lesquels un air inflammable aqueux qui prendra ensuite le nom d'hydrogène. Dans ses cendres on trouve des terres insolubles et de l'alkali fixe (de la potasse) soluble. D'où la précision de Lavoisier :

 

"Pour éviter toute équivoque, je distinguerai, dans ce mémoire, le charbon d’avec la substance charbonneuse ; j’appellerai charbon ce que l’on a coutume de désigner sous cette dénomination dans les usages de la société, c’est-à-dire un composé de substance charbonneuse, d’air inflammable aqueux, d’une petite portion de terre et d’un peu d’alcali fixe ; j’appellerai, au contraire, substance charbonneuse le charbon dépouillé d’air inflammable aqueux, de terre et d’alcali fixe".

 

C'est donc la "substance charbonneuse" qui se combine au principe oxygine de l'air dans la combustion du charbon. Abandonnant le nom "d'acide crayeux" qu'il lui avait précédemment donné, Lavoisier donne le nom d'acide charbonneux au gaz résultant de cette combustion.

 

Afin de déterminer les proportions de substance charbonneuse et de principe oxygine dans cet acide charbonneux, Lavoisier, aidé de Laplace et Meusnier, se livre à une multitude d'expériences qui l'amènent aux proportions :

 

Principe oxygine : 72,125 livres

Matière charbonneuse : 27,875 livres

Total de l’acide charbonneux : 100,000 livres

 

La lectrice ou le lecteur qui mobiliserait ses souvenirs scolaires pourrait vérifier qu'avec nos données actuelles (valeurs "arrondies" : 12g de carbone pour 32g d'oxygène dans les 44g d'une "mole" de CO2 soit 22,4l gazeux,), les 27,875% de carbone mesurés par Lavoisier sont très proches des 27,3% que nous donnent nos calculs.

 

En cette année 1781, l'air fixe, rebaptisé acide crayeux, est donc devenu acide charbonneux. Pourtant, si on connaît à présent sa composition, il attend encore son nom définitif.

 

Quand l'acide charbonneux devient gaz acide carbonique et quand naît le carbone.

 

Nous avons déjà évoqué la Nomenclature Chimique. Notons, pour mieux la situer, qu'elle prend son origine au début des années 1780, moment où la nécessité se fait jour d'une réforme dans la façon de nommer les corps chimiques.

 

C'est d'abord Louis-Bernard Guyton de Morveau (1737-1816), avocat au parlement de Dijon et chimiste reconnu internationalement qui publie dans le Journal de Physique de l'abbé Rozier, en 1782, un mémoire "Sur les dénominations chymiques, la nécessité d'en perfectionner le système et les règles pour y parvenir".

 

Le constat est simple : cette science qui a enfin réussi à s'imposer dans les Académies utilise une langue à peine sortie des grimoires des alchimistes. "Il n'est point de science, regrette-t-il, qui exige plus de clarté, plus de précision, & on est d'accord qu'il n'en est point dont la langue soit aussi barbare, aussi vague, aussi incohérente".

 

En France, d'autres chimistes partagent le même objectif et une autre réforme du vocabulaire est en marche : celle de Lavoisier et de ses collègues académiciens qui s'appuient sur une base théorique, celle du principe oxygine, très différente de celle de Guyton de Morveau partisan du phlogistique.

 

La concurrence est sévère. La théorie de Lavoisier semble même avoir des partisans parmi les collègues Bourguignons de Guyton de Morveau, mais cela n'empêche pas celui-ci de se montrer circonspect :

 

"Nous aurons plus d'une fois occasion de dire, & particulièrement aux articles Acide Vitriolique, Acide Saccharin, Phlogistique, &c. &c. que nous sommes bien éloignés d'adopter en entier l'explication dans laquelle ce savant Chymiste croit pouvoir se passer absolument du Phlogistique" (Encyclopédie méthodique, article chymie, p29).

 

Pourtant, trois ans plus tard, c'est avec Lavoisier qu'il présentera la Méthode de Nomenclature Chimique qui bannira le phlogistique de l'univers de la chimie.

 

Influent à l'Académie des sciences, Lavoisier (1743-1794) a su attirer autour de lui des collaborateurs efficaces et enthousiastes qui soutiennent sa théorie : Antoine-François Fourcroy (1755-1809), Claude Louis Berthollet (1748-1822), Jean Henri Hassenfratz (1755-1827), Pierre Auguste Adet (1763-1834).

 

C'est ce groupe, réuni autour de Lavoisier, qui accueille Guyton de Morveau quand il vient à Paris en février 1787 avec son projet de nomenclature déjà bien avancé. Avec lui, ils rédigent la nouvelle "Méthode de Nomenclature Chimique" présentée à l'assemblée publique de l'Académie des Sciences du 17 avril 1787.

 

Guyton de Morveau est chargé d'en présenter les nouveaux termes. L'oxygène, l'hydrogène et l'azote sont les premiers nommés. Concernant le nom des acides, l'un d'entre eux pose problème.

 

"Aucun n'a reçu autant de noms différents que ce gaz, auquel M. Black donna d'abord le nom d'air fixe, en se réservant expressément de changer dans la suite cette dénomination, dont il ne se dissimulait pas l'impropriété. Le peu d'accord des chimistes de tous les pays sur ce sujet nous laissait, sans doute, une liberté plus entière, puisqu'il nous montrait la nécessité de présenter enfin des motifs capables de décider l'unanimité : nous avons usé de cette liberté suivant nos principes.

 

Quand on a vu former l'air fixe par la combinaison directe du charbon et de l'air vital, à l'aide de la combustion, le nom de cet acide gazeux n'est plus arbitraire, il se dérive nécessairement de son radical, qui est la pure matière charbonneuse ; c'est donc l'acide carbonique, ses composés avec les bases sont des carbonates ; et, pour mettre encore plus de précision dans la dénomination de ce radical, en le distinguant du charbon dans l'acceptation vulgaire, en l'isolant par la pensée, de la petite portion de matière étrangère qu'il recèle ordinairement, et qui constitue la cendre, nous lui adaptons l'expression modifiée de carbone, qui indiquera le principe pur, essentiel du charbon, et qui aura l'avantage de le spécifier par un seul mot, de manière à prévenir toute équivoque."

 

De façon paradoxale, c'est donc l'acide carbonique, que nous désignons actuellement comme gaz carbonique dans le langage courant ou dioxyde de carbone dans une langue plus savante, qui a donné son nom au carbone !

 

La remarque n'est pas anodine. C'est le dioxyde de carbone, l'ancien "gas silvestre" ou "air fixe", qui relie la craie la plus blanche à la noirceur du charbon. Le charbon, bois fossilisé, faisant lui-même le lien entre le minéral et le végétal. Comment aurions-nous pu décrire ce "cycle du carbone" qui associe matière inerte et matière animée ; que serait devenue la "chimie organique", si Lavoisier s'en était tenu à son choix initial "d'acide crayeux aériforme" ?

 

Ce choix étant fait, la réaction de combustion du carbone peut désormais s'écrire dans une formulation qui nous est compréhensible.

 

Carbone + oxygène → gaz acide carbonique 

 

Le mot carbone est entré dans le langage quotidien et est partout compris dans le monde. Pourtant, nous verrons, à présent, qu'il ne s'est cependant pas imposé sans de fortes réticences.

 

 

 

 

 

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pour aller plus loin voir :

 

Un livre chez Vuibert.

 

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Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…


Coupable : le dioxyde de carbone.

 

Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.

 

L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone et celle du CO2.

 

L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole.

 

Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.

 

Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
 

Seront-ils entendus ?

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15 février 2018 4 15 /02 /février /2018 08:54

Avec les travaux de Hales, Black, Cavendish, Priestley, les propriétés de l'air fixe, notre actuel CO2, commencent à être entrevues. D'autres "airs" également révèlent leur existence.

 

Parmi ceux-ci il nous faut suivre la découverte de l'air qui est d'abord apparu comme le principe inverse de cet air "méphitique" qu'est l'air fixe : un "air" nécessaire à la vie, l'oxygène.

 

Par ailleurs, comment parler de dioxyde de carbone, CO2, sans parler de l'oxygène qui en représente 73% de la masse ? C'est au récit de cette naissance que nous invite ce chapitre.

 

Priestley (1733-1804), le phlogistique et l'air déphlogistiqué.

 

Nous avons noté la découverte par Priestley de l'air nitreux (monoxyde d'azote, NO) obtenu par action de l'eau forte (l'acide nitrique, HNO3) sur le cuivre.

 

Cet air, incolore, a la propriété de se colorer en rouge-orange quand il se mélange à l'air "ordinaire". Il a, de plus, celle de provoquer une diminution du volume de celui-ci. Priestley constate que la partie qui disparaît est celle qui est le plus utile aux organismes vivants, c'est notre oxygène.

 

Il fait de cette observation un moyen de contrôler la salubrité de l'air : pour un air dans lequel une bougie a brulé ou un animal a respiré, la diminution du volume est plus faible. Cette méthode deviendra classique. Elle sera utilisée avec succès par Jan Ingenhousz dans son étude sur la respiration des plantes afin de mesurer les quantités d'oxygène dégagées. Nous reparlerons de cette expérience.

 

Lavoisier, lui-même, s'appliquera à lui donner un support mathématique dans un mémoire présenté à l'Académie des sciences en décembre 1783. Il s'emploiera surtout à déterminer la nature de cette partie de l'air qui disparaît. On sait aujourd'hui que le gaz nitreux, monoxyde d'azote de formule NO, incolore, se combine à l'oxygène O2 pour donner le dioxyde d'azote rouge-orange NO2, sa découverte est donc une étape importante sur la voie qui mène à l'oxygène.

 

La détermination de la composition de l'air sera l'un des moments forts de l'œuvre de Lavoisier. Pourtant, parmi toutes les observations faites par Priestley, plusieurs auraient pu le mettre, le premier, sur la bonne piste. Ne serait-ce qu'en tirant le meilleur parti d'une expérience ancienne.

Voir le texte complet (pages 394).

 

Ou encore d'une élégante expérience sur la combustion des métaux.

 

voir page 406

" J'ai suspendu des morceaux de plomb et d'étain dans un volume donné d'air… En dirigeant sur eux le foyer d'un miroir ardent ou d'une lentille, de façon à les faire se consumer copieusement, j'observai une diminution de l'air. Dans le premier essai que j'ai réalisé, j'ai réduit quatre onces d'air jusqu'à trois, ce qui est la plus forte diminution de l'air commun que j'aie jamais observé auparavant".

 

Le mode opératoire est astucieux et sera imité. Le résultat, cependant, étonne l'observateur. Celui-ci est un partisan résolu de la théorie du phlogistique. Il faut donc que du phlogistique se soit dégagé du métal pendant sa combustion. Alors pourquoi cette diminution importante du volume d'air ?

 

Il imagine que le phlogistique a pour effet de rendre l'air moins élastique et donc de le faire se contracter. Ainsi le modèle sera sauf. Sa fidélité à la théorie de Stahl l'empêche de voir qu'une partie de l'air s'est combinée au métal. Le mérite en reviendra à d'autres. Obstacle "épistémologique", dressé dans l'esprit du chercheur, dirait Bachelard.

 

Il ne saura pas, non plus, exploiter une autre expérience pourtant bien plus révélatrice. Pour celle-ci, il utilise l'oxyde rouge du mercure, désigné comme précipité per se, dont on sait, depuis les alchimistes, que, fortement chauffé, il retourne au mercure initial. Il place cet oxyde rouge sous une cloche renversée sur une cuve à eau et le porte à une haute température au moyen d'une lentille concentrant les rayons du soleil. Comme prévu, le mercure métallique réapparaît mais, de plus, le volume d'air s'accroit.

 

Remarquable ! Dans ce nouvel air une chandelle ne s'éteint pas. Bien au contraire son éclat est plus vif. Un charbon dont un point est porté au rouge y brûle avec force étincelles. Priestley nomme "air très pur", cet air plus actif que l'air ordinaire avant de l'appeler air déphlogistiqué.

 

Son explication : Pour que la "chaux" rouge du mercure (mercure déphlogistiqué) redevienne métal, elle doit capter du phlogistique. C'est donc une fraction de l'air qui le lui procure. Cet air est alors devenu "négatif" en phlogistique : c'est de l'air déphlogistiqué.

Chaux de mercure + air -> mercure + air déphlogistiqué

 

Cet "air déphlogistiqué", comment favorise-t-il les combustions ? Ayant perdu son phlogistique il tend donc à en extraire, avec plus de vivacité que l'air ordinaire, des corps qui en sont riches, comme le charbon ou le suif d'une chandelle. Le résultat de ceci est de rendre leurs combustions plus vives.

 

Le volume de l'air augmente ? Il n'est pas interdit de penser que l'air "déphlogistiqué" est plus "élastique" que l'air ordinaire et occupe un plus grand volume à la pression ambiante.

 

Les explications ne manquent pas d'une certaine logique. Pourtant si, par cette expérience et cette observation, il peut prétendre partager le titre de "découvreur" de l'oxygène, la vraie nature de ce gaz lui échappe.

 

Ces mêmes expériences sur la combustion des métaux et sur la décomposition de l'oxyde de mercure, réinterprétées, mèneront Lavoisier sur la voie de la composition de l'air et de la compréhension du mécanisme des combustions et, en particulier, sur celle du carbone.

 

 

Lavoisier utilisera un montage analogue à celui de Priestley

Traité élémentaire de chimie. 1789.

 

Mais avant d'y arriver et afin de poursuivre le récit de cette "chasse aux airs", il nous faut quitter l'Angleterre pour la Suède où officie Karl-Wilhem Scheele.

Karl-Wilhelm Scheele ( 1742-1786) et l'air du feu.

 

Après avoir été apprenti apothicaire, Karl-Wilhelm Scheele se forme en autodidacte et devient pharmacien à Stockholm avant de rejoindre Uppsala où il suit un parcours universitaire sous la direction du chimiste Torben Olof Bergman avant d'être admis à l'Académie Royale des Sciences de Suède.

 

On lui attribue la découverte de nombreux acides, dont certains toxiques comme l'acide cyanhydrique, ou encore celle du chlore qu'il considère comme de l'acide marin (acide chlorhydrique) déphlogistiqué. La fréquentation de ces produits ayant probablement contribué à sa mort prématurée.

 

En 1777, il publie son "Traité chimique de l'air et du feu" dans lequel il fait part de sa découverte du nouvel "air" qui, décrit au même moment par Priestley, sera ensuite interprété par Lavoisier comme étant l'oxygène :

 

"L'examen de l'air a toujours été un des objets principaux de la Chimie : aussi ce fluide élastique est-il doué de tant de propriétés particulières, qu'il met ceux qui s'en occupent à portée de faire souvent des découvertes. Nous voyons que le Feu, ce produit si admirable de la chimie, ne saurait exister sans l'air. Pourrais-je m'être trompé en entreprenant de démontrer dans ce Traité, qui n'est qu'un Essai Chimique sur la doctrine du Feu, qu'il existe dans notre atmosphère un air que l'on doit regarder comme une partie constituante du Feu, en ce qu'il contribue matériellement à la flamme, & que, par rapport à cette propriété, j'ai nommé "Air de Feu" (Le terme allemand de Feuerluft sera généralement conservé par les chimistes européens). (Traité chimique de l'air et du feu, traduction, Paris 1781).

 

Plus précisément, explique-t-il, l'air serait composé de "deux espèces différentes l'une de l'autre : l'une s'appelle Air vicié, parce qu'il est absolument dangereux et mortel, soit pour les animaux, soit pour les végétaux et qu'il altère, en partie, toute la masse de l'air ; l'autre au contraire s'appelle Air pur ou Air de feu, parce qu'il est tout à fait salutaire, & qu'il entretient la respiration, conséquemment la circulation du sang."(Mémoires de l'Académie des Sciences de Stockholm - 1779).

 

Pour mesurer les proportions de ces deux airs, Scheele imagine un montage ingénieux :

 

 

Scheele, Mémoire de l'Académie des sciences de Stockholm, 1779.

 

"Je mis au fond du vase A un support formé d'un tuyau de verre fixé sur un petit piédestal de plomb ; l'extrémité supérieure du tuyau portait un petit plateau horizontal, sur lequel je plaçai le petit vaisseau C, rempli du mélange de limaille de fer et de soufre". (ce mélange, quand on l'humecte d'eau, était classiquement considéré comme capable de libérer une quantité importante de phlogistique. On sait, aujourd'hui qu'il est oxydé par l'oxygène de l'air)

"Je reversais sur le tout le verre cylindrique D, & je remplis d'eau le vaisseau A."

 

Progressivement l'eau monte dans le tube et se stabilise au bout de quelques heures. Le mélange de fer et de soufre prenant alors l'aspect d'une "chaux".

 

Comment expliquer la diminution du volume d'air enfermé dans les enceintes où se fait la réaction de combustion ? Priestley imaginait une contraction de l'air sous l'effet du phlogistique, Scheele propose une autre hypothèse : "la combinaison de l'air avec le phlogistique est un composé si subtil qu'il est susceptible de pénétrer les pores imperceptibles du verre et de se disperser en tous sens dans l'air" (Traité du Feu - 1777). Ou plus précisément " lorsque l'air pur rencontre une matière inflammable mise en liberté, il s'en approche, se sépare de l'air vicié, & disparaît, pour ainsi dire, à vue d'œil"(Mémoire de Chimie - 1779)

 

Le phlogistique échappé du métal aurait donc pour propriété de faire "disparaître" l'air pur ? A l'évidence, cette diminution de volume de l'air pose un sérieux problème !

 

L'expérience plusieurs fois répétée semble indiquer à Scheele que la proportion d'air de feu dans l'atmosphère est de 27%, légèrement supérieure, donc, à la valeur estimée actuellement pour l'oxygène (21%).

 

Après Priestley, Scheele peut donc prétendre au titre de découvreur de l'oxygène mais Lavoisier sera celui qui, après avoir osé combattre la théorie du phlogistique, saura donner une explication claire du phénomène de la combustion et nommer le gaz qui en est l'acteur principal.

Lavoisier (1743-1794). De l'air vital au principe oxygine et à l'oxygène.

 

Antoine Laurent de Lavoisier naît à Paris en 1743 dans une famille fortunée mais endeuillée par le décès de sa mère quand il a cinq ans. Entre 1754 et 1761 il fréquente le collège des Quatre Nations fondé par Mazarin où il reçoit une formation mathématique de l'abbé Lacaille, astronome, membre de l'Académie dont les "Leçons élémentaires de Mathématiques", plusieurs fois rééditées, formeront de nombreuses générations d'ingénieurs et de scientifiques. Il complète sa formation scientifique par de la physique, aux cours que l'abbé Nollet donne à l'école Royale du Génie de Mézières, par de la botanique au Jardin du Roy avec Bernard de Jussieu, de la chimie avec les conférences de Rouelle, de la minéralogie avec l'académicien Jean-Etienne Guettard qu'il accompagne pour une campagne d'étude de quatre mois dans les Vosges et qui est l'occasion de ses premiers pas en analyse chimique.

 

Formé à toutes les branches de la physique, il ne fera pas cependant profession de science. Diplômé en droit de l'Université de Paris, il achète, en 1768, année où il est élu à l'Académie des Sciences, une charge de "fermier général". Cette fonction consiste à percevoir des impôts indirects sur le commerce d'un certain nombre de marchandises ( sel, tabac, boissons… ) mais aussi les droits d'octroi à l'entrée des villes. Cette charge, fortement rémunératrice, lui permettra de créer le plus riche laboratoire de l'Europe scientifique et d'y recevoir tout ce qu'elle compte de savants. Elle sera aussi la cause de sa condamnation à mort par un tribunal révolutionnaire en 1794.

 

En 1775, il devient régisseur des poudres et salpêtres et s'installe à l'Arsenal, à Paris, où son laboratoire, équipé des appareils issus des meilleurs artisans du moment, devient le lieu où se forme une nouvelle génération de chimistes.

 

1774-1777 : L'air est un mélange de deux fluides.

 

Lavoisier qui se place dans la continuité des "chasseurs d'air" européens constate le peu d'intérêt pour le sujet en France.

 

"Un grand nombre de physiciens et de chimistes étrangers s'occupent dans ce moment de recherches sur la fixation de l'air dans les corps et sur les émanations élastiques qui s'en dégagent, soit pendant les combinaisons, soit par la décomposition et la résolution de leurs principes : des mémoires, des thèses, des dissertations de toute espèce, paraissent, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande ; les chimistes français seuls semblent ne prendre aucune part à cette importante question, et, tandis que les découvertes étrangères se multiplient chaque année, nos ouvrages modernes, les plus complets, à beaucoup d'égards, qui existent en chimie, gardent un silence presque absolu sur ce point."( Opuscules physiques et chimiques, 1774).

 

Souhaitant être le premier à rompre avec ce désintérêt, il reprend d'abord les expériences de Black sur l'air fixe et vérifie qu'il existe bien "dans les pierres et les terres calcaires un fluide élastique, une espèce d'air sous forme fixe".

 

C'est surtout dans la suite de son travail qu'il annonce son originalité avec des expériences sur "l'existence d'un fluide élastique fixé dans les chaux métalliques".

 

Je commençai, annonce-t-il "à soupçonner que l'air de l'atmosphère, ou un fluide élastique quelconque contenu dans l'air, était susceptible, dans un grand nombre de circonstances, de se fixer, de se combiner avec les métaux ; que c'était à l'addition de cette substance qu’étaient dus les phénomènes de la calcination, l'augmentation de poids des métaux convertis en chaux, et peut-être beaucoup d'autres phénomènes dont les physiciens n'avaient encore donné aucune explication satisfaisante."

 

En effet, parmi les questions restées sans réponse, "l'augmentation de poids des métaux convertis en chaux" est le principal problème que pose la théorie du phlogistique.

 

Rappelons le schéma décrivant la calcination des métaux dans la théorie de Stahl :

 

Calcination :

Métal -> chaux métallique (Métal déphlogistiqué) + phlogistique

 

Dans la logique de ce modèle, la transformation du métal en "'chaux" devrait donc s'accompagner d'une perte de masse, celle du phlogistique. Or, c'est l'inverse qui se passe et les alchimistes le savaient déjà !

 

De même la "réduction" d'une chaux en métal devrait s'accompagner de l'augmentation du poids du métal obtenu:

 

 

Réduction :

Chaux métallique (Métal déphlogistiqué)  + Charbon (Phlogistique) -> Métal

 

Pourtant le métal est plus léger que la chaux.

 

Pour trancher la question, Lavoisier opère d'abord la réduction du minium (oxyde de plomb, rouge, Pb3O4) par le charbon sous une cloche renversée sur une cuve à mercure. Le mélange de poudre de minium et de charbon est "allumé" par les rayons solaires concentrés "au foyer du grand verre ardent de Tschirnhausen", lentille de grand diamètre, qui se trouve dans les jardins du Louvre.

 

Il observe à la fois le dégagement d'un "air" (le mot gaz ne fait pas encore partie de son vocabulaire) et l'apparition de gouttelettes de plomb fondu dont la masse est plus faible que celle de la chaux initiale !

 

 

 

Grande lentille du jardin du Louvre

 

Explication ? De cette expérience et d'autres qui l'accompagnent Lavoisier tire une conclusion qui rompt avec l'interprétation classique. La chaux serait la combinaison d'un métal avec "la partie fixe d'un fluide élastique qui a été dépouillé de son principe inflammable". Ce serait donc une partie de l'air et non le métal qui perdrait du phlogistique avant de se fixer sur celui-ci pour former une chaux.

 

Lors de la réduction de cette chaux métallique, le charbon aurait alors pour rôle de restituer du phlogistique, non pas au métal, mais "au fluide élastique fixé" qui l'avait perdu

"et de lui restituer en même temps l'élasticité qui en dépend" et donc de lui rendre l'état "aériforme".

 

Chaux métallique + Charbon -> Métal + fluide élastique

      (Métal+fluide élastique) + Phlogistique -> Métal 

 

Nous noterons que, dans cette interprétation, Lavoisier ne rejette pas l'idée de phlogistique et qu'il est encore loin d'engager le fer avec les "phlogisticiens". Bien au contraire, à ce stade de sa réflexion, non seulement il ne combat pas le modèle du phlogistique, mais il l'enrichit !

 

Relevons cependant sa principale, et surtout nouvelle, contribution à l'explication du phénomène : une partie de l'air se fixe sur le métal pendant la combustion. Seule cette hypothèse peut expliquer l'augmentation du poids du métal devenu chaux métallique en même temps que la diminution du volume de l'air.

 

Et pour aller encore plus loin, cette partie de l'air, responsable des combustions, serait un fluide particulier :

 

"plusieurs circonstances sembleraient porter à croire que tout l'air que nous respirons n'est pas propre à se fixer pour entrer dans la combinaison des chaux métalliques, mais qu'il existe dans l'atmosphère un fluide élastique particulier qui se trouve mêlé avec l'air, et que c'est au moment où la quantité de ce fluide contenue sous la cloche est épuisée, que la calcination ne peut plus avoir lieu."

 

Nous arrivons en 1777. Les idées de Lavoisier sur la combustion se précisent. Le 21 mars, il présente à l'Académie des sciences un "Mémoire sur la combustion du phosphore de Kunckel" dans lequel il énonce clairement la proposition que l'air est composé de deux fluides aux propriétés bien différentes.

 

Toujours en utilisant une cloche retournée sur une cuve à mercure et un "verre ardent" il fait brûler un fragment de phosphore. Il observe :

 

- Que, au moment où la combustion s'achève, l'air "n’occupe plus que les quatre cinquièmes ou les cinq sixièmes, tout au plus, de l’espace qu’il occupait avant la combustion."

 

- Que l'air qui reste "n’est plus susceptible de servir à la respiration des animaux, d’entretenir la combustion ni l’inflammation des corps ; en un mot, il est absolument dans l’état de moufette, et, en conséquence, pour éviter de le confondre avec aucune autre espèce d’air, je le désignerai, dans ce mémoire et dans quelques autres que je publierai à la suite, sous le nom de moufette atmosphérique".

 

Cette fois, il est acquis pour Lavoisier, que l'air atmosphérique est le mélange de deux "fluides élastiques" : un "air éminemment respirable" et une "moufette" (ou mofette, de l'italien mofetta issu du latin mephitis, exhalaison nauséabonde) incapable d'entretenir la vie.

 

Lavoisier utilise encore le terme "d'air déphlogistiqué" employé par Priestley pour désigner l'air très pur ou éminemment respirable. Cette nouvelle proposition ne pouvait que convenir aux chasseurs d'air britanniques.

 

Mais ce n'était que partie remise.

 

 

 

1777. Le Phlogistique n'existe pas.

 

Dans un mémoire de la même année 1777 "Sur la combustion en général", le ton n'est plus à la conciliation. Les hostilités sont ouvertes par un texte sans concessions pour le phlogistique :

 

"Si l’on demande aux partisans de la doctrine de Stahl de prouver l’existence de la matière du feu dans les corps combustibles, ils tombent nécessairement dans un cercle vicieux, et sont obligés de répondre que les corps combustibles contiennent de la matière du feu parce qu’ils brûlent, et qu’ils brûlent parce qu’ils contiennent de la matière du feu ; or il est aisé de voir qu’en dernière analyse c’est expliquer la combustion par la combustion.

 

L’existence de la matière du feu, du phlogistique, dans les métaux, dans le soufre, etc. n’est donc réellement qu’une hypothèse, une supposition, qui, une fois admise, explique, il est vrai, quelques-uns des phénomènes de la calcination et de la combustion ; mais, si je fais voir que ces mêmes phénomènes peuvent s’expliquer d’une manière tout aussi naturelle dans l’hypothèse opposée, c’est-à-dire sans supposer qu’il existe de matière du feu ni de phlogistique dans les matières appelées combustibles, le système de Stahl se trouvera ébranlé jusque dans ses fondements."

 

Ce premier mémoire est développé dans un second présenté le 5 septembre 1777 sous le titre "Considérations générales sur la nature des acides et sur les principes dont ils sont composés".

 

Ce nouveau mémoire recèle une surprenante rupture. Alors que la "chasse aux airs" s'est, jusqu'à présent, focalisée sur les réactions de combustion et de réduction des métaux, Lavoisier concentre sa nouvelle offensive sur la formation des acides, qui deviennent, de façon subite et inattendue, le centre de sa nouvelle théorie.

 

Quand l'air vital devient "air acidifiant" : le principe oxygine.

 

"J’ai déjà fait part à l’Académie de mes premiers essais sur ce sujet : je lui ai démontré, dans de précédents mémoires, autant toutefois qu’il est possible de démontrer en physique et en chimie, que l’air le plus pur, celui auquel M. Priestley a donné le nom d’air déphlogistiqué, entrait, comme partie constituante, dans la composition de plusieurs acides, et notamment de l’acide phosphorique, de l’acide vitriolique et de l’acide nitreux.

 

Des expériences plus multipliées me mettent aujourd’hui dans le cas de généraliser ces conséquences, et d’avancer que l’air le plus pur, l’air éminemment respirable, est le principe constitutif de l’acidité : que ce principe est commun à tous les acides, et qu’il entre ensuite dans la composition de chacun d’eux un ou plusieurs autres principes qui les différencient et qui les constituent plutôt tel acide que tel autre.

 

D’après ces vérités, que je regarde déjà comme très-solidement établies, je désignerai dorénavant l’air déphlogistiqué ou air éminemment respirable dans l’état de combinaison et de fixité, par le nom de principe acidifiant, ou, si l’on aime mieux la même signification sous un mot grec, par celui de principe oxygine, cette dénomination sauvera les périphrases, mettra plus de rigueur dans ma manière de m’exprimer, et évitera les équivoques dans lesquelles on serait exposé à tomber sans cesse, si je me servais du mot d’air."

 

Un mot grec, oxygine, "principe des acides", vient donc chasser un autre mot grec, phlogistique, "matière du feu". Il faudra encore quelques étapes avant que ce "principe oxygine" devienne "gaz oxygène".

 

C'est donc à une nouvelle chimie que Lavoisier invite les chimistes, ses contemporains. Il leur reste, dit-il "le champ le plus vaste à parcourir" car "il existe une partie de la chimie toute nouvelle et entièrement inconnue jusqu’à ce jour, et qui ne sera complète que lorsqu’on sera parvenu à déterminer le degré d’affinité de ce principe (l'oxygine) avec toutes les substances avec lesquelles il est susceptible de se combiner, et à connaître les différentes espèces de composés qui en résultent."

 

Quand naît l'oxygène.

 

En l'année 1787 est présentée à l'Académie des Sciences la Méthode de Nomenclature chimique présentée par Guyton de Morveau, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy. Leur choix : construire cette nomenclature autour du gaz jusqu'à présent qualifié d'air vital ou principe oxygine. Et d'abord lui donner son nom définitif.

 

"nous avons satisfait à ces conditions, déclarait Guyton de Morveau dans sa présentation, en adoptant l'expression oxygène, en la tirant, comme M. Lavoisier l'a dès longtemps proposé, du grec οξνς, acide & γείυομαι, j'engendre, à cause de la propriété bien constante de ce principe, base de l'air vital, de porter un grand nombre de substances avec lesquelles il s'unit à l'état d'acide, ou plutôt parce qu'il paraît être un principe nécessaire à l'acidité. Nous dirons donc que l'air vital est le gaz oxygène, que l'oxygène s'unit au soufre, au phosphore pendant la combustion, aux métaux pendant la calcination, etc. Ce langage sera tout à la fois clair et exact. "

Notons cette date : 2 mai 1787. Pour la première fois le mot oxygène vient d'être prononcé dans l'enceinte prestigieuse de l'Académie Royale des Sciences et avec lui, le même jour, les mots oxyde, carbone, carbonique, carbonate…

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12 février 2018 1 12 /02 /février /2018 09:11

Les alchimistes ont été violemment dénigrés par les chimistes, leurs successeurs. On cite couramment le chimiste Pierre Joseph Macquer (1718-1784) comme l’un des "pères" de la chimie moderne. Attaché à défendre le statut académique de cette science, il choisit de mettre en évidence la façon dont elle a rompu avec les anciennes méthodes. Sa cible est la vieille "chymie" que ses contemporains, ont pris l’habitude de désigner par le nom "d’alchimie", pour bien différencier leur propre science de la pratique médiévale dont ils refusent l’héritage.

 

Macquer va même jusqu’à regretter le reste de filiation qui s’exprime dans ce nom de chimie ou "chymie" partagé par les deux disciplines. C’est un mal, écrit-il " pour une fille pleine d’esprit et de raison, mais fort peu connue, de porter le nom d’une mère fameuse pour ses inepties et ses extravagances".

 

N’y a-t-il cependant pas une certaine ingratitude à renier ces prédécesseurs qui leur ont transmis, entre autres héritages, la doctrine des quatre éléments en donnant à ceux-ci une représentation symbolique simplifiée à base de triangles :

 

 

Ceux-ci seront conservés par les chimistes jusqu’à la fin du 18ème siècle. On les trouve même encore représentés dans la "Méthode de Nomenclature Chimique", nouvelle bible de la chimie moderne, publiée en 1787 par Guyton de Morveau, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy.

 

Les symboles alchimiques.

 

L’alchimie est le domaine des symboles. Elle les a reçus d’antiques traditions issues de la Mésopotamie, de l’Assyrie, de la Perse, de l’Egypte et même la Chine ou l’Inde.

 

Nous avons retenu sa représentation des quatre éléments par une série de triangles.

 

Nous pouvons y ajouter les trois principes métalliques :

 

- le soufre 

 

- le mercure

 

- le sel 

 

Ces principes sont un apport de l'alchimie arabe (notamment par Geber. Ils sont sont d'abord au nombre de deux : le Mercure (passif, froid, malléable, volatil), qui est un principe féminin, et le Soufre (actif, chaud, dur), qui est un principe masculin. Un troisième principe est ajouté par Paracelse (1493-1541) : le Sel qui permet d'unir le soufre et le mercure.

 

Les métaux sont représentés par les signes représentant les Planètes :

 

 

 

Quant aux différentes opérations de l’alchimie, elles sont souvent illustrées par les signes du zodiaque.

 

 

 

Il est certain que l’un des objectifs de ce symbolisme est de rebuter le profane. Glauber, proposant de donner la recette de "La teinture de l’or ou véritable or potable" l’annonce d’emblée :

 

"La connaissance et la préparation de cette médecine m’étant donnée du très-haut, je prétends, à cause que l’homme n’est pas né pour lui seul, de donner brièvement sa préparation et son usage, mais je ne veux pas jeter les perles devant les pourceaux, j’en veux seulement montrer le chemin aux étudieux, et qui cherchent le travail de Dieu et Nature ; et sans doute ils entendront mes écrits, mais non point un ignorant et qui n’est point expert" (Glauber Jean-Rudolphe, La teinture de l’or ou véritable or potable, Paris 1659)

Cependant il est certain que ce ne sont pas les symboles qui sont les plus hermétiques dans les textes alchimiques mais l’usage qui en est fait. Ils peuvent même donner une allure de rationalité à un texte qui devient de plus en plus ténébreux au fil des pages. Rien d’étonnant donc à ce qu’ils survivent à l’alchimie et qu’on les retrouve même chez Macquer, son pourfendeur.

 


Pierre-Joseph Macquer, Eléments de Chimie théorique, Paris 1749.


 

 

Ils figureront également sur une planche de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

 


Encyclopédie de Diderot de D’Alembert (Planche chymie)


 

En complément de la "Méthode de Nomenclature Chimique" (1787), Jean-Henry Hassenfratz (1755-1827) et Pierre Auguste Adet (1763-1834) proposent eux-mêmes un nouveau symbolisme adapté à la nouvelle façon de nommer et de penser.

 

Ce faisant ils réinterprètent le symbolisme alchimique à la lumière d’une rationalité qui n’était probablement pas celle des premiers chymistes :

 

"Il paraît qu’on ignore dans quels temps les chimistes ont commencé à se servir de caractères. Les recherches que nous avons entreprises sur cet objet se sont réduites à nous faire connaître d’après quelles vues les anciens avaient ordonné les signes des substances métalliques, dans la persuasion où ils étaient que les corps célestes avaient une influence sensible sur tous les corps animés et inanimés du globe terrestre ; ils avaient distingué les métaux, en métaux solaires ou colorés, en métaux lunaires ou blancs.
 

Les métaux de ces deux classes se subdivisaient ensuite en métaux parfaits, demi-parfaits et imparfaits ; la perfection étant exprimée par un cercle ; la demi-perfection, si nous pouvons nous servir de ce terme, par un demi-cercle ; et l’imperfection par une croix ou un dard.
 

Ainsi l’or, qui était le métal solaire par excellence, était représenté par un cercle seul, cette figure était commune aux métaux de la même classe tels que le cuivre, le fer, l’antimoine : mais elle se trouvait combinée avec le signe de l’imperfection.
 

L’argent qu’ils regardaient comme un métal lunaire demi-parfait était indiqué par un demi-cercle, l’étain, le plomb avaient aussi le demi-cercle pour signe, comme appartenant à la même classe, mais ils étaient distingués de l’argent par la croix ou par le dard.
 

Enfin le mercure qui était un métal imparfait, tout à la fois solaire et lunaire, portait les marques distinctives de ces deux classes, et était désigné par un cercle surmonté d’un demi-cercle auxquels on ajoutait une croix."

 


Extrait du tableau des nouveaux caractères chimiques, très inspiré des signes alchimiques, de Hassenfratz et Adet. Méthode de Nomenclature Chimique" (1787)


 

Quoi qu’il en soit, cette rationalité imaginée leur servira de guide pour proposer un symbolisme "moderne". Ils conserveront le cercle pour les substances "métalliques" comme le mercure, le demi-cercle pour représenter les substances ’inflammables" comme le soufre, le triangle dont la pointe est en haut pour représenter les substances "alcalines" et le triangle dont la pointe est en bas pour les substances "terreuses".

 

Ce symbolisme n’aura pas le même succès que la nomenclature qu’il était supposé illustrer.

 

Nous ne retracerons pas ici le combat de Lavoisier et des "chimistes français", ses collaborateurs, contre la théorie du Phlogistique qui les amène, en caractérisant et nommant l’oxygène, à proposer une nouvelle nomenclature chimique construite autour des propriétés de cet élément.

 

Reprise et perfectionnée par Jöns Jacob Berzelius (1779-1848) elle prendra la forme que nous connaissons aujourd’hui. Nous en reparlerons mais auparavant une nouveau regard sur les corps chimiques mérite d'être évoqué : l'atomisme.

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2 janvier 2018 2 02 /01 /janvier /2018 12:45

Nous poursuivons notre chemin à la rencontre de tous ces hommes habités par la même obsédante question de l’origine de la vie sur Terre.

Nous y avons rencontré Empédocle, le poète, le prophète. Puis Platon, le géomètre. Nous allons à présent rencontrer Aristote dont la pensée a traversé les siècles.

Les guides sont nombreux pour cette partie du trajet et leurs traductions se recoupent pour ce qui est de l’essentiel de notre sujet. Nous emprunterons ce qui nous semblera le plus pertinent à chacun de ceux que nous avons rencontrés au gré de nos lectures. (voir)

Aristote (-384 ; -322) est un personnage immense qu'on ne peut évoquer en quelques lignesRetenons qu'il a été le disciple de Platon à l’Académie et le précepteur de Alexandre le Grand. Avoir eu un tel maître et un tel élève indique assez sa position dans la société de son temps.

Il expose ses idées sur les propriétés de la matière dans son traité "de la Génération et de la corruption". Nous retiendrons, de la longue réflexion qui introduit ce texte, l'affirmation que dans le monde réel "la génération de tout objet particulier équivaut à la destruction de tel autre, et réciproquement". Une affirmation qui annonce à nouveau le "tout de transforme" attribué à Lavoisier.

 

 

Des quatre éléments aux quatre qualités :

Bien que considérant, comme ses prédécesseurs, Empédocle et Platon, qu'il existe quatre éléments fondamentaux, il critique la façon dont ils les conçoivent. Rechercher les principes des corps, affirme-t-il, c’est rechercher ceux qui sont sensibles aux sens. Et parmi ceux-ci seul le toucher peut parvenir à une bonne information. Qu’apprenons nous en touchant un corps ? Les sensations que nous recevons se décrivent toujours, dit-il, par des oppositions. Ce corps est-il "chaud ou froid, sec ou humide, lourd ou léger, dur ou mou, visqueux ou friable, rugueux ou lisse, épais ou fin" ? De tous ces couples, Aristote demande de ne retenir que le chaud et le froid ainsi que l’humide et le sec car, dit-il, "les autres oppositions dérivent de ces premiers contraires". Il est évident pour lui que "le visqueux relève de l’humide, puisque le visqueux est une sorte de liquide ayant subi une certaine action, comme par exemple l’huile. Mais le friable relève du sec, puisqu’il est complètement sec, au point que sa rigidité peut être considérée comme un effet du manque d’humidité". De même le mou relève de l’humide et le dur du sec.

Ainsi conclut-il : "Il est donc évident que toutes les autres différences peuvent être ramenées aux quatre premières qui, elles, cependant, ne peuvent pas être réduites à un plus petit nombre car le chaud n’est pas la même chose que l’humide et le sec, ni l’humide la même chose que le chaud ou le froid, pas plus que le froid et le sec ne sont subordonnés ni entre eux ni au chaud ou à l’humide. Il n’y a donc nécessairement que ces quatre différences premières".

Ainsi décrète Aristote.

Et il ajoute que six couples de ces qualités premières sont possibles  mais qu'on ne peut en retenir que quatre car, dit-il, "Comme il y a quatre éléments, et que les combinaisons possibles entre quatre termes sont au nombre de six ; comme, cependant, les contraires ne peuvent pas être combinés entre eux, le chaud et le froid, le sec et l’humide ne pouvant se confondre en une même chose, il est évident qu’il n’y aura que quatre combinaisons d’éléments, à savoir celle du chaud et du sec, du chaud et de l’humide, du froid et de l’humide, de froid et du sec. 

Ceci est une conséquence logique de l’existence des corps qui apparaissent simples, le feu, l’air, l’eau et la terre. Le feu, en effet, est chaud et sec, l’air est chaud et humide, étant une sorte de vapeur, l’eau est froide et humide, le terre est froide et sèche".

Croix élémentaire.svg

La "croix" d’Aristote rencontrera un succès durable.

Le modèle pourra même être enrichi de la dualité masculin/féminin. Ainsi le feu, sec, chaud, sera le caractère masculin, tandis que l'eau, humide, froide, sera féminine.

"Il faut dire maintenant de quelle manière s’opère la transformation réciproque et s’il est possible que tout corps simple naisse de tout corps simple, ou si cela est possible pour certains corps et impossible pour d’autres. " poursuit Aristote.

Tout se transforme.

Et il ajoute qu'il considère comme "évident qu’en général tout élément peut être engendré naturellement de tout élément, et il n’est pas difficile désormais d’observer comment le phénomène a lieu pour chaque élément particulier. Tous viennent en effet de tous

Illustration : "Ainsi le feu se transformera en air par le changement de l’une des deux différences. L’un est en effet chaud et sec, l’autre chaud et humide, de façon qu’il suffit que le sec soit dominé par l’humide pour qu’il y ait de l’air. L’air à son tour se transformera en eau quand le chaud est dominé par le froid, puisque l’un est chaud et humide et l’autre froid et humide, de telle sorte qu’il suffit que le chaud change pour qu’il y ait de l’eau. Retour ligne automatique
 

De la même manière l’eau peut se transformer en terre et la terre en feu, car les deux couples d’éléments ont des rapports réciproques. L’eau est en effet froide et humide, la terre froide et sèche, de façon qu’il suffit que l’humide soit dominé par le sec pour qu’il y ait de la terre. D’autre part le feu étant sec et chaud, la terre froide et sèche, si le froid est détruit, de la terre viendra du feu .

Si les polyèdres de Platon qui, comme nos modernes "mécanos" ou légos", se démontent et se recombinent en d’autres figures, peuvent prêter à sourire, les éléments d'Aristote semblent décrire une réalité observable. Chauffer de l’eau, c’est à dire y faire agir la chaleur du feu, ne donne-t-il pas de l’air (la vapeur d’eau invisible dont on voit les bulles rejoindre l'atmosphère). La chauffer encore et le "sec" du feu fera apparaître de la terre (le dépôt solide qu’on ne manquera pas de trouver à la fin de l’opération dans le vase ayant contenu le liquide). Nous verrons que le modèle traversera les siècles et qu’il a fallu Lavoisier, plus de deux millénaires plus tard, pour prouver que l’eau ne peut pas se transformer ni en air, ni en terre.

Un modèle d'une grande puissance évocatrice.

Pendant près de vingt siècles, ce modèle restera effectivement en vigueur dans le monde occidental. D'une certaine façon il l'est toujours. Il a quitté le domaine scientifique mais on le rencontre encore dans la perception que nous avons conservée de notre environnement. Terre, Eau, Air, feu (énergie), alimentent toujours nos débats contemporains.

Les quatre éléments demeurent surtout une riche source d'inspiration poétique, littéraire et même, avec Bachelard, psychanalytique. Il faut reconnaître qu'il présente une force évocatrice indéniable.

Comment "théoriser" le simple travail d'un potier ? Il utilise la terre : celle, d'abord, dont il construit son four. Celle, ensuite, qu'il sait choisir pour en faire naître des objets utilitaires ou rituels. Il la combine à l'eau afin d'en obtenir une pâte à la consistance idéale. Il sait faire agir le feu et doser l'air du soufflet. Il connaît le rôle exact de chacun des éléments ainsi que la manière de les utiliser.

Le verrier, le métallurgiste, à des variantes près, procèdent de même. En 1556, L'Allemand Georg Bauer, dit Agricola, publie sous le titre De re metallica le premier ouvrage d'importance sur le travail du métallurgiste. Décrivant l'art de la fusion, il se réfère explicitement à la théorie classique :

"Cela est la manière de procéder des fondeurs qui excellent à maîtriser les quatre éléments. Ils ne jettent pas dans le fourneau, plus qu'il ne convient, de minerai mêlé de terre ; ils versent de l'eau chaque fois qu'il en faut ; ils règlent avec justesse le souffle des soufflets ; ils placent le minerai dans le feu, à l'endroit où il brûle bien."

L'art des fondeurs qui excellent à maîtriser les quatre éléments (Agricola, De re matallica)

La bonne pratique d'un habile agriculteur pourra elle même être décrite comme celle d'un homme qui "excelle" dans la maîtrise des quatre éléments. Premier d'entre eux : sa terre, froide et sèche. Elle devra être pénétrée par l'air, chaud et humide, et pour cela, si elle est trop argileuse, il aura soin d'y ajouter une terre marneuse afin, pense-t-il, que les pores de la terre restent bien ouverts. Il veillera au bon dosage de l'eau : irrigation d'une terre sèche, drainage d'une terre trop humide. Le feu lui viendra du soleil, mais aussi du fumier dont la chaleur, ainsi que la tradition le lui a enseigné, viendra réchauffer la terre au sortir de l'hiver. "Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'août. Creusez, fouillez, bêchez, ne laissez nulle part où la main ne passe et repasse" dira le laboureur de Jean de La Fontaine à ses enfants. Ainsi seront finement mélangés les quatre éléments qu'on lui a dit être nécessaires à la croissance des plantes. Pour cela des charrues seront perfectionnées qui pourront retourner la terre plus profondément, de puissants animaux, qu'il faudra eux-mêmes nourrir, y seront attelés avant que vienne l'heure de la traction mécanique de notre "moderne" agriculture.

Pourtant nous disent aujourd'hui des agronomes et biologistes mieux éclairés, ce sont dans les premiers décimètres du sol que cohabitent microbes, champignons, vers de terre et autres auxiliaires apportant à la plante nombre de ses nutriments. Les labours répétés détruisent un part importante de ce "microbiote" en l'exposant à l'oxygène de l'air. Des agriculteurs remettent donc en question des siècles de pratique pour cultiver sans labourer. La mise en oeuvre de la théorie des quatre éléments aurait-elle donc été un obstacle à une agriculture à la fois plus productive, plus économe en moyens et plus respectueuse de l'environnement naturel ? Les exemples d'effets de cette nature sont nombreux au cours de l'histoire des sciences et des techniques. La remise en question de certains des principes énoncés par Aristote pourra également être un des moteurs de la construction d'une pensée dite "scientifique".

Cependant au cours des siècles qui suivront, Quatre, le nombre associé aux éléments, deviendra la clef de la description de nombreux phénomènes naturels. Les quatre saisons ou les quatre points cardinaux ne seront eux-mêmes pas étrangers aux quatre couples chaud/sec, chaud/humide, froid/humide, froid/sec. Quelle est la saison froide, humide, marquée du signe de l'eau* ? Quelle est la direction d'où vient le vent chaud et sec marqué du signe du feu ? Nous laissons à chaque lectrice ou lecteur la liberté d'un choix qui pourrait dépendre du lieu où il habite. Car là est le principal attrait de la "théorie" : elle invite d'abord à l'imagination.

Et l'imagination est une denrée bien partagée comme le prouve une activité plus populaire encore que l'art des métallurgistes ou des potiers : l'art de soigner. La théorie des quatre éléments a offert aux médecins et apothicaires un large domaine d'application sous la forme de celle des "Quatre Humeurs" dont Hippocrate et Galien se sont vus attribuer la paternité.

Nous en reparlerons.

à suivre...

Hippocrate, Galien. Des quatre éléments aux quatre humeurs.

* Pour les disciples de Hippocrate et Galien, l'hiver est la saison froide et humide comme l'eau ; le printemps est chaud et humide comme l'air ; l'été est chaud et sec comme le feu ; l'automne est sec et froid comme la terre (voir Jacques Jouanna, Hippocrate, les Belles lettres, 2017).

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  • : Le blog d'histoire des sciences
  • : Comme l'art ou la littérature,les sciences sont un élément à part entière de la culture humaine. Leur histoire nous éclaire sur le monde contemporain à un moment où les techniques qui en sont issues semblent échapper à la maîtrise humaine. La connaissance de son histoire est aussi la meilleure des façons d'inviter une nouvelle génération à s'engager dans l'aventure de la recherche scientifique.
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