L’électricité règne sur notre quotidien. Pourtant certains de nos concitoyens se souviennent encore de la première fois où une lampe a éclairé leur logis.
L’histoire de l’arrivée de la distribution de l’énergie électrique est en effet une histoire récente. Dans beaucoup de communes elle a moins d’un siècle.
C’est le cas à Landerneau.
L’essentiel de la documentation utilisée provient du service des archives de Landerneau. Version initiale 10 juillet 2010
Autour des années 1860, la municipalité de Landerneau souhaite moderniser son éclairage public. Un appel d’offre est lance en 1861 pour un éclairage à l’huile de colza au moyen de 44 lanternes. Aucune entreprise n’ayant répondu à la proposition, l’appel est reconduit en août 1862.
Dans le même temps des propositions sont faites à la municipalité pour un éclairage à l’huile de pétrole ou un éclairage au gaz qui sont les nouveaux signes de la "modernité".
Schéma d’une usine à gaz vers 1860.
La municipalité n’est pas insensible à ces propositions. En 1866, après avoir écarté d’autres offres, en particulier celle de la société Lebon déjà bien installée dans le Finistère, elle envisage d’accorder une concession à la "Compagnie Française d’éclairage et de chauffage par le gaz (Fabius Boitol et Cie)".
Le préfet étant le maître final de la décision, la municipalité appuie sa demande en faisant valoir l’arrivée récente du train dans la ville et en particulier la nécessité de remplacer l’éclairage à l’huile du quartier de la gare par un éclairage plus efficace, le dernier train s’arrêtant à la gare à 11h. Par ailleurs il est fait mention du coût inférieur du gaz tel qu’il est attesté par les communes de Morlaix et Quimper qui ont accordé une concession à l’entreprise Lebon.
La concession étant accordée pour une durée de 50 ans, le préfet demande d’ajouter dans le contrat :
la renégociation des tarifs tous les 5 ans pour adapter le prix à celui de la houille.
l’obligation de stipuler que "la société devra faire profiter la ville des nouveaux systèmes d’éclairage que la science ferait découvrir avant l’expiration de la période de 50 ans" .
Cette dernière clause est particulièrement importante à un moment où la technique évolue avec une inhabituelle rapidité et où l’imposition de concessions de l’ordre du demi siècle annonce des difficultés pour l’avenir. Nous verrons que le problème se posera en particulier à Landerneau.
Notons à ce propos le sens de l’intérêt public de l’administration préfectorale. Nous ne la retrouvons pas toujours dans une époque où la "privatisation" des services publics devient le modèle soutenu par les représentants de l’État.
Le 28 octobre 1866 est lancée une enquête "commodo et incommodo" pour l’achat d’un terrain "à l’extrémité est de la rue des boucheries". En juin de la même année le propriétaire de la parcelle visée avait fait savoir son refus de "morceler sa prairie pour l’installation d’une usine insalubre" sur les 23 ares réclamés pour l’usine.
Après accord l’usine était donc projetée au bas de ce qui est aujourd’hui la rue du gaz.
(Le site, aujourd’hui abandonné a fait l’objet d’une réhabilitation)
Le dossier à peine bouclé, le conseil municipal apprend que la "Compagnie Française d’éclairage et de chauffage par le gaz" est déclarée en faillite. C’est donc le retour à la case départ.
L’affaire est reprise en 1868 pour une nouvelle concession de 50 ans par l’entreprise de Augustin Félix Fragneau de Bordeaux qui, après un début qui ne répond pas aux promesses faites, est elle même mise en liquidation en 1870.
Se crée alors, en 1873, la "Société du Gaz de Landerneau" dont l’un des principaux actionnaires est l’un des liquidateurs de l’entreprise Fragneau, le Banquier Henri Michel qui est également administrateur directeur des chemins de fer des Bouches-du-Rhône.
Modèle de bec de gaz vers 1900 à Landerneau.
Dans le mur, les habitants du quartier vous indiquent la trace du tuyau de gaz.
Robida. Allumeur de lampadaire en Bretagne.
La société poursuit son activité perndant trente ans. Elle est dissoute en février 1903 pour être vendue à un nouvel exploitant, M. Le Coniac. L’entreprise devait être toujours rentable car pour l’année 1902 le dividende remis aux actionnaires avait été de 16 francs nets par action.
On trouve encore une lettre de Charles Le Coniac adressée au maire en Novembre 1910 pour lui proposer un avenant à son contrat. Plus tard l’entreprise sera reprise par la "Compagnie du Gaz Franco-Belge" qui exercera son monopole pour l’éclairage jusqu’aux années qui suivront la guerre de 1914-18.
Le volumineux dossier, consultable au service des archives de Landerneau, des relations entre la municipalité de Landerneau et la Compagnie du Gaz, puis de la compagnie Franco-Belge, est surtout riche des multiples conflits qui opposent les représentants de la population aux industriels. Il est vrai que la compagnie, forte de sa concession de 50 ans est plus attentive à ses bénéfices qu’à la qualité du service rendu.
Témoin : la lettre adressée au maire de Landerneau en 1879 par un certain nombre de commerçants de la ville.
Landerneau le 14 juin 1879
Monsieur le maire,
Nous commerçants à Landerneau, abonnés du gaz, avons l’honneur de vous exposer :
Que depuis quelques jours, le gaz qui nous est fourni par la compagnie éclaire fort peu et nous arrive incomplètement épuré ; de telle sorte que les métaux qui sont dans notre magasin sont oxydés et exigent un nettoyage de tous les instants, et que l’acide sulfureux que nous respirons nous occasionne des aigreurs qui pourraient se traduire plus tard par d’autres maladies plus graves.
Et comme si ce n’était pas assez de ces inconvénients, le gaz est venyu à nous manquer absolument de manière à nous laisser dans l’obscurité dans les soirées du 12 courant à 10 heures du soir et du 13 à 9 heures.
Nous étant défaits de nos anciens appareils d’éclairage, nous avons dû renvoyer nos clients et renoncer aux bénéfices de ces soirées. Nous trouvons par conséquent qu’il est de toute justice que la compagnie nous indemnise des pertes qu’elle nous occasionne, et nous sommes persuadés qu’elle fera droit à nos demandes, en apprenant notre juste motif de plainte.
Mais comme nous ne pouvons porter nous mêmes à M. le directeur de l’usine de Landerneau la plainte que nous formulons contre lui, nous vous prions, Monsieur le maire, de bien vouloir la faire parvenir à l’administration supérieure de la compagnie dont nous ignorons le siège et la raison sociale ;
Et d’agréer en attendant, l’assurance de notre dévouement respectueux.
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La pétition adressée au maire de Landerneau en 1879. (archives Landerneau)
Les signataires, des noms connus à Landerneau. (archives Landerneau)
L’objet de cette étude n’étant pas "le gaz à Landerneau" mais l’arrivée de l’électricité nous nous contenterons d’évoquer les années proches de la guerre 14-18, période de transition où la nécessité de la diffusion de l’électricité s’impose de plus en plus à Landerneau.
Les difficultés résultant de la guerre sont un des éléments qui incitent la municipalité à s’orienter vers le recours à l’électricité.
Les problèmes sont d’abord liés à la difficulté d’approvisionnement en houille.
Rappelons que le gaz de ville est un des produits de la distillation de la houille, l’autre produit résultant de cette opération étant le coke utile à l’industrie métallurgique.
Le charbon c’est d’abord pour faire la guerre !
Pour produire un gaz de qualité il faut donc une houille de qualité. Or l’industrie de guerre devenant prioritaire la pénurie menace rapidement.
Dès lors il est difficile pour un maire de faire la différence entre ce qui dépend de la situation de guerre et ce qui dépend de la volonté de profit de l’industriel.
Dès décembre 1914 le maire se plaint d’un manque de pression du gaz. La réponse de l’industriel Lesage directeur de la Compagnie Franco-Belge, est claire : la faute à la guerre !
En 1916 une lettre du préfet demande d’ailleurs à la commune de réduire sa production de gaz de façon à conserver le charbon pour les "usines de guerre".
A la fin du conflit, et même dans les mois qui suivent l’armistice, la houille n’arrive plus. En décembre 1918 l’industriel Lesage annonce la fermeture de l’usine. La situation se débloque après une lettre du maire au préfet et la promesse de livraison de 20 tonnes de charbon par le port de Lorient et de 50 tonnes par le port de Brest. Mais le charbon qui arrive dans les communes est de si mauvaise qualité qu’on ne peut plus en extraire de gaz.
Les hommes aussi manquent !
En Octobre 1915 le directeur de l’usine à gaz écrit au maire pour lui demander de mettre à sa disposition du personnel communal ou de demander des militaires à l’armée. pour appuyer sa demande il fait visiter son usine à un huissier. Le rapport de celui-ci décrit une situation qui était supposée faire nécessairement fléchir les autorités.
Le constat d’huissier mérite d’être reproduit dans son intégralité.
L’an mil neuf cent quinze le 26 octobre à la requête de la société Franco Belge Robert Le Sage et Cie représenté par Mr Fatta Jean, régisseur de l’usine à gaz de Landerneau y demeurant.
Lequel a exposé que ladite société est tenue d’éclairer au Gaz la ville de Landerneau et les particuliers mais qu’actuellement par suite du manque de personnel il craint de ne pouvoir fournir le gaz nécessaire au besoin de la ville et des particuliers,
Qu’obligé de faire le chauffeur, de s’occuper, outre du service de régisseur des travaux à faire en ville, des commandes à livrer, etc, il ne pourra certainement continuer étant fatigué qu’il a donc demandé à la municipalité et à l’autorité militaire du personnel pour continuer à faire fonctionner l’usine ; qu’il lui a été répondu par la municipalité et par l’autorité militaire qu’on n’avait pas de personnel à lui fournir. Qu’il m’invitait dans ces conditions à me transporter à Landerneau à l’usine pour constater les faits.
Déférant à cette demande je soussigné Auguste Tanguy Huissier audiencier près le tribunal civil de Brest demeurant dite ville rue du Château substituant Me Tromeur mon confrère empêché me suis transporté à l’usine à gaz à Landerneau où étant j’ai vu dans la cour occupé à casser du coke un homme qui m’a dit s’appeler Jacques Etienne et âgé de 76 ans manœuvre à l’usine, ayant ensuite pénétré dans un bâtiment où se trouvent les fours j’y ai vu le régisseur qui mettait du charbon dans le seul des trois fours qui était allumé ;
Près de lui se trouvait un jeune homme occupé à balayer le bâtiment ; ce jeune homme m’a dit s’appeler Jean Abhervé-Guéguen âgé de 15 ans et demi apprenti plombier mais faisant un peu de tout à l’usine sauf pourtant le chauffeur, ce service étant fait par un réfugié Belge, lequel était remplacé par Mr. Fatta bien souvent, même la nuit, ce réfugier Belge ayant été malade, il m’a déclaré qu’il y avait, outre ce réfugié Belge, comme employé son père qui était plombier à ladite usine et qu’actuellement il était en ville pour effectuer des travaux ;
Que c’était là tout le personnel de l’usine, c’est à dire quatre hommes et un apprenti. Mr Fatta m’a déclaré qu’il avait 56 ans, que l’ouvrier Belge était malade, que Jacques Etienne âgé de 70 ans, le manœuvre avait eu une faiblesse en faisant son travail le 18 octobre dernier ; que son apprenti malgré son jeune âge était très courageux au travail faisant plus que son devoir mais que cependant ; comme lui même il ne pourrait continuer son service dans ces conditions et qu’il se verrait contraint par suite de manque de personnel de cesser de faire fonctionner l’usine.
Ayant parcouru tous les bâtiments et le terrain de l’usine, voir même le jardin le tout enclos de mur je n’ai trouvé d’autres personnes sauf au bureau où j’ai vu Mme Fotta qui aide son mari aux écritures.- Ce dernier m’a déclaré être très fatigué et qu’il craint vu son état de ne pouvoir continuer à travailler.
De tout ce que dessus j’ai donné le présent procès verbal pour servir et valoir ce que de droit. Coût trente deux francs 9 centimes signé A Tanguy.
La conclusion du constat de l’huissier
Le maire de Landerneau qui est alors M Lebos et M. Lesage, le directeur de l’usine, se livrent une véritable guérilla. L’un veut augmenter les tarifs du gaz, l’autre le refuse.
Dès août 1915 l’entreprise Lesage a menacé d’arrêter la fourniture de gaz si les tarifs ne sont pas augmentés. Elle confirme par un télégramme en septembre.
Le maire de Landerneau qui s’est adressé à ses collègues pour connaître la situation chez eux, reçoit une réponse du maire de Brest qui l’informe que chez lui le prix n’a pas augmenté.
Une contre offensive s’organise. Le 16 octobre 1915, à l’initiative du maire de Pontivy, une réunion se tient à la mairie de Saint Brieuc avec les maires de Dinan et d’Auray "afin de s’entendre sur les mesures à prendre pour résister efficacement aux revendications de la Cie du Gaz Franco-Belge qui éclaire les villes représentées". Pour s’opposer à la prétention de la compagnie d’augmenter le prix du gaz, elles s’engagent à une assistance mutuelle.
Il faut signaler que cette résistance a aussi une dimension "politique". On trouve dans le dossier d’archives de la ville de Landerneau, un exemplaire du "Cri du peuple", journal de l’internationale socialiste SFIO, qui ne correspond pas nécessairement à l’orientation politique du conseil mais qui s’oppose à l’augmentation du prix du gaz. La volonté de ne pas se laisser doubler à gauche est certainement présente dans l’attitude municipale.
La guérilla se poursuivra pendant toute la guerre avec un échange de lettres d’une violence peu courante dans le style administratif.
Mais bientôt un nouveau conflit va naître quand le conseil municipal décidera d’adopter l’éclairage électrique.
Si la ville de Chateaulin revendique d’avoir adopté l’éclairage électrique avant Paris, et ceci dès 1887. Landerneau fait figure de retardataire.
Le 23 avril 1914 la "Compagnie d’électricité de Brest et extensions" avait proposé au maire de Landerneau de remplacer ses 88 becs à gaz Auer par 100 lampes à incandescence métallique. La compagnie brestoise ne manquait pas de faire remarquer que des villes du Finistère bien plus petites avaient déjà adopté l’éclairage électrique :
Audierne 4610 habitants
Chateaulin 4271 "
Guipavas 5061 "
Landivisiau 4713 "
Lannilis 3591 "
Lesneven 3776 "
Pont-Labbé 6612 "
Pont-Croix 2511 "
Rosproden 2450 "
Notons que la population de Landerneau est alors de 8252 habitants. il est certain que l’argument avait de quoi énerver un maire Landernéen mais que faire quand on est lié par contrat pour encore plusieurs dizaines d’année à la compagnie de gaz locale ?
La proposition de la Compagnie d’électricité de Brest et extensions : une ligne depuis Kerhuon. (document archives de Landerneau)
Une première offensive avait d’ailleurs été menée en 1911 par la société.
Le conseil municipal du 26 mai prenait connaissance d’une demande de M. Legrand, son représentant, pour obtenir la concession d’éclairage électrique sur la ville. La proposition était soumise à la commission d’éclairage.
Retour en conseil municipal le 27 juin qui décide, faute de documentation, de reporter la discussion au conseil prévu en août. Décision qui n’empêche pas une passe d’armes dans la salle du conseil.
"M. Bonnefoy fait remarquer que la Compagnie du Gaz qu’il représente fait toutes réserves en ce qui concerne les concessions demandées, cette compagnie ne considérant les articles nouveaux adoptés par le conseil que comme une continuation de l’ancien traité (renégocié en 1910) et que, par suite, elle attaquerait la ville en dommages et intérêts du préjudice qui pourrait lui être causé"
Réponse courroucée de l’un des conseillers :
"M. Boucher proteste énergiquement contre cette prétention de la Compagnie du gaz et déclare que s’il avait considéré le nouveau traité passé avec M. Le Coniac pour l’éclairage au gaz comme une continuation de l’ancien traité, il se serait complètement refusé à le voter et que, par suite, il trouve déplacé les mesures de la nouvelle compagnie concessionnaire."
Le sujet est à nouveau à l’ordre du jour du conseil du 16 mars 1912 qui décide de confier une étude à la commission d’éclairage en lui donnant mission de s’entourer de spécialistes (ingénieurs et conseils juridiques). Il faudra donc attendre 1914 pour qu’on en parle à nouveau.
Noter que s’il n’existe pas de service municipal, de l’électricité est cependant déjà produite ou utilisée par certains industriels landernéens.
L’électricité et les industriels.
C’est le cas, par exemple, de la Grande Briqueterie, de l’entreprise Belbéoc’h, de l’entreprise Gayet ou encore de l’usine Dior qui fabrique des engrais depuis 1907. En février 1918, l’usine est sollicitée par l’ingénieur chef du service électrique des Chemins de fer pour fournir de l’électricité pour l’éclairage de la gare afin de satisfaire aux besoins de l’autorité militaire.
La société du gaz Franco-Belge invitée à accepter cette dérogation à son contrat qui lui assure l’exclusivité de l’éclairage ne peut que s’incliner. Il est vrai que la demande précise que cette installation ne sera que temporaire et ne pourra se prolonger que d’une année après la fin de la guerre, date évidemment inconnue au moment de la demande.
C’est aussi le cas de l’entreprise Gayet qui demande le, 20 avril 1920, une autorisation sous le régime de la "permission de voirie", pour la pose d’une ligne de transport électrique de première catégorie "destinée à relier son usine située rue de la gare à sa maison d’habitation rue de Brest". La dynamo de 6kW installée à la scierie fournira un courant continu sous tension de 120V par une ligne à 2 fils supportant 50A.
Cependant l’usine principale de production d’électricité est la Grande Briqueterie de Landerneau. Celle-ci profite de la retenue d’eau qui l’équipe et produit donc déjà de "l’électricité renouvelable" dont le mérite est de ne pas dépendre de la fourniture en charbon et donc des pénuries de guerre. Elle a déjà fourni de l’électricité à son voisinage et rêve d’en fournir à la ville entière.
Octobre 1920. La guerre est terminée depuis bientôt deux ans mais le contentieux entre la ville de Landerneau et la Compagnie du Gaz, concernant la fourniture de gaz, n’est toujours pas réglé. C’est alors que le directeur de la Grande Briqueterie de Landerneau propose à la ville de lui fournir l’électricité nécessaire à son éclairage public.
A l’évidence le maire y est très favorable mais il ne faut pas oublier le monopole de la compagnie du gaz qui a cependant l’obligation de "faire profiter la ville des nouveaux systèmes d’éclairage que la science ferait découvrir avant l’expiration de la période de 50 ans de la concession"
En janvier 1921 le maire est donc contraint d’adresser une lettre à la société Lesage pour la mettre en demeure de lui installer l’éclairage électrique aux conditions proposées par la briqueterie. Conditions évidemment impossibles à accepter sur le plan économique par la compagnie du gaz, la "houille blanche" produite par l’Elorn étant gratuite à un moment où le charbon et le pétrole coûtent encore si cher.
Fin de non-recevoir, donc, de la part de l’industriel qui sait ne pas pouvoir rivaliser. Un conflit est inévitable et la mairie confie sa défense d’abord à M. Le Borgne avocat à Rennes puis à M.Alizon, avocat à Quimper.
Courant 1922, le maire pour contourner la difficulté, imagine de ne demander une autorisation que pour la seule fourniture d’électricité pour l’usage de la force motrice. C’est effectivement une méthode déjà utilisée ailleurs. Les contrats avec les compagnies de gaz ne portant que sur l’éclairage public, il était possible de fournir l’électricité aux artisans et industriels qui en feraient la demande. Rien n’empêchait ensuite les industriels raccordés d’en faire bénéficier leur voisinage.
Il s’avérait en effet que aucune loi ne s’opposait à cette pratique. Un mémoire, non signé, présent dans le dossier d’archives de la ville détaille la manœuvre. Son titre : "Abus d’une permission limitée à la force. Distribution illicite de la lumière. Impossibilité d’une sanction pénale".
Par ailleurs les services de l’État encourageaient fortement la diffusion de l’électricité dans les villes et communes et n’étaient pas prêts à soutenir les entreprises gazières dans leur résistance.
En août 1923 une lettre adressée au préfet faisait donc état du désir des industriels landernéens de se voir doter de la "force motrice électrique".
Réponse positive du préfet, à condition que la concession accordée ne se fasse que "pour distribution d’énergie pour tous usages autres que l’éclairage public ou privé". Avec une telle restriction l’industriel ne pouvait même pas éclairer son propre local par des lampes électriques. Naturellement il ne s’en privait pas et en faisait même profiter son voisinage.
Sous la dénomination de "Usine électrique de Traon Elorn", la Briqueterie alimentait donc bientôt les établissements Le Bos, Le Roux, Belbéoc’h, Gayet, la scierie de la gare et les deux cinémas de Landerneau.
L’usine de Traon Elorn
La retenue de Traon Elorn
Au sujet de l’électricité et des saumons de la retenue : voir le texte de Georges Huet, apprenti dans l’usine d’électricité en 1930.
Devant le danger de voir l’éclairage électrique gagner clandestinement la ville, la compagnie du gaz faisait alors une contre-proposition qui consistait à régler, de façon pour elle favorable, le contentieux portant sur le prix du gaz et à exiger une forte redevance sur chaque Kwh d’électricité délivré par l’usine de Traon Elorn si elle obtenait la concession de l’éclairage municipal. Proposition évidemment rejetée.
La crainte de la Compagnie du Gaz n’était pas sans fondements. En avril 1925, l’ingénieur en chef du département, venu en tournée d’inspection à Landerneau rédigeait un rapport dénonçant les abus constatés dans la ville. L’autorisation de 1923, écrivait-il, n’avait été accordée " que pour tous usages autres que l’éclairage public et privé". Or il constate que "il a été néanmoins établi tout un réseau d’éclairage, sans que le contrôle ait été saisi du projet de concession correspondant ni même d’installations provisoires d’exécution".
En réalité la situation s’était réglée l’année précédente suite à une médiation d’experts désignés à l’initiative de la préfecture. Le contrat de gaz était reconduit et une indemnité annuelle versée à l’entreprise gazière. Place donc à l’électricité et à l’usine de Traon Elorn.
La distribution à partir de l’usine de Traon Elorn se fera en triphasé triphasé - 50 Hz - 110/220 volts. Un procédé "moderne" quand on sait qu’il faudra attendre 1960 pour que le triphasé s’installe à Paris. Sous ce rapport, le retard a eu du bon.
L’usine sera équipée de groupes hydrauliques et de groupes diesel. Deux groupes hydrauliques de 125 kVA fonctionnent déjà, un troisième de 100 kVA est prévu. Un diesel de 125 kVA fonctionne, deux autres sont prévus. La tension de 200 V fournie par les alternateurs triphasés reliés à ces groupes sera portée à 5000 V par des transformateurs et ramenée à la tension d’usage dans les quartiers.
Plan de la centrale électrique de Traon Elorn.

Noter, à droite, le moteur Diesel qui n'a commencé à être commercialisé qu'à partir de 1900 (voir la photo ci-dessous de celui exposé à l'exposition internationale de Paris en 1900).

L’autonomie de la centrale électrique de Traon-Elorn aura été brève. Une lettre du 10 avril 1926 annonce au maire qu’elle a été rachetée par l’Union Électrique du Finistère qui distribue l’électricité de Brest à Chateaulin.
Dans une brochure diffusée par la compagnie elle déclare s’être créée en novembre 1925 avec un capital de 700.000 francs. Elle s’est assuré le concours technique, financier et moral de la compagnie d’électricité de Brest elle même chapeautée par le Compagnie Générale d’Électricité (CGE) de Paris.
Pour répondre au programme d’électrification des campagnes par haute tension, elle entend porter son capital à 3.000.000 francs en proposant 4600 actions à 500 francs.
Le dividende sera de 7% pendant les deux premières années avec une promesse d’augmentation quand les lignes seront en exploitation. Par ailleurs les actionnaires bénéficieront d’une réduction de 10% sur leur propre installation électrique.
Aux actionnaires industriels la Compagnie fait valoir que l’arrivée de l’électricité dans leur exploitation leur apportera "non seulement le confort sous forme de lumière électrique à un prix trois fois moindre que le pétrole, mais en outre, de nouvelles sources de profit en leur permettant le remplacement de la main-d’œuvre insuffisante et onéreuse par la force motrice." Déjà des "restructurations" en perspective !
La conclusion du texte est un appel au patriotisme régional :
Les actionnaires auront "la satisfaction de voir leurs capitaux engagés dans la construction de lignes placées sur leur route, à leurs portes, qui apporteront en Bretagne les avantages immenses que les autres régions de France ont déjà. Il ne faut pas que le Finistère soit en retard et, pour cela, il est indispensable que chacun fasse l’effort nécessaire pour permettre la réalisation de ce progrès, pour le développement de notre région".
Ne croirait-on pas un texte contemporain issu de la direction de EDF stigmatisant ces bretons qui refusent une centrale électrique et de nouvelles lignes à haute tension dans leur environnement ?
L’Union Électrique du Finistère, de Brest à Chateaulin.
C’est donc cette entreprise que trouve comme interlocuteur le socialiste Jean-Louis Rolland quand il devient maire en 1929.
Le dossier de ses relations avec la compagnie, disponible au service des archives de Landerneau, témoigne des difficultés qu’il rencontre avec ce nouveau concessionnaire. Des échanges dont la vivacité rappelle celle de ses prédécesseurs avec la compagnie du gaz. En ce début de 21ème siècle où une politique active de privatisation des services publics est mise en œuvre, la lecture de ces dossiers devrait être source de réflexion pour nos actuel(le)s élu(e)s.
Exemple : le maire voudrait l’extension de l’électricité à de nouveaux quartiers mais sans augmentation du prix de l’électricité. La Compagnie fait la sourde oreille.
Déjà pourtant, en Octobre1925, une pétition des habitants du quartier de Traon Elorn" était arrivée sur le bureau du précédent maire.
" Les soussignés ont l’honneur de vous adresser la présente requête tendant à obtenir le prolongement de l’éclairage électrique jusqu’au quartier de Traon Élorn, ou, tout au moins jusqu’entre les deux ponts de chemin de fer traversant la route nationale.
L’éclairage de cette partie de la ville devient nécessaire par suite de l’augmentation de la population de ce quartier et de la quantité d’ouvriers travaillant à la Grande Briqueterie et au Triage du crin.
Pensant que vous voudrez bien reconnaître le bien fondé de cette demande et lui faire donner une solution favorable,
Les soussignés vous remercient à l’avance et vous adressent leurs respectueuses salutations."
Le concessionnaire veut d’abord une augmentation des tarifs, sinon pas d’extension.
Le conflit dure jusqu’en 1932, année où le cahier des charges de 1926 est mis à enquête publique pour modification. Le rapport du commissaire enquêteur répertorie les "contre" qui ne veulent pas d’augmentation des tarifs et les "pour" qui veulent l’extension vers de nouveaux quartiers. Quand même note-t-il que les déclarations "pour" sont "peu nombreuses et bien que n’étant pas suffisamment explicites font ressortir le désir de voir électrifier les nouveaux quartiers".
En fait sur 155 contributions on trouve 144 "contre" et seulement deux "pour" qui d’ailleurs ne se prononcent pas pour le nouveau cahier des charges mais se contentent de déclarer souhaiter voir l’électricité arriver dans les nouveaux quartiers.
L’opposition semble menée par l’ex majorité municipale devenue minorité mais elle regroupe surtout ceux qui refusent une augmentation des tarifs.
Les noms des signataires, représentatifs des familles landernéennes, se retrouvent aujourd’hui encore nombreux dans leur descendance.
La conclusion du commissaire ressemble étrangement à celles que nous trouvons régulièrement à l’occasion des enquêtes qui concernent nos problèmes contemporains de routes ou d’extension d’élevages. Malgré les 144 "contre" et les deux "pour" : avis favorable !
Comme il est courant aujourd’hui, l’enquête n’était sans doute qu’une formalité à laquelle il fallait se soumettre.
Il est vrai que le maire, Jean-Louis Rolland, avait à subir le choix de ses prédécesseurs et cette longue durée de la concession accordée aux industriels de l’électricité. S’il voulait électrifier les nouveaux quartiers, il lui fallait accepter l’augmentation des tarifs.
Pourtant lui même et son conseil signaient un nouveau contrat qui aurait dû ne s’achever qu’en 1964 si la guerre et les nationalisations qui ont suivi n’en avaient pas décidé autrement.
Le nouveau contrat signé jusqu’à 1964 !
Comme pour ses prédécesseurs, la guerre est pour le maire un moment où il faut gérer la pénurie.