Les théories scientifiques conservent parfois de visibles cicatrices héritées d’anciens accidents de parcours. La définition du sens du courant électrique en est une.
A peine le professeur de physique a-t-il enseigné que le courant électrique circule du pôle plus du générateur vers son pôle moins dans un circuit électrique extérieur, qu’il lui faut ajouter, qu’en réalité, ce "courant" est constitué d’électrons circulant en sens inverse.
Mais, doit-il ajouter, nous conserverons comme "sens conventionnel" celui qui va du pôle plus au pôle moins .
Nous avons déjà raconté cette histoire dans un article du Bulletin de l’Union des Physiciens, repris par le site Ampère/CNRS et finalement publié dans Histoire de l’électricité, de l’ambre à l’électron (Vuibert 2009).
Résumons.
C’est le Français Charles-François de Cisternay Dufay (1698-1739) qui, en frottant du verre et de l’ambre, constate la différence de comportement électrique de ces deux corps. Chacun repoussant ce qui a été mis en contact avec lui même (le verre) et attirant ce qui a été mis en contact avec l’autre (l’ambre).
Dufay
Il en déduit l’existence de deux espèces d’électricité qu’il nomme "vitrée" et "résineuse" et énonce la loi d’attraction et de répulsion :
deux corps portant la même espèce d’électricité se repoussent, deux corps portant des électricités différentes s’attirent.
Loi fondamentale de l’électricité qui mériterait bien d’être énoncée comme étant la "loi de Dufay".
L’Américain Franklin (1706-1790), abordant l’électricité en autodidacte, imagine l’électricité comme un fluide unique qui imprègne tous les corps.
Franklin
Le frottement fait simplement passer ce fluide d’un corps dans l’autre. Le corps qui en a reçu est alors chargé positivement, celui qui en a perdu l’étant négativement.
Ainsi, propose Franklin, le verre frotté prend de l’électricité au corps qui le frotte. Il se charge "positivement" alors que le soufre ou l’ambre, qui perdent de l’électricité par frottement, se chargent "négativement".
L’écossais Robert Symmer (1707-1763) associe les deux théories. Il considère, comme Dufay, qu’il existe bien deux espèces d’électricité, mais, observant que ces deux électricités annulent leurs effets, comme Franklin, il appellera positive celle qui apparaît sur le verre et négative celle qui apparaît sur le soufre ou l’ambre.
La théorie des deux fluides s’impose en Europe continentale. Celle du fluide unique de Franklin conserve la faveur des britanniques.
Tant qu’il ne s’agit que d’étudier les propriétés statiques de l’électricité, cette divergence ne prête pas à conséquence. Le problème devient plus épineux après 1800 et la découverte de la pile électrique par Volta.
En effet cette pile produit, en continu, un "courant" d’électricité. La question se pose donc : quel est son sens dans un circuit extérieur ?
Pour les partisans de Franklin, aucun problème : la pile ne fournit qu’une seule espèce d’électricité. Le courant circule donc nécessairement du pôle qui porte le plus, le pôle positif, vers celui qui en porte le moins, le pôle négatif.
Pas de problème non plus pour les partisans de Dufay qui ont une explication : la pile produit les deux espèces d’électricité. Dans le conducteur il existe deux courants. Le courant de fluide positif circule du pôle + au pôle -, celui d’électricité négative du pôle - au pôle +.
Comme la théorie des deux espèces d’électricité, celle des deux courants s’impose dans l’Europe continentale. Celle du courant unique chez les britanniques.
C’est au moment où, en 1820, Oersted découvre l’effet magnétique des courants qu’une convention est proposée par Ampère (lui même partisan des deux courants).
Ampère
On conviendra dit-il, d’appeler sens du courant , celui dans lequel circule le fluide positif et on se souviendra, dit-il, que le fluide négatif circule en sens contraire. Par cette convention, partisans de Franklin et de Dufay se rencontrent à nouveau. Pour les uns le sens "conventionnel" est le sens réel de circulation du fluide unique. Pour les autres, ce sens est uniquement celui de circulation du fluide positif.
La découverte de l’électron par Thomson et Perrin en 1897, puis celle de la structure de l’atome, révèle l’erreur initiale de Franklin : le verre ne gagne pas d’électricité dans le frottement, il en perd ! Il faut donc attribuer une charge négative à ces porteurs d’électricité que sont les particules que l’on désignera ensuite par le terme d’électrons.
Thomson
Par ailleurs, les partisans de Dufay et des deux courants ne peuvent pas, eux non plus, triompher. Il existe bien deux espèces d’électricité mais dans un conducteur métallique seul un fluide circule. L’électricité positive portée par les noyaux des atomes est fixe. Seule l’électricité négative portée par les électrons peut circuler.
Ainsi il existe bien un seul courant, mais, constitué d’électrons, il circule dans le sens inverse du sens conventionnel !
Noter que dans une solution d’électrolyte ou dans un sel fondu, il existe bien deux courants en sens contraires de porteurs de charges positives et négatives.
Noter surtout que, en 1900, l’industrie de l’électricité construite sur les conventions du début du siècle s’est développée. Aucune tentative ne sera faite pour inverser le sens du courant conventionnel. Les signes + et - des charges, ainsi que le sens du courant ne sont plus que des conventions mathématiques
Cette histoire nous ramène à l’expérience de Oersted : une aiguille aimantée placée sous un fil parcouru par un courant tend à se placer perpendiculairement à ce fil. Par ailleurs le sens de la déviation dépend du sens du courant.
Ampère, qui est inspecteur de l’Instruction Publique, et donc préoccupé de pédagogie, propose alors la règle connue comme celle de son "bonhomme". Placé sur le fil, le courant positif lui entrant par les pieds, il regarde l’aiguille et voit le pôle nord de celle-ci se diriger vers sa gauche. Un schéma griffonné par Ampère lui-même est devenu célèbre.
Le bonhomme d’Ampère, vu par Ampère.
Le bonhomme d’Ampère vers 1870
Le bonhomme d’Ampère nous donne l’occasion de conclure notre cours d’électricité sur le magnétisme d’un façon ludique en proposant aux volontaires de nous dessiner un bonhomme d’Ampère de leur choix.
Nous proposons ci-dessous quelques-unes des œuvres réalisées par des élèves landernéens des années 80/90 du siècle déjà passé.
Premier réflexe : caricaturer le prof.
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Quand le Bonhomme d'Ampère suit l'actualité.
La mode "punk" faisait fureur et il n’était pas exclus de voir un iroquois se battre au tableau avec la loi de Laplace. Ce bonhomme particulièrement réussi aurait sa place dans un musée.
Mais le "hippy" aussi se portait bien.
En Bretagne, c’est la période Plogoff. Les lycéens de Landerneau ont été nombreux à y aller faire un tour. Les lance-pierres des manifestants échangent leurs projectiles avec les fusils lance-grenades des gardes mobiles. L’auteur de ce dessin choisit le "peace and love". Faites l’amour et pas le nucléaire !
Fin de la guerre froide. Le mur de Berlin est tombé. George Bush converti ?
Symbole de la fin des idéologies ?
Le MLF se réveille. Assez de la domination des mâles dans les sciences. ! Et pourquoi pas une "bonne-femme d’Ampère"
Et la défense des animaux ? Ne faudrait-il pas aussi rendre à la grenouille ce qui n’appartient pas au seul Galvani ?
Encore une bonne-femme d’Ampère directement sortie de sa bande-dessinée.
La BD inspire
Quatre Daltons pour un bonhomme
La tête de qui sur le billot ?
Après Ampère et son bonhomme place à Maxwell et sa vis : le sens positif des lignes de champ circulaires qui entourent un fil parcouru par un courant est celui dans lequel tourne une vis qui avance dans le sens du courant.
Les français, peuple de "poètes", ont remplacé la vis de Maxwell par un tire-bouchon.
Concilier "Bonhomme d’Ampère" et "Tire-bouchon de Maxwell" : une bonne idée à consommer modérément.
Ces dessins figurent aussi sur le site Ampère/CNRS :
Quelques bonshommes... par des potaches du XXe siècle
Voir aussi : Des deux espèces d'électricité aux deux sens du courant électrique.
On peut trouver un développement de cet article dans ouvrage paru en septembre 2009 chez Vuibert : "Une histoire de l’électricité, de l’ambre à l’électron"