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14 décembre 2014 7 14 /12 /décembre /2014 06:42

Par Gérard Borvon.

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L'oxygène, l'azote, l'hydrogène, le carbone sont incontestablement la plus belle création de Lavoisier et des réformateurs français.

 

Il n'est pas nécessaire d'être un chimiste averti pour savoir que ces éléments sont à la base de cette chimie des êtres vivants que l'on nomme "organique". Carbone, hydrogène et oxygène sont les constituants uniques des glucides (les sucres) et des lipides (les graisses). L'azote s'ajoute à ces trois éléments pour former les protides (les protéines).

 

Ces quatre éléments représentent en moyenne 96% de la masse d'un corps humain. D'abord vient l'oxygène : 65%. C'est dire son importance dans notre existence. Il est suivi du carbone (18,5%), de l'hydrogène (9,5%) et de l'azote (3,5%). Les minéraux n'y représentent que 3,5% de la masse.

 

Lavoisier et le début d'une chimie organique.

 

L'étude des corps organiques est un nouveau chapitre à ajouter à l'œuvre de Lavoisier. On trouve le compte rendu des ses travaux dans plusieurs mémoires de l'Académie des Sciences ainsi que dans son traité élémentaire de Chimie (1789).

 

La lecture en est aisée. Ces textes témoignent de deux siècles de continuité entre la chimie des réformateurs français et celle que nous pratiquons encore. Ils pourraient constituer une excellente introduction à l'enseignement de la chimie organique.

 

"Les principes vraiment constitutifs des végétaux se réduisent à trois… l'hydrogène, l'oxygène et le carbone. Je les appelle constitutifs, parce qu'ils sont communs à tous les végétaux, qu'il ne peut exister de végétaux sans eux" écrit Lavoisier dans le chapitre de son Traité intitulé : "De la décomposition des Matières végétales et animales par l'action du feu".

 

Des plantes étant portées à un degré de chaleur qui "n'excède pas beaucoup celle de l'eau bouillante", il observe une combinaison de l'oxygène et de l'hydrogène qui les composent pour donner de l'eau. Pendant le même temps, une partie du carbone se lie à l'hydrogène pour former ce que Lavoisier appelle une "huile volatile" (nous dirions un hydrocarbure). Le reste du carbone se retrouve dans la cornue sous forme d'un résidu solide.

 

Un feu plus vif donnera du gaz acide carbonique (du CO2) et de l'hydrogène. Ainsi, dit-il, la chaleur suffira pour renverser "l'échafaudage de combinaisons" constituant le corps initial et pour en créer de nouvelles.

 

A côté des trois éléments C, H, O qu'il désigne comme "constitutifs", Lavoisier a su voir que certaines plantes qu'il décrit comme "crucifères" contiennent de l'azote et que leur "distillation" peut mener à l'ammoniaque. Il sait aussi que les matières animales "sont composées à peu près des mêmes principes que les plantes crucifères… mais qu'elles contiennent plus d'hydrogène et plus d'azote" que celles-ci.

 

Que dire de plus ? Chacun sait, aujourd'hui, que Lavoisier avait vu juste. Oxygène, Carbone, hydrogène et azote sont biens les composants essentiels du vivant, la plus forte proportion d'azote étant la caractéristique des tissus animaux.

 

Si le feu, la chaleur, constituent une méthode radicale d'analyse des corps organiques, Lavoisier en utilise également de plus douces. En particulier certaines que les alchimistes, déjà, pratiquaient : la fermentation et la putréfaction. Celles-ci sont perçues comme des réactions purement chimiques en une époque où Pasteur n'a pas encore révélé le rôle des micro-organismes vivants.

 

Une "loi" ou un "principe" ?

 

Lavoisier étudie, en particulier, la fermentation du jus de raisin qui conduit à ce qu'il désigne par le terme d'alkool, un mot nouveau, promis, lui aussi, à un bel avenir, et qu'il dit avoir emprunté aux arabes. Cette opération, dit-il, "est une des plus frappantes et des plus extraordinaires de toutes celles que la Chimie nous présente".

 

On sait que, lors de cette fermentation, du gaz carbonique se dégage et que, simultanément, le sucre du jus de raisin se transforme en alcool éthylique, cet "esprit de vin" qu'une simple distillation permet de recueillir.

 

L'extraordinaire dans cette réaction, nous dit Lavoisier, est de constater qu'un "corps doux" comme le jus de raisin puisse se transformer "en deux substances si différentes, dont l'une est combustible (l'alcool), l'autre éminemment incombustible (le dioxyde de carbone)".

 

"D'où vient le gaz acide carbonique qui se dégage, d'où vient l'esprit inflammable qui se forme". C'est pour répondre à cette interrogation que Lavoisier énonce la fameuse phrase dont certains commentateurs ont voulu faire une "loi de Lavoisier" :

 

"On voit que pour arriver à la solution de ces deux questions, il fallait d'abord connaître l'analyse et la nature du corps susceptible de fermenter, et les produits de la fermentation ; car rien ne se crée, ni dans les opérations de l'art, ni dans celles de la nature, et l'on peut poser en principes que dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l'opération ; que la qualité et la quantité des principes est la même, et qu'il n'y a que des changements, des modifications."

 

C'est sur ce principe qu'est fondé tout l'art de faire des expériences en Chimie : on est obligé de supposer dans toutes une véritable égalité ou équation entre les principes des corps qu'on examine, et ceux qu'on en retire par l'analyse." (traité élémentaire de chimie p 141)

 

Alors une "loi" de Lavoisier ? Non, mais le texte d'un excellent pédagogue qui sait exposer l'un des principes sur lesquels il appuie les méthodes de sa discipline.

 

Ce principe, il l'applique, en particulier, dans l'étude de ce qu'il désigne comme des "radicaux" organiques. Il analyse et il nomme les radicaux malique, citrique, oxalique, acétique, succinique, benzoïque, gallique, lactique, formique, tous issus d'organismes végétaux ou animaux. Ils sont déjà, pour la plupart, anciennement connus mais Lavoisier sera le premier à en donner la composition en mettant en œuvre tous les moyens d'analyse dont il dispose mais surtout en utilisant l'instrument essentiel : la balance.

 

Fort logiquement Lavoisier et Séguin, qui l'aide dans ses expériences, s'interrogent ensuite sur les réactions chimiques mises en œuvre au sein des êtres vivants eux-mêmes.

 

Lavoisier, Séguin et la chimie de la vie.

 

Expérience de Séguin-Lavoisier

 

Armand-Jean-François Séguin (1767-1835) est un chimiste qui fera fortune dans le tannage chimique des cuirs réalisés dans une manufacture installée sur une île de la Seine qui porte aujourd'hui son nom. Industrie d'une première importance au moment où il faut équiper les soldats de la République, puis de l'Empire, en souliers et autres articles divers.

 

Le mémoire qu'il signe avec Lavoisier et qui est publié dans les Mémoires de l'Académie des Sciences pour l'année 1789 sur "la respiration des animaux" est resté célèbre, en particulier par son caractère spectaculaire.

 

On y parle logiquement de l'oxygène sous son aspect "air vital".

 

"La respiration est une des fonctions les plus importantes de l’économie animale, et, en général, elle ne peut être quelque temps suspendue sans que la mort en soit une suite inévitable. Cependant, jusqu’à ces derniers temps, on a complètement ignoré quel est son usage, quels sont ses effets ; et tout ce qui est relatif à la respiration était au nombre de ces secrets que la nature semblait s’être réservés."

 

Lever un des plus importants secrets de la Nature ! Telle est l'ambition de ce mémoire qui s'emploie d'abord à montrer l'importance des récentes découvertes de Lavoisier.

 

Si les auteurs rappellent les travaux de leurs prédécesseurs, Boyle, Hales, Black et Priestley, c'est, surtout, pour stigmatiser ces "chimistes sectateurs de la doctrine de Stahl" dont ils sont les représentants les plus connus, et pour, encore une fois, dénoncer leur chimérique Phlogistique.

 

Lavoisier, dans un mémoire publié en 1785, avait déjà pu annoncer que la respiration les animaux libérait, à la fois, du gaz carbonique et de l'eau. L'expérimentation avait d'abord été menée sur des cochons d'Inde, premiers cobayes à faire leur entrée au laboratoire. "Ces animaux sont doux, la nature ne leur a donné aucun moyen de nuire, expliquent les auteurs. Ils sont d’une constitution robuste, faciles à nourrir ; ils supportent longtemps la faim et la soif ; enfin ils sont assez gros pour produire en très-peu de temps des altérations sensibles dans l’air qu’ils respirent.".

 

Le modèle de la respiration, dont ces animaux ont permis la description, est, pour ces deux observateurs, celui d'une combustion :

 

"Dans la respiration, comme dans la combustion, c’est l’air de l’atmosphère qui fournit l’oxygène et le calorique ; mais, comme dans la respiration c’est la substance même de l’animal, c’est le sang qui fournit le combustible, si les animaux ne réparaient pas habituellement par les aliments ce qu’ils perdent par la respiration, l’huile manquerait bientôt à la lampe, et l’animal périrait, comme une lampe s’éteint lorsqu’elle manque de nourriture."

 

Cette hypothèse inspire à ses auteurs des accents lyriques :

 

"On dirait que cette analogie qui existe entre la combustion et la respiration n’avait point échappé aux poètes, on plutôt aux philosophes de l’antiquité, dont ils étaient les interprètes et les organes. Ce feu dérobé du ciel, ce flambeau de Prométhée, ne présente pas seulement une idée ingénieuse et poétique, c’est la peinture fidèle des opérations de la nature, du moins pour les animaux qui respirent : on peut donc dire, avec les anciens, que le flambeau de la vie s’allume au moment où l’enfant respire pour la première fois, et qu’il ne s’éteint qu’à sa mort."

 

L'oxygène, aliment du flambeau de Prométhée, transmettant aux hommes à la fois la vie et le savoir… Un nouveau mythe est déjà en marche.

 

Les auteurs s'engagent alors dans une série d'expériences qui feront naître chez eux des réflexions d'ordre social adaptées à la période.

 

Du fonctionnement du corps humain à celui de la société, ou de l'oxygène à la révolution.

 

Le compagnon de Lavoisier est un homme résolu. "Quelque pénibles, quelque désagréables, quelque dangereuses même que fussent les expériences auxquelles il fallait se livrer, M. Seguin a désiré qu’elles se fissent toutes sur lui-même", écrit Lavoisier dans son compte-rendu.

 

Différentes situations sont testées depuis le repos absolu jusqu'à un effort soutenu en passant par les périodes de digestion. On mesure l'air consommé et le rythme cardiaque. Des lois semblent lier ces données à l'effort réalisé :

 

"ces lois sont même assez constantes, pour qu’en appliquant un homme à un exercice pénible, et en observant l’accélération qui résulte dans le cours de la circulation, on puisse en conclure à quel poids, élevé à une hauteur déterminée, répond la somme des efforts qu’il a faits pendant le temps de l’expérience".

 

On notera avec intérêt cette proposition nouvelle d'une équivalence entre "énergie biochimique" et "énergie mécanique".

 

Et voilà que l'étude de la respiration devient matière à réflexion sur la révolution sociale ! Souvenons-nous de la date de cette publication : 1789. Il n'est pas sans intérêt de suivre Lavoisier sur le chemin de traverse qu'il emprunte en marge de ses réflexions scientifiques, même s'il nous écarte pour un moment de ce qui est notre sujet principal.

 

"Tant que nous n’avons considéré dans la respiration que la seule consommation de l’air, le sort du riche et celui du pauvre était le même ; car l’air appartient également à tous et ne coûte rien à personne ; l’homme de peine qui travaille davantage jouit même plus complètement de ce bienfait de la nature. Mais maintenant que l’expérience nous apprend que la respiration est une véritable combustion, qui consume à chaque instant une portion de la substance de l’individu ; que cette consommation est d’autant plus grande que la circulation et la respiration sont plus accélérées, qu’elle augmente à proportion que l’individu mène une vie plus laborieuse et plus active, une foule de considérations morales naissent comme d’elles-mêmes de ces résultats de la physique.

 

Par quelle fatalité arrive-t-il que l’homme pauvre, qui vit du travail de ses bras, qui est obligé de déployer pour sa subsistance tout ce que la nature lui a donné de forces, consomme plus que l’homme oisif, tandis que ce dernier a moins besoin de réparer ? Pourquoi, par un contraste choquant, l’homme riche jouit-il d’une abondance qui ne lui est pas physiquement nécessaire et qui semblait destinée pour l’homme laborieux ?

 

Gardons-nous cependant de calomnier la nature, et de l’accuser des fautes qui tiennent sans doute à nos institutions sociales et qui peut-être en sont inséparables. Contentons-nous de bénir la philosophie et l’humanité, qui se réunissent pour nous promettre des institutions sages, qui tendront à rapprocher les fortunes de l’égalité, à augmenter le prix du travail, à lui assurer sa juste récompense, à présenter à toutes les classes de la société, et surtout aux classes indigentes, plus de jouissances et plus de bonheur."

 

Lavoisier, qui siège avec le Tiers-Etat à l'Assemblée de l'Orléanais, y a présenté plusieurs mémoires pour la création d'une caisse de bienfaisance en faveur des vieillards ainsi que pour celle d'ateliers de charité. Il est aussi l'auteur d'un mémoire, au ton particulièrement radical, qu'il présente devant l'Académie des sciences "sur les encouragements qu'il est nécessaire d'accorder à l'agriculture".

 

Il y dénonce "l'arbitraire de la taille, qui humilie le contribuable… les corvées plus humiliantes encore que la taille et qui réduisent les sujets du Roi à la condition de serfs… les champarts, les dîmes inféodées, les dîmes ecclésiastiques, qui enlèvent dans quelques cantons plus de moitié et quelquefois la totalité du produit net de la culture… la forme vicieuse de la plupart des perceptions établies sur les consommations… les visites domiciliaires relatives aux droits d'aides, de gabelles et de tabac ; visites qui entraînent la violation du domicile, des recherches inhumaines et indécentes, qui portent la désolation dans les familles… la banalité des moulins, qui s'oppose à la perfection de la mouture, qui met le peuple des campagnes à la merci de l'avidité et du monopole des meuniers, qui fait manger une nourriture de mauvaise qualité à plus de la moitié du royaume, enfin qui occasionne une perte d'un sixième au moins dans les farines que le mauvais moulage ne permet pas de séparer d'avec le son… le droit de parcours, qui subsiste encore dans une partie du royaume, qui s'oppose à la clôture des terres, à la destruction des jachères, qui oblige de sacrifier les regains et une partie des engrais, qui ôte aux cultivateurs tout intérêt d'améliorer, qui tend à communiquer, à répandre et à propager les maladies épizootiques, enfin qui défonce les terres par le piétinement des bestiaux".

 

Il faudrait réformer dit-il, mais, déjà, il semble savoir que "les institutions sages" qu'il souhaite ne sont probablement déjà plus à l'ordre du jour.

 

"Faisons des vœux surtout pour que l’enthousiasme et l’exagération qui s’emparent si facilement des hommes réunis en assemblées nombreuses, pour que les passions humaines qui entraînent la multitude si souvent contre son propre intérêt, et qui comprennent dans leur tourbillon le sage et le philosophe comme les autres hommes, ne renversent pas un ouvrage entrepris dans de si belles vues, et ne détruisent pas l’espérance de la patrie."

 

L'homme de la "révolution chimique", celui qu'on accusait de dragonnades intellectuelles est également le fermier général accusé de ruiner le peuple. Parmi tous ses confrères chimistes, il sera le seul à être englouti par le tourbillon de la révolution sociale. Il ne revendiquait cependant, du moins l'affirme-t-il, que de poursuivre son action dans le silence de son laboratoire.

 

"Nous terminerons ce mémoire par une réflexion consolante. Il n’est pas indispensable, pour bien mériter de l’humanité et pour payer son tribut à la patrie, d’être appelé à ces fonctions publiques et éclatantes qui concourent à l’organisation et à la régénération des empires. Le physicien peut aussi, dans le silence de son laboratoire et de son cabinet, exercer des fonctions patriotiques ; il peut espérer, par ses travaux, de diminuer la masse des maux qui affligent l’espèce humaine ; d’augmenter ses jouissances et son bonheur, et n’eût-il contribué, par les routes nouvelles qu’il s’est ouvertes, qu’à prolonger de quelques années, de quelques jours même, la vie moyenne des hommes, il pourrait aspirer aussi au titre glorieux de bienfaiteur de l’humanité."

 

Prolonger la vie des hommes ? Le propos nous ramène à l'oxygène. La découverte de son rôle essentiel, dans l'air, ne pourrait-elle y contribuer ?

 

"On conçoit comment les altérations survenues à l’air qui nous environne peuvent être la cause de maladies endémiques, des fièvres d’hôpitaux et de prisons, comment le grand air, une respiration plus libre, un changement de genre de vie sont souvent, pour ces dernières maladies, le remède le plus efficace."

 

Propos qui annoncent ces aériums, préventoriums, sanatoriums dans lesquels l'oxygène sera présenté comme le premier des remèdes contre le mal du siècle industriel à venir : la tuberculose.

 

Pour Lavoisier, incontestablement, "l'oxygène, c'est la vie". Mais la vie pouvait-elle naître sans l'hydrogène, sans l'azote sans le carbone ? La chimie et la biologie, dans leur progression, prouveront que ce sont bien ces quatre éléments qui peuvent, chacun, revendiquer une part essentielle dans la création et le fonctionnement des êtres vivants. Et d'abord le carbone.

 

A la base des êtres vivants : le carbone.

 

Si le nom de l'oxygène est indissociable de celui de Lavoisier, avoir donné son nom au carbone, en avoir montré le rôle dans la réduction des métaux, avoir décrit sa combustion, avoir découvert la nature réelle du "gaz carbonique", et surtout avoir révélé l'importance de ce corps dans les organismes vivants, est un pas qui pourrait être considéré comme encore plus important.

 

Le charbon, terreux, noir, n'est toujours rien d'autre, pour les contemporains de Lavoisier, qu'un simple combustible. Comment imaginer qu'il puisse se trouver dans ce gaz incolore, cet "air fixe" dont la propriété la plus connue était d'empêcher toute combustion. Que penser de la constatation faite par Lavoisier et Seguin que nous produisons, dans nos poumons, ce gaz que Lavoisier a baptisé du nom de "carbonique" mais qui était encore qualifié de "méphitique" à cause de sa redoutable propriété d'ôter la vie à ceux qui le respiraient.

 

Comment, par ailleurs, accepter la présence de charbon, synonyme de noirceur, dans la craie la plus blanche ?

 

Aujourd'hui encore le mot "carbonisé", synonyme d'une régression ramenant à l'état le plus vil, celui de charbon, n'a pas bonne presse.

 

Pourtant nous sommes carbone et sans cet élément essentiel nous n'existerions pas. La découverte de la photosynthèse a révélé à quel point le modique pourcentage de gaz carbonique dans l'air est le moteur de la vie terrestre. Il n'y est qu'à l'état de traces (de l'ordre de 0,02% du volume de l'atmosphère avant le début de l'aire industrielle) et même si le taux dépasse le double aujourd'hui, avec les problèmes que l'ont sait, ce pourcentage reste minime. Et pourtant c'est bien le cycle du carbone qui rythme la vie terrestre.

 

Comme celle de l'oxygène, il faudrait écrire cette histoire du carbone qui le montrerait passant de l'état de simple combustible à celui de constituant essentiel des molécules "organiques", celles produites par les organes vivants mais aussi celles créées par l'homme et qui constituent la multitude des produits de synthèse qui peuplent notre univers moderne. Il faudra encore attendre pour décrire les usages, prometteurs ou inquiétants, de ses formes récemment découvertes : fullerènes, nanotubes, graphène. Il faudra y associer l'histoire des atomes de la même famille comme celle du silicium, banal composant de la silice des roches et des sables, devenu support de l'électronique moderne et base d'une forme d'intelligence artificielle ou encore matériau des panneaux photovoltaïques transformant, de façon simple et élégante, l'énergie reçue du soleil en énergie électrique.

 

Cette histoire, nous nous contentons, ici, de l'avoir évoquée comme nous pouvons le faire de celle de l'azote.

 

L'Azote, bien ou mal nommé ?

 

"Les propriétés chimiques de la partie non respirable de l'air de l'atmosphère n'étant pas encore très-bien connues, nous nous sommes contentés de déduire le nom de sa base de la propriété qu'a ce gaz de priver de la vie les animaux qui le respirent : nous l'avons donc nommé azote, de l'α privatif des Grecs, & de ζωὴ, vie, ainsi la partie non respirable de l'air sera le gaz azotique"

 

Ainsi s'exprimait Lavoisier dans le chapitre consacré aux "Noms génériques et particuliers des fluides aériformes" de son Traité élémentaire de chimie (1789).

 

"Nous ne nous sommes pas dissimulé que ce nom présentait quelque chose d'extraordinaire, ajoute-t-il, mais c'est le sort de tous les noms nouveaux ; ce n'est que par l'usage qu'on se familiarise avec eux. Nous en avons d'ailleurs cherché longtemps un meilleur, sans qu'il nous ait été possible de le rencontrer : nous avions été d'abord de le nommer gaz alkaligène, parce qu'il est prouvé, par les expériences de M Berthollet, comme on le verra dans la suite, que ce gaz entre dans la composition de l'alkali volatil ou gaz ammoniaque : mais d'un autre côté, nous n'avons point encore la preuve qu'il soit un des principes constitutifs des autres alkalis : il est d'ailleurs prouvé qu'il entre également dans la combinaison de l'acide nitrique ; on aurait donc été tout aussi fondé à le nommer principe nitrigène... nous n'avons pas risqué de nous tromper en adoptant celui d'azote et de gaz azotique, qui n'exprime qu'un fait ou plutôt qu'une propriété, celle de priver de la vie les animaux qui respirent ce gaz".

 

Priver de la vie… L'azote peut le faire de multiples façons.

 

Lavoisier qui était régisseur des poudres ne pouvait ignorer que le premier usage du nitre, le salpêtre (nitrate naturel de potassium, KNO3), a été de l'associer au soufre et au charbon pour préparer la poudre noire, ce premier explosif inventé en Chine et largement utilisé dans les guerres du continent européen. L'industrie des explosifs à base de nitrate sera l'une des plus actives du 19ème siècle avec pour aboutissement de cette recherche, la nitrocellulose ou encore la nitroglycérine synthétisée en 1846 par l'Italien Asciano Sobrero et popularisée sous forme de dynamite par l'industriel Alfred Nobel.

 

 

Privatif de vie a donc été et est encore cet azote des explosifs.

 

Mais retenons surtout que l'azote est d'abord source de vie.

 

L'azote, générateur de vie.

 

L'azote, ce sont les acides aminés, composés alliant une fonction acide (-COOH) à une fonction amine (-NH2). Ces molécules sont les constituants nécessaires de toute la machinerie organique en commençant par les muscles mais aussi les hormones et les gènes.

 

Nous ne détaillerons pas ici les mécanismes complexes du vivant décryptés par les biologistes grâce aux outils matériels et conceptuels élaborés par les chimistes, à commencer par Lavoisier. Notons pour conclure, car là est l'essentiel de notre propos, que celui-ci n'a, hélas, pas été très inspiré en donnant à l'Azote son nom de baptême. La nomenclature internationale n'est pas plus heureuse qui en a fait un "générateur de nitre".

 

Mieux aurait valu en faire un "générateur de vie".

 

L'élément universel : l'hydrogène.

 

"Générateur de l'eau", ainsi l'a nommé Lavoisier. Nous savons à présent que "générateur des acides", oxygène, lui aurait mieux convenu, car telle est l'une de ses principales fonctions. Mais générateur d'eau, il l'est également. De la même façon il se lie au carbone et à l'azote pour donner l'ensemble des molécules organiques.

 

Le plus petit des atomes, simple proton lié à un électron, n'est pas le moins nécessaire à la vie. Surtout quand on sait qu'il constitue l'essentiel de la matière visible de l'Univers et que c'est le premier germe de tous les atomes qui le peuplent.

 

Mais ceci est une autre histoire.

 

                                            XXXXXXXXXXXX

 

Voir :

Suivre le parcours de l’oxygène depuis les grimoires des alchimistes jusqu’aux laboratoires des chimistes, avant qu’il n’investisse notre environnement quotidien.

 

Aujourd’hui, les formules chimiques O2, H2O, CO2,… se sont échappées des traités de chimie et des livres scolaires pour se mêler au vocabulaire de notre quotidien. Parmi eux, l’oxygène, à la fois symbole de vie et nouvel élixir de jouvence, a résolument quitté les laboratoires des chimistes pour devenir source d’inspiration poétique, picturale, musicale et objet de nouveaux mythes.

 

À travers cette histoire de l’oxygène, foisonnante de récits qui se côtoient, s’opposent et se mêlent, l’auteur présente une chimie avant les formules et les équations, et montre qu’elle n’est pas seulement affaire de laboratoires et d’industrie, mais élément à part entière de la culture humaine.

 

feuilleter les premières pages


voir aussi :

 

 

Un livre chez Vuibert.

 

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Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…, coupable : le dioxyde de carbone. Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.

 

L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone
et celle du CO2.

 

L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une
chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole. Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.

 

Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
 

Seront-ils entendus ?

 

Feuilleter les premières pages.

 

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