Ainsi se présentent les quatre éléments qui constituent l'ensemble des corps. Pour répondre à qui prétendrait ne pas avoir observé ces différentes formes dans la nature, Il faut "se représenter tous ces corps comme tellement petits que chacune des parties de chaque genre, par sa petitesse,échappe à nos yeux, mais qu’en réunissant un grand nombre, leur masse devient visible" ajoute Timée/Platon.
Tout se transforme.
Il imagine aussi une transmutation possible entre ces différents corps. Ainsi, "lorsque le feu est renfermé dans de l’air, de l’eau ou de la terre, mais en petite quantité relativement à la masse qui le contient, si, entraîné par le mouvement de ces corps et vaincu malgré sa résistance, il se trouve rompu en morceaux, deux corps de feu peuvent se réunir en un seul corps d’air". L’arithmétique est respectée : les huit triangles équilatéraux issus des deux tétraèdres de feu peuvent se convertir en un octaèdre d’air. De même "si l’air est vaincu et brisé en petits fragments, de deux corps et demi d’air un corps entier d’eau peut être formé". Chacun peut vérifier que le compte en terme de triangles équilatéraux est respecté.
Il n'est pas interdit d'en sourire, même si l’observation du changement d’état des corps, l’eau s’évaporant et devenant "air" sous l’effet de le chaleur (du feu) puis se condensant à nouveau en eau pouvait s’accorder à une telle proposition. Soyons indulgents, notre science contemporaine, elle même, s’accorde avec des images tout aussi osées qui feront sourire les générations à venir.
Reste un cinquième polyèdre régulier, le dodécaèdre. Il a des propriétés mathématiques plus riches. Il comporte 12 faces comme le nombre des signes du zodiaque. Chacune étant un pentagone régulier, figure particulièrement symbolique avec sa variante, l’étoile à cinq branches.

Il est facile, au moyen d’une règle et d’un compas de construire un triangle équilatéral, un carré, un hexagone, un octogone. Tracer un pentagone régulier pose un tout autre problème et n’est à la portée que d’habiles géomètres. Disons, sans développer davantage, qu’il fait intervenir des rapports entre longueurs de segments laissant apparaître le "nombre d’Or", le nombre, supposé divin, tardivement attribué aux philosophes et bâtisseurs des temps antiques soit (1+5)/2 = 1,618... .
Le dodécaèdre est donc à lui seul un condensé de rapports magiques. Platon lui confie un rôle à la hauteur de ce statut : "il restait une seule et dernière combinaison, dieu s’en est servi pour tracer le plan de l’Univers". Derrière cette formule ambiguë certains voudront trouver l’esprit pensant, la force vitale, l’énergie motrice ou tout autre concept illustrant l’animation de la matière.
On en fera aussi le symbole de la cinquième essence, la "quinte-essence" (quintessence), la substance qui, désignée encore sous le nom "d’éther", était supposée occuper l’univers des étoiles. Cet "éther", lumineux, électrique et même quantique, qui reviendra de façon cyclique dans le vocabulaire des physiciens quand il leur faudra, comme au temps des premiers philosophes, nommer l’inexplicable.
Même si les sciences ne leur doivent rien, les solides de Platon ont marqué les esprits. Leur "beauté" a particulièrement inspiré les artistes de la Renaissance, tel Léonard de Vinci. Le mystérieux dodécaèdre, en particulier, a été soumis à toutes les doctrines ésotériques.

Le dodécaèdre de Léonard de Vinci.
Le dodécaèdre a même inspiré Dali.
Une chose est certaine : Platon a durablement inscrit la théorie des quatre éléments dans la pensée occidentale. Peu oseront après lui s’attaquer à ce monument.
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Rencontres avec Timée.
Lire le Timée c'est aussi faire d'heureuses, de curieuses, ou d'affreuses rencontres.
De la nécessité d'être à la fois beau et bon :
"ne point exercer l'âme sans le corps ni le corps sans l'âme, afin que, se défendant l'une contre l'autre, ces deux parties se trouvent en équilibre et en santé. Il faut donc que le mathématicien, ou celui qui s'applique fortement à quelqu'autre travail de l'intelligence, donne aussi du mouvement à son corps, s'exerçant à la gymnastique ; et de même celui qui s'attache à former son corps doit en même temps donner du mouvement à son âme, en s'adonnant à la musique et aux autres études philosophiques, s'il veut justement être appelé beau et en même temps être appelé bon avec vérité".
"Un esprit sain dans un corps sain". Thalès de Milet ne l'avait-il pas déjà énoncé dès le septième siècle avant notre ère ?
Comment ne pas sourire ensuite en lisant le discours sur la nourriture. Se nourrir, pour Platon, se résume en un conflit entre "triangles". Ceux de l'aliment et ceux du corps qui les absorbe. De l'issue de ce combat résulte la jeunesse ou la vieillesse et finalement la mort.
"Quand la constitution de l'animal est récente encore, les triangles qui, venus du dehors se trouvent compris dans la masse du corps lui-même, sont vaincus et divisés par ces triangles neufs que le corps lui impose, et l'animal grandit, parce qu'il se nourrit de beaucoup de triangles semblables. Mais quand la pointe de ces triangles s'émousse à cause de ces nombreux combats qu'ils ont soutenus pendant longtemps contre de nombreux triangles, ils ne peuvent plus diviser ceux de la nourriture qui entre et se les assimiler, tandis qu'eux-mêmes sont facilement divisés par ceux qui viennent du dehors. Alors l'animal vaincu dépérit tout entier et cet état se nomme la vieillesse.
Enfin, lorsque les liens qui unissent ensemble les triangles de la moëlle, distendus par la fatigue, ne peuvent plus résister, ils laissent échapper à leur tour les liens de l'âme, et celle-ci, rendue à sa liberté naturelle, s'envole avec joie".
Platon géomètre ? La géométrie n'est-elle pas plus simplement pour lui le support d'un délire poétique ? Notre époque elle même ne voit-elle pas fleurir ces théories qui appellent le vocabulaire de la physique quantique au secours de leurs discours ésotériques.
Mais on ne peut plus sourire en lisant la classification établie par Platon entre les hommes, les femmes et les autres êtres vivants.
Ce discours, sert de conclusion à toute l'oeuvre :
"Maintenant cette discussion, que nous avons promise en commençant, sur l'Univers jusqu'à la naissance des hommes, semble presque terminée. Il nous reste seulement à dire en peu de mots comment les autres animaux se sont formés, et nous ne donnerons que les développements indispensables ; car il semble que telle est la mesure convenable à un pareil sujet. Voici donc ce que nous en dirons."
Platon croit à une forme de réincarnation de l'âme. Ce qu'il nous dit d'abord au sujet de l'homme et de la femme est réellement effroyable.
"Parmi les hommes qui furent formés, ceux qui se montrèrent lâches et qui passèrent leur vie dans l'injustice, furent vraisemblablement transformés en femme dans la deuxième naissance[.] Telle est donc l'origine des femmes et de tout le sexe féminin".
Une phrase que nos platoniciens contemporains se gardent bien de citer. Ce qu'il nous dit ensuite des autres animaux et la classification qu'il fait de ses contemporains est dans la même tonalité :
"Quant à la race des oiseaux qui a des plumes au lieu des poils, elle résultat d'une petite modification de ces hommes exempts de malice, mais légers, qui aiment beaucoup à parler des choses célestes, mais qui croient bonnement que c'est du témoignage des yeux qu'on peut tirer sur ces objets les preuves les plus infaillibles.
L'espèce des animaux qui marchent sur terre a été formée de ceux qui ne s'occupent pas du tout de philosophie, et qui ne considèrent jamais la nature céleste parce qu'ils n'ont plus l'usage des révolutions qui ont lieu dans la tête, mais qui s'abandonnent aux parties de l'âme établies dans la poitrine : ainsi, par suite de ces habitudes, ils ont les membres antérieurs et le chef penchés vers la terre, où les attire la ressemblance de leur nature, et ils ont la tête allongée de toutes sortes de formes, suivant la manière dont les cercles de l'âme ont été comprimés dans chacun d'entre eux, à cause du manque d'exercice. Voici d'après quel motif leur espèce reçu quatre pieds, ou d'avantage : c'est que Dieu donna un plus grand nombre de supports à ceux qui étaient plus stupides, afin qu'ils fussent plus attirés vers la terre.
Quant aux plus stupides même de ces derniers, à ceux qui étendaient tout-à-fait sur la terre tout leur corps, comme ils n'avaient aucun besoin de pieds, les dieux les produisirent privés de pieds et rampant sur la terre.
Le quatrième genre, qui vit dans les eaux, fut formé des hommes les plus dépourvus d'intelligence et les plus ignorants de tous, que les auteurs de cette transformation ne jugèrent pas même dignes de respirer un air pur, puisque, par leur négligence, leur âme entière était devenue impure ; c'est pourquoi au lieu d'un air pur et léger, ils leur ont donné à respirer un liquide bourbeux, en les reléguant dans les eaux. De là vient la race des poissons, des huîtres et des autres animaux aquatiques, qui, à cause de leur ignorance extrême, ont reçu la dernière demeure.
C'est donc d'après toute ces raisons que maintenant encore tous les animaux se transforment d'un espèce en une autre, suivant qu'ils perdent ou gagnent en intelligence ou en stupidité".
En quel animal Platon méritait-il d'être réincarné après avoir aussi maltraité ses compagnes et ses compagnons ?
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Voir aussi :