Avec les travaux de Hales, Black, Cavendish, Priestley, les propriétés de l'air fixe, notre actuel CO2, commencent à être entrevues. D'autres "airs" également révèlent leur existence.
Parmi ceux-ci il nous faut suivre la découverte de l'air qui est d'abord apparu comme le principe inverse de cet air "méphitique" qu'est l'air fixe : un "air" nécessaire à la vie, l'oxygène.
Par ailleurs, comment parler de dioxyde de carbone, CO2, sans parler de l'oxygène qui en représente 73% de la masse ? C'est au récit de cette naissance que nous invite ce chapitre.
Priestley (1733-1804), le phlogistique et l'air déphlogistiqué.
Nous avons noté la découverte par Priestley de l'air nitreux (monoxyde d'azote, NO) obtenu par action de l'eau forte (l'acide nitrique, HNO3) sur le cuivre.
Cet air, incolore, a la propriété de se colorer en rouge-orange quand il se mélange à l'air "ordinaire". Il a, de plus, celle de provoquer une diminution du volume de celui-ci. Priestley constate que la partie qui disparaît est celle qui est le plus utile aux organismes vivants, c'est notre oxygène.
Il fait de cette observation un moyen de contrôler la salubrité de l'air : pour un air dans lequel une bougie a brulé ou un animal a respiré, la diminution du volume est plus faible. Cette méthode deviendra classique. Elle sera utilisée avec succès par Jan Ingenhousz dans son étude sur la respiration des plantes afin de mesurer les quantités d'oxygène dégagées. Nous reparlerons de cette expérience.
Lavoisier, lui-même, s'appliquera à lui donner un support mathématique dans un mémoire présenté à l'Académie des sciences en décembre 1783. Il s'emploiera surtout à déterminer la nature de cette partie de l'air qui disparaît. On sait aujourd'hui que le gaz nitreux, monoxyde d'azote de formule NO, incolore, se combine à l'oxygène O2 pour donner le dioxyde d'azote rouge-orange NO2, sa découverte est donc une étape importante sur la voie qui mène à l'oxygène.
La détermination de la composition de l'air sera l'un des moments forts de l'œuvre de Lavoisier. Pourtant, parmi toutes les observations faites par Priestley, plusieurs auraient pu le mettre, le premier, sur la bonne piste. Ne serait-ce qu'en tirant le meilleur parti d'une expérience ancienne.
Voir le texte complet (pages 394).
Ou encore d'une élégante expérience sur la combustion des métaux.
" J'ai suspendu des morceaux de plomb et d'étain dans un volume donné d'air… En dirigeant sur eux le foyer d'un miroir ardent ou d'une lentille, de façon à les faire se consumer copieusement, j'observai une diminution de l'air. Dans le premier essai que j'ai réalisé, j'ai réduit quatre onces d'air jusqu'à trois, ce qui est la plus forte diminution de l'air commun que j'aie jamais observé auparavant".
Le mode opératoire est astucieux et sera imité. Le résultat, cependant, étonne l'observateur. Celui-ci est un partisan résolu de la théorie du phlogistique. Il faut donc que du phlogistique se soit dégagé du métal pendant sa combustion. Alors pourquoi cette diminution importante du volume d'air ?
Il imagine que le phlogistique a pour effet de rendre l'air moins élastique et donc de le faire se contracter. Ainsi le modèle sera sauf. Sa fidélité à la théorie de Stahl l'empêche de voir qu'une partie de l'air s'est combinée au métal. Le mérite en reviendra à d'autres. Obstacle "épistémologique", dressé dans l'esprit du chercheur, dirait Bachelard.
Il ne saura pas, non plus, exploiter une autre expérience pourtant bien plus révélatrice. Pour celle-ci, il utilise l'oxyde rouge du mercure, désigné comme précipité per se, dont on sait, depuis les alchimistes, que, fortement chauffé, il retourne au mercure initial. Il place cet oxyde rouge sous une cloche renversée sur une cuve à eau et le porte à une haute température au moyen d'une lentille concentrant les rayons du soleil. Comme prévu, le mercure métallique réapparaît mais, de plus, le volume d'air s'accroit.
Remarquable ! Dans ce nouvel air une chandelle ne s'éteint pas. Bien au contraire son éclat est plus vif. Un charbon dont un point est porté au rouge y brûle avec force étincelles. Priestley nomme "air très pur", cet air plus actif que l'air ordinaire avant de l'appeler air déphlogistiqué.
Son explication : Pour que la "chaux" rouge du mercure (mercure déphlogistiqué) redevienne métal, elle doit capter du phlogistique. C'est donc une fraction de l'air qui le lui procure. Cet air est alors devenu "négatif" en phlogistique : c'est de l'air déphlogistiqué.
Cet "air déphlogistiqué", comment favorise-t-il les combustions ? Ayant perdu son phlogistique il tend donc à en extraire, avec plus de vivacité que l'air ordinaire, des corps qui en sont riches, comme le charbon ou le suif d'une chandelle. Le résultat de ceci est de rendre leurs combustions plus vives.
Le volume de l'air augmente ? Il n'est pas interdit de penser que l'air "déphlogistiqué" est plus "élastique" que l'air ordinaire et occupe un plus grand volume à la pression ambiante.
Les explications ne manquent pas d'une certaine logique. Pourtant si, par cette expérience et cette observation, il peut prétendre partager le titre de "découvreur" de l'oxygène, la vraie nature de ce gaz lui échappe.
Ces mêmes expériences sur la combustion des métaux et sur la décomposition de l'oxyde de mercure, réinterprétées, mèneront Lavoisier sur la voie de la composition de l'air et de la compréhension du mécanisme des combustions et, en particulier, sur celle du carbone.
Lavoisier utilisera un montage analogue à celui de Priestley
Traité élémentaire de chimie. 1789.
Mais avant d'y arriver et afin de poursuivre le récit de cette "chasse aux airs", il nous faut quitter l'Angleterre pour la Suède où officie Karl-Wilhem Scheele.
Karl-Wilhelm Scheele ( 1742-1786) et l'air du feu.
Après avoir été apprenti apothicaire, Karl-Wilhelm Scheele se forme en autodidacte et devient pharmacien à Stockholm avant de rejoindre Uppsala où il suit un parcours universitaire sous la direction du chimiste Torben Olof Bergman avant d'être admis à l'Académie Royale des Sciences de Suède.
On lui attribue la découverte de nombreux acides, dont certains toxiques comme l'acide cyanhydrique, ou encore celle du chlore qu'il considère comme de l'acide marin (acide chlorhydrique) déphlogistiqué. La fréquentation de ces produits ayant probablement contribué à sa mort prématurée.
En 1777, il publie son "Traité chimique de l'air et du feu" dans lequel il fait part de sa découverte du nouvel "air" qui, décrit au même moment par Priestley, sera ensuite interprété par Lavoisier comme étant l'oxygène :
"L'examen de l'air a toujours été un des objets principaux de la Chimie : aussi ce fluide élastique est-il doué de tant de propriétés particulières, qu'il met ceux qui s'en occupent à portée de faire souvent des découvertes. Nous voyons que le Feu, ce produit si admirable de la chimie, ne saurait exister sans l'air. Pourrais-je m'être trompé en entreprenant de démontrer dans ce Traité, qui n'est qu'un Essai Chimique sur la doctrine du Feu, qu'il existe dans notre atmosphère un air que l'on doit regarder comme une partie constituante du Feu, en ce qu'il contribue matériellement à la flamme, & que, par rapport à cette propriété, j'ai nommé "Air de Feu" (Le terme allemand de Feuerluft sera généralement conservé par les chimistes européens). (Traité chimique de l'air et du feu, traduction, Paris 1781).
Plus précisément, explique-t-il, l'air serait composé de "deux espèces différentes l'une de l'autre : l'une s'appelle Air vicié, parce qu'il est absolument dangereux et mortel, soit pour les animaux, soit pour les végétaux et qu'il altère, en partie, toute la masse de l'air ; l'autre au contraire s'appelle Air pur ou Air de feu, parce qu'il est tout à fait salutaire, & qu'il entretient la respiration, conséquemment la circulation du sang."(Mémoires de l'Académie des Sciences de Stockholm - 1779).
Pour mesurer les proportions de ces deux airs, Scheele imagine un montage ingénieux :
Scheele, Mémoire de l'Académie des sciences de Stockholm, 1779.
"Je mis au fond du vase A un support formé d'un tuyau de verre fixé sur un petit piédestal de plomb ; l'extrémité supérieure du tuyau portait un petit plateau horizontal, sur lequel je plaçai le petit vaisseau C, rempli du mélange de limaille de fer et de soufre". (ce mélange, quand on l'humecte d'eau, était classiquement considéré comme capable de libérer une quantité importante de phlogistique. On sait, aujourd'hui qu'il est oxydé par l'oxygène de l'air)
"Je reversais sur le tout le verre cylindrique D, & je remplis d'eau le vaisseau A."
Progressivement l'eau monte dans le tube et se stabilise au bout de quelques heures. Le mélange de fer et de soufre prenant alors l'aspect d'une "chaux".
Comment expliquer la diminution du volume d'air enfermé dans les enceintes où se fait la réaction de combustion ? Priestley imaginait une contraction de l'air sous l'effet du phlogistique, Scheele propose une autre hypothèse : "la combinaison de l'air avec le phlogistique est un composé si subtil qu'il est susceptible de pénétrer les pores imperceptibles du verre et de se disperser en tous sens dans l'air" (Traité du Feu - 1777). Ou plus précisément " lorsque l'air pur rencontre une matière inflammable mise en liberté, il s'en approche, se sépare de l'air vicié, & disparaît, pour ainsi dire, à vue d'œil"(Mémoire de Chimie - 1779)
Le phlogistique échappé du métal aurait donc pour propriété de faire "disparaître" l'air pur ? A l'évidence, cette diminution de volume de l'air pose un sérieux problème !
L'expérience plusieurs fois répétée semble indiquer à Scheele que la proportion d'air de feu dans l'atmosphère est de 27%, légèrement supérieure, donc, à la valeur estimée actuellement pour l'oxygène (21%).
Après Priestley, Scheele peut donc prétendre au titre de découvreur de l'oxygène mais Lavoisier sera celui qui, après avoir osé combattre la théorie du phlogistique, saura donner une explication claire du phénomène de la combustion et nommer le gaz qui en est l'acteur principal.
Lavoisier (1743-1794). De l'air vital au principe oxygine et à l'oxygène.
Antoine Laurent de Lavoisier naît à Paris en 1743 dans une famille fortunée mais endeuillée par le décès de sa mère quand il a cinq ans. Entre 1754 et 1761 il fréquente le collège des Quatre Nations fondé par Mazarin où il reçoit une formation mathématique de l'abbé Lacaille, astronome, membre de l'Académie dont les "Leçons élémentaires de Mathématiques", plusieurs fois rééditées, formeront de nombreuses générations d'ingénieurs et de scientifiques. Il complète sa formation scientifique par de la physique, aux cours que l'abbé Nollet donne à l'école Royale du Génie de Mézières, par de la botanique au Jardin du Roy avec Bernard de Jussieu, de la chimie avec les conférences de Rouelle, de la minéralogie avec l'académicien Jean-Etienne Guettard qu'il accompagne pour une campagne d'étude de quatre mois dans les Vosges et qui est l'occasion de ses premiers pas en analyse chimique.
Formé à toutes les branches de la physique, il ne fera pas cependant profession de science. Diplômé en droit de l'Université de Paris, il achète, en 1768, année où il est élu à l'Académie des Sciences, une charge de "fermier général". Cette fonction consiste à percevoir des impôts indirects sur le commerce d'un certain nombre de marchandises ( sel, tabac, boissons… ) mais aussi les droits d'octroi à l'entrée des villes. Cette charge, fortement rémunératrice, lui permettra de créer le plus riche laboratoire de l'Europe scientifique et d'y recevoir tout ce qu'elle compte de savants. Elle sera aussi la cause de sa condamnation à mort par un tribunal révolutionnaire en 1794.
En 1775, il devient régisseur des poudres et salpêtres et s'installe à l'Arsenal, à Paris, où son laboratoire, équipé des appareils issus des meilleurs artisans du moment, devient le lieu où se forme une nouvelle génération de chimistes.
1774-1777 : L'air est un mélange de deux fluides.
Lavoisier qui se place dans la continuité des "chasseurs d'air" européens constate le peu d'intérêt pour le sujet en France.
"Un grand nombre de physiciens et de chimistes étrangers s'occupent dans ce moment de recherches sur la fixation de l'air dans les corps et sur les émanations élastiques qui s'en dégagent, soit pendant les combinaisons, soit par la décomposition et la résolution de leurs principes : des mémoires, des thèses, des dissertations de toute espèce, paraissent, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande ; les chimistes français seuls semblent ne prendre aucune part à cette importante question, et, tandis que les découvertes étrangères se multiplient chaque année, nos ouvrages modernes, les plus complets, à beaucoup d'égards, qui existent en chimie, gardent un silence presque absolu sur ce point."( Opuscules physiques et chimiques, 1774).
Souhaitant être le premier à rompre avec ce désintérêt, il reprend d'abord les expériences de Black sur l'air fixe et vérifie qu'il existe bien "dans les pierres et les terres calcaires un fluide élastique, une espèce d'air sous forme fixe".
C'est surtout dans la suite de son travail qu'il annonce son originalité avec des expériences sur "l'existence d'un fluide élastique fixé dans les chaux métalliques".
Je commençai, annonce-t-il "à soupçonner que l'air de l'atmosphère, ou un fluide élastique quelconque contenu dans l'air, était susceptible, dans un grand nombre de circonstances, de se fixer, de se combiner avec les métaux ; que c'était à l'addition de cette substance qu’étaient dus les phénomènes de la calcination, l'augmentation de poids des métaux convertis en chaux, et peut-être beaucoup d'autres phénomènes dont les physiciens n'avaient encore donné aucune explication satisfaisante."
En effet, parmi les questions restées sans réponse, "l'augmentation de poids des métaux convertis en chaux" est le principal problème que pose la théorie du phlogistique.
Rappelons le schéma décrivant la calcination des métaux dans la théorie de Stahl :
Calcination :
Métal -> chaux métallique (Métal déphlogistiqué) + phlogistique
Dans la logique de ce modèle, la transformation du métal en "'chaux" devrait donc s'accompagner d'une perte de masse, celle du phlogistique. Or, c'est l'inverse qui se passe et les alchimistes le savaient déjà !
De même la "réduction" d'une chaux en métal devrait s'accompagner de l'augmentation du poids du métal obtenu:
Réduction :
Chaux métallique (Métal déphlogistiqué) + Charbon (Phlogistique) -> Métal
Pourtant le métal est plus léger que la chaux.
Pour trancher la question, Lavoisier opère d'abord la réduction du minium (oxyde de plomb, rouge, Pb3O4) par le charbon sous une cloche renversée sur une cuve à mercure. Le mélange de poudre de minium et de charbon est "allumé" par les rayons solaires concentrés "au foyer du grand verre ardent de Tschirnhausen", lentille de grand diamètre, qui se trouve dans les jardins du Louvre.
Il observe à la fois le dégagement d'un "air" (le mot gaz ne fait pas encore partie de son vocabulaire) et l'apparition de gouttelettes de plomb fondu dont la masse est plus faible que celle de la chaux initiale !
Grande lentille du jardin du Louvre
Explication ? De cette expérience et d'autres qui l'accompagnent Lavoisier tire une conclusion qui rompt avec l'interprétation classique. La chaux serait la combinaison d'un métal avec "la partie fixe d'un fluide élastique qui a été dépouillé de son principe inflammable". Ce serait donc une partie de l'air et non le métal qui perdrait du phlogistique avant de se fixer sur celui-ci pour former une chaux.
Lors de la réduction de cette chaux métallique, le charbon aurait alors pour rôle de restituer du phlogistique, non pas au métal, mais "au fluide élastique fixé" qui l'avait perdu,
"et de lui restituer en même temps l'élasticité qui en dépend" et donc de lui rendre l'état "aériforme".
Chaux métallique + Charbon -> Métal + fluide élastique
(Métal+fluide élastique) + Phlogistique -> Métal
Nous noterons que, dans cette interprétation, Lavoisier ne rejette pas l'idée de phlogistique et qu'il est encore loin d'engager le fer avec les "phlogisticiens". Bien au contraire, à ce stade de sa réflexion, non seulement il ne combat pas le modèle du phlogistique, mais il l'enrichit !
Relevons cependant sa principale, et surtout nouvelle, contribution à l'explication du phénomène : une partie de l'air se fixe sur le métal pendant la combustion. Seule cette hypothèse peut expliquer l'augmentation du poids du métal devenu chaux métallique en même temps que la diminution du volume de l'air.
Et pour aller encore plus loin, cette partie de l'air, responsable des combustions, serait un fluide particulier :
"plusieurs circonstances sembleraient porter à croire que tout l'air que nous respirons n'est pas propre à se fixer pour entrer dans la combinaison des chaux métalliques, mais qu'il existe dans l'atmosphère un fluide élastique particulier qui se trouve mêlé avec l'air, et que c'est au moment où la quantité de ce fluide contenue sous la cloche est épuisée, que la calcination ne peut plus avoir lieu."
Nous arrivons en 1777. Les idées de Lavoisier sur la combustion se précisent. Le 21 mars, il présente à l'Académie des sciences un "Mémoire sur la combustion du phosphore de Kunckel" dans lequel il énonce clairement la proposition que l'air est composé de deux fluides aux propriétés bien différentes.
Toujours en utilisant une cloche retournée sur une cuve à mercure et un "verre ardent" il fait brûler un fragment de phosphore. Il observe :
- Que, au moment où la combustion s'achève, l'air "n’occupe plus que les quatre cinquièmes ou les cinq sixièmes, tout au plus, de l’espace qu’il occupait avant la combustion."
- Que l'air qui reste "n’est plus susceptible de servir à la respiration des animaux, d’entretenir la combustion ni l’inflammation des corps ; en un mot, il est absolument dans l’état de moufette, et, en conséquence, pour éviter de le confondre avec aucune autre espèce d’air, je le désignerai, dans ce mémoire et dans quelques autres que je publierai à la suite, sous le nom de moufette atmosphérique".
Cette fois, il est acquis pour Lavoisier, que l'air atmosphérique est le mélange de deux "fluides élastiques" : un "air éminemment respirable" et une "moufette" (ou mofette, de l'italien mofetta issu du latin mephitis, exhalaison nauséabonde) incapable d'entretenir la vie.
Lavoisier utilise encore le terme "d'air déphlogistiqué" employé par Priestley pour désigner l'air très pur ou éminemment respirable. Cette nouvelle proposition ne pouvait que convenir aux chasseurs d'air britanniques.
Mais ce n'était que partie remise.
1777. Le Phlogistique n'existe pas.
Dans un mémoire de la même année 1777 "Sur la combustion en général", le ton n'est plus à la conciliation. Les hostilités sont ouvertes par un texte sans concessions pour le phlogistique :
"Si l’on demande aux partisans de la doctrine de Stahl de prouver l’existence de la matière du feu dans les corps combustibles, ils tombent nécessairement dans un cercle vicieux, et sont obligés de répondre que les corps combustibles contiennent de la matière du feu parce qu’ils brûlent, et qu’ils brûlent parce qu’ils contiennent de la matière du feu ; or il est aisé de voir qu’en dernière analyse c’est expliquer la combustion par la combustion.
L’existence de la matière du feu, du phlogistique, dans les métaux, dans le soufre, etc. n’est donc réellement qu’une hypothèse, une supposition, qui, une fois admise, explique, il est vrai, quelques-uns des phénomènes de la calcination et de la combustion ; mais, si je fais voir que ces mêmes phénomènes peuvent s’expliquer d’une manière tout aussi naturelle dans l’hypothèse opposée, c’est-à-dire sans supposer qu’il existe de matière du feu ni de phlogistique dans les matières appelées combustibles, le système de Stahl se trouvera ébranlé jusque dans ses fondements."
Ce premier mémoire est développé dans un second présenté le 5 septembre 1777 sous le titre "Considérations générales sur la nature des acides et sur les principes dont ils sont composés".
Ce nouveau mémoire recèle une surprenante rupture. Alors que la "chasse aux airs" s'est, jusqu'à présent, focalisée sur les réactions de combustion et de réduction des métaux, Lavoisier concentre sa nouvelle offensive sur la formation des acides, qui deviennent, de façon subite et inattendue, le centre de sa nouvelle théorie.
Quand l'air vital devient "air acidifiant" : le principe oxygine.
"J’ai déjà fait part à l’Académie de mes premiers essais sur ce sujet : je lui ai démontré, dans de précédents mémoires, autant toutefois qu’il est possible de démontrer en physique et en chimie, que l’air le plus pur, celui auquel M. Priestley a donné le nom d’air déphlogistiqué, entrait, comme partie constituante, dans la composition de plusieurs acides, et notamment de l’acide phosphorique, de l’acide vitriolique et de l’acide nitreux.
Des expériences plus multipliées me mettent aujourd’hui dans le cas de généraliser ces conséquences, et d’avancer que l’air le plus pur, l’air éminemment respirable, est le principe constitutif de l’acidité : que ce principe est commun à tous les acides, et qu’il entre ensuite dans la composition de chacun d’eux un ou plusieurs autres principes qui les différencient et qui les constituent plutôt tel acide que tel autre.
D’après ces vérités, que je regarde déjà comme très-solidement établies, je désignerai dorénavant l’air déphlogistiqué ou air éminemment respirable dans l’état de combinaison et de fixité, par le nom de principe acidifiant, ou, si l’on aime mieux la même signification sous un mot grec, par celui de principe oxygine, cette dénomination sauvera les périphrases, mettra plus de rigueur dans ma manière de m’exprimer, et évitera les équivoques dans lesquelles on serait exposé à tomber sans cesse, si je me servais du mot d’air."
Un mot grec, oxygine, "principe des acides", vient donc chasser un autre mot grec, phlogistique, "matière du feu". Il faudra encore quelques étapes avant que ce "principe oxygine" devienne "gaz oxygène".
C'est donc à une nouvelle chimie que Lavoisier invite les chimistes, ses contemporains. Il leur reste, dit-il "le champ le plus vaste à parcourir" car "il existe une partie de la chimie toute nouvelle et entièrement inconnue jusqu’à ce jour, et qui ne sera complète que lorsqu’on sera parvenu à déterminer le degré d’affinité de ce principe (l'oxygine) avec toutes les substances avec lesquelles il est susceptible de se combiner, et à connaître les différentes espèces de composés qui en résultent."
Quand naît l'oxygène.
En l'année 1787 est présentée à l'Académie des Sciences la Méthode de Nomenclature chimique présentée par Guyton de Morveau, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy. Leur choix : construire cette nomenclature autour du gaz jusqu'à présent qualifié d'air vital ou principe oxygine. Et d'abord lui donner son nom définitif.
"nous avons satisfait à ces conditions, déclarait Guyton de Morveau dans sa présentation, en adoptant l'expression oxygène, en la tirant, comme M. Lavoisier l'a dès longtemps proposé, du grec οξνς, acide & γείυομαι, j'engendre, à cause de la propriété bien constante de ce principe, base de l'air vital, de porter un grand nombre de substances avec lesquelles il s'unit à l'état d'acide, ou plutôt parce qu'il paraît être un principe nécessaire à l'acidité. Nous dirons donc que l'air vital est le gaz oxygène, que l'oxygène s'unit au soufre, au phosphore pendant la combustion, aux métaux pendant la calcination, etc. Ce langage sera tout à la fois clair et exact. "
Notons cette date : 2 mai 1787. Pour la première fois le mot oxygène vient d'être prononcé dans l'enceinte prestigieuse de l'Académie Royale des Sciences et avec lui, le même jour, les mots oxyde, carbone, carbonique, carbonate…