Au moment de Johannesburg il était facile à Jacques Chirac de se faire valoir comme le défenseur du climat face à son premier ministre de cohabitation. Alors que lui même avait réussi à attirer comme conseiller Nicolas Hulot, qui faisait ainsi ses débuts dans la cour des princes, Lionel Jospin avait choisi à un poste clé, celui de ministre de l'éducation nationale, le plus virulent des climato-sceptiques, son ami de jeunesse, Claude Allègre. Il ne pouvait pourtant pas ignorer quel loup il introduisait alors dans sa bergerie ministérielle. En 1995, l'année du deuxième rapport du GIEC et du traité de Kyoto, celui-ci écrivait, dans Le Point, une chronique intitulée "Fausse alerte". Pour lui, l'effet de serre était tout simplement un danger imaginaire inventé par des lobbies. Pourtant le personnage tient une place de choix dans l'entourage de Lionel Jospin.
L'écologie sous surveillance.
Quand, après sa victoire aux législatives, il invite Dominique Voynet à le rencontrer pour lui proposer le ministère de l'environnement, il est accompagné de son directeur de cabinet Olivier Schrameck mais aussi de Claude Allègre l'adversaire déclaré de tout ce qui peut ressembler à de l'écologie. Le message est clair : la ministre est sous surveillance.
Inutile donc de trouver une sensibilisation à la défense de l'environnement dans les programmes scolaires sous le ministère Allègre. Impossible, par contre, d'oublier son agressivité vis à vis des enseignants avec pour résultat de remobiliser un milieu passablement anesthésié par le retour de la gauche au pouvoir. Une mobilisation qui obligera Lionel Jospin à le remplacer par Jack Lang afin d'appliquer aux enseignants une cure de câlinothérapie.
La parole libérée de l'ami de trente ans.
De son expérience ministérielle, Claude Allègre aura quand même retenu le fait que ses provocations répétées lui attiraient une publicité médiatique dont il éprouvait un évidente jouissance. Sa plus belle réussite aura été son fameux "il faut dégraisser le mammouth", visant le service de l'éducation nationale. Il retiendra la leçon dans sa campagne contre ce qu'il qualifiera "d'imposture climatique". Quel meilleur moyen de faire la joie des médias que de qualifier Nicolas Hulot "d'imbécile" et de "nul complet" ou encore de qualifier le Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat, le Giec, de "système mafieux". Ces saillies tournant en boucle dans les médias lui ont valu d'être l'invité régulier des plateaux de télévision. Les journalistes ne manquant pas à chaque occasion de rappeler sa qualité d'ancien ministre de Jospin.
L'écologie version Jospin-Fabius.
Mais oublions Allègre pour retrouver Jospin. L'écologie est une notion qui lui est totalement étrangère. Cependant, gauche plurielle oblige, il a choisi la Verte Dominique Voynet comme ministre de l'écologie. Par ailleurs le sujet est à l'ordre du jour international avec les conférences de Kyoto et de La Haye. Il ne peut pas faire l'impasse. Le 19 janvier 2000 il tient donc une conférence de presse pour présenter les grandes lignes de son programme. Pas de lyrisme ici. Pas de grande tirade sur les catastrophes à venir. Pas de petite phrase à livrer en pâture aux médias. En introduction, il ne peut manquer cependant de faire valoir le "rôle éminent" de la France dans la lutte contre l'effet de serre. Ajoutant que "dès 1992, notre pays a joué un rôle décisif qui a toujours été inspiré par la préoccupation des conséquences du réchauffement de la terre". 1992 ? La date n'est pas anodine. Elle nous ramène à l'ère Mitterrand. La ministre de l'écologie du gouvernement Beregovoy était alors Ségolène Royal. En clair : on n'a pas attendu Chirac ni les Verts pour agir.
Encore une fois le cocorico national se doit d'être au rendez-vous. Mon plan, déclare-t-il, est caractérisé "par la réaffirmation d'une forte volonté politique, qui devrait placer pour les prochaines années notre pays parmi les plus "responsables" face aux nouveaux risques qui menacent les grands équilibres écologiques". Et d'énoncer :
- Une politique des transports donnant la priorité au rail.
- Un alignement progressif de la taxation du gazole sur celle de l'essence.
- Une "TGPA énergie", c'est à dire une écotaxe entrant dans le cadre de de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes qui jusqu'à présent ne concerne pas les émissions de gaz à effet de serre.
Bilan ? La mesure phare était l'écotaxe. Elle faisait partie des engagements signés entre les Verts et le PS. Deux projets : la taxe sur le diesel et la taxe CO2. La première rétablirait une égalité entre diesel et essence. Elle s'appliquerait aux particuliers mais aussi aux poids lourds. Son produit servirait à développer les transports en commun et les modes de transports propres. La deuxième serait proportionnelle à la consommation d'énergie à base de pétrole, de charbon, de gaz, par les entreprises et les particuliers.
C'était compter sans Fabius. Le ministre des finances de Lionel Jospin, le même qui se fera gloire de sceller par son coup de marteau la COP21 à Paris, ne veut pas entendre parler de fiscalité écologique. Pas question de s'attaquer au diesel, pas touche au charbon ou au gaz qui pour le moment ne sont pas taxés. Pas question de nuire aux grosses entreprises grosses consommatrices d'énergie. Pas question non plus de s'attaquer aux vieux dogmes : "nous avons veillé à ce que la baisse significative des émissions de carbone ne compromette pas la poursuite d'une croissance forte", avait annoncé Jospin dans sa déclaration de janvier 2020.
Protestation des écologistes mais les élections présidentielles approchent. En juillet 2001 Lionel Jospin tranche. Pour l'écotaxe c'est déjà réglé. Fabius s'était employé à accumuler les arguments contre. Il n'y en aura pas. Quant à la taxe sur le diesel, oublions !
Quand viendra le jour des élections, nombreuses seront les électrices et nombreux les électeurs qui s'en souviendront.