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18 décembre 2023 1 18 /12 /décembre /2023 13:14

Platon (-428 ; -358), figure majeure de la philosophie antique, a choisi de mettre en scène sa pensée au travers de dialogues. Dans celui désigné sous le titre de Timée, il met en scène quatre personnages :  Socrate, Critias, Timée et Hermocrate. "L’intelligence est le partage des dieux, et, parmi les hommes, d’un bien petit nombre" déclare-t-il. A l’évidence ces quatre personnages font partie des heureux élus. En particulier Timée qu’il présente comme "citoyen de la république très policée de Locres en Italie, ne le cédant pour la fortune et la naissance à aucun de ses concitoyens" et plus encore ayant "été revêtu des plus hautes dignités de sa patrie" et étant parvenu "au point le plus élevé de la philosophie".


 

Écoutons donc Timée.

 

Rompant avec l'anarchie des anciens dieux réfugiés sur l'Olympe, il nous instruit d’abord de l’existence d’un Dieu unique auteur et père de de l’Univers. Quelle est sa nature ? "C’est une grande affaire que de le découvrir, dit-il, et après l’avoir découvert, il est impossible de le faire connaître à tous". Certainement ne chercherons-nous pas à faire partie des heureux élus appelés à cette connaissance, tant de brillants cerveaux s’étant employés, au fil des siècles, à décrypter le message de Timée. Retenons que ce Dieu de Platon, règne d'abord sur l'Univers des Idées inaccessibles à la pensée commune et dont le monde matériel ne révèle qu'une faible illustration. 

 

Dieu, donc, a créé le monde réel à partir des quatre briques élémentaires annoncées par Empédocle. Mais, nous prévient Platon, quand "Dieu entreprit d’organiser l’univers, le feu, l’eau, la terre et l’air offraient bien déjà quelques traces de leur propre forme,mais étaient pourtant dans l’état où doit être un objet duquel Dieu est absent. Les trouvant donc dans cet état naturel, la première chose qu’il fit, ce fut de les distinguer par les formes et les nombres".

 

Un dieu géomètre et mathématicien.

 

Le dieu de Platon est celui que nous avait déjà annoncé Pythagore. Il est géomètre et mathématicien. La légende veut que, au fronton l'Académie, l'école qu'il avait créée à Athènes, Platon ait fait inscrire la phrase " Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre".  Ce Dieu affectionnerait particulièrement les nombres et les figures géométriques.  Parmi celles-ci, le nombre 3 et le triangle qui sont, par ailleurs, des symboles forts dans de nombreuses cultures et religions. La beauté étant, avec le bonté, la caractéristique de Dieu, Parmi ces triangles Platon en désigne deux comme les plus beaux.

 

Le premier est le triangle rectangle isocèle. Angle droit, deux côté égaux, c’est aussi la figure d'un carré, autre belle figure, divisé par sa diagonale. Quant à l’autre : "nous jugeons que parmi cette multitude de triangles il y a une espèce plus belle que toutes les autres, et pour laquelle nous les laissons toutes de côté, savoir celle dont deux forment un troisième triangle qui est équilatéral". Le triangle équilatéral, avec ses trois côtés et ses trois angles égaux est certainement l’une des figures de triangle les plus remarquables. Divisé en deux par une de ses hauteurs, il se présente sous forme de deux triangles rectangles dont le grand côté, l'hypoténuse, est le double du plus petit des côtés de l'angle droit. C’est à ce triangle rectangle particulier et au triangle équilatéral que Platon attribue la beauté suprême.

 

Pourquoi ce choix ? "c’est ce qui serait trop long à dire" avoue Platon par la voix de Timée "mais si quelqu’un découvre et démontre que cette espèce n’a pas la supériorité, il peut compter sur une récompense amicale". Le pari a-t-il été relevé ? Quelqu'un a-t-il osé contester la suprême beauté d’un triangle rectangle isocèle ou celle d’un triangle équilatéral ? Pour Platon la cause est entendue : c’est à partir de ces belles figures que Dieu ne pouvait manquer de structurer le monde.

 

Un corps c'est d'abord un volume. Quels beaux volumes la géométrie nous offre-t-elle ? Pythagore,ses disciples et ses successeurs, ont déjà exploré ce territoire et fait connaître les polyèdres réguliers, c’est à dire ces volumes dont toutes les faces sont identiques. Ils sont au nombre de cinq.

 

Ce sont des triangles équilatéraux qui servent à construire les trois premiers. Le plus simple, le tétraèdre, est une pyramide à quatre faces. Vient ensuite l’octaèdre à huit faces puis l’icosaèdre à vingt faces.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

Viennent ensuite le cube à six faces carrées et le dodécaèdres à douze faces pentagonales.

 

 

 

De ces solides, nous dit Timée, "celui qui a le moins grand nombre de bases doit nécessairement être le plus mobile, le plus tranchant et le plus aigu de tous et aussi le plus léger", c’est donc la forme du feu. Le second sera celle de l’air et le troisième celle de l’eau. En quatrième position vient le cube, ou hexaèdre, aux six bases carrées. "Donnons à la terre la figure cubique", propose Platon. "En effet, des quatre genres la terre est la plus stable, de tous les corps c’est le plus facile à modeler, et tel devait être nécessairement celui qui a les bases les plus sûres


 

Ainsi se présentent les quatre éléments qui constituent l'ensemble des corps. Pour répondre à qui prétendrait ne pas avoir observé ces différentes formes dans la nature, Il faut "se représenter tous ces corps comme tellement petits que chacune des parties de chaque genre, par sa petitesse,échappe à nos yeux, mais qu’en réunissant un grand nombre, leur masse devient visible" ajoute Timée/Platon.

 

Tout se transforme.

 

Il imagine aussi une transmutation possible entre ces différents corps. Ainsi, "lorsque le feu est renfermé dans de l’air, de l’eau ou de la terre, mais en petite quantité relativement à la masse qui le contient, si, entraîné par le mouvement de ces corps et vaincu malgré sa résistance, il se trouve rompu en morceaux, deux corps de feu peuvent se réunir en un seul corps d’air". L’arithmétique est respectée : les huit triangles équilatéraux issus des deux tétraèdres de feu peuvent se convertir en un octaèdre d’air. De même "si l’air est vaincu et brisé en petits fragments, de deux corps et demi d’air un corps entier d’eau peut être formé". Chacun peut vérifier que le compte en terme de triangles équilatéraux est respecté.

Il n'est pas interdit d'en sourire, même si l’observation du changement d’état des corps, l’eau s’évaporant et devenant "air" sous l’effet de le chaleur (du feu) puis se condensant à nouveau en eau pouvait s’accorder à une telle proposition. Soyons indulgents, notre science contemporaine, elle même, s’accorde parfois avec des images tout aussi osées qui feront sourire les générations à venir.

Comment ne pas sourire ensuite en lisant le discours sur la nourriture. Se nourrir, pour Platon, se résume en un conflit entre "triangles". Ceux de l'aliment et ceux du corps qui les absorbe. De l'issue de ce combat résulte la jeunesse ou la vieillesse et finalement la mort. "Quand la constitution de l'animal est récente encore, les triangles qui, venus du dehors se trouvent compris dans la masse du corps lui-même, sont vaincus et divisés par ces triangles neufs que le corps lui impose, et l'animal grandit, parce qu'il se nourrit de beaucoup de triangles semblables.

Mais quand la pointe de ces triangles s'émousse à cause de ces nombreux combats qu'ils ont soutenus pendant longtemps contre de nombreux triangles, ils ne peuvent plus diviser ceux de la nourriture qui entre et se les assimiler, tandis qu'eux-mêmes sont facilement divisés par ceux qui viennent du dehors. Alors l'animal vaincu dépérit tout entier et cet état se nomme la vieillesse.

Enfin, lorsque les liens qui unissent ensemble les triangles de la moelle, distendus par la fatigue, ne peuvent plus résister, ils laissent échapper à leur tour les liens de l'âme, et celle-ci, rendue à sa liberté naturelle, s'envole avec joie".

 

Platon géomètre ? La géométrie n'est-elle pas plus simplement pour lui le support d'un délire poétique ?

 

La cinquième essence.

 

Reste un cinquième polyèdre régulier, le dodécaèdre. Il a des propriétés mathématiques plus riches. Il comporte 12 faces comme le nombre des signes du zodiaque. Chacune étant un pentagone régulier, figure particulièrement symbolique avec sa variante, l’étoile à cinq branches.

 

 

Il est facile, au moyen d’une règle et d’un compas de construire un triangle équilatéral, un carré, un hexagone, un octogone. Tracer un pentagone régulier pose un tout autre problème et n’est à la portée que d’habiles géomètres. Disons, sans développer davantage, qu’il fait intervenir des rapports entre longueurs de segments laissant apparaître le "nombre d’Or", le nombre, supposé divin, tardivement attribué aux philosophes et bâtisseurs des temps antiques soit (1+51/2)/2 = 1,618... .

 

Le dodécaèdre est donc à lui seul un condensé de rapports magiques. Platon lui confie un rôle à la hauteur de ce statut : "il restait une seule et dernière combinaison, dieu s’en est servi pour tracer le plan de l’Univers". Derrière cette formule ambiguë certains voudront trouver l’esprit pensant, la force vitale, l’énergie motrice ou tout autre concept illustrant l’animation de la matière. On en fera aussi le symbole de la cinquième essence, la "quinte-essence" (quintessence), la substance qui, désignée encore sous le nom "d’éther", était supposée occuper l’univers des étoiles. Cet "éther", lumineux, électrique et même quantique, qui reviendra de façon cyclique dans le vocabulaire des physiciens quand il leur faudra, comme au temps des premiers philosophes, nommer l’inexplicable.

 

L’Héritage.

 

Même s’il n’ont rien apporté au développement des sciences de la matière, l’image des polyèdres de Platon aura durablement inscrit la théorie des quatre éléments dans la pensée occidentale. Leur "beauté" a particulièrement inspiré les artistes de la Renaissance, tel Léonard de Vinci. Le mystérieux dodécaèdre a, par ailleurs, été régulièrement soumis à une foule de doctrines ésotériques.

 

Le dodécaèdre de Léonard de Vinci.


 

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