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18 décembre 2023 1 18 /12 /décembre /2023 13:53

 


 

Aristote (-384 ; -322) est un personnage qu'on ne peut évoquer en quelques lignesRetenons simplement qu'il a été le disciple de Platon à l’Académie et le précepteur de Alexandre le Grand. Avoir eu un tel maître et un tel élève indique assez sa position dans la société de son temps.

Il expose ses idées sur les propriétés de la matière dans son traité "de la Génération et de la corruption".

 

Des quatre éléments aux quatre qualités :


 

Bien que considérant, comme ses prédécesseurs, Empédocle et Platon, qu'il existe quatre éléments fondamentaux, il critique la façon dont ils les conçoivent. Rechercher les principes des corps, affirme-t-il, c’est rechercher ceux qui sont sensibles aux sens. Et parmi ceux-ci seul le toucher peut parvenir à une bonne information. Qu’apprenons nous en touchant un corps ? Les sensations que nous recevons se décrivent toujours, dit-il, par des oppositions. Ce corps est-il "chaud ou froid, sec ou humide, lourd ou léger, dur ou mou, visqueux ou friable, rugueux ou lisse, épais ou fin" ?

 

De tous ces couples, Aristote demande de ne retenir que le chaud et le froid ainsi que l’humide et le sec car, dit-il, "les autres oppositions dérivent de ces premiers contraires". Il est évident pour lui que "le visqueux relève de l’humide, puisque le visqueux est une sorte de liquide ayant subi une certaine action, comme par exemple l’huile. Mais le friable relève du sec, puisqu’il est complètement sec, au point que sa rigidité peut être considérée comme un effet du manque d’humidité". De même le mou relève de l’humide et le dur du sec. Aussi conclut-il : "Il est donc évident que toutes les autres différences peuvent être ramenées aux quatre premières qui, elles, cependant, ne peuvent pas être réduites à un plus petit nombre car le chaud n’est pas la même chose que l’humide et le sec, ni l’humide la même chose que le chaud ou le froid, pas plus que le froid et le sec ne sont subordonnés ni entre eux ni au chaud ou à l’humide. Il n’y a donc nécessairement que ces quatre différences premières".


 

Ainsi décrète Aristote. Et il ajoute que six couples de ces qualités premières sont possibles  mais qu'on ne peut en retenir que quatre car, dit-il, "Comme il y a quatre éléments, et que les combinaisons possibles entre quatre termes sont au nombre de six ; comme, cependant, les contraires ne peuvent pas être combinés entre eux, le chaud et le froid, le sec et l’humide ne pouvant se confondre en une même chose, il est évident qu’il n’y aura que quatre combinaisons d’éléments, à savoir celle du chaud et du sec, du chaud et de l’humide, du froid et de l’humide, de froid et du sec.  Ceci est une conséquence logique de l’existence des corps qui apparaissent simples, le feu, l’air, l’eau et la terre. Le feu, en effet, est chaud et sec, l’air est chaud et humide, étant une sorte de vapeur, l’eau est froide et humide, le terre est froide et sèche".


 

 

La "croix" d’Aristote rencontrera un succès durable.


 

 

Le modèle pourra même être enrichi de la dualité masculin/féminin. Ainsi le feu, sec, chaud, sera le caractère masculin, tandis que l'eau, humide, froide, sera féminine.


 

"Il faut dire maintenant de quelle manière s’opère la transformation réciproque et s’il est possible que tout corps simple naisse de tout corps simple, ou si cela est possible pour certains corps et impossible pour d’autres. " poursuit Aristote.


 

Tout se transforme.


 

Et il ajoute qu'il considère comme "évident qu’en général tout élément peut être engendré naturellement de tout élément, et il n’est pas difficile désormais d'observer comment le phénomène a lieu pour chaque élément particulier. Tous viennent en effet de tous". Illustration : « Ainsi le feu se transformera en air par le changement de l’une des deux différences. L’un est en effet chaud et sec, l’autre chaud et humide, de façon qu’il suffit que le sec soit dominé par l’humide pour qu’il y ait de l’air. L’air à son tour se transformera en eau quand le chaud est dominé par le froid, puisque l’un est chaud et humide et l’autre froid et humide, de telle sorte qu’il suffit que le chaud change pour qu’il y ait de l’eau. De la même manière l’eau peut se transformer en terre et la terre en feu, car les deux couples d’éléments ont des rapports réciproques. L’eau est en effet froide et humide, la terre froide et sèche, de façon qu’il suffit que l’humide soit dominé par le sec pour qu’il y ait de la terre. D’autre part le feu étant sec et chaud, la terre froide et sèche, si le froid est détruit, de la terre viendra du feu » .

 

 

Si les polyèdres de Platon qui, comme nos modernes "mécanos" ou légos", se démontent et se recombinent en d’autres figures, peuvent prêter à sourire, les éléments d'Aristote semblent décrire une réalité observable. Chauffer de l’eau, c’est à dire y faire agir la chaleur du feu, ne donne-t-il pas de l’air (la vapeur d’eau invisible dont on voit les bulles rejoindre l'atmosphère). La chauffer encore et le "sec" du feu fera apparaître de la terre (le dépôt solide qu’on ne manquera pas de trouver à la fin de l’opération dans le vase ayant contenu le liquide). Nous verrons que le modèle traversera les siècles et qu’il a fallu Lavoisier, plus de deux millénaires plus tard, pour prouver que l’eau ne peut pas se transformer ni en air, ni en terre.


 

Un modèle d'une grande puissance évocatrice.


 

Pendant près de vingt siècles, ce modèle restera effectivement en vigueur dans le monde occidental. Il faut reconnaître qu'il présente une force évocatrice indéniable. Comment "théoriser" le simple travail d'un potier ? Il utilise la terre : celle, d'abord, dont il construit son four. Celle, ensuite, qu'il sait choisir pour en faire naître des objets utilitaires ou rituels. Il la combine à l'eau afin d'en obtenir une pâte à la consistance idéale. Il sait faire agir le feu et doser l'air du soufflet. Il connaît le rôle exact de chacun des éléments ainsi que la manière de les utiliser.


 

Le verrier, le métallurgiste, à des variantes près, procèdent de même. En 1556, L'Allemand Georg Bauer, dit Agricola, publie sous le titre De re metallica le premier ouvrage d'importance sur le travail du métallurgiste. Décrivant l'art de la fusion, il se réfère explicitement à la théorie classique :

"Cela est la manière de procéder fondeurs qui excellent à maîtriser les quatre éléments. Ils ne jettent pas dans le fourneau, plus qu'il ne convient, de minerai mêlé de terre ; ils versent de l'eau chaque fois qu'il en faut ; ils règlent avec justesse le souffle des soufflets ; ils placent le minerai dans le feu, à l'endroit où il brûle bien."


 

 

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