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24 juillet 2014 4 24 /07 /juillet /2014 16:50

La Nomenclature.

Un manifeste pour une révolution chimique.

 

Influent à l'Académie des sciences, Lavoisier (1743-1794) a su attirer autour de lui des collaborateurs efficaces et enthousiastes qui soutiennent sa théorie.

 

Le groupe des "chimistes français".

 

Antoine-François Fourcroy (1755-1809) est le fils d'un apothicaire peu fortuné. Après des études de médecine, il s'oriente vers la chimie et remplace Macquer comme lecteur de chimie au Jardin du Roi, là même ou Rouelle avait enseigné. Soutenu par Lavoisier, il entre à l'Académie des sciences en 1787.

 

Claude Louis Berthollet (1748-1822) est né dans le Duché de Savoie. Il suit des cours de médecine à Turin et exerce comme médecin à Paris auprès du duc d'Orléans. Dans le même temps il suit les cours de chimie de Rouelle, à Paris. Il entre à l'Académie des sciences en 1780.

 

Jean Henri Hassenfratz (1755-1827), est né à Paris où il exerce d'abord le métier de charpentier. Autodidacte, il fréquente le milieu scientifique parisien et suit les cours du mathématicien Gaspard Monge. Il fait partie de la première promotion de l'Ecole des Mines. A partir de 1783 il fréquente le laboratoire de Lavoisier, qu'il aide dans ses manipulations. Il y reçoit une solide formation de chimiste.

 

Pierre Auguste Adet (1763-1834), né à Nevers, médecin, est, comme Hassenfratz un des collaborateurs de Lavoisier à son laboratoire de l'arsenal.

 

C'est ce groupe, réuni autour de Lavoisier, qui accueille Guyton de Morveau quand il vient à Paris en février 1787 avec son projet de nomenclature déjà bien avancé. Avec lui, ils rédigent la nouvelle "Méthode de Nomenclature Chimique" présentée à l'assemblée publique de l'Académie des Sciences du 17 avril 1787.

 

Le premier mémoire "sur la nécessité de réformer et de perfectionner la nomenclature de la chimie" est lu par Lavoisier, mais c'est Guyton de Morveau, l'ancien phlogisticien, qui est chargé d'annoncer la mort du phlogistique dans le second mémoire "sur le développement des principes de la nomenclature méthodique" qu'il lit le 2 mai 1787 devant la même assemblée.

 

La Nomenclature de Guyton de Morveau revisitée par Lavoisier.

 

Souvenons-nous que Guyton de Morveau, peu de temps auparavant, affirmait, au sujet de Lavoisier : "nous sommes bien éloignés d'adopter en entier l'explication dans laquelle ce savant Chymiste croit pouvoir se passer absolument du Phlogistique". Quelle pouvait être son sentiment au moment où il présentait le vocabulaire rédigé suivant les principes antiphlogistique de celui-ci et qu'il avait si longtemps combattus ? A l'entendre, il pouvait sembler évident qu'il s'était rendu sans conditions et que les chimistes parisiens avaient réalisé une conversion éclair !

 

Il n'oublie pas, cependant, de revendiquer l'initiative de ce travail : "Lorsque je publiai en 1782 un essai de la nomenclature de la chimie, je ne me serais pas attendu que le faible mérite d'avoir senti la nécessité d'y mettre plus d'ensemble & de vérité me procurât un jour l'avantage de m'en occuper avec quelques-uns des membres de l'Académie, d'être chargé par eux de lui en présenter le tableau, & de pouvoir réclamer l'attention favorable qu'elle est dans l'habitude de leur accorder".

 

Si c'est bien à lui qu'on a confié la charge de présenter cette nouvelle Nomenclature, nous avons vu que l'honneur fait par les brillants Académiciens à leur collègue provincial avait un prix : l'abandon du phlogistique et la promotion du principe oxygine.

 

Lavoisier : du passé faire table rase.

 

Dans le mémoire qu'il présente en introduction et qui précède celui présenté par Guyton de Morveau, Lavoisier encense d'abord son collègue : "aucun chimiste n'avait conçu un plan d'une aussi vaste étendue que celui dont M. de Morveau a présenté le tableau en 1782".

 

Cependant, précise-t-il, dans cet ouvrage "destiné à porter, en quelque façon, la parole, au nom des chimistes français, & dans un ouvrage national," son auteur "ne s'était pas dissimulé qu'il ne suffisait pas de créer une langue, qu'il fallût encore qu'elle soit adoptée."

 

Même si, à nouveau, Lavoisier salue la "modestie" qu'à eu Guyton de Morveau, "de solliciter, non les suffrages, mais les objections de tous ceux qui cultivaient la chimie", il note bien que le rapport de forces penchait du côté des académiciens. Pour un "ouvrage national", il était inconcevable de se passer de l'accord des membres de l'Académie Royale des Sciences et en particulier de ne pas tenir compte de leurs "objections".

 

"Pour s'affermir dans sa démarche, déclare Lavoisier, M. de Morveau a désiré de s'appuyer des conseils de quelques-uns des chimistes de l'Académie : il a fait cette année un voyage à Paris dans ce dessein ; il a offert le sacrifice de ses propres idées, de son propre travail : & l'amour de la propriété littéraire a cédé chez lui à l'amour de la science."

 

Il s'agissait bien, en effet, d'un sacrifice. Était-il offert sans regrets ? Il est possible d'en douter, le groupe des chimistes académiques, oubliant toute recherche de consensus, n'ayant eu comme premier soucis que de faire table rase du passé :

 

"Dans les conférences qui se sont établies, nous avons cherché à nous pénétrer tous du même esprit ; nous avons oublié ce qui avait été fait, ce que nous avions fait nous-mêmes, pour ne voir que ce qu'il y avait à faire".

 

Guyton de Morveau doit donc oublier, et faire oublier, son apport initial au moment où il s'exprime, à son tour, en cette séance du 2 mai 1787, pour présenter la nouvelle nomenclature.

 

Les cinq premiers principes et la naissance de l'oxygène, de l'hydrogène et de l'azote.

 

Les nomenclateurs ont divisé les substances en cinq classes : les "principes" qui résistent à l'analyse, les radicaux des acides, les métaux, les terres, les alcalis.

 

La première classe comprend cinq "principes". Les deux premiers sont la lumière et le calorique (la chaleur). Etant émis ou absorbés dans les réactions chimiques, ces deux éléments sont donc considérés comme de véritables éléments chimiques.

 

Les trois suivants sont les trois gaz que leur histoire a, jusqu'à présent, baptisés des noms d'air déphlogistiqué, d'air phlogistiqué et d'air inflammable.

 

Quand l'air déphlogistiqué devient gaz oxygène.

 

Le nom "d'air déphlogistiqué", déclare le Guyton de Morveau, reposait sur une simple hypothèse : oublions-la ! Au mieux peut-on, dit-il, continuer à parler "d'air vital" à chaque fois "que l'on aura à indiquer simplement la portion de l'air atmosphérique qui entretient la respiration et la combustion". Mais cette dénomination ne pouvait suffire pour un corps, que non seulement on trouvait à l'état de gaz dans l'air, mais qui entrait également dans la composition de nombreux corps. Il fallait donc un nom nouveau pour cette substance :

 

" la logique de la nomenclature exigeait même qu'elle fût la première nommée, pour que le mot qui en rappellerait l'idée devînt le type des dénominations de ses composés"

 

Il ne s'agissait donc pas uniquement de nommer ce nouveau corps mais de tout organiser autour de cette figure symbolique de la théorie de Lavoisier.

 

"nous avons satisfait à ces conditions en adoptant l'expression oxygène, en la tirant, comme M. Lavoisier l'a dès longtemps proposé, du grec οξνς, acide & γείυομαι, j'engendre, à cause de la propriété bien constante de ce principe, base de l'air vital, de porter un grand nombre de substances avec lesquelles il s'unit à l'état d'acide, ou plutôt parce qu'il paraît être un principe nécessaire à l'acidité. Nous dirons donc que l'air vital est le gaz oxygène, que l'oxygène s'unit au soufre, au phosphore pendant la combustion, aux métaux pendant la calcination, etc. Ce langage sera tout à la fois clair et exact. "

 

Notons cette date : 2 mai 1787. Pour la première fois le mot oxygène vient d'être prononcé dans l'enceinte prestigieuse de l'Académie Royale des Sciences !

 

Les deux autres gaz sont nommés à leur tour.

 

Quand le gaz inflammable devient hydrogène :

 

"il est le seul qui produise de l'eau par sa combinaison avec l'oxygène… nous l'avons appelé hydrogène, c'est-à-dire engendrant l'eau".

 

Quand l'air phlogistiqué devient azote :

 

"M. Berthollet a prouvé qu'il existait dans l'alcali volatil & dans les substances animales ; il est probable que les alcalis fixes le contiennent aussi : on aurait pu d'après cela le nommer alcaligène, comme M. de Fourcroy l'a proposé".

 

Faisant remarquer que ce corps intervient également dans la composition d'acides, Guyton de Morveau considère ce nom comme inadapté.

 

"Dans ces circonstances nous n'avons pas cru pouvoir mieux faire que de nous arrêter à cette autre propriété de l'air phlogistiqué, qu'il manifeste si sensiblement, de ne pas entretenir la vie des animaux, d'être réellement non vital… et nous l'avons nommé azote, de l'α privatif des Grecs & de ζωή vie. Il ne sera pas difficile après cela d'entendre et de retenir que l'air est un composé de gaz oxygène & de gaz azotique".

 

Oxygène, hydrogène, azote… nous entrons de pleins pieds dans la chimie moderne. Et ceci, avec une langue qui est celle des chimistes français.

 

L'oxygène, les acides, les sels et la langue française.

 

L'oxygène étant considéré comme le principe des acides, c'est en se combinant avec certaines "bases acidifiables" qu'il produit les acides (le mot "base" étant ici associé aux acides alors que ultérieurement on l'utilisera pour les alcalis)

 

Les "bases acidifiables" connues des auteurs de la nomenclature sont au nombre de quatre : le soufre, le phosphore, l'azote et le charbon.

 

Mais… problème… la même base peut donner plusieurs acides différents en fonction de la quantité d'oxygène qui lui est associée. La combinaison du soufre et de l'oxygène peut, par exemple, donner deux acides différents.

 

Fort heureusement, nous l'avons déjà signalé, le français est une langue riche en suffixes. Un individu peut être "bilieux" ou "mélancolique", "nerveux" ou "phlegmatique". Il est même possible de choisir entre "coléreux" et "colérique". Ces suffixes "eux" et "ique" désigneront tous les acides dont l'oxygène sera un des composants tout en les distinguant en fonction de la proportion de cet élément dans leur composition.

 

Soufre, sulfurique, sulfureux, sulfate, sulfite, sulfure :

 

Premier exemple : le soufre. Cinq suffixes décrivent avec précision les acides et sels qui en sont issus.

 

- "L'acide sulfurique exprimera le soufre saturé d'oxygène autant qu'il peut l'être ; c'est-à-dire ce qu'on appelait acide vitriolique."

 

- "L'acide sulfureux exprimera le soufre uni à une moindre quantité d'oxygène ; c'est-à-dire ce qu'on nommait acide vitriolique sulfureux volatil ou acide vitriolique phlogistiqué."

 

Pour parler en termes contemporains : l'acide sulfureux, (H2SO3), moins riche en oxygène, résulte de la dissolution dans l'eau (H2O) du dioxyde de soufre (SO2), tandis que l'acide sulfurique (H2SO4), provient de celle du trioxyde de soufre (SO3).

 

Les sels eux-mêmes issus de ces acides seront distingués. On formera, pour l'usage de la chimie, les suffixes "ate" et "ite" pour désigner les sels oxygénés formés à partir de ces acides. Avec le soufre, à nouveau :

 

- "Sulfate sera le nom générique de tous les sels formés de l'acide sulfurique.

 

- Sulfite sera le nom des sels formés de l'acide sulfureux"

 

Ainsi, l'action de la soude, sur l'acide sulfureux donnera le sulfite de sodium (Na2SO3). Avec l'acide sulfurique on obtiendra le sulfate de sodium (Na2SO4).

 

Le suffixe "ure" que l'on trouve par exemple dans "dorure" sera utilisé pour des sels dont la composition ne comprend pas d'oxygène :

 

- "Sulfure annoncera toutes les combinaisons du soufre non porté à l'état acide, et remplacera ainsi d'une manière uniforme les noms impropres et peu concordants de foie de soufre, d'hépar, de pyrite, etc., etc."

 

"Sulfure de fer" désigne donc clairement un corps composé uniquement de soufre et de fer.

 

Le phosphore, comme le soufre, donnera des acides phosphoriques et phosphoreux, des phosphates, phosphites et phosphures.

 

L'azote révèle une hésitation de la part des nomenclateurs français. Le "nitre" ou "salpêtre" est un élément essentiel à la fabrication des poudres de guerre dont Lavoisier a la responsabilité. L'installation de "salpêtrières" sera une de ses principales préoccupations. Le nitre est également le produit de base qui permet d'obtenir l'acide nitrique (l'eau forte des anciens) et le gaz acide nitreux découvert par Priestley.

 

Or l'azote est le constituant principal du nitre et des acides nitrique et nitreux, faut-il rebaptiser ces corps dont le nom est largement admis par la communauté scientifique ? Les nomenclateurs s'y refuseront. Ils déclineront les composés de l'Azote en nitrique, nitreux, nitrate, nitrite, nitrure. Notons que les chimistes français du 19ème siècle seront plus radicaux que leurs prédécesseurs et feront preuve d'un patriotisme cocardier, caractéristique de leur époque, en utilisant azotique, azoteux, azotate pour les composés de l'Azote qu'ils représenteront par le symbole Az.

 

Mais une langue n'est jamais figée et il viendra peut-être un jour où, en France, les programmes scolaires remplaceront le nom de l'Azote par celui Nitrogène, en accord avec le nom des acides et sels issus de cet élément et avec son symbole N.

 

Remarquons aussi qu'il a pu être reproché à Lavoisier et ses amis la proximité du mot Azote avec celui de l'Azoth des alchimistes, nom mystérieux popularisé par l'alchimiste Basile Valentin et parfois considéré comme celui de la matière primordiale du "grand œuvre". De l'Azoth à l'Azote… un psychanalyste des sciences y trouverait peut-être matière à réflexion.

 

Le charbon pose un nouveau problème. Soufre, phosphore, azote désignent des corps que l'on peut obtenir dans un état de pureté satisfaisant. Par contre, la combustion du charbon laisse des cendres. Les nomenclateurs proposent d'appeler "carbone" l'élément qui, dans le charbon, se lie à l'oxygène lors de sa combustion.

 

Carbone… La chimie s'enrichit d'un nouveau terme devenu, lui aussi, d'une extrême banalité dans notre vocabulaire quotidien. Il en découlera les termes de carbonique, carbonate, carbure.

 

L'acide muriatique reste une inconnue. C'est l'acide extrait du sel marin (du latin muria, saumure). Celui que les alchimistes appelaient "esprit de sel". Pour le moment, les chimistes ignorent sa base, dont on saura plus tard qu'il s'agit du Chlore et que cet acide n'est pas un composé de l'oxygène. L'acide conservera donc ce nom d'acide muriatique et donnera des sels désignés par le terme de muriates, nos actuels chlorures.

 

Même problème pour les acides organiques, leur "base" est inconnue : on les désignera, comme le faisaient les anciens alchimistes, par des noms, latinisés, indiquant leur provenance. Ainsi naîtront l'acide acétique issu du vinaigre, l'acide benzoïque extrait du benjoin (résine intervenant dans l'encens), l'acide gallique extrait des galles du Sumac (plante riche en tanin), l'acide tartrique extrait du tartre des raisins, l'acide pyroligneux obtenu par distillation du bois, l'acide oxalique extrait de l'oseille…

 

Beaucoup de ces noms ont été conservés dans le vocabulaire contemporain. Il est, en effet, plus commode de prononcer "acide gallique" que de lui donner son nom homologué par l'UICPA (Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée) : Acide 3,4,5-trihydroxybenzoïque. Même si ce dernier nom a pour avantage d'indiquer exactement comment est construite sa molécule.

 

 

 

Les métaux et leur longue histoire.

 

 

Concernant les métaux, les nomenclateurs sont prudents :

 

"On s'attend bien que nous n'avons pas cherché à changer les noms des métaux, surtout de ceux qui, plus anciennement connus, plus fréquemment employés dans les arts & dans la vie civile, appartiennent encore plus à la langue vulgaire qu'à la langue des chimistes".

 

Nous n'en sommes plus aux sept métaux des alchimistes. La liste a été complétée par des découvertes récentes : ils sont maintenant au nombre de dix sept. Ce choix rend inévitablement difficile tout accord international. Latiniser les noms pourrait être la solution. C'est ce que proposent les réformateurs.

 

Ainsi le "Fer" des français et le "Iron" des anglais deviendrait le "Ferrum" de la nouvelle nomenclature. Si "Ferrum" n'est pas entré dans le vocabulaire, ni chimique, ni vulgaire, Fe est devenu le symbole international du fer, même pour les chimistes Britanniques, Allemands ou Russes. Nous verrons comment les propositions d'un chimiste suédois relayant les propositions des chimistes français ont permis la mise en place de ce symbolisme international.

 

Pour autant l'origine des premiers métaux est trop ancienne pour qu'on les prive du nom issu de leur histoire. Pour le plaisir de l'anecdote et pour rompre un peu avec le sérieux de ce récit, autorisons-nous un détour par l'histoire du Cobalt.

 

Quand le nom d'un métal rappelle une vieille légende.

 

Le Cobalt est un métal extrêmement recherché dont le minerai provient essentiellement de mines africaines. Pourtant son nom est lié à une vieille légende nordique.

 

Le chimiste suédois Georg Brandt (1694-1768) l'a extrait du Kobolt. Le nom de ce minerai est d'abord celui d'un lutin germanique qui nous ramène aux premiers temps de la métallurgie.

 

Nous avons déjà évoqué Agricola et "De Re Metallica", son traité des mines et de la métallurgie publié en 1556 qui est une référence pour tout ce qui concerne les méthodes de cette industrie à la fin de l'époque médiévale. Il consacre un dernier chapitre de son livre aux "Êtres vivant sous terre". On y trouve d'abord des animaux, lézards, crapauds et autres gluants, mais aussi des "êtres qui ont un esprit" ! La plupart sont malfaisants, tel celui, nous dit Agricola, qui a tué par son souffle "plus de 12 ouvriers dans une mine appelée Rosaire", à Annaberg, en Autriche. Mais gardons-nous d'effrayer les mineurs :

 

"Il existe aussi", nous dit Agricola, "de bons esprits, que l'on appelle kobolds en Allemagne, ainsi que chez les Grecs, car ils imitent les hommes : ils rient d'une franche gaieté et font comme s'ils entreprenaient maintes choses, alors qu'en fait ils ne font rien. Ils ont l'aspect de lutins et n'ont que trois empans de long. Ils ont l'air de vieillards et sont vêtus comme des mineurs, c'est-à-dire d'une blouse et d'un tabler de cuir qui tombe sur les cuisses. Habituellement ils ne font aucun mal aux mineurs, mais ils vagabondent à travers les puits et galeries. Et bien qu'en fait ils ne fassent rien, ils font comme s'ils voulaient s'exercer à toutes sortes de travaux : ils creusent des souterrains, remplissent des récipients de la terre qu'ils ont creusée et tournent le treuil d'extraction. Parfois, ils taquinent les ouvriers avec des grains d'or, mais ils ne font du mal que très rarement. Ils ne blessent personne, à condition que l'on ne se moque pas d'eux ou qu'on ne les irrite pas par des grossièretés.

 

On rapporte que certains peuples, et notamment les Scandinaves, en ont qui leur rendent des services. Les esprits des mines préfèrent travailler dans les mines d'où l'on extrait des métaux ou dans lesquelles il y a espoir d'en trouver. C'est pourquoi les mineurs ne sont pas effrayés par leur présence, mais les considèrent comme de bon augure ; le cœur joyeux, ils continuent à travailler d'autant plus courageusement."

 

En ces premiers temps de la Renaissance, on pouvait donc être à la fois un philosophe de la nature de grande renommée et attester de la réalité des lutins et autres korrigans.

 

Les nouveaux métaux, eux-mêmes, peuvent nous raconter une histoire.

 

Après 1800 : le temps des métaux en "ium".

 

1800 : découverte de la pile électrique par Volta. Il ne faudra que quelques années pour que Humphry Davy et les chimistes britanniques, fasse apparaître, par électrolyse, le calcium, le potassium, le sodium, le baryum, le strontium. La latinisation qui avait déjà été préconisée par les auteurs du 18ème siècle est devenue la règle au 19ème.

 

Ce choix permettra, lui aussi, toutes les fantaisies. Si "aluminium" est sagement déduit de alumine, composant essentiel de l'alun utilisé depuis l'antiquité par les tanneurs, Polonium sera le nom choisi par Marie Curie, en l'honneur de son pays, la Pologne, pour nommer le corps radioactif qu'elle venait de découvrir. Son exemple n'est pas isolé. Ainsi sont nés l'Américium, l'Europium, le Scandium.

 

Cette façon de nommer donne lieu, parfois, à un étonnant nationalisme chimique. C'est ainsi que les chimistes français ont réussi à imposer le Francium, élément 87, à la place de Moldavium proposé par le couple de chimistes franco-roumains qui revendiquait la priorité de sa découverte. C'est ainsi, également, que le chimiste allemand Clemens Winkler a appelé Germanium le métal, qu'il venait d'isoler en 1886, en réponse au nom de Gallium donné par le chimiste français Paul-Emile Lecoq de Boisbaudran au corps qu'il avait découvert. Ce faisant, il se trompait d'objectif car ce dernier avait choisi de faire allusion, non pas à la Gaule (gallia), mais au coq (gallus) dont il portait le nom.

 

Abandonnant ce nationalisme dérisoire, les chimistes américains qui ont découvert, en 1944, le corps de numéro atomique 96 lui ont donné le nom de Curium en hommage à Pierre et Marie Curie. La méthode a eu du succès. Le Mendélévium sera découvert et baptisé en 1955 avec le numéro atomique 101. Le Copernicium, élément 112, vient d'être officiellement reconnu en février 2010. On connaît encore le Einsteinium, le Fermium, le Rutherfordium…

 

Pour voyager dans l'histoire de la chimie, avec ses légendes et ses personnages célèbres, il suffit de parcourir le tableau périodique des éléments.

 

 

Les acides et les oxydes.

 

Mais revenons à notre nomenclature et à ses auteurs. Si l'oxygène est le principe des acides, on se souvient que c'est aussi le corps qui se combine aux métaux pour former des "chaux métalliques". Or, celles-ci, sauf exception, ne présentent pas de caractère acide "Nous avons donc dû chercher une expression nouvelle, & pour la rendre conséquente à nos principes, nous avons formé le mot oxyde, qui annonce suffisamment que cette combinaison de l'oxygène ne doit pas être confondue avec la combinaison acide, quoiqu'elle s'en approche à plusieurs égards."

 

Ainsi donc naissent les oxydes.

 

Les terres.

 

On ne parle plus de l'élément "Terre" mais les chimistes ont conservé le nom de "terre" pour cinq corps insolubles dans l'eau et qui, donc, constituent les roches et les sols. Ces terres qui intéressent l'agriculteur, le potier, le verrier, le métallurgiste, doivent être clairement identifiables par le commun de ces artisans. Ces terres sont au nombre de cinq.

 

La silice sera l'élément essentiel de la "terre vitrifiable", du silex, du quartz.
L'alumine provient de l'alun composant de l'argile. L'alun du commerce prendra le nom de "sulfate d'alumine".
La chaux sera le nom de la terre présente dans le marbre, la craie, le spath.
La baryte désignera la "terre pesante" du grec βαρύς (pesanteur).
La magnésie sera la cinquième terre.
Mais ces terres sont-elles des éléments indécomposables ? Dans son "Traité élémentaire de Chimie" (1789, p 194/195) Lavoisier exprimera ses doutes :
"Il est à présumer que les terres cesseront bientôt d'être comptées au nombre des substances simples ; elles sont les seules de toute cette classe qui n'aient point de tendance à s'unir à l'oxygène, et je suis bien porté à croire que cette indifférence pour l'oxygène, s'il m'est permis de me servir de cette expression, tient à ce qu'elles en sont saturées. Les terres, dans cette manière de voir, seraient des substances simples, peut-être des oxydes métalliques, oxygénées jusqu'à un certain point."
Il faudra encore quelques dizaines d'années pour le vérifier et pour isoler, à partir des oxydes qui constituent ces terres, le silicium (1823), l'aluminium (1827), le calcium (1808), le baryum (1808), le magnésium (1808).
Ainsi, aucun des quatre "Eléments", ni le feu, ni l'air, ni l'eau, ni même la terre, n'échappe à l'oxygène !

 

 

Les alcalis.

 

Alcali correspond à ce que, aujourd'hui, nous désignons par base. Le mot vient de l'arabe "al kali" et désigne les plantes, généralement marines, dont les cendres sont un produit recherché. Ce sont des corps qui, contrairement aux terres, sont solubles dans l'eau et que l'on reconnaît par la couleur bleue qu'ils donnent à la "liqueur de tournesol". Pour les trois alcalis connus Bergman avait proposé potassium, natrum, ammoniacum. Les nomenclateurs retiennent potasse, soude et ammoniaque.
La potasse tire son nom de l'allemand "Pottasche" (cendre de pot). C'est en effet des cendres des végétaux terrestres qu'est extrait cet alcali. Ces cendres contiennent le métal que les Français continuent d'appeler Potassium, alors que les Allemands eux-mêmes ont adopté le nom de la nomenclature internationale : Kalium (issu de l'arabe al Kali et de symbole K).
Le mot soude vient de l'arabe suwwad et désigne les plantes marines, comme la salicorne, dont les cendres sont utiles aux verriers. Le mot natrum qui avait été choisi par Bergman rappelle le natron extrait des lacs égyptiens du même nom. Il annonce le mot natrium de la nomenclature internationale dont le symbole Na représente le métal que les Français persistent à appeler sodium.
Le nom de l'ammoniaque provient de celui du "sel ammoniac" (chlorure d'ammonium), extrait initialement des cendres d'excréments animaux, en particulier de ceux des dromadaires, dans les pays du sud de la Méditerranée qui en faisaient le commerce pour le traitement des laines et les teintures. Son étymologie est incertaine. Cet alkali pourrait tirer son nom du dieu égyptien Amon ou encore du nom de l'oasis d'Ammon située dans le désert de Lybie qui aurait été un centre pour le marché de ce produit.
Derrière la nomenclature : une méthode.
En même temps que sa présentation à l'Académie des Sciences, l'ensemble des travaux des réformateurs furent publiés dans une "Méthode de Nomenclature Chimique".
L'ordre des auteurs cités, Guyton de Morveau, Lavoisier, Berthollet, Fourcroy, est symptomatique de l'audience recherchée.
La première place attribuée à Guyton de Morveau est, certes, une reconnaissance de son rôle initiateur mais elle a aussi l'intérêt d'attirer l'attention des chimistes anglais, allemands et suédois qui le tiennent en haute estime. Lavoisier vient en deuxième position. Berthollet n'a rien rédigé mais sa notoriété le place en troisième position. Fourcroy a été un participant actif par le "tableau de nomenclature" qui illustre l'ouvrage et qu'il commente. Hassenfratz et Adet ne sont cités qu'en annexe. Leur proposition de "nouveaux caractères à employer en chimie" très marquée par les symboles alchimiques, n'aura pas beaucoup de succès.
Revenons sur le titre. Même s'il cherche à imposer une nomenclature, l'ouvrage est présenté d'abord comme une méthode. C'est cette méthode que présente Lavoisier dans le Mémoire qui lui sert d'introduction, et dans lequel il réussit à n'utiliser ni le mot de phlogistique ni celui d'oxygène, laissant le soin à Guyton-de-Morveau de faire disparaître le premier et naître le second.
Cependant ses adversaires ne s'y trompent pas, c'est Lavoisier qui sera leur cible principale.

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Sur le même sujet voir :

 

Guyton de Morveau. L'initiateur de la nomenclature chimique.

 

L'offensive anti-nomenclature.

 

bibliographie

 

 

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On peut lire aussi :

 

Suivre le parcours de l’oxygène depuis les grimoires des alchimistes jusqu’aux laboratoires des chimistes, avant qu’il n’investisse notre environnement quotidien.

 

Aujourd’hui, les formules chimiques O2, H2O, CO2,… se sont échappées des traités de chimie et des livres scolaires pour se mêler au vocabulaire de notre quotidien. Parmi eux, l’oxygène, à la fois symbole de vie et nouvel élixir de jouvence, a résolument quitté les laboratoires des chimistes pour devenir source d’inspiration poétique, picturale, musicale et objet de nouveaux mythes.

 

À travers cette histoire de l’oxygène, foisonnante de récits qui se côtoient, s’opposent et se mêlent, l’auteur présente une chimie avant les formules et les équations, et montre qu’elle n’est pas seulement affaire de laboratoires et d’industrie, mais élément à part entière de la culture humaine.

 

feuilleter les premières pages

 

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voir aussi :

 

 

 

 

Un livre chez Vuibert.

 

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Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…, coupable : le dioxyde de carbone. Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.

 

L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone
et celle du CO2.

 

L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une
chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole. Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.

 

Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
 

Seront-ils entendus ?

 

Feuilleter les premières pages.

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