Suivre le parcours de l’oxygène depuis les grimoires des alchimistes jusqu’aux laboratoires des chimistes, avant qu’il n’investisse notre environnement quotidien.
Aujourd’hui, les formules chimiques O2, H2O, CO2,… se sont échappées des traités de chimie et des livres scolaires pour se mêler au vocabulaire de notre quotidien. Parmi eux, l’oxygène, à la fois symbole de vie et nouvel élixir de jouvence, a résolument quitté les laboratoires des chimistes pour devenir source d’inspiration poétique, picturale, musicale et objet de nouveaux mythes.
À travers cette histoire de l’oxygène, foisonnante de récits qui se côtoient, s’opposent et se mêlent, l’auteur présente une chimie avant les formules et les équations, et montre qu’elle n’est pas seulement affaire de laboratoires et d’industrie, mais élément à part entière de la culture humaine.
Ainsi l’ouvrage propose de de suivre le parcours de l’oxygène, depuis les grimoires des alchimistes jusqu’aux laboratoires des chimistes, avant qu’il n’investisse notre environnement quotidien.
La chimie n’est pas uniquement affaire de formules et d’équations. Cette histoire, qui nous mènera de l’Extrême-Orient à l’Europe en passant par l’Égypte, est foisonnante de récits qui s’y côtoient, s’y opposent et s’y fusionnent.
Au temps des alchimistes et de leurs hermétiques grimoires, ce savoir sentait le soufre. Il dégageait encore les mêmes effluves associés aux mêmes mystères dans les laboratoires des chimistes des XVIIIe et XIXe siècles, leurs successeurs.
Aujourd’hui, les formules H²O et CO² se sont échappées des laboratoires et des livres scolaires pour se mêler au vocabulaire du quotidien. Frapper « H²O » sur un moteur de recherche internet, c’est se voir proposer trente millions de liens qui vont d’une société de nettoyage à une adresse de discothèque, en passant par un fabricant de parapluies ou un groupe musical américain de punk-hardcore.
Parler de CO² dans notre début de XXIe siècle gaspilleur d’énergies fossiles, c’est désigner l’ennemi n° 1 de notre climat, en oubliant parfois que c’est aussi l’aliment nécessaire aux plantes et à la vie animale.
Ces formules, devenues banales, sont - nous le verrons - l’aboutissement d’une histoire ancienne et mouvementée.
Chacun de la centaine d’éléments chimiques qui composent le tableau périodique pourrait donner lieu à un récit. Nous avons choisi de parler de l’oxygène, le nouvel élixir qui a résolument quitté le laboratoire du chimiste pour devenir le symbole de la vie. Celle du corps, mais aussi celle de l’esprit.
Ce récit sera, dans le même temps, l’occasion de tracer, à grands traits, une histoire de la chimie, à laquelle notre personnage central servira de fil conducteur.
Avec les philosophes grecs du Ve siècle avant notre ère - Empédocle, puis Platon et Aristote -, nous rencontrerons les quatre éléments - l’air, l’eau, le feu et la terre -, qui sont toujours très présents dans notre inconscient collectif. Ce récit nous mènera, ensuite, dans les laboratoires des alchimistes et ce jusqu’au XVIIe siècle, avec les recettes de l’un des derniers d’entre eux, l’Allemand Johann Rudolph Glauber.
Plus tard, nous rencontrerons ceux qui se sont affichés comme étant les premiers véritables chimistes, les Stahl, Macquer, Priestley, Cavendish... avant d’arriver à la « révolution lavoisienne ». Au fil de leurs découvertes, les quatre éléments des philosophes sembleront alors définitivement anéantis, mais, naissant de leurs cendres, sortira un nouveau Phénix : l’Oxygène.
L’Oxygène, conçu par Lavoisier comme le pilier d’une science académique capable, par sa rigueur, de rivaliser avec la physique et les mathématiques. Une science se voulant dépouillée de toute la magie des chimies précédentes.
L’Oxygène qui, cependant, échappera à son créateur et deviendra source d’inspiration poétique, picturale, musicale, et même objet de nouveaux mythes.
La chimie est parfois perçue comme menaçante. Elle peut l’être, elle l’est souvent. Pouvoir et savoir ne font pas toujours bon ménage. Tout au long de cette « histoire de l’oxygène », nous souhaitons évoquer cette chimie qui cherche d’abord à interroger la Nature. Une chimie qui n’est pas seulement affaire de laboratoires et d’industrie, mais élément, à part entière, de la culture humaine.
Voir aussi sur le site Culture Sciences Chimie :
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Empédocle (490-435 av JC)
Platon (428-348 av JC)
Aristote (384-322 av JC)
Un modèle d'une grande puissance évocatrice
Des quatre éléments aux quatre humeurs
Les quatre éléments un modèle durable
Le temps des alchimistes.
Le creuset d'Alexandrie
Le feu et l'Athanor, "fourneau des Philosophes"
De la "manière de distiller"
La chasse aux "esprits" acides
Bains-marie, cornues, retortes, alambics,
pélicans et autres cucurbites
Le soufre, le mercure, le sel des philosophes et la transmutation des métaux.
Le soufre, le mercure et le sel des philosophes
Le soufre
Le mercure
Le sel
Les symboles
Au moment de quitter l'alchimie
Georg Ernst Stahl (1659-1734), de l'élément Feu jusqu'au Phlogistique.
Le sel, le mercure, le soufre, de l'alchimie à la chimie.
Du "principe sulfureux" au "principe inflammable" : le Phlogistique L'importance de l'expérience des métallurgistes
Un modèle diffusé par les chimistes français
Jean-Baptiste Van Helmont (1577-1644) et le Gas sylvestre
Stephen Hales (1677-1761) et l'air "amphibie"
Joseph Black (1728-1799) et l'air fixe.
Henry Cavendish (1731-1810) de l'air fixe à l'air inflammable
Joseph Priestley (1733-1804), air nitreux, air déphlogistiqué et autres airs Karl-Wilhelm Scheele (1742-1786) et l'air du feu
1774-1777 : chasseur d'airs et phlogisticien
L'air est le mélange de deux "fluides élastiques"
1777. Le Phlogistique n'existe pas.
Quand l'air vital devient "air acidifiant" : le principe oxygine
Lavoisier. De l'offensive antiphlogistique aux trois états de la matière.
Le phlogistique n'existe pas mais la chaleur existe. Laplace et Lavoisier l'ont mesurée
La matière dans ses trois états
L'eau n'est pas un élément. Lavoisier le prouve.
L'eau n'est pas un élément. Sa synthèse
L'eau n'est pas un élément. Sa décomposition
Les quatre éléments ont vécu
Perfectionner la langue des chimistes pour perfectionner la chimie. Guyton de Morveau (1737-1816), l'initiateur.
Guyton de Morveau pour une chimie européenne
L'intervention des chimistes français
Le groupe des "chimistes français"
La nomenclature de Guyton de Morveau revisitée par Lavoisier
Lavoisier : du passé faire table rase.
Les cinq premiers principes et la naissance de l'oxygène,
de l'hydrogène et de l'azote.
.Quand l'air déphlogistiqué devient gaz oxygène.
.Quand le gaz inflammable devient hydrogène
.Quand l'air phlogistiqué devient azote
L'oxygène, les acides, les sels et la langue française
.Soufre, sulfurique, sulfureux, sulfate, sulfite, sulfure
.Le Phosphore
.Le Carbone
Les métaux et leur longue histoire
.Quand le nom d'un métal rappelle une vieille légende
.Après 1800 : le temps des métaux en "ium"
Les acides et les oxydes
Les terres
Les alcalis
Derrière la Nomenclature une méthode
Lavoisier, la chimie et les langues
Une réception "nuancée" de la part des académiciens français
Des mots durs, barbares, qui choquent l'oreille
La guerre contre l'oxygène est déclarée
Oubliez ces carbonates, ces carbures…
La nomenclature se défend
La victoire de l'Oxygène
La naissance du courant continu : la pile de Volta.
La pile, l'eau, l'oxygène et l'hydrogène
Davy (1778-1829), la pile, la chimie, l'oxygène et la course
aux nouveaux éléments.
Quand l'oxygène et l'hydrogène mesurent le courant électrique
Oxygène : L'atome, la molécule et l'ion.
L'atome
De l'atome à la molécule. Quand l'eau devient H2O et le gaz oxygène O2 Comme l'oxygène, l'atome doit s'imposer
J.J Thomson et l'électron
La structure de l'atome de Thomson à Rutherford
L' électronégativité absolue de l'oxygène
L'Oxygène base des masses atomiques Nomenclature : le chef-d'œuvre français revu par le "génie" suédois. Symboles et équations chimiques
Le tableau de Mendeleïev
En classe avec Mendeleïev
Au Japon, le tableau de Mendeleïev à l'école maternelle
La chimie est-elle une science française ?
L'oxygène, le mal nommé
L'hydrogène, le vrai générateur d'acides Des oxydations sans oxygène
Dialogue imaginaire
Oxygène, oxydation… les mots se sont émancipés
Oxygène, Hydrogène, Carbone, Azote. Les quatre nouveaux éléments de la vie.
Lavoisier et le début d'une chimie organique
Une "loi" ou un "principe" ?
Lavoisier, Séguin et la chimie de la vie.
Du fonctionnement du corps humain à celui de la société, ou de l'oxygène à la révolution
A la base des être vivants : le carbone
L'Azote, bien ou mal nommé ?
L'Azote générateur de vie
L'apparition des éléments
Naissance de la Planète bleue
Quand s'assemblent les molécules du vivant
De Lavoisier à Jean-Michel Jarre
Voyage en Oxygénie
Peur de la chimie ?
Besoin d'oxygène ?
Par Gérard Borvon
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Science et magie semblent deux adversaires irréconciliables. A y regarder de près ils peuvent aussi s’alimenter l’un et l’autre.
Quoi de plus "magique" que la découverte des "lois" auxquelles semblent répondre les phénomènes "naturels" ?
C’est, aussi parfois, l’observation et l’analyse de pratiques "magiques" qui aboutit à des découvertes scientifiques.
La magie, à son tour, se colore du vocabulaire et du prestige de la science pour renforcer et étendre son territoire.
Ce va-et-vient est particulièrement visible dans le domaine de l’électricité et du magnétisme. Nous essaierons de le mettre en lumière à différents moments du développement de ces sciences.
Premier exemple : l’ambre.
L’Ambre, matière mythique de la Grèce antique, a été traditionnellement associée à Thalès (625-547 av JC), grec de la ville de Milet. A la fois physicien, astronome et géomètre, il est souvent désigné comme le premier électricien, voire même le premier "magnétiseur". C’est par Aristote et Hippias que nous apprenons qu’il " communiquait la vie" aux choses inanimées au moyen de l’ambre jaune désigné sous le terme grec « ήlectron », êlektron et de la "pierre de magnésie" ( μαγνήτις λιθος), l’aimant naturel.
Communiquer la vie aux êtres inanimés…dès sa naissance l’électricité, le magnétisme, s’entourent de mystère. Nous parlerons ici de l’ambre.
Un rapide coup d’œil sur un dictionnaire contemporain nous apprend que l’ambre est une " résine dure et cassante, dont la couleur varie du jaune pâle au rouge et dont on fait des colliers, des articles pour fumeurs, etc.… ". La photographie qui accompagne ce texte nous montre un insecte prisonnier d’une pierre blonde à la transparence de cristal.
L’ambre nous vient du froid.
Depuis des millénaires, les habitants des côtes de la Baltique recueillent ce don précieux de la mer, déposé sur le sable après chaque tempête. Son origine est-elle marine ou terrestre ? Depuis l’antiquité jusqu’à la fin du 18ème siècle, de longues controverses se succèdent avant qu’il soit admis que l’ambre est une résine fossilisée.
Il y a 40 à 50 millions d’années, dans une période que les géologues désignent par le nom d’Eocène, un climat tropical régnait sur l’Europe et la Scandinavie. Les pins producteurs de la résine, source de l’ambre, poussaient au milieu de palmiers dattiers, de séquoias, de thuyas, de cyprès, de cèdres et de la plupart des feuillus que nous trouvons encore dans nos contrées : chênes, hêtres, châtaigniers. Des nuées de moustiques, de mouches, de guêpes emplissaient l’air de leurs bourdonnements. Les fourmis, les scarabées, les scorpions grouillaient sous la mousse. Tout ce petit peuple venait s’engluer dans la résine encore fraîche. Au printemps, les magnolias et les rhododendrons fleurissaient au-dessus des tapis de genévriers et, même, de théiers qui poussaient là où le sol n’était pas inondé. L’eau, en effet, était partout présente. C’est elle qui a protégé la résine d’une oxydation qui l’aurait détruite. Cette eau alimentait des fleuves qui concentraient l’ambre à leurs embouchures, créant ainsi de riches dépôts.
Puis le climat s’est refroidi. Les glaciers qui ont recouvert l’Europe du Nord, ont transporté et déposé ces terres sédimentaires. L’ambre s’y trouve encore aujourd’hui. Quand, par chance, les gisements bordent les mers actuelles, l’érosion libère les blocs. La densité de l’ambre étant très peu supérieure à celle de l’eau de mer, les courants et les tempêtes l’amènent facilement sur les plages où il est commode de le pêcher.
Une matière attirante
Douce, chaude au toucher, écrin mystérieux d’insectes étranges, douée du don extraordinaire d’attraction à distance, cette pierre a certainement provoqué chez nos plus anciens ancêtres, la fascination qui est encore la nôtre.
Un morceau d’ambre perforé âgé de 30 000 ans, sans doute un talisman, est considéré comme le premier objet de cette matière associé à l’homme. Des ours, des chevaux sauvages, des sangliers, des élans y ont été façonnés par les hommes qui habitaient le Nord de l’Europe 7000 ans avant notre ère. Les agriculteurs du néolithique qui peuplaient les mêmes régions trois mille ans plus tard, se faisaient enterrer avec des colliers et des amulettes d’ambre. Durant les deux millénaires suivants, l’ambre se répand peu à peu dans toute l’Europe, jusqu’à la Méditerranée. Par les mêmes voies circulent le cuivre et l’étain qui feront s’épanouir les civilisations de l’âge du bronze.
A cette époque, de véritables routes commerciales sillonnent l’Europe. Depuis le Jutland, elles prennent la route de l’Elbe ou celle du Rhin et du Rhône. De la Baltique orientale elles descendent l’Oder et la Vistule pour rejoindre la Méditerranée à travers la mer Noire. Une route maritime existe également qui descend de la Mer du Nord à travers la Manche et contourne l’Espagne pour rejoindre la Méditerranée.
Les tombes sous Tumulus des princes et princesses de l’âge du bronze fouillées dans le sud de l’Angleterre et sur les rivages des côtes armoricaines nous ont transmis de fabuleux trésors. L’ambre s’y associe à l’or pour exalter la puissance de leurs propriétaires.
En Grèce, l’ambre de la Baltique arrive vers 1600-1500 avant J-C. Les tombes de cette époque trouvées à Mycènes en contiennent des centaines de perles qui semblent avoir été importées déjà taillées. Peu de temps après, on trouve ce même ambre en Egypte dans les tombeaux royaux. Ce commerce semble avoir été la spécialité des Phéniciens. Il a fallu attendre le 4ème siècle avant J-C pour que Pythéas, grec de la colonie de Marseille, nous donne le récit de son voyage vers les mers de la Baltique où il aurait lesté son navire par des blocs d’ambre.
Les routes de l’ambre. Courrier de l’Unesco. Mars 1966, p 20
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Dans la mythologie grecque, l’ambre est de nature divine. Ce sont les rayons d’Hélios, dieu du soleil, pétrifiés quand l’astre s’enfonce dans les flots. Ce sont les larmes des Héliades, nymphes mortelles, qui pleurent, chaque soir, la mort de leur frère Phaéton.
Phaéton, fils d’Hélios, avait obtenu la permission de conduire le char du soleil. Hélas, il ne sut pas maîtriser les chevaux ailés de l’attelage. Celui ci se rapprocha de la terre. Des montagnes commencèrent à brûler, des incendies dévastèrent les forêts, la sécheresse gagna de vastes zones qui devinrent des déserts. Zeus, dans sa colère, lança sa foudre sur Phaéton et le fit s’abîmer dans les flots du fleuve Eridan (souvent associé au Pô, l’une des voies d’entrée de l’ambre mais désignant également les mers bordées par le pays des celtes et des germains). Accourues sur les rives du grand fleuve, les Héliades, sœurs de Phaéton, restèrent inconsolables. Les dieux, par compassion, les transformèrent en peupliers pour qu’elles puissent éternellement accompagner de leurs pleurs, la disparition du soleil couchant. Leurs larmes, figées en perles dorées, deviennent la plus belle parure des femmes grecques.
" ήlectron ", êlektron, tel est donc le nom qui nous vient des grecs et qui a donné son nom à une nouvelle science quand le médecin anglais William Gilbert (1540-1603) a désigné par le terme d’électricité la propriété d’une multitude de matières à manifester, comme l’ambre, la propriété d’attraction à distance après avoir été frottées.
Mais que nous rapportent les auteurs grecs en dehors du mythe ? Peu de choses en vérité. Ils savent, au mieux, que l’ambre attire mais n’indiquent pas toujours qu’il faut d’abord le frotter.
Le phénomène reste donc très superficiellement étudié. Rien n’évoque le début d’une pratique ou d’une réflexion qui s’apparente à un comportement "scientifique".
L’amélioration des transports, alliée à la richesse des gisements baltes, fait perdre progressivement à l’ambre sa valeur marchande. Inévitablement, son caractère "magique" s’en trouve amoindri. Il se prolonge cependant sous la forme des propriétés médicinales qui lui sont attribuées sous le nom de succin, terme dérivé de sucus (jus, sève), que les latins nous ont transmis pour désigner ce corps.
Présent dans la plupart des remèdes médiévaux, le siècle des lumières le regarde cependant avec un regard plus critique. Un article de l’Encyclopédie ou Dictionnaire Universel raisonné des Connaissances Humaines daté de 1770 indique encore qu’il est conseillé pour les "affections vaporeuses et hystériques", que son sel est "rangé parmi les céphaliques" et son huile "regardée comme un spécifique dans les affections hystériques". Mais, précise l’auteur de l’article, " Les vertus médicinales du succin étaient autrefois très vantées ; on les regarde aujourd’hui comme moins certaines, ou exagérées". L’auteur note cependant un intérêt pratique : "la vapeur de sel de succin fait fuir les rats" !
Plus radical encore est John Fothergill (1712 – 1780), du collège des médecins de Londres dans un article publié en 1744 dans les Transactions Philosophiques de la Société Royale de Londres. Considérant la résistance de l’ambre à la plupart des solvants ordinaires, il estime qu’une telle substance "ne peut probablement pas produire de grands effets sur le corps humain" et en effet, ajoute-t-il, "on a peu d’exemples de ses effets". Alors pourquoi cette longue période de succès ?
"Une imagination préoccupée peut d’abord en avoir introduit l’usage ; le préjugé l’a soutenu & a engagé des personnes qui avaient quelque autorité à le recommander à leurs successeurs".
Comment mieux décrire la diffusion du mythe ? Et comment le combattre ? John Fothergill plaide pour une entreprise d’assainissement de la science médicale :
" Si des personnes habiles et expérimentées voulaient consacrer leurs loisirs à nous instruire de l’inefficacité des méthodes et des remèdes semblables à celui-ci, la Médecine serait renfermée dans des bornes plus étroites ".
Avec Lavoisier et ses contemporains le succin entre dans le laboratoire du chimiste qui y reconnaît, entre autres composés, un acide auquel il sera donné le nom d’acide succinique. Le chimiste moderne le caractérisera comme acide butane-1,4-dioïque, acide organique de structure simple et de formule développée : HOOC-CH2-CH2-COOH. Cet acide a été trouvé dans la plupart des organismes végétaux et animaux où il intervient dans de nombreux métabolismes cellulaires.
Le succin serait donc bien un remède ?
En réalité la concentration en acide succinique est bien plus forte dans la laitue vireuse, la grande chélidoine que dans le succin à partir duquel, comme le remarquait John Fothergill, il est par ailleurs difficilement assimilable.
Il n’y a pas de continuité médicale entre l’ambre et l’acide succinique. Synthétisé aujourd’hui à partir de produits pétroliers, cet acide est plus utilisé pour des peintures et des vernis que pour des remèdes médicaux. Parmi ces remèdes, aucun n’est d’ailleurs supposé guérir des douleurs céphaliques ou de l’hystérie.
Une légende se terminerait donc dans le laboratoire du chimiste ? On n’achève pas aussi facilement un ancien mythe !
L’aspect merveilleux de l’ambre réside avant tout dans son action à distance, un phénomène qui a, de façon régulière, alimenté les débats des scientifiques de Descartes et Newton à Einstein et qui continue à le faire. Comment s’étonner qu’il puisse encore inspirer les pratiques des mages et guérisseurs de notre époque désorientée.
Les colliers de perles d’ambre gardent particulièrement toute leur faveur. On trouve couramment dans la littérature académique du 18ème siècle, la mention de colliers portés pour guérir des migraines, des maladies des yeux ou de la gorge.
Les rives de la Baltique voyaient se prolonger cette tradition jusqu’aux périodes récentes. Un morceau d’ambre y était donné à mâcher aux enfants pour les soulager des maux de dents. On y voyait se maintenir, aussi, la coutume de faire porter des colliers d’ambre protecteurs aux enfants en bas âge au risque de provoquer de dangereux accidents par strangulation.
La séparation de l’Europe par le "rideau de fer" de la "guerre froide", en plaçant la Baltique à l’Est, avait tari la circulation de l’ambre. Les habitants de la Pologne se hasardant dans l’Ouest "capitaliste", étaient les premiers à le ramener avec eux comme moyen de troc. Ce temps est oublié et l’ambre de la Baltique se marie à nouveau à l’or et l’argent sur les bijoux du monde entier.
Sa qualité esthétique aurait pu suffire à son succès mais comment résister à l’opportunité d’enrôler les vieux mythes dans l’arsenal de la publicité commerciale ?
A en croire la publication d’un magasin spécialisé dans le collier d’ambre, l’ambre :
"apporte calme, force et équilibre.
améliore la circulation sanguine et son PH (le rendent plus alcalin).
régule le système nerveux, améliore les réflexes.
active le métabolisme et combat les inflammations.
freine l’oxydation des cellules et favorise leur régénération."
PH alcalin, métabolisme, oxydation des cellules… la publicité, qui avait déjà recruté Thalès, n’hésite pas à faire également appel à l’assaisonnement des mots de la science "moderne".
Les nouveaux "mages" et les marchands de minéraux qui leur sont associés connaissent le poids du prestige scientifique. On baptisera du terme de "lithothérapie" un amas de recettes, à base de cristaux minéraux, supposées ancestrales et parfois même extraites de vieux grimoires quand elles ne sont pas tout simplement inventées.
L’ambre est naturellement l’une des bases de leur "science" et de leur commerce. Exemple de littérature néo-magique :
"Des études ont permis d’utiliser l’ambre pour soulager les douleurs des articulations dues aux rhumatismes. Par exemple, l’ambre jaune produit des ions négatifs par frottements, ce qui a pour conséquence d’améliorer la circulation des énergies dans l’organisme.
L’ambre est condensateur de courant : en se chargeant lui-même, il décharge de leurs propres excès ceux qui le portent."
Ions négatifs, circulation des énergies, condensateur de courants… Autant de mots entendus dans les cours de physique suivis par une majorité de celles et ceux qui ont accompli la "scolarité obligatoire" de nos sociétés modernes. Autant de mots, aussi, dont le sens réel a eu le temps de se perdre au grand désespoir du professeur de la discipline qui voit ainsi sa pédagogie mise au service d’une forme de charlatanisme.
Celui-ci pourrait rappeler que, dès l’an 1600, l’Anglais William Gilbert avait montré que la propriété "électrique" de l’ambre avait été trouvée, avec une bien plus forte intensité, dans des matières aussi banales que le verre et le soufre.
Il pourrait aussi faire constater que les tissus synthétiques, les revêtements de sol et les objets plastiques produits par la chimie moderne sont si sensibles à la production de charges électriques par simple frottement qu’il faut même en protéger les appareils électroniques. Qui n’a pas reçu une décharge électrique le soir en se déshabillant ?
Caresser un morceau d’ambre peut incontestablement alimenter un rêve poétique, surtout s’il enferme l’insecte auquel il a fait franchir cinquante millions d’années et qui à peut-être cohabité avec ces dinosaures objets de tous les fantasmes.
Le rêve a de nombreuses vertus, acceptons l’idée qu’il puisse même en avoir de thérapeutiques.
Par contre, concernant la production "d’ions négatifs par frottement" , le moindre morceau de plastique ferait bien mieux l’affaire à moindre prix. D’ailleurs, à y regarder de près, de prétendus colliers d’ambre sont souvent, en réalité, réalisés à base de perles synthétiques.
Que des adultes se laissent convaincre et achètent le bijou ou le morceau d’ambre qui les rassurera, comme le faisait la peluche ou le chiffon de leur enfance, soit ! Mais que penser du produit vedette : le collier d’ambre pour bébé supposé le soulager des douleurs de dents.
Le site de vente par internet, déjà cité, publie des témoignages :
"Je suis conquise ! Ma fille porte son collier nuit et jour depuis ses 6 mois. Les dents la font un peu souffrir (joues rouges, fesses rouges) mais jamais de pleurs, jamais trop bougon. Je ne lui ai jamais rien donné d’autre et elle a déjà 6 dents. Les deux seules fois ou on a oublié de le lui remettre elle s’est réveillée la nuit en hurlant…"
A lire les échanges sur internet on constate pourtant que beaucoup d’entre eux ne portent pas sur l’efficacité de tels colliers. Celle-ci semble être admise sans aucun débat. La preuve : on les vend même en pharmacie !
Ce qui alimente la discussion c’est leur danger éventuel : bébé ne risque-t-il pas de s’étrangler ?
Etonnant ! Ces parents sont bien conscients du risque qu’il font courir à leur enfant, s’inquiètent et veulent être rassurés. Certains affirment ne jamais laisser le collier pendant la nuit ou la sieste. D’autres garantissent avoir acheté celui "de marque" qui cassera au moindre effort de bébé et dont chaque perle est attachée de façon à ce qu’il ne les avale pas. A les lire il semblerait que le collier-talisman serait l’équivalent d’un vaccin anti-mal-de-dents absolument nécessaire mais non exempt de dangers. L’étranglement possible s’apparenterait alors à ce que les notices pharmaceutiques présentent comme un "effet" secondaire.
Argument souvent entendu : si c’était dangereux ils l’interdiraient. Ce "ils" anonyme, qui a si longtemps autorisé l’amiante ou encore récemment le fameux "médiator", médicament, dénoncé par Irène Frachon, fait souvent office de garantie.
Pas prouvé efficace contre les maux de dents mais à l’évidence dangereux au même titre que tous les colliers pour bébés.
Des médecins ont pourtant lancé des alertes, tel le professeur Olivier Reinberg du service de chirurgie pédiatrique de l’université de Lausanne :
Extrait :
"Il semble utile de rappeler que le port de collier chez les petits enfants constitue un danger permanent de strangulation. Si le collier ne se rompt pas, l’enfant peut rester accroché à une branche ou à un montant de lit par exemple. Le plus souvent, l’enfant strangulé ne peut pas appeler. S’il n’est pas immédiatement délivré, les conséquences sont très sévères, puisque si l’enfant n’est pas trouvé mort, le pronostic des réanimations
cardio-respiratoires après ce genre d’accident est mauvais, avec un taux important
de séquelles neurologiques liées à l’ischémie cérébrale."
Mais pour certains fabricants pas de problème, les accidents c’est de l’histoire ancienne :
" Le collier d’ambre est régulièrement montré du doigt par ceux qui estiment qu’il comporterait un risque de strangulation, au cas où l’enfant l’accrocherait par mégarde à un objet, à une branche ou à un montant de lit… Les accidents de la sorte restent fort heureusement très rares, et sont principalement survenus il y a une vingtaine d’années. Aujourd’hui les fabricants redoublent de vigilance pour que les produits à destination des bébés soient sans danger".
Certains, cependant, veulent se garantir de ce risque de "strangulation" aussi "rare" soit-il : " Par précaution, retirez le collier pendant les siestes et les nuits : vous pouvez alors en profiter pour le laisser se recharger en ions négatifs, en le laissant sur une table. Autre option : le nouer à la cheville de bébé, bien au chaud dans sa turbulette"
Un collier qu’on achète mais qu’on ne porte pas autour du cou pendant le sommeil et qu’il vaut mieux nouer à la cheville. Des perles qui, contrairement à la célèbre pile électrique qui " ne s’use que si on s’en sert", se "rechargent en ions négatifs" quand on ne s’en sert pas !
Ces invitations aux "précautions" d’usage, dont on mesure le peu de sérieux, sont-elles suffisantes pour blanchir les diffuseurs de tels produits ?
On assiste à juste titre à la mise en cause de fabricants de médicaments ou de pesticides qui empoisonnent les humains et leur environnement. A lire la multitude de sites internet consacrés aux colliers d’ambre il ne serait pas étonnant, dans l’avenir, de voir instruire des procès en publicité mensongère voire même en mise en danger de la vie d’autrui à l’encontre de ceux qui font la promotion de cette médecine dont l’efficacité est largement contestable et les dangers loin d’être négligeables.
Contrairement à ce qu’imaginent ses utilisatrices et utilisateurs, la "médecine" de l’ambre peut se révéler, elle aussi, une médecine dure.
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Pour aller plus loin :
Cet ouvrage retrace l’histoire de l’électricité et des savants qui ont marqué son évolution.
L’électricité paraît être une énergie évidente et n’étonne aujourd’hui plus grand monde ; son utilisation est très banale, et pourtant un nombre incalculable de nos actes et modes de vie ne sauraient se passer de son indispensable compagnie. L’électricité est une science récente… mais, des Grecs de l’Antiquité qui, en frottant l’ambre, s’émerveillaient de ses propriétés électrostatiques aux Curie étudiant la radioactivité, de découvertes heureuses en expériences dramatiques, portés par des hommes et des femmes qui ont tout sacrifié à la compréhension des phénomènes électriques, plus de vingt-cinq siècles ont défilé avant que l’on perçoive, peut-être, l’essence de cette force naturelle.
Au fil d’un récit imagé - celui d’une succession de phénomènes généralement discrets qui, sous le regard d’observateurs avertis, débouchèrent sur des applications spectaculaires - nous croiserons des dizaines de savants, d’inventeurs et de chercheurs dont les noms nous sont déjà familiers : d’Ampère à Watt et de Thalès de Milet à Pierre et Marie Curie, ce sont aussi Volta et Hertz, Ohm et Joule, Franklin et Bell, Galvani et Siemens ou Edison et Marconi qui, entre autres, viennent peupler cette aventure. On y verra l’ambre conduire au paratonnerre, les contractions d’une cuisse de grenouille déboucher sur la pile électrique, l’action d’un courant sur une boussole annoncer : le téléphone, les ondes hertziennes et les moteurs électriques, ou encore la lumière emplissant un tube à vide produire le rayonnement cathodique. Bien entendu, les rayons X et la radioactivité sont aussi de la partie.
De découvertes heureuses en expériences dramatiques, l’électricité reste une force naturelle qui n’a pas fini de susciter des recherches et de soulever des passions.
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Texte signé de Monsieur Joseph Hamon
Ayant eu la chance de fréquenter et de bien connaître celui qui fit de Plouguenast l’une des toutes premières agglomérations françaises à s’éclairer à l’électricité, je m’étais toujours promis d’écrire ce que je savais de cette aventure. Car c’est bien d’une aventure qu’il s’agit.
L’histoire amusera les Plouguenastais de moins de 50 ans, quant aux plus de 70 ans, cela leur rappellera quelques bons souvenirs.
Commençons par le début : nous sommes en 1900 ; cette année-là, Paris avait organisé une grande exposition universelle qui avait attiré des visiteurs du monde entier et parmi ces visiteurs, deux Plouguenastais, deux frères : Pierre et Mathurin MOUNIER.
Ces deux hommes curieux et avides d’apprendre, décidèrent de se rendre à Paris afin de voir de leurs yeux ce qui se faisait de mieux dans le monde en ce qui concerne l’industrie, l’aviation naissante, l’automobile, les machines agricoles, etc.
Il faut dire que nos deux héros étaient des ouvriers aptes à tout faire : serrurier, forgeron, soudeur, maréchal-ferrant, tôlier et j’en passe. A cette époque, un déplacement à Paris était une expédition qui coûtait cher tant en transport qu’en hébergement et nourriture. C’est pourquoi nos voyageurs partirent avec de nombreuses provisions de bouche dans le but d’économiser le plus possible sur les notes de restaurant. Par contre, impossible de se passer de l’hôtel et il fallut débourser 3 francs pour chaque nuit d’hôtel.
C’était beaucoup d’argent. Je sais bien que cette somme fera sourire nos jeunes amis mais pour situer la dépense dans le temps, il faut savoir qu’à l’époque, un ouvrier maçon par exemple gagnait moins de cinq sous de l’heure, soit environ 20 centimes de maintenant. Au diable l’avarice, Pierre et Mathurin sont à Paris et bien décidés à profiter au maximum de leur séjour.
Ils se rendent immédiatement à l’exposition. Quel enchantement ! Tout est merveilleux. Ils veulent tout voir.
Des machines extraordinaires sont exposées. Le stand de l’électricité attire particulièrement leur attention.
Un technicien est là qui répond à toutes les questions que lui posent nos amis :
- Qu’est-ce que c’est cette machine ?
- C’est une dynamo, répond le technicien, ça sert à faire de l’électricité.
- Comment ça marche ?
- C’est simple, pour fabriquer de l’électricité, il suffit de faire tourner cette machine avec une source d’énergie quelconque (moteur à pétrole, machine à vapeur, moulin à eau, moulin à vent, etc.…)
- Est-ce que ça peut marcher longtemps sans entretien ?
- Oui, elle peut marcher plusieurs années sans difficulté.
- Combien coûte-telle ?
- Cher, très cher.........
- On verra, dit Mathurin, car déjà une idée a germé dans sa tête.
Le retour à Plouguenast se fera sans histoire.
Il est temps maintenant de faire plus ample connaissance avec nos deux personnages. Il s’agit de deux hommes tout à fait remarquables.
Parlons d’abord de Pierre, l’aîné. Il naquit en 1868. Il fit quelques études à l’école primaire de Plouguenast. D’une santé fragile, il devra toute sa vie, suivre un régime draconien. Il sera toujours très maigre, légèrement voûté, même un peu bossu à la fin de sa vie. Ces lacunes physiques seront largement compensées par une vive intelligence, un enthousiasme sans pareil, une imagination débordante et un ardent désir d’apprendre qui l’amèneront à lire beaucoup. C’est ainsi qu’il s’intéressera à la physique, à l’aviation, à l’électricité bien sûr, mais aussi à la philosophie et à l’histoire.
A Plouguenast, Il était surtout connu sous le nom de Pierre Bondé. En effet, il avait l’habitude de dire Bondé à chaque phrase. Combien de fois l’ai-je entendu me dire pendant les longues conversations que j’ai eues avec lui « Ah bondé, si j’avais une bonne santé, je ferais ceci, je ferais cela. Ah bondé, si j’avais été à l’école, j’en aurais fait des choses ! » Nous verrons plus loin que malgré les handicaps signalés plus haut, il fit tout de même beaucoup de choses dans sa vie et en particulier le rôle qu’il tint dans l’installation et le fonctionnement de l’électricité à Plouguenast. Il mourra en 1935 miné par la tuberculose.
De Mathurin, je ne dirai pas grand chose car je ne l’ai pas connu. Je sais seulement qu’il était instruit car il avait envisagé d’entrer au séminaire, ce qui l’avait amené à faire des études secondaires. De 2 ans le cadet de Pierre, il mourra à 37 ans également de la tuberculose, la terrible maladie que l’on ne savait pas guérir à cette époque. Sur la fin de sa vie, Il s’adonnera au spiritisme, à la magie et aux sciences occultes.
Pierre disait de son frère « Mathurin, c’était un génie, il comprenait tout, je n’arrivais pas à suivre ses raisonnements ». Il semble en effet que c’est Mathurin qui prendra les initiatives qui amèneront l’installation de l’usine électrique de Plouguenast. Cet homme tout à fait exceptionnel avait une idée nouvelle chaque matin d’après ce que m’en a dit son frère. Il avait fait un nombre important d’inventions qui restèrent sans suite, faute de moyen de réalisation.
La principale de ces trouvailles fut sans conteste la conception et le début de réalisation d’une machine à coudre avec laquelle il n’était pas nécessaire de refaire la navette qui a toujours été le cauchemar des couturières. Aujourd’hui encore, des grands constructeurs de machines cherchent en vain une solution à ce problème.
Cette machine, je l’ai vue en 1931 dans le grenier de la maison où habite actuellement Lucien Serinet. Elle était très grossière et devait peser au moins 40 kgs. La maladie de Mathurin et sa mort mirent fin à la réalisation de l’engin. Pierre me dit un jour qu’il connaissait bien le principe que son frère voulait mettre en œuvre et donc qu’il aurait pu terminer la machine mais que ce travail lui abrègerait sa vie de 10 ans, ce qui ne l’intéressait évidemment pas.
Maintenant que nous connaissons bien les deux frères Mounier, revenons en 1905 ! Quatre ans s’étaient écoulés depuis la visite à l’exposition de Paris. Pierre et Mathurin avaient travaillé dur et amassé un peu d’argent. Mathurin n’avait pas oublié la dynamo de Paris.
Il se trouva qu’un moulin fut à louer au Pontgamp, là où habite actuellement Albert Voyer. Ce moulin était alimenté en eau par une dérivation du Lié passant dans le parking actuel du Multiservice. La vanne d’alimentation était située sur le coté droit de la route allant vers Loudéac. Un canal souterrain traversait la route pour permettre l’écoulement de l’autre côté. Je dis ceci pour les plus jeunes de nos compatriotes car ce canal n’a été obstrué que depuis quelques années.
Mathurin vit tout de suite l’intérêt de ce moulin qui était placé au milieu du bourg et du Pontgamp. Il décida de le louer mais auparavant il s’informa des expériences déjà réalisées dans certaines grandes villes de France. Il faut savoir qu’à cette époque, on s’éclairait encore au gaz dans la plupart des villes françaises. Pensant avoir suffisamment d’arguments, Mathurin reprit le chemin de Paris, emportant toutes ses économies et un peu d’argent prêté par des amis. Il revenait quelques jours plus tard, ayant fait l’emplette de la fameuse dynamo.
Deux mois plus tard, Alexis Presse, le voiturier de Plouguenast attelait deux de ses solides percherons et allait prendre la livraison de la machine à la gare de Lamballe. A ce moment, les frères Mounier pensent qu’un grand pas a été fait. En effet, les hommes, le moulin, la machine sont à pied d’œuvre. Pourtant, c’est maintenant que les vrais problèmes vont se poser !
Tout d’abord, le vieux moulin va s’avérer inadapté à l’usage qu’on voulait en faire. La vieille roue à Aubes dut être refaite entièrement. Le bief d’arrivée d’eau dut être élargi et approfondi. Tout cela demanda du temps et de l’argent. Mais que dire du courage et de la persévérance dont firent preuve les deux frères pour résister aux critiques et aux moqueries des badauds qui assistaient aux travaux. Pensez-donc, voilà deux farfelus qui prétendaient éclairer les maisons sans chandelles.
Malgré les difficultés, les travaux avançaient. Bientôt la dynamo fut installée dans l’ancien moulin qui devint pour les frères Mounier, "L’USINE". C’est ainsi que s’appellera désormais le bâtiment. Quelques essais furent effectués en cachette mais les résultats s’avérèrent médiocres pour ne pas dire décevants. La dynamo tournait trop lentement, si bien que le filament des ampoules rougissait à peine, ce qui ne donnait guère de lumière. On obtenait à peine 60 volts au lieu des 110 espérés. On changea la démultiplication des roues de transmission, on chercha toutes les combines possibles pour augmenter la vitesse de rotation de la dynamo. Après bien des tâtonnements, on obtint enfin une centaine de volts, ce qui donnait une lumière très convenable.
C’est alors que Mathurin décida de frapper un grand coup. D’abord, pour confondre ses détracteurs, ensuite pour montrer à la population de Plouguenast qu’il n’était pas aussi fou qu’on le disait, enfin pour faire en vraie grandeur un essai des possibilités de transport du courant électrique.
Pour ce faire, on tira deux fils qui partaient de l’usine pour aboutir à la maison de Mathurin qui se trouvait située au-dessus de la maison actuelle de Fernand Salmon. La distance était d’environ 350 mètres. Une lampe témoin fut fixée sur le mur extérieur de la maison et une équipe d’une dizaine d’hommes se posta, à distance respectueuse de l’ampoule, avec pour mission de contrôler l’allumage éventuel. Cette équipe pouvait être vue d’une deuxième équipe qui, elle, était postée sur la route près du moulin. Quand tout le monde fut en place, l’équipe du haut donna le signal de mise en route à l’aide de signaux à bras convenus à l’avance. On leva la bonde et le moulin se mit en route lentement, entraînant la fameuse dynamo. Au début, il ne se passa rien puis petit à petit, au fur et à mesure de l’augmentation de la vitesse du moulin, le filament de l’ampoule prit une petite teinte rosée et enfin une véritable luminosité.
Le pari était gagné !
Les deux équipes furent bientôt réunies chez Paul Georgelin, le cafetier d’en face où l’événement fut arrosé copieusement. Mon beau-père, Joseph Ruello qui faisait partie de l’équipe du haut m’a raconté cet événement.
Devant une telle réussite, on pourrait penser que tous les habitants de Plouguenast allaient se précipiter chez les frères Mounier pour demander l’installation d’une lampe chez eux ! Et bien, pas du tout. Au contraire, on regarde avec méfiance cette lumière qui passait dans des fils de fer. D’autant plus qu’un voyageur venant de Nantes affirmait qu’un homme qui avait touché un fil électrique était tombé raide mort. Il fallut attendre plusieurs mois avant qu’un courageux autorise l’installation d’une lampe dans sa maison. Chaque soir, les voisins venaient admirer le magnifique éclairage qui remplaçait avantageusement plusieurs lampes à « oriflamme ».
Aucun incident n’étant survenu, d’autres personnes demandèrent l’installation d’une lampe chez eux. C’est ainsi que petit à petit, tous les habitants du bourg et du Pontgamp eurent bientôt au moins une lampe dans leur habitation.
Tous ces travaux avaient coûté cher et les finances des frères MOUNIER étaient au plus bas, aussi décidèrent-ils de monnayer leur travail et leur matériel. Le problème n’était pas simple à résoudre. En effet, vendre de l’électricité n’est pas aussi aisé que de vendre du blé ou des pommes de terre. De nos jours, les employés de l’E.D.F passent dans nos maisons et lisent sur le compteur les quantités d’électricité dépensée depuis leur dernier passage. C’est très simple. A Plouguenast, en 1906, il n’était pas question d’installer un compteur dans chaque maison. Il fallut trouver autre chose. Les frères Mounier optèrent pour un abonnement annuel qui serait payé en fin d’année en fonction du nombre de lampes installées chez chaque abonné. Exemple : pour une lampe, 15 francs (en 1913), pour trois lampes, 45 francs.
Le système semblait simple et fonctionna quelques années jusqu’à ce que certains abonnés, trouvant la note trop élevée, demandèrent une diminution du tarif, arguant du fait qu’ils n’utilisaient qu’épisodiquement certaines lampes. Pierre Mounier trouva la solution en installant des "va et vient" dans chaque maison. C’est ainsi que quand on éteignait une lampe dans une pièce, une autre lampe s’allumait dans une autre pièce. Je me souviens très bien que chez moi, la cuisine et la chambre de ma mère étaient couplées. Chaque soir, en allant se coucher, ma mère tournait un bouton qui bifurquait le courant de la cuisine vers sa chambre. Il n’y avait donc qu’une lampe à fonctionner en permanence, ce qui ne justifiait qu’une seule redevance annuelle. J’ai même vu 3 lampes alimentées par le même circuit.
Ce système permettait de ne payer qu’une fois plusieurs utilisations. Ce procédé astucieux avait tout de même un gros inconvénient. En effet, si l’on avait besoin d’éclairer deux pièces à la fois, il fallait en sacrifier une. C’est pourquoi les lampes à huile et les bougies restèrent toujours à portée de main. Les problèmes internes étant résolus, il restait à assurer le fonctionnement général de l’installation. Le Lié n’étant pas le Mississipi, il apparut rapidement aux frères Mounier qu’on risquait de manquer d’eau si le moulin marchait trop longtemps sans interruption. Il fallut régler les heures de marche en fonction des saisons et des disponibilités en eau.
Voici comment les choses se passaient. L’usine était mise en route le matin entre 5 heures et 5 heures 1 /2 suivant les saisons et arrêtée dès qu’il faisait jour. Le soir, on remettait en marche à la tombée de la nuit avec arrêt impératif à 22 heures jusqu’au lendemain matin. En fait, on ne se servait pratiquement pas des interrupteurs. Les lampes s’allumaient avec la mise en route de l’usine et s’éteignaient avec son arrêt. Ce qui explique que le pays vivait à l’heure de l’usine. On se levait quand la "chandelle" s’allumait et le soir, tout le monde était au lit à 22 heures.
La petite anecdote suivante montrera à quel point le pays était conditionné par l’usine. Un jour, Guillaume Serandour, qui était mitron chez Victor Presse à la Côterette, eut un travail de nuit à effectuer dans son pétrin. Comme il était très copain avec Pierre Bondé, il lui demanda l’autorisation de mettre lui-même l’usine en route afin d’avoir de la lumière pour faire son travail. Comme c’était en saison hivernale, l’eau ne manquait pas ; aussi, Pierre donna son accord. Serandour, qui habitait au Pontgamp, passait obligatoirement devant la bonde pour venir à la Côterette, aussi il n’eut aucun effort à faire pour lever la vanne d’alimentation du moulin, ce qui eut pour conséquence d’éclairer toutes les maisons du bourg et du Pontgamp.
Or, il n’était que 3 heures 1/2 du matin. Pierre Martin, le bedeau, réveillé en sursaut et encore à moitié endormi jeta un coup d’oeil sur son réveil, se trompa d’aiguille, lut 6 heures 1/4 au lieu de 3 heures 1/2, enfila son pantalon en vitesse et monta quatre à quatre l’escalier de la tour de l’église pour sonner une Angélus d’autant plus vigoureuse qu’il la croyait en retard d’une demi-heure. Ce carillonnement intempestif réveilla le curé, qui à peine habillé, se précipita à la sacristie et se mit en devoir de revêtir les ornements sacerdotaux.
Quelques pieuses paroissiennes mal réveillées, arrivaient à l’église quand quelqu’un vint dire qu’il devait y avoir une erreur quelque part puisque les deux horloges de sa maison, qui n’avaient pas fait la moindre erreur depuis 25 ans, annonçaient toutes les deux quatre heures. Ceux qui s’étaient levés se recouchèrent, les réveillés se rendormirent et cela donna un bon sujet de conversation pour le lendemain.
Cette petite parenthèse étant close, revenons à notre affaire. Le système, tel que nous l’avons vu plus haut, fonctionna pendant 30 ans, mais ce ne fut pas sans difficultés pour Pierre Bondé. Il eut à faire face à trois problèmes.
Voici comment Pierre réussira à faire face à ces difficultés au prix de beaucoup de travail, d’astuce et d’imagination.
Pour l’approvisionnement en eau, nous savons que les réserves étaient très limitées. L’hiver, le Lié a un débit important, ce qui assurait la marche du moulin sans trop de problème malgré les besoins en électricité forcément plus grands en cette période de l’année. L’été, il en était tout autrement et il était fréquent de voir la luminosité des ampoules diminuer à la même fréquence que le débit du Lié. Les vieux Plouguenastais se souviennent certainement des baisses de tension en fin de soirée et que les 25 "bougies" annoncées sur l’ampoule étaient loin d’être atteintes.
Là où la situation devenait dramatique, c’est quand un événement important nécessitait la prolongation de l’électricité après 10 heures du soir ! Ce cas se produisait au moins une fois l’an à l’occasion des courses de Plouguenast qui avaient lieu sur deux journées fin août ou début septembre dans une période où le Lié était pratiquement à sec. Pendant ces deux soirées, la demande en électricité était grande. Pensez-donc, chaque bistro (il y en avait une quinzaine entre le bourg et le Pontgamp) organisait un bal public sur la route en face chez lui. Cela nécessitait l’installation d’au moins une lampe accrochée à un coin de mur dans le but de moraliser autant que faire se pouvait un bal pas mal décrié du fait qu’il avait lieu la nuit.
D’autre part, le comité des fêtes organisait lui aussi son bal annuel payant sur la place de l’église. Cette place, caillouteuse et mal nivelée, avait été recouverte au préalable d’une épaisse couche de "Frou", ce qui rendait les évolutions plus aisées mais nécessitait un sérieux brossage des costumes et des robes le lendemain. Ce grand bal absorbait à lui seul six lampes supplémentaires, deux pour l’orchestre et une aux quatre coins du bal. C’était la grande fête et toutes les jeunes filles étaient autorisées à aller danser car l’éclairage permettait aux parents parqués derrière les barrières, de garder un œil vigilant sur leur progéniture tout en devisant avec les autres parents.
Pierre Mounier ne voyait pas sans angoisse arriver ces deux fournées ! Il y avait deux moyens de faire face au problème posé. D’abord, faire des réserves d’eau et ensuite rechercher des appuis au moment de l’utilisation de cette eau. C’est ainsi que dans les huit jours précédant les courses, Pierre et quelques bénévoles mettaient des poteaux et des arbres en travers des "Errusses" dans le but de surélever la retenue d’eau et d’augmenter ainsi la capacité de stockage. L’ennui, c’est que ce procédé avait pour effet d’arrêter complètement le cours du Lié, ce qui n’arrangeait pas du tout les meuniers situés en aval du barrage. Par contre, il fallait composer avec ceux situés en amont pour leur demander de moudre à une heure bien déterminée le jour des courses de telle sorte que l’eau arrive au Pontgamp au meilleur moment, soit vers 10 ou 11 heures du soir.
C’est ainsi que grâce à une bonne entente entre tous, les choses s’arrangeaient au mieux. D’autant plus que les courses de Plouguenast étaient à cette époque un événement qui intéressait tout le canton. Le dimanche avait lieu les courses de chevaux qui étaient classées avec pari mutuel, tribunes, etc... Le lundi, les courses de bicyclettes étaient réputées parmi les plus importantes de Bretagne. Les prix nombreux et substantiels attiraient la crème du cyclisme breton, ce qui faisait dire qu’il s’agissait là d’un vrai championnat de Bretagne sans en avoir l’appellation officielle.
Nous nous sommes un peu éloignés de notre sujet, mais je pense qu’il n’est pas sans intérêt de faire un peu d’histoire du pays à l’occasion de ce récit. Revenons à notre moulin qu’il fallait mettre en route de bonne heure le matin et arrêter le soir comme nous l’avons vu plus loin. C’était une servitude énorme pour Pierre Bondé qui habitait à une certaine distance de l’usine. Pendant quelques années, le service fut assuré par Paul Alanet qui logeait dans une petite maison, maintenant détruite, située juste en face de l’usine.
A la mort de Paul, il ne se trouva personne pour le remplacer. "Bondé de Bondé" se dit Pierre, c’est moi qui vais être obligé de faire ce travail. Effectivement, c’est lui qui, été comme hiver régula la marche de l’usine. Le plus pénible pour Pierre était l’obligation d’attendre 10 heures du soir pour arrêter le moulin alors que, surtout l’hiver, il aurait aimé se coucher tôt. Cette servitude l’amena à rechercher un moyen mécanique qui le délivrerait de cette besogne. Il trouva la solution grâce à une installation complexe mais combien astucieuse. En gros, le principe était le suivant. Une horloge à poids génialement bricolée fut installée dans l’usine et réglée de telle sorte qu’à 10 heures pile, un poids de 2 kilos tombait sur un levier qui par son abaissement embrayait une poulie reliée elle-même à l’aide d’une courroie de transmission à la vanne d’arrivée d’eau au moulin. Cela semble simple à raconter mais ceux qui ont vu comme moi cette installation, ont envie de crier au génie. Ce procédé fonctionna parfaitement jusqu’à la fermeture de l’usine. Le problème de l’arrêt étant résolu, il restait à trouver un moyen de mise en route le matin. La solution était pratiquement trouvée quand l’E.D.F officielle vint kidnapper littéralement toute l’œuvre des Frères Mounier et réduire à néant 30 années de travail.
Ce véritable vol eut lieu en 1935, il y a un peu plus de 50 ans. C’est la Compagnie LEBON qui avait l’exclusivité de l’électricité dans cette partie de la Bretagne qui s’appropria le plus légalement du monde d’ailleurs, toutes les installations qu’elle s’empressa de démolir pour y mettre les siennes qui étaient évidemment beaucoup plus modernes.
Avant ce temps, Pierre assura seul tous les travaux d’installations intérieures et extérieures. C’est toujours la nuit qu’il venait faire les réparations et les installations nouvelles. Pourquoi la nuit ? Parce que ne disposant d’aucun appareil de mesure, c’est au toucher des fils qu’il pouvait différencier les fils conducteurs des neutres. Il prenait souvent de bonnes châtaignes mais cela ne semblait pas le gêner outre mesure. Les lignes extérieures étaient supportées par des poteaux en bois composés le plus souvent de jeunes arbres mal équarris et plantés un peu n’importe où.
Cette organisation avec ses défauts et ses lacunes fonctionna pendant 30 ans à la satisfaction générale. On pourrait penser qu’une telle infrastructure qui avait une valeur commerciale certaine, donnerait lieu à une indemnité compensatrice ou à un rachat, comme cela s’était produit dans certaines villes. Il n’en fut rien. La Compagnie LEBON, comme elle en avait légalement le droit, refusa toute indemnité prétextant qu’aucune licence d’exploitation n’ayant jamais été demandée, elle arrivait dans un pays où il n’y avait rien avant son arrivée. Pierre Mounier essaya bien de protester mais juridiquement, sa position était indéfendable et il dut s’incliner. Bien entendu, sa peine fut immense et pour manifester son amertume, il ne voulut jamais prendre un branchement à la Compagnie LEBON, si bien que jusqu’à sa mort il s’éclaira à la bougie. Quel paradoxe !!!
Bien évidemment, l’arrivée de l’électricité officielle était un progrès pour le pays puisqu’elle permettait l’électrification de toute la commune, ce qui n’était pas le cas avant. Je ne voudrais pas terminer cette histoire sans dire quelques mots de la vie de Pierre Mounier. Comme je l’ai dit plus haut, c’était un homme d’une santé fragile. Héréditairement tuberculeux semble-t-il (rappelons que Mathurin son frère était mort tuberculeux à l’âge de 36 ans en 1906), il réussira à vivre 30 ans de plus que son frère grâce à une hygiène de vie monastique. Pas d’alcool, pas de tabac, pas de femme (il ne se mariera jamais), une alimentation qui sans être particulière était tout de même rigoureuse, grâce à la surveillance constante de Mademoiselle Marie-Louise Mounier, sa cousine dont nous dirons un mot plus loin. Car c’était un personnage pittoresque et en quelque sorte une figure du vieux Plouguenast. Un élément important de la vie de Pierre Mounier était sa sieste journalière qu’il n’aurait manquée pour rien au monde. On le voyait été comme hiver, et quel que soit le temps, partir sur le chemin du Val après son déjeuner avec sous un bras L’OUEST ÉCLAIR et sur l’autre son imperméable couleur mastic. L’hiver il portait un pardessus et parfois il ajoutait une couverture sur ses épaules. Les passants pouvaient le voir allongé tranquillement sur le bord du chemin lisant son journal ou dormant tout simplement. Par temps de pluie, il trouvait une excavation sous un rocher ce qui ne manquait pas sur ce chemin qui n’était qu’une suite de carrière de pierres.
Comme je m’étonnais un jour devant lui de cette constance pour sa sieste, il me répondit que dans les sanatoriums, l’essentiel des soins consiste à exposer les malades le plus possible à l’air libre ! Après sa sieste qui durait parfois 2 heures, il rentrait dans son atelier et vaquait à son travail qui consistait surtout en réparation de petits appareils ménagers que personne d’autre que lui ne savait ou ne pouvait faire dans le pays. On lui recommandait aussi parfois des travaux de ferronnerie d’art pour des portes d’entrée ou des clôtures. Là où il était à son affaire c’est quand un cultivateur venait lui demander la confection d’une pièce introuvable dans le commerce pour une vieille machine agricole.
Comme promis, nous allons dire un petit mot de Marie-Louise, la cousine qui dégagea Pierre de toutes les contingences matérielles (ménage, cuisine, habillement, etc...). Ils vécurent l’un à côté de l’autre pendant de nombreuses années. Pourtant il est rare de rencontrer deux êtres aussi différents :
Elle : grande, élancée, distinguée, toujours tirée à quatre épingles, légèrement dominatrice, esprit critique s’il en fut, bonne chrétienne ; elle avait été au couvent quelque temps dans le but de devenir religieuse.
Lui : petit, courbé, bon enfant, pas coquet pour deux sous et un tantinet mécréant par-dessus le marché.
Avec deux tempéraments aussi opposés, les frictions étaient nombreuses. C’est ainsi qu’on pouvait entendre Marie-Louise reprocher à son cousin son manque de foi et lui prédire une damnation certaine. Pas si sûr, répondait Pierre. Dieu qui me connaît bien me choisira avant toi, ne serait-ce que pour ne pas t’entendre médire de ton prochain. Ah les hommes ! reprenait Marie-Louise, le meilleur ne vaut rien. Quoi ! rétorquait Pierre. Comment oses-tu dire des choses pareilles ! Toi qui avais choisi le meilleur d’entre eux, tu n’as pas pu le supporter plus de quelques mois. Comme on le voit, Pierre Mounier avait aussi de l’humour. Voilà brièvement racontée, l’histoire d’une vie mais aussi celle d’un homme qui fait honneur à notre commune. Je ne sais ce qu’est devenue la fameuse dynamo qui changea la vie des Plouguenastais. Je crois qu’elle fut achetée par Jean Hamon du Petit Moulin. Il serait peut-être intéressant de la rechercher et si on la retrouve, de l’exposer dans une sorte de petit musée avec une biographie de Pierre et Mathurin Mounier. Cela ne serait certainement pas sans intérêt pour les jeunes Plouguenastais d’aujourd’hui et ceux des générations à venir.
Plouguenast, août 1986
Joseph HAMON
Par Gérard Borvon.
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Une friche à l’oubli à l'entrée de la ville de Besançon (Doubs). Abandonnée depuis plus de 30 ans, elle attire graffeurs et historiens. Autrefois lieu de travail, aujourd'hui lieu d'expression, l'ancienne filature Rhône-Poulenc continue à fasciner les hommes.
© Marc Perroud - Vie des Hauts production L'intérieur de la friche de la Rhodiaceta à Besançon
Rhodiacéta 1967 : une filature en plein essor. Des grèves, une occupation de l’usine. Le cinéma ouvrier des groupes Medvedkine est né. Les ouvriers militent, et prennent la parole, racontent leur histoire, leur époque, leurs rêves. Une guérilla culturelle s’organise.
La démolition de ce qui fut une usine est proche, avec elle s'éloignent les mots, les souvenirs, les émotions des hommes et des femmes qui y ont travaillé quelques années parfois, toute une vie souvent. La fierté et la révolte s'y sont côtoyés: fierté du travail bien fait, de l'argent durement gagné, la révolte, le combat, les luttes pour un monde à réinventer.
Tant que les murs tiennent
Extrait de "Tant que les murs tiennent"
La friche de la Rhodiaceta est interdite au public. Les graffeurs s'y risquent pourtant pour excercer leur art. Ils sont régulièrement délogés par la police. Un documentaire de Marc Perroud et une coproduction Vie des Hauts Production - France Télévisions
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Voir aussi
Le militant ouvrier et l'aristocrate. Quand Charles Tillon rendait hommage à Hilaire de Chardonnet.
Par Gérard Borvon.
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On connaît Yan' Dargent comme peintre. C'est pourtant comme illustrateur qu'il exprime tout son talent, en particulier dans le domaine des sciences. Chaque dessin est une mise en scène de personnages en mouvement ou dans des attitudes de la vie courante. A notre époque il aurait été un excellent auteur de bande dessinée.
William Gilbert dans son cabinet
Franklin dans son laboratoire.
Mort de Richmann.
Niepce et Daguerre.
Salomon de Caus à Paris.
Expérience de Périer au Puy-de-Dôme.
Le désespoir de Papin.
Watt et le "cercle des lunatiques".
Olivier Evans.
La mort de John Fitch.
Fulton à Brest.
L'Elise premier navire à vapeur entre l'Angleterre et la France.
Par Gérard Borvon.
Un article à classer dans la rubrique des souvenirs d'un prof de physique qui ne voulait pas s'ennuyer en classe.
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Les élèves du lycée de l’Elorn avaient la chance de pouvoir consulter la revue "La Nature", revue de vulgarisation du 19ème siècle, qui se trouvait aux archives municipales proches du lycée. En 1995, ils ont répondu à un concours sur l’histoire des rayons X dans lequel la classe de 1ere L2 a été classée première et leur camarade Edwige Grigol première à titre de premier prix individuel.
1896 premier semestre :
129 Les rayons X de M. le professeur Wilhelm Conrad Röntgen
155 Les ombres radiographiques de M. le professeur W. Conrad Röntgen
157 Rayons invisibles (Rayons X) de M. W. C. Röntgen. Expériences de M. Puluj, de Prague
274 Application industrielle des rayons X (E. H.)
293 Les rayons X et le Diamant
327 Recherches récentes sur les rayons de Röntgen
367 Radiographies par les rayons X. Utilisation des écrans fluorescents à leur production rapide
143 La photographie des parties intérieures du corps
143 Photographie à travers des corps opaques
143 Propriétés des radiations de Röntgen
207 La lumière noire et les radiations de Röntgen
223 La pénétration de la lumière au travers des corps opaques
223 Application des rayons de Röntgen
239 Production commode des radiations de Röntgen
271 Propriétés des rayons de Röntgen
287 La perméabilité des corps aux différentes radiations
302 Les rayons de fluorescence et les rayons de Röntgen
1896 deuxième semestre :
26 Recherches récentes sur les rayons de Röntgen
190 Effets de la chaleur et de l’électricité sur certains corps soumis à l’influence des rayons X
207 Nouvelle application des rayons de Röntgen
239 Le mode d’émission des rayons X
286 Action dépilatoire des rayons X
287 La dernière application des rayons X
319 Les rayons X et l’authenticité des momies
415 Les radiations émises par l’uranium
1897 premier semestre
179 Les rayons Röntgen et les affections pulmonaires
218 Propriétés nouvelles des rayons X
47 La radioscopie appliquée à la pathologie
142 Une curieuse application des rayons X
159 Application nouvelle de la radiographie
190 Les enveloppes inviolables aux rayons de Röntgen
238 Les mouches et les rayons X
254 Une nouvelle application des rayons X
303 Le passage de la lumière au travers des corps opaques
318 Propriétés d’un nouvel appareil générateur des rayons X
319 Propriétés nouvelles des rayons X
1897 deuxième semestre
103 Les rayons Röntgen et les momies
147 Les rayons X et les métaux. Les rayons X et la douane
180 La lumière du ver luisant et les rayons X
317 Application des rayons X à l’étude des tubercules de la pomme de terre
47 Lésions organiques occasionnées par les rayons X
351 Une nouvelle ampoule pour la production des rayons X
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On peut trouver un développement de cet article dans ouvrage paru en septembre 2009 chez Vuibert : "Une histoire de l’électricité, de l’ambre à l’électron"
extrait du commentaire paru dans le Bulletin de l’Union des Physiciens.
Voici un ouvrage à mettre entre toutes les mains, celles de nos élèves dès les classes de premières S et STI de nos lycées, et entre les mains de tous les futurs enseignants de sciences physiques et de physique appliquée (tant qu’il en reste encore !).
L’auteur est un collègue professeur de sciences physiques, formé à l’histoire des sciences, et formateur des enseignants en sciences dans l’académie de Rennes.
Bref quelqu’un qui a réfléchi tant à l’histoire de sa discipline qu’à son enseignement et sa didactique, et cela se sent. Le style est fluide et imagé, bref plaisant au possible...
...voici donc un bon ouvrage permettant de se construire une culture scientifique sans l’âpreté des équations de la physique.
Commentaire lecteur :
Ce livre n’est pas du tout rigide et formel, il se lit très bien et c’est ce qui fait qu’on retient plus de choses ! Les anecdotes y sont très bien rapportées et on s’amuse à les lire. Ce livre casse la malheureuse idée rigide et complexe que l’on peut avoir des sciences, on apprend en s’amusant et ça réconcilie les gens avec la physique, tant mieux !!!
Par Gérard Borvon.
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En cette année de 1984 des élèves du collège de Mescoat à Landerneau et leurs professeurs de physique et de technologie se sont lancés dans une ambitieuse opération : imaginer et construire 10 appareils photographiques équivalents à ceux qui étaient utilisés dans les premiers temps de la photographie.
A l'atelier
L'appareil
Premières photos réalisées avec l'appareil.
Un "plan film" transparent est utilisé comme négatif.
le collège
photo de groupe.
sans oublier la "meule" !
Visite de M. Simon.
Monsieur Simon est un célèbre collectionneur qui n'hésite pas à faire partager sa passion.
Voir la présentation du musée en video sur tébéo.
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Voir aussi : La méthode du calotype pour un cours de physique au lycée de l'Elorn à Landerneau.
Par Gérard Borvon.
Un article à classer dans la rubrique des souvenirs d'un prof de physique qui ne voulait pas s'ennuyer en classe
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Ce travail a été réalisé par des classes du lycée de l'Elorn à Landerneau. L'idée étant d'introduire des notions d'optique et de chimie à travers un cas concret : la naissance de la photographie. Il s'agissait ici de réaliser un calotype, la première photographie papier par négatif/positif mise au point par William Henry Fox Talbot. (voir à ce sujet l'article de Wikipédia).
Ce travail a fait l'objet de l'annexe d'un article publié dans le bulletin de l'Union des Physiciens sous le titre : du phénakistiscope au cinématographe.
Nous le reproduisons ici.
L'appareil.
Il a été construit par la section ébènisterie du lycée et décoré aux armes de la ville de Landerneau par la section marqueterie.
Le résultat
du négatif au positif
10 secondes sans bouger, c'est long !
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L'histoire de la photo à l'école primaire.
L'appareil a été utilisé par les élèves de CM2 de l'école du Tourous à Landerneau pour une initiation à la photographie.
D'une année à l'autre, chaque classe a apporté sa contribution
ce qui a débouché sur la réalisation d'une exposition.
En 1882, Jules Marey, qui a mis au point son "fusil photographique" écrit à sa mère : "je suis tout à mes expériences qui donnent des résultats étonnants. On en parlera dans Landerneau quand je publierai mes résultats. J'ai un fusil photographique qui n'a rien de meurtrier et qui prend l'image d'un oiseau qui vole ou d'un animal qui court en un temps moindre de 1/500e de seconde".
Juste 100 ans plus tard on parlait effectivement du fusil de Jules Marey à Landerneau.
Landernéens, à vos greniers !
L'appel des lycéens aux habitants de Landerneau a été entendu. Cela s'est traduit par une nouvelle exposition en collaboration avec le club photo de la Maison pour Tous.
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Voir aussi :
Histoire de la photographie. Un projet d'Action Educative au Collège de Mescoat à Landerneau.
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Pour la technique du collodion, voir :
Votre portrait sur verrre au collodion humide par Nicolas Hergoualc'h
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