Fred Hoyles (1915-2001), cosmologiste Britannique, n'imaginait pas le succès de son "big-bang" quand il utilisait cette expression ironique en 1950 pour désigner la théorie qui supposait une expansion de l'univers dont l'origine se situerait à 13,7 milliards d'années de notre ère.
Tout aurait donc commencé par un "Big-bang". C'est-à-dire une évolution de l'univers qui débute par un état dans lequel l'espace, le temps, l'énergie seraient une seule et même chose. Même si notre imagination est incapable de nous en donner une représentation, c'est du moins ce que décrivent les équations issues des théories actuelles.
A partir de cet indicible, l'univers se dilate à une vitesse prodigieuse. Arrive l'instant où se forment les premières particules : des quarks, des électrons, des neutrinos. Elles se combinent bientôt en protons et neutrons cohabitant avec leurs jumeaux d'antimatière qui peu à peu disparaîtront dans un scénario que les chercheurs modernes n'ont pas encore fini d'écrire.
Nous sommes alors à quelques milliers d'années de l'origine, la température est "descendue" jusqu'à 10 000 degrés. Apparaît l'atome le plus simple dont le noyau ne comporte qu'un seul proton : l'hydrogène. Vient ensuite l'hélium dont le noyau contient deux protons et deux neutrons. Chaque noyau étant associé à son cortège d'électrons. Les nuages d’hydrogène et d’hélium se refroidissent et se contractent sous l'effet de la gravité en une multitude de grumeaux : les galaxies.
Deux milliards d'années se sont passées. Les galaxies elles-mêmes se sont fractionnées en nuages d'hydrogène et d'hélium qui se concentrent à leur tour sous l'action de la gravitation. Leur densité augmente, leur température atteint des millions de degrés. Bientôt les chocs disloquent les atomes d'hydrogène dont les protons se regroupent quatre par quatre pour donner des noyaux d'hélium, libérant au passage d'énormes quantités d'énergie sous la forme d'un flux de particules de lumière : les photons. Ainsi naissent et brillent les premières étoiles.
La réserve d'hydrogène s'épuise. Faute de réactifs, le rayonnement de l'étoile fléchit et la gravitation reprend le dessus. Le cœur d'hélium atteint la centaine de millions de degrés. Dans ce formidable "Athanor" commence le rêve des alchimistes. Les noyaux d'hélium se combinent trois par trois pour former du carbone et quatre par quatre pour donner de l'oxygène. Puis se forme l'azote et ainsi naissent les quatre éléments primordiaux, ceux qui seront à l'origine de la vie : H, C, O, N.
Nous ne décrirons pas ici la vie mouvementée des étoiles. L'extinction des plus petites sous forme de "naine noire", l'explosion des plus grosses dans l'éclair d'une "supernova" visible même en plein jour. De ces vies naissent tous les éléments qui s'affichent dans les cases du tableau périodique et qui, expulsés lors des feux d'artifice des explosions finales, constituent la poussière interstellaire qui engendrera les planètes.
Naissance de la Planète bleue.
Un nuage d'hydrogène et d'hélium a pris la forme d'une élégante galaxie spirale, notre voie lactée. Parmi les étoiles qui y naissent l'une, de taille raisonnable, est située aux 2/3 de son centre, notre Soleil. Un anneau de poussières stellaires l'entoure. Celles-ci s'agrègent autour des plus gros grains. Ainsi se forment les planètes solaires elles-mêmes entourées d'anneaux et de satellites.
Une ségrégation s'établit. Plus proches du soleil sont les planètes telluriques : Mercure, Vénus, Terre, mars. Peu massives, elles ont un sol solide dont les roches sont composées des éléments les plus lourds. Plus loin se trouvent Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, les géantes gazeuses, essentiellement formées d'hydrogène et d'hélium.
La Terre, nous dit Stephen Hawking, est une suite de hasards heureux.
- Sa distance au soleil lui donne une température compatible avec la présence d'eau liquide.
- Son orbite est un cercle presque parfait, ce qui lui procure une température sensiblement constante et uniquement modulée par les saisons résultant de l'inclinaison de son axe de rotation par rapport à son plan orbital. Une orbite plus aplatie provoquerait l'ébullition des océans au moment où la Terre serait la plus proche du soleil et les ferait geler quand la Terre en serait la plus éloignée. Difficile de s'adapter !
- Sa masse est juste suffisante pour que la force de gravité lui conserve une atmosphère. Trop faible, elle perdrait ses gaz et aurait un ciel aussi noir que celui de la lune.
On sait aujourd'hui que ce hasard n'est pas unique. La traque des planètes orbitant autour de soleils étrangers a été lancée et la liste de celles tout aussi miraculeusement situées devrait s'allonger rapidement. L'hypothèse d'une vie qui pourrait s'y développer, peut-être même suivant le mode terrestre, prend corps. Et pourquoi ne pas rêver : des êtres intelligents, peut-être un jour, capteront les signaux que nous avons commencé à leur adresser.
Quand s'assemblent les molécules du vivant.
Revenons à la Terre. Vers les années 1950 on estimait son atmosphère initiale, constituée quatre milliards d'années plus tôt, comme étant composée de vapeur d'eau, d'hydrogène, de méthane et d'ammoniac. L'eau apporte l'oxygène. Le méthane apporte le carbone, l'ammoniac l'azote. L'hydrogène se présente aussi bien à l'état de simple molécule qu'associé à chacun des trois autres. Les quatre éléments constitutifs des acides aminés sont donc présents dans cette atmosphère. Est-ce suffisant pour produire ces molécules support du vivant?
En 1953, Le jeune chimiste Stanley Miller, encore étudiant en thèse, imaginait une expérience rappelant l'œuf de Berthelot. Dans un simple ballon de verre, un dispositif simulant le système "eau-atmosphère primitive" était soumis à l'action d'étincelles électriques reproduisant les éclairs qu'une atmosphère si chargée ne pouvait manquer de provoquer.
Après plusieurs jours d'exposition, les parois du ballon présentaient des traces huileuses et l'eau qu'il contenait était devenue brune. Dans cette "soupe primitive" l'étudiant trouvait trois acides aminés. La découverte faisait l'effet d'un coup de tonnerre et l'idée s'imposait : l'origine de la vie est terrestre !
Mais bientôt la terre quitte son statut privilégié. Les astronomes ont détecté dans le gaz interstellaire une multitude de molécules composées des quatre éléments du vivant, C, H, O, N. On y trouve essentiellement des molécules de dihydrogène H2, d'eau H2O. On y trouve aussi des molécules construites sur un squelette de carbone : du monoxyde de carbone CO, du méthane CH4, de l'ammoniac NH3, toutes molécules que l'on retrouve dans l'atmosphère initiale de la terre. On y détecte surtout une bonne centaine de molécules particulièrement complexes dont des acides aminés qui se concentrent sur les météorites. Une nouvelle proposition rencontre la faveur des scientifiques : la vie est née de l'espace, la Terre n'ayant été qu'un support fertile !
Mais faut-il exclure totalement une origine terrestre ? La Terre, avec ses volcans ou ses sources hydrothermales enfouies dans les fonds océaniques est riche en milieux où pressions et températures peuvent provoquer des synthèses proches de celles naissant dans l'univers stellaire. Il est admis que les acides animés, produits aussi bien sur terre que dans l'espace, ont trouvé sur notre planète, et en particulier dans ses océans, les conditions des réactions chimiques propice à la naissance de la vie. L'eau est en effet essentielle. Elle concentre les molécules qu'elle reçoit et favorise les occasions de rencontres. Elle protège les nouvelles combinaisons des rayons ultraviolets issus d'un soleil encore particulièrement actif.
En quelques centaines de millions d'années les molécules se complexifient, les acides aminés s'assemblent en protéines de plus en plus longues jusqu'à atteindre les millions d'atomes de l'ADN. La vie s'installe dans une atmosphère sans oxygène jusqu'à ce qu'apparaissent les premiers organismes utilisant le rayonnement solaire pour puiser leur carbone dans le gaz carbonique de l'atmosphère en y rejetant un déchet, l'oxygène, qui rend l'atmosphère toxique pour la plupart des organismes vivant alors sur terre.
Une autre forme de vie va naître et une longue évolution mènera à l'être humain. Un être humain qui s'interroge encore sur la nature de cette vie qui anime le matière carbonée et sur la suite de hasards qui a fait s'allumer, chez lui, cette conscience qui lui a permis d'imaginer toute cette histoire. Ailleurs, peut-être, sur d'autres planètes tournant autour d'autres soleils, d'autres êtres vivent.
Des êtres qui pourraient nous être proches ? "L'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'Univers d'où il a émergé par hasard", écrivait Jacques Monod en conclusion de son essai sur le "hasard et la nécessité".
Chacune des espèces vivant sur terre est elle-même le produit du hasard mais on sait, à présent, qu'elles sont interdépendantes et que, si le hasard les a fait naître, le hasard n'est plus nécessairement la première cause de leur disparition. L'homme est devenu, en moins de deux siècles, le premier des animaux terrestres capable de modifier, profondément, les conditions de la vie sur sa planète au point d'y menacer l'existence des autres espèces et, en particulier, de la sienne.
Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresse,
Coupable : le dioxyde de carbone. Pourtant sans ce gaz il n'y aurait aucune trace de vie sur Terre.
L'auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu'aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l'importance du carbone et celle du CO2.
L'ouvrage décrit ensuite la naissance d'une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu'elle ne s'applique au charbon et au pétrole.
Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.
Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd'hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
Au moment où l'Europe se souvient du début de la première guerre mondiale, il faut relire le discours de Jaurès à la jeunesse. Noter, en particulier, son espoir d'une science au service de la paix.
"La guerre devient plus difficile parce que la science enveloppe tous les peuples dans un réseau multiplié, dans un tissu plus serré tous les jours de relations, d'échanges, de conventions ; et si le premier effet des découvertes qui abolissent les distances est parfois d'aggraver les froissements, elles créent à la longue une solidarité, une familiarité humaine qui font de la guerre un attentat monstrueux et une sorte de suicide collectif. "
Espoir hélas démenti par les faits.
MESDAMES,
MESSIEURS,
JEUNES ÉLÈVES,
C'est une grande joie pour moi de me retrouver en ce lycée d'Albi et d'y reprendre un instant la parole. Grande joie nuancée d'un peu de mélancolie ; car lorsqu'on revient à de longs intervalles, on mesure soudain ce que l'insensible fuite des jours a ôté de nous pour le donner au passé. Le temps nous avait dérobés à nous mêmes, parcelle à parcelle, et tout à coup c'est un gros bloc de notre vie que nous voyons loin de nous. La longue fourmilière des minutes emportant chacune un grain chemine silencieusement, et un beau soir le grenier est vide.
Mais qu'importe que le temps nous retire notre force peu à peu, s'il l'utilise obscurément pour des oeuvres vastes en qui survit quelque chose de nous ? Il y a vingt deux ans, c'est moi qui prononçais ici le discours d'usage. Je me souviens (et peut-être quelqu'un de mes collègues d'alors s'en souvient-il aussi) que j'avais choisi comme thème : les Jugements humains. Je demandais à ceux qui m'écoutaient de juger les hommes avec bienveillance, c'est-à-dire avec, équité, d'être attentifs dans les consciences les plus médiocres et les existences les plus dénuées, aux traits de lumière, aux fugitives étincelles de beauté morale par où se révèle la vocation de grandeur de la nature humaine. Je les priais d'interpréter avec indulgence le tâtonnant effort de l'humanité incertaine.
Peut-être dans les années de lutte qui ont suivi, ai-je manqué plus d'une fois envers des adversaires à ces conseils de généreuse équité. Ce qui me rassure un peu, c'est que j'imagine qu'on a dû y manquer aussi parfois à mon égard, et cela rétablit 1'équilibre. Ce qui reste vrai, à travers toutes nos misères, à travers toutes les injustices commises ou subies, c'est qu'il faut faire un large crédit à la nature humaine ; c'est qu'on se condamne soi-même à ne pas comprendre l'humanité, si on n'a pas le sens de sa grandeur et le pressentiment de ses destinées incomparables.
Cette confiance n'est ni sotte, ni aveugle, ni frivole. Elle n'ignore pas les vices, les crimes, les erreurs, les préjugés, les égoïsmes de tout ordre, égoïsme des individus, égoïsme des castes, égoïsme des partis, égoïsme des classes, qui appesantissent la marche de l'homme, et absorbent souvent le cours du fleuve en un tourbillon trouble et sanglant. Elle sait que les forces bonnes, les forces de sagesse, de lumière, de justice, ne peuvent se passer du secours du temps, et que la nuit de la servitude et de l'ignorance n'est pas dissipée par une illumination soudaine et totale, mais atténuée seulement par une lente série d'aurores incertaines.
Oui, les hommes qui ont confiance en l'homme savent cela. Ils sont résignés d'avance à ne voir qu'une réalisation incomplète de leur vaste idéal, qui lui-même sera dépassé ; ou plutôt ils se félicitent que toutes les possibilités humaines ne se manifestent point dans les limites étroites de leur vie. Ils sont pleins d'une sympathie déférente, et douloureuse pour ceux qui ayant été brutalisés par l'expérience immédiate ont conçu de pensées amères, pour ceux dont la vie a coïncidé avec des époques de servitude, d'abaissement et de réaction, et qui, sous le noir nuage immobile, ont pu croire que le jour ne se lèverait plus ; Mais eux-mêmes se gardent bien d'inscrire définitivement au passif de l'humanité qui dure les mécomptes des générations qui passent. Et ils affirment avec une certitude qui ne fléchit pas, qu'il vaut la peine de penser et d'agir, que l'effort humain vers la clarté et le droit n'est jamais perdu. L'histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l'invincible espoir.
Dans notre France moderne, qu'est-ce donc que la République ? C'est un grand acte de confiance. Instituer la République, c'est proclamer que des millions d hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu'ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l'ordre ; qu'ils sauront se combattre sans se déchirer ; que leurs divisions n'iront pas jusqu'à une fureur chronique de guerre civile, et qu'ils ne chercheront jamais dans une dictature passagère une trêve funeste et un lâche repos. Instituer la République, c'est proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant assez de temps et de liberté d'esprit pour s'occuper de la chose commune. Et si cette République surgit dans un monde monarchique encore, c'est assurer qu'elle s'adaptera aux conditions compliquées de la vie internationale, sans entreprendre sur l'évolution plus lente des autres peuples, mais sans rien abandonner de sa fierté juste et, sans atténuer l'éclat de son principe.
Oui, la République est un grand acte de confiance et un grand acte d'audace. L'invention en était si audacieuse, si paradoxale, que même les hommes hardis qui, il y a cent dix ans, ont révolutionné le monde, en écartèrent d'abord l'idée. Les constituants de 1789 et de 1791, même les législateurs de 1792 croyaient que la monarchie traditionnelle était l'enveloppe nécessaire de la société nouvelle. Ils ne renoncèrent à cet abri que sous les coups répétés de la trahison royale. Et quand enfin ils eurent déraciné la royauté, la République leur apparut moins comme un système prédestiné que comme le seul moyen de combler le vide laissé par la monarchie. Bientôt cependant, et après quelques heures d'étonnement et presque d'inquiétude, ils l'adoptèrent de toute leur pensée et de tout leur coeur. Ils résumèrent, ils confondirent en elle toute la Révolution. Et ils ne cherchèrent point à se donner le change. Ils ne cherchèrent point à se rassurer par l'exemple des républiques antiques ou des républiques helvétiques et italiennes. Ils virent bien qu'ils créaient une oeuvre, nouvelle, audacieuse et sans précédent. Ce n'était point l'oligarchique liberté des républiques de la Grèce, morcelées, minuscules et appuyées sur le travail servile. Ce n'était point le privilège superbe de servir la république romaine, haute citadelle d'où une aristocratie conquérante dominait le monde, communiquant avec lui par une hiérarchie de droits incomplets et décroissants qui descendait jusqu'au néant du droit, par un escalier aux marches toujours plus dégradées et plus sombres, qui se perdait enfin dans l'abjection de l'esclavage, limite obscure de la vie touchant à la nuit souterraine. Ce n'était pas le patriciat marchand de Venise et de Gênes. Non c'était la République d'un grand peuple où il n'y avait que des citoyens et où tous les citoyens étaient égaux. C'était la République de la démocratie et du suffrage universel. C'était une nouveauté magnifique et émouvante.
Les hommes de la Révolution en avaient conscience. Et lorsque dans la fête du 10 août 1793, ils célébrèrent cette Constitution, qui pour la première fois depuis l'origine de l'histoire organisait la souveraineté nationale et la souveraineté de tous, lorsque artisans et ouvriers, forgerons, menuisiers, travailleurs des champs défilèrent dans le cortège, mêlés aux magistrats du peuple et ayant pour enseignes leurs outils, le président de la Convention put dire que c'était un jour qui ne ressemblait à aucun autre jour, le plus beau depuis que le soleil était suspendu dans l'immensité de l'espace Toutes les volontés se haussaient pour être à la mesure de cette nouveauté héroïque. C'est pour elle que ces hommes combattirent et moururent. C'est en son nom qu'ils refoulèrent les rois de l'Europe. C'est en son nom qu'ils se décimèrent. Et ils concentrèrent en elle une vie si ardente et si terrible, ils produisirent par elle tant d'actes et tant de pensées, qu'on put croire que cette République toute neuve, sans modèle comme sans traditions, avait acquis en quelques années la force et la substance des siècles. Et pourtant que de vicissitudes et d'épreuves avant que cette République que les hommes de la Révolution avaient crue impérissable soit fondée enfin sur notre sol. Non seulement après quelques années d'orage elle est vaincue, mais il semble qu'elle s'efface à jamais et de l'histoire et de la mémoire même des hommes. Elle est bafouée, outragée ; plus que cela, elle est oubliée. Pendant un demi-siècle, sauf quelques coeurs profonds qui gardaient le souvenir et l'espérance , les hommes, la renient ou même l'ignorent. Les tenants de l'ancien régime ne parlent d'elle que pour en faire honte à la Révolution : "Voilà où a conduit le délire révolutionnaire". Et parmi ceux qui font profession de défendre le monde moderne, de continuer la tradition de la Révolution, la plupart désavouent la République et la démocratie. On dirait qu'ils ne se souviennent même plus. Guizot s'écrie : "Le suffrage universel n'aura jamais son jour". Comme s'il n'avait pas eu déjà ses grands jours d'histoire, comme si la Convention n'était pas sortie de lui. Thiers, quand il raconte la révolution du 10 août , néglige de dire qu'elle proclama le suffrage universel, comme si c'était là un accident sans importance et une bizarrerie d'un jour. République, suffrage universel, démocratie, ce fut, à en croire les sages, le songe fiévreux des hommes de la Révolution. Leur oeuvre est restée, mais leur fièvre est éteinte et le monde moderne qu'ils ont fondé, s'il est tenu de continuer leur oeuvre, n'est pas tenu de continuer leur délire. Et la brusque résurrection de la République, reparaissant en 1848 pour s'évanouir en 1851, semblait en effet la brève rechute dans un cauchemar bientôt dissipé.
Et voici maintenant que cette République qui dépassait de si haut l'expérience séculaire des hommes et le niveau commun de la pensée que quand elle tomba ses ruines mêmes périrent et son souvenir s'effrita, voici que cette République de démocratie, de suffrage universel et d'universelle dignité humaine, qui n'avait pas eu de modèle et qui semblait destinée à n'avoir pas de lendemain, est devenu la loi durable de la nation, la forme définitive de la vie française, le type vers lequel évoluent lentement toutes les démocraties du monde.
Or, et c'est là surtout ce que je signale à vos esprits, l'audace même de la tentative a contribué au succès. L'idée d'un grand peuple se gouvernant lui-même était si noble qu'aux heures de difficulté et de crise elle s'offrait à la conscience de la nation. Une première fois en 1793 le peuple de France avait gravi cette cime, et il y avait goûté un si haut orgueil, que toujours sous l'apparent oubli et l'apparente indifférence, le besoin subsistait de retrouver cette émotion extraordinaire. Ce qui faisait la force invincible de la République, c'est qu'elle n'apparaissait pas seulement de période en période, dans le désastre ou le désarroi des autres régimes, comme l'expédient nécessaire et la solution forcée. Elle était une consolation et une fierté. Elle seule avait assez de noblesse morale pour donner à la nation la force d'oublier les mécomptes et de dominer les désastres. C'est pourquoi elle devait avoir le dernier mot. Nombreux sont les glissements et nombreuses les chutes sur les escarpements qui mènent aux cimes ; mais les sommets ont une force attirante. La République a vaincu parce qu'elle est dans la direction des hauteurs, et que l'homme ne peut s'élever sans monter vers elle. La loi de la pesanteur n'agit pas souverainement sur les sociétés humaines ; et ce n'est pas dans les lieux bas qu'elles trouvent leur équilibre. Ceux qui, depuis un siècle, ont mis très haut leur idéal ont été justifiés par l'histoire. Et ceux-là aussi seront justifiés qui le placent plus haut encore. Car le prolétariat dans son ensemble commence à affirmer que ce n'est pas seulement dans les relations politiques des hommes, c'est aussi dans leurs relations économiques et sociales qu'il faut faire entrer la liberté vraie, l'égalité, la justice. Ce n'est pas seulement la cité, c'est l'atelier, c'est le travail, c'est la production, c'est la propriété qu'il veut organiser selon le type républicain. A un système qui divise et qui opprime, il entend substituer une vaste coopération sociale où tous les travailleurs de tout ordre, travailleurs de la main et travailleurs du cerveau, sous la direction de chefs librement élus par eux, administreront la production enfin organisée.
Messieurs, je n'oublie pas que j'ai seul la parole et que ce privilège m'impose beaucoup de réserve. Je n'en abuserai point pour dresser dans cette fête une idée autour de laquelle se livrent et se livreront encore d'âpres combats. Mais comment m'était-il possible de parler devant cette jeunesse qui est l'avenir, sans laisser échapper ma pensée d'avenir Je vous aurais offensés par trop de prudence ; car quel que soit votre sentiment sur le fond des choses, vous êtes tous des esprits trop libres pour me faire grief d'avoir affirmé ici cette haute espérance socialiste, qui est la lumière de ma vie. Je veux seulement dire deux choses, parce qu'elles touchent non au fond du problème, mais à la méthode de l'esprit et à la conduite de la pensée. D'abord, envers une idée audacieuse qui doit ébranler tant d'intérêts et tant d'habitudes et qui prétend renouveler le fond même de la vie, vous avez le droit d'être exigeants. Vous avez le droit de lui demander de faire ses preuves, c'est-à-dire d'établir avec précision comment elle se rattache à toute l'évolution politique et sociale, et comment elle peut s'y insérer. Vous avez le droit de lui demander par quelle série de formes juridiques et économiques elle assurera le passage de l'ordre existant à l'ordre nouveau. Vous avez le droit d'exiger d'elle que les premières applications qui en peuvent être faites ajoutent à la vitalité économique et morale de la nation. Et il faut qu'elle prouve, en se montrant capable de défendre ce qu'il y a déjà de noble et de bon dans le patrimoine humain, qu'elle ne vient pas le gaspiller, mais l'agrandir. Elle aurait bien peu de foi en elle-même si elle n'acceptait pas ces conditions.
En revanche, vous, vous lui devez de l'étudier d'un esprit libre, qui ne se laisse troubler par aucun intérêt de classe. Vous lui devez de ne pas lui opposer ces railleries frivoles, ces affolements aveugles ou prémédités et ce parti pris de négation ironique ou brutale que si souvent, depuis, un siècle même, les sages opposèrent à la République, maintenant acceptée de tous, au moins en sa forme. Et si vous êtes tentés de dire encore qu'il ne faut pas s'attarder à examiner ou à discuter des songes, regardez en un de vos faubourgs. Que de railleries, que de prophéties sinistres sur l'oeuvre qui est là ! Que de lugubres pronostics opposés aux ouvriers qui prétendaient se diriger eux-mêmes, essayer dans une grande industrie la forme de la propriété collective et la vertu de la libre discipline. L'oeuvre a duré pourtant ; elle a grandi : elle permet d'entrevoir ce que peut donner la coopération collectiviste. Humble bourgeon à coup sûr mais qui atteste le travail de la sève, la lente montée des idées nouvelles la puissance de transformation de la vie. Rien n'est plus menteur que le vieil adage pessimiste et réactionnaire de l'Ecclésiaste désabusé : "II n'y a rien de nouveau sous le soleil". Le soleil lui, même a été jadis une nouveauté, et la terre fut une nouveauté, et l'homme fut une nouveauté. L'histoire humaine n'est qu'un effort incessant d'invention, et la perpétuelle évolution est une perpétuelle création.
C'est donc d'un esprit libre aussi, que vous accueillerez cette autre grande nouveauté qui s'annonce par des symptôme multipliés : la paix durable entre les nations, la paix définitive. Il ne s'agit point de déshonorer la guerre dans le passé. Elle a été une partie de la grande action humaine, et l'homme l'a ennoblie par la pensée et le courage, par l'héroïsme exalté, par le magnanime mépris de la mort. Elle a été sans doute et longtemps, dans le chaos de l'humanité désordonnée et saturée d'instincts brutaux, le seul moyen de résoudre les conflits ; elle a été aussi la dure force qui, en mettant aux prises les tribus, les peuples, les races, a mêlé les éléments humains et préparé les groupements vastes. Mais un jour vient, et tout nous signifie qu'il est proche, où l'humanité est assez organisée, assez maîtresse d'elle-même pour pouvoir résoudre par la raison, la négociation et le droit les conflits de ses groupements et de ses forces. Et la guerre, détestable et grande tant qu'elle était nécessaire, est atroce et scélérate quand elle commence à paraître inutile.
Je ne vous propose pas un rêve idyllique et vain. Trop longtemps les idées de paix et d'unité humaines n'ont été qu'une haute clarté illusoire qui éclairait ironiquement les tueries continuées. Vous souvenez-vous de l'admirable tableau que nous a laissé Virgile de la chute de Troie ? C'est la nuit : la cité surprise est envahie par le fer et le feu, par le meurtre, l'incendie et le désespoir. Le palais de Priam est forcé et les portes abattues laissent apparaître la longue suite des appartements et des galeries. De chambre en chambre, les torches et les glaives poursuivent les vaincus ; enfants, femmes, vieillards se réfugient en vain auprés de l'autel domestique que le laurier sacré ne protège plus contre la mort et contre 1'outrage, le sang coule à flots, et toutes les bouches crient de terreur, de douleur, d'insulte et de haine. Mais par dessus la demeure bouleversée et hurlante, les cours intérieures, les toits effondrés laissent apercevoir le grand ciel serein et paisible, et toute la clameur humaine de violence et d'agonie monte vers les étoiles d'or : Ferit aurea sidera clamor.
De même, depuis vingt siècles, et de période en période, toutes les fois qu'une étoile d'unité et de paix s'est levée sur les hommes, la terre déchirée et sombre a répondu par des clameurs de guerre.
C'était d'abord 1'astre impérieux de Rome conquérante qui croyait avoir absorbé tous le conflits dans le rayonnement universel de sa force. L'empire s'effondre sous le choc des barbares, et un effroyable tumulte répond à la prétention superbe de la paix romaine. Puis ce fut l'étoile chrétienne qui enveloppa la terre d'une lueur de tendresse et d'une promesse de paix. Mais atténuée et douce aux horizons galiléens, elle se leva dominatrice et âpre sur l'Europe féodale. La prétention de la papauté à apaiser le monde sous sa loi et au nom de 1'unité catholique ne fit qu'ajouter aux troubles et aux conflits de l'humanité misérable. Les convulsions et les meurtres des nations du moyen age, les chocs sanglants des nations modernes, furent la dérisoire réplique à la grande promesse de paix chrétienne. La Révolution à son tour lève un haut signal de paix universelle par 1'universelle liberté. Et voilà que de la lutte même de la Révolution contre les forces du vieux monde, se développent des guerre formidables.
Quoi donc ? La paix nous fuira-t-elle toujours ? Et la clameur des hommes, toujours forcenés et toujours déçus, continuera-t-elle à monter vers les étoiles d'or, des capitales modernes incendiées par les obus, comme de l'antique palais de Priam incendié par les torches Non ! non ! et malgré les conseils de prudence que nous donnent ces grandioses déceptions, j'ose dire, avec des millions d'hommes, que maintenant la grande paix humaine est possible, et si nous le voulons, elle est prochaine. Des forces neuves travaillent : la démocratie, la science méthodique, l'universel prolétariat solidaire. La guerre devient plus difficile, parce qu'avec les gouvernements libres des démocraties modernes, elle devient à la fois le péril de tous par le service universel, le crime de tous par le suffrage universel. La guerre devient plus difficile parce que la science enveloppe tous les peuples dans un réseau multiplié, dans un tissu plus serré tous les jours de relations, d'échanges, de conventions ; et si le premier effet des découvertes qui abolissent les distances est parfois d'aggraver les froissements, elles créent à la longue une solidarité, une familiarité humaine qui font de la guerre un attentat monstrueux et une sorte de suicide collectif.
Enfin, le commun idéal qui exalte et unit les prolétaires de tous les pays les rend plus réfractaires tous les jours à l'ivresse guerrière, aux haines et aux rivalités de nations et de races. Oui, comme l'histoire a donné le dernier mot à la République si souvent bafouée et piétinée, elle donnera le dernier mot à la paix, si souvent raillée par les hommes et les choses, si souvent piétinée par la fureur des événements et des passions. Je ne vous dis pas : c'est une certitude toute faite. Il n'y a pas de certitude toute faite en histoire. Je sais combien sont nombreux encore aux jointures des nations les points malades d'où peut naître soudain une passagère inflammation générale. Mais je sais aussi qu'il y a vers la paix des tendances si fortes, si profondes, si essentielles, qu'il dépend de vous, par une volonté consciente délibérée, infatigable, de systématiser ces tendances et de réaliser enfin le paradoxe de la grande paix humaine, comme vos pères ont réalisé le paradoxe de la grande liberté républicaine. Oeuvre difficile, mais non plus oeuvre impossible.
Apaisement des préjugés et des haines, alliances et fédérations toujours plus vastes, conventions internationales d'ordre économique et social, arbitrage international et désarmement simultané, union des hommes dans le travail et dans la lumière : ce sera, jeunes gens, le plus haut effort et la plus haute gloire de la génération qui se lève. Non, je ne vous propose pas un rêve décevant ; je ne vous propose pas non plus un rêve affaiblissant. Que nul de vous ne croie que dans la période encore difficile et incertaine qui précédera l'accord définitif des nations, nous voulons remettre au hasard de nos espérances la moindre parcelle de la sécurité, de la dignité, de la fierté de la France. Contre toute menace et toute humiliation, il faudrait la défendre ; elle est deux fois sacrée pour nous, parce qu'elle est la France, et parce qu'elle est humaine. Même l'accord des nations dans la paix définitive n'effacera pas les patries, qui garderont leur profonde originalité historique, leur fonction propre dans l'oeuvre commune de 1'humanité réconciliée. Et si nous ne voulons pas attendre, pour fermer le livre de la guerre, que la force ait redressé toutes les iniquités commises par la force, si nous ne concevons pas les réparations comme des revanches, nous savons bien que l'Europe, pénétrée enfin de la vertu de la démocratie et de l'esprit de paix, saura trouver les formules de conciliation qui libéreront tous les vaincus des servitudes et des douleur qui s'attachent à la conquête.
Mais d'abord, mais avant tout, il faut rompre le cercle de fatalité, le cercle de fer, le cercle de haine où les revendications mêmes justes provoquent des représailles qui se flattent de l'être, où la guerre tourne après la guerre en un mouvement sans issue et sans fin où le droit et la violence, sous la même livrée sanglante, ne se discerneront presque plus 1'un de l'autre, et où l'humanité déchirée pleure de la victoire de la justice presque autant que sa défaite.
Surtout, qu'on ne nous accuse point d'abaisser, ou d'énerver les courages. L'humanité est maudite, si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer éternellement. Le courage, aujourd'hui, ce n'est pas de maintenir sur le monde la nuée de la Guerre, nuée terrible, mais dormante dont on peut toujours se flatter qu'elle éclatera sur d'autres. Le courage, ce n'est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ; car le courage est l'exaltation de 1'homme, et ceci en est 1'abdication. La courage pour vous tous, courage de toutes les heures, c'est de supporter sans fléchir les épreuves de tout ordre, physiques et morales, que prodigue la vie. Le courage, c'est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces ; c'est de garder dans les lassitudes inévitables l'habitude du travail et de l'action. Le courage dans le désordre infini de la vie qui nous sollicite de toutes parts, c'est de choisir un métier et de le bien faire, quel qu'il soit : c'est de ne pas se rebuter du détail minutieux ou monotone ; c'est de devenir, autant qu'on le peut, un technicien accompli ; c'est d'accepter et de comprendre cette loi de la spécialisation du travail qui est la condition de l'action utile, et cependant de ménager à son regard, à son esprit, quelques échappées vers le vaste monde et des perspectives plus étendue. Le courage, c'est d'être tout ensemble et quel que soit le métier, un praticien et un philosophe. Le courage, c'est de comprendre sa propre vie, de la préciser, de l'approfondir, de l'établir et de la coordonner cependant à la vie générale. Le courage, c'est de surveiller exactement sa machine à filer ou tisser, pour qu'aucun fil ne se casse, et de préparer cependant un ordre social plus vaste et plus fraternel où la machine sera la servante commune des travailleurs libérés. Le courage, c'est d'accepter les conditions nouvelles que la vie fait à la science et à l'art, d'accueillir, d'explorer la complexité presque infinie des faits et des détails, et cependant d'éclairer cette réalité énorme et confuse par des idées générales, de l'organiser et de la soulever par la beauté sacrée des formes et des rythmes. Le courage, c'est de dominer ses propres fautes, d'en souffrir, mais de n'en pas être accablé et de continuer son chemin. Le courage, c'est d'aimer la vie et de regarder la mort d'un regard tranquille ; c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel ; c'est d'agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l'univers profond, ni s'il lui réserve une récompense. Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire ; c'est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques.
Ah ! vraiment, comme notre conception de la vie est pauvre, comme notre science de vivre est courte, si nous croyons que, la guerre abolie, les occasions manqueront aux hommes d'exercer et d'éprouver leur courage, et qu'il faut prolonger les roulements de tambours qui dans les lycées du premier Empire faisaient sauter les coeurs ! Ils sonnaient alors un son héroïque ; dans notre vingtième siècle, ils sonneraient creux. Et vous, jeunes gens, vous voulez que votre vie soit vivante, sincère et pleine. C'est pourquoi je vous ai dit, comme à des hommes, quelques-unes des choses que je portais en moi.
Le temps est écoulé : si les Etats accordent encore quelque importance à l'objectif de limiter la hausse moyenne des températures mondiales à 2°C d'ici la fin du siècle, ils doivent agir dès maintenant en déployant des politiques d'une envergure sans commune mesure avec les initiatives prises jusqu'à présent. Tel est l'un des principaux messages du nouveau rapport sur « l'atténuation du changement climatique » du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), dont la synthèse a été publiée, dimanche 13 avril à Berlin.
Ce texte d'une trentaine de pages et qui constitue le « résumé pour les décideurs » est destiné à éclairer les gouvernements dans leurs choix en compilant l'état des connaissances sur les possibles scénarios de décarbonisation de l'économie mondiale. Près de 1200 projections ont été analysées et 235 scientifiques de 57 pays ont participé à sa rédaction.
L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone et celle du CO2.
L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole.
Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.
Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, inondations, sécheresses…
Coupable : le dioxyde de carbone.
Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.
L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone et celle du CO2.
L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole.
Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.
Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
Appelé "l’or de la mer" ou "larmes des dieux", l’ambre est un curieux matériau. Il peut se brûler, se charger d’électricité statique et conserver pendant des millions d’années les éléments inclus lors de son processus de fossilisation. Les Anciens lui attribuaient des vertus magiques et le considéraient comme un cadeau royal. Les tombes des souverains d’Égypte, de Syrie ou de Grèce contenaient de nombreux objets précieux travaillés à partir de cette résine fossile.
Mais d’où venait-elle ?
Des recherches récentes révèlent l’empreinte chimique de l’ambre et précisent son origine : la mer Baltique. Une route de l’ambre devait donc relier les deux extrémités du monde connu à cette époque : les bords riants du Nil et les rives tempétueuses du Nord. Mais par où passait cette voie disparue ? De récentes fouilles semblent confirmer qu'elle traversait, entre autres, la Bavière, plus précisément Bernstorf où des archéologues ont mis au jour un sceau fait en ambre de la Baltique et en or des mines d’Égypte. Il représente d'ailleurs un visage gravé qui pourrait être la réplique du fameux masque d’or d’Agamemnon retrouvé à Mycènes.
L’influence de l’homme sur le système climatique est claire.
Cela est manifeste dans la plupart des régions du globe, d’après une nouvelle évaluation du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC).
Il est extrêmement probable que l’influence de l’homme a été la cause principale du réchauffement observé depuis la moitié du XXe siècle.
Les preuves s’en sont multipliées grâce à l’amélioration et à la prolifération des observations, à une meilleure compréhension des réactions du système climatique et à l’amélioration des modèles du climat.
Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…
Coupable : le dioxyde de carbone.
Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.
L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone et celle du CO2.
L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole.
Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.
Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…
Coupable : le dioxyde de carbone.
Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.
L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone et celle du CO2.
L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole.
Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.
Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
Qui ne mesure, aujourd’hui, l’importance des ondes électromagnétiques de toutes fréquences, ondes radio, radar, ondes diverses des systèmes de téléphonie mobile… Le premier à les produire et à les voir agir est un jeune chercheur de 30 ans Heinrich Hertz.
Sa découverte résulte de la rencontre d’une pensée théorique majeure, celle de Maxwell, et d’une technique aboutie, celle des fabricants de matériel scientifique et parmi eux, Ruhmkorff.
A la conquête des hautes tensions : la bobine de Ruhmkorff.
Les piles ont un mérite : elles fournissent un courant de façon continue. Elles ont aussi un inconvénient : elles ne permettent pas l’accès à des tensions de plusieurs milliers de volts.
Or la médecine reste fidèle à ces chocs électriques qui, même quand ils ne guérissent pas, sont l’affichage d’une supposée haute technicité. C’est pourquoi les machines électrostatiques ont sans cesse été perfectionnées pendant tout le 19ème siècle. La machine de Wimshurst en est le plus bel aboutissement. Dans les années 1880 elle se répand dans tous les cabinets des médecins aussi bien que dans les laboratoires des universités et des lycées où nous la trouvons encore aujourd’hui.
Machine de Wimshurst, dans son coffret, munie de ses accessoires.
Un nouvel instrument va bientôt lui faire concurrence : la bobine de Ruhmkorff. Celle-ci est le résultat d’efforts dispersés.
On prête généralement à Joseph Henry, professeur à l’Académie d’Albany, la première observation, en 1832, d’étincelles de rupture. Le montage qui l’amène à cette observation est constitué de deux fils longs de plusieurs mètres reliés à quelques éléments de pile. Le circuit est fermé par un godet empli de mercure. Si l’un des fils est brusquement retiré de ce godet, une étincelle éclate entre le mercure et le fil.
Tout se passe comme si le courant faisait preuve d’inertie et tendait à se maintenir après l’ouverture. Henry désigne ce phénomène par le terme "d’extra-courant de rupture". Il constate que celui-ci est encore plus violent quand le fil est enroulé en spires jointes et en particulier quand on introduit un noyau de fer doux dans l’axe de ces spires. Faraday, un an plus tôt, avait découvert l’induction d’un circuit sur un autre circuit proche lors de l’ouverture ou de la fermeture du premier.
Henry venait de découvrir le phénomène "d’auto-induction" d’un circuit sur lui-même.
L’apparition d’étincelles, preuve de l’existence d’une haute tension entre le mercure et le fil lors de la rupture, intéresse les médecins et fabricants de matériels scientifiques. On prête à Charles Grafton Page, médecin et compatriote de Henry, la fabrication d’un "autotransformateur" constitué d’une seule bobine dont une première partie, alimentée par les piles, constitue le primaire et où le secondaire, où se produisent les étincelles, est constitué par le reste de la bobine.
Bientôt les deux circuits seront séparés et la bobine prend sa forme plus élaborée entre les mains de Heinrich Daniel Ruhmkorff (1803-1877).
Né en Allemagne, Ruhmkorff vient à Paris pour y apprendre et y exercer le métier de fabricant d’instruments scientifiques de précision. Son chef d’œuvre est cette fameuse bobine d’induction à laquelle sera bientôt associé son seul nom, faisant oublier du même coup tous ceux, nombreux, qui y ont apporté leur contribution.
" Le corps de la bobine, S, est en carton mince, et les rebords en bois vernis de gomme laque. Sur le cylindre de carton, se trouvent enroulées deux hélices de fil de cuivre, parfaitement isolées. Une de ces hélices est composée de gros fil (d’environ 2 millimètres) ; l’autre, de fil très fin (dans un autre passage Louis Figuier dira qu’il peut atteindre jusqu’à 30 kilomètres de longueur). Les bouts de ces quatre fils sortent des rebords de la bobine par quatre trous a, b, c, d. Les extrémités du fil fin se rendent aux boutons A, B, montés sur des colonnes de verre. Les extrémités du gros fil viennent aboutir à deux petites bornes métalliques, qui communiquent avec les deux pôles de la pile.".
Une pièce importante du montage est le "vibreur" qui établit et supprime le courant au primaire. Celui-ci, mis au point par Foucault, comporte une lame portant deux contacts qui plongent dans deux godets de mercure qui ferme le circuit alimentant un électroaimant. Celui-ci attire la lame et ouvre le circuit. Cette ouverture ramenant la lame à sa position initiale, il s’en suit une vibration entretenue qui peut atteindre plusieurs centaines d’ouvertures et de fermetures par seconde. Un condensateur, évitant les étincelles de rupture au primaire, complète le montage.
La puissance obtenue est extraordinaire. Des étincelles de plus de trente centimètres peuvent être obtenues au secondaire. Les commotions produites sont d’une extrême violence. Des expérimentateurs peu prudents le vérifieront à leurs dépens. Un collaborateur de Ruhmkorff se trouve ainsi renversé par une décharge qui le laisse dans un état d’extrême faiblesse pendant plusieurs jours. Seules des batteries de bouteilles de Leyde avaient, jusqu’à présent produit de tels effets. Mais, avantage de la bobine de Ruhmkorff sur les bouteilles de Leyde, celle-ci ne se décharge pas et produit des hautes tensions permanentes.
Les expériences se multiplient. Des blocs de verre de 10 centimètres d’épaisseur sont percés par l’étincelle. Les métaux et les terres les plus réfractaires y sont fondus.
Application utile autant que spectaculaire : la bobine peut enflammer plusieurs explosifs de façon simultanée rendant ainsi les travaux des mines et des carrières plus efficaces (la dynamite a récemment été brevetée par Alfred Nobel). Cette pratique vient, hélas, enrichir l’arsenal guerrier et la bobine est célébrée pour avoir permis, en octobre 1860, de faire sauter le fort de Peï-ho pendant l’expédition de Chine et la "guerre de l’opium" qui se termina par le sac du Palais d’été.
Plus pacifique est l’utilisation de la bobine par les médecins qui en font la nouvelle thérapie à la mode. Mais la bobine se donne aussi en spectacle. On se souvient de l’abbé Nollet faisant sauter en l’air une compagnie de soldats des gardes françaises au moyen de la bouteille de Leyde. A un siècle de distance les démonstrateurs forains des ponts de Paris renouvellent le spectacle.
Démonstration de choc électrique par la bobine de Ruhmkorff
Juste reconnaissance, Ruhmkorff se voit attribuer, en 1864, le prix Volta. Les 50 000 francs de ce prix, créé par Napoléon après la visite de Volta à Paris pour récompenser la meilleure application de la pile, n’avaient encore jamais été attribués. Rétabli en 1852 par Napoléon III, Ruhmkorff est le premier à le recevoir.
Son générateur à haute tension, qui figure dans le moindre laboratoire, est aussi une source de recherches nouvelles que les plus habiles et les plus volontaires sauront mettre à profit.
Vers la découverte des ondes "hertziennes".
Né à Hambourg, Heinrich Hertz (1857–1894) est le fils d’un important magistrat de la ville. Jeune homme studieux, il se destine d’abord à la profession d’ingénieur mais son goût pour les mathématiques et les sciences de la nature l’amène à choisir la voie universitaire. D’abord à Munich, à Berlin, à Kiel. En 1884, il intègre l’école supérieure de technique de Karlsruhe dans laquelle il trouve un laboratoire bien équipé.
Après avoir étudié différents sujets au gré de ses nominations successives, il s’intéresse alors aux théories de l’électromagnétisme et se plonge dans l’étude des ouvrages de Helmholtz, son professeur à Berlin, de Weber et de Maxwell.
Le hasard d’une manipulation l’incite à étudier les étincelles qui éclatent dans un montage, dans des circonstances où elles n’étaient pas attendues. Guidé par ses précédentes études de l’électromagnétisme, cette piste l’amène à prouver l’existence des ondes électromagnétiques proposées par Maxwell. Il présente ses résultats en décembre 1888 dans un mémoire adressé à l’Académie des Sciences de Berlin.
Son dispositif comprend un émetteur. Le montage le plus habituellement décrit comprend deux sphères de cuivre, creuses, d’une trentaine de centimètres de rayon. Elles sont reliées par une tige conductrice de 0,5cm de diamètre et de 1,5 mètres de longueur. Cette tige est interrompue en son milieu par un très petit intervalle.
Les deux sphères sont alimentées par les décharges du secondaire d’une bobine de Ruhmkorff, l’une d’électricité positive, l’autre d’électricité négative. Quand la tension devient suffisante une étincelle éclate dans l’espace ménagé entre les deux tiges. Loin de provoquer la neutralité des deux boules, ce courant se prolonge au-delà de l’équilibre comme par une "inertie" liée à "l’inductance" du circuit. Alors, explique Hertz, dans un texte publié en 1889 dans les Archives de Genève, il se créera sur les deux sphères "des charges inverses de celles qu’elles présentaient d’abord : celles-ci provoqueront une nouvelle décharge, et ainsi de suite, il se produira ainsi une série d’oscillations entre les deux sphères… ". C’est une "sorte de diapason électrique" ajoute-t-il. Un diapason dont la théorie permet de calculer la fréquence à partir de la capacité et de l’inductance du circuit. Hertz estime que la fréquence des oscillations provoquées par son montage est de l’ordre de cent millions de périodes par seconde.
Après l’émetteur, le récepteur. C’est un "résonateur" constitué soit par une spire conductrice circulaire de 35cm de rayon ou par un fil disposé en un carré de 60cm de côté. Chacun de ces dispositifs étant interrompu par une ouverture garnie de deux petites boules le laiton dont on peut régler l’écart par une vis micrométrique (ou micromètre à étincelle).
" Lorsque le résonateur est placé dans le champ électrique, il se produit entre les boules du résonateur des étincelles visibles, même à 20 et 25 mètres de la bobine. Le mur, une cloison de briques, etc., n’arrêtent pas la propagation des ondulations électriques révélées non seulement à l’aide du résonateur, mais avec deux morceaux de métal quelconque (clefs, pièces de monnaie, etc.), mis en contact et séparés pendant que la bobine fonctionne. Le résonateur donne cependant des résultats toujours plus nets, lorsqu’il est bien proportionné, parce que les mouvements électriques dont il est le siège sont synchrones avec ceux de la bobine…"
En disposant de grands miroirs en zinc sur le trajet des radiations électriques, on peut les réfléchir, et répéter toutes les expériences classiques d’optique sur les rayons lumineux.
Ces rayons peuvent être polarisés, diffusés, réfléchis régulièrement, exactement, etc., comme les rayons lumineux.
En traversant un prisme de poix ou de bitume, les rayons électriques sont réfractés, l’indice de réfraction électrique ayant sensiblement la même valeur que l’indice de réfraction optique. Toutes ces coïncidences et biens d’autres sur lesquelles nous ne saurions insister ici, rendent très probable la théorie de Maxwell et semblent autoriser M. Hertz à considérer les radiations électriques comme des radiations lumineuses de grande longueur d’onde. Voici en effet, quelles sont les conclusions de son dernier Mémoire présenté à l’Académie des sciences de Berlin.
"Pour moi, les faits observés me paraissent mettre hors de doute l’identité de la lumière, de la chaleur rayonnante, et des mouvements électrodynamiques. Je crois que l’identité conduira à des conséquences aussi profitables pour la théorie de l’optique que pour celle de l’électricité."
Ajoutons que Hertz, par des expériences d’interférences, a pu mesurer la vitesse de propagation de ces ondes et vérifier qu’elle est bien celle de la lumière comme l’avait prévu Maxwell.
Les Ondes se propagent dans toute l’Europe.
Ces expériences, facilement reproductibles, font rapidement le tour des laboratoires européens.
A Genève elles prennent une dimension pharaonique. Pour déterminer avec une précision suffisante la vitesse de propagation des ondes, les physiciens Sarasin et de la Rive veulent réaliser des interférences sur une grande échelle. Un écran de zinc de 8 mètres de hauteur sur 16 de large est placé à 15 mètres de l’émetteur.
Les ondes incidentes et réfléchies se combinent pour donner des ventres et des nœuds d’oscillation. Un détecteur constitué d’un anneau ouvert d’un faible intervalle est déplacé perpendiculairement à l’écran. Dans les nœuds rien ne se passe, dans les ventres des étincelles éclatent entre les boules placées aux extrémités de l’anneau.
La connaissance précise de la longueur d’onde permet ainsi de vérifier l’identité de la vitesse des ondes électromagnétiques et des ondes lumineuses non seulement dans l’air mais aussi dans l’eau ou dans l’alcool.
Les partisans de Maxwell triomphent. Qui pourrait encore douter de la véracité de sa théorie ? Son décès prématuré, dix ans auparavant, ne lui aura pas permis d’être lui-même le témoin de ce succès.
Hertz lui-même meurt d’une maladie foudroyante 7 ans après sa découverte. Il n’a que 36 ans et ne verra pas le début de ces "ondes radiophoniques" qui vont, dans le siècle qui suivra, transformer notre planète en un vaste village.
L’éther existe donc ? L’expérience de Michelson et Morley.
L’éther existe. Après les expériences de Hertz, qui pourrait en douter ? Certainement pas tous ceux qui en étaient déjà convaincus.
Parmi ceux-ci l’Américain Albert Abraham Michelson (1852-1931). En 1878, il réalise une mesure précise de la vitesse de la lumière et imagine d’en déduire la vitesse de la terre sur son orbite, estimée à une valeur de l’ordre de 30km/s (c’est à dire environ 1/10 000ème de celle de la lumière).
Il s’agit de comparer la mesure la vitesse de la lumière dans la direction de la trajectoire de la terre avec sa mesure dans une direction perpendiculaire. L’idée étant que ces deux valeurs doivent nécessairement être différentes dans la mesure où les ondes lumineuses devaient être emportées par le "vent d’éther" balayant la terre dans son mouvement comme le son est emporté par le vent ou un nageur par le courant d’une rivière. De la différence entre les deux mesures de vitesse, il serait possible de déduire la vitesse de la terre.
Commencée en 1881 par Michelson seul, l’expérience était poursuivie avec l’aide de son collègue Edward Morley. Le montage de "Michelson et Morley" est connu. Il s’agit d’un interféromètre qui recombine un rayon issu d’une source unique et dirigé dans les deux directions perpendiculaires au moyen d’un miroir semi-réfléchissant. La différence de vitesse devrait pouvoir se mesurer par l’observation des franges d’interférence obtenues.
Mais le résultat attendu n’est pas là. Aucune différence de vitesse n’est mesurable. Cet éther qui porte la lumière et les ondes hertziennes se dérobe. Existe-t-il vraiment ?
Il faudra Einstein et la théorie de la relativité restreinte pour apporter, à cette contradiction, une réponse acceptée par l’ensemble du monde scientifique et cette réponse sera négative.
Ce nouveau défi lancé aux physiciens n’empêche pas les applications de se développer.
Branly, Marconi et le début de la radiophonie.
Le dispositif imaginé par Hertz manque de sensibilité. Au-delà de quelques dizaines de mètres il n’est plus possible de détecter les ondes électromagnétiques. La recherche de la sensibilité passera, en premier lieu par un élément inventé par le physicien français Edouard Branly vers 1890 en utilisant une observation déjà faite par S.A. Varley en 1866 : le "cohéreur".
Dans une communication du 24 novembre 1890, Branly explique le fonctionnement de ce qu'il désigne comme "radioconducteur" refusant le terme de cohéreur. Il considérait, en effet, que la limaille de fer n'était en rien "cohérée" dans le phénomène. Lequel n'est d'ailleurs toujours pas clairement expliqué. :
"Quand on réuni les deux pôles d'un élément de pile par une limaille métallique comprise dans un tube de verre entre deux tiges conductrices, le courant de la pile est arrêté par la limaille, un galvanomètre disposé dans le circuit reste au zéro. Si une étincelle d'une bouteille de Leyde vient à éclater à quelques mètres, le galvanomètre est fortement dévié et reste dévié. La limaille est devenue conductrice et la conductivité persiste. Un choc sur la limaille ou son support fait ouvrir le circuit : la conductibilité de la limaille disparaît. Une nouvelle étincelle à distance ferme le circuit ou l'ouvre par un nouveau choc, et ainsi de suite" (voir aussi dans la Nature 1898)
Plus précisément son "radioconducteur" est un tube isolant de quelques millimètres de diamètre rempli de limaille de fer et fermé par deux pistons de laiton exerçant une pression réglable. C’est un "cohéreur" à limaille de ce type qui est utilisé par Marconi en 1897 pour réaliser la première transmission radiotélégraphique avant d'être radiophonique quand le système se perfectionnera.
Son émetteur est de la forme classique proposée par Hertz. Un interrupteur télégraphique utilisé pour la télégraphie par fil en alphabet Morse alimente le primaire de la bobine au rythme voulu pour l’écriture des lettres.
L’originalité du montage tient dans son récepteur. Il est constitué d’un petit tube de verre, d, de 4cm de longueur, dans lequel sont placés deux conducteurs cylindriques en argent. Ils sont séparés par une distance de ½ millimètre. L’intervalle est empli par un mélange de fine limaille de nickel et d’argent amalgamé par une trace de mercure. Un vide poussé à 4 millimètres de mercure est réalisé dans ce tube.
Le tube tient lieu "d’éclateur" dans le circuit secondaire complété par deux volets conducteurs V et V’ dont la capacité variable sert à accorder la fréquence du circuit récepteur sur celui de l’émetteur.
Ainsi, la résistance du tube chute brutalement dès qu’un courant de décharge le traverse. Cette chute de résistance est utilisée dans un circuit parallèle alimentant l’électroaimant du "décohéreur". Cet électroaimant actionne un marteau. Sans entrer dans le détail disons que le choc du marteau sur le tube produit un son qui suit le rythme des signaux morses émis à l’émetteur. Le message peut donc être déchiffré à l’oreille. Le même courant qui actionne le marteau peut aussi permettre l’impression des signaux sur une bande.
Dans un premier essai, ce système permet à Marconi de transmettre des signaux à 15km de distance et chacun imagine déjà que, bientôt, ce seront les paroles elles-mêmes qui pourront être transmises. Ce qui sera rapidement réalisé.
Le succès populaire de cette réussite rend temporairement célèbres les "ondes Marconi" mais, fort heureusement, personne n’a oublié Hertz, le véritable découvreur des ondes électromagnétiques imaginées par Maxwell et aujourd’hui désignées par le terme "d’ondes hertziennes".
Juste reconnaissance : le "hertz" est devenu le nom de l’unité de fréquence des phénomènes électriques.
C.B : L’histoire de l’électricité est très bien racontée par Gérard Borvon. Ce livre n’est pas du tout rigide et formel, il se lit très bien et c’est ce qui fait qu’on retient plus de choses ! Les anecdotes y sont très bien rapportées et on s’amuse à les lire. Ce livre casse la malheureuse idée rigide et complexe que l’on peut avoir des sciences, on apprend en s’amusant et ça réconcilie les gens avec la physique, tant mieux !!!
A.R : Ce livre permet d’appréhender clairement les différents concepts historiques qui ont permis d’élaborer la théorie actuelle de l’électricité.
Je le recommande particulièrement à tous ceux qui ont été rebutés au cours de leur scolarité par l’enseignement de cette matière.Vous comprendrez par exemple pourquoi la charge de l’électron est négative et non positive, d’où vient les signes + et -...et beaucoup de choses qui ne sont malheureusement pas enseignées au collège ou au lycée.
Merci à l’auteur.
Voici un ouvrage à mettre entre toutes les mains, celles de nos élèves dès les classes de premières S et STI de nos lycées, et entre les mains de tous les futurs enseignants de sciences physiques et de physique appliquée (tant qu’il en reste encore !)
La France se prépare à soutenir la guerre d'indépendance américaine, Brest et sa région sont en pleine effervescence.Sébastien Le Braz, jeune chirurgien de marine, tient sont journal. Deux siècles plus tard, des fragments en sont retrouvés dans le grenier d'un manoir en cours de démolition dans sa ville natale de Landerneau.
Je me nomme Sébastien Le Braz. Je suis né en 1753 dans la ville de Landerneau en Bretagne. Cette journée du 10 juin 1778 restera, j'en suis certain, l'une des plus mémorables de l'année de mes 25 ans. Quelques jours plus tôt le Chevalier de Bouffllers, colonel du premier régiment d'infanterie du Duc de Chartres, cantonné à Landerneau, m'avait proposé de l'accompagner à Poullaouen où il devait assurer la protection du Duc, cousin du Roi, à qui il avait pris la fantaisie de vouloir visiter les mines de plomb argentifères exploitées dans cette localité.
Diplômé depuis deux ans de l'école Royale de Chirurgie Navale de Brest, j'avais rencontré le Chevalier, en mars de l'année précédente, peu de temps après l'arrivée de son régiment à Landerneau. Ses troupes étaient en mauvais état et pour répondre à la requête des édiles de Landerneau qui craignaient que la gale et les maladies «honteuses» ne se répandent dans la population, Mr. De Champeroux, le commissaire des guerres installé à Brest, leur avait délégué le jeune chirurgien de marine, originaire de la ville, que je suis. Sans doute avait-il plaidé ma bonne connaissance de la cité, passage obligé entre le Léon et la Cornouaille, pour faire oublier le soupçon d'inexpérience que mon jeune âge ne manquerait pas de susciter.
Boutons à l'ancre enlacée des serpents d'Epidaure.
Mr Daumesnil, le maire, s'étant refusé à installer des lits chez l'habitant pour les soldats réputés "vénériens" ou "galeux", ceux-ci avaient trouvé un asile provisoire au couvent des Ursulines, un vaste bâtiment qui était loin d'être totalement occupé. J'y avais fait au mieux, avec le peu de moyens dont je disposais, la gale et la gonorrhée n'étant pas les seules maladies dont étaient affectées les troupes souffrant, en particulier, de fluxions de poitrine après le climat humide et froid qui avait été celui de l'hiver passé.
Je crois avoir réussi à convaincre le chevalier, qui me surveillait du coin de l'oeil, de ma capacité à soigner ses soldats. Il a même été jusqu'à flatter mon orgueil en avouant qu'il n'attendait pas autant d'expérience chez un si jeune homme. Le chevalier manifestait, à qui voulait l'entendre, une sainte aversion pour le corps de médecins à qui il reprochait d'en être restés à Hyppocrate, masquant leur ignorance sous le vernis des formules latines. La pratique des armées lui avait fait connaître, disait-il, la valeur des chirurgiens militaires si régulièrement méprisés par les petits maîtres arrogants issus de la faculté.
De tels propos ne pouvaient que trouver écho chez le jeune chirurgien dont le Corps était si souvent en butte aux prétentions de celui des médecins de marine. A les entendre nous ne pouvions être que des exécutants justes capables, sous leur direction, de pratiquer une saignée ou de trancher un membre. Fort heureusement, l'idée se faisait jour d'une école de santé navale qui formerait à la fois médecins et chirurgiens.
De mon côté, j'avais pu constater que le chevalier lui-même manifestait une humanité, inhabituelle chez les officiers, vis-à-vis des hommes de sa troupe. Comment ne pas éprouver de la sympathie pour cet homme, citant Diderot en toute occasion, et dont le court séjour à Fernay auprès de Voltaire avait illuminé les années de jeunesse (voir). A son contact, je revivais les longues discussions qui avaient animé mes années d'études au Collège de Navarre dans un Paris où se concentrait, pensais-je alors, le meilleur de la science et de la philosophie.
Stanilas de Boufflers avait alors quarante ans. Si lui-même n'évoquait que peu son passé, ses soldats et ses officiers ne manquaient pas de broder sur une vie qui offrait matière à légende.
Il tenait son nom de Louis-François, marquis de Boufflers. De sa mère, la belle Marie-Françoise-Catherine de Beauvau Craon, femme d'esprit maniant aussi bien la plume que le pinceau, il tenait son héritage intellectuel. Le jeune Stanislas était né en 1738, quelque part sur la route qui menait sa mère à Nancy. Son prénom, il le devait à l'amant en titre de celle-ci, Stanislas Leszczynski ancien roi de Pologne et beau-père de Louis XV, reconnu en France, jusqu'à sa mort, comme duc de Lorraine.
La ville de Nancy où se passa sa prime enfance était le siège d'une cour brillante qui attirait artistes et gens de lettres. La Bibliothèque Royale de Nancy et la Société Royale des Sciences et Belles-Lettres de la ville bénéficiaient alors d'une audience qui dépassait largement les frontières du duché.
Destiné par sa famille, contre son gré, à l'état ecclésiastique, il réussit, pour des écrits libertins, à se faire renvoyer du séminaire de Saint-Sulpice où il avait été mis en pension. Cette rébellion ayant convaincu ses proches de son inaptitude au sacerdoce, il fut doté, par son royal parrain, du titre de Chevalier de Malte. Ce titre lui assurait un revenu confortable, même s'il devait, pour le conserver, afficher un officiel célibat.
Il choisit alors la carrière militaire. S'illustrant par son courage dans plus d'une bataille, il se trouva rapidement promu colonel. C'est ainsi que je le rencontrai à Landerneau où son régiment attendait d'être embarqué sur un des bâtiments de l'escadre rassemblée à Brest pour la guerre qui se préparait contre l'Angleterre, au côté des insurgents américains.
L'attente lui semblait interminable. "Ce pays-ci est plein d'ennuis, et nous n'en serons payés par aucune gloire. Il n'est pas plus question de se battre en Bretagne qu'au couvent de la Visitation", me confiait-il avoir écrit à la comtesse de Sabran, rencontrée peu de temps auparavant et dont il était aussi follement épris qu'un jeune adolescent à son premier amour.
Il ne se lassait pas de m'entretenir de l'élégance de la silhouette et de l'élévation de l'esprit de celle qu'il n'osait encore désigner que comme sa "soeur". Je fus le confident de ses amours en même temps que le guide chargé de le distraire par des flâneries le long de la rivière Elorn qui traverse la ville ou par des randonnées à cheval dans la campagne environnante. Le Chevalier prisait particulièrement les bois de Brézal, proches de la ville, où le marquis de Kersauzon organisait régulièrement des chasses à courre qui attiraient l'élite de la société bretonne aussi bien que les illustres visiteurs de passage.
Comtesse de Sabran
En ce mois de Juin ensoleillé, le Chevalier s'était donc fait un plaisir de m'inviter, à son tour, à une visite dont il imaginait qu'elle ne manquerait pas d'intérêt pour le jeune homme curieux de sciences et de techniques qu'il avait cru reconnaître en ma personne. La nécessité de prévoir la présence d'un chirurgien pour parer à tout accident était d'ailleurs un bon prétexte à cette proposition.
Le voyage jusqu'à Poullaouen avait été une agréable chevauchée. Nous étions partis la veille avec le projet de trouver refuge pour la nuit dans une auberge de Huelgoat qu'un négociant en toile, habitué des collectes dans les fermes-ateliers de la région, nous avait conseillée. En montant vers les Monts d'Arrée il avait d'abord fallu traverser les régions boisées de la vallée de l'Elorn en longeant la rivière sur laquelle tournaient les roues des multiples moulins qui y traitaient ici le blé et le sarrasin, là le cuir, plus loin le papier ou le lin. J'y reconnaissais certains lieux, de moi seul connus, où je venais braconner la truite et le saumon aux jours de ma jeunesse insouciante. Au printemps, les prés s'y couvraient de jonquilles que je ramenais par brassée sur les quais de Landerneau où je trouvais toujours quelque ménagère indulgente pour me les échanger contre de la menue monnaie. C'est ainsi que, pièce après pièce, j'avais économisé le prix du premier couteau à lame pliante acheté chez Herry, le forgeron de la rue des boucheries. Je conserve précieusement comme une relique ce couteau, au manche poli par l'usage et dont la lame a perdu un bon tiers de sa largeur à force d'être affûtée. Ce jour encore, je le sens qui alourdit la poche droite de mon justaucorps.
La conversation allait bon train. Le chevalier me parla de Voltaire, revenu en France pour assister à la présentation d'Irène, sa dernière pièce jouée à la Comédie Française. Les nouvelles qu'il avait reçues de la Capitale le disaient en mauvaise santé.
- Je crains que son séjour ne soit trop long. Paris est trop jeune pour lui. La première curiosité une fois passée, on le laissera là.
Nous arrivions à Sizun. Une courte halte dans le bourg pour admirer l'enclos paroissial édifié au début du siècle précédent s'mposait. Le chevalier de Bouflers, dessinateur confirmé qui avait fait parvenir à Landerneau un matériel d'aquarelliste, y avait relevé sur les feuillets reliés dont il s'était muni, les éléments d'une architecture dont, à son grand étonnement, il n'avait trouvé, disait-il, les modèles que sur les palais des rives de la Loire ou encore dans les villes des Flandres. Aurait-il pu imaginer de telles savantes et élégantes construction et de si magnifiques vitraux dans ces villages aussi éloignés des cours princières ? Leur splendeur témoignait d'une richesse passée qui, pourtant déjà, semblait oubliée. Les toits moussus sommairement réparés et les peintures délavées des porches et des calvaires portaient la marque du déclin de l'industrie du tissage et du commerce des toiles de lin qui avaient fait la fortune du pays avant que les guerres répétées avec l'adversaire anglais, et l'arrêt du commerce maritime qui en avait résulté, l'aient partiellement ruiné.
Le Chevalier de Boufflers s'était particulièrement attaché à relever les figures de sirènes qui ornaient le pourtours de l'église, souvenir des vieux rites païens de l'eau que la religion chrétienne s'efforçait de mettre à son service à défaut de pouvoir les éradiquer. Il avait d'entrée été attiré par une sculpture sur l'ossuaire, à l'angle de l'arc de triomphe ouvrant l'enceinte de l'enclos paroissial. La Morgane aux seins nus qui y était représentée lui semblait inviter bien plus à une célébration du culte de Vénus qu'à un recueillement chrétien. Il se promettait de faire l'envoi, à la comtesse de Sabran, du dessin qu'il en avait réalisé et qu'il finirait à l'aquarelle de retour à Landerneau. Le message serait-il entendu ?
La Morgane de Sizun
Passé Sizun, les bois s'étaient clairsemés. Les larges coupes effectuées pour la construction des navires de guerre à l'arsenal de Brest avaient laissé la place aux landes et aux genêts dont l'or éclatait dans la campagne. Mais là aussi apparaissait le violet de la bruyère plus rase. Les fours des boulangers de la marine qui cuisaient le biscuit de mer avaient besoin de genêts pour la mise en chauffe. Dans cette période de préparatifs intenses, la campagne brestoise n'y suffisait plus. On venait jusqu'ici pour les récolter. Apportant leur touche à cette palette de couleurs, les champs enclos de hauts talus se couvriraient bientôt du bleu des fleurs du lin, transformant le paysage en une superbe mosaïque.
La dernière étape, après Commana et son église aux figures rustiques, avait fait surgir de ma mémoire l'univers des légendes dont j'avais été nourri dans ma prime enfance par Naïck, ma nourrice originaire du bourg de La Feuillée. Là, passé le col de Trévézel, s'étendait le Yeun Elez.
Le Yeun Elez est une large dépression occupée par une étendue marécageuse au cœur des Monts d'Arrée. En son centre se trouve le Youdic, le puits sans fond, entrée de l'enfer froid des légendes celtiques. Qui s'en approche ne trouvera d'abord qu'une flaque verdâtre mais gare à celui qui la verrait soudain bouillir, s'il ne s'échappe au plus vite il sentira le sol s'effondrer sous ses pieds et nul ne le retrouvera. Les nuits de pleine lune, des cris affreux montent du cœur du marais, tels ceux d'une meute furieuse en quête d'une proie à saisir. Ce sont les esprits des damnés qui maudissent les vivants qui les ont oubliés. Là règne l'Ankou, le serviteur de la mort. Qui a entendu le grincement des roues de sa charrette, à la tombée du jour, sait que le lendemain on sonnera pour les morts au clocher de l'église. Ainsi parlait Naïk, ma nourrice, le soir au coin de l'âtre quand les parents n'entendaient pas. Combien de nuits me suis-je réveillé, persuadé d'entendre le martèlement, sur le pavé du port, du manche de la faux de l'Ankou scandant l'avance grinçante de sa charrette.
L'église avait confié à l'Archange Saint Michel le soin de contenir les forces démoniaques dans le Yeun Elez. Mais les voyageurs pouvaient constater que sa chapelle, au sommet du Menez Mikaël qui dominait le paysage, menaçait ruine. En face, les rocs acérés qui couronnaient le Tuchen Kador rappelaient avec arrogance la puissance des vieux mythes dont la Nature était le seul temple.
Pour moi l'Arrée était d'abord le pays des guérisseurs et rebouteux qu'on venait consulter de très loin. Ma mère ne manquait pas de s'approvisionner en herbes et onguents vendus par les colporteurs et chiffoniers descendus de la "Montagne". Elle avait son préféré, Fanch le Pillaouer, qui savait la distraire des récits qu'il colportait de village en village. Ne négligeant pas l'ancienne science, je venais moi-même régulièrement rechercher ici les herbes qui guérissent et dont le secret m'avait été confié par celles et ceux que l'on désignait trop facilement comme sorcières ou sorciers. Ma bonne connaissance du parlé local, hérité des leçons de Naïck, facilitait le contact. Je trouvais chez Fanch ar Bleiz, de Botmeur, la provision de "Louzaouenn-ar-skevent", l'herbe aux poumons, la pulmonaire des français, que j'avais utilisée abandamment en tisanes associées à un sirop de miel de bruyère pour soulager mes soldats. J'y trouvais aussi la "louzaouenn-ar-goanvennoù", la petite consoude, dont je faisais des pommades contre les engelures. J'ignorais généralement le nom latin ou français de tous ces "louzoù", ces herbes que Fanch ne m'avait désignées qu'en breton, mais l'expérience me prouvait qu'elles n'en guérissaient pas moins.
Il me procurait en particulier un mélange de sa composition, efficace contre les fièvres qui se propageaient avec une affolante rapidité dans les salles où étaient confinés les malades. Il refusait, cependant, de me donner, même seulement, le nom des herbes qui le composaient, me disant simplement les cueillir au plus près du Youdic, là où elles s'étaient montrées capables de résister aux effluves méphytiques du marais comme à l'haleine des damnés qui s'exhalaient du lieu. Je ne lui en demandais pas plus sachant qu'un malheur le menaçait, me disait-il, s'il me confiait un secret qui ne se transmettait que d'ailleul à petit-fils.
Arrivée tardive à l'auberge du Huelgoat où un solide ragoût de mouton, suivi d'une montagne de crêpes arrosées d'un cidre pétillant, nous avait rassasiés après la frugalité du pain et du fromage emportés pour le voyage et grignotés à Sizun. Le détachement du régiment de Chartres, arrivé la veille, avait monté son bivouac près de l'étang qui alimentait les mines. Le Chevalier de Boufflers, qui leur avait confié la malle contenant nos tenues d'apparat, indispensables pour le lendemain, ainsi que mes précieux instruments de chirurgie, avait souhaité les visiter. Les quelques mots échangés autour du feu valaient mieux, disait-il, que l'ennui de certaines soirées mondaines auxquelles on l'invitait trop souvent. On y partageait la pomme de terre sortie brûlante des cendres qui était devenue le régal de ces feux de camp depuis que Monseigneur de la Marche, l'évèque du Léon, qui en avait gagné le surnom de Eskob ar patatez, en avait encouragé la culture quelques années plus tôt.
Levés tôt, suivis d'un contingent de l'infanterie de Chartres, uniforme blanc à parements et revers écarlates, nous fûmes reçu par l'un des propriétaires, le Comte Patrick d'Arcy. De Boufflers abordait avec un plaisir non dissimulé ce brillant militaire, alors âgé de 53 ans qu'il avait eu l'occasion de fréquenter sur les champs de bataille. Comment ne pas être admiratif pour un homme qui, bien qu'étant d'origine étrangère, avait été promu jusqu'au grade de maréchal de camp pour son action au service du Royaume.
Sur le trajet entre Huelgoat et Poullaouen, de Boufflers avait eu le temps de me tracer un portrait du personnage. Irlandais, né dans le canton de Galway en 1725, Patrick d'Arcy, dont le prénom avait été francisé en Patrice, est de ces familles jacobites qui poursuivent leur combat pour le rétablissement de la dynastie des Stuart sur le trône d'Angleterre. Emigré en France, c'est comme militaire des armées françaises qu'il avait espéré parvenir à ce but. Engagé comme capitaine dans le régiment de Condé, il s'était fait remarquer à Fontenoy en 1745, puis à la bataille de Rosbach pendant la guerre de Sept Ans. Promu brigadier, il devait assister avec douleur, à la montée en puissance de l'Angleterre et au déclin de la France. De Bouflers était persuadé que les nouvelles de la reprise de la guerre avec l'Anglais ne pourraient manquer de réveiller chez lui d'anciens espoirs et lui rappeler les projets élaborés avec ses amis jacobites pour une reconquête de l'Irlande et de l'Angleterre. Le Chevalier se promettait de s'en entretenir avec lui si l'occasion se présentait pendant la journée.
Mais là n'était pas pour le moment la première préoccupation du comte d'Arcy. Si de Bouflers écrivait des vers, d'Arcy résolvait des équations. Les sciences l'avaient consolé des revers de la guerre. Recueilli dans sa jeunesse par un oncle banquier à Paris, il avait appris les mathématiques auprès de Jean-Baptiste Clairaut, l'un des plus célèbres professeurs du moment. Il se passionna alors pour les mathématiques, la physique et la mécanique. Seulement âgé de 17 ans, il présentait des mémoires de mécanique à l'Académie Royale des Sciences dont il devenait sociétaire alors qu'il n'avait que 24 ans et qu'il poursuivait dans le même temps sa carrière militaire. La mécanique et la dynamique l'intéressaient particulièrement. Son Mémoire sur les machines hydrauliques publié par l'Académie des Sciences en 1755 était encore une référence trente ans plus tard. Les machines et ouvrages hydrauliques équipant la mine de plomb argentifère de Poullaouen, qui était alors l'une des plus importante d'Europe, pouvaient témoigner de cette science.
Près du comte d'Arcy se tenait un homme, dégageant une autorité naturelle malgré une tenue modeste. Il se montrait attentif aux explications que le comte semblait lui donner de l'aménagement du lieu, avec force gestes à l'appui. Remarquant notre présence, le comte s'approcha pour nous accueillir et, se dirigeant vers de Bouflers :
Bienvenue sur ces terres bretonnes Chevalier. Je crois me souvenir que la dernière fois que nous nous sommes rencontrés cela sentait fortement la poudre. La bataille que nous menons ici peut sembler moins riche de gloire mais je suis persuadé que vous saurez voir que le courage des mineurs et des fondeurs peut souffrir la comparaison avec celui des soldats.
Permettez-moi de vous présenter mon ami et confrère de l'Académie des Sciences Antoine de Lavoisier qui est de passage dans la région et nous a fait l'honneur de répondre à l'invitation que je lui ai faite de nous accompagner.
Monsieur de Lavoisier, je vous présente le Chevalier de Bouflers, militaire et homme de lettres, aussi brillant dans les salons qu'il est intrépide sur les champs de bataille.
Rencontrer deux Académiciens, et pas des moindres, au même moment dans la commune de Poullaouen, jamais une telle chance ne m'avait été donnée pendant mes années parisiennes au Collège de Navarre ! Depuis trois ans, Lavoisier était titulaire de la Régie Royale des Poudres, sa présence à la pointe de Bretagne au moment où une guerre se préparait ne pouvait être fortuite. Nous apprendrons par la suite que quatre ans plus tôt il avait eu à analyser le minerai issu de la mine de Poullaouen dont le comte d'Arcy lui avait apporté un échantillon à l'Académie des sciences. Répondre à l'invitation du comte à l'occasion de son passage à Brest était donc bien plus qu'une marque de courtoisie. L'intérêt scientifique en était tout aussi primordial.
Antoine de Lavoisier.
Le Chevalier de Boufflers ne chercha pas à masquer l'étonnement et le plaisir que lui procurait cette annonce. Lavoisier, chimiste et fermier général, était l'une des personnalités les plus en vue de la capitale. La fréquentation régulière, à son laboratoire de l'arsenal, de Benjamen Franklin que chacun s'arrachait à Paris, ajoutait encore au prestige du jeune académicien qui, à trente cinq ans, avait commencé à bousculer les doctrines héritées des chimistes britanniques, les Black, Priestley, Cavendish, qui dominaient alors en Europe.
Permettez-moi de vous saluer Monsieur l'Académicien, j'étais loin d'imaginer la présence de deux éminents membres de votre Assemblée en ces lieux. J'imagine que nous n'aurons pas la mémoire assez vive pour retenir tout ce que nous y apprendrons. Je voudrais vous présenter à mon tour le jeune Sébastien Le Braz, chirurgien de marine de brillant avenir, qui a accepté d'être mon compagnon de route et sur qui nous pourrons nous appuyer si, par malheur, un fâcheux accident survenait à l'un d'entre-nous.
Quelle attitude adopter face à de tels personnages ? La main sur la poitrine, je me contentai de m'incliner.
Votre serviteur, Messieurs. En vous souhaitant, cependant, de ne pas avoir recours à mes services.
A en juger par le sourire des deux académiciens, la remarque, dont je me reprochais la plate banalité , semblait avoir été bien reçue.
Bientôt, de la route arrivant à la mine, une rumeur se mit a enfler. La foule massée sur chacun de ses côtés avait été bien chapitrée. Les cris de "Vive le Roi, Vive le Duc de Chartres", lancés par des meneurs bien répartis, étaient repris avec des sonorités dans lesquelles dominait la rudesse de l'accent breton. Un détachement de quatre cavaliers du régiment de Chartres apparut, bientôt suivi de la diligence du Duc près de laquelle chevauchait le comte de Genlis, capitaine de ses gardes.
C'est lui qui, le premier, avait attiré mon regard. Boufflers m'avait tant parlé de Félicité de Genlis, épouse du comte et brillante femme de lettres fréquentant Voltaire et Rousseau. Elle était surtout la maîtresse en titre du duc de Chartres depuis bientôt six ans et celui-ci l'avait désignée comme gouvernante de ses enfants. Cette fonction lui avait donné l'occasion de développer ses talents reconnus de pédagogue. Le comte, son époux, y avait gagné sa charge de capitaine, un logement au Palais-Royal et des gages de 6000 livres par an. Ainsi vont les mœurs à la Cour des Grands.
La visite commença rapidement après les présentations et compliments d'usage entre tous les éminents personnages accompagnant la visite. Il était connu que le comte d'Arcy considérait les mines de Poullaouen et de Huelgoat comme son chef d'oeuvre, la mise en application de tout ce qu'il avait pu exposer dans ses écrits théoriques en matière d'hydraulique. C'est donc par une description de l'équipement des mines qu'il voulut commencer la journée.
Celles-ci avaient chacune environ 500 pieds de profondeur et l'eau y ruisselait de toutes parts. Les puits seraient rapidement noyés s'il n'y avait eu des pompes assez puissantes pour les assécher. Ces machines devaient elles-mêmes être actionnées par un courant d'eau. Celle-ci n'existant pas sur place, il avait fallu la faire venir à grands frais par des aqueducs et des canaux.
Le comte d'Arcy nous en présenta rapidement le détail. Le principal des canaux d'Huelgoat a 3000 toises de longueur. L'eau coule d'abord dans une galerie percée dans une montagne de granit. Elle est ensuite conduite jusqu'à la mine par un canal creusé à travers des rochers, des précipices et des obstacles de toute espèce. Les différents canaux qui conduisent l'eau à Poullaouen ont ensemble une étendue de 9000 toises. On a construit en outre à la tête des canaux, tant à Poullaouen qu'à Huelgoat, de vastes étangs où l'excédent de l'eau qui coule pendant l'hiver est mis en réserve pour suppléer à ce qui manquerait pendant les temps de sécheresse.
Le duc de Chartres ayant voulut reconnaître le tracé du canal principal, nous l'avons suivi à pied depuis la mine en direction de Huelgoat. L'effort fut récompensé. Le chemin était un véritable enchantement. On rencontrait d'abord une rivière qui ne portait d'autre nom que "Rivière des mines". Sur sa berge s'ouvrait un petit canal d'une largeur d'environ trois pieds, qui allait jusqu'à la mine afin d'y faire parvenir l'eau nécessaire pour faire fonctionner la machine hydraulique. Le chemin traversait un bois assez épais dans lequel s'ouvraient des clairières offrant de merveilleux points de vue sur la vallée en contre-bas. Le soin avec lequel le chemin est entretenu ainsi que les sièges de pierre qui y sont disposés donnent un air de jardin à la française à ce superbe paysage. Le comte d'Arcy nous explique qu'il organisait parfois des fêtes dans ces bois pour les visiteurs qu'il recevait de Paris. On y jouait de la musique, on y dansait. Les belles dames qui accompagnaient ces messieurs ne se seraient pas risquées sur un terrain boueux.
Au bout du chemin se trouvaient les machines hydrauliques qui servent à élever les eaux du fond des travaux jusqu'à la surface de la terre, c'est à dire jusqu'à une hauteur d'environ 500 pieds.Si j'ai bien retenu les explications du comte, elles sont au nombre de deux à Huelgoat et de trois à Poullaouen. Les roues à augets sont d'une taille peu ordinaire. Elles ont 30 à 35 pieds de diamètre. M. Darcy, sous les ordres duquel elles ont été construites, nous a dit avoir profité, pour obtenir le plus grand effet possible, de toutes les connaissances dont la mécanique et l'hydraulique se sont enrichies jusqu'à ce jour. Affichant une modestie qui lui faisait négliger de signaler ses propres travaux, il nous a cependant appris, avec une évidente satisfaction, que les mines de Huelgoat et Poullaouen étaient régulièrement visitées par des ingénieurs étrangers et largement copiées.
Le minerai de Poullaouen et d'Huelgoat est un minerai de plomb, connu sous le nom de galène, contenant un peu d'argent. C'est d'abord pour l'argent qu'elles sont exploitées. Cette mine, ainsi que presque toutes celles de cette nature, se trouve composée de filons ou espèces de tranches contenues entre deux rochers, et qui pénètrent dans la terre à une très grande profondeur. On attaque ces filons par des galeries horizontales et par des puits perpendiculaires. C'est le long de ces puits que sont placées les échelles. Malgré les prières instantes que faisaient pour l'en détourner tous ceux qui l'environnaient, c'est par cette route dangereuse que le duc de Chartres, accompagné du comte de Genlis et du chevalier de Boufflers a décidé de descendre jusqu'aux travaux les plus profonds. Un futur commandant d'escadre aspirant au grade de Grand Amiral de France pouvait-il reculer devant un tel défi ?
Malgré ma crainte du vide et les souvenirs d'histoires de korrigans farceurs hôtes de ces mines, dont m'abreuvait ma brave Naïck, il m'a bien fallu suivre cette équipée. Ne devais-je pas être au plus près d'un éventuel accident ?
La dureté du rocher qui enveloppe le minerai est telle, que les pics maniés à main d'homme ne peuvent parvenir à l'entamer. Il faut donc s'aider du secours de la poudre. Le prince affirma vouloir partager tous les dangers auxquels les ouvriers sont exposés. Il exigea qu'on fit la démonstration de l'explosion d'une mine en sa présence, et que l'exploitation se fit exactement comme à l'ordinaire.
Monsieur de Lavoisier qui nous accompagnait s'inquiéta de la façon dont étaient évacuées les vapeurs méphitiques issues de ces explosions. Il soupçonnait depuis peu, disait-il, que l'air contenait une partie vitale qui était absorbée et corrompue tant par les combustions que par la respiration des hommes. Il suggérait que, pour la santé des mineurs, une ventilation efficace soit réalisée. Mon émotion fut à son comble quand, se tournant vers moi, il suggéra qu'on y réfléchisse aussi pour les hôpitaux et les entreponts où vivaient et dormaient les équipages.
Ce voyage souterrain dura trois interminables heures. La remontée vers la lumière sur des échelles aux barreaux humides ne se fit pas sans difficultés et la solide collation qui nous attendait à la sortie fut accueillie avec un plaisir non dissimulé. Profitant de ce moment de complicité, le Chevalierde Boufflers voulut interroger Lavoisier sur les impressions qu'il avait retenues de son passage à Brest quelques jours plus tôt.
"J'ai eu sous les yeux le spectacle de la plus grande partie des forces maritimes de la France", lui répondit-il.
"Vingt cinq vaisseaux de ligne étaient en rade, deux étaient prêts à sortir du port, cinq ou six autres seront prêts à la fin de la campagne, m'a-t-on dit. Chaque jour la flotte fait des évolutions dans la rade et on fait détonner force salpêtre.
Je ne suis pas dans le secret mais il se dit que, outre cette flotte, il y aurait une chaîne de frégates depuis le port de Brest juqu'aux côtes d'Angleterre. Elles y seraient en observation afin que par une communication de signaux on sache tout ce qui se passe en Angleterre.
On saurait ainsi que l'amiral Keppel n'est pas sorti, que l'amiral Biron qui était sorti de Porsmouth est rentré à Plymouth peu de jours après."
Le Chevalier me confia, plus tard, que ces propos confirmaient ses craintes :
" on donnait à Brest le spectacle de la guerre mais on ne s'y préparait pas".
Après le froid humide de la mine, la chaleur irradiante des fours était au programme du lendemain. Cette deuxième visite donna lieu à des échanges très techniques entre le comte d'Arcy et Monsieur de Lavoisier. Il y était question de phlogistique. Le mot ne m'était pas inconnu. Il était évoqué dans les démonstrations de chimie auxquelles j'avais assisté au Jardin des Plantes pendant mon séjour parisien. Il désignait un «feu matériel» qui s'échapperait des corps en combustion.
Suivant la théorie alors admise, les minerais ne seraient que des métaux ayant perdu leur phlogistique. L'opérations métallurgique consistait alors à le leur restituer pour retrouver le métal. Cette fonction était dévolue au charbon de bois, riche en phlogistique, que l'on devait disposer avec art dans les fours pour parvenir au résultat souhaité.
Un court débat s'engagea à cette occasion entre d'Arcy et Lavoisier, ce dernier soupçonnant une autre mécanisme faisant intervenir cette partie vitale de l'air, nécessaire aux respirations et aux combustions, dont il nous avait déjà entretenus. On sentait, sous le débat courtois, un sujet brûlant entre initiés.
Peu attiré par ces échanges scientifiques et souhaitant se montrer à l'écoute de l'agitation sociale qui se développait dans le royaume, et dont il était soupçonné vouloir tirer bénéfice, le duc de Chartres avait voulu être instruit de tout ce qui concernait la police et l'administration des mines, les lois particulières qui y étaient appliquées et les dispositions faites pour maintenir l'ordre parmi les douze ou quinze cents hommes qu'elles occupaient. Il interrogea également les propriétaires sur les dispositions prises pour assurer aux ouvriers et à leurs veuves une subsistance honnête dans les cas de vieillesse, d'infirmité ou d'accident. Les réponses faites par ceux-ci ne pouvaient pas manquer de répondre au souhait "d'humanité éclairée" affiché par le Duc.
Ecoutant ce discours à distance je ne pouvais oublier le spectacle que j'avais observé lors de précédentes visites dans quelques hameaux du voisinage. J'y avais trouvé des habitants au teint blême, affectés de coliques provoquées par le plomb dissout dans l'eau des puits et des ruisseaux, souffrant de la faim après avoir abandonné leurs cultures pour le maigre salaire de la mine. Les anciens, me disaient-ils dans leur breton des montagnes, se souviennent du temps où les rivières du pays étaient poissonneuses.
Le plus hardi s'adressait avec une véhémence contenue à l'homme des villes responsables de son malheur, et que j'étais supposé représenter :
- Les brochets, les saumons, les dards, les brèmes, les perches foisonnaient dans les ruisseaux et les étangs. Les écoulements des mines ont tout détruit. Tout meurt, même les arbres jusqu'à cinquante pieds des rives. Ils ont perdu leur feuilles et sont brûlés jusqu'au cœur. Les troupeaux meurent de l'herbe empoisonnée !
J'avais entendu les mêmes plaintes de la part des riverains de l'Elorn dans les périodes du rouissage de lin pendant lesquelles la riviére et ses affluents devenaient de véritables cloaques. Fort heureusement, pour ces derniers, les pluies d'hiver ramenaient la vie dans la rivière. Il n'en va pas de même autour des mines et tout laisse à penser que l'eau y véhiculera du plomb pendant des dizaines d'années et peut-être même des siècles.
Le Duc de Chartres quitterait le pays en ignorant tout de cette réalité. Pour témoigner de sa satisfaction il avait fait présent de deux tabatières d'or, l'une au sieur Grévin inspecteur général des mines, l'autre au sieur Gérard, inspecteur des fontes. Seuls quelques ouvriers, choisis par les dirigeants de l'exploitation, reçurent de sa part les preuves de sa libéralité. Le peuple, quant à lui, fut invité à de plus générales réjouissances.
Le comte d'Arcy, familier de nos habitudes bretonnes avait fait publier dans toute la région qu'à l'occasion de la venue du Prince des jeux seraient organisés et avait fait annoncer des prix qui consistaient en moutons, en veaux, en jeunes bœufs et en différents autres objets relatifs au goût et aux besoins des habitants de la campagne. Ces jeux qui consistent principalement dans des luttes, où se développent à la fois la force et l'adresse, furent célébrés en présence du Prince, et les prix décernés le furent à son jugement, sur les conseils éclairés du comte, bon connaisseur des règles de la lutte telle qu'elle est pratiquée chez nous. Plus de trois mille personnes s'étaient rassemblées pour la fête. On reconnaissait à leurs costumes les différentes guises du pays. De Saint Thégonnec à Pleyben, de Chateaulin à Carhaix, et même depuis Quimper, on avait cheminé toute une journée pour ne pas manquer l'évènement. Comme l'enceinte de l'arène où se tenaient les luttes était trop resserrée pour les contenir, une partie du public s'était répandue dans la prairie voisine où s'exécutaient, au son des cornemuses et des bombardes, des danses à la manière des différents pays, celles de la montagne d'Arrée étant les plus applaudies.
Monsieur de Lavoisier semblait fasciné par le spectacle. M'ayant vu intéressé par ses propos sur la ventilation des mines et ses idées concernant les combustions, il s'était rapproché de moi. Il me confia que ce spectacle retraçait pour lui le tableau des mœurs antiques tels que ceux que nous décrit Homère. Craignant qu'il ne m'attribue une naïve crédulité, je n'ai pas osé lui parler de la légende transmise de génération en génération selon laquelle le peuple breton du roi Arthur et de l'enchanteur Merlin serait l'héritier direct de celui des Troyens arrivés jusqu'à nos rives en suivant Enée dans son exil.
Luttes bretonnes; "moeurs antiques tels ceux que nous décrit Homère".
Le retour a Landerneau nous sembla se faire avec une extraordinaire rapidité tant les commentaires sur les journées passées à Poullaouen et Huelgoat allaient bon train. Au fur et à mesure que nous nous rapprochions de Landerneau, la guerre retrouvait sa place dans l'esprit de de Boufflers. L'amertume était sensible dans ses propos.
La guerre paraît s'allumer de tous les côtés mais j'ai encore bien de la peine à y croire. Il me semble que personne n'est assez fort pour l'entreprendre, ni assez faible pour y être forcé. Si elle a lieu, mon régiment devrait être embarqué avec le duc de Chartres pour une descente en Angleterre. Mais il me semble qu'on ne songe guère à une expédition de cette nature. On verrait beaucoup plus de mouvements de troupes, on rappellerait les soldats et officiers absents, on ferait des préparatifs de toute espèce…Mais, je le crains bien, nous n'irons point en Angleterre, et l'Angleterre ne viendra point ici. Nous passerons des années dans l'attente de ce qui n'arrivera pas, et plutôt avec l'air de craindre la guerre que de la préparer. Au lieu d'avoir la fièvre, nous aurons le frisson, ce qui n'est point du tout héroïque. Il n'y a rien de pis que le prélude de guerre que nous faisons. Mon régiment souffrirait moins en campagne. Il est fatigué, morcelé, ruiné, infecté de scorbut, de gale... Il ne nous manque plus que la peste que j'attends. La guerre en personne serait bien moins fâcheuse que tout cela. Elle offrirait au moins quelque dédommagement.
Pendant qu'il se morfondait à Landerneau, loin de le dame de ses pensées, les officiers des autres régiments goûtaient, me confiait-il, aux plaisirs de la capitale.
Les tristes colonels de l'armée de Bretagne se flattent de revenir au mois de juin, mais je n'en crois rien. Il trouvent bien plus de raisons pour rester à Paris que pour revenir à Brest.
La guerre. Il fallait que j'y pense à mon tour. Plusieurs de ces hommes que je soignais au couvent des Ursulines m'avaient pris en amitié et m'avaient offert de ces figurines sculptées et autres objets que confectionnent les soldats en campagne. Je m'obligeais alors à oublier qu'en rétablissant leur santé je les préparais à affronter la mort ou les terribles mutilations des combats à revenir.
Il me fallait regarder la réalité en face. J'étais un chirurgien de la Marine Royale et la santé que je dispensais n'avait pour objet final que la souffrance et la mort. Celle de nos soldats ou celle de leurs ennemis. Fort heureusement, le pessimisme du Chevalier de Boufflers, redoutant que la guerre n'ait pas lieu, me donnait l'espoir de ne pas avoir trop rapidement à utiliser la scie et les tourniquets de ma trousse d'amputation.
Un superbe soleil couchant nous attendait à l'arrivée à Landerneau. Mieux valait, pour le moment, jouir des beautés de la Nature et garder en mémoire les rares moments vécus à Poullaouen, en particulier les quelques mots échangés avec Monsieur de Lavoisier qui, je le sentais, m'ouvraient de nouveaux horizons.
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Comme l'art ou la littérature,les sciences sont un élément à part entière de la culture humaine. Leur histoire nous éclaire sur le monde contemporain à un moment où les techniques qui en sont issues semblent échapper à la maîtrise humaine.
La connaissance de son histoire est aussi la meilleure des façons d'inviter une nouvelle génération à s'engager dans l'aventure de la recherche scientifique.