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4 novembre 2025 2 04 /11 /novembre /2025 17:21

 

 

 

Le Chevalier De Boufflers, colonel du régiment du Duc de Chartres était cantonné à Landerneau dans les années de préparation à la guerre d’indépendance de l’Amérique. Sa correspondance avec la comtesse de Sabran contient de nombreuses indications sur la préparation de cette guerre. Ce sont ces passages qui sont recueillis ci-dessous.

 

 

 

 

 

 

Février 1778.
Je suis arrivé en grande hâte pour ne rien faire. Il n’est pas plus question de se battre en Bretagne qu’au couvent de la Visitation, et il paraît que nous en serons quitte, non pas pour la peur, mais pour l’ennui.

 

Brest, 21 février 1778.
Ce pays-ci est plein d’ennuis, et nous n’en serons payé par aucune gloire. Je n’ai rien à vous mander : tout ce que nous y faisons dépend des nouvelles d’Angleterre que vous avez cinq jours avant nous, et suivant que vous les interprétez nous sommes en mouvement ou au repos. En tout nous prenons beaucoup de précautions dont une partie me paraît insuffisante et l’autre inutile.

 

Landerneau, 2 mars 1778.
Vous vous égayez un peu sur notre guerre de Bretagne : on voit bien que vous n’y êtes pas. Savez vous qu’il n’y manque que des ennemis ? Car d’ailleurs nous avons un général, un maréchal des logis, un état-major, un équipage d’artillerie et de vivres et nous nous appelons l’armée de Bretagne. Je vous prie dorénavant d’en parler avec les respect  qui convient à une armée, ou bien je proposerai pour vous punir de mettre quelqu’un de mon régiment à discrétion chez vous.

 

Landerneau 3 avril 1778.
Toutes mes nouvelles se bornent à celles que vous savez. Je ne crois pas plus à la guerre que vous. On dit que M. le duc de Chartres s’embarquera dans un mois. Il emmènent des détachements de son régiment sur ses vaisseaux : je demande et je crois être sûr de le suivre.

 

Landerneau avril 1778.
La guerre paraît s’allumer de tous les côtés, et j’ai encore bien de la peine à y croire. Il me semble que personne n’est assez fort pour l’entreprendre, ni assez faible pour y être forcé. Si elle à lieu je crois que je serai embarqué avec le duc de Chartes. Dieu veuille que ce soit pour une descente car sans cela il y a peu de gloire pour nous sur des vaisseaux. Mais il me semble qu’on ne songe guère à une expédition de cette nature. On verrait beaucoup plus de mouvement de troupes, on rappellerait les soldats et les officiers absents qui ne doivent rentrer que le 15 mai, on ferait des préparatifs de toute espèce que par malheur je ne vois pas faire et je serai toujours sans espérance.

 

Landerneau 28 avril 1778.
Il n’y a rien de pis que le prélude de la guerre que nous faisons. Mon régiment souffrirait moins en campagne. Il est fatigué, morcelé, ruiné, infecté de scorbut, de gale, etc. : il ne nous manque plus que la peste que j’attends. La guerre en personne serait bien moins fâcheuse que tout cela ; elle offrirait au moins quelque dédommagement. Mais je le crains bien, nous n’irons point en Angleterre, et l’Angleterre ne viendra point ici. Nous passerons des années dans l’attente de ce qui n’arrivera pas, et plutôt avec l’air de craindre la guerre que de la préparer. Au lieu d’avoir la fièvre, nous aurons le frisson, ce qui n'est point du tout héroïque. Les tristes colonels de Bretagne se flattent de revenir au mois de juin, mais je n’en crois rien. Il y avait beaucoup plus de raisons pour ne pas partir de Paris que pour y retourner.

 

Landerneau 6 mai 1778.
On dit ici beaucoup de nouvelles dont il faut attendre la confirmation, entre autres qu’il va sortir dix sept vaisseaux  de la rade pour aller à la rencontre d’un même nombre d’anglais dont on a connaissance.


Landerneau 1er juin 1778.
Envoyez moi donc le système de Pythagore. Il n’est point du tout en vigueur dans la rue ou je demeure : c’est celle des bouchers . Je ne sors et ne rentre jamais qu’entre deux haies de veaux palpitants ; je marche sur des entrailles sanglantes, « que des chiens dévorant se disputent entre eux ». Une odeur de carnage parfume toutes les approches de ma demeure.

 

Landerneau.24 juin 1778.

Je n'ai rien de plus pressé que de vous dire combien vous êtes aimable, chère sœur, et de vous remercier d'avoir pensé à moi sans y être forcée par l'importunité de mes lettres. Depuis la dernière, que vous auriez dû recevoir avant le 19, j'ai toujours été en l'air, tantôt à cause de M. le duc de Chartres que j'ai suivi dans différentes courses (1), tantôt à cause de M. de la Clochetterie dont le nom ne vous est sûrement pas inconnu à cette heure.
Après son glorieux combat, sa frégate, très maltraitée du canon et diminuée de la moitié de son équipage, avait été conduite la nuit par des scélérats, qui se donnaient pour connaître les côtes, dans un endroit plein de roches où elle avait touché et dont elle ne pouvait sortir sans les plus grands risques. A portée d'elle étaient mouillés des bâtiments anglais, qui paraissaient avoir intention de l'attaquer, et de faire passer des chaloupes entre elle et la terre pour la brûler. J'ai marché à la côte avec un de mes bataillons et cent hommes d'un autre régiment, j'ai rassemblé des chaloupes de six lieues au loin pour porter secours à la frégate et combattre les chaloupes ennemies au besoin, j'ai fait allumer grand nombre de feux sur toute la côte pour faire supposer un gros corps de troupes à portée. Soit que toutes ces précautions aient été utiles ou inutiles, il n'a rien paru, et votre pauvre frère Jean s'en alla comme il était venu, bien peiné de ne pouvoir pas faire un peu de bruit dans le monde.
 
Parlons de M. de la Clochetterie. Je l'ai vu deux ou trois fois sur son bord, blessé, tranquille, occupé de sa besogne et de son équipage, entouré de gens qui ne pensaient ni à leurs blessures, ni à leurs fatigues, ni à leurs exploits en le voyant. Son équipage, quoique diminué de moitié et accablé de travail depuis deux jours, ne songeait qu'à mettre le bâtiment en état de recommencer le combat, et ne voulait point prendre de nourriture ni de sommeil pour ne pas perdre un instant de travail. Les blessés que j'ai vus à un hôpital dont mon régiment a la garde ne se plaignaient point, et tous ne parlaient que de la manière dont ils s'étaient battus. Cependant il manquait à l'un une jambe, à l'autre un bras, à un troisième deux ; il y en avait un avec les deux cuisses emportées. J'ai vu panser tout cela, entre autres dix des plus maltraités qui étaient dans la même chambre; c'est un horrible spectacle ; mais ce qui console, c'est de voir qu'il y a au dedans des braves gens un baume intérieur qui adoucit tous leurs maux, c'est l'idée de la gloire et le contentement de soi-même.

 

Landerneau 7 juillet 1778.
Je vais à Brest voir partir une armée navale de trente-deux vaisseaux de guerre et de huit ou dix frégates ? C’est un spectacle qui n’a été vu qu’en 1704 et qui a si mal fini qu’on ne comptait pas le revoir du siècle. J’espère que cette flotte-ci part sous de meilleurs auspices et qu’elle va nous frayer le chemin de l’Angleterre. Jamais tant d’ardeur, de patriotisme et d’instruction n’ont été réunis. J’ai fait ce que j’ai pu pour suivre mon colonel  sur l’océan, mais son cousin s’y est opposé. Je suis bien fou d’aimer la gloire, elle ne veut pas de moi.

 

Landerneau 13 juillet 1778.
Je vais vous quitter pour aller à Brest, savoir des nouvelles de la mer. Il en vient tant de mensonges qu’on ne sait jamais que croire. Tantôt on dit que nous ramenons des prises, tantôt que nous sommes pris. Ce qu’il y a de sûr, c’est que d’ici à peu de jours on aura la paix ou la guerre. Les deux escadres sont en présence depuis longtemps, et des deux côtés on a bien envie de décider la question. Je souhaite toute sorte de gloire aux marins, mais je voudrais qu’elle ne fût pas pour eux seuls. 

 

Landerneau le 15 juillet 1778.
On vient de nous envoyer des recrues affreuses, de petits misérables qu’on gardait à l’île de Ré pour les faire passer en Amérique. Parmi les cent petits galeux qui me sont tombés en partage, j’ai trouvé le fils d’un excellent sculpteur, nommé Adam. Il sait assez bien dessiner, et je compte l’employer pour l’éducation de mes aspirants. Je lu ferai ainsi gagner sa vie , et peut-être dans quelque  temps le rendrai-je à sa famille. Je me sens de la fraternité pour tout ce qui dessine.  

 

Anizy début août 1778. La comtesse de Sabran au chevalier de Boufflers.
Comment mon frère, on se bat, on gagne presque une victoire, on fait du moins peur aux Anglais et vous ne me le mandez pas ! Il faut que ce soit la Gazette qui me l’apprenne ! (2)

Quoique vous ne vouliez pas absolument me parler de guerre, ma politique ne peut pas s’en taire, et je vous dirais que j’ai été extrêmement étonnée de retrouver dans le Courrier de l’Europe l’amiral Keppel ressuscité. On l’avait tué à Paris ainsi qu’à Anizy, et je m’étais arrangée en conséquence. Je ne saurais vous dire combien j’ai été choquées par son insolence : il s’attribue toute la gloire du combat. A l’entendre parler, il a fait fuir tous les français. Ce qu’il y a de charmant, c’est que les deux lettres des généraux anglais et français disent absolument la même chose. Il me paraît qu’on ne veut pas rester dans cette incertitude, car on nous annonce de grands préparatifs. Mais ce n’est pas assez : il nous faut de grands succès. 

 

Landerneau le 12 septembre 1778.
Concevez-vous que depuis plus de quinze jours nous n'avons plus de nouvelles de l’escadre ? A la première sortie on en avait tous les jours. Cette fois-ci on a envoyé frégates sur frégates , sans compter beaucoup de petits bâtiments : aucun n’a trouvé l’armée. En attendant je vois journellement transporter des malades de Brest, qui viennent séjourner à Landerneau pour se rendre à l’hôpital qu’on vient d’établir à Morlaix. Tout cela donne des idées, et des idées tristes. Il paraît qu’on s’attend à une grande affaire : c’est jouer bien gros jeu, et un jeu où l’on perd en perdant et où l’on perd encore en gagnant. J’aime beaucoup ce qu’une femme de mes amies me disait à Brest, à la première sortie : « Nous autres femmes de marins après le malheur ce que nous craignons le plus, c’est le bonheur ». je trouve que ce mot-là est tendre et profond.
J’emporte ma lettre à Brest pour vous mander de là les nouvelles que j’apprendrai. Elles m’importent beaucoup, parce que d’elles dépend notre sort cet hiver. Si on cherche toujours à se battre sans le faire, nous attendrons la décision ; si on est assez battu pour que les anglais puissent tenter quelque entreprise, nous resterons ; si on est assez battant pour que nos troupes de terre puissent entreprendre quelque-chose, nous resterons encore ; et nous ne partirons , je crois, que dans le cas où une fatigue égale des deux côtés et une égale disposition à la conciliation feront tomber pendant l’automne et l’hiver les armes des mains.

 

Brest 12 septembre 1778.
Je suis à Brest. Il est arrivé aujourd’hui des nouvelles de l’armée, mais seulement au commandant de la marine, et l’officier qui les apporte est impénétrable. Il jure ses grands dieux qu'il n’a pas vu les Anglais, et il paraît qu’au lieu d’être sur les côtes d’Angleterre on est sur les côtes d’Espagne. Plusieurs vaisseaux et frégates partis d’ici, après l’escadre, n’ont pu la rejoindre. Le Réfléchi, entre autres, aurait été pris si les Anglais avaient risqué le combat. Il est mauvais voilier, il porte soixante-quatre canons, et il avait affaire à un bon voilier de quatre-vingts qui le tenait à petite portée. Il est rentré et va retourner avec d’autres, conduits par l’officier qui repart.

 

Landerneau 28 septembre 1778.
Je pars dans trois jours pour vous aller chercher, sœur plus aimable qu’Antigone. J’attends toujours de vos nouvelles, et la crainte d’aller où vous ne seriez pas m’a fait rester où j’étais. Il m’est d’ailleurs venu une foule d’affaires, surtout le départ imprévu et précipité de mon régiment, qui est éparpillé sur terre et sur mer, et qu’il faut mettre sous trois jours en marche pour Douai. 

 

 

(1). Parmi les "courses" du duc de Chartres,  la visite des mines de plomb de Poullaouen où la présence du chevalier de Boufflers est notée par Lavoisier. (voir)

 

(2). A Brest, le duc de Chartres est considéré comme le responsable de la "presque victoire" ou du "semi-échec"  du combat d'Ouessant. Le silence du Chevalier de Boufflers, colonel du régiment du Duc, s'explique aisément. 

 

XXXXXXXXXX

 

On parle aussi du Chevalier de Boufflers dans :

 

Sébastien Le Braz. Journal d'un chirurgien de marine, à Brest au temps de la guerre d'indépendance américaine.
 

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12 octobre 2025 7 12 /10 /octobre /2025 16:44

Par Gérard Borvon.

Première mise en ligne : 25 novembre 2013

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O2, H2, H2O, CO2...
 

Ces formules se sont échappées des laboratoires et des livres scolaires pour alimenter notre vocabulaire quotidien. Devenues banales, elles sont, cependant l’aboutissement d’une longue histoire.

 

Nous y rencontrerons les philosophes de la Grèce antique, la longue période des alchimistes pour arriver à Lavoisier et à ses collaborateurs dont la nomenclature servira de base aux symboles et formules, proposées par le Suédois Jöns Jacob Berzelius, qui sont la marque de notre chimie contemporaine.


Les quatre éléments des philosophes grecs.

 

Trois noms sont particulièrement associés à la théorie des quatre éléments : ceux d’Empédocle, de Platon et d’Aristote.

 

Empédocle (490-435 Av JC), né dans la ville grecque d’Agrigente en Sicile, est un personnage hors norme. Si on en croit la légende, il aurait choisi une mort spectaculaire en se jetant dans l’Etna qui, dit-on, rejeta l’une de ses sandales de bronze sur le bord de son cratère.

 

C’est dans une forme poétique et prophétique que le philosophe d’Agrigente énonce ce qui sera considéré comme l’origine de la première doctrine chimique :

 

"Connais premièrement la quadruple racine de toutes choses : Zeus aux feux lumineux, Héra mère de vie, et puis Aidônéus, Nestis enfin, aux pleurs dont les mortels s’abreuvent."

 

Ainsi parlait Empédocle et ainsi ont interprété ses disciples. Le feu (Zeus), l’air (Héra), l’eau (Nestis) et la terre (Aidônéus) sont les quatre éléments à partir desquels sont formés la totalité des corps qui peuplent l’Univers.


Platon (428-348 Av JC), dans le Timée, reprend le modèle d’Empédocle en l’enrichissant de réflexions sur les nombres et les formes inspirées de Pythagore et des ses disciples.

 

On leur attribue la découverte des polyèdres réguliers, volumes limités par des faces toutes identiques, elles-mêmes constituées de polygones réguliers.

 

Ces polyèdres sont au nombre de cinq. Platon, et les Pythagoriciens avant lui, associent chacun des quatre premiers à l’un des éléments d’Empédocle.

 

- Le tétraèdre, pyramide à base triangulaire équilatérale, est la figure du feu, subtil, léger, piquant.

 

- L’octaèdre est associé à l’air.

 

- L’icosaèdre, à vingt faces triangulaires, le plus proche de la sphère, est l’eau.

 

- L’hexaèdre, le cube, stable, représente la terre.

 


Les cinq polyèdres réguliers (Jean-Mathurin Mazéas, Eléments de Mathématiques, 1788)


Le cinquième polyèdre régulier, le dodécaèdre a des propriétés mathématiques plus riches. Il comporte 12 faces comme le nombre des signes du zodiaque. Chacune étant un pentagone régulier, figure particulièrement symbolique.

 

Il est facile, au moyen d’une règle et d’un compas de construire un triangle équilatéral, un carré, un hexagone, un octogone. Tracer un pentagone régulier pose un tout autre problème et n’est à la portée que d’habiles géomètres. (voir)

 

Disons, sans développer davantage, qu’il fait intervenir des rapports entre longueurs de segments laissant apparaître le "nombre d’Or", le nombre, supposé divin, des philosophes et bâtisseurs grecs soit 1,618... .

 

Le dodécaèdre est donc à lui seul un condensé de rapports magiques. Platon lui attribue un rôle à la hauteur de ce statut : "il restait une seule et dernière combinaison, Dieu s’en est servi pour le tout quand il a dessiné l’arrangement final" (Platon, Timée). Derrière cette formule ambiguë certains voudront trouver l’esprit pensant, la force vitale, l’énergie motrice ou tout autre concept illustrant l’animation de la matière.

 

 

On en fera aussi le symbole de la cinquième essence, la "quinte-essence" (quintessence), la substance qui, désignée encore sous le nom "d’éther", était supposée occuper l’univers des étoiles. Cet "éther", lumineux, électrique et même quantique, qui reviendra de façon cyclique dans le vocabulaire des physiciens quand il leur faudra, comme au temps des premiers philosophes, nommer l’inexplicable.

 

Aristote (384-322 Av JC), élève de Platon, reprend la doctrine des quatre éléments en considérant, toutefois, que chacun est construit à partir d’une matière primordiale unique. Quatre "forces" agissent pour leur donner forme : le chaud, le froid, le sec, l’humide.

 

Le chaud, principe d’énergie, de mouvement. Le froid principe d’inertie. L’humide, principe unificateur. Le sec principe de séparation. Ces quatre principes forment quatre couples (les couples chaud-froid et sec-humide étant exclus).

 

- le feu est associé au couple chaud-sec.

 

- l’air au couple chaud-humide.

 

- l’eau au froid-humide.

 

- la terre au froid-sec.

 

En résumé :

 

Empédocle Platon Aristote
Feu tétraèdre chaud-sec
Air octaèdre chaud-humide
Eau icosaèdre froid-humide
Terre cube froid-sec

 

Le modèle pourra même être enrichi de la dualité masculin/féminin. Ainsi le feu sera chaud, sec, masculin, pendant que l’eau sera humide, froide, féminine.


Un modèle d’une grande puissance évocatrice.

 

Pendant près de vingt siècles ce modèle sera vivant dans le monde occidental. D’une certaine façon, il l’est toujours. Il a quitté le domaine scientifique mais on le rencontre encore dans la perception intuitive que nous avons conservée de notre environnement. Terre, Eau, Air, Feu (énergie), alimentent toujours nos débats contemporains.
 

Les Quatre Eléments demeurent, surtout, une riche source d’inspiration poétique, littéraire et même, avec Bachelard, psychanalytique.


Dürer. La Mélancolie. 1514. Un condensé de symbolisme pythagoricien, platonicien, alchimique…


Car le modèle résiste !
 

Il a peu d’utilité pratique mais il a une grande force descriptive et esthétique. C’est pourquoi il traverse les siècles sans radicale remise en cause.

 

Plus de deux millénaires séparent Empédocle de Lavoisier qui, enfin, osera le rejeter du domaine de la science pour le faire entrer dans celui du mythe. Ce faisant, il fera naître un nouvel être, à la fois feu, air, eau et même terre : l’oxygène.

 

Mais la route est encore longue et les détours nombreux avant d’y parvenir. En chemin nous rencontrons un autre grand moment de la "philosophie de la matière" : l’Alchimie.


L’Alchimie et les quatre éléments.

 

Les alchimistes ont été violemment dénigrés par les chimistes, leurs successeurs. On cite couramment le chimiste Pierre Joseph Macquer (1718-1784) comme l’un des "pères" de la chimie moderne. Attaché à défendre le statut académique de cette science, il choisit de mettre en évidence la façon dont elle a rompu avec les anciennes méthodes. Sa cible est la vieille "chymie" que ses contemporains, ont pris l’habitude de désigner par le nom "d’alchimie", pour bien différencier leur propre science de la pratique médiévale dont ils refusent l’héritage.

 

Macquer va même jusqu’à regretter le reste de filiation qui s’exprime dans ce nom de chimie ou "chymie" partagé par les deux disciplines. C’est un mal, écrit-il " pour une fille pleine d’esprit et de raison, mais fort peu connue, de porter le nom d’une mère fameuse pour ses inepties et ses extravagances".

 

N’y a-t-il cependant pas une certaine ingratitude à renier ces prédécesseurs qui leur ont transmis, entre autres héritages, la doctrine des quatre éléments en donnant à ceux-ci une représentation symbolique simplifiée à base de triangles :

 

 

Ceux-ci seront conservés par les chimistes jusqu’à la fin du 18ème siècle. On les trouve même encore représentés dans la "Méthode de Nomenclature Chimique", nouvelle bible de la chimie moderne, publiée en 1787 par Guyton de Morveau, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy.

 

Les symboles alchimiques.

 

L’alchimie est le domaine des symboles. Elle les a reçus d’antiques traditions issues de la Mésopotamie, de l’Assyrie, de la Perse, de l’Egypte et même la Chine ou l’Inde.

 

Nous avons retenu sa représentation des quatre éléments par une série de triangles.

 

Nous pouvons y ajouter les trois principes métalliques :

 

- le soufre

 

- le mercure

 

- le sel

 

Et les métaux représentés par les signes représentant les Planètes :

 

Quant aux différentes opérations de l’alchimie, elles sont souvent illustrées par les signes du zodiaque.

 

 

Il est certain que l’un des objectifs de ce symbolisme est de rebuter le profane. Glauber, proposant de donner la recette de "La teinture de l’or ou véritable or potable" l’annonce d’emblée :

 

"La connaissance et la préparation de cette médecine m’étant donnée du très-haut, je prétends, à cause que l’homme n’est pas né pour lui seul, de donner brièvement sa préparation et son usage, mais je ne veux pas jeter les perles devant les pourceaux, j’en veux seulement montrer le chemin aux étudieux, et qui cherchent le travail de Dieu et Nature ; et sans doute ils entendront mes écrits, mais non point un ignorant et qui n’est point expert" (Glauber Jean-Rudolphe, La teinture de l’or ou véritable or potable, Paris 1659)

Cependant il est certain que ce ne sont pas les symboles qui sont les plus hermétiques dans les textes alchimiques mais l’usage qui en est fait. Ils peuvent même donner une allure de rationalité à un texte qui devient de plus en plus ténébreux au fil des pages. Rien d’étonnant donc à ce qu’ils survivent à l’alchimie et qu’on les retrouve même chez Macquer, son pourfendeur.


Pierre-Joseph Macquer, Eléments de Chimie théorique, Paris 1749.


Ils figureront également sur une planche de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.


Encyclopédie de Diderot de D’Alembert (Planche chymie)


En complément de la "Méthode de Nomenclature Chimique" (1787), Jean-Henry Hassenfratz (1755-1827) et Pierre Auguste Adet (1763-1834) proposent eux-mêmes un nouveau symbolisme adapté à la nouvelle façon de nommer et de penser.

 

Ce faisant ils réinterprètent le symbolisme alchimique à la lumière d’une rationalité qui n’était probablement pas celle des premiers chymistes :

 

"Il paraît qu’on ignore dans quels temps les chimistes ont commencé à se servir de caractères. Les recherches que nous avons entreprises sur cet objet se sont réduites à nous faire connaître d’après quelles vues les anciens avaient ordonné les signes des substances métalliques, dans la persuasion où ils étaient que les corps célestes avaient une influence sensible sur tous les corps animés et inanimés du globe terrestre ; ils avaient distingué les métaux, en métaux solaires ou colorés, en métaux lunaires ou blancs.
 

Les métaux de ces deux classes se subdivisaient ensuite en métaux parfaits, demi-parfaits et imparfaits ; la perfection étant exprimée par un cercle ; la demi-perfection, si nous pouvons nous servir de ce terme, par un demi-cercle ; et l’imperfection par une croix ou un dard.
 

Ainsi l’or, qui était le métal solaire par excellence, était représenté par un cercle seul, cette figure était commune aux métaux de la même classe tels que le cuivre, le fer, l’antimoine : mais elle se trouvait combinée avec le signe de l’imperfection.
 

L’argent qu’ils regardaient comme un métal lunaire demi-parfait était indiqué par un demi-cercle, l’étain, le plomb avaient aussi le demi-cercle pour signe, comme appartenant à la même classe, mais ils étaient distingués de l’argent par la croix ou par le dard.
 

Enfin le mercure qui était un métal imparfait, tout à la fois solaire et lunaire, portait les marques distinctives de ces deux classes, et était désigné par un cercle surmonté d’un demi-cercle auxquels on ajoutait une croix."


Extrait du tableau des nouveaux caractères chimiques, très inspiré des signes alchimiques, de Hassenfratz et Adet. Méthode de Nomenclature Chimique" (1787)


Quoi qu’il en soit, cette rationalité imaginée leur servira de guide pour proposer un symbolisme "moderne". Ils conserveront le cercle pour les substances "métalliques" comme le mercure, le demi-cercle pour représenter les substances ’inflammables" comme le soufre, le triangle dont la pointe est en haut pour représenter les substances "alcalines" et le triangle dont la pointe est en bas pour les substances "terreuses".

 

Ce symbolisme n’aura pas le même succès que la nomenclature qu’il était supposé illustrer.

 

Nous ne retracerons pas ici le combat de Lavoisier et des "chimistes français", ses collaborateurs, contre la théorie du Phlogistique qui les amène, en caractérisant et nommant l’oxygène, à proposer une nouvelle nomenclature chimique construite autour des propriétés de cet élément.

 

Reprise et perfectionnée par Jöns Jacob Berzelius (1779-1848) elle prendra la forme que nous connaissons aujourd’hui. Nous en reparlerons mais auparavant une nouveau regard sur les corps chimiques mérite d'être évoqué : l'atomisme.

 

John Dalton (1766-1844) et les atomes.

 

Comme oxygène, hydrogène, azote, Atome est un mot hérité des Grecs : ἄτομος (atomos), "que l'on ne peut diviser", tel est le nom donné par Démocrite d'Abdère (-460 ; -370) et ses disciples aux particules dont ils imaginaient que l'Univers était constitué. Le mot atome traversera les siècles avec des sens qui évolueront au fil des époques.

 

Des époques plus récentes voient l'usage de molécule ou "petite masse" (du latin moles, masse). C'est le terme généralement utilisé par Lavoisier.

 

Mais la théorie atomique contemporaine est réputée commencer avec John Dalton (1766-1844). Chimiste et enseignant, il publie, en 1808, "Un nouveau système de philosophie chimique" dans lequel il propose une première représentation atomique de la matière.

 

Le mot "atome" apparaît à la fin de son texte comme "l'ultime particule" des corps. Contrairement à notre usage actuel, atome est, pour lui, synonyme de ce que, aujourd'hui, nous appelons molécule. il désigne, aussi bien, une particule de corps simple qu'une particule de corps composé, binaire, ternaire ou quaternaire...

 

 

Les "équations" proposées par Dalton nous font réellement entrer dans notre chimie contemporaine pour laquelle une réaction est un "mécano" qui permet, à partir d'une centaine de pièces détachées, les atomes, de construire une multitude d'objets de plus en plus complexes, les molécules.

 

On retient surtout de Dalton l'attribution de symboles aux atomes. Ceux-ci sont associés à leurs "masses atomiques" établies avec, comme référence, l'hydrogène, le moins dense des éléments alors connus.

 

Symboles des "atomes"  proposés par Dalton.

 

Les symboles sont encore fortement inspirés des alchimistes pour lesquels l'Or, "le métal solaire par excellence", était représenté par un simple cercle ou un cercle centré. Est-ce un hasard si c'est par ces signes que Dalton choisit de représenter l'oxygène et l'hydrogène ?

 

Nouveauté : la représentation des métaux par des lettres dans un cercle ou encore celle des "atomes" composés (nos actuelles molécules).

 

Conception atomiste de la matière et début de représentation des atomes par une lettre seront développées par le Suédois Jöns Jacob Berzelius (1779-1848) qui sera le véritable créateur de l'écriture chimique moderne.

 

De la Nomenclature jusqu'aux formules chimiques : le "chef d’œuvre" français complété par le "génie" suédois.

 

Dès ses premiers écrits Berzelius choisit de nommer les corps à partir du latin. Son modèle est Guyton de Morveau :

 

"L’on sait que la nomenclature fondamentale dont nous nous servons est due au génie de M. Guyton de Morveau, et qu’elle a été adoptée à la suite des rectifications faites par une commission des membres de l’institut. M. Guyton eut l’heureuse idée de changer le chaos de noms bizarres qui existait de son temps, en un système de définitions, ou en noms qui indiquaient la nature même des composés qu’ils représentaient, et il rendit par-là un service immense à la science."

 

Si Lavoisier n’est pas cité, son esprit rôde encore au-dessus de la chimie :

 

"La nomenclature latine, dite antiphlogistique, qui sert de base à la nomenclature française, est un véritable chef d’œuvre. Celui qui, avec un peu de connaissance de la chimie, la parcourt, la connaît tout de suite ; et elle contient pour ainsi dire une partie principale de la théorie de la science"

 

Comment imaginer plus beau compliment ? Dans son traité de 1813, rédigé en français sous son contrôle, Berzelius donne un tableau des termes français accolés à la nomenclature latine qu’il propose. La concordance des deux langues est remarquable. Le latin chimique semble être, en réalité, un français latinisé.

 

Cependant, 25 ans le séparent de la première nomenclature française, il pense donc nécessaire de lui apporter quelques corrections.

 

Pour lui, comme pour Lavoisier, toute la chimie s’organise autours de l’oxygène, il ne touche donc pas au terme d’oxygène, pourtant si controversé.

 

Parmi les dénominations qu’il propose et qui rompent avec le français on peut noter :

 

Proposition latine de Berzelius Nomenclature française Symbole international
Wolframium Tungstène W
Stibium Antimoine Sb
Aurum Or Au
Stannum Etain Sn
Natrium Sodium Na
Kalium Potassium K

 

Concernant les deux dernières dénominations, il explique :

 

"On s’est servi dans la nomenclature française, pour désigner les alkalis purs, des mêmes noms que pour les alcalis du commerce. De là des inconvénients, lorsqu’on est obligé de parler de ces substances alcalines. De plus, le mot potasse qui dérive d’un mot allemand et suédois, lequel veut dire cendre de pot, ne se laisse pas trop latiniser sans trop de violence. C’est pourquoi les chimistes allemands ont été conduits à remplacer le mot potasse pure par celui de kali, et le mot de soude pure par celui de natron, et par conséquent à appeler kalium et natrium les radicaux des alcalis fixes. L’on fera bien, je crois, de les conserver dans la nomenclature latine."

 

Il est effectivement étonnant de constater que, si les Allemands et Suédois ont abandonné potasse, les Français l’ont conservé, estimant, quant à eux, que ce n’était pas lui faire violence que de le latiniser. Pour les chimistes français, la lettre K symbolise donc le potassium. De même le sodium des français est symbolisé par Na. Les mots français du "commerce" ont parfois la vie longue. Les mots soude, potasse, ammoniaque sont encore présents dans les manuels de chimie de l’hexagone.

 

Ce récit nous a amenés, à plusieurs occasions, à utiliser, dans un souci de clarification, les notations modernes : O2, H2, H2O, K, Na… Ce symbolisme, devenu le langage universel de la chimie, est le plus beau des cadeaux laissé par Berzelius à ses successeurs.

 

Symboles et équations chimiques.

 

Berzelius rappelle le temps des signes alchimiques "créés par le besoin de s’exprimer d’une matière mystique et incompréhensible pour le vulgaire". Jugement sévère car dans le même temps il reconnaît le choix judicieux des signes proposés par les réformateurs "antiphlogistiques" français alors que ceux-ci s’étaient, eux-mêmes, largement inspirés des signes alchimiques.

 

Quoi qu’il en soit, il considère qu’un signe introduit une inutile difficulté car, dit-il, "il est plus facile d’écrire un mot en abrégé que de dessiner une figure". D’où sa volonté de proposer d’autres signes. Non pas des signes "créés dans la vue de les placer, comme les anciens, sur les vases de laboratoire", mais des signes ayant pour objet "de nous mettre en état d’énoncer brièvement et avec facilité le nombre d’atomes élémentaires qui se trouve dans chaque corps composé".

 

Il choisit donc, comme symboles, les lettres de l’alphabet "pour pouvoir être facilement tracés et imprimés sans défigurer le texte". On prendra "la lettre initiale du nom latin de chaque corps simple" et pour distinguer deux corps dont le nom commencerait par la même lettre, il suffira d’y adjoindre les deuxièmes ou troisièmes lettres du nom. Ainsi le soufre sera désigné par le S, le silicium par Si, le stibium (antimoine) par Sb, le Stannum (étain) par Sn.

 

Pour les molécules contenant plusieurs atomes identiques, leur nombre sera indiqué par un exposant. Ainsi pour l’eau : H2O, pour le "gaz carbonique" : CO2. Le symbole a traversé le temps avec comme seule modification la transformation de l’exposant en un indice : H2O, CO2...

 

L’ensemble des propositions de Berzelius peuvent être considérées comme le couronnement de la réforme de la nomenclature chimique initiée 25 ans plus tôt par les chimistes français.

 

Si, pour nos contemporains O2, H2O, CO2, sont bien autre chose que des signes cabalistiques, c’est à Guyton de Morveau, à Lavoisier, à Dalton et à Berzelius que nous le devons.


Pour l’ensemble de cette histoire voir :


Suivre le parcours de l’oxygène depuis les grimoires des alchimistes jusqu’aux laboratoires des chimistes, avant qu’il n’investisse notre environnement quotidien.

 

Aujourd’hui, les formules chimiques O2, H2O, CO2,… se sont échappées des traités de chimie et des livres scolaires pour se mêler au vocabulaire de notre quotidien. Parmi eux, l’oxygène, à la fois symbole de vie et nouvel élixir de jouvence, a résolument quitté les laboratoires des chimistes pour devenir source d’inspiration poétique, picturale, musicale et objet de nouveaux mythes.

 

À travers cette histoire de l’oxygène, foisonnante de récits qui se côtoient, s’opposent et se mêlent, l’auteur présente une chimie avant les formules et les équations, et montre qu’elle n’est pas seulement affaire de laboratoires et d’industrie, mais élément à part entière de la culture humaine.

 

feuilleter les premières pages


voir aussi :

 

 

Un livre chez Vuibert.

 

 

Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…, coupable : le dioxyde de carbone. Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.

 

L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone
et celle du CO2.

 

L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une
chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole. Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.

 

Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
 

Seront-ils entendus ?

 

Feuilleter les premières pages.


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8 octobre 2025 3 08 /10 /octobre /2025 11:57

Gérard Borvon

Première mise en ligne : 29/03/2015

 

Fragments du journal de Sébastien le Braz, jeune chirurgien de marine au temps de la guerre d'indépendance des États d'Amérique, trouvés dans le grenier d'une antique maison du quai du Léon à Landerneau.

 

Noter : Sébastien le Braz, le narrateur de ce récit, est imaginé. Ses oncles Jean-Mathurin et Guillaume Mazéas, par contre, existent bien. De même les personnages qu'il rencontre et les évènements qu'ils vivent sont totalement réels. Les sources sont généralement indiquées dans le cours de chaque chapitre.

 

Le jour où j'ai rencontré Lavoisier à Poullaouen en Bretagne.

 

Le combat de la Belle-Poule.

 

Le combat de Ouessant.

 

Après la bataille de Ouessant.

 

Déclaration d'indépendance des Etats Unis d'Amérique.

 

Mon oncle Guillaume Mazéas.

 

Souvenirs électriques du collège de Quimper.

 

Visite de l'empereur d'Autriche Joseph II à Brest.

 

Rencontres à l'Académie de Marine.

 

Suites extraordinaires d’une rencontre à l’auberge du Tourmentin.

 

Sébastien Le Braz. Ma visite à Morlaix, cité corsaire.

 

Sébastien Le Braz. Ma première campagne vers le continent américain.

 

XXXXXXXXXXXX

 

Voir aussi.

 

Lettres du Chevalier De Boufflers, écrites de Landerneau, de février à septembre 1778, au début de la guerre d'indépendance de l'Amérique..

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27 septembre 2025 6 27 /09 /septembre /2025 15:14

Gérard Borvon.

 

Harry Bernas nous a offert deux ouvrages indispensables pour qui veut comprendre la génèse de l'industrie du nucléaire depuis la bombe jusqu'aux centrales: 

 

. L'Île au Bonheur. Hommes, atomes et cécité volontaire.

"Dans ce captivant récit qui entremêle souvenirs personnels et réflexions scientifiques, Harry Bernas tente de comprendre d'où vient cet aveuglement délibéré. Lucidement, mais sans aucun fatalisme, il met au jour comment, du projet Manhattan aux réacteurs GEN-IV en passant par la politique « Atomes pour la paix » d'Eisenhower, on en est venu à modifier insensiblement la finalité même de la science, dont l'objet ne consiste plus à connaître le monde, mais à la rendre perméable au pouvoir.

Ou comment Newton et Einstein ont été supplantés par Jeff Bezos et Elon Musk. Nous pensions vivre paisiblement sur l'île au Bonheur. En japonais, « île au Bonheur » se dit Fukushima". (voir)

 

. Les merveilleux nuages. Que faire du nucléaire.

"Le président Emmanuel Macron annonce un « nouveau nucléaire » pour assurer notre approvisionnement énergétique et pour réduire la production de gaz à effet de serre. Harry Bernas interroge ce projet, sans concessions [.]par son ampleur, par l'indisponibilité ou l'absence de support industriel adapté, le projet [Macron] ne parait tout simplement  pas techniquement faisable dans la contexte français actuel."(voir)

 

Dans  "L'Île au Bonheur"  Harry Bernas cite à plusieurs reprises son oncle René dont la vie, et la carrière scientifique méritent d'être connues.

 

"Après son séjour à l'université du Minnesota, mon jeune oncle René a regagné la France en 1947. il démarre des recherches au sein du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), de Création récente [.] Dans la France de l'après guerre, la renaissance de la physique est centrée sur la fission nucléaire. Rien de surprenant : la communauté de recherche nucléaire est minuscule mais soudée, le dirigeant du CEA n'est autre que Frédéric Joliot, pionnier de la fission et héros de la Résistance, doublement charismatique."

 

 

Jean Teillac, René Bernas, Frédéric Joliot, André Ligonnière, Michel Rénu sur le chantier de construction du laboratoire de physique nucléaire d’Orsay, 28 janvier 1957

 

" En mars 1950 [ Joliot] rédige l'appel de Stockholm, qui demande que les armes atomiques soient interdites, que leur utilisation soit déclarée crime de guerre et que l'utilisation de l'énergie nucléaire soit soumise à un contrôle international rigoureux. [.] mais les vents du maccarthysme soufflent désormais sur la politique et la science européenne ; la guerre froide gagne en intensité et tout appel à l'apaisement des conflits est étiqueté "rouge". Deux cent millions de  personnes, partout dans le monde signent cet appel. René et nombre de ses collègues figurent parmi les premiers : leur signature devient une arme dans les mains du gouvernement français, pressé par les Etats-Unis de débarrasser le CEA du communiste Joliot et de ses associés. L'épreuve de force a lieu un mois plus tard, lorsque Joliot déclare publiquement que les scientifiques français ne développeront jamais une bombe nucléaire.

 

Dès le lendemain matin, le 29 avril 1950, Joliot et une série d'autres scientifiques de gauche, dont René, sont licenciés et exclus de leur labo. René perd l'accès à l'équipement novateur et complexe qu'il avait dessiné et construit pour fournir à une large communauté de scientifiques des échantillons d'isotopes séparés. Du jour au lendemain, il se retrouve avec ses collègues expulsés dans les locaux exigus du vieil Institut du radium de Marie Curie, ou dans le laboratoire du cyclotron de Joliot, au sein d'une université qui ne s'est toujours pas remise de la guerre et des restrictions de Vichy."

 

 

Hommage de Hubert Reeves à René Bernas.

 

Un texte de Hubert Reeves publié dans le journal du CNRS lui rend un particulier hommage.

 

Extraits

Concernant la formation des différents éléments dans la théorie de "big-bang";

 

"pour tous les éléments chimiques lourds, du carbone jusqu’à l’uranium, une explication satisfaisante avait été trouvée. Mais aucun scénario crédible n’avait été présenté pour les isotopes légers : deutérium, hélium léger, lithium, béryllium, bore…

 

Il était notoire que la cause de ce manque était directement reliée à l’absence de données nucléaires sur les propriétés de ces noyaux. La connaissance de ces propriétés exigerait, en effet, des expériences étalées sur au moins dix ans.
 

À cette époque, fort de ces informations, j’ai entrepris une tournée des laboratoires de physique aux États-Unis, au Canada et en Union soviétique, pour plaider cette cause. La réponse était toujours la même : « Oui, ce projet nous intéresse mais nous ne pouvons pas nous impliquer dans  un processus d’expériences aussi prolongé sans risquer de perdre les subventions,  faute de résultats avant un aussi long temps ». Autrement dit : « Publish or perish ».

 

C’est alors que j’ai rencontré René Bernas, qui dirigeait un groupe de chercheurs au Laboratoire de physique nucléaire d’Orsay. Venu assister à Bruxelles à une leçon que je donnais et où j’avais développé mon plaidoyer, il m’apprit que son laboratoire avait entrepris ces expériences depuis cinq ans déjà.

 

Les résultats, obtenus dans les années suivantes grâce à des spectromètres de masse à Orsay et au CERN, ont été à la hauteur des attentes. Grâce à eux, il a été possible d’identifier l’origine de la plupart de ces isotopes légers dans le bombardement de la matière interstellaire par le rayonnement cosmique galactique.

 

Les résultats d’Orsay ont ainsi  joué un rôle fondamental dans l’établissement et la crédibilité du Big Bang, théorie confortée par l’observation du mouvement des galaxies (l’expansion de l’Univers) puis la détection du  rayonnement fossile (en 1964, par les radioastronomes Arno Penzias et Robert Wilson). Les résultats des mesures « Orsay », corrélées aux valeurs observées des populations de ces isotopes dans l’Univers, furent rapidement considérées comme des confirmations majeures de la théorie du Big Bang."

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18 septembre 2025 4 18 /09 /septembre /2025 16:35

La France se prépare à soutenir la guerre d'indépendance américaine, Brest et sa région sont en pleine effervescence. Sébastien Le Braz, jeune chirurgien de marine, tient sont journal. Deux siècles plus tard, des fragments en sont retrouvés dans le grenier d'un manoir en cours de démolition dans sa ville natale de Landerneau.

 

Fragment du journal Journal de Sébastien le Braz, chirurgien de marine, à Brest, au temps de la guerre d'indépendance américaine.

 

Premier mai 1780.

 

Demain j'embarque pour ma première campagne. Depuis le début du mois d’avril nous avons senti que la guerre contre l’Angleterre prenait une autre dimension. Sur les routes menant à Brest, des troupes venues de diverses régions convergeaient. Le spectacle du passage des bataillons d’artillerie avait particulièrement attiré la foule. Chacun comprenait que l’affaire allait être sérieuse. A Brest les campements des différents régiments, sur les glacis extérieurs aux fortifications, constituaient la principale attraction du moment.

 

Les anciens modéraient l’enthousiasme général en rappelant ce mois de novembre 1756 qui avait vu le départ d’une flotte aussi nombreuse dans cette « guerre de sept ans » qui avait eu pour résultat un royaume de France dépouillé de sa province du Québec, si chère au cœur des bretons depuis l’époque du malouin Jacques Cartier. Et surtout revenait le souvenir de ce mois de novembre 1757 où le retour de la flotte avait amené une épidémie de typhus qui avait fait des milliers de morts dans la ville. Je notais ces propos qui méritaient d’être entendus par le chirurgien de marine qui risquait d’être bientôt affecté à l’un des navires présents dans la rade.

 

Le 10 du mois d’avril, j’ai reçu l’ordre de me rendre à bord du Jason, un vaisseau de 64 canons de construction récente. J’ai appris avec bonheur qu’il était  commandé par le capitaine Chadeau de La Clocheterie dont j’avais pu apprécier les qualités dans l’affaire de la « Belle Poule ». Je connais déjà le chirurgien que je serai amené à seconder. Il a suivi son capitaine lors de ses diverses promotions. Je l’avais rencontré à son bord lors de ce fameux combat devant Plouescat. Il m’a fait visiter le navire. Même si la destination finale reste encore officiellement ignorée, la quantité de nourriture embarquée laisse supposer une longue traversée. La rumeur se répand d’ailleurs que l’objectif est le continent américain et que le corps expéditionnaire, prêt à embarquer sous les ordres du comte de Rochambeau, serait fort de près de 6 000 hommes . 

 

J’ai assisté à la montée à bord du régiment de Saintonge au remarquable drapeau multicolore. La santé de ces soldats sera un nouveau défi. Combien d’entre eux seront malades et inaptes aux combats lors de notre arrivée ? Je crains surtout le scorbut qui affecte les équipages après les longues traversées. Mon oncle Guillaume m’a rapporté que le  médecin de la marine anglaise James Lind, dont il a traduit l’Essai sur les moyens les plus propres à conserver la santé des gens de mer, a proposé la consommation d’oranges et de citron pour combattre la maladie. Inutile d’espérer trouver le remède sous nos latitudes. Par contre certains marins rencontrés sur les quais de Landerneau m’ont dit avoir embarqué de fortes quantités de notre cidre local à l’occasion de longues traversées et avoir pu ainsi échapper à une forte atteinte de la maladie. J’ai obtenu qu’on en fasse monter plusieurs barriques à bord. J’y ai fait ajouter quelques tonneaux de choux macérés dans le sel. Nous verrons bien.

 

Que penser de cette aventure ? Au bout du chemin j'espère avoir l'occasion de rencontrer ces « insurgents » et d'échanger avec eux au sujet de la première phrase de leur déclaration d’indépendance : tous les hommes sont nés égaux.

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16 septembre 2025 2 16 /09 /septembre /2025 15:06

La France se prépare à soutenir la guerre d'indépendance américaine, Brest et sa région sont en pleine effervescence. Sébastien Le Braz, jeune chirurgien de marine, tient sont journal. Deux siècles plus tard, des fragments en sont retrouvés dans le grenier d'un manoir en cours de démolition dans sa ville natale de Landerneau.

 

Fragment du journal Journal de Sébastien le Braz, chirurgien de marine, à Brest, au temps de la guerre d'indépendance américaine.

 

Je n’aurais jamais imaginé me retrouver à Morlaix dans de telles circonstances. J’ai reçu, la semaine dernière, une feuille de route de l’Amirauté de Brest. A la demande de celle de Morlaix il m’était demandé de me rendre au plus vite dans cette ville pour une mission qui me serait précisée sur place.

 

Je connais Morlaix où j’ai de la famille du côté maternel. Un de mes oncles y tient commerce de toile. Il habite une de ces maisons à « pondalez » qui y font la gloire des riches négociants. Mes cousins se livrent eux mêmes au commerce maritime. Outre les toiles expédiées vers l’Espagne, les graines de lin importées de Suède, ils se sont développés dans la vente du sel reçu de Guérande, des vins issus de la région bordelaise, du thé reçu de la Compagnie des Indes. Lors de ma dernière visite ils ne m’ont pas caché que parmi leurs clients plusieurs se livraient à la contrebande. Le sel en particulier, qui n’était pas soumis à la gabelle en Bretagne, était fort demandé. Sans qu’ils me l’avouent j’ai bien compris qu’eux-mêmes ne devaient pas être étrangers à cette corporation des « smoglers », nom par lequel on dissimulait cette activité en Bretagne. J’avais d’ailleurs remarqué dans leur cave ces petits barils fabriqués à Roscoff et destinés à la contrebande vers l’Angleterre. Je savais que, emplis de vin, de cognac, de genièvre de Hollande ou même de notre lambig local, ils étaient reliés par un cordage et lestés, à la manière des filières des casiers pour la pêche aux crustacés. Mouillés sur un câble à l’approche des côtes anglaises, ils étaient récupérés de nuit par de petites embarcations qui échappaient ainsi à la vigilance des douanes anglaises. 

 

De retour à Morlaix, alors que la guerre est définitivement déclarée avec  l’Angleterre, j’imaginais une ville en souffrance, son activité commerciale étant nécessairement entravée. C’est un bien autre spectacle que je découvrais. Jamais autant de navires dans le port et de mouvement sur les quais. Si le commerce était devenu une entreprise à hauts risques une nouvelle activité s’était révélée bien plus lucrative : la guerre de course !

 

Les corsaires.

 

Peu nombreux à fréquenter Brest, les équipages corsaires n’y rencontraient que le mépris des officiers de la marine royale. Quel respect, disaient-ils, pouvaient espérer ces équipages qui ne s’attaquaient qu’aux navires marchands sans défense pour les dépouiller et qui fuyaient devant le moindre navire armé de la flotte ennemie. Il se disait que certains vaisseaux de notre flotte auraient même donné la chasse, pour le plaisir, à certains corsaires pourtant bien munis de la lettre de marque signée de notre souverain. Il m’est arrivé de rencontrer sur les quais de Brest certains matelots de ces équipages. Embarqués à la pêche ou au commerce avant le début de la guerre, ils avaient peu de choix quand leurs anciens armateurs leur proposaient un embarquement sur un navire corsaire. L’un d’entre eux m’a raconté avoir été capturé par la marine anglaise alors que sa flottille pêchait la morue dans les parages de Terre Neuve. Ramené en Angleterre leur équipage avait dû vivre de longs mois dans les sinistres pontons sur la Tamise avant d’être échangés avec des captifs anglais retenus sur nos côtes. Il n’avait pas hésité, quand la proposition lui avait été faite, de rejoindre un équipage corsaire. Si quelqu’un devait subir le mépris des officiers de la flotte royale, me disait-il, cela devrait plutôt s’adresser aux armateurs que cette activité enrichissait alors qu’eux affrontaient le danger des blessures mortelles, de la capture ou des fortunes de mer. 

 

Il est cependant un corsaire qui a été reçu à Brest avec tous les honneurs. Le sloop « le  Ranger » commandé par le déjà célèbre commodore John Paul Jones, était le premier bâtiment à battre le nouveau pavillon américain. Il avait été salué par l’escadre de La-Motte-Piquet, dans la baie de Quiberon, par les neuf coups de canon saluant le navire d’une marine alliée. Salué à nouveau à Brest lors de son entrée dans la rade, il a constitué, pendant ses neuf mois de présence à quai, la principale attraction du port. Les salons de la ville s’arrachaient la présence du commodore. Les officiers rivalisaient d’attentions courtisanes pour avoir l’honneur d’être reçus à son bord. Je n’ai pas eu cette chance mais ma connaissance de la langue anglaise m’a permis de parler avec certains membres de l’équipage rencontrés sur les quais et de constater que leur engagement, nourri par leur haine de la couronne anglaise, était bien éloigné du simple appât du gain des armateurs de nos corsaires locaux.

 

Le Commodore John Paul Jones a quitté Brest sur un coup d’éclat. Ayant quitté la rade pour la mer d’Irlande, il en est revenu avec deux prises et deux cents prisonniers dont l’hébergement mettra l’Amirauté de Brest dans un  extrême embarras. 

 

Morlaix port corsaire.

 

Dès mon arrivée, l’Amirauté de Morlaix me fit savoir ce que l’on attendait de moi. Un navire corsaire américain était venu se réfugier dans le port après un combat qui lui avait causé plusieurs morts et de nombreux blessés. Il m’était demandé de venir en aide au chirurgien qui les soignait. Si l’amirauté avait fait appel à mes services, c’était en raison de ma bonne connaissance de la langue anglaise. C’est ainsi que je découvrais l’équipage de la « Princesse Noire ». 

 

La « Princesse Noire » est une goélette de 26 canons et d’un équipage d’environ 200 hommes. Peinte en noir comme son célèbre compagnon le « Prince Noir », elle est d’une forme peu classique sur nos côtes. Une carène très effilée et des voiles imposantes sur de hauts mats, laissent imaginer un navire d’une grande vitesse adapté à la guerre de course. Je suis monté à bord à la rencontre du chirurgien américain. Les blessés les moins graves y étaient soignés. Nous avons échangé sur la nature des soins à apporter à leurs blessures. Il m’a fait cadeau de remèdes ignorés chez nous et qu’il m’a dit avoir reçus des sages guérisseurs d’une tribu indienne dans laquelle il avait eu la chance d’être accueilli. En Échange je lui ai offert plusieurs de mes « louzous » obtenus de Fañch ar Bleiz  de Botmeur dans les monts d’Arrée. Il m’a ensuite accompagné jusqu’à l’hôpital où étaient soignés les blessés les plus graves. 

 

La Princesse Noire pourrait ressembler à cette goélette.

 

L’hôpital de Morlaix est un magnifique bâtiment. Il a été construit hors de la ville sur les bords du ruisseau le Keffleut, après qu’un incendie ait ruiné le précédent établissement. Il serait à souhaiter que l’arsenal de Brest puisse enfin disposer d’un tel équipement. Nous avons été reçus par le chirurgien de la ville en charge des pensionnaires. La fonction qui m’était dévolue était de pouvoir l’aider à communiquer avec les blessés de la Princesse Noire. Ma connaissance de la langue bretonne m’a d’ailleurs aidé à échanger quelques mots avec certains de ces irlandais, s’exprimant en gaélique, qui constituaient une bonne part de l’équipage. Éventuellement, s’il le souhaitait, je pouvais aussi donner au chirurgien quelques conseils sur les soins à leur apporter, dans la mesure où il n’était pas familier des blessures de guerre.

 

Morlaix, le vieil hôpital.

 

Les blessés étaient régulièrement visités par les membres de l’équipage. C’est ainsi que j’ai passé trois longues journées d’échanges amicaux avec ces « redoutables » corsaires. Combien de fois les ai-je entendus refaire les récits de leurs plus belles captures. Sans cesse y revenait le nom de leur capitaine, Edward Maccater, pour lequel ils semblaient éprouver une réelle dévotion. La liste des vaisseaux qu’ils me disaient avoir apportés à Morlaix et Roscoff expliquait à elle seule la nouvelle activité de la ville.

 

J’ai eu aussi l’occasion de visiter quelques officiers de navires marchands retenus en otages à Morlaix. C’est ainsi que j’ai découvert une curieuse pratique de la guerre de course. Quand un vaisseau corsaire estime avoir trop de difficultés à ramener sa prise, il évalue la valeur de la marchandise et du vaisseau et demande une rançon en échange de la liberté qui lui est laissée de poursuivre sa route. Si la somme n’est pas payée séance tenante le corsaire prend en otage le capitaine  et quelques membres de l’équipage qui seront libérés après versement de la rançon par l’armateur. Il semblerait que le dit armateur ait la possibilité de prendre une assurance contre les risques de capture comme il en existe contre les risque de naufrage. La valeur marchande de ces otages explique qu’ils soient relativement bien traités. Je sais par contre que les prisonniers faits sur les navires de guerre ou sur les corsaires anglais sont aussi mal traités ici que le sont les nôtres sur les pontons anglais. Seul un échange peut les libérer. C’est d’ailleurs, si je l’ai bien compris, une des missions assignée  aux corsaires américains : faire le maximum d’otages afin de pouvoir les échanger contre leurs propres équipages faits prisonniers.

 

De retour à Brest j’ai retrouvé l’arrogance de ces officiers parlant volontiers de guerre dans les salons brestois mais se contentant pour le moment de simulacres aussi douloureux soient-ils comme lors de la bataille de Ouessant. Ils ne veulent pas voir que ce ne sont pas leurs lourds navires qui inquiètent la Couronne anglaise mais cette flottille corsaire qui s’attaque à leur commerce.
 

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6 septembre 2025 6 06 /09 /septembre /2025 14:34

Par Gérard Borvon.

première mise en ligne : 06/09/2021.

Cicatrice de la science : parfois un mot, un nom, une expression, une règle,  semblent échapper à toute la logique que l'on attendrait des sciences. De quoi irriter l'apprenti scientifique. Un retour sur l'histoire de la discipline est alors nécessaire et nous rappelle que la science est une activité humaine, une activité vivante, qui porte parfois les cicatrices de son passé. Un exemple : les deux sens du courant électrique.

 

Un article publié dans le Bulletin de l'Union des Physiciens.

 

Un premier cours d’électricité est l’occasion d’une mise en scène
classique dans la tradition expérimentale des professeurs de sciences
physiques : une tige d’ébonite est frottée, une boule de sureau suspen-
due à son fil de soie ou de nylon est attirée puis vivement repoussée.

 

Commence alors une série de manipulations à base de chiffons de laine,
de peaux de chat, de tiges de verre ou de règles de matière synthétique,
supposée faire découvrir une propriété fondamentale de la matière :
l’existence de deux espèces d’électricité. Pour les désigner les
termes d’électricité positive et négative sont introduits.

 

 

Progressant dans le cours on arrive rapidement à la notion de
courant électrique c’est alors qu’apparaît le problème. A peine a-t-on
défini son sens conventionnel de circulation qu’il faut ajouter que le
fluide électrique est, en réalité, constitué d’électrons négatifs se dépla-
çant en sens inverse !

 

Une explication s’impose. Le professeur pressé évoquera une erreur
ancienne, peut-être même imaginera-t-il un hasardeux pile ou face. Il
suffirait cependant d’un rapide retour sur l’histoire de l’électricité pour
révéler, au lieu de décisions hâtives, la recherche obstinée d’une réalité
physique. Une histoire qu’il est certainement possible d’évoquer en
quelques mots. Nous souhaitons, au travers des éléments que nous
proposons ici, aider à préparer cette réponse. Ce sera également l’oc-
casion d’attirer l’attention sur l’un de nos compatriotes trop rapidement
oublié.

 

Voir la suite sur : http://www.ampere.cnrs.fr/parcourspedagogique/agora/IMG/pdf/Dufay.00.article_BUP.pdf

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20 août 2025 3 20 /08 /août /2025 15:28

 

 

Une industrie chimique des algues en Bretagne

par Gérard Borvon et les élèves du lycée de l'Elorn à Landerneau.

 

Goémon, blé des vagues, pain de mer. Moisson qui lève sans semailles.

(Pierre Jakez Hélias)

 

 

 

Ce texte est le résultat d'une recherche à la fois historique et pédagogique menée avec des classes de seconde du lycée de Landerneau entre les années 1995 et 2000.

 

C'est un travail historique : il montre l'évolution et la permanence d'une industrie liée aux algues en Bretagne depuis le début du 18ème siècle.

 

C'est un travail pédagogique avec pour objectifs :
- de sortir l'enseignement des murs de l'école.
- de faire participer les élèves à la construction de leur savoir.
- d'étudier un programme dans le cadre d'un projet.
- de situer une science et une technique, comme toute activité humaine, dans l'histoire et en particulier celle d'une région.

 

 

 

Vous y trouverez tous les dosages des éléments contenus dans les cendres d'algues. Les méthodes d'extraction de l'iode et des alginates. Les formules de masques de beauté et de moulages aux alginates. La recette d'un "flan" au "pioka". Le texte que nous présentons ici est une invitation à aller plus loin.

 

 

 

Une industrie chimique dans le Nord-Finistère

 

 

Le Nord-Finistère, en Bretagne, n'est pas particulièrement réputé pour son industrie chimique. Pourtant, depuis le 17e siècle, c'est à dire depuis le début de la chimie, une activité chimique y est menée, sans interruption, autour des algues.

 

L'industrie de la "soude" (carbonate de sodium) se développe d'abord. On extrait ce produit des cendres de goémons séchés. Il est indispensable à la fabrication du verre. Cette activité s'arrête à la fin du 18e siècle quand de nouveaux procédés sont découverts.

 

Elle reprend en 1829 après que le chimiste Bernard Courtois ait découvert, en 1812, un nouveau et utile produit dans les cendres d'algues : l'iode. L'iode est utilisée, en particulier, en photographie et en médecine. Sa production en Bretagne s'arrête en 1952 à cause de la concurrence de l'iode extrait des nitrates du Chili.

 

Aujourd'hui le relais est pris par l'extraction des alginates contenus dans les grandes laminaires.

 

 

 

 

 

En 1883 Edward Stanford isole l'algine des algues, plus tard le norvégien Axel Kefting en extrait l'acide alginique. La production à grande échelle commence en 1930. La Bretagne en produit environ 2000 tonnes dans les usines de Lannilis et Landerneau. Les alginates sont des agents épaississants et stabilisateurs qui interviennent aussi bien dans l'industrie pharmaceutique que dans l'industrie alimentaire ou celle du papier, des colorants ou des produits de moulage.

 

Plus confidentiels mais tout aussi riches d'intérêt sont les usages alimentaires, pharmaceutiques et cosmétiques des algues.De nombreux laboratoires, dans le Finistère, travaillent dans ces domaines pour des produits " haut de gamme " souvent destinés à l'exportation.

 

Cette ancienneté, cette richesse et cette diversité ont nourri les activités de plusieurs classes du lycée de l'Elorn à Landerneau. Ce site leur doit beaucoup. Il s'adresse à ceux qui voudraient s'inspirer de leur expérience mais aussi à tous ceux dont la curiosité aurait été éveillée par cette curieuse et attachante industrie.

 

La soude

 

 

En vous promenant sur les dunes du Nord-Finistère, vous ne pouvez manquer de rencontrer de longues tranchées tapissées de pierres plates. Les habitants du lieu vous dirons que ce sont les " fours à soude " des anciens goémoniers.

 

Pour le chimiste contemporain le mot " soude ", nom usuel de l'hydroxyde de sodium de formule NaOH, est déjà un archaïsme. La " soude " des goémoniers, quant à elle, évoque des temps encore plus reculés et désigne le carbonate de sodium (Na2C03). Dans un passé récent les droguistes savaient encore distinguer cette " soude du commerce " utilisée comme décapant banal de la " soude caustique " (l'hydroxyde de sodium) bien plus corrosive.

 

Un rapide coup d'œil dans un dictionnaire contemporain nous apprendra que le mot soude désigne également une plante des terrains salés appartenant à la famille des salsolacées qui comprend, entre autres, les salicornes. Le Larousse en trois volumes précisera même que le nom dérive de l'arabe " sunwäd ".

 

Un produit de la science arabe.

 

Ce sont bien les arabes qui ont introduit l'usage de la soude en Europe.

Depuis l'antiquité égyptienne, les populations du sud de la Méditerranée

 

Salicorne

 

savaient utiliser les propriétés des cendres des plantes terrestres riches en carbonate de potassium et celles des plantes marines contenant du carbonate de sodium. Le nom de " al kali ", par lequel les arabes désignaient ces plantes et leurs cendres, se retrouve dans le terme " alcalin " de la chimie récente. Ces cendres pouvaient être utilisées pour dégraisser les laines ou fabriquer des savons, elles entraient également dans la composition du verre.

 

Le verre, dont la découverte est attribuée aux égyptiens, est en effet un produit qui contient 70% de silice, 15% de chaux et 15% de soude ou de potasse.

 

Pour ceux que l'histoire du vocabulaire de la chimie intéresserait on peut signaler que, pour ces usages, les égyptiens de l'époque pharaonique utilisaient également les dépôts cristallins de carbonate de sodium déposés par évaporation sur les rivages des lacs Natron (Ouadi-Natroun), groupe de lacs à l'ouest du delta du Nil. Cette origine se retrouve dans le nom de natrium et le symbole Na retenus par la nomenclature internationale pour désigner ce que les chimistes français continuent à appeler sodium par référence à la soude.

 

On pourra noter également que le mot " kali " a donné le kalium de symbole K qui est le " potassium " de la nomenclature française. Cette autre exception française tire son nom du mot potasse, dérivé de l'allemand " Potasche " ou " Cendre de pot ". Ce terme a d'abord désigné le carbonate de potassium présent dans les cendres des végétaux terrestres et qui était utilisé, sous cette forme ou " lessivé " à travers un chiffon, pour la corvée de la " buée ", c'est à dire la " lessive " du linge sale. Le mot potasse désigne aujourd'hui l'hydroxyde de potassium.

 

De la salicorne à la soude.
 

Cette parenthèse étant refermée, il faut donc retenir que le carbonate de sodium extrait des cendres de plantes marines était une matière première indispensable aux industries du verre et du savon.

 

Aux 17e et 18e siècle la " pierre de soude " est un produit encore essentiellement importé d'Espagne. La soude d'Alicante est particulièrement réputée. Les arabes de l'époque andalouse ont introduit, dans cette région, la culture de la " Barille ", une variété de salicorne dont les cendres contiennent jusqu'à 30% de carbonate de sodium. Afin de rendre la France moins dépendante de ce pays parfois hostile, Colbert fera développer la culture de la salicorne et la fabrication de la " pierre de soude " sur les côtes françaises de la Méditerranée, inaugurant ainsi la vocation chimique de la région marseillaise.

 

La culture se fait sur les rives des étangs autour de Montpellier et Marseille. Les semailles sont faites en Février et Mars. La plante atteint la maturité fin Juillet, début Août, elle est alors jaune ou rouge et commence à sécher. On l'arrache, on la laisse faner comme le foin, on la bat avec des fléaux pour en recueillir la graine, elle est alors prête à être brûlée. Deux mille cinq cents quintaux d'herbes sèches donneront cent quintaux de " pierre de salicor ".

 

La combustion se fait dans une fosse circulaire de deux mètres cinquante de diamètre pour cinquante centimètres de profondeur tapissée de pierres. Le four est d'abord chauffé par des fagots de bois, la salicorne est ensuite jetée sur les braises en couches continues pendant trois heures environ. La cendre apparaît alors comme une masse en fusion qui est pétrie au moyen de perches de bois et qui deviendra un bloc compact lors du refroidissement. L'opération se poursuit jusqu'à ce que le fourneau soit rempli. Quand la " cuisson " de la pierre se fait de nuit on voit avec surprise dans la fournaise, une matière embrasée, liquide comme du métal fondu.

 

On ressent le même étonnement quand on observe l'aspect de lave en fusion de la soude des fours des goémoniers bretons au soir des démonstrations estivales.

 

four de goémonier en Bretagne.

 

La soude en Bretagne
 

La salicorne pousse également sur les côtes bretonnes, normandes ou vendéennes. Pourtant c'est une matière première différente qui y sera à l'origine d'une industrie de la soude : le goémon. Les cendres de warech et de laminaires ont rapidement été utilisées comme substituts aux cendres de salicorne. Cependant leur réputation est mauvaise pour ce qui concerne le blanchissage et la savonnerie, elles sentent le " foie de soufre " (le sulfure d'hydrogène), elles dissolvent mal les graisses, elles tachent le linge. Par contre elles sont efficaces en verrerie.

 

A l'initiative de verriers installés dans la région de Cherbourg l'industrie de la " soude de warech " se développe donc en Normandie, en Bretagne et partiellement en Vendée. Le verre obtenu n'est pas un verre de qualité, les sels minéraux composant les algues le colorent en vert, mais c'est un " verre à bouteille " très utile à l'industrie vinicole française. L'activité ne se développe pas sans difficultés, il faut convaincre les pêcheurs inquiets pour la reproduction du poisson et rassurer les agriculteurs persuadés que les épaisses fumées des fours, à l'odeur âcre, viendront ruiner leurs cultures. De savants académiciens seront mobilisés et viendront sur place apporter la caution de la science. Parmi ceux-ci le scientifique breton Guillaume Mazéas originaire de Landerneau qui publie en 1768 ses Observations sur l’alkali des plantes marines et les moyens de le rendre propre aux mêmes usages que la soude.

 

Goémoniers devant l'Ile Vierge (Mathurin Méheut)

 

La technique des goémoniers est directement dérivée de celle des brûleurs de salicorne. Seule diffère la forme du four. La plus faible qualité combustible du goémon oblige à un four en tranchée orienté dans le sens des vents dominants. Les perches de bois utilisées pour malaxer la cendre en fusion cèdent la place à une perche de fer terminée par une pelle étroite : le " pifoun ". Le four est divisé en compartiments par des pierres transversales qui permettront un démoulage commode des " pains de soude " contrairement à la méthode méditerranéenne qui oblige à casser la " galette " en morceaux irréguliers.

 

L'une des premières industries chimiques développée en France s'est donc installée en Bretagne. La transformation des algues est, depuis cette date, restée la seule activité chimique consistante de cette région. L'industrie de la soude, pour sa part, s'y maintiendra jusqu'à la fin du 18e siècle.

 

 

Naissance de la soude factice
 

Très tôt, les chimistes avaient su reconnaître que la soude de warech contenait un élément présent dans le sel marin. L'idée de fabriquer la soude à partir de ce sel était donc naturelle. Elle ne se concrétisera qu'à la fin du 18e siècle. En 1781, l'Académie des sciences lance un concours pour " trouver le procédé le plus simple et le plus économique " de fabriquer de la soude à partir du sel marin.

 

Voir à ce sujet le mémoire présenté par Lavoisier

 

Deux propositions retiennent l'attention de l'Académie. L'une faite par un chimiste alsacien nommé Hollenweger, l'autre par Guyton de Morveau chimiste bourguignon déjà renommé. Les deux lauréats sont invités à rechercher une région exempte de gabelle pour y installer une manufacture. Tous les deux se retrouvent en Bretagne. L'un, Guyton de Morveau, s'installe au Croizic, l'autre, Hollenweger, au Pouliguen. Cependant, aucun de ces deux manufacturiers n'a vraiment réussi à développer sa méthode au moment où le Comité de Salut Public de la République lance un appel à tous les savants pour qu'ils établissent un procédé vraiment efficace.

 

Celui de Nicolas le Blanc est retenu. Il consiste à faire agir de l'acide sulfurique sur le chlorure de sodium dans une chambre en plomb. Le sulfate de sodium obtenu est ensuite porté à haute température en présence de charbon et de calcaire. Le chimiste moderne traduirait ces deux réactions par les équations suivantes :

 

H2SO4 + 2 NaCl -> Na2SO4 + 2 HCl

Na2SO4 + 2 C + CaCO3 -> Na2CO3 + CaS + 2 CO2

 

Pendant un siècle ce procédé restera le seul utilisé par l'industrie mais celle-ci ne s'installera pas en Bretagne. Depuis l'abolition des privilèges le sel breton a le même prix que celui des autres régions et rien ne pousse plus les industriels à venir s'installer dans cette province excentrée.

 

Quant à la soude de warech, autant ne pas en parler, elle n'a aucune compétitivité par rapport à la soude dite " factice ". Le métier de " soudier " aurait donc dû disparaître en Bretagne, si un événement fortuit ne l'avait pas relancé sur une autre base. Nous en reparlerons.

 

 

Retour aux sources
 

Depuis plusieurs années, les populations du Nord-Finistère ont voulu faire revivre la tradition du métier de goémonier. A Plouguerneau, un musée a choisi d'en conserver les outils et les gestes. Chaque été, ici ou là, les fours sont remis en activité pour une fête qui n'attire pas uniquement les touristes.

 

Professeur de physique-chimie au lycée de l'Elorn à Landerneau, attaché à la région de Lilia-Plouguerneau et au métier de goémonier par tradition familiale, j'ai eu, très tôt, le sentiment que les cendres d'algues, et les algues elles-mêmes, pourraient constituer un produit de choix pour la construction d'un cours de chimie.

 

L'industrie des algues, d'hier et d'aujourd'hui, au lycée.
 

Petit à petit ce sentiment s'est transformé en une pratique. Des élèves ont procédé au brûlage des algues, dans un authentique four de goémonier, sous la conduite des derniers représentants de la profession qui faisaient revivre les tours de main ainsi que le vocabulaire, en breton, du vieux métier. Les cendres ont été concassées, tamisées, analysées et dosées au laboratoire. La chimie y trouvait une couleur nouvelle, plus chaleureuse, plus humaine, reliée à une histoire proche, sans que pour autant le " programme " soit oublié.

 

Mais pourquoi ne voir que le passé ?

 

L'activité chimique autour des algues est, plus que jamais vivante en Bretagne. Les laminaires sont une source essentielle pour les alginates dont les domaines d'utilisation croissent sans arrêt. L'industrie alimentaire, cosmétique et pharmaceutique exploitent de plus en plus les ressources des plantes marines dans lesquelles on découvre en permanence de nouvelles propriétés.

 

Les " goémoniers" d'aujourd'hui sont des marins équipés de moyens modernes de récolte. Ce sont également des ingénieurs et des techniciens de haut niveau qui pratiquent dans des laboratoires ou des unités de production à taille humaine une " chimie du vivant " qui a de quoi séduire. Nous leur avons rendu visite. Ils nous ont initié à une chimie qui ne se trouve pas dans nos livres scolaires. Ils nous ont confié l'essai de leurs produits. Nous avons adapté leurs techniques à nos salles de travaux pratiques et constaté, là encore, que nos programmes de chimie " organique " pouvaient très bien se construire autour des algues.

 

Par séquences séparées, mais aussi parfois dans le cadre d'un projet construit sur l'ensemble de l'année scolaire, les algues, d'hier et d'aujourd'hui, sont donc entrées dans nos classes. Ce sont des éléments de ces travaux que nous proposons ici. L'année 2000 verra l'introduction dans les classes de seconde des lycées, de thèmes et de méthodes très proches de ce que nous avons réalisé. Des enseignants y trouveront peut-être des idées. Des élèves pourront y trouver des pistes pour des travaux personnalisés. Des apprentis chimistes voudront peut-être en reproduire certaines manipulations qui peuvent se faire, chez soi, avec peu de matériel.

 

Nous destinons également ce texte, qui est un travail de mémoire, à tous ceux que cette tradition, qui a fait se côtoyer des marins, des manufacturiers et des chimistes, intéresse. Au delà des techniques et des formules, c'est la vie d'une région qui est concentrée dans cette chimie.

 

Pour reprendre l'expression d'un élève d'une classe de seconde :

" ici des hommes ont su extraire de la nature, en la respectant, le mieux de ce qu'elle pouvait offrir ".

 

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Extraction de la soude (carbonate de sodium)
 

Le musée des goémoniers à Plouguerneau, sur la côte du Nord-Finistère, organise chaque été un brûlage des algues dans les anciens fours afin d'obtenir les cendres riches en soude.

 

Nous nous sommes rendus sur place pour extraire un " pain de soude " qui se présente sous une forme très compacte. Les cendres chaudes ont un aspect de matière en fusion et se moulent dans les alvéoles du four pendant leur refroidissement.

 

On peut également réaliser la combustion d'algues sèches dans une fosse de 40 à 50 cm de côté creusée dans le sol et tapissée de pierres plates.

 


Le traitement au lycée.
 

Le travail au pifoun dans le four.

 

 

Concasser le pain de soude

 

opération de lessivage

 

analyser le filtrat

 

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Un fabuleux hasard : l'iode
 

La découverte de l'iode est due au chimiste Bernard Courtois (1777-1838). Fils d'un maître salpêtrier de Dijon, il reprend cette activité à Paris au moment où les guerres de Napoléon réclament le salpêtre nécessaire à la fabrication de la poudre à canons. En tant que responsable de la régie des poudres, Lavoisier a donné à cette activité une nouvelle rationalité. Le salpêtre est élaboré dans des « salpêtrières » où le développement des bactéries nitrifiantes sur des mélanges terreux appropriés est favorisé. Les terres enrichies en salpêtre doivent alors être lessivées. Les eaux-mères obtenues sont ensuite traitées par des cendres de bois riches en potasse afin d'obtenir la cristallisation du salpêtre.

 

Cependant le blocus commercial organisé autour de la France rend difficile l'approvisionnement en cendres potassiques dont la Suède est le principal fournisseur. Courtois tente donc l'essai des cendres de warech. Ces dernières contenant des composés sulfurés indésirables, le chimiste entreprend de décomposer ceux ci par l'acide sulfurique concentré. C'est à cette occasion qu'il observe le dégagement de vapeurs violettes et la précipitation d'un corps noir et brillant. Courtois est un chimiste suffisamment avisé pour comprendre qu'il est en présence d'un corps nouveau. Il en prépare une petite quantité qu'il confie à ses amis Clément et Désormes pour en faire une étude chimique qui sera ultérieurement complétée par Gay-Lussac et Davy. Cette découverte est annoncée à l'Académie des Sciences le 29 Novembre 1813 par Nicolas Clément. Le mot grec iôdês (violet) inspire le nom de « iode » qui est donné à ce produit par référence à la couleur de ses vapeurs.

 

Rapidement l'iode apparaît comme un produit de grand intérêt. Il est à l'origine des premiers daguerréotypes, photographies sur plaques de cuivre argentées sensibilisées aux vapeurs d'iode. C'est, en solution dans l'eau ou l'alcool, un excellent désinfectant encore très utilisé aujourd'hui. On reconnaît également, très vite, son efficacité contre le goitre. C'est donc un produit précieux dont la production s'annonce rémunératrice.

 

En 1828, arrive en Bretagne un jeune chimiste prêt à tenter l'aventure de sa production industrielle. François-Benoît Tissier a d'abord dirigé, à Paris, l'usine d'iode crée par son professeur, le chimiste Clément. Il y met au point une méthode efficace. Au Conquet, il rencontre la famille Guilhem déjà engagée dans cette aventure mais sans grande conviction. Il leur rachète leur fabrique et commence alors une ère de prospérité qui permettra à Tissier d'amasser une fortune colossale.

 

Le succès amène des concurrents. Des usines s'ouvrent à Granville (1832), Pont-Labbé (1852), Vannes (1853), Quiberon, Portsall (1857), Tréguier (1864), L'Aber-Wrach (1870), Guipavas (1877), Lampaul-Plouarzel, Audierne (1895), Loctudy, Penmarc'h (1914), Plouescat, Argenton (1918). Toutes ne connaîtrons pas le succès, d'autant plus qu'une rude concurrence existe avec l'iode du Chili.

 

Dès 1830 on constate que les riches gisements de nitrates du Chili contiennent de l'iode. Abondant, facile à extraire, il pourrait inonder les marchés européens si des mesures protectionnistes n'étaient pas prises. Un organisme international la « combinaison de l'iode » fixe la part de marché de chaque usine et le cours de l'iode. Le Chili qui pourrait produire jusqu'à 3000 tonnes par an limite sa production à 900 tonnes. L'Angleterre et la France disposent chacune d'un quota de 70 tonnes. Cet accord permet à l'industrie française de se maintenir jusqu'à 1955 environ. A cette date le gouvernement français décide de lever les mesures protectionnistes et invite les manufacturiers à rechercher un autre débouché pour les algues. S'ouvre alors l'ère des alginates.

 

L'extraction de l'iode des cendres d'algues

 

L'iode est extrait des cendres d'algues, le vieux métier de producteur de soude se poursuit donc avec la nouvelle activité. Un problème cependant : pour obtenir de beaux pains de soude, bien gris et bien compacts, il fallait des températures élevées et une combustion vive. A l'inverse la production d'iode nécessitait une température modérée, les iodures étant des corps très volatils. Plusieurs brevets avaient été déposés pour des fours à combustion ménagée utilisant la chaleur produite afin de sécher les algues mais aucun ne débouchera sur des applications rentables. Il aurait fallu pour cela pouvoir dépasser le maigre quota de production attribué à la France. Les goémoniers reprendront donc les vieux fours de leurs pères. Ils voudront, comme eux, mouler de beaux pains de soude en faisant brûler les algues à feu vif au détriment de la teneur en iode des cendres et ceci malgré la pression exercée par les manufacturiers qui les payaient en fonction de cette teneur. Il est vrai que des pains bien compacts se transportaient mieux, surtout si on devait les ramener des îles où les goémoniers faisaient de longues campagnes.

 

La teneur en iode dans les algues séchées variait suivant les algues de 2% à 3%. Dans les cendres cette teneur tombait de 1% à 1,5%. Reste à extraire cet iode.

 

Toutes les caractérisations et dosages des éléments présents dans les algues sont présentés dans l'article:

Histoire de la chimie des algues en Bretagne. De la soude à l'iode jusqu'aux alginates. Les caractérisations et les dosages.

 

Traitements pour obtenir l'iode
 

Lixivation : Les cendres sont concassées en morceaux de l'ordre de quelques cm 3. Le broyage se fait à la masse sur une table recouverte d'un plaque de fonte. Le lessivage dégage une partie soluble qui peut représenter jusqu'à 65% de la totalité. Les lessives contiennent de 6kg à 9kg d'iode au m3.

 

Concentration : Les solutions sont concentrées par évaporation dans des chaudières peu profondes chauffées à feu nu ou encore en utilisant des serpentins où circule de la vapeur d'eau sous pression. Le chlorure de sodium se dépose d'abord, le chlorure de potassium ensuite. Les eaux mères finales contiennent 100g à 150g d'iode par litre mais aussi les carbonates, les sulfures, sulfites et hyposulfites solubles.

 

Désulfuration : La désulfuration se fait en milieu acidifié. Il faut verser de l'acide sulfurique ou de l'acide chlorhydrique dans la solution qui à l'origine est très basique. Les carbonates se décomposent les premiers avec un dégagement de dioxyde de carbone. Les composés sulfurés se décomposent ensuite avec un dégagement de sulfure d'hydrogène et un précipité de soufre sous forme essentiellement colloïdale. En portant la solution à ébullition on chasse le sulfure d'hydrogène dissout et on favorise la précipitation du soufre.

 

Précipitation de l'iode : L'iode est chassé de la solution par l'action du chlore. Celui ci est obtenu par l'addition de chlorates dans la solution acide (au laboratoire on pourra utiliser de l'eau oxygénée). L'iode se précipite alors sous la forme d'une poudre noire.

 

Sublimation : L'iode lavé et séché par pression est sublimé dans des cuves de céramique surmontées d'un couvercle sous forme de cloche chauffées sur bain de sable. On obtient alors des paillettes contenant de 97% à 98% d'iode. Une nouvelle sublimation peut porter ce taux à 99,5%. C'est en nous inspirant de ces techniques que nous procéderont à l'extraction de l'iode puis à son dosage.

 

Vapeurs d'iode violettes.

 

Nous avons extrait l'iode de la solution par action de l'eau oxygénée H2O2 en milieu acide.

 

Fiche expérimentale
 
Etapes de la manipulation Réactifs et méthodes utilisés observation
Acidification de la solution Acide sulfurique concentré L'acidification de la solution a pour premier effet de libérer le dioxyde de carbone provenant des ions carbonates
Libération de l'iode eau oxygénée L'eau oxygénée oxyde les ions iodure, il se forme de l'iode qui colore la solution en brun. On observe même un léger précipité d'iode.

mise en évidence de l'iode gazeux

 

 

chauffage Un chauffage léger libère les vapeurs d'iode violettes. A réaliser sous hotte de préférence, l'iode gazeux étant toxique.

 
 
 
Aujourd'hui - Les alginates et les carraghénanes

 

L'anglais Edward Stanford (1837-1899) isole, dans les algues, un gel qu'il désigne du nom d'algine. Le norvégien Axel Krefting est le premier à en extraire l'acide alginique. Ce produit trouve un intérêt immédiat comme apprêt pour les tissus. Sa production à grande échelle commence vers 1929 sur les côtes californiennes.

 

En Bretagne, cette industrie débute à Pleubian, dans les Côtes d'Armor, dès le début du siècle. Elle ne prendra son essor que vers les années 1960. A cette date l'état français a décidé de ne plus subventionner la fabrication de l'iode, obligeant ainsi les manufacturiers à se reconvertir. Ceux-ci font preuve d'une extraordinaire capacité d'adaptation. Il faut d'abord élaborer la théorie de l'extraction, il faut inventer et construire de nouvelles machines. Il faut surtout imaginer les utilisations possibles d'un produit aux débouchés encore limités.

 

Beaucoup d'usines disparaissent dans la tourmente mais le pari est gagné et le Nord-Finistère devient le producteur principal de l'alginate en Europe. Actuellement de l'ordre de 2000 tonnes par an sont produites dans les deux usines de Lannilis et de Landerneau qui se partagent le marché. L'essentiel de la production est exporté mais, sur place, une constellation de petites entreprises utilisent cette matière première pour des produits cosmétiques, pharmaceutiques ou alimentaires.

 

L'alginate est utilisé comme épaississant et stabilisateur dans les glaces, les crèmes et même les yaourts et les fromages frais. Dans la nomenclature européenne ce sont les E 400 et E 411. On trouve encore les alginates dans la fabrication du papier, de la peinture, des électrodes....Un marché en constante expansion qui n'est limité que par la quantité d'algues que l'on peut récolter. En Bretagne cette quantité est limitée aussi la production est-elle orientée vers des produits de qualité destinés aux industries cosmétiques, pharmaceutiques et alimentaires.

 

Le Pioka et les carraghénanes

 

Depuis plusieurs siècles le Chondrus est une algue utilisée en médecine et dans l'alimentation. Il y a plus de 600 ans les irlandais du comté de Carragheen dans le sud de l'Irlande savaient utiliser cette " Irish moss " pour des pommades et des flans. Cette algue séchée a, en effet, un extraordinaire pouvoir gélifiant en présence de lait. Les émigrants irlandais ont emporté leurs recettes avec eux quand, vers 1700, ils ont rejoint l'Amérique du Nord et constaté que leur " irish moss " poussait également sur les côtes du Massachusetts. Le polysaccharide extrait de cette algue et obtenu pur vers 1871 a été logiquement nommé carrageenan dans la nomenclature de la Société Chimique Américaine et est encore désigné sous ce nom.

 

En Bretagne, le Chondus Crispus est également abondant. Dans le Léon finistérien on le désigne par le terme de " pioka ", en Cornouailles il est parfois appelé " piko ". Une tradition de gâteaux et flans au pioka existe dans le Nord-Finistère. Est-elle ancienne ? Il est certain, par contre, que dès le début du 19ème siècle les industriels on su mesurer l'intérêt de ce produit. La cueillette du pioka, les jours de grande marée, est devenue une activité rémunératrice qui se pratique, encore de nos jours, avec les mêmes méthodes. Jadis vendu sec et blanchi, il est acheté humide aujourd'hui, sauf pour de petites productions artisanales. Actuellement, une seule usine, installée en Normandie, produit les quelques 3000 tonnes fabriquées en France.

 

Comme les alginates, les carraghénanes sont utiles dans l'industrie textile, la peausserie, la fabrication des peintures. Le gel qu'ils forment avec le lait les font utiliser en priorité dans tous les produits alimentaires lactés, mais aussi dans les bières, les pâtes alimentaires, les confitures.

 

 


Deux entreprises d'alginates à Landerneau

 

Dans la région de Landerneau, deux entreprises traitent les algues pour en utiliser les alginates.

 

L'entreprise Danisco est spécialisée dans l'extraction de l'acide alginique à partir des algues brutes.

 

L'entreprise Technature utilise les alginates pour élaborer des produits finis.

 

 

L'entreprise Danisco : Nous l'avons visitée sous la direction de son directeur Monsieur Pasquier. L'usine (9000 mètres carrés d'ateliers et de laboratoires) traite chaque année 6000 tonnes d'algues séchées pour la production d'alginates particulièrement purs utilisés pour la pharmacie et l'alimentation. La société Danisco nous a fourni un sachet d'acide alginique pur pour en étudier les propriétés. Son directeur nous a également détaillé le procédé d'extraction des alginates à partir des algues (voir fiche).

 

L'entreprise Technature : Nous y avons été reçus par son directeur, Monsieur Le Fur, et par son directeur commercial, Monsieur Winkler (aujourd'hui directeur de l'entreprise Lessonia). L'entreprise conditionne les alginates pour ses différents usages : moulages, cosmétiques, alimentation... Sa clientèle est mondiale (Europe, U.S.A, Japon). La réputation des produits bretons est internationale ! L'entreprise nous a confié des alginates de moulage pour que nous puissions réaliser un moulage. Elle nous a également proposé de mettre au point un nouveau masque de beauté.

 

 

 

Retour au laboratoire

 

Nous y avons extrait les alginates contenues dans des laminaires. Nous avons utilisé pour cette manipulation des laminaires de l'espèce " laminaria digitata " dont le nom en langue bretonne est " tali ".

 

Les procédés d'extraction des alginates nous ont été expliqués par M. Pasquier directeur de l'usine DANISCO et M. Le Fur directeur de l'entreprise TECHNATURE. Nous avons réalisé cette opération en suivant les étapes indiquées dans le tableau ci-dessous. Nous avons utilisé pour cette manipulation des laminaires de l'espèce " laminaria digitata " dont le nom en langue bretonne est " tali ".

 

 

Nature de l'opération méthode observation
préparation des algues découper une algue fraîche (laminaire) en morceaux (1cm x 1cm) ou réhydrater des morceaux d'algue sèche. Il faut utiliser des algues fraîches ou rapidement séchées après la cueillette.
Déminéralisation faire " mariner " les algues dans trois bains successifs de 25 minutes chacun d'une solution d'acide sulfurique à pH=2 Les algues prennent une consistance très ferme. Le bain d'acide dissout les sels minéraux et prend une coloration verdâtre.
Formation de l'alginate de sodium soluble les algues sont placées dans une solution de carbonate de sodium à pH=11. Les morceaux d'algues se ramollissent, l'ensemble prend un aspect pâteux dû à la dissolution de l'alginate de sodium.
Filtration, blanchiment La pâte est pressée à travers un tissu de coton blanc afin de séparer l'alginate de la cellulose le filtrat obtenu est légèrement gélatineux et faiblement coloré. On peut le décolorer par quelques gouttes d'eau de Javel (hypochlorite de sodium)
précipitation de l'acide alginique On utilise une solution d'acide sulfurique ou d'acide chlorhydrique. Il faut atteindre un pH=1,8 l'acide alginique se coagule. On peut l'extraire en utilisant un agitateur ou en filtrant.

 

voir aussi

 

Nous avons également construit des modèles moléculaires de ces monomères et de leurs polymères.

 

acide alginique

 

 

 

 

 

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L'agar-agar et la formation de gel

 

Agar-Agar est un mot malais.

 

Ce corps, utilisé en Malaisie, était également d'un usage courant au Japon et dans tout l'Extrême-Orient. L'Agar-Agar provient d'algues diverses et en particulier de l'espèce gélidium. Ces algues, après des lavages fréquents, sont séchées et soumises à ébullition. Le gel obtenu est déshydraté puis réduit en poudre.

 

Le pouvoir gélifiant de l'Agar-Agar est extrême. Deux grammes dans un quart de litre d'eau portée à ébullition pendant 5 minutes donnent un gel très ferme après refroidissement.

 

Au laboratoire de biologie, l'Agar-Agar sert à préparer des supports nutritifs pour les plantes. Au laboratoire de chimie, il sert, par exemple, à préparer des " ponts électrolytiques " conducteurs dans l'étude des piles.

 

Nous avons préparé un gel d'Agar-Agar coloré par de l'hélianthine. L'Agar-Agar est aussi utilisé pour préparer des flans mais nous avons utilisé pour cela une algue originaire de Bretagne, le Pioka, qui contient des carraghénanes.

 

 
L'Agar-Agar : un excellent gélifiant extrait des algues rouges
 

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Les algues dans l'alimentation
Le " pioka " et les carraghénanes
 

pioka de Bretagne

 

Pioka est le nom breton d'une algue qu'on appelle également " lichen " de mer. On la récolte aux grandes marées, son prix élevé attire les cueilleurs saisonniers. Son nom scientifique est Chondrus crispus. Le principe actif qu'on en extrait est constitué par les carraghénanes . C'est un excellent gélifiant dans le lait. De façon traditionnelle, il est utilisé par les populations côtières du Nord de la Bretagne pour réaliser des " flans ". Préparation des algues Après la récolte, les algues sont étalées sur les dunes et séchées en les retournant fréquemment. On peut également les arroser d'eau douce de temps en temps afin de les débarrasser du sel et des débris divers. A la fin de ce traitement les algues sont blanches et sèches on peut alors les conserver. Juste avant l'usage On peut parfaire le rinçage par trempage et rinçages répétés. Les algues doivent être totalement débarrassées de leur odeur de " mer "


Recette de flan au pioka

 

Nous avons réalisé la recette de dessert suivante. Elle nous a été communiquée par une personne agée de la région de Brignogan dans le Nord-Finistère. Elle l'avait vue elle même réalisée par ses parents.

 

Remarque : les carraghénanes du pioka donnent facilement un gel avec le lait, il ne donnent pas de gel avec de l'eau. Pour cela il faudrait utiliser de l'Agar-agar que nous avons également testé (il est également utilisé pour des flans).

Notre recette

Utiliser une petite poignée d'algues sèches par quart de litre de lait. Les rincer. Faire bouillir pendant 5 à 10 minutes dans le lait en remuant. Filtrer le lait chaud dans une passoire ou une écumoire. Remettre le lait à bouillir cinq minutes avec l'arôme souhaité, chocolat ou vanille sucrés ( par exemple 3 cuillérées de Nesquik par ¼ de litre de lait). Verser dans des coupes. Laisser refroidir et mettre au frigo.

 

 

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Conclusion
 

Si, comme nous, vous ignoriez que la chimie, depuis si longtemps, s'intéressait aux algues, vous savez maintenant que, chez nous en Bretagne, des personnes ont fabriqué, et fabriquent encore, des produits utilisés dans le monde entier.

 

Nous avons rencontré des " anciens ". Goémoniers et manufacturiers. Ils nous ont transmis la fierté qu'ils gardent de leur métier. Nous avons, également, rencontré les acteurs modernes de cette aventure. Des marins qui font un travail toujours hasardeux mais qui ont mis au point des techniques sures et efficaces et ne vivent plus la vie de forçats de leurs ancêtres exilés sur les îles. Des chimistes extrayant de la nature le meilleur de ce qu'elle peut fournir. Des biologistes mariant les essences et les extraits pour embellir, soigner ou nourrir.

 

Pour ce qui est de notre programme scolaire, il a avancé sans que nous nous en rendions compte. Etude théorique, recherche documentaire, visite des usines et discussion avec les chimistes de métier, manipulations au laboratoire, mise au point de nouvelles recettes et de nouveaux produits...tout cela faisait partie du même projet.

 

En rédigeant ce dossier nous avons eu le désir de garder la trace de notre travail et de transmettre cette expérience à tous ceux qui voudraient la partager et la compléter. Nous avons également pensé à nos lecteurs et lectrices qui ne seraient ni chimistes ni lycéennes ou lycéens . Nous avons cherché à leur faire découvrir un aspect de l'histoire et de l'actualité de notre région. A elles et eux de nous dire si l'objectif a été atteint.

 

La classe de seconde A, année 1997/1998, La classe de seconde C, année 1998/1999 et leur professeur, Gérard Borvon


 

 

Une suite à notre travail

 

Second prix du concours CEFIC pour l'enseignement des sciences.

 

 

Ce travail a reçu le second prix européen au concours CEFIC de 1999.

 


 

Il est cité et en partie repris sur le site CultureSciences-Chimie de l'école normale supérieure de Cachan.

voir : Les algues : une « agroressource » d'avenir


Il a fait également l'objet d'un sujet à des olympiades de chimie.

 

 

 

Une reconnaissance de la place historique de la Bretagne dans l'étude et l'industrie des algues.

 

 

 

Du 20 au 26 août 2023, se tient à Brest, le 8e congrès phycologique européen (spécialistes des algues). La France a en effet une longue tradition de recherche dans ce domaine et possède une flore très diversifiée.

 

 

 

Et pour terminer en chansons

 

 

 

 

 

 

Ecouter :

Storlok - Gwerz ar vezhinerien

 

Ar beleg kozh er gador a lavar
Ez eus un Doue war ar mor
Hag un Doue all c'hoazh war an douar
Evit ar re a chom er goudor

 

Le vieux prêtre, en chaire, dit
Qu’il y a un Dieu en la mer
Et un autre Dieu sur terre
Pour ceux qui restent bien à l’abri

 

Paroles

Un livre.

 

Aussi loin que l'on remonte dans la généalogie, on trouve des Arzel dans le canton de Porspoder. Pierre rzel y est né en 1947. Après une enfance passée sur les grèves et dans les fermes, il a fait ses études à Brest et à Caen. DEA d'océanographie biologique en 1972. DEA d'ethnologie de la France en 1978. Thèse sur l'évolution de l'exploitation des algues en 1980. Biologiste des pêches à l'IFREMER à Brest, il a assuré le suivi de l'exploitation des algues et leur cartographie.

Son ouvrage, publié en 1987, est à la fois une encyclopédie du métier et un hommage à ces travailleurs de la mer

Un autre livre

 

 

Les champs d’algues entre Quiberon au sud et la côte d’Émeraude au nord sont exceptionnels. Ils ont permis diverses pratiques et usages qui ont pris de l’ampleur avec la production de l’iode et l’utilisation de l’engrais. Depuis les années du romantisme jusqu’à celles de l’abstraction, plus de 120 peintres ont trouvé leur inspiration dans ce thème jusqu’alors inédit.

 

 

 

 

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Un autre livre d'un témoin de la vie du peuple des goémoniers.

Charles le Goffic Les Faucheurs de la mer Revue des Deux Mondes,

5e période, tome 31, 1906 (p. 362-397).

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Un film.

Les moissonneurs de la mer.

Réalisé par Florence RIOU/Claude PREUX/Frédéric RABAUD - 2003

 

 

Un plus vieux film.

Finis Terrae de Jean Epstein (1929)

 

 

Deux poèmes de Pierre Jakez Hélias

(qui a été mon professeur à l'Ecole Normale d'Instituteurs de Quimper.)

 

 

 

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19 août 2025 2 19 /08 /août /2025 18:35

Gérard  Borvon

 

 

Sébastien Le Braz. Journal d'un chirurgien de marine, à Brest au temps de la guerre d'indépendance américaine.

 

XXXXXXXXX

 

 

De retour de l'Académie de Marine, je m'empresse de noter, pour m'en souvenir, la rencontre que j'y ai faite de deux de ses illustres membres. Je m'y étais rendu pour consulter l'article, publié dans les Mémoires de l'Académie des Sciences par mon oncle Mazéas, concernant un nouveau procédé apte à arrêter les hémorragies suite aux amputations.  Depuis la création de l'Académie de Marine, en 1752, sa bibliothèque recevait chaque année, de Paris, les recueils des mémoires poubliés par la prestigieuse Académie Royale des Sciences dont plusieurs Académiciens de Marine étaient également membres. Alors occupé à ma lecture j'eus la surprise de voir entrer et s'installer sur une table voisine Nicolas Ozanne, membre de l'Académie depuis sa création, accompagné de l'ingénieur naval Jacques-Noël Sané. Ils avaient déplié devant eux le plan d'une goélette et s'entretenaient d'un sujet dont je n'ai retenu que le mot de "carène".

 

La vue de l'ingénieur Sané m'a remis en mémoire l'occasion de notre première rencontre. 

 

Visite de l'empereur d'Autriche.

 

Ce jour de juin 1777, je reçus, porté par un messager venu à Landerneau depuis Brest, une convocation du Chirurgien-Major de la Marine, Étienne Billard. Celui-ci m'avait pris en affection après que je l'aie assisté, en tant qu'aide chirurgien, dans une intervention délicate réalisée à l'hôpital maritime de Brest où il venait d'être affecté. Le nouvel hôpital était sommairement installé dans l'ancien séminaire des jésuites après le récent incendie qui en avait ravagé les bâtiments et il n'était pas toujours commode d'y opérer. Je devais, m'écrivait-on, rejoindre de toute urgence Brest dans le but d'accompagner le Chirurgien-Major auprès d'un illustre, et pour le moment anonyme, personnage en visite dans le port.

 

Je m'empressais d'en avertir le Chevalier de Boufflers qui me fit savoir que lui-même avait reçu de Bougainville l'invitation à le rejoindre à bord du Bien-Aimé, le navire de 74 canons qu'il commandait, afin d'assister à une parade maritime organisée pour un visiteur de marque - sans doute le même secret voyageur. L'explorateur, que chacun ici vénère, souhaitait, écrivait-il au Chevalier, qu'un homme "d'autant d'esprit fût encore plus pénétré de l'importance de la marine en la voyant en activité". Aussi célèbre soit-il Bougainville était tenu à l'écart par les officiers nobles qui, malgré son extrême culture et son extraordinaire carrière navale, ne lui pardonnaient pas ses origines roturières. L'invitation faite à de Boufflers n'était donc pas fortuite, il savait reconnaître dans le  colonel frondeur du régiment de Chartres son équivalent à terre. J'aurais moi-même accompagné le chevalier avec bonheur. Mon oncle Guillaume Mazéas ne tarissait pas d'éloges vis à vis de l'homme qui, en plus de sa brillante carrière politique, était un mathématicien confirmé et, comme lui-même, membre de la Royal Society de Londres, la célèbre académie des sciences britannique. Cependant je n'aurais pas à regretter la place qui m'avait été attribuée pendant cette journée qui restera, j'en suis certain, gravée dans ma mémoire.

 

 

A Brest, le Chirurgien-Major me reçut avec cordialité et ne résista pas au plaisir de m'annoncer la qualité de notre visiteur dont le titre de "Comte de Falkenstein" servait de fragile incognito à l'Empereur Joseph II d'Autriche, beau-frère de sa majesté. Je laisse imaginer l'émotion qui fut la mienne à cette nouvelle. La chance qui m'était accordée était d'autant plus grande que le "Comte" avait bien précisé qu'il refusait toute suite trop nombreuse. Il nous était demandé d'accompagner discrètement sa visite pendant les trois jours de son séjour à Brest afin de pouvoir éventuellement porter secours à tel ou tel membre de sa suite, ou à lui même, si par malchance le besoin s'en faisait sentir.

 

Le 7 Juin au matin, après le tour du bassin où était en carénage Le Conquérant, nous nous rendîmes dans les locaux de l'Académie de Marine proches du bassin. Un voisinage dont se plaignaient les Académiciens tant le bruit généré par l'activité de la forme de radoub nuisait à la tenue de leurs réunions. La promesse du ministre Sartine, lors de son voyage à Brest et de sa visite à l'Académie, de construire un établissement digne de la noble Institution n'avait pour le moment pas eu de suite. L'Empereur fut reçu par le directeur de l'Académie, le capitaine de vaisseau Comte Le Bègue auquel s'étaient joints l'enseigne de vaisseau de Marguerie, secrétaire. Après avoir rapidement exposé à l'Empereur l'historique de l'Académie, ses objectifs et sa composition, M. Le Bègue lui fit visiter la salle des maquettes jouxtant la salle de réunion de l'Académie.

 

Accroché sur l'un des murs de cette salle je remarquais immédiatement la présence d'un superbe baromètre de type Torricelli. M'en approchant je notais qu'il provenait du célèbre atelier parisien de Félix-Jean-Antoine Mossy que j'avais eu l'occasion de visiter pendant mon séjour parisien au Collège de Navarre. J'eus alors la chance d'être remarqué par l'ingénieur de marine et académicien Étienne-Nicolas Blondeau qui s'approchant de moi me proposa de faire l'historique de cet instrument. Il était, m'a-t-il dit, l'un des cinq exemplaires, tous identiques, que le Chevalier Jean-Charles de Borda avait fait installer à Brest, Paris, Strasbourg, Lorient et Rochefort, pour des mesures simultanées des pressions atmosphériques dans ces différentes localités. Étienne-Nicolas Blondeau avait, lui même, secondé Borda à Brest dans cette opération. Il ressortait de ces mesures le constat que, par vent d'ouest, le baromètre variait d'abord à Brest, la lendemain à Paris, et deux jours après à Strasbourg. Ainsi il serait donc possible de prévoir, deux jours en avance à Strasbourg, la venue de pluie ou de vent. Cette connaissance pourrait particulièrement être utile à l'homme des champs qui pourrait faucher le blé ou le foin avant l'arrivée de l'orage. L'intérêt en semblait si évident à l'académicien, que la méthode, pensait-il, ne pouvait que se développer. Il était lui même en relation avec le célèbre Lavoisier qui proposait de la généraliser en installant des baromètres sur l'ensemble du royaume.

 

La suite de la visite fut une course au pas de charge : la poulierie, la corderie, la tonnellerie, la brasserie, les hangars au bois, le quai des ancres. Elle se termina par la visite du Glorieux, un vaisseau de 74 canons réputé pour sa performance, où l'Empereur se montra curieux du fonctionnement du moindre objet qui lui était présenté.

 

Jacques-Noël Sané.

 

C'est à cette occasion que je remarquais l'ingénieur Sané auquel avait été confiée la mission de répondre aux questions du célèbre visiteur. Celui-ci bénéficiait déjà d'une solide réputation à Brest où il avait participé à la construction de nombreux bâtiments de la marine. En cette année 1777 il avait lancé le chantier de la construction d'un vaisseau de 74 canons, dessiné et conçu par lui même.  Quand il prendra la mer l'année suivante, sous le nom d'Annibal, il sera remarqué par son extraordinaire maniabilité. Interrogé sur ses projets à venir il fit connaître au monarque la mise en œuvre, sous sa direction, du programme d'uniformisation des bâtiments de la flotte, décidée par le ministre Sartine. 

 

Toute cette visite m'avait fait découvrir un arsenal dont j'étais loin d'imaginer les richesses. Jamais à Paris je n'aurais pu observer tant de sciences et de techniques rassemblées. Jamais non plus je n'aurais pu imaginer de rencontrer, en une seule journée, tant de prestigieux personnages.

 

Nicolas Ozanne.

 

Si, aujourd'hui, observer de près l'ingénieur Sané, dans cette salle de l'Académie de Marine, a été pour moi le rappel d'un moment intense, que dire de l'émotion ressentie par le voisinage de Nicolas Ozanne. Chacun sait ici qu'il a été le précepteur du roi dans sa jeunesse et qu'il lui a transmis l'amour de la marine. Et que dire de ses gravures des ports de France dont la vivante mise en scène n'a d'égale que la précision. Celle qu'il a réalisée du port de Landerneau ne pouvait que m'aller droit au cœur. Ceci d'autant plus qu'on y remarque, sur la rive côté Léon, la maison construite par le riche négociant Mazurier dont le dernier étage m'a vu naître et qui abrite encore ma famille. Le quai Saint Julien, au premier plan, est éclairé par la présence d'une jeune femme qui pourrait être ma sœur cadette.  Elle s'adresse à un compagnon accroupi pendant que, plus loin, un matelot fait bouillir le goudron d'un prochain calfatage.

 

Ce quai  a été le lieu où toute notre bande d'enfants venait accueillir les navires marchands à leur arrivée dans l'espoir d'y grappiller quelque cadeau des matelots. Sur le navire, représenté au centre de la gravure, il me semble même pouvoir reconnaître le sloop "La Marie Jeanne" armé par les armateurs Gillart et Robert de Landerneau. Ou encore le sloop "Le Coureur", dont je connais le capitaine, Tanguy Créac'h de Porspoder. Tous deux apportant en Bretagne les vins de Bordeaux dont les fûts sont représentés en bonne place sur le quai. J'envie cet art du dessin qui, plus que tout autre discours, transmettra dans les siècles à venir le témoignage de notre époque.

 

 

Extrait de : Fragments du journal de Sébastien le Braz, chirurgien de marine au temps de la guerre d'indépendance américaine, trouvés dans le grenier d'une antique maison du quai du Léon à Landerneau.

Sébastien Le Braz. Journal d'un chirurgien de marine, à Brest au temps de la guerre d'indépendance américaine.

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3 août 2025 7 03 /08 /août /2025 14:21

 

 

 

"Il vaut mieux ne jamais sentir les atteintes d'une maladie, que de jouir de la satisfaction d'en guérir"

 

 

L'introduction de ce livre de James  Lind, traduit de l'anglais par Guillaume Mazéas, nous renseigne sur la vie des "gens de mer" au 18ème siècle. Il est surtout remarquable par son humanité. Il nous montre aussi la volonté du traducteur à le faire connaître en France

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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