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29 juin 2025 7 29 /06 /juin /2025 18:19
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29 juin 2025 7 29 /06 /juin /2025 16:38

 

première mise en ligne : mercredi 10 août 2005, par Gérard Borvon

 

 

Qui n’a pas entendu parler de la pollution des eaux bretonnes par les nitrates et les pesticides. Qui ne sait, à présent, que le problème est général sur l’ensemble du territoire français où plus des 3/4 des ressources sont contaminées à des degrés divers. Pourtant c’est à des milliers de kilomètres de l’hexagone qu’il faut aller chercher les exemples les plus dramatiques de territoires contaminés : dans les paradis ensoleillés de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane ou de la Réunion.

 

Une cargaison de patates douces a alerté la métropole en Octobre 2002. A cette date les fonctionnaires de la Direction Générale de la Concurrence et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) ont arrêté, sur le port de Dunkerque, une tonne et demie de patates douces en provenance de la Martinique et contenant des quantités importantes de Chlordécone. Cet insecticide extrêmement toxique utilisé sur les exploitations de bananes est pourtant interdit depuis 1993. Le fait que les habitants de la Martinique aient consommé ces tubercules depuis de nombreuses années n’avait alerté personne mais qu’ils arrivent sur le marché de Rungis et voilà le scandale dévoilé !

 

Pourtant l’information sur cette pollution était connue depuis bien des années. L’année précédente, un rapport particulièrement documenté sur la pollution de l’eau et des sols en Guadeloupe aurait mérité, lui aussi, une mobilisation médiatique.

 

Réaction timide : une mission d’information parlementaire se rendait en Martinique et Guadeloupe début 2005. Son rapport, rendu public au milieu du mois de Juillet, n’a recueilli que la plus totale indifférence.

 

Cette contribution a pour objectif de tenter d’informer et de mobiliser tous ceux qui, dans le milieu associatif, politique ou médiatique, auront à cœur de faire cesser et surtout de réparer ce qui constitue un véritable crime contre l’environnement naturel et la santé des populations dans les départements et territoires d’outremer.

 

Guadeloupe : Un rapport sans langue de bois.

 

Nous donnerons d’abord quelques éléments du rapport remis le 5 Juillet 2001 à Dominique Voynet, ministre de l’environnement, et à Dominique Gillot, secrétaire d’état à la santé par le docteur Henri Bonan de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) et Jean-Louis Prime de l’Inspection Générale de l’Environnement (IGE). Ce "Rapport sur la présence de pesticides dans les eaux de consommation humaine en Guadeloupe", reconnaissait, enfin, l’urgence de la situation et jugeait "difficilement admissible" l’absence d’un plan d’amélioration des pratiques agricoles.

 

Ce travail leur avait été demandé à la suite des résultats d’une campagne renforcée de contrôle des teneurs en pesticides dans l’eau, menée par le DDASS de Guadeloupe en 1999. Les mesures avaient montré des taux très élevés de pesticides organochlorés (Chlordécone, Dieldrine et β-hexachlorocyclohexane (HCHβ)) dans l’eau distribuée et même dans l’eau embouteillée. Pourtant ces produits, utilisés sur les cultures de canne à sucre et surtout de bananes, étaient interdits d’usage depuis, respectivement, 1993, 1972 et 1987. Ces mesures avaient amené la fermeture d’une usine d’embouteillage d’eau de source (Capesterre Dolé) et des captages alimentant plusieurs communes.

 

Un Phénomène déjà bien connu :

 

En introduction, le rapport faisait état de données déjà récoltées depuis plus de vingt ans et dont on peut s’étonner qu’elles soient restées sans effet.

 

1977, rapport Snégaroff : A la suite d’une mission menée par l’INRA, ce rapport établissait l’existence d’une pollution dans les sols des bananeraies et des milieux aquatiques environnants par les insecticides organochlorés. Des taux de deux à quatre fois supérieurs aux normes étaient déjà relevés dans les eaux des rivières testées. Un signal d’alerte qui aurait dû être entendu.

 

1979-80, rapport Kermarrec : Il souligne la bioaccumulation dans l’environnement de substances organochlorées utilisées comme pesticides. L’étude porte sur le perchlordécone, substance utilisée dans la culture du manioc, ignames, patates douces et fruitières (orangers, citronniers, ananas). Les poissons vivant dans une eau contenant 0,01 μg/l de perchlordécone concentraient ce pesticide 82.000 fois, des crabes 60.000 fois, des crevettes 130.000 fois. Le perchlordécone étant très voisin du Chlordécone utilisé sur les bananes, le rapport soulignait déjà le risque de contamination en Guadeloupe et Martinique. On attendra encore 20 ans avant de s’en inquiéter réellement, 20 ans de contamination pour les travailleurs agricoles et les habitants.

 

1993 : étude dans l’estuaire du Grand Carbet (Guadeloupe) : Cette étude a été menée sur l’initiative de l’UNESCO dans le cadre d’un bilan sur l’état de la mer Caraïbe. Le Grand Carbet, l’une des rivières les plus exposées de Guadeloupe, prend sa source à 1400 mètres d’altitude au pied de la Soufrière. Sur les 13 km2 de son bassin versant, environ 4 km2 sont occupés par des bananeraies sur lesquelles 174 tonnes/an de pesticides sont déversées dont 54 de Chlordécone. La présence de Chlordécone dans l’eau et les sédiments est relevée.

 

1998 : rapport Balland-Mestres-Fagot. Une mission d’Inspection demandée par les ministères de l’environnement et de l’agriculture est menée en Martinique et Guadeloupe dans le but de faire la synthèse des résultats connus et de proposer les actions à entreprendre. Premier constat : l’état des lieux reste à faire.

 

2001 : Rapport Bonan-Prime

 

Étant à l'époque membre du Comité National de l"Eau, j'ai eu connaissance, en 2003, de ce rapport qui avait été remis à Dominique Voynet juste avant son départ du Ministère de l'Environnement et qui n'avait donc donné lieu à aucune suite. Après en avoir fait un résumé, que j'ai transmis à mes ami.e.s écologistes de Guadeloupe, dont l'avocat Harry Durimel (voir). Je leur ai, ensuite, fait prendre connaissance de l'ensemble du rapport lors d'un voyage, en 2005, pour les rencontrer. Le rapport était alors totalement ignoré de la population locale aussi bien des médias locaux que j'ai eu l'occasion de rencontrer.(voir)

 

Le rapport commence par un historique. Les exigences de qualité auxquelles doivent satisfaire les eaux distribuées datent du décret 89-3 du 3 janvier 1989. Un décret bien tardif quand on sait que la directive cadre européenne correspondante avait été publiée le 15 juillet 1980. Pourtant c’est seulement en 1995 qu’était définie, en France, une valeur limite pour les pesticides et produits assimilés. La France, plusieurs fois condamnée, mérite bien son titre de "lanterne rouge" pour la protection de l’environnement en Europe.

 

En Guadeloupe, la recherche des pesticides n’était d’ailleurs effective qu’à partir de 1998 avec déjà des résultats alarmants pour plusieurs produits (des dépassements de 11 à 35 fois la norme).

 

Il faut savoir que les méthodes d’analyses des pesticides sont difficiles à mettre en œuvre et excessivement coûteuses. En 1994, 500 molécules étaient homologuées sur le territoire français (il y en a actuellement environ 1000 entrant dans la composition de 10.000 formules différentes). Parmi celles-ci, seulement 60 représentaient 80% des utilisations. Pour en contrôler l’usage un Comité de Liaison " Eau Produits Antiparasitaires" était mis en place en 1992. Ce comité était amené à classer les substances à rechercher en priorité par ordre de risque décroissant. Ces listes étaient diffusées aux préfets en 1994, en leur demandant de les adapter à la réalité régionale (on ne traite pas de la même façon le maïs et les arbres fruitiers) et, éventuellement, de les compléter.

 

Les spécificités de l’agriculture en Guadeloupe et de façon plus générale aux Antilles auraient nécessité une adaptation de cette liste (on n’utilise pas de produits destinés aux bananes et à la canne à sucre sur le territoire métropolitain), ce qui n’a pas été fait. Mais de toutes façons ces départements n’avaient aucun moyen d’effectuer les analyses. Le nombre de produits à rechercher et le niveau de précision exigé demandent des équipements sophistiqués et coûteux. La mise en œuvre demande un personnel qualifié. En France seuls quelques laboratoires sont en mesure de réaliser de telles mesures. Les coûts surtout sont dissuasifs : entre 500 et 1000 euros pour une seule analyse complète !

 

Quand, en 1998, la Direction Régionale de l’Environnement (DIREN) de Guadeloupe a décidé de lancer une première étude, il n’existait pas, aux Antilles, de laboratoire adapté. Les mesures portaient sur 30 molécules de pesticides retenues sur la liste hexagonale complétées de trois autres spécifiques : le chlordécone, le malathion, le propiconazolone. Confiées à des laboratoires métropolitains, ces analyses révélaient l’incapacité de ceux-ci à en rechercher la plupart. L’Institut Pasteur n’était en mesure que d’en analyser 15 sur 33, le Laboratoire de la Ville de Paris (CRECEP) seulement 10 sur 33 et aucun des deux ne savait rechercher le chlordécone, produit particulièrement nocif.

 

Cette première série d’analyses ayant révélé un "bruit de fond", la DDASS et la DIREN étaient amenées à mener une étude plus ciblée. 9 sites étaient retenus, 46 molécules recherchées dont 14 molécules organochlorées retirées du marché. Parmi celles-ci trois particulièrement toxiques : la dieldrine, interdite depuis 1972, le HCHβ, interdit depuis 1987 et le Chlordécone, interdit depuis 1993. Trois produits à la fois toxiques et possédant une longue durée de vie dans l’environnement. Cette fois on avait enfin trouvé un laboratoire capable de mener ces mesures : le Laboratoire Départemental de la Drôme. Le résultat était édifiant :

 

Dans l’eau :

 

- 45% des prélèvements dépassaient la norme de 0,03 μg/l de dieldrine dans les 5 sources avec un pic de 0,340 μg/l soit 11 fois la norme
- 80% des prélèvements dépassaient la norme de 0,10 μg/l de HCHβ avec un pic de 2,00 μg/l soit 20 fois la norme.
- 100% des prélèvements dépassaient la norme de 0,10 μg/l de chlordécone avec un pic de 10,30 μg/l (103 fois la norme !).

 

Dans les sols :

 

Les trois pesticides étaient présents à des taux compris entre 600 fois et 100 000 fois les normes admissibles dans l’eau.

La publication de ces résultats a provoqué une situation de crise. Les deux captages les plus pollués ont dû être fermés. La consommation d’eau interdite de même que l’autorisation de mise en bouteille pour une usine d’eau de source. Solution d’urgence : des interconnexions ont été mises en place, de l’eau en bouteille a été distribuée, un traitement des pesticides par charbon actif a été installé sur les usines de prélèvement. Solutions d’urgence qui ne résoudront rien à plus long terme.

A présent les Guadeloupéens l’ont compris : leur île est gravement empoisonnée et elle l’est pour longtemps. Concernant la présence massive de produits depuis longtemps interdits on a pu évoquer la poursuite d’usages frauduleux mais on constate surtout qu’on ignorait tout de la rémanence de ces produits dans les sols. On évoque à présent des dizaines d’années, voire des siècles avant de les voir disparaître.

 

Autres pesticides.

 

Les insecticides ne sont pas les seuls pesticides mesurés. Les herbicides utilisés pour les cultures de canne à sucre et le maraîchage apportent leur part de pollution. Dans l’eau de la ravine des Coudes, par exemple, on a trouvé 100 fois la norme d’Améthrine, 53 fois la norme pour l’Héxazinone et 194 fois pour le diuron. Or la plaine de Grippon, sur laquelle s’écoule la ravine des Coudes, constitue la ressource en eau potable la plus importante de la Grande-Terre. On imagine aisément les effets de ces cocktails sur la santé humaine.

 

Des effets inquiétants pour la santé

 

Les effets d’une intoxication aiguë par les 3 organochlorés analysés en Guadeloupe (dieldrine, HCHβ, Chlordécone) sont connus par la littérature médicale : une atteinte du système nerveux central avec apparition de tremblements, de contractures musculaires, troubles du rythme cardiaque, hypertension, troubles visuels, troubles de la coordination, atteinte des fonctions sexuelles. Des convulsions sévères pouvant même entraîner la mort sont décrites. Une enquête associative menée sur le terrain auprès de travailleurs agricoles chargés d’épandre ces produits montre que le risque n’est pas uniquement théorique. Comment conserver un masque dès que la chaleur monte aux premières heures de la matinée ? Et quel intérêt quand la sueur saturée de pesticides y dégouline ? Pourtant il manque une statistique sur les travailleurs agricoles amenés d’urgence à l’hôpital après un évanouissement en plein champ pendant un épandage.

 

En métropole, la surveillance médicale des travailleurs agricoles est assurée par la Mutuelle Sociale Agricole (MSA). Concernant les pesticides, un réseau de "toxicovigilance" a été mis en place. Les cas d’intoxication sont signalés par les médecins du travail ou de la MSA et même directement par téléphone (1000 appels en 2004). Les résultats donnent lieu à une synthèse largement diffusée dans les milieux agricoles. Mais, fait remarquer le rapport de la commission parlementaire :

 

"En vertu de l’article L.752-4 du code de la sécurité sociale, les travailleurs agricoles des départements d’outre-mer ne relèvent pas de la MSA, mais du régime général de la sécurité sociale. Ils sont donc exclus de ce réseau de toxicovigilance."

 

On ne sait donc rien de la fréquence et des effets des intoxications aiguës dans les Antilles.

 

Les effets d’une intoxication chronique sont plus difficiles à cerner mais des chiffres commencent à parler. Effet cancérigène d’abord et la question se pose du rôle des pesticides dans le fort taux de cancers de la prostate en Guadeloupe (220 à 240 cas nouveaux par an). Effet sur le cerveau ensuite : une forme atypique de la maladie de Parkinson est particulièrement présente en Guadeloupe et on peut soupçonner les pesticides quand on constate qu’on a trouvé une proportion plus forte de chlordécone dans le cerveau des personnes décédées. Mais c’est dans le domaine des troubles de reproduction, et plus précisément de l’infécondité masculine qu’il existe le plus de signes du rôle néfaste des pesticides.

 

Cependant, faute d’études approfondies et de volonté de les mener à bien, les preuves formelles font défaut. Faut-il être optimiste quand le rapport Bonan/Prime estime que "La Guadeloupe constitue un lieu privilégié pour poursuivre un certain nombre d’études épidémiologiques sur les effets des pesticides sur la santé humaine" (page 57). Hélas oui, les habitants des îles peuvent, dans ce domaine, servir de cobayes, comme d’autres dans les domaines de l’amiante ou de l’irradiation radioactive.

 

En Martinique aussi.

 

Si c’est en Guadeloupe qu’a été menée la première mission d’inspection nous avons noté que c’est de Martinique qu’est venue l’alerte en métropole. Ou plutôt du port de Dunkerque où les services de la répression des fraudes saisissent une tonne et demie de patates douces en provenance de la Martinique et dans lesquelles une analyse révèle une forte contamination par le Chlordécone. Comme en Guadeloupe on soupçonne, sans pouvoir le prouver, un usage frauduleux de ce pesticide interdit mais surtout on se pose enfin la question de sa persistance dans les sols et de sa concentration dans la chaîne alimentaire. Là encore, la culture "industrielle"des bananes est mise en cause.

 

Un rapport établi par Eric Godard, ingénieur du génie sanitaire à la Direction de la Santé et du Développement Social (DSDS) de la Martinique, à l’occasion du Forum International en Santé Environnementale, qui s’est tenu en mars 2003, éclaire sur la pollution de l’eau, mais surtout des sols, par le chlordécone.

 

L’eau, naturellement, est contaminée mais le rapport s’attache surtout à montrer la présence du pesticide dans les aliments. Des patates douces, par exemple, présentent 19 000 fois la dose maximale de chlordécone admise pour l’eau. Les poissons d’eau douce peuvent en contenir près de 4000 fois la dose maximale admise. Même le poisson d’eau de mer n’est pas épargné.

 

La question se pose donc : faut-il continuer à produire des tubercules ou à manger du poisson et des crustacés en Guadeloupe et Martinique ? Les services de la répression des fraudes de la Martinique, dans le cadre d’un plan de contrôle renforcé, ont détecté plus de 40% de lots de "légumes racines" non conformes. La population ayant été exposée à cette pollution pendant plus de trente ans, le rapport de la DSDS estime que la mesure de l’imprégnation des cobayes humains serait un bon indicateur du niveau de la pollution générale de l’environnement.

 

En novembre 2002, le groupe régional phytosanitaire (GREPHY) de Martinique a défini un plan d’action. La cellule interrégionale d’épidémiologie (CIRE) a, d’abord, lancé une enquête sur les habitudes alimentaires (contenu du panier de la ménagère) des habitants, de façon à préciser les niveaux de contamination des principaux aliments et définir l’exposition du consommateur antillais. De même une cartographie des sols contaminés sera établie et une procédure d’analyse des produits cultivés. En Guadeloupe, l’Institut Pasteur est à présent en mesure de faire ces analyses. Un jour peut-être les Antillais sauront exactement comment on les empoisonne.

 

Ce jour n’est pas encore venu car, étant donné la modicité des moyens humains et matériels mis en œuvre, il ne faut pas attendre de miracles. C’est d’ailleurs ce que constate la mission parlementaire qui fait part de l’inquiétude des scientifiques face "à la rareté de la ressource budgétaire pour financer les laboratoires". En attendant les produits des sols et des rivières polluées continuent à arriver sur les marchés locaux.

 

 

Principe de Précaution ou de Ponce Pilate ? Principe de précaution : l’Etat se couvre. Il faut des responsables : ce seront les agriculteurs. Les préfets de Guadeloupe et de Martinique ont pris des arrêtés pour imposer à tout producteur de légume à risque (légumes racines et bulbes divers) un autocontrôle de sa production. Il devra vérifier la conformité de ses produits au regard du code de la consommation sur la base de l’article L 212-1. Un article redoutable déjà mentionné au moment de la crise de "la vache folle". Le contrevenant peut être poursuivi pour le délit de mise en danger d’autrui, le délit d’atteinte à la personne, le délit de tromperie. Rien que cela. Tout agriculteur doit donc justifier de l’autocontrôle effectué. Il doit déclarer la mise en culture (ou l’intention de cultiver) ses sols à la Chambre d’Agriculture. Celle-ci prélève alors un échantillon de sol, fait effectuer une analyse par un laboratoire agréé et communique le résultat à l’exploitant (coût : 240€ par échantillon). Si le sol est contaminé et que l’exploitant décide, malgré tout, d’y installer ou d’y poursuivre sa culture, il doit obligatoirement faire analyser sa récolte avant commercialisation. L’analyse du sol est prise en charge par des fonds publics mais l’analyse du végétal, est à la charge du producteur, soit 120 € par analyse hors frais de transport. Si sa récolte est contaminée il a alors l’obligation de la faire détruire à ses frais. Destruction d’ailleurs impossible à réaliser quand on sait que les fours à haute température nécessaires pour la destruction des molécules des organochlorés n’existent évidemment pas aux Antilles. Les parlementaires qui se sont rendus début 2005 dans les Antilles (Messieurs Edmond-Mariette, Le Guen, Manscour, Sauvadet, Vialatte), devaient constater l’impossible mise en œuvre de ce programme. Seulement 28% des agriculteurs de Martinique avaient appliqué la procédure en 2004, les autres continuant à commercialiser, sans contrôle, des légumes racines produits sur des sols pouvant être pollués. Il est vrai que la sanction prévue est loin d’être dissuasive : une amende de 39 euros ! Sanction d’autant moins dissuasive qu’il est impossible de mettre en œuvre un contrôle efficace. Le coût, pour l’administration, de l’analyse de seulement 10 échantillons prélevés à l’aveugle sur un marché coûterait plus de 1000 euros, sans compter le salaire des fonctionnaires ! Face à cette situation les propositions de la mission parlementaire ne peuvent sembler que dérisoires :


- Créer un label pour les produits provenant d’un sol non contaminé. Mais un label n’a aucun sens s’il ne s’accompagne pas d’un organisme de contrôle vigilant et doté de moyens. Les agriculteurs bios en savent quelque chose.
- "Décourager" la vente de produits le long des routes. Vœu pieu. Qui pourra légalement empêcher le petit producteur de proposer sa production à la vente. Faudra-t-il aussi interdire la consommation des produits du jardin sous peine d’amende ? Et pourquoi limiter cette mesure aux marchés d’outremer. Est-on certain que les légumes vendus sur les marchés métropolitains sont exempts de pesticides ou de métaux lourds ? Plus inquiétant : alors que la loi interdit clairement toute trace de pesticides non autorisés dans les végétaux (arrêté du 5 août 1992), il est prévu, avant la fin 2005, d’instaurer une LMR (limite maximale de résidus) pour le chlordécone. L’objectif étant de permettre la poursuite de la culture et de la vente des tubercules contaminés. Chacun sait que les limites admissibles ne répondent à aucun critère de santé.

 

Dans le cas présent, la méthode de détermination, serait édifiante :

 

"Afin de fixer les LMR, il importe de cerner avec précision l’exposition des populations au chlordécone par voie alimentaire. En d’autres termes si la population consomme beaucoup de patates douces, la LMR pour ce légume sera faible, si elle consomme peu, la LMR pourra être plus élevée" (rapport parlementaire page 50).

 

Transposée en Bretagne, ou dans d’autres régions particulièrement polluées, une telle méthode amènerait à constater que, pour cause de pollution par les nitrates et les pesticides, la population bretonne consomme peu d’eau du robinet et qu’on peut donc augmenter les normes de potabilité (par exemple jusqu’à 100mg/l pour les nitrates, comme le demandent certains représentants agricoles). Ainsi l’eau serait partout considérée comme "respectant les normes de potabilité" et tant pis pour ceux qui n’auraient pas les moyens d’acheter de l’eau en bouteille.

 

A l’évidence toutes ces manipulations des "normes" sont d’abord une façon de ne pas répondre au problème posé.

 

Un MétalEurop agricole.

 

Un sol aussi contaminé ne peut que nous remettre en mémoire des exemples de pollution industrielle comme celle de Seveso (contamination des sols par la dioxine) ou de Métaleurop par le plomb. Cette dernière pollution ainsi que l’accident de AZF ont inspiré la loi du 30 juillet 2003 relative à la "prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages provoqués dans l’environnement". A présent une usine polluante devra remettre en état les sols qu’elle aura pollués. Dans le cas des pesticides utilisés dans les départements d’outremer, même si les utilisateurs agricoles ne peuvent être totalement absouts, la responsabilité des fabricants et marchands d’engrais et celle de l’état devraient être établies et un véritable plan de décontamination mis en place. Car il n’est pas possible de laisser les sols dans cet état pendant encore des dizaines et peut-être des centaines d’années !

 

Ce n’est pourtant pas l’avis des parlementaires venus en mission. Leur rapport s’emploie, à plusieurs reprises, à dédouaner les services de l’Etat. Il se caractérise aussi par un renoncement à envisager toute mesure radicale de réparation :

 

"Aucune solution de dépollution des sols n’est envisageable à court terme" écrivent-ils (p90 du rapport).

 

L’incinération des terres leur semble inimaginable vu la difficulté du procédé et les volumes concernés, "la dépollution par la plantation de légumes racines prendrait, selon les informations recueillies par la mission, notamment auprès de l’INRA, plusieurs dizaines d’années." Ajoutent-ils.

 

Les parlementaires soulignent également cette estimation de l’INRA :

"il faudra plusieurs siècles pour que le lessivage des terres par le drainage vienne à bout de la pollution au chlordécone".

Phrases effrayantes. Les pouvoirs publics, la collectivité nationale, ont laissé empoisonner le sol et l’eau des Antilles et rien ne serait tenté pour réparer ?

 

Mais il y aurait encore à dire.

 

Les cas de la Guadeloupe et de la Martinique sont les mieux connus mais les pollutions par les pesticides existent aussi à la Réunion.

 

En Guyane, c’est la pollution des rivières par le mercure utilisé par les orpailleurs qui domine. Les populations autochtones n’ont que le choix entre abandonner leur mode de vie ou s’empoisonner. Quant à la faune, n’en parlons pas.

 

Mais tous ces milieux fragiles doivent subir une autre source majeure de pollution : l’absence ou le mauvais fonctionnement de l’assainissement urbain ou individuel. Dans des régions où la population est concentrée près du littoral et où les permis de construire sont souvent considérés comme une formalité dont on peut se passer, la pollution organique et bactérienne est redoutable. Sur les 15 stations existant à la Réunion, par exemple, seules trois fonctionnent à peu près normalement et plusieurs communes en sont même totalement dépourvues. En Guadeloupe la capacité totale d’épuration des stations communales n’est que de 40% de la population totale. Pollution à laquelle il faut ajouter celle des distilleries de rhum.

 

Devant un tableau aussi désespérant une question se pose : comment en sommes nous arrivés là !

 

Les oubliés des lois sur l’eau.

 

1964 une grande loi sur l’eau... pour la métropole.

 

La "loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution" est la grande loi française sur l’eau. Dès le début des années 60, le constat a été fait d’une dégradation accélérée de la qualité de l’eau consécutive à la période de croissance de l’après-guerre. Le constat est fait que le milieu naturel n’est plus en mesure d’absorber la pollution et que s’imposent des programmes d’investissement pour prévenir la pollution, d’autant plus que les besoins en eau, prévisibles pour les années à venir, s’annoncent sans commune mesure avec ceux du passé.

 

Originalité : la loi propose une politique de décentralisation avant la lettre en divisant la France en six bassins hydrographiques organisés autour des principaux fleuves de l’hexagone : Adour-Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée-Corse, Seine-Normandie. Dans chaque bassin il est créé un "comité de bassin" composé de représentants des collectivités locales, de représentants d’usagers et de représentants désignés par l’état. A ces Comités de Bassin sont accolées six "agences financières de bassin", établissements publics administratifs dotés de la personnalité civile et de l’autonomie financière. L’agence a le pouvoir d’établir et de percevoir des"redevances" qui sont redistribuées aux entreprises et collectivités qui souhaitent mettre en place des outils de dépollution.

 

A partir des années 90 ces redevances voient tripler leur montant. Le pactole ainsi récolté atteint 10 milliards d’euros au niveau national par an en 2004, ce qui n’empêche pas la France d’être considérée comme le mauvais élève de la classe européenne et d’être régulièrement condamnée par la Cour de Justice Européenne pour manquement à ses obligations dans le domaine de la lutte contre les pollutions de l’eau.

 

Un oubli manifeste : les départements et territoires d’outre-mer. Il faut attendre trente ans (loi sur l’eau de1992), pour que les comités de bassin apparaissent dans les DOM/TOM. Le premier n’est créé qu’en 1996 en Martinique. Le dernier, celui de Mayotte, n’est pas encore en place. Sa composition vient d’être fixée par un décret de janvier 2005.

 

Mais un "comité de bassin" n’a qu’un rôle essentiellement consultatif. La réalité des pouvoirs et des moyens techniques et financiers se trouvent entre les mains des Agences de l’Eau. Or rien de tel outre-mer. Il existe bien, sur le papier, un partenariat technique organisé avec les Agences de métropole (l’Agence Adour-Garonne serait en charge de la Guadeloupe, Loire-Bretagne de la Martinique, Rhône-Méditerranée-Corse de la Guyane et de la Réunion, Seine-Normandie de Saint-Pierre-et-Miquelon). Mais ce morcellement n’annonce aucune réelle volonté de transfert technique ou financier important. Les sommes qui lui ont été consacrées sont restées dérisoires.

 

Ce n’est pas la loi sur l’eau mais la loi d’orientation pour l’Outre-mer qui, en décembre 2000, a pris la dimension de ce problème en décidant la création, dans chaque département d’Outre-mer, d’un Office de l’Eau, établissement public à caractère administratif, rattaché à chaque département. Dans un premier temps ces offices de l’eau n’étaient pas autorisés à percevoir des redevances pour aider à réaliser des travaux entrant dans le cadre de la préservation ou de la restauration de la qualité de l’eau. Depuis la loi de programme pour l’Outre-mer votée en 2003, ils le peuvent. Auront-ils la volonté et les moyens de le faire ?

 

La montée en puissance des agences de l’eau métropolitaines a été lente. Pendant 25 ans les redevances pour prélèvement et pollution ont été à un niveau peu significatif. Il a fallu attendre 1990 pour constater la brutale accélération qui aujourd’hui amène le niveau des taxes et redevance à une moyenne de 20% de la facture d’eau.

 

Afin de rattraper le retard pris dans les DOM/TOM, le niveau des redevances devrait atteindre un niveau au moins équivalent à celui de la métropole. Les consommateurs accepteront-ils de payer 20% plus cher une eau dont ils savent qu’elle est gravement polluée ? Déjà en Bretagne des consommateurs ont commencé à refuser de payer une part de leur redevance pollution pour protester contre l’inefficacité de l’état et des agences face à la montée des pollutions. Quarante ans de retard ne se rattraperont pas aussi facilement.

 

L’oubli, encore l’oubli.

 

Les DOM/TOM font-ils partie du territoire français ? Dans le rapport annuel de L’IFEN (Institut Français de l’Environnement) sur l’état de l’environnement en France rien ne manque : pollution de l’air, de l’eau, des sols jusqu’à même la pollution radioactive résultant de l’explosion de Tchernobyl. Tout, oui, concernant le territoire métropolitain mais rien, ou très peu, sur les îles et territoires lointains qui mériteraient pourtant plusieurs chapitres à eux tous seuls.

 

Les DOM/TOM font-ils partie de la communauté européenne ? On peut s’interroger quand on voit comment s’y applique la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil européen établissant un "cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau". L’objectif visé est un retour au "bon état écologique" pour 2015. Première étape pour y parvenir : un état des lieux. Une synthèse des états des lieux des différents bassins était présentée au Comité National de l’Eau du 23 juin 2005. Si l’état des six bassins continentaux était détaillé celui des départements et territoires d’outre-mer était à peine évoqué. Les liens internet qui permettaient d’avoir accès aux documents complets de chaque bassin révélaient un manque évident d’éléments chiffrés concernant l’essentiel de l’outremer.

 

La réalité est que les départements et territoires d’outremer ont été totalement laissés en marge de la politique de l’eau menée par la France. Il est surtout scandaleux de constater que la France a attendu près de quarante ans pour commencer à y installer des organismes de bassins.

 

Un devoir de réparation :

 

Certes, des comités de bassin, des offices de l’eau se mettent en place dans les DOM/TOM mais personne ne peut imaginer que, livrés à leurs seuls moyens techniques et financiers, ils puissent redresser quarante ans de laisser-faire. Ces biotopes particulièrement riches, ces milieux fragiles, auraient dû faire l’objet d’une attention particulière. On les a, tout au contraire, laissés se dégrader pour des intérêts à court terme. L’état français a un devoir de réparation vis-à-vis de ces départements et territoires qui font partie du patrimoine mondial.

 

La directive cadre européenne exige le retour à un bon état écologique des milieux aquatiques de l’ensemble du territoire Français pour 2015. Une priorité s’impose : la remise en état des sols et des milieux aquatiques des territoires et départements d’outremer.

 

Voir aussi sur ce site :Antilles, silence on empoisonne !
http://seaus.free.fr/spip.php?article21

 

et Le SDAGE de Guadeloupe. En particulier avis du Comité National de l’eau page 133.
http://www.guadeloupe.environnement.gouv.fr/DCE/page_telechargement.htm#Le%20SDAGE%20de%20Guadeloupe

 

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26 juin 2025 4 26 /06 /juin /2025 12:49

 

De retour de l'Académie de Marine, je m'empresse de noter, pour m'en souvenir, la rencontre que j'y ai faite de deux de ses illustres membres. Je m'y était rendu pour consulter l'article, publié dans les Mémoires de l'Académie des Sciences par mon oncle Mazéas, concernant un nouveau procédé apte à arrêter les hémorragies suite aux imputations.  Depuis la création, en 1752, de l'Académie de Marine, sa bibliothèque recevait chaque année les recueils des mémoires publiés par la prestigieuse Académie Royale des Sciences dont plusieurs Académiciens de Marine étaient également membres. Alors occupé à ma lecture j'eus la surprise de voir entrer et s'installer sur une table voisine Nicolas Ozanne, membre de l'Académie depuis sa création, accompagné de l'ingénieur naval Jacques-Noël Sané. Ils avaient déplié devant eux le plan d'une goélette et s'entretenaient d'un sujet dont je n'ai retenu que le mot de "carène".

 

La vue de l'ingénieur Sané m'a remis en mémoire l'occasion de notre première rencontre. Ce jour de juin 1777, je reçus, porté par un messager venu à Landerneau depuis Brest, une convocation du Chirurgien-Major de la Marine, Étienne Billard. Celui-ci m'avait pris en affection après que je l'aie assisté, en tant qu'aide chirurgien, dans une intervention délicate réalisée à l'hôpital maritime de Brest où il venait d'être affecté. Le nouvel hôpital était sommairement installé dans l'ancien séminaire des jésuites après le récent incendie qui avait ravagé les anciens bâtiments et il n'était pas toujours commode d'y opérer. Je devais, m'écrivait-on, rejoindre de toute urgence Brest dans le but d'accompagner le Chirurgien-Major auprès d'un illustre, et pour le moment anonyme, personnage en visite dans le port.

 

A Brest, le Chirurgien-Major me reçut avec cordialité et ne résista pas au plaisir de m'annoncer la qualité de notre visiteur dont le titre de "Comte de Falkenstein" servait de fragile incognito à l'Empereur Joseph II d'Autriche, beau-frère de sa majesté. Je laisse imaginer l'émotion qui fut la mienne à cette nouvelle. La chance qui m'était accordée était d'autant plus grande que le "Comte" avait bien précisé qu'il refusait toute suite trop nombreuse. Il nous était demandé d'accompagner discrètement sa visite pendant les trois jours de son séjour à Brest afin de pouvoir éventuellement porter secours à tel ou tel membre de sa suite, ou à lui même, si par malchance le besoin s'en faisait sentir.

 

Le 7 Juin au matin, après le tour du bassin où était en carénage Le Conquérant, Nous nous rendîmes dans les locaux de l'Académie de Marine proches du bassin. Un voisinage dont se plaignaient les Académiciens tant le bruit généré par l'activité de la forme de radoub nuisait à la tenue de leurs réunions. La promesse du ministre Sartine, lors de son voyage à Brest et de sa visite à l'Académie, de construire un établissement digne de la noble Institution n'avait pour le moment pas eu de suite. L'Empereur fut reçu par le directeur de l'Académie, le capitaine de vaisseau Comte Le Bègue auquel s'étaient joints l'enseigne de vaisseau de Marguerie, secrétaire. Après avoir rapidement exposé à l'Empereur l'historique de l'Académie, ses objectifs et sa composition, M. Le Bègue lui fit visiter la salle des maquettes jouxtant la salle de réunion de l'Académie.

 

Accroché sur l'un des murs de cette salle je notais immédiatement la présence d'un superbe baromètre de type Torricelli. M'en approchant j'apprenais qu'il provenait du célèbre atelier parisien de Félix-Jean-Antoine Mossy que j'avais eu l'occasion de visiter pendant mon séjour parisien au Collège de Navarre. J'eus alors la chance d'être remarqué par l'académicien Étienne-Nicolas Blondeau qui s'approchant de moi me proposa de faire l'historique de cet instrument. Il était, m'a-t-il dit, l'un des cinq exemplaires, tous identiques, que le Chevalier Jean-Charles de Borda avait fait installer à Brest, Paris, Strasbourg, Lorient et Rochefort, pour des mesures simultanées des pressions atmosphériques dans ces différentes localités. Étienne-Nicolas Blondeau avait, lui même, secondé Borda à Brest dans cette opération. Il ressortait de ces mesures le constat que, par vent d'ouest, le baromètre variait d'abord à Brest, la lendemain à Paris, et deux jours après à Strasbourg. Ainsi il était donc possible de prévoir, deux jours en avance à Strasbourg, la venue de pluie ou de vent. L'académicien de marine exprimait alors son rêve de connaître, deux jours avant l'adversaire naval, la venue de la tempête ou du calme plat. Cette connaissance pouvait tout autant concerner l'agriculteur qui pourrait faucher le blé ou le foin avant l'arrivée de l'orage. L'intérêt semblait si évident à l'académicien, que la méthode, pensait-il, ne pouvait que se développer. D'ailleurs il se disait que le célèbre Lavoisier s'employait lui-même à la faire connaître.

 

La suite de la visite fut une course au pas de charge : la poulierie, la corderie, la tonnellerie, la brasserie, les hangars au bois, le quai des ancres. Elle se termina par la visite du Glorieux, un vaisseau de 74 canons réputé pour sa performance, où l'Empereur se montra curieux du fonctionnement du moindre objet qui lui était présenté. C'est à cette occasion que je remarquais l'ingénieur Sané auquel avait été confiée la mission de répondre aux questions du célèbre visiteur. Toute cette visite m'avait fait découvrir un arsenal dont j'étais loin d'imaginer les richesses. Jamais à Paris je n'aurais pu observer tant de sciences et de techniques rassemblées. Jamais non plus je n'aurais pu imaginer de rencontrer, en une seule journée, tant de prestigieux personnages.

 

Si, aujourd'hui, observer de près l'ingénieur Sané, dans cette salle de l'Académie de Marine, a été pour moi un moment intense, que dire de l'émotion ressentie par le voisinage de Nicolas Ozanne. Chacun sait ici qu'il a été le précepteur du roi dans sa jeunesse et qu'il lui a transmis l'amour de la marine. Et que dire de ses gravures des ports de France dont la vivante mise en scène n'a d'égale que la .précision. Celle qu'il a réalisée du port de Landerneau ne pouvait que m'aller droit au cœur. Ceci d'autant plus qu'on y remarque, sur la rive côté Léon, la maison construite par le riche négociant Mazurier dont le dernier étage m'a vu naître et qui abrite encore ma famille. Le quai Saint Julien, au premier plan, est éclairé par la présence d'une jeune femme qui s'adresse à son compagnon accroupi pendant qu'un matelot fait bouillir le goudron d'un prochain calfatage. Ce quai  a été le lieu où toute notre bandes d'enfants venait accueillir les navires marchands à leur arrivée dans l'espoir d'y grappiller quelque cadeau des matelots. Sur le navire, représenté au centre de la gravure, il me semble même pouvoir reconnaître le sloop "La Marie Jeanne" armé par les armateurs Gillart et Robert de Landerneau. Ou encore le sloop "Le Coureur", dont je connais le capitaine, Tanguy Créac'h de Porspoder. Tous deux apportant en Bretagne les vins de Bordeaux dont les fûts sont représentés en bonne place sur le quai. J'envie cet art du dessin qui, plus que tout autre discours, transmettra dans les siècles à venir le témoignage de notre époque.

 

 

Extrait de : Fragments du journal de Sébastien le Braz, chirurgien de marine au temps de la guerre d'indépendance américaine, trouvés dans le grenier d'une antique maison du quai du Léon à Landerneau.

Sébastien Le Braz. Journal d'un chirurgien de marine, à Brest au temps de la guerre d'indépendance américaine.

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9 juin 2025 1 09 /06 /juin /2025 15:16

 

 

Une grand-mère transmet à son petit-fils le récit d'un siècle de sa Bretagne qui est aussi la nôtre.

 

De vivants témoignages pour les plus jeunes d'entre nous.

 

Une délicieuse "Madelaine de Proust" pour les plus anciens.

 

 

 

Coup d’œil sur la quatrième de couverture : "23 avril 2018.Augustine, 97 ans, s’éteint paisiblement dans sa ferme.Quelques semaines plus tard, Régis Delanoë trie les affaires de sa grand-mère et découvre trois cahiers. Elle y avait écrit sa vie marquée par les guerres, la révolution agricole, la désertion des églises, l’émancipation féminine… Les mémoires inédites d’une paysanne née dans une Bretagne sans eau courante ni électricité et décédée à l’heure d’Internet.Convaincu par la richesse de ce témoignage, Régis Delanoë, journaliste et auteur, est parti sur les traces de sa grand-mère. Dans ce livre poignant, il raconte l’histoire d’Augustine et, finalement, celle d’une région tout entière."

 

Ce que cette brève présentation ne dit pas c'est d'abord la vitalité de la narration. Régis nous décrit les personnages comme les lieux d'une façon telle qu'il nous semble être parmi eux. La recherche documentaire rigoureuse, du journaliste qu'il est, se coule sans rupture dans le récit.  Augustine, bonne élève qui a quitté l'école à douze ans pour aider à la ferme, a le beau style de cette génération qui a appris le français à l'école, dans les livres de lecture, et non dans la vie de tous les jours où le gallo était la langue de la famille. Elle y ajoute sa touche personnelle liant anecdotes et pensées profondes. "Tes mémoires méritent un livre. Je vais en faire quelque chose. Et on va l'écrire ensemble" écrit Régis dans son préambule. 

 

Bon choix Régis, ton livre on le dévore.

 

Une vidéo pour en savoir plus.

 

https://www.youtube.com/watch?v=qlES4LOMHUg

 

 

 

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27 mai 2025 2 27 /05 /mai /2025 13:19

 

Nous ne détaillerons pas ici le long débat, sur la réalité des atomes. D'un côté les tenants de la réalité physique de ceux-ci, de l'autre les sceptiques qui ne reconnaissent que l'existence d'équivalents chimiques. Parmi ces derniers, Jean-Baptiste Dumas et sa célèbre phrase prononcée en 1836 : "Si j'en étais le maître, j'effacerais le mot atome de la science, persuadé qu'il va plus loin que l'expérience ; et jamais en chimie, nous ne devons aller plus loin que l'expérience" (Dumas Jean-Baptiste, Leçons sur la philosophie chimique professées au collège de France en 1836, Paris, Gauthier-Villars, 1878.)

 

Il faudra attendre la fin du 19ème siècle pour qu'une expérience, celle réalisée par J. J. Thomson, nous en dise plus sur la structure des atomes et, ainsi, renforçant le camp des atomistes, annonce la fin du débat.

 

J.J Thomson et l'électron.

 

Joseph John Thomson (1856-1940) est né près de Manchester. Après avoir étudié au Trinity College de Cambridge et s'être nourri des théories de Maxwell, il est nommé professeur de physique expérimentale à Cambridge et placé à la tête du "Cavendish Laboratory" dans lequel on expérimente, en particulier, sur les "rayons cathodiques" mis en évidence par Crookes.

 

En 1897, Il publie un article, devenu célèbre, dans lequel il décrit ces rayons comme formés de "corpuscules" arrachés aux atomes. Mesurant le rapport de leur masse à leur charge, il estime qu'ils ont une masse deux mille fois plus petite que celle de l'atome d'hydrogène et qu'ils sont animés d'une vitesse de l'ordre de 200 kilomètres par seconde. Le physicien allemand Emil Wiechert estimera cette vitesse entre le dixième et le cinquième de la vitesse de la lumière soit entre 30 000 kilomètres et 60 000 kilomètres par seconde.

 

Ces "corpuscules" seront plus tard désignés par le nom d'électrons, un terme initialement créé par le physicien irlandais George Johnstone Stoney en 1874 pour désigner la quantité d'électricité nécessaire à la rupture d'une seule liaison chimique lors de l'électrolyse et qu'il estimait, alors, à 10-20 coulombs (actuellement 1,6. 10-19 coulomb).

 

Ces "électrons" ont cependant du mal à s'imposer tant leurs propriétés semblent extraordinaires. Un article de la revue "La Nature", daté de 1898, estime que leur énergie pour un seul gramme de matière rayonnée serait équivalente à celle de "10 000 trains de cent tonnes marchant à près de 100 kilomètres-heure". La conviction du monde scientifique sera finalement acquise quand on mettra en évidence l'existence de ces mêmes électrons dans l'effet photo-électrique puis, plus tard, dans le rayonnement radioactif.
 

 

La structure de l'atome, de Thomson à Rutherford.

 

Ayant découvert l'électron, Thomson imagine un modèle d'atome souvent désigné sous le terme de "pudding". Il est constitué d'une sphère de matière positive, relativement peu dense, dans laquelle se déplaceraient des électrons soumis à la fois à leur propre répulsion et à l'attraction des différentes parties de la sphère positive. L'ensemble est, cependant, loin de l'image statique d'un gâteau truffé de grains de raisin. Les électrons se déplacent dans cette sphère à des vitesses prodigieuses.

 

Pendant plus de dix ans, ce modèle sera perfectionné avant que l'ancien élève de J. J. Thomson, Rutherford, vienne en proposer un autre dont le succès sera tel qu'il occupe encore une place essentielle dans la représentation que se font nos contemporains de la structure d'un atome.

 

Ernest Rutherford (1871-1937) est le fils d'immigrés écossais installés en Nouvelle Zélande. Il fait ses études dans son pays natal où il s'intéresse, en particulier, à la détection des ondes hertziennes. Profitant d'une bourse d'études, il rejoint J.J. Thomson au Cavendish Laboratory de Cambridge en 1895 et participe avec lui à l'étude des gaz ionisés.

 

En 1898, il se voit proposer une chaire à l'Université Mc Gill de Montréal. Peu de temps auparavant Becquerel avait découvert les "rayons uraniques". de son côté, Marie Curie avait découvert le radium, corps puissamment radioactif.  Rutherford s'empare du sujet et étudie le pouvoir ionisant du rayonnement du radium et son pouvoir de pénétration à travers des plaques métalliques de différentes épaisseurs. Comme Pierre et Marie Curie, il distingue deux rayonnements distincts. L'un, peu pénétrant et très ionisant, qu'il désigne comme rayonnement α. L'autre, plus pénétrant et moins ionisant, le rayonnement β.

 

Rutherford saura voir que les particules α sont des noyaux d'hélium résultant d'une "transmutation" du corps radioactif les produisant. Chargés positivement, leur énergie cinétique est prodigieuse. A masse égale, Rutherford, les estimera à 600 millions de fois celle d'une balle sortant du canon  d'un fusil avec une vitesse de 1 kilomètre par seconde.

 

Ces projectiles vaudront à Rutherford sa plus célèbre découverte en 1911. Il est alors revenu en Angleterre et est professeur à l'université de Manchester. L'expérience qu'il réalise, en compagnie de Hans Geiger et Ernest Marsden, consiste à bombarder une mince feuille d'or par des particules α devant un écran fluorescent.

 

Si on s'en tient au modèle de Thomson, d'un atome plein d'une matière positive peu dense, ces particules devraient traverser l'obstacle sans pratiquement être déviées. Or si c'est le cas pour la majorité d'entre elles, une faible proportion (moins de 1 sur 10 000) est déviée, et parfois très fortement. Certaines particules semblent même rebondir vers l'arrière. On prête à Rutherford des phrases traduisant son étonnement : "c'est comme si un boulet de canon rebondissait sur une feuille de papier de soie" aurait-il dit.

 

Pour interpréter ce phénomène, et respecter la neutralité globale de l'atome, Rutherford imagine un noyau très dense de matière positive où serait concentré l'essentiel de la masse des atomes. Autour de ce centre positif très attractif, les électrons tournent comme des satellites autour d'un astre central. Plus tard on comprendra que ce noyau est lui-même composé de particules positives, les protons, et de particules neutres, les neutrons. Le modèle "planétaire" de l'atome est né.

 

Dans notre imagerie contemporaine, ce modèle est resté très populaire. L'atome est ce noyau granulaire entouré d'électrons. La représentation de l'hydrogène s'en déduit : l'atome le plus simple qu'on puisse imaginer : un proton.  Autour : un seul électron.

 


Cette image de l'atome introduit un nouveau modèle des ions. Faraday s'était bien gardé de s'aventurer à préciser la nature des ces particules dont la seule propriété qu'il retenait était leur faculté à se déplacer vers l'anode ou la cathode. A présent un anion sera décrit comme un atome devenu électriquement négatif après avoir capté un ou plusieurs électrons. Un cation sera un atome devenu positif par la perte d'un ou plusieurs électrons. Ainsi l'atome d'hydrogène se transformera en un cation, l'ion hydrogène H+, en perdant son seul électron. En fait l'ion H+ est un simple proton.

 

Ainsi les réactions chimiques, en particulier celles mettant en œuvre l'hydrogène, se traduiront en échanges ou mises en commun d'électrons entre atomes, nous en reparlerons.

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25 mai 2025 7 25 /05 /mai /2025 17:31

L'électricité était présente dans le laboratoire de Lavoisier. En particulier par la machine électrique à friction qui a produit les étincelles avec lesquelles a été enflammé le jet d'hydrogène, brûlant dans l'oxygène, lors de la fameuse expérience de synthèse de l'eau.

 

Le procédé est ancien et a été inauguré par Volta qui est resté célèbre comme électricien mais a été également un chimiste qui a participé à la "chasse aux airs" aux côtés de Priestley et des chimistes britanniques. Elle sera réalisée avec une extraordinaire facilité quand il aura découvert le premier générateur de courant continu : la pile électrique. Une découverte majeure dont Lavoisier, mort quelques années plus tôt, aurait certainement fait le meilleur des usages.


 

La naissance du courant continu : la pile de Volta.

 

 

Nous ne reprendrons pas ici la découverte par Galvani de l'effet d'un couple de deux métaux différents sur le nerf et le muscle d'une cuisse de grenouille et le débat qui l'oppose à Volta quant à l'interprétation du phénomène. Le premier voyait dans le muscle l'origine de l'électricité produite, le second dans les métaux.

 

C'est par une lettre adressée le 20 mars 1800 à Joseph Banks, président de la Royal Society de Londres, que Volta fait part au monde des électriciens de la naissance de ce nouvel enfant de la science électrique qu'il vient de mettre au point : « l'appareil dont je vous parle, et qui vous étonnera sans doute, n'est qu'un assemblage de bons conducteurs de différentes espèces, arrangés d'une certaine manière. Vingt, quarante, soixante pièces de cuivre, ou mieux d'argent, appliquées chacune à une pièce d'étain, ou, ce qui est beaucoup mieux, de zinc et un nombre égal de couches  d'eau ou de quelque autre humeur qui soit meilleur conducteur que l'eau simple, comme l'eau salée, la lessive, etc. ; ou des morceaux de carton, de peau, etc., bien imbibés de ces humeurs… "

 

Suit une description précise de l'appareil, un empilement alterné des différents disques, et de ses effets, en particulier sa faculté à donner des "décharges" à toute personne qui en saisit les deux extrémités.


 

La pile de Volta
(Louis Figuier, Les merveilles de la science)


 

La lettre de volta est lue devant les membres de la Royal Society le 26 juin mais dès le mois d'avril son contenu était connu des membres de la société. Dès le mois de juillet, le "Journal philosophique de Nicholson" publiait à la fois la lettre de Volta et le récit d'une multitude d'expériences aussitôt exécutées par ceux qui en avaient été informés.

 


La pile, l'eau, l'oxygène et l'hydrogène.

 

Parmi ceux-ci un chirurgien, Anthony Carlisle est très attentif à l'invitation expresse de Volta : rechercher tout ce que la pile, "organe électrique artificiel" comparable à celui des poissons torpilles, peut apporter à la médecine et à la physiologie. Des monnaies d'argent, des rondelles de zinc et des rondelles de carton imprégnées d'eau salée lui permettent de monter une colonne de 17 couples. Avec son ami Nicholson, physicien averti, il se propose d'abord de vérifier la polarité de son montage à l'aide d'un électroscope. Voulant améliorer le contact entre le fil relié à l'un des pôles de la pile et le plateau de l'électroscope, il dépose sur celui-ci une goutte d'eau dans laquelle il plonge le fil.

 

Bons observateurs, les deux amis remarquent, autour du fil, un dégagement de fines bulles d'un gaz dont l'odeur, disent-ils, leur fait soupçonner qu'il s'agit d'hydrogène. L'eau serait-elle décomposée par le fluide électrique ? Le 2 mai de l'année 1800, ils le vérifient en reliant les deux pôles de la pile à un tube de verre de 30 centimètres de longueur et de quinze millimètres de diamètre, rempli d'eau de source et fermé par deux bouchons de liège traversés par un fil de cuivre.

 

Le tube est vertical, son électrode inférieure est reliée à la plaque d'argent, l'autre à la plaque de zinc. Dans un premier temps rien ne se passe. On rapproche les fils de cuivre et quand ils ne sont plus distants que de cinq centimètres : "une longue traînée de bulles excessivement fines, s'éleva de la pointe du fil inférieur de cuivre qui communiquait avec le disque d'argent, tandis que la pointe du fil de cuivre opposé devenait terne, puis jaune orangé, puis noire".

 

Après deux heures et demie de ce fonctionnement, le sommet du tube contenait environ un demi-centimètre cube d'un gaz qui, en détonnant avec un mélange d'air, se révélait bien être de l'hydrogène. La base du tube recevait pour sa part un dépôt filamenteux tombant du fil supérieur et qui se révélait être de l'oxyde de cuivre. On pouvait soupçonner que ce composé était le résultat d'une combinaison du métal avec l'oxygène issu de la décomposition de l'eau. Pour le vérifier, il suffisait de remplacer le cuivre par deux fils d'un métal inoxydable comme le platine. Ce qui fut fait.

 

Comme espéré, un dégagement de gaz se développa, alors, sur chaque électrode. En modifiant le montage il était possible de les recueillir séparément et de constater que le premier était de l'hydrogène et le second de l'oxygène. Possible aussi de mesurer leur volume et de retrouver les proportions établies par Lavoisier pour la composition de l'eau.

 

Cette première expérience établissait un pont symbolique entre la spectaculaire décomposition chimique de l'eau par le fer porté au rouge, réalisée par Lavoisier et Meusnier à peine vingt ans plus tôt, et celle de la décomposition électrique par la modeste et mystérieuse pile.


La spectaculaire décomposition de l'eau en oxygène et hydrogène au moyen de la pile, ouvre une nouvelle époque pour l'électricité et d'abord pour la chimie. Des noms et des méthodes nouvelles d'analyse en résultent quand Faraday prend le relais.

 

 

Faraday (1791-1867), l'électrolyse, les ions.

 

 

D'origine modeste (son père est forgeron), Faraday quitte l'école à quatorze ans pour entrer comme courtier chez un libraire. Il en profite pour dévorer tous les livres qui passent à sa portée. Sa culture est bientôt remarquée par un client du magasin qui le recommande à Humphry Davy. Celui-ci l'engage comme assistant, en 1813, au laboratoire de la "Royal Institution". Il entre à la "Royal Society" de Londres en 1824 et, l'année suivante, en devient directeur du laboratoire.

 

Continuateur de Davy, il propose, dans la septième série de ses "Recherches expérimentales sur l'électricité" datées de décembre 183, 3, le vocabulaire qui est aujourd'hui la norme internationale dans le domaine : électrolyse, électrolyseur, électrolyte, électrode, anode, cathode, ion, anion, cation...

 

Quand l'hydrogène mesure le courant électrique :

 

"L'action de décomposition d'un courant est constante pour une quantité constante d'électricité". Telle est la conclusion des multiples expériences réalisées par Faraday qui en déduit la possibilité de construire "un instrument qui, interposé sur le circuit du courant électrique utilisé pour une expérience particulière, pourrait servir, au choix, comme élément de comparaison ou comme réel appareil de mesure de cet agent subtil".

 

Quel électrolyseur utiliser ?

 

"Il n'y a pas de substance mieux adaptée, dans les circonstances ordinaires, que l'eau ; car elle est facilement décomposée quand elle est rendue plus conductrice par l'addition d'acides ou de sels."

 

C'est en mesurant le volume de gaz dégagé, surtout celui de l'hydrogène moins soluble, que Faraday mesure la quantité d'électricité qui a circulé dans un circuit. Il nomme "volta-électromètre", l'appareil de mesure qu'il construit. Le nom sera ensuite contracté en "voltamètre".


 

 

Un des modèles de volta-électromètre utilisé par Faraday.
Faraday, Recherches expérimentales sur l'électricité, 1833


 

L’hydrogène, de l’électrolyse à la pile à combustible.

 

La réalisation des premières "piles" a amené l'électrolyse et aux électrolyseurs. Par un chemin inverse c'est l'électrolyse qui a inspiré les premières "piles à combustibles". Notons ici que le mot pile a une longue postérité car ce ne sont plus par des empilements métaux différents que sont réalisés les nouveaux générateurs à courant continu.

 

Une pile à combustible est composée de deux électrodes : une anode qui émet des électrons et une cathode réductrice qui collecte des électrons. Ces deux sont séparées d’un électrolyte central par des catalyseurs. L’électrolyte peut être liquide ou solide, son objectif étant de faciliter le passage des ions.

 

Dans une pile à hydrogène, l’hydrogène est transformé en électricité. Au sein de l’anode, l’hydrogène est décomposé en électrons et en ions hydrogène, sous l’effet d’un catalyseur. Les ions hydrogène traversent l’électrolyte vers la cathode, tandis que les électrons passent par un circuit électrique, créant ainsi l’énergie électrique qui alimente le moteur électrique et la batterie. Au sein de la cathode, l’oxygène de l’air et les électrons provenant du circuit électrique se recombinent sous l’effet du catalyseur, pour créer des ions oxygène. Lorsque ces derniers rencontrent les ions hydrogène provenant de l’électrolyte, ils forment des molécules d’eau, unique rejet de la pile à combustible. Installée dans une voiture, la pile à combustible génère ainsi un courant électrique qui alimente le moteur ou recharge la batterie, tout comme sur un véhicule électrique.

 

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10 mai 2025 6 10 /05 /mai /2025 19:27

Article du journal Le Télégramme.

 

Des prix Nobel, des intellectuels de renom, tous réunis chaque été sur la pointe bretonne de l’Arcouest, face à l’île de Bréhat au XXe siècle. Ce pan d’histoire aussi exceptionnel que méconnu se découvre sous l’œil de la caméra de Florence Riou.

 

Hélène Langevin-Joliot, physicienne et petite fille de Marie Curie et Florence Riou, lors du tournage du documentaire en 2022. (Le Télégramme/Régis Nescop)
 

Florence Riou aime la science et le cinéma. Durant ses études, la Quimpéroise n’a jamais tranché entre ses deux univers. Ses deux passions. Au lycée à Douarnenez, elle avait choisi une option cinéma, bien avant de soutenir une thèse en 2008 à Nantes sur « la diffusion des sciences par le cinéma, des précurseurs à Jean Painlevé ». La suite sera jalonnée d’écrits, de recherches et de documentaires, toujours au croisement de la culture scientifique et de l’histoire. En s’emparant de cette incroyable histoire de l’Arcouest, du nom de cette pointe bretonne, elle s’est donné les moyens de faire un documentaire sur ce qui la passionne : l’affaire Dreyfus, la science et sa diffusion dans la société.

 

 

Pour aller plus loin.

 

Discours de Pierre Curie à la remise de leur prix Nobel à Pierre et Marie Curie en 1903.

 

Sa conclusion:


On peut concevoir encore que dans des mains criminelles le radium puisse devenir très dangereux, et ici on peut se demander si l'humanité a avantage à connaître les secrets de la nature, si elle est mûre pour en profiter ou si cette connaissance ne lui sera pas nuisible. L'exemple des découvertes de Nobel est caractéristique, les explosifs puissants ont permis aux hommes de faire des travaux admirables. Ils sont aussi un moyen terrible de destruction entre les mains des grands criminels qui entraînent les peuples vers la guerre. Je suis de ceux qui pensent, avec Nobel, que l'humanité tirera plus de bien que de mal des découvertes nouvelles.

 

Discours de Marie Curie à la remise de son prix Nobel en 1911

 

Introduction de son discours au banquet suivant la remise du prix :

 

Je remercie l’Académie des Sciences du très grand honneur qu’elle m’a fait. Je crois que cet honneur ne s’adresse point uniquement à moi. Pendant de longues années, Pierre Curie et moi avons consacré toutes nos journées aux travaux concernant nos découvertes communes du radium et du polonium. Je crois donc interpréter dans son vrai sens la pensée de l’Académie, en disant que ce prix Nobel qu’on vient de me décerner est aussi un hommage rendu au nom de Pierre Curie.

 

Qu’on me permette en outre d’exprimer la joie que je ressens en pensant à la radio-activité. La découverte des phénomènes radio-actifs ne date que de quinze ans. La radio-activité est donc une science très jeune. C’est un enfant que j’ai vu naître et que j’ai contribué, de toutes mes forces, à élever. L’enfant a grandi, il est devenu beau. La radio-activité est une science nouvelle qui a des rapports très étroits avec la physique et la chimie mais qui n’en est pas moins absolument distincte. Nous avons aujourd’hui des institutions et des laboratoires pour la radio-activité; de nombreux savants se consacrent à l’étude des phénomènes radio-actifs. Le développement en a été admirable; mais l’on n’aurait pu espérer non plus de plus bel encouragement que celui dont la jeune science a été l’objet de la part de l’Académie des Sciences de Suède qui a décerné trois prix Nobel, un de physique, deux de chimie, aux quatre chercheurs Henri Becquerel, Pierre Curie, Marie Curie et E. Rutherford.

 

Discours de Irène et Frédéric Joliot Curie à la remise de leur prix Nobel en 1935.

 

Conclusion de Frédéric Joliot-Curie :

 

Si, tourné vers le passé, nous jetons un regard sur les progrès accomplis par la science à une allure toujours croissante, nous sommes en droit de penser que les chercheurs construisant ou brisant les éléments à volonté sauront réaliser des transmutations à caractère explosif, véritables réactions chimique à chaînes.
 

Si de telles transmutations arrivent à se propager dans la matière, on peut concevoir l’énorme libération d'énergie utilisable qui aura lieu. Mais hélas, si la contagion a lieu pour tous les éléments de notre planète, nous devons prévoir avec appréhension les conséquences du déclenchement d'un pareil cataclysme. Les astronomes observent parfois qu'une étoile d'éclat médiocre augmente brusquement de grandeur, une étoile invisible à l’œil nu peut devenir très brillante et visible sans instrument, c'est l’apparition d'une Novae. Ce brusque embrasement de l’étoile est peut-être provoqué par ces transmutations à caractère explosif, processus que les chercheurs s'efforceront sans doute de réaliser, en prenant, nous l’espérons, les précautions nécessaires.

 

Notre remarque : la fission de l'uranium et la réaction en chaîne ne seront découvertes que quatre ans plus tard.

 

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25 avril 2025 5 25 /04 /avril /2025 13:26

 

 

Les symboles, un héritage alchimique.

 

Les alchimistes ont été violemment dénigrés par les chimistes, leurs successeurs. Pierre Joseph Macquer (1718-1784), considéré comme l’un des "pères" de la chimie moderne va même jusqu’à regretter le reste de filiation qui s’exprime dans ce nom de chimie partagé par les deux disciplines. C’est un mal, écrit-il " pour une fille pleine d’esprit et de raison, mais fort peu connue, de porter le nom d’une mère fameuse pour ses inepties et ses extravagances".
 

 

N’y a-t-il cependant pas une certaine ingratitude à renier ces prédécesseurs qui leur ont transmis, entre autres héritages, l’usage de symboles désignant les corps mis en œuvre dans leurs laboratoires. L’alchimie les a reçus d’antiques traditions issues de la Mésopotamie, de l’Assyrie, de la Perse, de l’Égypte et même la Chine ou l’Inde. Entre autres la représentation des quatre éléments sous forme de triangle.


 

 


Ou celle des métaux représentés par les signes représentant les planètes dont ils sont supposés tenir leur origine.

 


Ils figureront également sur une planche de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

 


En complément de la "Méthode de Nomenclature Chimique" (1787), Jean-Henry Hassenfratz (1755-1827) et Pierre Auguste Adet (1763-1834) proposent eux-mêmes un nouveau symbolisme adapté à la nouvelle façon de nommer et de penser.

 

 

Ce symbolisme n’aura pas le même succès que la nomenclature qu’il est sensé représenter et il faudra de longues années avant qu’apparaissent les premières formules chimiques. Et d’abord que se précise la notion « d‘atomes ».

 

Naissance des atomes.

 

Atome est un mot hérité des philosophes de la Grèce antique : ἄτομος (atomos), "que l'on ne peut diviser", tel est le nom donné par Démocrite d'Abdère (-460 ; -370) et ses disciples aux particules, séparées par le vide, dont ils imaginaient que l'Univers était constitué. Le mot atome traversera les siècles avec des sens qui évolueront au fil des époques. Des époques plus récentes voient l'usage de molécule ou "petite masse" (du latin moles, masse). C'est le terme généralement utilisé par Lavoisier.

 

Mais la théorie atomique contemporaine est réputée commencer avec John Dalton (1766-1844). Chimiste et enseignant, il publie, en 1808,   "Un nouveau système de philosophie chimique" dans lequel il propose une première représentation atomique de la matière.

 

Le mot "atome" apparaît à la fin de son texte comme "l'ultime particule" des corps. Contrairement à notre usage actuel, atome est, pour lui, synonyme de ce que, aujourd'hui, nous appelons molécule. il désigne, aussi bien, une particule de corps simple qu'une particule de corps composé, binaire, ternaire ou quaternaire...

 

 

Les "équations" proposées par Dalton nous font réellement entrer dans notre chimie contemporaine pour laquelle une réaction est un "mécano" qui permet, à partir d'une centaine de pièces détachées, les atomes, de construire une multitude d'objets de plus en plus complexes, les molécules.

On retient surtout de Dalton l'attribution de symboles aux atomes. Ceux-ci sont associés à leurs "masses atomiques. "C’est l'hydrogène, le moins dense des éléments alors connus qui est choisi comme référence.

 

 

Les symboles sont encore fortement inspirés des alchimistes pour lesquels l'Or, "le métal solaire par excellence",  était représenté par un simple cercle ou un cercle centré. Est-ce un hasard si c'est par ces signes que Dalton choisit de représenter l'oxygène et l'hydrogène ?

 


Symboles des "atomes" de différents corps composés proposés par Dalton.
En haut, à gauche, l'eau. Un nouveau système de philosophie chimique, 1808.

 

En ce qui concerne la schématisation des corps composés, alors que le dioxyde de carbone  est correctement noté avec un atome de carbone et deux d'oxygène. La composition correcte de l'eau H2O devra attendre. Sa formule est  encore représentée par un atome d'oxygène et un seul d'hydrogène .

 

De l'atome à la molécule. Quand l'eau devient H2O et le gaz hydrogène H2.

 

En décembre 1808, peu après la publication du "Nouveau Système de Philosophie" de Dalton, Louis-Joseph Gay-Lussac (1778-1850), partant de l'observation du "rapport exact de 100 de gaz oxygène à 200 de gaz hydrogène" , lors de la décomposition de l'eau, constate que le phénomène est général et que les volumes des gaz qui se combinent sont dans des rapports simples "tels qu'en représentant l'un des termes par l'unité, l'autre est 1 ou 2 ou au plus 3" . C'est bien le cas pour l'hydrogène et l'oxygène qui sont dans un rapport de 1 à 2.

 

La loi est complétée par Avogadro en 1811 puis Ampère en 1814 qui affirment que "dans les mêmes conditions de température et de pression, des volumes égaux de gaz différents contiennent le même nombre de molécules". Ce qui implique que dans la décomposition de l'eau, l'hydrogène obtenu contienne deux fois plus de molécules que l'oxygène. Ainsi peut-on affirmer, comme le fera Faraday, que les molécules d'eau sont constituées "d'une demi-molécule d'oxygène et de deux demi-molécules d'hydrogène".

 

La "demi-molécule" d'hydrogène ou d'oxygène nous amène à la conception moderne de l'atome et de la molécule. Les mots équivalents de particule, atome, molécule, ont progressivement évolué. D'un côté les atomes, briques élémentaires, de l'autre les molécules construites à partir de ces atomes. Ainsi les molécules des gaz oxygène ou hydrogène sont formées de deux atomes, ce qui nous amène aux formules contemporaines de O2 et H2 que le vocabulaire récent désigne comme celles du "dioxygène" et du "dihydrogène". Des formules qui nous amènent en Suède.

 

Symboles, Formules… les nouveaux signes de la chimie.

 

Jöns Jacob Berzelius (1779-1848) est un personnage de premier plan dans la formation des concepts et des méthodes de la Chimie moderne.  Né à Väversunda Sörgård en Suède, fils d'un maître d'école, il se destine à la médecine qu'il apprend à l'université de Uppsala. Rapidement il se consacre à la Chimie qu'il enseigne en parallèle avec la médecine.

 

Berzelius est un atomiste convaincu : "Les corps étant formés d'éléments indécomposables, doivent l'être de particules dont la grandeur ne se laisse plus ultérieurement diviser et que l'on peut appeler particules, atomes, molécules, équivalents chimiques, etc. Je choisirai de préférence la dénomination d'atome, parce que, mieux qu'une autre, elle exprime notre idée". Notons que, comme Dalton, il ne fait pas la distinction entre atome et molécule. Il existe des atomes de corps composés comme des atomes de corps simples.

 

Dès ses premiers écrits Berzelius choisit de nommer les corps à partir du latin. Son modèle est Guyton de Morveau : "L'on sait que la nomenclature fondamentale dont nous nous servons est due au génie de M. Guyton de Morveau, et qu'elle a été adoptée à la suite des rectifications faites par une commission des membres de l'institut. M. Guyton eut l'heureuse idée de changer le chaos de noms bizarres qui existait de son temps, en un système de définitions, ou en noms qui indiquaient la nature même des composés qu'ils représentaient, et il rendit par-là un service immense à la science."

 

Si Lavoisier n'est pas cité, son esprit rôde encore au-dessus de la chimie : "La nomenclature latine, dite antiphlogistique, qui sert de base à la nomenclature française, est un véritable chef d'œuvre. Celui qui, avec un peu de connaissance de la chimie, la parcourt, la connaît tout de suite ; et elle contient pour ainsi dire une partie principale de la théorie de la science"

 

Comment imaginer plus beau compliment ? Dans son traité de 1813, rédigé en français sous son contrôle, Berzelius donne un tableau des termes français accolés à la nomenclature latine qu'il propose. La concordance des deux langues est remarquable. Le latin chimique semble être, en réalité, un français latinisé. Cependant, 25 ans le séparent de la première nomenclature française, il pense donc nécessaire de lui apporter quelques corrections.

 

Pour lui, comme pour Lavoisier, toute la chimie s'organise autours de l'oxygène, il ne touche donc pas au terme d'oxygène, pourtant si controversé. Parmi les dénominations qu'il propose et qui rompent avec le français on peut noter :

 

Proposition latine de Berzelius Nomenclature française   Symbole
international
Stibium    Antimoine Sb
Aurum     Or Au
Wolframium Tungstène  We 
Stannum Etain Sn
Natrium Sodium    Na
Kalium Potassium K


 

Concernant les deux dernières dénominations, il explique : "On s'est servi dans la nomenclature française, pour désigner les alkalis purs, des mêmes noms que pour les alcalis du commerce. De là des inconvénients, lorsqu'on est obligé de parler de ces substances alcalines. De plus, le mot potasse qui dérive d'un mot allemand et suédois, lequel veut dire cendre de pot, ne se laisse pas trop latiniser sans trop de violence. C'est pourquoi les chimistes allemands ont été conduits à remplacer le mot potasse pure par celui de kali, et le mot de soude pure par celui de natron, et par conséquent à appeler kalium et natrium les radicaux des alcalis fixes. L'on fera bien, je crois, de les conserver dans la nomenclature latine."

 

Il est effectivement étonnant de constater que, si les Allemands et suédois ont abandonné potasse, les Français l'ont conservé, estimant, quant à eux, que ce n'était pas lui faire violence que de le latiniser. Pour les chimistes français, la lettre K symbolise donc le potassium. De même le sodium des français est symbolisé par Na. Les mots français du "commerce" ont parfois la  vie longue. Les mots soude, potasse, ammoniaque sont encore présents dans les manuels de chimie de l'hexagone.

 

Ce récit nous a amenés, à plusieurs occasions, à utiliser, dans un souci de clarification, les notations modernes : O2, H2, H2O, K, Na… Ce symbolisme, devenu le langage  universel de la chimie, est le plus beau des cadeaux laissé par Berzelius à ses successeurs.

 

Symboles et équations chimiques.

 

Berzelius rappelle le temps des signes alchimiques "créés par le besoin de s'exprimer d'une matière mystique et incompréhensible pour le vulgaire". Jugement sévère car dans le même temps il reconnaît le choix judicieux des signes proposés par les réformateurs "antiphlogistiques" français alors que ceux-ci s'étaient, eux-mêmes, largement inspirés des signes alchimiques.

 

Quoi qu'il en soit, il considère qu'un signe introduit une inutile difficulté car, dit-il, "il est plus facile d'écrire un mot en abrégé que de dessiner une figure". D'où sa volonté de proposer d'autres signes. Non pas des signes "créés dans la vue de les placer, comme les anciens, sur les vases de laboratoire", mais des signes ayant pour objet "de nous mettre en état d'énoncer brièvement et avec facilité le nombre d'atomes élémentaires qui se trouve dans chaque corps composé".

 

Il choisit donc, comme symboles, les lettres de l'alphabet "pour pouvoir être facilement tracés et imprimés sans défigurer le texte". On prendra "la lettre initiale du nom latin de chaque corps simple" et pour distinguer deux corps dont le nom commencerait par la même lettre, il suffira d'y adjoindre les deuxièmes ou troisièmes lettres du nom. Ainsi le soufre sera désigné par le S, le silicium par Si, le stibium (antimoine) par Sb, le Stannum (étain) par Sn. De même l'hydrogène par H, l'Hélium par He, l'Hydrargyrum (mercure) par Hg, l'Holmium par Ho..

 

Pour les molécules contenant plusieurs atomes identiques, leur nombre sera indiqué par un exposant. Ainsi pour l'eau : H2O, pour le "gaz carbonique" : CO2. Le symbole a traversé le temps avec comme seule modification la transformation de l'exposant en un indice : H2O, CO2...

 

L'ensemble des propositions de Berzelius peuvent être considérées comme le couronnement de la réforme de la nomenclature chimique initiée 25 ans plus tôt par les chimistes français. Si, pour nos contemporains H2, O2, H2O, CO2, sont bien autre chose que des signes cabalistiques, c'est à Guyton de Morveau, à Lavoisier et à Berzelius que nous le devons.

 

L’hydrogène, le premier corps du tableau de Mendeleïev.

 

Pour présenter leur nomenclature, Guyton de Morveau, Lavoisier, Fourcroy avaient choisi de la résumer sous forme de tableaux. Les travaux de Berzelius et de ses contemporains sur les masses atomiques des éléments, sur la composition et les formules des corps, invitaient eux aussi à de telles représentations. De nombreuses tentatives seront faites avant que celle proposée par le Russe Mendeleïev ne s'impose.

 

Dimitri Ivanovitch Mendeleïev (1834-1907) est issu d'une famille pauvre de Sibérie. Après des études de chimie à l'université de Saint Petersburg, il fait un séjour à Paris et à Heidelberg où il participe aux travaux de Robert Bunsen et de Gustav Kirchhoff. De retour dans son pays, il devient, en 1863, professeur de chimie à l'université de Saint Petersburg.

 

Il se raconte que c'est dans le but de rédiger un manuel à l'usage de ses étudiants qu'il a cherché à classer le nombre important des corps, alors connus, dans un tableau dont la simple lecture permettrait de reconnaître les propriétés de chacun. La première version du tableau paraît en 1869.  

 

Mendeleïev remarque d'abord que les propriétés de corps bien connus comme l'oxygène, l'azote, le carbone, peuvent se rencontrer dans d'autres corps. Parmi ces propriétés communes, la "valence" de ces éléments, c'est-à-dire le nombre de liaisons qu'ils peuvent former avec d'autres atomes et en particulier avec les atomes d’hydrogène.

 

L'hydrogène, comme le chlore, est monovalent. L'oxygène, et le soufre sont dits bivalents. Ils peuvent s'unir à deux atomes d'hydrogène pour donner l'eau (oxyde d'hydrogène) H2O ou le sulfure d'hydrogène H2S. L'azote comme le phosphore, donnant les composés NH3 et PH3, seront trivalents. Le carbone comme le silicium (CH4 et CO2 ou et SiH4 et SiO2) sont tétravalents. Il est donc possible, à partir de la valence, de constituer des "groupes d'éléments semblables".

 

Mendeleïev remarque par ailleurs que "les éléments ont une propriété exactement mesurable, c'est leurs poids atomique". Il lui semble donc naturel "de chercher une relation entre les propriétés analogues des éléments d'une part et leur poids atomique d'autre part". C'est en notant tous les éléments dans l'ordre croissant de leur poids atomique qu'il remarque la répétition périodique des propriétés des corps.

 

Plus précisément dit-il, "en disposant les éléments d'après la grandeur croissante de leur poids atomique en colonnes verticales, de façon à ce que les lignes horizontales contiennent des éléments analogues, eux-mêmes classés par poids atomique croissant, on obtient le tableau suivant duquel peuvent être déduites des conclusions générales".

 

Première version du tableau de Mendeleïev avec sa disposition verticale. 1869.

 

Mendeleïev remarque d'abord que les propriétés de corps bien connus comme l'oxygène, l'azote, le carbone, peuvent se rencontrer dans d'autres corps. Parmi ces propriétés communes, la "valence" de ces éléments, c'est-à-dire le nombre de liaisons qu'ils peuvent former avec d'autres atomes.

 

L'hydrogène, comme le chlore, est monovalent. L'oxygène, et le soufre sont dits bivalents. Ils peuvent s'unir à deux atomes d'hydrogène pour donner l'eau (oxyde d'hydrogène) H2O ou le sulfure d'hydrogène H2S. L'azote comme le phosphore, donnant les composés NH3 et PH3, seront trivalents. Le carbone comme le silicium (CH4 et CO2 ou et SiH4 et SiO2) sont tétravalents. Il est donc possible, à partir de la valence, de constituer des "groupes d'éléments semblables".

 

Mendeleïev remarque par ailleurs que "les éléments ont une propriété exactement mesurable, c'est leurs poids atomique". Il lui semble donc naturel "de chercher une relation entre les propriétés analogues des éléments d'une part et leur poids atomique d'autre part". C'est en notant tous les éléments dans l'ordre croissant de leur poids atomique qu'il remarque la répétition périodique des propriétés des corps.

 

Plus précisément dit-il, "en disposant les éléments d'après la grandeur croissante de leur poids atomique en colonnes verticales, de façon à ce que les lignes horizontales contiennent des éléments analogues, eux-mêmes classés par poids atomique croissant, on obtient le tableau suivant duquel peuvent être déduites des conclusions générales".

 


Il tire, de l'observation de ce tableau, une liste de huit conséquences.

 

1 – Les éléments disposés d'après la grandeur de leur poids atomique présentent une périodicité de des propriétés.

2 – Les éléments qui se ressemblent par leurs fonctions chimiques ont des poids atomiques proches (Pt, Ir, Os) ou bien croissant uniformément (K, Rb, Cs).

3 – La disposition des éléments ou de leurs groupes d'après la grandeur du poids atomique correspond à leur valence.

4 – Les corps simples les plus répandus sur Terre ont un poids atomique faible et tous les éléments à poids atomiques faibles sont caractérisés par des propriétés bien tranchées. Ce sont des éléments typiques.

5 – La grandeur du poids atomique détermine le caractère de l'élément.

6 – Il faut attendre la découverte de plusieurs corps simples encore inconnus, ressemblant, par exemple, à Al et Si et ayant un poids atomique 65-75.

7 – La valeur du poids atomique d'un élément peut, quelquefois, être corrigée si l'on connaît ses analogues. Ainsi le poids atomique de Te n'est pas 128 mais doit être compris entre 123 et 126.

8 – Certaines analogies des éléments peuvent être découvertes d'après la "grandeur du poids de leurs atomes".

 

La conséquence la plus remarquée de cette "loi de périodicité" est la prédiction de nouveaux éléments (ceux qui sont marqués dans le tableau par un point d'interrogation) avec leur poids atomique supposé et même leurs propriétés chimiques.

 

Elément prédit Elément trouvé Poids atomique réel.
? 45   scandium 44,96
? 68 gallium   69,72
? 70     germanium  72,64
? 180 hafnium 178,49


         Quelques exemples de corps prédits par Mendeleïev

 

Rapidement le tableau a été modifié : les colonnes sont devenues lignes horizontales et les horizontales verticales.  


Forme actuelle du tableau de Mendeleïev.

 

Il faudra attendre la connaissance de la structure interne des atomes et l'avènement de la "physique quantique" pour que la raison de ces propriétés s'éclaire. Notons surtout que le "professeur" Mendeleïev avait réellement inventé l'outil nécessaire à ses élèves.

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23 avril 2025 3 23 /04 /avril /2025 14:42

 

Louis-Bernard Guyton de Morveau, né à Dijon en 1737, avocat au parlement de Dijon, est un scientifique reconnu. Membre de l’académie de sa ville, il est le correspondant de plusieurs célèbres chimistes européens, dont Scheele et Bergman avec lequel il partage la volonté de réformer le langage alors utilisé en chimie.

 

Le constat est simple : cette science qui a enfin réussi à s’imposer dans les académies emploie une langue à peine sortie des grimoires alchimistes. « Il n’est point de science, regrette-t-il, qui exige plus de clarté, plus de précision, & on est d’accord qu’il n’en est point dont la langue soit aussi barbare, aussi vague, aussi incohérente.» La liste de ces barbarismes est effectivement édifiante. On y rencontre de l’huile de vitriol, de la crème de chaux, du beurre d’arsenic, du foie de soufre, du safran de Mars, de la lune cornée, des éthiops, des kermès …


Depuis 1780, Guyton de Morveau est chargé de rédiger l’article « Chymie » de l’Encyclopédie méthodique de Charles-Joseph Panckouke qui fait suite à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Il a lu l’essentiel de ce qui a été publié par ses confrères européens. Cette lecture l’a conforté dans l’idée qu’un langage commun s’impose.

 

A Paris, d’autres chimistes partagent le même objectif et une autre réforme du vocabulaire est en marche : celle de Lavoisier et de ses collègues académiciens qui s’appuient sur la base théorique du principe oxygine, très différente de celle de Macquer, Bergman et Guyton de Morveau, tous partisans du phlogistique. La concurrence est sévère. Même si la théorie de Lavoisier a des partisans parmi les collègues bourguignons de Guyton de Morveau, cela ne l’empêche pas de se montrer circonspect. Pourtant, trois ans plus tard, c’est avec Lavoisier qu’il présentera la Méthode de nomenclature chimique qui bannira le phlogistique de l’univers de la chimie.


Le groupe des « chimistes français ».


Influent à l’Académie des sciences, Lavoisier (1743-1794) a su attirer autour de lui des collaborateurs efficaces et enthousiastes qui soutiennent sa théorie : Antoine-François Fourcroy (1755-1809),  Jean-Henri Hassenfratz ( 1755-1827), Pierre Auguste Adet (1763-1834). C’est ce groupe qui accueille Guyton de Morveau quand il vient à Paris en février 1787 avec son projet de nomenclature déjà bien avancé. Avec lui, ils rédigent la nouvelle Méthode de nomenclature chimique présentée à l’assemblée publique de l’Académie des sciences du 17 avril 1787.

 

Naissance de l’oxygène, de l’hydrogène et de l’azote.

 

Les nomenclateurs ont divisé les substances en cinq classes : les « principes » qui résistent à l’analyse, les radicaux des acides, les métaux, les terres, les alcalis. La première classe comprend cinq « principes ». Les deux premiers sont la lumière et le calorique (la chaleur). Étant émis ou absorbés dans les réactions chimiques, ces deux éléments sont donc considérés comme de véritables éléments chimiques. Les trois suivants sont les trois gaz que leur histoire a, jusqu’à présent, baptisés des noms d’« air déphlogistiqué », d’« air phlogistiqué » et d’« air inflammable ».

 

Quand l’air déphlogistiqué devient gaz oxygène.

 

Le nom d’« air déphlogistiqué », déclare Guyton de Morveau, reposait sur une simple hypothèse : oublions-la ! "Au mieux peut-on, dit-il, continuer à parler d’« air vital » à chaque fois « que l’on aura à indiquer simplement la portion de l’air atmosphérique qui entre tient la respiration et la combustion". Mais cette dénomination ne pouvait suffire pour un corps que non seulement on trouvait à l’état de gaz dans l’air, mais qui entrait également dans la composition de nombreux corps. « Nous avons satisfait à ces conditions en adoptant l’expression “ oxygène”, en la tirant, comme M. Lavoisier l’a dès longtemps proposé, du grec οξνς, “acide” & γειυοµαι, “j’engendre”, à cause de la propriété bien constante de ce principe, base de l’air vital, de porter un grand nombre de substances avec lesquelles il s’unit à l’état d’acide, ou plutôt parce qu’il paraît être un principe nécessaire à l’acidité »  

 

Quand le gaz inflammable devient hydrogène.

 

« Il est le seul qui produise de l’eau par sa combinaison avec l’oxygène… nous l’avons appelé hydrogène, c’est-à-dire engendrant l’eau. »

 

Quand l’air phlogistiqué devient azote.

 

« M. Berthollet a prouvé qu’il existait dans l’alcali volatil & dans les substances animales ; il est probable que les alcalis fixes le contiennent aussi : on aurait pu d’après cela le nommer alcaligène, comme M. de Fourcroy l’a proposé. »

 

Faisant remarquer que ce corps intervient également dans la composition d’acides, Guyton de Morveau considère ce nom comme inadapté. « Dans ces circonstances, nous n’avons pas cru pouvoir mieux faire que de nous arrêter à cette autre propriété de l’air phlogistiqué, qu’il manifeste si sensiblement, de ne pas entretenir la vie des animaux, d’être réellement non vital… et nous l’avons nommé azote, de l’α privatif des Grecs & de ζωή, « vie ». Il ne sera pas difficile après cela d’entendre et de retenir que l’air est un composé de gaz oxygène & de gaz azotique. »


Oxygène, hydrogène, azote… Reste le charbon qui pose un nouveau problème. Soufre, phosphore, azote, désignent des corps que l’on peut obtenir dans un état de pureté satisfaisant. Par contre, la combustion du charbon laisse des cendres. Les nomenclateurs proposent d’appeler « carbone » l’élément qui, dans le charbon, se lie à l’oxygène lors de sa combustion. Ce carbone qui, lié à l’hydrogène, sera bientôt considéré comme l’ossature de la matière vivante.

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20 avril 2025 7 20 /04 /avril /2025 15:29
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