Des prix Nobel, des intellectuels de renom, tous réunis chaque été sur la pointe bretonne de l’Arcouest, face à l’île de Bréhat au XXe siècle. Ce pan d’histoire aussi exceptionnel que méconnu se découvre sous l’œil de la caméra de Florence Riou. Le documentaire de la Quimpéroise « L’esprit de l’Arcouest », sera diffusé ce lundi 12 mai à 20 h aux Studios à Brest.
Hélène Langevin-Joliot, physicienne et petite fille de Marie Curie et Florence Riou, lors du tournage du documentaire en 2022. (Le Télégramme/Régis Nescop)
Florence Riou aime la science et le cinéma. Durant ses études, la Quimpéroise n’a jamais tranché entre ses deux univers. Ses deux passions. Au lycée à Douarnenez, elle avait choisi une option cinéma, bien avant de soutenir une thèse en 2008 à Nantes sur « la diffusion des sciences par le cinéma, des précurseurs à Jean Painlevé ». La suite sera jalonnée d’écrits, de recherches et de documentaires, toujours au croisement de la culture scientifique et de l’histoire. En s’emparant de cette incroyable histoire de l’Arcouest, du nom de cette pointe bretonne, elle s’est donné les moyens de faire un documentaire sur ce qui la passionne : l’affaire Dreyfus, la science et sa diffusion dans la société.
C'est du moins ce que laissent entendre depuis quelques années les médias scientifiques ou autres. Finies les énergies carbonées. L'avenir est à l'hydrogène. Heures de gloire pour un élément chimique jusqu'à présent peu mis en lumière. Pourquoi pas un retour aux sources pour retrouver l'histoire de cet élément.
Les alchimistes ont été violemment dénigrés par les chimistes, leurs successeurs. Pierre Joseph Macquer (1718-1784), considéré comme l’un des "pères" de la chimie moderne va même jusqu’à regretter le reste de filiation qui s’exprime dans ce nom de chimie partagé par les deux disciplines. C’est un mal, écrit-il " pour une fille pleine d’esprit et de raison, mais fort peu connue, de porter le nom d’une mère fameuse pour ses inepties et ses extravagances".
N’y a-t-il cependant pas une certaine ingratitude à renier ces prédécesseurs qui leur ont transmis, entre autres héritages, l’usage de symboles désignant les corps mis en œuvre dans leurs laboratoires. L’alchimie les a reçus d’antiques traditions issues de la Mésopotamie, de l’Assyrie, de la Perse, de l’Égypte et même la Chine ou l’Inde. Entre autres la représentation des quatre éléments sous forme de triangle.
Ou celle des métaux représentés par les signes représentant les planètes dont ils sont supposés tenir leur origine.
Ils figureront également sur une planche de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
En complément de la "Méthode de Nomenclature Chimique" (1787), Jean-Henry Hassenfratz (1755-1827) et Pierre Auguste Adet (1763-1834) proposent eux-mêmes un nouveau symbolisme adapté à la nouvelle façon de nommer et de penser.
Ce symbolisme n’aura pas le même succès que la nomenclature qu’il est sensé représenter et il faudra de longues années avant qu’apparaissent les premières formules chimiques. Et d’abord que se précise la notion « d‘atomes ».
Naissance des atomes.
Atome est un mot hérité des philosophes de la Grèce antique : ἄτομος (atomos), "que l'on ne peut diviser", tel est le nom donné par Démocrite d'Abdère (-460 ; -370) et ses disciples aux particules, séparées par le vide, dont ils imaginaient que l'Univers était constitué. Le mot atome traversera les siècles avec des sens qui évolueront au fil des époques. Des époques plus récentes voient l'usage de molécule ou "petite masse" (du latin moles, masse). C'est le terme généralement utilisé par Lavoisier.
Mais la théorie atomique contemporaine est réputée commencer avec John Dalton (1766-1844). Chimiste et enseignant, il publie, en 1808, "Un nouveau système de philosophie chimique" dans lequel il propose une première représentation atomique de la matière.
Le mot "atome" apparaît à la fin de son texte comme "l'ultime particule" des corps. Contrairement à notre usage actuel, atome est, pour lui, synonyme de ce que, aujourd'hui, nous appelons molécule. il désigne, aussi bien, une particule de corps simple qu'une particule de corps composé, binaire, ternaire ou quaternaire...
Les "équations" proposées par Dalton nous font réellement entrer dans notre chimie contemporaine pour laquelle une réaction est un "mécano" qui permet, à partir d'une centaine de pièces détachées, les atomes, de construire une multitude d'objets de plus en plus complexes, les molécules.
On retient surtout de Dalton l'attribution de symboles aux atomes. Ceux-ci sont associés à leurs "masses atomiques. "C’est l'hydrogène, le moins dense des éléments alors connus qui est choisi comme référence.
Les symboles sont encore fortement inspirés des alchimistes pour lesquels l'Or, "le métal solaire par excellence", était représenté par un simple cercle ou un cercle centré. Est-ce un hasard si c'est par ces signes que Dalton choisit de représenter l'oxygène et l'hydrogène ?
Symboles des "atomes" de différents corps composés proposés par Dalton.
En haut, à gauche, l'eau. Un nouveau système de philosophie chimique, 1808.
En ce qui concerne la schématisation des corps composés, alors que le dioxyde de carbone est correctement noté avec un atome de carbone et deux d'oxygène. La composition correcte de l'eau H2O devra attendre. Sa formule est encore représentée par un atome d'oxygène et un seul d'hydrogène .
De l'atome à la molécule. Quand l'eau devient H2O et le gaz hydrogène H2.
En décembre 1808, peu après la publication du "Nouveau Système de Philosophie" de Dalton, Louis-Joseph Gay-Lussac (1778-1850), partant de l'observation du "rapport exact de 100 de gaz oxygène à 200 de gaz hydrogène" , lors de la décomposition de l'eau, constate que le phénomène est général et que les volumes des gaz qui se combinent sont dans des rapports simples "tels qu'en représentant l'un des termes par l'unité, l'autre est 1 ou 2 ou au plus 3" . C'est bien le cas pour l'hydrogène et l'oxygène qui sont dans un rapport de 1 à 2.
La loi est complétée par Avogadro en 1811 puis Ampère en 1814 qui affirment que "dans les mêmes conditions de température et de pression, des volumes égaux de gaz différents contiennent le même nombre de molécules". Ce qui implique que dans la décomposition de l'eau, l'hydrogène obtenu contienne deux fois plus de molécules que l'oxygène. Ainsi peut-on affirmer, comme le fera Faraday, que les molécules d'eau sont constituées "d'une demi-molécule d'oxygène et de deux demi-molécules d'hydrogène".
La "demi-molécule" d'hydrogène ou d'oxygène nous amène à la conception moderne de l'atome et de la molécule. Les mots équivalents de particule, atome, molécule, ont progressivement évolué. D'un côté les atomes, briques élémentaires, de l'autre les molécules construites à partir de ces atomes. Ainsi les molécules des gaz oxygène ou hydrogène sont formées de deux atomes, ce qui nous amène aux formules contemporaines de O2 et H2 que le vocabulaire récent désigne comme celles du "dioxygène" et du "dihydrogène". Des formules qui nous amènent en Suède.
Symboles, Formules… les nouveaux signes de la chimie.
Jöns Jacob Berzelius (1779-1848) est un personnage de premier plan dans la formation des concepts et des méthodes de la Chimie moderne. Né à Väversunda Sörgård en Suède, fils d'un maître d'école, il se destine à la médecine qu'il apprend à l'université de Uppsala. Rapidement il se consacre à la Chimie qu'il enseigne en parallèle avec la médecine.
Berzelius est un atomiste convaincu : "Les corps étant formés d'éléments indécomposables, doivent l'être de particules dont la grandeur ne se laisse plus ultérieurement diviser et que l'on peut appeler particules, atomes, molécules, équivalents chimiques, etc. Je choisirai de préférence la dénomination d'atome, parce que, mieux qu'une autre, elle exprime notre idée". Notons que, comme Dalton, il ne fait pas la distinction entre atome et molécule. Il existe des atomes de corps composés comme des atomes de corps simples.
Dès ses premiers écrits Berzelius choisit de nommer les corps à partir du latin. Son modèle est Guyton de Morveau : "L'on sait que la nomenclature fondamentale dont nous nous servons est due au génie de M. Guyton de Morveau, et qu'elle a été adoptée à la suite des rectifications faites par une commission des membres de l'institut. M. Guyton eut l'heureuse idée de changer le chaos de noms bizarres qui existait de son temps, en un système de définitions, ou en noms qui indiquaient la nature même des composés qu'ils représentaient, et il rendit par-là un service immense à la science."
Si Lavoisier n'est pas cité, son esprit rôde encore au-dessus de la chimie : "La nomenclature latine, dite antiphlogistique, qui sert de base à la nomenclature française, est un véritable chef d'œuvre. Celui qui, avec un peu de connaissance de la chimie, la parcourt, la connaît tout de suite ; et elle contient pour ainsi dire une partie principale de la théorie de la science"
Comment imaginer plus beau compliment ? Dans son traité de 1813, rédigé en français sous son contrôle, Berzelius donne un tableau des termes français accolés à la nomenclature latine qu'il propose. La concordance des deux langues est remarquable. Le latin chimique semble être, en réalité, un français latinisé. Cependant, 25 ans le séparent de la première nomenclature française, il pense donc nécessaire de lui apporter quelques corrections.
Pour lui, comme pour Lavoisier, toute la chimie s'organise autours de l'oxygène, il ne touche donc pas au terme d'oxygène, pourtant si controversé. Parmi les dénominations qu'il propose et qui rompent avec le français on peut noter :
Proposition latine de Berzelius
Nomenclature française
Symbole
international
Stibium
Antimoine
Sb
Aurum
Or
Au
Wolframium
Tungstène
We
Stannum
Etain
Sn
Natrium
Sodium
Na
Kalium
Potassium
K
Concernant les deux dernières dénominations, il explique : "On s'est servi dans la nomenclature française, pour désigner les alkalis purs, des mêmes noms que pour les alcalis du commerce. De là des inconvénients, lorsqu'on est obligé de parler de ces substances alcalines. De plus, le mot potasse qui dérive d'un mot allemand et suédois, lequel veut dire cendre de pot, ne se laisse pas trop latiniser sans trop de violence. C'est pourquoi les chimistes allemands ont été conduits à remplacer le mot potasse pure par celui de kali, et le mot de soude pure par celui de natron, et par conséquent à appeler kalium et natrium les radicaux des alcalis fixes. L'on fera bien, je crois, de les conserver dans la nomenclature latine."
Il est effectivement étonnant de constater que, si les Allemands et suédois ont abandonné potasse, les Français l'ont conservé, estimant, quant à eux, que ce n'était pas lui faire violence que de le latiniser. Pour les chimistes français, la lettre K symbolise donc le potassium. De même le sodium des français est symbolisé par Na. Les mots français du "commerce" ont parfois la vie longue. Les mots soude, potasse, ammoniaque sont encore présents dans les manuels de chimie de l'hexagone.
Ce récit nous a amenés, à plusieurs occasions, à utiliser, dans un souci de clarification, les notations modernes : O2, H2, H2O, K, Na… Ce symbolisme, devenu le langage universel de la chimie, est le plus beau des cadeaux laissé par Berzelius à ses successeurs.
Symboles et équations chimiques.
Berzelius rappelle le temps des signes alchimiques "créés par le besoin de s'exprimer d'une matière mystique et incompréhensible pour le vulgaire". Jugement sévère car dans le même temps il reconnaît le choix judicieux des signes proposés par les réformateurs "antiphlogistiques" français alors que ceux-ci s'étaient, eux-mêmes, largement inspirés des signes alchimiques.
Quoi qu'il en soit, il considère qu'un signe introduit une inutile difficulté car, dit-il, "il est plus facile d'écrire un mot en abrégé que de dessiner une figure". D'où sa volonté de proposer d'autres signes. Non pas des signes "créés dans la vue de les placer, comme les anciens, sur les vases de laboratoire", mais des signes ayant pour objet "de nous mettre en état d'énoncer brièvement et avec facilité le nombre d'atomes élémentaires qui se trouve dans chaque corps composé".
Il choisit donc, comme symboles, les lettres de l'alphabet "pour pouvoir être facilement tracés et imprimés sans défigurer le texte". On prendra "la lettre initiale du nom latin de chaque corps simple" et pour distinguer deux corps dont le nom commencerait par la même lettre, il suffira d'y adjoindre les deuxièmes ou troisièmes lettres du nom. Ainsi le soufre sera désigné par le S, le silicium par Si, le stibium (antimoine) par Sb, le Stannum (étain) par Sn. De même l'hydrogène par H, l'Hélium par He, l'Hydrargyrum (mercure) par Hg, l'Holmium par Ho..
Pour les molécules contenant plusieurs atomes identiques, leur nombre sera indiqué par un exposant. Ainsi pour l'eau : H2O, pour le "gaz carbonique" : CO2. Le symbole a traversé le temps avec comme seule modification la transformation de l'exposant en un indice : H2O, CO2...
L'ensemble des propositions de Berzelius peuvent être considérées comme le couronnement de la réforme de la nomenclature chimique initiée 25 ans plus tôt par les chimistes français. Si, pour nos contemporains H2, O2, H2O, CO2, sont bien autre chose que des signes cabalistiques, c'est à Guyton de Morveau, à Lavoisier et à Berzelius que nous le devons.
L’hydrogène, le premier corps du tableau de Mendeleïev.
Pour présenter leur nomenclature, Guyton de Morveau, Lavoisier, Fourcroy avaient choisi de la résumer sous forme de tableaux. Les travaux de Berzelius et de ses contemporains sur les masses atomiques des éléments, sur la composition et les formules des corps, invitaient eux aussi à de telles représentations. De nombreuses tentatives seront faites avant que celle proposée par le Russe Mendeleïev ne s'impose.
Dimitri Ivanovitch Mendeleïev (1834-1907) est issu d'une famille pauvre de Sibérie. Après des études de chimie à l'université de Saint Petersburg, il fait un séjour à Paris et à Heidelberg où il participe aux travaux de Robert Bunsen et de Gustav Kirchhoff. De retour dans son pays, il devient, en 1863, professeur de chimie à l'université de Saint Petersburg.
Il se raconte que c'est dans le but de rédiger un manuel à l'usage de ses étudiants qu'il a cherché à classer le nombre important des corps, alors connus, dans un tableau dont la simple lecture permettrait de reconnaître les propriétés de chacun. La première version du tableau paraît en 1869.
Mendeleïev remarque d'abord que les propriétés de corps bien connus comme l'oxygène, l'azote, le carbone, peuvent se rencontrer dans d'autres corps. Parmi ces propriétés communes, la "valence" de ces éléments, c'est-à-dire le nombre de liaisons qu'ils peuvent former avec d'autres atomes et en particulier avec les atomes d’hydrogène.
L'hydrogène, comme le chlore, est monovalent. L'oxygène, et le soufre sont dits bivalents. Ils peuvent s'unir à deux atomes d'hydrogène pour donner l'eau (oxyde d'hydrogène) H2O ou le sulfure d'hydrogène H2S. L'azote comme le phosphore, donnant les composés NH3 et PH3, seront trivalents. Le carbone comme le silicium (CH4 et CO2 ou et SiH4 et SiO2) sont tétravalents. Il est donc possible, à partir de la valence, de constituer des "groupes d'éléments semblables".
Mendeleïev remarque par ailleurs que "les éléments ont une propriété exactement mesurable, c'est leurs poids atomique". Il lui semble donc naturel "de chercher une relation entre les propriétés analogues des éléments d'une part et leur poids atomique d'autre part". C'est en notant tous les éléments dans l'ordre croissant de leur poids atomique qu'il remarque la répétition périodique des propriétés des corps.
Plus précisément dit-il, "en disposant les éléments d'après la grandeur croissante de leur poids atomique en colonnes verticales, de façon à ce que les lignes horizontales contiennent des éléments analogues, eux-mêmes classés par poids atomique croissant, on obtient le tableau suivant duquel peuvent être déduites des conclusions générales".
Première version du tableau de Mendeleïev avec sa disposition verticale. 1869.
Mendeleïev remarque d'abord que les propriétés de corps bien connus comme l'oxygène, l'azote, le carbone, peuvent se rencontrer dans d'autres corps. Parmi ces propriétés communes, la "valence" de ces éléments, c'est-à-dire le nombre de liaisons qu'ils peuvent former avec d'autres atomes.
L'hydrogène, comme le chlore, est monovalent. L'oxygène, et le soufre sont dits bivalents. Ils peuvent s'unir à deux atomes d'hydrogène pour donner l'eau (oxyde d'hydrogène) H2O ou le sulfure d'hydrogène H2S. L'azote comme le phosphore, donnant les composés NH3 et PH3, seront trivalents. Le carbone comme le silicium (CH4 et CO2 ou et SiH4 et SiO2) sont tétravalents. Il est donc possible, à partir de la valence, de constituer des "groupes d'éléments semblables".
Mendeleïev remarque par ailleurs que "les éléments ont une propriété exactement mesurable, c'est leurs poids atomique". Il lui semble donc naturel "de chercher une relation entre les propriétés analogues des éléments d'une part et leur poids atomique d'autre part". C'est en notant tous les éléments dans l'ordre croissant de leur poids atomique qu'il remarque la répétition périodique des propriétés des corps.
Plus précisément dit-il, "en disposant les éléments d'après la grandeur croissante de leur poids atomique en colonnes verticales, de façon à ce que les lignes horizontales contiennent des éléments analogues, eux-mêmes classés par poids atomique croissant, on obtient le tableau suivant duquel peuvent être déduites des conclusions générales".
Il tire, de l'observation de ce tableau, une liste de huit conséquences.
1 – Les éléments disposés d'après la grandeur de leur poids atomique présentent une périodicité de des propriétés.
2 – Les éléments qui se ressemblent par leurs fonctions chimiques ont des poids atomiques proches (Pt, Ir, Os) ou bien croissant uniformément (K, Rb, Cs).
3 – La disposition des éléments ou de leurs groupes d'après la grandeur du poids atomique correspond à leur valence.
4 – Les corps simples les plus répandus sur Terre ont un poids atomique faible et tous les éléments à poids atomiques faibles sont caractérisés par des propriétés bien tranchées. Ce sont des éléments typiques.
5 – La grandeur du poids atomique détermine le caractère de l'élément.
6 – Il faut attendre la découverte de plusieurs corps simples encore inconnus, ressemblant, par exemple, à Al et Si et ayant un poids atomique 65-75.
7 – La valeur du poids atomique d'un élément peut, quelquefois, être corrigée si l'on connaît ses analogues. Ainsi le poids atomique de Te n'est pas 128 mais doit être compris entre 123 et 126.
8 – Certaines analogies des éléments peuvent être découvertes d'après la "grandeur du poids de leurs atomes".
La conséquence la plus remarquée de cette "loi de périodicité" est la prédiction de nouveaux éléments (ceux qui sont marqués dans le tableau par un point d'interrogation) avec leur poids atomique supposé et même leurs propriétés chimiques.
Elément prédit
Elément trouvé
Poids atomique réel.
? 45
scandium
44,96
? 68
gallium
69,72
? 70
germanium
72,64
? 180
hafnium
178,49
Quelques exemples de corps prédits par Mendeleïev
Rapidement le tableau a été modifié : les colonnes sont devenues lignes horizontales et les horizontales verticales.
Forme actuelle du tableau de Mendeleïev.
Il faudra attendre la connaissance de la structure interne des atomes et l'avènement de la "physique quantique" pour que la raison de ces propriétés s'éclaire. Notons surtout que le "professeur" Mendeleïev avait réellement inventé l'outil nécessaire à ses élèves.
Louis-Bernard Guyton de Morveau, né à Dijon en 1737, avocat au parlement de Dijon, est un scientifique reconnu. Membre de l’académie de sa ville, il est le correspondant de plusieurs célèbres chimistes européens, dont Scheele et Bergman avec lequel il partage la volonté de réformer le langage alors utilisé en chimie.
Le constat est simple : cette science qui a enfin réussi à s’imposer dans les académies emploie une langue à peine sortie des grimoires alchimistes. « Il n’est point de science, regrette-t-il, qui exige plus de clarté, plus de précision, & on est d’accord qu’il n’en est point dont la langue soit aussi barbare, aussi vague, aussi incohérente.» La liste de ces barbarismes est effectivement édifiante. On y rencontre de l’huile de vitriol, de la crème de chaux, du beurre d’arsenic, du foie de soufre, du safran de Mars, de la lune cornée, des éthiops, des kermès …
Depuis 1780, Guyton de Morveau est chargé de rédiger l’article « Chymie » de l’Encyclopédie méthodique de Charles-Joseph Panckouke qui fait suite à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Il a lu l’essentiel de ce qui a été publié par ses confrères européens. Cette lecture l’a conforté dans l’idée qu’un langage commun s’impose.
A Paris, d’autres chimistes partagent le même objectif et une autre réforme du vocabulaire est en marche : celle de Lavoisier et de ses collègues académiciens qui s’appuient sur la base théorique du principe oxygine, très différente de celle de Macquer, Bergman et Guyton de Morveau, tous partisans du phlogistique. La concurrence est sévère. Même si la théorie de Lavoisier a des partisans parmi les collègues bourguignons de Guyton de Morveau, cela ne l’empêche pas de se montrer circonspect. Pourtant, trois ans plus tard, c’est avec Lavoisier qu’il présentera la Méthode de nomenclature chimique qui bannira le phlogistique de l’univers de la chimie.
Le groupe des « chimistes français ».
Influent à l’Académie des sciences, Lavoisier (1743-1794) a su attirer autour de lui des collaborateurs efficaces et enthousiastes qui soutiennent sa théorie : Antoine-François Fourcroy (1755-1809), Jean-Henri Hassenfratz ( 1755-1827), Pierre Auguste Adet (1763-1834). C’est ce groupe qui accueille Guyton de Morveau quand il vient à Paris en février 1787 avec son projet de nomenclature déjà bien avancé. Avec lui, ils rédigent la nouvelle Méthode de nomenclature chimique présentée à l’assemblée publique de l’Académie des sciences du 17 avril 1787.
Naissance de l’oxygène, de l’hydrogène et de l’azote.
Les nomenclateurs ont divisé les substances en cinq classes : les « principes » qui résistent à l’analyse, les radicaux des acides, les métaux, les terres, les alcalis. La première classe comprend cinq « principes ». Les deux premiers sont la lumière et le calorique (la chaleur). Étant émis ou absorbés dans les réactions chimiques, ces deux éléments sont donc considérés comme de véritables éléments chimiques. Les trois suivants sont les trois gaz que leur histoire a, jusqu’à présent, baptisés des noms d’« air déphlogistiqué », d’« air phlogistiqué » et d’« air inflammable ».
Quand l’air déphlogistiqué devient gaz oxygène.
Le nom d’« air déphlogistiqué », déclare Guyton de Morveau, reposait sur une simple hypothèse : oublions-la ! "Au mieux peut-on, dit-il, continuer à parler d’« air vital » à chaque fois « que l’on aura à indiquer simplement la portion de l’air atmosphérique qui entre tient la respiration et la combustion". Mais cette dénomination ne pouvait suffire pour un corps que non seulement on trouvait à l’état de gaz dans l’air, mais qui entrait également dans la composition de nombreux corps. « Nous avons satisfait à ces conditions en adoptant l’expression “ oxygène”, en la tirant, comme M. Lavoisier l’a dès longtemps proposé, du grec οξνς, “acide” & γειυοµαι, “j’engendre”, à cause de la propriété bien constante de ce principe, base de l’air vital, de porter un grand nombre de substances avec lesquelles il s’unit à l’état d’acide, ou plutôt parce qu’il paraît être un principe nécessaire à l’acidité »
Quand le gaz inflammable devient hydrogène.
« Il est le seul qui produise de l’eau par sa combinaison avec l’oxygène… nous l’avons appelé hydrogène, c’est-à-dire engendrant l’eau. »
Quand l’air phlogistiqué devient azote.
« M. Berthollet a prouvé qu’il existait dans l’alcali volatil & dans les substances animales ; il est probable que les alcalis fixes le contiennent aussi : on aurait pu d’après cela le nommer alcaligène, comme M. de Fourcroy l’a proposé. »
Faisant remarquer que ce corps intervient également dans la composition d’acides, Guyton de Morveau considère ce nom comme inadapté. « Dans ces circonstances, nous n’avons pas cru pouvoir mieux faire que de nous arrêter à cette autre propriété de l’air phlogistiqué, qu’il manifeste si sensiblement, de ne pas entretenir la vie des animaux, d’être réellement non vital… et nous l’avons nommé azote, de l’α privatif des Grecs & de ζωή, « vie ». Il ne sera pas difficile après cela d’entendre et de retenir que l’air est un composé de gaz oxygène & de gaz azotique. »
Oxygène, hydrogène, azote… Reste le charbon qui pose un nouveau problème. Soufre, phosphore, azote, désignent des corps que l’on peut obtenir dans un état de pureté satisfaisant. Par contre, la combustion du charbon laisse des cendres. Les nomenclateurs proposent d’appeler « carbone » l’élément qui, dans le charbon, se lie à l’oxygène lors de sa combustion. Ce carbone qui, lié à l’hydrogène, sera bientôt considéré comme l’ossature de la matière vivante.
L'expérience répond à une demande, faite par le Roi à l'Académie des Sciences, de trouver "les moyens les plus économiques de faire de l’air inflammable en grand" pour gonfler les premiers aérostats militaires.
Réalisée en compagnie de Jean-Baptiste Meusnier, elle consiste à faire passer un courant de vapeur d'eau dans un "canon" de fer porté au rouge. Le montage est inspiré de celui déjà utilisé par Stephen Hales pour étudier les airs dégagés des végétaux et tissus animaux et repris par Joseph Priestley. L'eau est amenée dans un canon de fer chauffé sur des charbons ardents :
Expérience de décomposition de l'eau.
Mémoires de l'Académie des Sciences 1784.
"Cet appareil nous a donné lieu de faire les observations qui suivent si, lorsque le canon de fusil est rouge et incandescent, on y laisse couler de l’eau goutte à goutte et en très-petite quantité, elle s’y décompose en entier, et il n’en ressort aucune portion par l’ouverture inférieure du canon ; le principe oxygine de l’eau se combine avec le fer et le calcine ; en même temps le principe inflammable aqueux, devenu libre, passe dans l’état aériforme, et avec une pesanteur spécifique qui est environ de deux vingt-cinquièmes de celle de l’air commun".
L'eau est donc bien un composé de principe oxygine et de principe inflammable aqueux.
L'eau n'est pas un élément. Sa synthèse.
Dans un mémoire lu devant l'Académie des Sciences, Lavoisier décrit l'expérience qu'il a réalisée sur la synthèse de l'eau.
Le montage consiste en un ballon de verre dans lequel arrivent deux conduites amenant, l'une le gaz inflammable, l'autre le principe oxygine. Le tout étant enflammé par une étincelle électrique.
"Ce fut le 24 juin 1783 que nous fîmes cette expérience, M. de Laplace et moi, en présence de MM. le Roi, de Vandermonde, de plusieurs autres académiciens, et de M. Blagden, aujourd’hui secrétaire de la Société royale de Londres ; ce dernier nous apprit que M. Cavendish avait déjà essayé, à Londres, de brûler de l’air inflammable dans des vaisseaux fermés, et qu’il avait obtenu une quantité d’eau très-sensible."
Montage utilisé par Lavoisier pour la synthèse de l'eau.
Traité élémentaire de chimie. 1789.
"Nous commençâmes d’abord à chercher, par voie de tâtonnement quelle devait être l’ouverture de nos robinets pour fournir la juste proportion des deux airs ; nous y parvînmes aisément en observant la couleur et l’éclat du dard de flamme qui se formait au bout de l’ajutoir ; la juste proportion des deux airs donnait la flamme la plus lumineuse et la plus belle. Ce premier point trouvé, nous introduisîmes l’ajutoir dans la tubulure de la cloche, laquelle était plongée sur du mercure, et nous laissâmes brûler les airs jusqu’à ce nous eussions épuisé la provision que nous en avions faite :
Dès les premiers instants, nous vîmes les parois de la cloche s’obscurcir et se couvrir de vapeurs ; bientôt elles se rassemblèrent en gouttes, et ruisselèrent de toutes parts sur le mercure, et, en quinze ou vingt minutes, sa surface s’en trouva couverte.
L’embarras était de rassembler cette eau ; mais nous y parvînmes aisément en passant une assiette sous la cloche sans la sortir du mercure, et en versant ensuite l’eau et. le mercure dans un entonnoir de verre : en laissant ensuite couler le mercure, l’eau se trouva réunie dans le tube de l’entonnoir ; elle pesait un peu moins de 5 gros.
Cette eau, soumise à toutes les épreuves qu’on put imaginer, parut aussi pure que l’eau distillée : elle ne rougissait nullement la teinture de tournesol ; elle ne verdissait pas le sirop de violettes ; elle ne précipitait pas l’eau de chaux ; enfin, par tous les réactifs connus, on ne put, y découvrir le moindre indice de mélange."
Cette dernière remarque est d'importance. Le principe oxygine aurait donc généré, non pas un acide qui rougirait la liqueur de tournesol, mais une eau parfaitement pure !
L'observation aurait dû amener à une révision, ou du moins à une inflexion, de la théorie. La contradiction est pourtant passée sous silence. Ce qui compte alors, c'est de pouvoir revendiquer d'avoir été le premier à prouver que l'eau est un corps composé, d'en avoir caractérisé les composants et d'en avoir mesuré les proportions.
"Cette seule expérience de la combustion des deux airs, et leur conversion en eau, poids pour poids, ne permettait guère de douter que cette substance, regardée jusqu’ici comme un élément, ne fût un corps composé ; mais, pour constater une vérité de cette importance, un seul fait ne suffisait pas ; il fallait multiplier les preuves, et, après avoir composé artificiellement de l’eau, il fallait la décomposer : je m’en suis occupé pendant les vacances de 1783, et j’ai rendu compte très-sommairement du succès de mes tentatives, dans un mémoire lu à la rentrée publique de la Saint-Martin, et dont l’extrait a été publié dans plusieurs journaux."
Les quatre éléments ont vécu.
Lavoisier a souhaité créer un évènement national qui puisse illustrer de façon spectaculaire l'aboutissement de sa théorie. Longuement préparée, la démonstration a lieu en février 1785. Sont invités les académiciens, et le "tout Paris" du monde politique et économique. L'expérience dure deux jours. L'eau est d'abord décomposée par le procédé du canon de fer chauffé. L'hydrogène ainsi obtenu est ensuite enflammé dans un courant d'oxygène et l'eau obtenue pesée.
Comme s'il n'avait été conçu que pour cette seule expérience, tout le matériel du laboratoire de Lavoisier est mis en œuvre. Son objectif est atteint : impressionner les témoins et les convaincre de la réalité des propositions de son auteur. Rapidement la démonstration provoque le ralliement de membres importants de la communauté scientifique à commencer par Berthollet qui occupe, cette année là, la fonction de Directeur annuel de l'Académie des Sciences. Autour de Lavoisier commence à se constituer le groupe de ceux qui deviendront les "chimistes français".
1785 marque la fin de la doctrine des quatre éléments. Lavoisier est celui qui lui a donné le coup de grâce. Il a exclu le feu principe, le phlogistique, de la chimie. L'air est devenu un mélange du principe oxygine avec une moufette, l'eau un composé de principe oxygine et de principe inflammable aqueux.
Le "principe oxygine" n'est pas encore l'oxygène, le "principe inflammable aqueux" attend de devenir l'hydrogène. La théorie a encore besoin de s'affermir, le vocabulaire de s'éclairer. Vient, alors, la rencontre avec Guyton de Morveau et l'établissement de la nouvelle Méthode de Nomenclature Chimique.
Avec les travaux de Hales, Cavendish, Priestley, d'autres "airs" révèlent leur existence. Sur la piste qui mène à l’hydrogène, il nous faut suivre la découverte d’un "air" nécessaire à la vie, l'oxygène.
Priestley (1733-1804), le phlogistique et l'air déphlogistiqué.
Une expérience, menée par Priestley, sur la combustion des métaux a été souvent reproduite.
" J'ai suspendu des morceaux de plomb et d'étain dans un volume donné d'air… En dirigeant sur eux le foyer d'un miroir ardent ou d'une lentille, de façon à les faire se consumer copieusement, j'observai une diminution de l'air. Dans le premier essai que j'ai réalisé, j'ai réduit quatre onces d'air jusqu'à trois, ce qui est la plus forte diminution de l'air commun que j'aie jamais observé auparavant".
Le mode opératoire est astucieux. Le résultat, cependant, étonne l'observateur. Celui-ci est un partisan résolu de la théorie du phlogistique. Il faut donc que du phlogistique se soit dégagé du métal pendant sa combustion. Alors pourquoi cette diminution importante du volume d'air ?
Il imagine que le phlogistique a pour effet de rendre l'air moins élastique et donc de le faire se contracter. Ainsi le modèle sera sauf. Sa fidélité à la théorie de Stahl l'empêche de voir qu'une partie de l'air s'est combinée au métal. Le mérite en reviendra à d'autres.
Il ne saura pas, non plus, exploiter une autre expérience pourtant bien plus révélatrice. Pour celle-ci, il utilise l'oxyde rouge du mercure, désigné comme précipité per se, dont on sait, depuis les alchimistes, que, fortement chauffé, il retourne au mercure initial. Il place cet oxyde rouge sous une cloche renversée sur une cuve à eau et le porte à une haute température au moyen d'une lentille concentrant les rayons du soleil. Comme prévu, le mercure métallique réapparaît mais, de plus, le volume d'air s’accroît.
Remarquable ! Dans ce nouvel air une chandelle ne s'éteint pas. Bien au contraire son éclat est plus vif. Un charbon dont un point est porté au rouge y brûle avec force étincelles. Priestley nomme "air très pur", cet air plus actif que l'air ordinaire avant de l'appeler air déphlogistiqué.
Son explication : Pour que la "chaux" rouge du mercure (mercure déphlogistiqué) redevienne métal, elle doit capter du phlogistique. C'est donc une fraction de l'air qui le lui procure. Cet air est alors devenu "négatif" en phlogistique : c'est de l'air déphlogistiqué.
Chaux de mercure + air -> mercure + air déphlogistiqué
Cet "air déphlogistiqué", comment favorise-t-il les combustions ? Ayant perdu son phlogistique il tend donc à en extraire, avec plus de vivacité que l'air ordinaire, des corps qui en sont riches, comme le charbon ou le suif d'une chandelle. Le résultat de ceci est de rendre leurs combustions plus vives.
Le volume de l'air augmente ? Il n'est pas interdit de penser que l'air "déphlogistiqué" est plus "élastique" que l'air ordinaire et occupe un plus grand volume à la pression ambiante.
Les explications ne manquent pas d'une certaine logique. Pourtant si, par cette expérience et cette observation, il peut prétendre partager le titre de "découvreur" de l'oxygène, la vraie nature de ce gaz lui échappe.
Ces mêmes expériences sur la combustion des métaux et sur la décomposition de l'oxyde de mercure, réinterprétées, mèneront Lavoisier sur la voie de la composition de l'air et de la compréhension du mécanisme des combustions.
Lavoisier utilisera un montage analogue à celui de Priestley
Traité élémentaire de chimie. 1789.
Mais avant d'y arriver et afin de poursuivre le récit de cette "course aux airs", il nous faut quitter l'Angleterre pour la Suède où officie Karl-Wilhem Scheele.
Karl-Wilhelm Scheele ( 1742-1786) et l'air du feu.
Après avoir été apprenti apothicaire, Karl-Wilhelm Scheele se forme en autodidacte et devient pharmacien à Stockholm avant de rejoindre Uppsala où il suit un parcours universitaire sous la direction du chimiste Torben Olof Bergman avant d'être admis à l'Académie Royale des Sciences de Suède.
On lui attribue la découverte de nombreux acides, dont certains toxiques comme l'acide cyanhydrique, ou encore celle du chlore qu'il considère comme de l'acide marin (acide chlorhydrique) déphlogistiqué. La fréquentation de ces produits ayant probablement contribué à sa mort prématurée.
En 1777, il publie son "Traité chimique de l'air et du feu" dans lequel il fait part de sa découverte du nouvel "air" qui, décrit au même moment par Priestley, sera ensuite interprété par Lavoisier comme étant l'oxygène :
"L'examen de l'air a toujours été un des objets principaux de la Chimie : aussi ce fluide élastique est-il doué de tant de propriétés particulières, qu'il met ceux qui s'en occupent à portée de faire souvent des découvertes. Nous voyons que le Feu, ce produit si admirable de la chimie, ne saurait exister sans l'air. Pourrais-je m'être trompé en entreprenant de démontrer dans ce Traité, qui n'est qu'un Essai Chimique sur la doctrine du Feu, qu'il existe dans notre atmosphère un air que l'on doit regarder comme une partie constituante du Feu, en ce qu'il contribue matériellement à la flamme, & que, par rapport à cette propriété, j'ai nommé "Air de Feu" (Le terme allemand de Feuerluft sera généralement conservé par les chimistes européens). (Traité chimique de l'air et du feu, traduction, Paris 1781).
Plus précisément, explique-t-il, l'air serait composé de "deux espèces différentes l'une de l'autre : l'une s'appelle Air vicié, parce qu'il est absolument dangereux et mortel, soit pour les animaux, soit pour les végétaux et qu'il altère, en partie, toute la masse de l'air ; l'autre au contraire s'appelle Air pur ou Air de feu, parce qu'il est tout à fait salutaire, & qu'il entretient la respiration, conséquemment la circulation du sang."(Mémoires de l'Académie des Sciences de Stockholm - 1779).
Pour mesurer les proportions de ces deux airs, Scheele imagine un montage ingénieux :
Scheele, Mémoire de l'Académie des sciences de Stockholm, 1779.
"Je mis au fond du vase A un support formé d'un tuyau de verre fixé sur un petit piédestal de plomb ; l'extrémité supérieure du tuyau portait un petit plateau horizontal, sur lequel je plaçai le petit vaisseau C, rempli du mélange de limaille de fer et de soufre". (ce mélange, quand on l'humecte d'eau, était classiquement considéré comme capable de libérer une quantité importante de phlogistique. On sait, aujourd'hui qu'il est oxydé par l'oxygène de l'air)
"Je reversais sur le tout le verre cylindrique D, & je remplis d'eau le vaisseau A."
Progressivement l'eau monte dans le tube et se stabilise au bout de quelques heures. Le mélange de fer et de soufre prenant alors l'aspect d'une "chaux".
Comment expliquer la diminution du volume d'air enfermé dans les enceintes où se fait la réaction de combustion ? Priestley imaginait une contraction de l'air sous l'effet du phlogistique, Scheele propose une autre hypothèse : "la combinaison de l'air avec le phlogistique est un composé si subtil qu'il est susceptible de pénétrer les pores imperceptibles du verre et de se disperser en tous sens dans l'air" (Traité du Feu - 1777). Ou plus précisément " lorsque l'air pur rencontre une matière inflammable mise en liberté, il s'en approche, se sépare de l'air vicié, & disparaît, pour ainsi dire, à vue d'œil"(Mémoire de Chimie - 1779)
Le phlogistique échappé du métal aurait donc pour propriété de faire "disparaître" l'air pur ? A l'évidence, cette diminution de volume de l'air pose un sérieux problème !
L'expérience plusieurs fois répétée semble indiquer à Scheele que la proportion d'air de feu dans l'atmosphère est de 27%, légèrement supérieure, donc, à la valeur estimée actuellement pour l'oxygène (21%).
Après Priestley, Scheele peut donc prétendre au titre de découvreur de l'oxygène mais Lavoisier sera celui qui, après avoir osé combattre la théorie du phlogistique, saura donner une explication claire du phénomène de la combustion et nommer le gaz qui en est l'acteur principal.
Lavoisier (1743-1794). De l'air vital au principe oxygine et à l'oxygène.
Antoine Laurent de Lavoisier naît à Paris en 1743 dans une famille fortunée mais endeuillée par le décès de sa mère quand il a cinq ans. Entre 1754 et 1761 il fréquente le collège des Quatre Nations fondé par Mazarin où il reçoit une formation mathématique de l'abbé Lacaille, astronome, membre de l'Académie dont les "Leçons élémentaires de Mathématiques", plusieurs fois rééditées, formeront de nombreuses générations d'ingénieurs et de scientifiques. Il complète sa formation scientifique par de la physique, aux cours que l'abbé Nollet donne à l'école Royale du Génie de Mézières, par de la botanique au Jardin du Roy avec Bernard de Jussieu, de la chimie avec les conférences de Rouelle, de la minéralogie avec l'académicien Jean-Etienne Guettard qu'il accompagne pour une campagne d'étude de quatre mois dans les Vosges et qui est l'occasion de ses premiers pas en analyse chimique.
Formé à toutes les branches de la physique, il ne fera pas cependant profession de science. Diplômé en droit de l'Université de Paris, il achète, en 1768, année où il est élu à l'Académie des Sciences, une charge de "fermier général". Cette fonction consiste à percevoir des impôts indirects sur le commerce d'un certain nombre de marchandises ( sel, tabac, boissons… ) mais aussi les droits d'octroi à l'entrée des villes. Cette charge, fortement rémunératrice, lui permettra de créer le plus riche laboratoire de l'Europe scientifique et d'y recevoir tout ce qu'elle compte de savants. Elle sera aussi la cause de sa condamnation à mort par un tribunal révolutionnaire en 1794.
En 1775, il devient régisseur des poudres et salpêtres et s'installe à l'Arsenal, à Paris, où son laboratoire, équipé des appareils issus des meilleurs artisans du moment, devient le lieu où se forme une nouvelle génération de chimistes.
1774-1777 : L'air est un mélange de deux fluides.
Lavoisier qui se place dans la continuité des "chasseurs d'air" européens constate le peu d'intérêt pour le sujet en France.
"Un grand nombre de physiciens et de chimistes étrangers s'occupent dans ce moment de recherches sur la fixation de l'air dans les corps et sur les émanations élastiques qui s'en dégagent, soit pendant les combinaisons, soit par la décomposition et la résolution de leurs principes : des mémoires, des thèses, des dissertations de toute espèce, paraissent, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande ; les chimistes français seuls semblent ne prendre aucune part à cette importante question, et, tandis que les découvertes étrangères se multiplient chaque année, nos ouvrages modernes, les plus complets, à beaucoup d'égards, qui existent en chimie, gardent un silence presque absolu sur ce point."( Opuscules physiques et chimiques, 1774).
Souhaitant être le premier à rompre avec ce désintérêt, il reprend les expériences menées en Angleterre. C'est à cette occasion qu'il affiche son originalité.
Je commençai, annonce-t-il "à soupçonner que l'air de l'atmosphère, ou un fluide élastique quelconque contenu dans l'air, était susceptible, dans un grand nombre de circonstances, de se fixer, de se combiner avec les métaux ; que c'était à l'addition de cette substance qu’étaient dus les phénomènes de la calcination, l'augmentation de poids des métaux convertis en chaux, et peut-être beaucoup d'autres phénomènes dont les physiciens n'avaient encore donné aucune explication satisfaisante."
En effet, parmi les questions restées sans réponse, "l'augmentation de poids des métaux convertis en chaux" est le principal problème que pose la théorie du phlogistique.
Rappelons le schéma décrivant la calcination des métaux dans la théorie de Stahl :
Dans la logique de ce modèle, la transformation du métal en "'chaux" devrait donc s'accompagner d'une perte de masse, celle du phlogistique. Or, c'est l'inverse qui se passe et les alchimistes le savaient déjà !
Relevons la principale, et surtout nouvelle, contribution de Lavoisier : lors de la combustion, une partie de l'air se fixe sur le métal. Seule cette hypothèse peut expliquer l'augmentation du poids du métal devenu chaux métallique en même temps que la diminution du volume de l'air.
Et pour aller encore plus loin, cette partie de l'air, responsable des combustions, serait un fluide particulier :
"plusieurs circonstances sembleraient porter à croire que tout l'air que nous respirons n'est pas propre à se fixer pour entrer dans la combinaison des chaux métalliques, mais qu'il existe dans l'atmosphère un fluide élastique particulier qui se trouve mêlé avec l'air, et que c'est au moment où la quantité de ce fluide contenue sous la cloche est épuisée, que la calcination ne peut plus avoir lieu."
Nous arrivons en 1777. Les idées de Lavoisier sur la combustion se précisent. Le 21 mars, il présente à l'Académie des sciences un "Mémoire sur la combustion du phosphore de Kunckel" dans lequel il énonce clairement la proposition que l'air est composé de deux fluides aux propriétés bien différentes.
Toujours en utilisant une cloche retournée sur une cuve à mercure et un "verre ardent" il fait brûler un fragment de phosphore. Il observe :
- "Que, au moment où la combustion s'achève, l'air "n’occupe plus que les quatre cinquièmes ou les cinq sixièmes, tout au plus, de l’espace qu’il occupait avant la combustion."
- Que l'air qui reste "n’est plus susceptible de servir à la respiration des animaux, d’entretenir la combustion ni l’inflammation des corps ; en un mot, il est absolument dans l’état de moufette, et, en conséquence, pour éviter de le confondre avec aucune autre espèce d’air, je le désignerai, dans ce mémoire et dans quelques autres que je publierai à la suite, sous le nom de moufette atmosphérique".
Cette fois, il est acquis pour Lavoisier, que l'air atmosphérique est le mélange de deux "fluides élastiques" : un "air éminemment respirable" et une "moufette" (ou mofette, de l'italien mofetta issu du latin mephitis, exhalaison nauséabonde) incapable d'entretenir la vie.
Lavoisier utilise encore le terme "d'air déphlogistiqué" employé par Priestley pour désigner l'air très pur ou éminemment respirable. Cette nouvelle proposition ne pouvait que convenir aux chasseurs d'air britanniques.
Mais ce n'était que partie remise.
1777. Le Phlogistique n'existe pas.
Dans un mémoire de la même année 1777 "Sur la combustion en général", le ton n'est plus à la conciliation. Les hostilités sont ouvertes par un texte sans concessions pour le phlogistique :
"Si l’on demande aux partisans de la doctrine de Stahl de prouver l’existence de la matière du feu dans les corps combustibles, ils tombent nécessairement dans un cercle vicieux, et sont obligés de répondre que les corps combustibles contiennent de la matière du feu parce qu’ils brûlent, et qu’ils brûlent parce qu’ils contiennent de la matière du feu ; or il est aisé de voir qu’en dernière analyse c’est expliquer la combustion par la combustion.
L’existence de la matière du feu, du phlogistique, dans les métaux, dans le soufre, etc. n’est donc réellement qu’une hypothèse, une supposition, qui, une fois admise, explique, il est vrai, quelques-uns des phénomènes de la calcination et de la combustion ; mais, si je fais voir que ces mêmes phénomènes peuvent s’expliquer d’une manière tout aussi naturelle dans l’hypothèse opposée, c’est-à-dire sans supposer qu’il existe de matière du feu ni de phlogistique dans les matières appelées combustibles, le système de Stahl se trouvera ébranlé jusque dans ses fondements."
Ce premier mémoire est développé dans un second présenté le 5 septembre 1777 sous le titre "Considérations générales sur la nature des acides et sur les principes dont ils sont composés".
Ce nouveau mémoire recèle une surprenante rupture. Alors que la "chasse aux airs" s'est, jusqu'à présent, focalisée sur les réactions de combustion et de réduction des métaux, Lavoisier concentre sa nouvelle offensive sur la formation des acides, qui deviennent, de façon subite et inattendue, le centre de sa nouvelle théorie.
Quand l'air vital devient "air acidifiant" : le principe oxygine.
"J’ai déjà fait part à l’Académie de mes premiers essais sur ce sujet : je lui ai démontré, dans de précédents mémoires, autant toutefois qu’il est possible de démontrer en physique et en chimie, que l’air le plus pur, celui auquel M. Priestley a donné le nom d’air déphlogistiqué, entrait, comme partie constituante, dans la composition de plusieurs acides, et notamment de l’acide phosphorique, de l’acide vitriolique et de l’acide nitreux.
Des expériences plus multipliées me mettent aujourd’hui dans le cas de généraliser ces conséquences, et d’avancer que l’air le plus pur, l’air éminemment respirable, est le principe constitutif de l’acidité : que ce principe est commun à tous les acides, et qu’il entre ensuite dans la composition de chacun d’eux un ou plusieurs autres principes qui les différencient et qui les constituent plutôt tel acide que tel autre.
D’après ces vérités, que je regarde déjà comme très-solidement établies, je désignerai dorénavant l’air déphlogistiqué ou air éminemment respirable dans l’état de combinaison et de fixité, par le nom de principe acidifiant, ou, si l’on aime mieux la même signification sous un mot grec, par celui de principe oxygine, cette dénomination sauvera les périphrases, mettra plus de rigueur dans ma manière de m’exprimer, et évitera les équivoques dans lesquelles on serait exposé à tomber sans cesse, si je me servais du mot d’air."
Un mot grec, oxygine, "principe des acides", vient donc chasser un autre mot grec, phlogistique, "matière du feu". Il faudra encore quelques étapes avant que ce "principe oxygine" devienne "gaz oxygène".
C'est donc à une nouvelle chimie que Lavoisier invite les chimistes, ses contemporains. Il leur reste, dit-il "le champ le plus vaste à parcourir" car "il existe une partie de la chimie toute nouvelle et entièrement inconnue jusqu’à ce jour, et qui ne sera complète que lorsqu’on sera parvenu à déterminer le degré d’affinité de ce principe (l'oxygine) avec toutes les substances avec lesquelles il est susceptible de se combiner, et à connaître les différentes espèces de composés qui en résultent."
Quand naît l'oxygène.
En l'année 1787 est présentée à l'Académie des Sciences la Méthode de Nomenclature chimique présentée par Guyton de Morveau, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy. Leur choix : construire cette nomenclature autour du gaz jusqu'à présent qualifié d'air vital ou principe oxygine. Et d'abord lui donner son nom définitif.
"nous avons satisfait à ces conditions, déclarait Guyton de Morveau dans sa présentation, en adoptant l'expression oxygène, en la tirant, comme M. Lavoisier l'a dès longtemps proposé, du grec οξνς, acide & γείυομαι, j'engendre, à cause de la propriété bien constante de ce principe, base de l'air vital, de porter un grand nombre de substances avec lesquelles il s'unit à l'état d'acide, ou plutôt parce qu'il paraît être un principe nécessaire à l'acidité. Nous dirons donc que l'air vital est le gaz oxygène, que l'oxygène s'unit au soufre, au phosphore pendant la combustion, aux métaux pendant la calcination, etc. Ce langage sera tout à la fois clair et exact. "
Notons cette date : 2 mai 1787. Pour la première fois le mot oxygène vient d'être prononcé dans l'enceinte prestigieuse de l'Académie Royale des Sciences.
Les alchimistes avaient déjà renoncé à considérer la terre comme un simple élément, Lavoisier supprimait de la liste le feu, devenu phlogistique, ainsi que l’air devenu un mélange de deux « gaz » (ainsi qu’il désignait à présent les « fluides aériformes »). Restait l’eau qui deviendra son dernier défi et dont la décomposition le mènera à l’hydrogène.
Deuxième fils du Duc de Devonshire, Henry Cavendish, reçoit, de son oncle, un riche héritage qui lui permet de constituer un laboratoire bien équipé qu’il utilise avec une rigueur peu commune parmi ses contemporains.
Matériel de laboratoire de Cavendish destiné à recueillir les "airs factices".
En 1766, il présente devant l’Association Royale de Londres une communication sur les airs factices.
"Par air factice, je désigne, en général, toute sorte d'air contenu dans d'autres corps sous forme non-élastique, et qui en est extrait par l'action de l'art".
La découverte de l’air inflammable (notre hydrogène) constitue, par sa nouveauté, la partie la plus remarquable de son travail. Voir : Philosophical Transactions, 1766 page 144.
" Je ne connais que trois substances métalliques, à savoir, le zinc, le fer et l'étain, qui génèrent de l'air inflammable par dissolution dans des acides ; et ceci uniquement par dissolution dans l'acide vitriolique dilué, ou dans l'esprit de sel".
Le zinc, le fer et l'étain sont donc les trois métaux, à partir desquels Cavendish produit ce qu'il désigne comme "air inflammable" ( et deviendra notre hydrogène). Ceci uniquement par leur dissolution dans l'acide vitriolique dilué (notre acide sulfurique), ou dans l'esprit de sel (notre acide chlorhydrique). Le zinc, précise-t-il se dissout avec une grande rapidité. Le phénomène avait déjà été observé dès les premiers temps de l'alchimie. Cavendish sera le premier à l'étudier avec méthode.
Notons que que l'action de l'acide chlorhydrique sur le zinc deviendra, jusque aujourd'hui, la façon de préparer de l'hydrogène dans les laboratoires de nos lycées au moyen de l'appareil de Kipp.
Cavendish note aussi que ces réactions se font avec une grande production de chaleur analogue à celle que produit leur combustion.
Quelle explication pour le phénomène ?
"Il semble probable, que, quand l'une ou l'autre des substances métalliques mentionnées ci-dessus sont dissoutes dans l'esprit de sel, ou dans l'acide vitriolique dilué, leur phogisticon s'échappe, sans que sa nature soit changée par l'acide, et forme l'air inflammable".
Ainsi, "l'air inflammable" serait donc tout simplement ce "phlogistique" (phlogisticon) dont les métaux sont porteurs.
Un mot sur le phlogistique.
Georg Ernst Stahl (1659-1734) nomme ainsi un "principe du feu" qui serait présent dans tous les corps combustibles.
Ce phlogistique, Stahl le reconnaîtra dans le soufre mais aussi dans le charbon et les corps combustibles comme les résines, les huiles et graisses végétales ou animales. Car, dit-il, ce principe se trouve dans les trois règnes de la Nature "au point qu’il passe immédiatement sans nulle difficulté et en un instant, du règne végétal et du règne animal dans le règne minéral et dans les substances métalliques".
Que se passe-t-il quand brûle un morceau de charbon ? La combustion libère le "phlogistique" qui ira imprégner l’air ambiant, le transformant en "air phlogistiqué". Mais, d’abord, Stahl le verra en œuvre dans les métaux, eux mêmes combustibles. C'est donc ce phlogistique qui s'échappe de ceux-ci quand ils sont dissous dans les acides. Le laboratoire de Cavendish est équipé pour l recueillir et l'étudier.
Place aux expériences.
La combustion de cet air dans l'air commun est donc sa caractéristique majeure. Cavendish ne se contente pas d'une rapide observation. Il souhaite en savoir plus sur cette réaction.
De l'air inflammable est mélangé à de l'air commun dans des proportions différentes dans des flacons. Quand une flamme est présentée à leur orifice, une flamme se produit accompagnée d'un bruit plus ou moins fort. Il constate que, avec une part d'air inflammable et neuf parts d'air commun, aucune inflammation ne se produit quand on approche un papier enflammé de l'orifice du flacon. Avec deux parts pour huit, une flamme et un léger bruit. Avec trois parts pour sept il constate un très fort bruit Il a ainsi réalisé ce "mélange tonnant", souvenir des cours de chimie des collèges et lycée. Le son s'affaiblit de plus en plus quand la proportion d'air augmente dans le mélange.
Proposition d'exercice pour apprenties et apprentis chimistes.
Sachant que la proportion en volume d'oxygène dans l'air est de 21%, calculez le rapport entre volume d'hydrogène et d'oxygène dans le cas le plus favorable à une combustion complète et donc à un fort bruit. Comparez à nos données actuelles.
Quelle densité pour l'air inflammable ?
Cavendish s'est fait une spécificité dans la mesure de la densité des gaz. Nous ne décrirons pas ici les méthodes utilisées. La faible densité du gaz inflammable rend la mesure délicate. Notons que l'expérimentateur conserve comme dernière valeur une densité 9030 fois plus faible que celle de l'eau ou 11 fois plus faible que celle de l'air.
Autre proposition d'exercice : comparer ces résultats avec ceux que nous donneraient nos connaissances actuelles.
Cavendish ne se contente pas de découvrir l'existence de cet "air inflammable" qui deviendra notre hydrogène, il nous en apprend déjà beaucoup sur ses propriétés chimiques et physiques. Il mérite, à plus d'un titre, celui de "découvreur" de l'hydrogène même si il faut attendre Lavoisier pour que sa véritable nature soit révélée.
Joseph Priestley (1733-1804) : l'air inflammable extrait des matières végétales.
Dans son ouvrage "Expériences sur diverses espèces d'air, Paris 1777", Priestley n'apporte pas d'informations nouvelles quant à la nature de "l'air inflammable" décrit par Cavendish. Son intérêt réside dans son nouveau mode de production : il extrait cet air de toutes matières qu'il considère comme inflammables, en chauffant celles-ci, comme sur le modèle de Hales, dans un canon de fusil, c'est à dire de fer.
"J'ai fait en général l'air inflammable de la manière décrite par M. Cavendish dans les Transitions Philosophiques, au moyen du fer, du zinc ou de l'étain ; mais surtout des deux premiers parce que le procédé en est moins embarrassant : mais lorsque j'ai voulu l'extraire des substances végétales ou animales, ou des charbons, j'ai mis ces matières dans un canon de fusil à l'origine duquel je luttais un tuyau de verre ou de pipe qui avait une vessie liée à son autre extrémité pour retenir l'air produit ; à moins que je le fisse passer immédiatement dans un vaisseau rempli de mercure [.] Je crois qu'il n'y a aucune substance végétale ou animale quelconque, ni aucun minéral parmi ceux qui peuvent s'enflammer, qui ne fournisse de l'air inflammable en abondance, lorsqu'on les traite de cette manière, & qu'on les pousse à une forte chaleur.".
La méthode est celle déjà utilisée par Stephen Hales pour extraire d'une multitude de corps ce qu'il caractérise comme de "l'air fixe". Reprenant l'interprétation de Cavendish, Priestley limite l'opération au corps "qui peuvent s'enflammer" c'est à dire riches en "phlogistique". Même s'il obtient de cette façon un dégagement gazeux riche en "air inflammable", il faudra attendre que Lavoisier, en lui empruntant son montage expérimental, en fasse la juste analyse.
Dans les premières années du XIIIème siècle se livre, en Angleterre, une traque aux "airs". Un premier nom l'illustre : celui de Stephen Hales. Connu comme chimiste et physiologiste, il communique en 1727, à la Société Royale de Londres, le résultat de ses expériences sur la physiologie des végétaux. Ces travaux initient une nouvelle façon de recueillir ce que nous désignons aujourd'hui par le mot "gaz" et l'amènent à des observations inédites sur les propriétés de l'air. Buffon qui a lu sa communication trouve indispensable de la traduire. Elle paraît en 1735 sous le titre : "La statique des végétaux et l'analyse de l'air".
Le traducteur est enthousiaste. "L'Angleterre produit rarement d'aussi bonnes choses", écrit-il. "La nouveauté des découvertes et de la plupart des idées qui composent cet ouvrage, surprendra sans doute les Physiciens. Je ne connais rien de mieux dans son genre, et le genre par lui-même est excellent". Il note en particulier le passage sur l'analyse de l'air qui est "le plus bel endroit de son livre" :
"Aurait-on imaginé, écrit-il, que l'air pût devenir un corps solide ? Aurait-on crû qu'on pouvait lui ôter et lui rendre sa vertu de ressort ? Aurions nous pu penser que certains corps, comme la Pierre de la Vessie ou le Tartre sont pour plus des deux tiers de l'air solide et métamorphosé ? "
En effet, à l'occasion de son étude sur la physiologie des végétaux, Hales a entrepris "de faire des recherches profondes, & suivies sur la nature de l'air, & de tacher de découvrir en quoi consiste la qualité qui le rend si important et si nécessaire à la vie & à l'accroissement des végétaux".
Ayant constaté que les végétaux "tirent beaucoup d'air, non-seulement par la racine, mais aussi par le tronc & les branches", il cherche à en extraire cet « air » qu’il désigne par le terme « d’air fixe » car « fixé dans les végétaux.
Pour ce faire, il imagine un montage, qui sera repris par ses successeurs, et qui est proche de ceux que nous utilisons actuellement dans nos laboratoires.
Un montage ingénieux.
Montage destiné à recueillir les gaz
Stephen Hales, Statique des végétaux.
Le corps à analyser est placé dans une cornue disposée sur un foyer. Un tuyau de plomb, fixé à son extrémité, débouche dans un vase qui a été rempli d'eau et retourné sur une cuve à eau. Les gaz dégagés lors de cette "distillation" peuvent y être recueillis. Par cette méthode, Hales obtiendra "de l'air" à partir « du sang, du suif, de la graisse, des pois, du blé de Turquie, de l'anis, de l'eau de vie ». Cet « air fixe » qu’il a ainsi libéré est vraisemblablement un mélange de plusieurs corps gazeux, fidèle à Platon et Aristote il n’y reconnaît que l’un des quatre éléments décrits par la doctrine.
L’auteur extrait même cet air de corps aussi étranges que des écailles d'huître ou des cornes de daim :
" Deux cents quarante et un grains, ou la moitié d'un pouce cubique de la pointe des cornes d'un Daim, distillés dans une retorte de fer, faite d'un canon de mousquet, que j'échauffais jusqu'à feu blanc dans la forge d'un serrurier produisirent 117 pouces cubiques d'air ; c'est-à-dire 234 fois leur volume…".
Noter ici un détail important : l'utilisation, comme cornue, d'un canon de mousquet chauffé au blanc. Ce montage sera régulièrement utilisé par la suite, en particulier par Priestley et Lavoisier et nous verrons que le fer du canon était loin d'être neutre dans ces opérations.
La liste des corps organiques ainsi décomposés est impressionnante. Toute cette accumulation d'expériences amène leur auteur à décrire un « cycle de l’air », passant, alternativement dans les corps, de l’état « fixé » à l’état « élastique »..
"L'on y verra, écrit Hales, que tous les corps contiennent une grande quantité d'air [.] l'on verra que ces particules d'air fixe [.] sont souvent chassées des corps denses par la chaleur ou la fermentation, & transformées en d'autres particules d'air élastique ou repoussant, & que ces mêmes particules élastiques retournent par la fermentation, & quelquefois sans fermentation, à leur forme précédente ; c'est-à-dire deviennent de nouveaux corps denses.
C'est par cette propriété amphibie (souligné dans le texte) de l'air, que se font les principales opérations de la nature".
Par ce caractère "amphibie" de l'air, par ces cycles de décompositions et de recombinaisons, Hales décrit l'air comme un véritable réactif chimique :
"Puisque l'air se trouve en si grande abondance dans presque tous les corps ; puisque c'est un principe si actif et si opératif ; puisque ses parties constituantes sont d'une nature si durable, que l'action la plus violente du feu ou de la fermentation, n'est pas capable des les altérer jusqu'à leur ôter la faculté de reprendre par le feu ou la fermentation, leur élasticité,[.] ne pouvons nous pas adopter ce protée (souligné dans le texte), tantôt fixe, tantôt volatil, & le compter parmi les principes chimiques, en lui donnant le rang que les Chymistes lui ont refusé jusqu'à présent, d'un principe très actif".
Remarquons que la seule qualité de l'air dont il observe la modification au cours des réactions est une propriété physique : son élasticité. Depuis Boyle et Mariotte on considère l'air comme un corps parfaitement élastique dont on a su établir les lois liant son volume et sa pression.
Par la voie expérimentale, Hales estime donc avoir rétabli l'air dans son statut de "principe". Il invite donc la classe des chimistes, ses contemporains, à s'engager dans cette "chimie de l'air" qu'il a initiée.
"Je souhaite que cet essai puisse engager d'autres personnes à travailler dans le même goût ; le champ est vaste, il faut pour le défricher plusieurs têtes et plusieurs mains" devait-il conclure.
Message reçu par ses compatriotes qui construiront, étape par étape, non pas une chimie "de l'air" mais une chimie "des airs". Parmi ceux-ci, Henry Cavendish et Joseph Priestley.
Rappelons que, il y a à peine plus de deux siècles, le mot gaz ne faisait pas partie du vocabulaire des chimistes. A l’origine du mot un médecin adepte des procédés alchimiques.
Jean-Baptiste Van-Helmont (1579-1644) est né à Bruxelles, alors ville des Pays-Bas espagnols. Après des études de philosophie à l’université du duché de Brabant, il étudie l’astronomie, l’algèbre, la géométrie. Il se tourne ensuite vers la médecine dont il obtient le diplôme en 1599.
Rejetant les enseignements de Hippocrate et de Galien, il s’inspire de la médecine pratiquée par Paracelse (1493-1541) et les alchimistes faisant intervenir des remèdes essentiellement issus du monde minéral.
Van-Helmont se singularise par son une opposition à la théorie des quatre éléments de Platon et Aristote qui est encore, à cette époque, à la base de toute réflexion sur la matière.
"Les Anciens, dit-il, ont établi les quatre éléments pour fondement de la nature, & attribuent toutes leurs opérations aux qualités et aux complexions qui résultent de leur mélange. Comme cette doctrine a été nourrie et continuée dans les écoles de siècle en siècle, pour l’enseignement de la jeunesse au préjudice des mortels, aussi faut-il tâcher d’en réprimer l’abus afin qu’on puisse dorénavant reconnaître les erreurs qui se sont glissées par-là envers la cause des maladies."(voir : Les œuvres de Jean-Baptiste Van Helmont)
Un seul élément : l'eau.
Pour Van Helmont, ce ne sont pas quatre mais un seul élément qui génère l’ensemble des corps. Tous, animaux, végétaux et minéraux sont faits uniquement d’eau !
Tous les corps, dit-il, qu’on a cru être mixte, "de quelque nature qu’ils puissent être, opaques ou transparents, solides ou liquides, semblables ou dissemblables (comme pierre, soufre, métal, miel, cire, huile, cerveau, cartilages, bois, écorce, feuilles, etc.) sont matériellement composés de l’eau simple et peuvent être totalement réduits en eau insipide sans qu’il y reste la moindre chose du monde de terrestre". (page 96)
Il ne se contente pas de l’affirmer, il entend le prouver ! Et ceci en faisant appel à l’expérience. Celle-ci, décrite par son traducteur, concerne la croissance des végétaux.
"Il prit un grand vase de terre, auquel il mit 200 livres de terre desséchée au four qu’il humecta avec de l’eau de pluie. Puis il y planta un tronc de saule qui pesait cinq livres. Cinq années après le saule, qui avait cru en ladite terre, fut arraché et se trouva pesant de 169 livres et environ 3 onces de plus.
Le vaisseau était fort ample, enfoncé en terre, et couvert d’une lame de fer blanc étamé percé, en forme de crible, de force petits trous afin qu’il n’y ait que l’eau de pluie ou l’eau distillée seule (de laquelle la terre du vaisseau était arrosée lorsqu’il en faisait besoin) qui y puisse découler. Les feuilles ne furent point pesées parce que c’était en automne quand les feuilles tombent que l’arbre fut arraché.
Il fit derechef ressécher la terre du vase et la terre ne se trouva diminuée que d’environ deux onces qui s’étaient pu perdre en vidant ou emplissant le vaisseau. Donc il y avait 164 livres de bois, d’écorce et de racines qui étaient venues de l’eau." (page 101)
De même dit-il "La terre, la fange, la boue, & tout autre corps tangible tirent leur véritable matière de l’eau et retournent en eau tant naturellement que par art".
Plus important pour la suite de cette histoire : la naissance de la notion de gaz.
L’Idée de la possibilité pour l’eau de se transformer en terre aura une longue vie que même Lavoisier jugera utile de contester. Surtout, Van Helmont observe que tous les corps ne se transforment pas immédiatement en eau. L’exemple le plus remarquable est celui du charbon dont il affirme que, pendant sa combustion, il libère un " esprit sauvage nommé gas ". Cet esprit constituerait d’ailleurs l’essentiel du charbon, car, dit-il "soixante deux livres de charbons consumés ne laissent guère plus d’une livre de cendres. Donc les soixante livres de surplus ne seront qu’esprit".
Ce « gas silvestre », cet « esprit sauvage », Van Helmont le retrouve dans une multitude d’observations. Il se dégage dans les fermentations du vin, de l’hydromel, du pain qui lève. Il s’échappe de la poudre à canon qui s’enflamme. C’est à lui que Van Helmont attribue, avec justesse, les effets funestes de la grotte du chien dans la région de Naples, les suffocations des ouvriers dans les mines ou des vignerons dans les celliers où le vin fermente.Nous avons compris que le "gas silvestre" de Van-Helmont, qui provoque l’asphyxie des vignerons imprudents, est notre CO2.
Lavoisier, qui a lu avec intérêt des œuvres de Van-Helmont, relève particulièrement le mot "gas" dont il note qu’il vient du mot hollandais ghoast qui signifie esprit. Il ajoute que les Anglais "expriment la même idée par le mot ghost et les Allemands par le mot geist". Il lui fallait un mot nouveau pour remplacer le terme « d’état aériforme » des corps. Dans le premier chapitre de son Traité élémentaire de chimie publié en 1789 il l’emprunte à Van Helmont : "presque tous les corps de la Nature sont susceptibles d’exister sous trois états différents ; dans l’état de solidité, dans l’état de liquidité et dans l’état aériforme […] Je désignerai dorénavant ces fluides aériformes sous le nom générique de gaz".
Ainsi naît la notion de gaz, l’un des attribut courant de notre hydrogène. La prochaine étape nous fera visiter les laboratoires de ces premiers « philosophes de la matière » que furent les alchimistes.
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Comme l'art ou la littérature,les sciences sont un élément à part entière de la culture humaine. Leur histoire nous éclaire sur le monde contemporain à un moment où les techniques qui en sont issues semblent échapper à la maîtrise humaine.
La connaissance de son histoire est aussi la meilleure des façons d'inviter une nouvelle génération à s'engager dans l'aventure de la recherche scientifique.