Une grand-mère transmet à son petit-fils le récit d'un siècle de sa Bretagne qui est aussi la nôtre.
De vivants témoignages pour les plus jeunes d'entre nous.
Une délicieuse "Madelaine de Proust" pour les plus anciens.
Coup d’œil sur la quatrième de couverture : "23 avril 2018.Augustine, 97 ans, s’éteint paisiblement dans sa ferme.Quelques semaines plus tard, Régis Delanoë trie les affaires de sa grand-mère et découvre trois cahiers. Elle y avait écrit sa vie marquée par les guerres, la révolution agricole, la désertion des églises, l’émancipation féminine… Les mémoires inédites d’une paysanne née dans une Bretagne sans eau courante ni électricité et décédée à l’heure d’Internet.Convaincu par la richesse de ce témoignage, Régis Delanoë, journaliste et auteur, est parti sur les traces de sa grand-mère. Dans ce livre poignant, il raconte l’histoire d’Augustine et, finalement, celle d’une région tout entière."
Ce que cette brève présentation ne dit pas c'est d'abord la vitalité de la narration. Régis nous décrit les personnages comme les lieux d'une façon telle qu'il nous semble être parmi eux. La recherche documentaire rigoureuse, du journaliste qu'il est, se coule sans rupture dans le récit. Augustine, bonne élève qui a quitté l'école à douze ans pour aider à la ferme, a le beau style de cette génération qui a appris le français à l'école, dans les livres de lecture, et non dans la vie de tous les jours où le gallo était la langue de la famille. Elle y ajoute sa touche personnelle liant anecdotes et pensées profondes. "Tes mémoires méritent un livre. Je vais en faire quelque chose. Et on va l'écrire ensemble" écrit Régis dans son préambule.
C'est du moins ce que laissent entendre depuis quelques années les médias scientifiques ou autres. Finies les énergies carbonées. L'avenir est à l'hydrogène. Heures de gloire pour un élément chimique jusqu'à présent peu mis en lumière. Pourquoi pas un retour aux sources pour retrouver l'histoire de cet élément.
Nous ne détaillerons pas ici le long débat, sur la réalité des atomes. D'un côté les tenants de la réalité physique de ceux-ci, de l'autre les sceptiques qui ne reconnaissent que l'existence d'équivalents chimiques. Parmi ces derniers, Jean-Baptiste Dumas et sa célèbre phrase prononcée en 1836 : "Si j'en étais le maître, j'effacerais le mot atome de la science, persuadé qu'il va plus loin que l'expérience ; et jamais en chimie, nous ne devons aller plus loin que l'expérience" (Dumas Jean-Baptiste, Leçons sur la philosophie chimique professées au collège de France en 1836, Paris, Gauthier-Villars, 1878.)
Il faudra attendre la fin du 19ème siècle pour qu'une expérience, celle réalisée par J. J. Thomson, nous en dise plus sur la structure des atomes et, ainsi, renforçant le camp des atomistes, annonce la fin du débat.
J.J Thomson et l'électron.
Joseph John Thomson (1856-1940) est né près de Manchester. Après avoir étudié au Trinity College de Cambridge et s'être nourri des théories de Maxwell, il est nommé professeur de physique expérimentale à Cambridge et placé à la tête du "Cavendish Laboratory" dans lequel on expérimente, en particulier, sur les "rayons cathodiques" mis en évidence par Crookes.
En 1897, Il publie un article, devenu célèbre, dans lequel il décrit ces rayons comme formés de "corpuscules" arrachés aux atomes. Mesurant le rapport de leur masse à leur charge, il estime qu'ils ont une masse deux mille fois plus petite que celle de l'atome d'hydrogène et qu'ils sont animés d'une vitesse de l'ordre de 200 kilomètres par seconde. Le physicien allemand Emil Wiechert estimera cette vitesse entre le dixième et le cinquième de la vitesse de la lumière soit entre 30 000 kilomètres et 60 000 kilomètres par seconde.
Ces "corpuscules" seront plus tard désignés par le nom d'électrons, un terme initialement créé par le physicien irlandais George Johnstone Stoney en 1874 pour désigner la quantité d'électricité nécessaire à la rupture d'une seule liaison chimique lors de l'électrolyse et qu'il estimait, alors, à 10-20 coulombs (actuellement 1,6. 10-19 coulomb).
Ces "électrons" ont cependant du mal à s'imposer tant leurs propriétés semblent extraordinaires. Un article de la revue "La Nature", daté de 1898, estime que leur énergie pour un seul gramme de matière rayonnée serait équivalente à celle de "10 000 trains de cent tonnes marchant à près de 100 kilomètres-heure". La conviction du monde scientifique sera finalement acquise quand on mettra en évidence l'existence de ces mêmes électrons dans l'effet photo-électrique puis, plus tard, dans le rayonnement radioactif.
La structure de l'atome, de Thomson à Rutherford.
Ayant découvert l'électron, Thomson imagine un modèle d'atome souvent désigné sous le terme de "pudding". Il est constitué d'une sphère de matière positive, relativement peu dense, dans laquelle se déplaceraient des électrons soumis à la fois à leur propre répulsion et à l'attraction des différentes parties de la sphère positive. L'ensemble est, cependant, loin de l'image statique d'un gâteau truffé de grains de raisin. Les électrons se déplacent dans cette sphère à des vitesses prodigieuses.
Pendant plus de dix ans, ce modèle sera perfectionné avant que l'ancien élève de J. J. Thomson, Rutherford, vienne en proposer un autre dont le succès sera tel qu'il occupe encore une place essentielle dans la représentation que se font nos contemporains de la structure d'un atome.
Ernest Rutherford (1871-1937) est le fils d'immigrés écossais installés en Nouvelle Zélande. Il fait ses études dans son pays natal où il s'intéresse, en particulier, à la détection des ondes hertziennes. Profitant d'une bourse d'études, il rejoint J.J. Thomson au Cavendish Laboratory de Cambridge en 1895 et participe avec lui à l'étude des gaz ionisés.
En 1898, il se voit proposer une chaire à l'Université Mc Gill de Montréal. Peu de temps auparavant Becquerel avait découvert les "rayons uraniques". de son côté, Marie Curie avait découvert le radium, corps puissamment radioactif. Rutherford s'empare du sujet et étudie le pouvoir ionisant du rayonnement du radium et son pouvoir de pénétration à travers des plaques métalliques de différentes épaisseurs. Comme Pierre et Marie Curie, il distingue deux rayonnements distincts. L'un, peu pénétrant et très ionisant, qu'il désigne comme rayonnement α. L'autre, plus pénétrant et moins ionisant, le rayonnement β.
Rutherford saura voir que les particules α sont des noyaux d'hélium résultant d'une "transmutation" du corps radioactif les produisant. Chargés positivement, leur énergie cinétique est prodigieuse. A masse égale, Rutherford, les estimera à 600 millions de fois celle d'une balle sortant du canon d'un fusil avec une vitesse de 1 kilomètre par seconde.
Ces projectiles vaudront à Rutherford sa plus célèbre découverte en 1911. Il est alors revenu en Angleterre et est professeur à l'université de Manchester. L'expérience qu'il réalise, en compagnie de Hans Geiger et Ernest Marsden, consiste à bombarder une mince feuille d'or par des particules α devant un écran fluorescent.
Si on s'en tient au modèle de Thomson, d'un atome plein d'une matière positive peu dense, ces particules devraient traverser l'obstacle sans pratiquement être déviées. Or si c'est le cas pour la majorité d'entre elles, une faible proportion (moins de 1 sur 10 000) est déviée, et parfois très fortement. Certaines particules semblent même rebondir vers l'arrière. On prête à Rutherford des phrases traduisant son étonnement : "c'est comme si un boulet de canon rebondissait sur une feuille de papier de soie" aurait-il dit.
Pour interpréter ce phénomène, et respecter la neutralité globale de l'atome, Rutherford imagine un noyau très dense de matière positive où serait concentré l'essentiel de la masse des atomes. Autour de ce centre positif très attractif, les électrons tournent comme des satellites autour d'un astre central. Plus tard on comprendra que ce noyau est lui-même composé de particules positives, les protons, et de particules neutres, les neutrons. Le modèle "planétaire" de l'atome est né.
Dans notre imagerie contemporaine, ce modèle est resté très populaire. L'atome est ce noyau granulaire entouré d'électrons. La représentation de l'hydrogène s'en déduit : l'atome le plus simple qu'on puisse imaginer : un proton. Autour : un seul électron.
Cette image de l'atome introduit un nouveau modèle des ions. Faraday s'était bien gardé de s'aventurer à préciser la nature des ces particules dont la seule propriété qu'il retenait était leur faculté à se déplacer vers l'anode ou la cathode. A présent un anion sera décrit comme un atome devenu électriquement négatif après avoir capté un ou plusieurs électrons. Un cation sera un atome devenu positif par la perte d'un ou plusieurs électrons. Ainsi l'atome d'hydrogène se transformera en un cation, l'ion hydrogène H+, en perdant son seul électron. En fait l'ion H+ est un simple proton.
Ainsi les réactions chimiques, en particulier celles mettant en œuvre l'hydrogène, se traduiront en échanges ou mises en commun d'électrons entre atomes, nous en reparlerons.
L'électricité était présente dans le laboratoire de Lavoisier. En particulier par la machine électrique à friction qui a produit les étincelles avec lesquelles a été enflammé le jet d'hydrogène, brûlant dans l'oxygène, lors de la fameuse expérience de synthèse de l'eau.
Le procédé est ancien et a été inauguré par Volta qui est resté célèbre comme électricien mais a été également un chimiste qui a participé à la "chasse aux airs" aux côtés de Priestley et des chimistes britanniques. Elle sera réalisée avec une extraordinaire facilité quand il aura découvert le premier générateur de courant continu : la pile électrique. Une découverte majeure dont Lavoisier, mort quelques années plus tôt, aurait certainement fait le meilleur des usages.
La naissance du courant continu : la pile de Volta.
Nous ne reprendrons pas ici la découverte par Galvani de l'effet d'un couple de deux métaux différents sur le nerf et le muscle d'une cuisse de grenouille et le débat qui l'oppose à Volta quant à l'interprétation du phénomène. Le premier voyait dans le muscle l'origine de l'électricité produite, le second dans les métaux.
C'est par une lettre adressée le 20 mars 1800 à Joseph Banks, président de la Royal Society de Londres, que Volta fait part au monde des électriciens de la naissance de ce nouvel enfant de la science électrique qu'il vient de mettre au point : « l'appareil dont je vous parle, et qui vous étonnera sans doute, n'est qu'un assemblage de bons conducteurs de différentes espèces, arrangés d'une certaine manière. Vingt, quarante, soixante pièces de cuivre, ou mieux d'argent, appliquées chacune à une pièce d'étain, ou, ce qui est beaucoup mieux, de zinc et un nombre égal de couches d'eau ou de quelque autre humeur qui soit meilleur conducteur que l'eau simple, comme l'eau salée, la lessive, etc. ; ou des morceaux de carton, de peau, etc., bien imbibés de ces humeurs… "
Suit une description précise de l'appareil, un empilement alterné des différents disques, et de ses effets, en particulier sa faculté à donner des "décharges" à toute personne qui en saisit les deux extrémités.
La pile de Volta
(Louis Figuier, Les merveilles de la science)
La lettre de volta est lue devant les membres de la Royal Society le 26 juin mais dès le mois d'avril son contenu était connu des membres de la société. Dès le mois de juillet, le "Journal philosophique de Nicholson" publiait à la fois la lettre de Volta et le récit d'une multitude d'expériences aussitôt exécutées par ceux qui en avaient été informés.
La pile, l'eau, l'oxygène et l'hydrogène.
Parmi ceux-ci un chirurgien, Anthony Carlisle est très attentif à l'invitation expresse de Volta : rechercher tout ce que la pile, "organe électrique artificiel" comparable à celui des poissons torpilles, peut apporter à la médecine et à la physiologie. Des monnaies d'argent, des rondelles de zinc et des rondelles de carton imprégnées d'eau salée lui permettent de monter une colonne de 17 couples. Avec son ami Nicholson, physicien averti, il se propose d'abord de vérifier la polarité de son montage à l'aide d'un électroscope. Voulant améliorer le contact entre le fil relié à l'un des pôles de la pile et le plateau de l'électroscope, il dépose sur celui-ci une goutte d'eau dans laquelle il plonge le fil.
Bons observateurs, les deux amis remarquent, autour du fil, un dégagement de fines bulles d'un gaz dont l'odeur, disent-ils, leur fait soupçonner qu'il s'agit d'hydrogène. L'eau serait-elle décomposée par le fluide électrique ? Le 2 mai de l'année 1800, ils le vérifient en reliant les deux pôles de la pile à un tube de verre de 30 centimètres de longueur et de quinze millimètres de diamètre, rempli d'eau de source et fermé par deux bouchons de liège traversés par un fil de cuivre.
Le tube est vertical, son électrode inférieure est reliée à la plaque d'argent, l'autre à la plaque de zinc. Dans un premier temps rien ne se passe. On rapproche les fils de cuivre et quand ils ne sont plus distants que de cinq centimètres : "une longue traînée de bulles excessivement fines, s'éleva de la pointe du fil inférieur de cuivre qui communiquait avec le disque d'argent, tandis que la pointe du fil de cuivre opposé devenait terne, puis jaune orangé, puis noire".
Après deux heures et demie de ce fonctionnement, le sommet du tube contenait environ un demi-centimètre cube d'un gaz qui, en détonnant avec un mélange d'air, se révélait bien être de l'hydrogène. La base du tube recevait pour sa part un dépôt filamenteux tombant du fil supérieur et qui se révélait être de l'oxyde de cuivre. On pouvait soupçonner que ce composé était le résultat d'une combinaison du métal avec l'oxygène issu de la décomposition de l'eau. Pour le vérifier, il suffisait de remplacer le cuivre par deux fils d'un métal inoxydable comme le platine. Ce qui fut fait.
Comme espéré, un dégagement de gaz se développa, alors, sur chaque électrode. En modifiant le montage il était possible de les recueillir séparément et de constater que le premier était de l'hydrogène et le second de l'oxygène. Possible aussi de mesurer leur volume et de retrouver les proportions établies par Lavoisier pour la composition de l'eau.
Cette première expérience établissait un pont symbolique entre la spectaculaire décomposition chimique de l'eau par le fer porté au rouge, réalisée par Lavoisier et Meusnier à peine vingt ans plus tôt, et celle de la décomposition électrique par la modeste et mystérieuse pile.
La spectaculaire décomposition de l'eau en oxygène et hydrogène au moyen de la pile, ouvre une nouvelle époque pour l'électricité et d'abord pour la chimie. Des noms et des méthodes nouvelles d'analyse en résultent quand Faraday prend le relais.
Faraday (1791-1867), l'électrolyse, les ions.
D'origine modeste (son père est forgeron), Faraday quitte l'école à quatorze ans pour entrer comme courtier chez un libraire. Il en profite pour dévorer tous les livres qui passent à sa portée. Sa culture est bientôt remarquée par un client du magasin qui le recommande à Humphry Davy. Celui-ci l'engage comme assistant, en 1813, au laboratoire de la "Royal Institution". Il entre à la "Royal Society" de Londres en 1824 et, l'année suivante, en devient directeur du laboratoire.
Continuateur de Davy, il propose, dans la septième série de ses "Recherches expérimentales sur l'électricité" datées de décembre 183, 3, le vocabulaire qui est aujourd'hui la norme internationale dans le domaine : électrolyse, électrolyseur, électrolyte, électrode, anode, cathode, ion, anion, cation...
Quand l'hydrogène mesure le courant électrique :
"L'action de décomposition d'un courant est constante pour une quantité constante d'électricité". Telle est la conclusion des multiples expériences réalisées par Faraday qui en déduit la possibilité de construire "un instrument qui, interposé sur le circuit du courant électrique utilisé pour une expérience particulière, pourrait servir, au choix, comme élément de comparaison ou comme réel appareil de mesure de cet agent subtil".
Quel électrolyseur utiliser ?
"Il n'y a pas de substance mieux adaptée, dans les circonstances ordinaires, que l'eau ; car elle est facilement décomposée quand elle est rendue plus conductrice par l'addition d'acides ou de sels."
C'est en mesurant le volume de gaz dégagé, surtout celui de l'hydrogène moins soluble, que Faraday mesure la quantité d'électricité qui a circulé dans un circuit. Il nomme "volta-électromètre", l'appareil de mesure qu'il construit. Le nom sera ensuite contracté en "voltamètre".
Un des modèles de volta-électromètre utilisé par Faraday.
Faraday, Recherches expérimentales sur l'électricité, 1833
L’hydrogène, de l’électrolyse à la pile à combustible.
La réalisation des premières "piles" a amené l'électrolyse et aux électrolyseurs. Par un chemin inverse c'est l'électrolyse qui a inspiré les premières "piles à combustibles". Notons ici que le mot pile a une longue postérité car ce ne sont plus par des empilements métaux différents que sont réalisés les nouveaux générateurs à courant continu.
Une pile à combustible est composée de deux électrodes : une anode qui émet des électrons et une cathode réductrice qui collecte des électrons. Ces deux sont séparées d’un électrolyte central par des catalyseurs. L’électrolyte peut être liquide ou solide, son objectif étant de faciliter le passage des ions.
Dans une pile à hydrogène, l’hydrogène est transformé en électricité. Au sein de l’anode, l’hydrogène est décomposé en électrons et en ions hydrogène, sous l’effet d’un catalyseur. Les ions hydrogène traversent l’électrolyte vers la cathode, tandis que les électrons passent par un circuit électrique, créant ainsi l’énergie électrique qui alimente le moteur électrique et la batterie. Au sein de la cathode, l’oxygène de l’air et les électrons provenant du circuit électrique se recombinent sous l’effet du catalyseur, pour créer des ions oxygène. Lorsque ces derniers rencontrent les ions hydrogène provenant de l’électrolyte, ils forment des molécules d’eau, unique rejet de la pile à combustible. Installée dans une voiture, la pile à combustible génère ainsi un courant électrique qui alimente le moteur ou recharge la batterie, tout comme sur un véhicule électrique.
Des prix Nobel, des intellectuels de renom, tous réunis chaque été sur la pointe bretonne de l’Arcouest, face à l’île de Bréhat au XXe siècle. Ce pan d’histoire aussi exceptionnel que méconnu se découvre sous l’œil de la caméra de Florence Riou.
Hélène Langevin-Joliot, physicienne et petite fille de Marie Curie et Florence Riou, lors du tournage du documentaire en 2022. (Le Télégramme/Régis Nescop)
Florence Riou aime la science et le cinéma. Durant ses études, la Quimpéroise n’a jamais tranché entre ses deux univers. Ses deux passions. Au lycée à Douarnenez, elle avait choisi une option cinéma, bien avant de soutenir une thèse en 2008 à Nantes sur « la diffusion des sciences par le cinéma, des précurseurs à Jean Painlevé ». La suite sera jalonnée d’écrits, de recherches et de documentaires, toujours au croisement de la culture scientifique et de l’histoire. En s’emparant de cette incroyable histoire de l’Arcouest, du nom de cette pointe bretonne, elle s’est donné les moyens de faire un documentaire sur ce qui la passionne : l’affaire Dreyfus, la science et sa diffusion dans la société.
On peut concevoir encore que dans des mains criminelles le radium puisse devenir très dangereux, et ici on peut se demander si l'humanité a avantage à connaître les secrets de la nature, si elle est mûre pour en profiter ou si cette connaissance ne lui sera pas nuisible. L'exemple des découvertes de Nobel est caractéristique, les explosifs puissants ont permis aux hommes de faire des travaux admirables. Ils sont aussi un moyen terrible de destruction entre les mains des grands criminels qui entraînent les peuples vers la guerre. Je suis de ceux qui pensent, avec Nobel, que l'humanité tirera plus de bien que de mal des découvertes nouvelles.
Introduction de son discours au banquet suivant la remise du prix :
Je remercie l’Académie des Sciences du très grand honneur qu’elle m’a fait. Je crois que cet honneur ne s’adresse point uniquement à moi. Pendant de longues années, Pierre Curie et moi avons consacré toutes nos journées aux travaux concernant nos découvertes communes du radium et du polonium. Je crois donc interpréter dans son vrai sens la pensée de l’Académie, en disant que ce prix Nobel qu’on vient de me décerner est aussi un hommage rendu au nom de Pierre Curie.
Qu’on me permette en outre d’exprimer la joie que je ressens en pensant à la radio-activité. La découverte des phénomènes radio-actifs ne date que de quinze ans. La radio-activité est donc une science très jeune. C’est un enfant que j’ai vu naître et que j’ai contribué, de toutes mes forces, à élever. L’enfant a grandi, il est devenu beau. La radio-activité est une science nouvelle qui a des rapports très étroits avec la physique et la chimie mais qui n’en est pas moins absolument distincte. Nous avons aujourd’hui des institutions et des laboratoires pour la radio-activité; de nombreux savants se consacrent à l’étude des phénomènes radio-actifs. Le développement en a été admirable; mais l’on n’aurait pu espérer non plus de plus bel encouragement que celui dont la jeune science a été l’objet de la part de l’Académie des Sciences de Suède qui a décerné trois prix Nobel, un de physique, deux de chimie, aux quatre chercheurs Henri Becquerel, Pierre Curie, Marie Curie et E. Rutherford.
Si, tourné vers le passé, nous jetons un regard sur les progrès accomplis par la science à une allure toujours croissante, nous sommes en droit de penser que les chercheurs construisant ou brisant les éléments à volonté sauront réaliser des transmutations à caractère explosif, véritables réactions chimique à chaînes.
Si de telles transmutations arrivent à se propager dans la matière, on peut concevoir l’énorme libération d'énergie utilisable qui aura lieu. Mais hélas, si la contagion a lieu pour tous les éléments de notre planète, nous devons prévoir avec appréhension les conséquences du déclenchement d'un pareil cataclysme. Les astronomes observent parfois qu'une étoile d'éclat médiocre augmente brusquement de grandeur, une étoile invisible à l’œil nu peut devenir très brillante et visible sans instrument, c'est l’apparition d'une Novae. Ce brusque embrasement de l’étoile est peut-être provoqué par ces transmutations à caractère explosif, processus que les chercheurs s'efforceront sans doute de réaliser, en prenant, nous l’espérons, les précautions nécessaires.
Notre remarque : la fission de l'uranium et la réaction en chaîne ne seront découvertes que quatre ans plus tard.
Les alchimistes ont été violemment dénigrés par les chimistes, leurs successeurs. Pierre Joseph Macquer (1718-1784), considéré comme l’un des "pères" de la chimie moderne va même jusqu’à regretter le reste de filiation qui s’exprime dans ce nom de chimie partagé par les deux disciplines. C’est un mal, écrit-il " pour une fille pleine d’esprit et de raison, mais fort peu connue, de porter le nom d’une mère fameuse pour ses inepties et ses extravagances".
N’y a-t-il cependant pas une certaine ingratitude à renier ces prédécesseurs qui leur ont transmis, entre autres héritages, l’usage de symboles désignant les corps mis en œuvre dans leurs laboratoires. L’alchimie les a reçus d’antiques traditions issues de la Mésopotamie, de l’Assyrie, de la Perse, de l’Égypte et même la Chine ou l’Inde. Entre autres la représentation des quatre éléments sous forme de triangle.
Ou celle des métaux représentés par les signes représentant les planètes dont ils sont supposés tenir leur origine.
Ils figureront également sur une planche de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
En complément de la "Méthode de Nomenclature Chimique" (1787), Jean-Henry Hassenfratz (1755-1827) et Pierre Auguste Adet (1763-1834) proposent eux-mêmes un nouveau symbolisme adapté à la nouvelle façon de nommer et de penser.
Ce symbolisme n’aura pas le même succès que la nomenclature qu’il est sensé représenter et il faudra de longues années avant qu’apparaissent les premières formules chimiques. Et d’abord que se précise la notion « d‘atomes ».
Naissance des atomes.
Atome est un mot hérité des philosophes de la Grèce antique : ἄτομος (atomos), "que l'on ne peut diviser", tel est le nom donné par Démocrite d'Abdère (-460 ; -370) et ses disciples aux particules, séparées par le vide, dont ils imaginaient que l'Univers était constitué. Le mot atome traversera les siècles avec des sens qui évolueront au fil des époques. Des époques plus récentes voient l'usage de molécule ou "petite masse" (du latin moles, masse). C'est le terme généralement utilisé par Lavoisier.
Mais la théorie atomique contemporaine est réputée commencer avec John Dalton (1766-1844). Chimiste et enseignant, il publie, en 1808, "Un nouveau système de philosophie chimique" dans lequel il propose une première représentation atomique de la matière.
Le mot "atome" apparaît à la fin de son texte comme "l'ultime particule" des corps. Contrairement à notre usage actuel, atome est, pour lui, synonyme de ce que, aujourd'hui, nous appelons molécule. il désigne, aussi bien, une particule de corps simple qu'une particule de corps composé, binaire, ternaire ou quaternaire...
Les "équations" proposées par Dalton nous font réellement entrer dans notre chimie contemporaine pour laquelle une réaction est un "mécano" qui permet, à partir d'une centaine de pièces détachées, les atomes, de construire une multitude d'objets de plus en plus complexes, les molécules.
On retient surtout de Dalton l'attribution de symboles aux atomes. Ceux-ci sont associés à leurs "masses atomiques. "C’est l'hydrogène, le moins dense des éléments alors connus qui est choisi comme référence.
Les symboles sont encore fortement inspirés des alchimistes pour lesquels l'Or, "le métal solaire par excellence", était représenté par un simple cercle ou un cercle centré. Est-ce un hasard si c'est par ces signes que Dalton choisit de représenter l'oxygène et l'hydrogène ?
Symboles des "atomes" de différents corps composés proposés par Dalton.
En haut, à gauche, l'eau. Un nouveau système de philosophie chimique, 1808.
En ce qui concerne la schématisation des corps composés, alors que le dioxyde de carbone est correctement noté avec un atome de carbone et deux d'oxygène. La composition correcte de l'eau H2O devra attendre. Sa formule est encore représentée par un atome d'oxygène et un seul d'hydrogène .
De l'atome à la molécule. Quand l'eau devient H2O et le gaz hydrogène H2.
En décembre 1808, peu après la publication du "Nouveau Système de Philosophie" de Dalton, Louis-Joseph Gay-Lussac (1778-1850), partant de l'observation du "rapport exact de 100 de gaz oxygène à 200 de gaz hydrogène" , lors de la décomposition de l'eau, constate que le phénomène est général et que les volumes des gaz qui se combinent sont dans des rapports simples "tels qu'en représentant l'un des termes par l'unité, l'autre est 1 ou 2 ou au plus 3" . C'est bien le cas pour l'hydrogène et l'oxygène qui sont dans un rapport de 1 à 2.
La loi est complétée par Avogadro en 1811 puis Ampère en 1814 qui affirment que "dans les mêmes conditions de température et de pression, des volumes égaux de gaz différents contiennent le même nombre de molécules". Ce qui implique que dans la décomposition de l'eau, l'hydrogène obtenu contienne deux fois plus de molécules que l'oxygène. Ainsi peut-on affirmer, comme le fera Faraday, que les molécules d'eau sont constituées "d'une demi-molécule d'oxygène et de deux demi-molécules d'hydrogène".
La "demi-molécule" d'hydrogène ou d'oxygène nous amène à la conception moderne de l'atome et de la molécule. Les mots équivalents de particule, atome, molécule, ont progressivement évolué. D'un côté les atomes, briques élémentaires, de l'autre les molécules construites à partir de ces atomes. Ainsi les molécules des gaz oxygène ou hydrogène sont formées de deux atomes, ce qui nous amène aux formules contemporaines de O2 et H2 que le vocabulaire récent désigne comme celles du "dioxygène" et du "dihydrogène". Des formules qui nous amènent en Suède.
Symboles, Formules… les nouveaux signes de la chimie.
Jöns Jacob Berzelius (1779-1848) est un personnage de premier plan dans la formation des concepts et des méthodes de la Chimie moderne. Né à Väversunda Sörgård en Suède, fils d'un maître d'école, il se destine à la médecine qu'il apprend à l'université de Uppsala. Rapidement il se consacre à la Chimie qu'il enseigne en parallèle avec la médecine.
Berzelius est un atomiste convaincu : "Les corps étant formés d'éléments indécomposables, doivent l'être de particules dont la grandeur ne se laisse plus ultérieurement diviser et que l'on peut appeler particules, atomes, molécules, équivalents chimiques, etc. Je choisirai de préférence la dénomination d'atome, parce que, mieux qu'une autre, elle exprime notre idée". Notons que, comme Dalton, il ne fait pas la distinction entre atome et molécule. Il existe des atomes de corps composés comme des atomes de corps simples.
Dès ses premiers écrits Berzelius choisit de nommer les corps à partir du latin. Son modèle est Guyton de Morveau : "L'on sait que la nomenclature fondamentale dont nous nous servons est due au génie de M. Guyton de Morveau, et qu'elle a été adoptée à la suite des rectifications faites par une commission des membres de l'institut. M. Guyton eut l'heureuse idée de changer le chaos de noms bizarres qui existait de son temps, en un système de définitions, ou en noms qui indiquaient la nature même des composés qu'ils représentaient, et il rendit par-là un service immense à la science."
Si Lavoisier n'est pas cité, son esprit rôde encore au-dessus de la chimie : "La nomenclature latine, dite antiphlogistique, qui sert de base à la nomenclature française, est un véritable chef d'œuvre. Celui qui, avec un peu de connaissance de la chimie, la parcourt, la connaît tout de suite ; et elle contient pour ainsi dire une partie principale de la théorie de la science"
Comment imaginer plus beau compliment ? Dans son traité de 1813, rédigé en français sous son contrôle, Berzelius donne un tableau des termes français accolés à la nomenclature latine qu'il propose. La concordance des deux langues est remarquable. Le latin chimique semble être, en réalité, un français latinisé. Cependant, 25 ans le séparent de la première nomenclature française, il pense donc nécessaire de lui apporter quelques corrections.
Pour lui, comme pour Lavoisier, toute la chimie s'organise autours de l'oxygène, il ne touche donc pas au terme d'oxygène, pourtant si controversé. Parmi les dénominations qu'il propose et qui rompent avec le français on peut noter :
Proposition latine de Berzelius
Nomenclature française
Symbole
international
Stibium
Antimoine
Sb
Aurum
Or
Au
Wolframium
Tungstène
We
Stannum
Etain
Sn
Natrium
Sodium
Na
Kalium
Potassium
K
Concernant les deux dernières dénominations, il explique : "On s'est servi dans la nomenclature française, pour désigner les alkalis purs, des mêmes noms que pour les alcalis du commerce. De là des inconvénients, lorsqu'on est obligé de parler de ces substances alcalines. De plus, le mot potasse qui dérive d'un mot allemand et suédois, lequel veut dire cendre de pot, ne se laisse pas trop latiniser sans trop de violence. C'est pourquoi les chimistes allemands ont été conduits à remplacer le mot potasse pure par celui de kali, et le mot de soude pure par celui de natron, et par conséquent à appeler kalium et natrium les radicaux des alcalis fixes. L'on fera bien, je crois, de les conserver dans la nomenclature latine."
Il est effectivement étonnant de constater que, si les Allemands et suédois ont abandonné potasse, les Français l'ont conservé, estimant, quant à eux, que ce n'était pas lui faire violence que de le latiniser. Pour les chimistes français, la lettre K symbolise donc le potassium. De même le sodium des français est symbolisé par Na. Les mots français du "commerce" ont parfois la vie longue. Les mots soude, potasse, ammoniaque sont encore présents dans les manuels de chimie de l'hexagone.
Ce récit nous a amenés, à plusieurs occasions, à utiliser, dans un souci de clarification, les notations modernes : O2, H2, H2O, K, Na… Ce symbolisme, devenu le langage universel de la chimie, est le plus beau des cadeaux laissé par Berzelius à ses successeurs.
Symboles et équations chimiques.
Berzelius rappelle le temps des signes alchimiques "créés par le besoin de s'exprimer d'une matière mystique et incompréhensible pour le vulgaire". Jugement sévère car dans le même temps il reconnaît le choix judicieux des signes proposés par les réformateurs "antiphlogistiques" français alors que ceux-ci s'étaient, eux-mêmes, largement inspirés des signes alchimiques.
Quoi qu'il en soit, il considère qu'un signe introduit une inutile difficulté car, dit-il, "il est plus facile d'écrire un mot en abrégé que de dessiner une figure". D'où sa volonté de proposer d'autres signes. Non pas des signes "créés dans la vue de les placer, comme les anciens, sur les vases de laboratoire", mais des signes ayant pour objet "de nous mettre en état d'énoncer brièvement et avec facilité le nombre d'atomes élémentaires qui se trouve dans chaque corps composé".
Il choisit donc, comme symboles, les lettres de l'alphabet "pour pouvoir être facilement tracés et imprimés sans défigurer le texte". On prendra "la lettre initiale du nom latin de chaque corps simple" et pour distinguer deux corps dont le nom commencerait par la même lettre, il suffira d'y adjoindre les deuxièmes ou troisièmes lettres du nom. Ainsi le soufre sera désigné par le S, le silicium par Si, le stibium (antimoine) par Sb, le Stannum (étain) par Sn. De même l'hydrogène par H, l'Hélium par He, l'Hydrargyrum (mercure) par Hg, l'Holmium par Ho..
Pour les molécules contenant plusieurs atomes identiques, leur nombre sera indiqué par un exposant. Ainsi pour l'eau : H2O, pour le "gaz carbonique" : CO2. Le symbole a traversé le temps avec comme seule modification la transformation de l'exposant en un indice : H2O, CO2...
L'ensemble des propositions de Berzelius peuvent être considérées comme le couronnement de la réforme de la nomenclature chimique initiée 25 ans plus tôt par les chimistes français. Si, pour nos contemporains H2, O2, H2O, CO2, sont bien autre chose que des signes cabalistiques, c'est à Guyton de Morveau, à Lavoisier et à Berzelius que nous le devons.
L’hydrogène, le premier corps du tableau de Mendeleïev.
Pour présenter leur nomenclature, Guyton de Morveau, Lavoisier, Fourcroy avaient choisi de la résumer sous forme de tableaux. Les travaux de Berzelius et de ses contemporains sur les masses atomiques des éléments, sur la composition et les formules des corps, invitaient eux aussi à de telles représentations. De nombreuses tentatives seront faites avant que celle proposée par le Russe Mendeleïev ne s'impose.
Dimitri Ivanovitch Mendeleïev (1834-1907) est issu d'une famille pauvre de Sibérie. Après des études de chimie à l'université de Saint Petersburg, il fait un séjour à Paris et à Heidelberg où il participe aux travaux de Robert Bunsen et de Gustav Kirchhoff. De retour dans son pays, il devient, en 1863, professeur de chimie à l'université de Saint Petersburg.
Il se raconte que c'est dans le but de rédiger un manuel à l'usage de ses étudiants qu'il a cherché à classer le nombre important des corps, alors connus, dans un tableau dont la simple lecture permettrait de reconnaître les propriétés de chacun. La première version du tableau paraît en 1869.
Mendeleïev remarque d'abord que les propriétés de corps bien connus comme l'oxygène, l'azote, le carbone, peuvent se rencontrer dans d'autres corps. Parmi ces propriétés communes, la "valence" de ces éléments, c'est-à-dire le nombre de liaisons qu'ils peuvent former avec d'autres atomes et en particulier avec les atomes d’hydrogène.
L'hydrogène, comme le chlore, est monovalent. L'oxygène, et le soufre sont dits bivalents. Ils peuvent s'unir à deux atomes d'hydrogène pour donner l'eau (oxyde d'hydrogène) H2O ou le sulfure d'hydrogène H2S. L'azote comme le phosphore, donnant les composés NH3 et PH3, seront trivalents. Le carbone comme le silicium (CH4 et CO2 ou et SiH4 et SiO2) sont tétravalents. Il est donc possible, à partir de la valence, de constituer des "groupes d'éléments semblables".
Mendeleïev remarque par ailleurs que "les éléments ont une propriété exactement mesurable, c'est leurs poids atomique". Il lui semble donc naturel "de chercher une relation entre les propriétés analogues des éléments d'une part et leur poids atomique d'autre part". C'est en notant tous les éléments dans l'ordre croissant de leur poids atomique qu'il remarque la répétition périodique des propriétés des corps.
Plus précisément dit-il, "en disposant les éléments d'après la grandeur croissante de leur poids atomique en colonnes verticales, de façon à ce que les lignes horizontales contiennent des éléments analogues, eux-mêmes classés par poids atomique croissant, on obtient le tableau suivant duquel peuvent être déduites des conclusions générales".
Première version du tableau de Mendeleïev avec sa disposition verticale. 1869.
Mendeleïev remarque d'abord que les propriétés de corps bien connus comme l'oxygène, l'azote, le carbone, peuvent se rencontrer dans d'autres corps. Parmi ces propriétés communes, la "valence" de ces éléments, c'est-à-dire le nombre de liaisons qu'ils peuvent former avec d'autres atomes.
L'hydrogène, comme le chlore, est monovalent. L'oxygène, et le soufre sont dits bivalents. Ils peuvent s'unir à deux atomes d'hydrogène pour donner l'eau (oxyde d'hydrogène) H2O ou le sulfure d'hydrogène H2S. L'azote comme le phosphore, donnant les composés NH3 et PH3, seront trivalents. Le carbone comme le silicium (CH4 et CO2 ou et SiH4 et SiO2) sont tétravalents. Il est donc possible, à partir de la valence, de constituer des "groupes d'éléments semblables".
Mendeleïev remarque par ailleurs que "les éléments ont une propriété exactement mesurable, c'est leurs poids atomique". Il lui semble donc naturel "de chercher une relation entre les propriétés analogues des éléments d'une part et leur poids atomique d'autre part". C'est en notant tous les éléments dans l'ordre croissant de leur poids atomique qu'il remarque la répétition périodique des propriétés des corps.
Plus précisément dit-il, "en disposant les éléments d'après la grandeur croissante de leur poids atomique en colonnes verticales, de façon à ce que les lignes horizontales contiennent des éléments analogues, eux-mêmes classés par poids atomique croissant, on obtient le tableau suivant duquel peuvent être déduites des conclusions générales".
Il tire, de l'observation de ce tableau, une liste de huit conséquences.
1 – Les éléments disposés d'après la grandeur de leur poids atomique présentent une périodicité de des propriétés.
2 – Les éléments qui se ressemblent par leurs fonctions chimiques ont des poids atomiques proches (Pt, Ir, Os) ou bien croissant uniformément (K, Rb, Cs).
3 – La disposition des éléments ou de leurs groupes d'après la grandeur du poids atomique correspond à leur valence.
4 – Les corps simples les plus répandus sur Terre ont un poids atomique faible et tous les éléments à poids atomiques faibles sont caractérisés par des propriétés bien tranchées. Ce sont des éléments typiques.
5 – La grandeur du poids atomique détermine le caractère de l'élément.
6 – Il faut attendre la découverte de plusieurs corps simples encore inconnus, ressemblant, par exemple, à Al et Si et ayant un poids atomique 65-75.
7 – La valeur du poids atomique d'un élément peut, quelquefois, être corrigée si l'on connaît ses analogues. Ainsi le poids atomique de Te n'est pas 128 mais doit être compris entre 123 et 126.
8 – Certaines analogies des éléments peuvent être découvertes d'après la "grandeur du poids de leurs atomes".
La conséquence la plus remarquée de cette "loi de périodicité" est la prédiction de nouveaux éléments (ceux qui sont marqués dans le tableau par un point d'interrogation) avec leur poids atomique supposé et même leurs propriétés chimiques.
Elément prédit
Elément trouvé
Poids atomique réel.
? 45
scandium
44,96
? 68
gallium
69,72
? 70
germanium
72,64
? 180
hafnium
178,49
Quelques exemples de corps prédits par Mendeleïev
Rapidement le tableau a été modifié : les colonnes sont devenues lignes horizontales et les horizontales verticales.
Forme actuelle du tableau de Mendeleïev.
Il faudra attendre la connaissance de la structure interne des atomes et l'avènement de la "physique quantique" pour que la raison de ces propriétés s'éclaire. Notons surtout que le "professeur" Mendeleïev avait réellement inventé l'outil nécessaire à ses élèves.
Louis-Bernard Guyton de Morveau, né à Dijon en 1737, avocat au parlement de Dijon, est un scientifique reconnu. Membre de l’académie de sa ville, il est le correspondant de plusieurs célèbres chimistes européens, dont Scheele et Bergman avec lequel il partage la volonté de réformer le langage alors utilisé en chimie.
Le constat est simple : cette science qui a enfin réussi à s’imposer dans les académies emploie une langue à peine sortie des grimoires alchimistes. « Il n’est point de science, regrette-t-il, qui exige plus de clarté, plus de précision, & on est d’accord qu’il n’en est point dont la langue soit aussi barbare, aussi vague, aussi incohérente.» La liste de ces barbarismes est effectivement édifiante. On y rencontre de l’huile de vitriol, de la crème de chaux, du beurre d’arsenic, du foie de soufre, du safran de Mars, de la lune cornée, des éthiops, des kermès …
Depuis 1780, Guyton de Morveau est chargé de rédiger l’article « Chymie » de l’Encyclopédie méthodique de Charles-Joseph Panckouke qui fait suite à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Il a lu l’essentiel de ce qui a été publié par ses confrères européens. Cette lecture l’a conforté dans l’idée qu’un langage commun s’impose.
A Paris, d’autres chimistes partagent le même objectif et une autre réforme du vocabulaire est en marche : celle de Lavoisier et de ses collègues académiciens qui s’appuient sur la base théorique du principe oxygine, très différente de celle de Macquer, Bergman et Guyton de Morveau, tous partisans du phlogistique. La concurrence est sévère. Même si la théorie de Lavoisier a des partisans parmi les collègues bourguignons de Guyton de Morveau, cela ne l’empêche pas de se montrer circonspect. Pourtant, trois ans plus tard, c’est avec Lavoisier qu’il présentera la Méthode de nomenclature chimique qui bannira le phlogistique de l’univers de la chimie.
Le groupe des « chimistes français ».
Influent à l’Académie des sciences, Lavoisier (1743-1794) a su attirer autour de lui des collaborateurs efficaces et enthousiastes qui soutiennent sa théorie : Antoine-François Fourcroy (1755-1809), Jean-Henri Hassenfratz ( 1755-1827), Pierre Auguste Adet (1763-1834). C’est ce groupe qui accueille Guyton de Morveau quand il vient à Paris en février 1787 avec son projet de nomenclature déjà bien avancé. Avec lui, ils rédigent la nouvelle Méthode de nomenclature chimique présentée à l’assemblée publique de l’Académie des sciences du 17 avril 1787.
Naissance de l’oxygène, de l’hydrogène et de l’azote.
Les nomenclateurs ont divisé les substances en cinq classes : les « principes » qui résistent à l’analyse, les radicaux des acides, les métaux, les terres, les alcalis. La première classe comprend cinq « principes ». Les deux premiers sont la lumière et le calorique (la chaleur). Étant émis ou absorbés dans les réactions chimiques, ces deux éléments sont donc considérés comme de véritables éléments chimiques. Les trois suivants sont les trois gaz que leur histoire a, jusqu’à présent, baptisés des noms d’« air déphlogistiqué », d’« air phlogistiqué » et d’« air inflammable ».
Quand l’air déphlogistiqué devient gaz oxygène.
Le nom d’« air déphlogistiqué », déclare Guyton de Morveau, reposait sur une simple hypothèse : oublions-la ! "Au mieux peut-on, dit-il, continuer à parler d’« air vital » à chaque fois « que l’on aura à indiquer simplement la portion de l’air atmosphérique qui entre tient la respiration et la combustion". Mais cette dénomination ne pouvait suffire pour un corps que non seulement on trouvait à l’état de gaz dans l’air, mais qui entrait également dans la composition de nombreux corps. « Nous avons satisfait à ces conditions en adoptant l’expression “ oxygène”, en la tirant, comme M. Lavoisier l’a dès longtemps proposé, du grec οξνς, “acide” & γειυοµαι, “j’engendre”, à cause de la propriété bien constante de ce principe, base de l’air vital, de porter un grand nombre de substances avec lesquelles il s’unit à l’état d’acide, ou plutôt parce qu’il paraît être un principe nécessaire à l’acidité »
Quand le gaz inflammable devient hydrogène.
« Il est le seul qui produise de l’eau par sa combinaison avec l’oxygène… nous l’avons appelé hydrogène, c’est-à-dire engendrant l’eau. »
Quand l’air phlogistiqué devient azote.
« M. Berthollet a prouvé qu’il existait dans l’alcali volatil & dans les substances animales ; il est probable que les alcalis fixes le contiennent aussi : on aurait pu d’après cela le nommer alcaligène, comme M. de Fourcroy l’a proposé. »
Faisant remarquer que ce corps intervient également dans la composition d’acides, Guyton de Morveau considère ce nom comme inadapté. « Dans ces circonstances, nous n’avons pas cru pouvoir mieux faire que de nous arrêter à cette autre propriété de l’air phlogistiqué, qu’il manifeste si sensiblement, de ne pas entretenir la vie des animaux, d’être réellement non vital… et nous l’avons nommé azote, de l’α privatif des Grecs & de ζωή, « vie ». Il ne sera pas difficile après cela d’entendre et de retenir que l’air est un composé de gaz oxygène & de gaz azotique. »
Oxygène, hydrogène, azote… Reste le charbon qui pose un nouveau problème. Soufre, phosphore, azote, désignent des corps que l’on peut obtenir dans un état de pureté satisfaisant. Par contre, la combustion du charbon laisse des cendres. Les nomenclateurs proposent d’appeler « carbone » l’élément qui, dans le charbon, se lie à l’oxygène lors de sa combustion. Ce carbone qui, lié à l’hydrogène, sera bientôt considéré comme l’ossature de la matière vivante.
L'expérience répond à une demande, faite par le Roi à l'Académie des Sciences, de trouver "les moyens les plus économiques de faire de l’air inflammable en grand" pour gonfler les premiers aérostats militaires.
Réalisée en compagnie de Jean-Baptiste Meusnier, elle consiste à faire passer un courant de vapeur d'eau dans un "canon" de fer porté au rouge. Le montage est inspiré de celui déjà utilisé par Stephen Hales pour étudier les airs dégagés des végétaux et tissus animaux et repris par Joseph Priestley. L'eau est amenée dans un canon de fer chauffé sur des charbons ardents :
Expérience de décomposition de l'eau.
Mémoires de l'Académie des Sciences 1784.
"Cet appareil nous a donné lieu de faire les observations qui suivent si, lorsque le canon de fusil est rouge et incandescent, on y laisse couler de l’eau goutte à goutte et en très-petite quantité, elle s’y décompose en entier, et il n’en ressort aucune portion par l’ouverture inférieure du canon ; le principe oxygine de l’eau se combine avec le fer et le calcine ; en même temps le principe inflammable aqueux, devenu libre, passe dans l’état aériforme, et avec une pesanteur spécifique qui est environ de deux vingt-cinquièmes de celle de l’air commun".
L'eau est donc bien un composé de principe oxygine et de principe inflammable aqueux.
L'eau n'est pas un élément. Sa synthèse.
Dans un mémoire lu devant l'Académie des Sciences, Lavoisier décrit l'expérience qu'il a réalisée sur la synthèse de l'eau.
Le montage consiste en un ballon de verre dans lequel arrivent deux conduites amenant, l'une le gaz inflammable, l'autre le principe oxygine. Le tout étant enflammé par une étincelle électrique.
"Ce fut le 24 juin 1783 que nous fîmes cette expérience, M. de Laplace et moi, en présence de MM. le Roi, de Vandermonde, de plusieurs autres académiciens, et de M. Blagden, aujourd’hui secrétaire de la Société royale de Londres ; ce dernier nous apprit que M. Cavendish avait déjà essayé, à Londres, de brûler de l’air inflammable dans des vaisseaux fermés, et qu’il avait obtenu une quantité d’eau très-sensible."
Montage utilisé par Lavoisier pour la synthèse de l'eau.
Traité élémentaire de chimie. 1789.
"Nous commençâmes d’abord à chercher, par voie de tâtonnement quelle devait être l’ouverture de nos robinets pour fournir la juste proportion des deux airs ; nous y parvînmes aisément en observant la couleur et l’éclat du dard de flamme qui se formait au bout de l’ajutoir ; la juste proportion des deux airs donnait la flamme la plus lumineuse et la plus belle. Ce premier point trouvé, nous introduisîmes l’ajutoir dans la tubulure de la cloche, laquelle était plongée sur du mercure, et nous laissâmes brûler les airs jusqu’à ce nous eussions épuisé la provision que nous en avions faite :
Dès les premiers instants, nous vîmes les parois de la cloche s’obscurcir et se couvrir de vapeurs ; bientôt elles se rassemblèrent en gouttes, et ruisselèrent de toutes parts sur le mercure, et, en quinze ou vingt minutes, sa surface s’en trouva couverte.
L’embarras était de rassembler cette eau ; mais nous y parvînmes aisément en passant une assiette sous la cloche sans la sortir du mercure, et en versant ensuite l’eau et. le mercure dans un entonnoir de verre : en laissant ensuite couler le mercure, l’eau se trouva réunie dans le tube de l’entonnoir ; elle pesait un peu moins de 5 gros.
Cette eau, soumise à toutes les épreuves qu’on put imaginer, parut aussi pure que l’eau distillée : elle ne rougissait nullement la teinture de tournesol ; elle ne verdissait pas le sirop de violettes ; elle ne précipitait pas l’eau de chaux ; enfin, par tous les réactifs connus, on ne put, y découvrir le moindre indice de mélange."
Cette dernière remarque est d'importance. Le principe oxygine aurait donc généré, non pas un acide qui rougirait la liqueur de tournesol, mais une eau parfaitement pure !
L'observation aurait dû amener à une révision, ou du moins à une inflexion, de la théorie. La contradiction est pourtant passée sous silence. Ce qui compte alors, c'est de pouvoir revendiquer d'avoir été le premier à prouver que l'eau est un corps composé, d'en avoir caractérisé les composants et d'en avoir mesuré les proportions.
"Cette seule expérience de la combustion des deux airs, et leur conversion en eau, poids pour poids, ne permettait guère de douter que cette substance, regardée jusqu’ici comme un élément, ne fût un corps composé ; mais, pour constater une vérité de cette importance, un seul fait ne suffisait pas ; il fallait multiplier les preuves, et, après avoir composé artificiellement de l’eau, il fallait la décomposer : je m’en suis occupé pendant les vacances de 1783, et j’ai rendu compte très-sommairement du succès de mes tentatives, dans un mémoire lu à la rentrée publique de la Saint-Martin, et dont l’extrait a été publié dans plusieurs journaux."
Les quatre éléments ont vécu.
Lavoisier a souhaité créer un évènement national qui puisse illustrer de façon spectaculaire l'aboutissement de sa théorie. Longuement préparée, la démonstration a lieu en février 1785. Sont invités les académiciens, et le "tout Paris" du monde politique et économique. L'expérience dure deux jours. L'eau est d'abord décomposée par le procédé du canon de fer chauffé. L'hydrogène ainsi obtenu est ensuite enflammé dans un courant d'oxygène et l'eau obtenue pesée.
Comme s'il n'avait été conçu que pour cette seule expérience, tout le matériel du laboratoire de Lavoisier est mis en œuvre. Son objectif est atteint : impressionner les témoins et les convaincre de la réalité des propositions de son auteur. Rapidement la démonstration provoque le ralliement de membres importants de la communauté scientifique à commencer par Berthollet qui occupe, cette année là, la fonction de Directeur annuel de l'Académie des Sciences. Autour de Lavoisier commence à se constituer le groupe de ceux qui deviendront les "chimistes français".
1785 marque la fin de la doctrine des quatre éléments. Lavoisier est celui qui lui a donné le coup de grâce. Il a exclu le feu principe, le phlogistique, de la chimie. L'air est devenu un mélange du principe oxygine avec une moufette, l'eau un composé de principe oxygine et de principe inflammable aqueux.
Le "principe oxygine" n'est pas encore l'oxygène, le "principe inflammable aqueux" attend de devenir l'hydrogène. La théorie a encore besoin de s'affermir, le vocabulaire de s'éclairer. Vient, alors, la rencontre avec Guyton de Morveau et l'établissement de la nouvelle Méthode de Nomenclature Chimique.
Avec les travaux de Hales, Cavendish, Priestley, d'autres "airs" révèlent leur existence. Sur la piste qui mène à l’hydrogène, il nous faut suivre la découverte d’un "air" nécessaire à la vie, l'oxygène.
Priestley (1733-1804), le phlogistique et l'air déphlogistiqué.
Une expérience, menée par Priestley, sur la combustion des métaux a été souvent reproduite.
" J'ai suspendu des morceaux de plomb et d'étain dans un volume donné d'air… En dirigeant sur eux le foyer d'un miroir ardent ou d'une lentille, de façon à les faire se consumer copieusement, j'observai une diminution de l'air. Dans le premier essai que j'ai réalisé, j'ai réduit quatre onces d'air jusqu'à trois, ce qui est la plus forte diminution de l'air commun que j'aie jamais observé auparavant".
Le mode opératoire est astucieux. Le résultat, cependant, étonne l'observateur. Celui-ci est un partisan résolu de la théorie du phlogistique. Il faut donc que du phlogistique se soit dégagé du métal pendant sa combustion. Alors pourquoi cette diminution importante du volume d'air ?
Il imagine que le phlogistique a pour effet de rendre l'air moins élastique et donc de le faire se contracter. Ainsi le modèle sera sauf. Sa fidélité à la théorie de Stahl l'empêche de voir qu'une partie de l'air s'est combinée au métal. Le mérite en reviendra à d'autres.
Il ne saura pas, non plus, exploiter une autre expérience pourtant bien plus révélatrice. Pour celle-ci, il utilise l'oxyde rouge du mercure, désigné comme précipité per se, dont on sait, depuis les alchimistes, que, fortement chauffé, il retourne au mercure initial. Il place cet oxyde rouge sous une cloche renversée sur une cuve à eau et le porte à une haute température au moyen d'une lentille concentrant les rayons du soleil. Comme prévu, le mercure métallique réapparaît mais, de plus, le volume d'air s’accroît.
Remarquable ! Dans ce nouvel air une chandelle ne s'éteint pas. Bien au contraire son éclat est plus vif. Un charbon dont un point est porté au rouge y brûle avec force étincelles. Priestley nomme "air très pur", cet air plus actif que l'air ordinaire avant de l'appeler air déphlogistiqué.
Son explication : Pour que la "chaux" rouge du mercure (mercure déphlogistiqué) redevienne métal, elle doit capter du phlogistique. C'est donc une fraction de l'air qui le lui procure. Cet air est alors devenu "négatif" en phlogistique : c'est de l'air déphlogistiqué.
Chaux de mercure + air -> mercure + air déphlogistiqué
Cet "air déphlogistiqué", comment favorise-t-il les combustions ? Ayant perdu son phlogistique il tend donc à en extraire, avec plus de vivacité que l'air ordinaire, des corps qui en sont riches, comme le charbon ou le suif d'une chandelle. Le résultat de ceci est de rendre leurs combustions plus vives.
Le volume de l'air augmente ? Il n'est pas interdit de penser que l'air "déphlogistiqué" est plus "élastique" que l'air ordinaire et occupe un plus grand volume à la pression ambiante.
Les explications ne manquent pas d'une certaine logique. Pourtant si, par cette expérience et cette observation, il peut prétendre partager le titre de "découvreur" de l'oxygène, la vraie nature de ce gaz lui échappe.
Ces mêmes expériences sur la combustion des métaux et sur la décomposition de l'oxyde de mercure, réinterprétées, mèneront Lavoisier sur la voie de la composition de l'air et de la compréhension du mécanisme des combustions.
Lavoisier utilisera un montage analogue à celui de Priestley
Traité élémentaire de chimie. 1789.
Mais avant d'y arriver et afin de poursuivre le récit de cette "course aux airs", il nous faut quitter l'Angleterre pour la Suède où officie Karl-Wilhem Scheele.
Karl-Wilhelm Scheele ( 1742-1786) et l'air du feu.
Après avoir été apprenti apothicaire, Karl-Wilhelm Scheele se forme en autodidacte et devient pharmacien à Stockholm avant de rejoindre Uppsala où il suit un parcours universitaire sous la direction du chimiste Torben Olof Bergman avant d'être admis à l'Académie Royale des Sciences de Suède.
On lui attribue la découverte de nombreux acides, dont certains toxiques comme l'acide cyanhydrique, ou encore celle du chlore qu'il considère comme de l'acide marin (acide chlorhydrique) déphlogistiqué. La fréquentation de ces produits ayant probablement contribué à sa mort prématurée.
En 1777, il publie son "Traité chimique de l'air et du feu" dans lequel il fait part de sa découverte du nouvel "air" qui, décrit au même moment par Priestley, sera ensuite interprété par Lavoisier comme étant l'oxygène :
"L'examen de l'air a toujours été un des objets principaux de la Chimie : aussi ce fluide élastique est-il doué de tant de propriétés particulières, qu'il met ceux qui s'en occupent à portée de faire souvent des découvertes. Nous voyons que le Feu, ce produit si admirable de la chimie, ne saurait exister sans l'air. Pourrais-je m'être trompé en entreprenant de démontrer dans ce Traité, qui n'est qu'un Essai Chimique sur la doctrine du Feu, qu'il existe dans notre atmosphère un air que l'on doit regarder comme une partie constituante du Feu, en ce qu'il contribue matériellement à la flamme, & que, par rapport à cette propriété, j'ai nommé "Air de Feu" (Le terme allemand de Feuerluft sera généralement conservé par les chimistes européens). (Traité chimique de l'air et du feu, traduction, Paris 1781).
Plus précisément, explique-t-il, l'air serait composé de "deux espèces différentes l'une de l'autre : l'une s'appelle Air vicié, parce qu'il est absolument dangereux et mortel, soit pour les animaux, soit pour les végétaux et qu'il altère, en partie, toute la masse de l'air ; l'autre au contraire s'appelle Air pur ou Air de feu, parce qu'il est tout à fait salutaire, & qu'il entretient la respiration, conséquemment la circulation du sang."(Mémoires de l'Académie des Sciences de Stockholm - 1779).
Pour mesurer les proportions de ces deux airs, Scheele imagine un montage ingénieux :
Scheele, Mémoire de l'Académie des sciences de Stockholm, 1779.
"Je mis au fond du vase A un support formé d'un tuyau de verre fixé sur un petit piédestal de plomb ; l'extrémité supérieure du tuyau portait un petit plateau horizontal, sur lequel je plaçai le petit vaisseau C, rempli du mélange de limaille de fer et de soufre". (ce mélange, quand on l'humecte d'eau, était classiquement considéré comme capable de libérer une quantité importante de phlogistique. On sait, aujourd'hui qu'il est oxydé par l'oxygène de l'air)
"Je reversais sur le tout le verre cylindrique D, & je remplis d'eau le vaisseau A."
Progressivement l'eau monte dans le tube et se stabilise au bout de quelques heures. Le mélange de fer et de soufre prenant alors l'aspect d'une "chaux".
Comment expliquer la diminution du volume d'air enfermé dans les enceintes où se fait la réaction de combustion ? Priestley imaginait une contraction de l'air sous l'effet du phlogistique, Scheele propose une autre hypothèse : "la combinaison de l'air avec le phlogistique est un composé si subtil qu'il est susceptible de pénétrer les pores imperceptibles du verre et de se disperser en tous sens dans l'air" (Traité du Feu - 1777). Ou plus précisément " lorsque l'air pur rencontre une matière inflammable mise en liberté, il s'en approche, se sépare de l'air vicié, & disparaît, pour ainsi dire, à vue d'œil"(Mémoire de Chimie - 1779)
Le phlogistique échappé du métal aurait donc pour propriété de faire "disparaître" l'air pur ? A l'évidence, cette diminution de volume de l'air pose un sérieux problème !
L'expérience plusieurs fois répétée semble indiquer à Scheele que la proportion d'air de feu dans l'atmosphère est de 27%, légèrement supérieure, donc, à la valeur estimée actuellement pour l'oxygène (21%).
Après Priestley, Scheele peut donc prétendre au titre de découvreur de l'oxygène mais Lavoisier sera celui qui, après avoir osé combattre la théorie du phlogistique, saura donner une explication claire du phénomène de la combustion et nommer le gaz qui en est l'acteur principal.
Lavoisier (1743-1794). De l'air vital au principe oxygine et à l'oxygène.
Antoine Laurent de Lavoisier naît à Paris en 1743 dans une famille fortunée mais endeuillée par le décès de sa mère quand il a cinq ans. Entre 1754 et 1761 il fréquente le collège des Quatre Nations fondé par Mazarin où il reçoit une formation mathématique de l'abbé Lacaille, astronome, membre de l'Académie dont les "Leçons élémentaires de Mathématiques", plusieurs fois rééditées, formeront de nombreuses générations d'ingénieurs et de scientifiques. Il complète sa formation scientifique par de la physique, aux cours que l'abbé Nollet donne à l'école Royale du Génie de Mézières, par de la botanique au Jardin du Roy avec Bernard de Jussieu, de la chimie avec les conférences de Rouelle, de la minéralogie avec l'académicien Jean-Etienne Guettard qu'il accompagne pour une campagne d'étude de quatre mois dans les Vosges et qui est l'occasion de ses premiers pas en analyse chimique.
Formé à toutes les branches de la physique, il ne fera pas cependant profession de science. Diplômé en droit de l'Université de Paris, il achète, en 1768, année où il est élu à l'Académie des Sciences, une charge de "fermier général". Cette fonction consiste à percevoir des impôts indirects sur le commerce d'un certain nombre de marchandises ( sel, tabac, boissons… ) mais aussi les droits d'octroi à l'entrée des villes. Cette charge, fortement rémunératrice, lui permettra de créer le plus riche laboratoire de l'Europe scientifique et d'y recevoir tout ce qu'elle compte de savants. Elle sera aussi la cause de sa condamnation à mort par un tribunal révolutionnaire en 1794.
En 1775, il devient régisseur des poudres et salpêtres et s'installe à l'Arsenal, à Paris, où son laboratoire, équipé des appareils issus des meilleurs artisans du moment, devient le lieu où se forme une nouvelle génération de chimistes.
1774-1777 : L'air est un mélange de deux fluides.
Lavoisier qui se place dans la continuité des "chasseurs d'air" européens constate le peu d'intérêt pour le sujet en France.
"Un grand nombre de physiciens et de chimistes étrangers s'occupent dans ce moment de recherches sur la fixation de l'air dans les corps et sur les émanations élastiques qui s'en dégagent, soit pendant les combinaisons, soit par la décomposition et la résolution de leurs principes : des mémoires, des thèses, des dissertations de toute espèce, paraissent, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande ; les chimistes français seuls semblent ne prendre aucune part à cette importante question, et, tandis que les découvertes étrangères se multiplient chaque année, nos ouvrages modernes, les plus complets, à beaucoup d'égards, qui existent en chimie, gardent un silence presque absolu sur ce point."( Opuscules physiques et chimiques, 1774).
Souhaitant être le premier à rompre avec ce désintérêt, il reprend les expériences menées en Angleterre. C'est à cette occasion qu'il affiche son originalité.
Je commençai, annonce-t-il "à soupçonner que l'air de l'atmosphère, ou un fluide élastique quelconque contenu dans l'air, était susceptible, dans un grand nombre de circonstances, de se fixer, de se combiner avec les métaux ; que c'était à l'addition de cette substance qu’étaient dus les phénomènes de la calcination, l'augmentation de poids des métaux convertis en chaux, et peut-être beaucoup d'autres phénomènes dont les physiciens n'avaient encore donné aucune explication satisfaisante."
En effet, parmi les questions restées sans réponse, "l'augmentation de poids des métaux convertis en chaux" est le principal problème que pose la théorie du phlogistique.
Rappelons le schéma décrivant la calcination des métaux dans la théorie de Stahl :
Dans la logique de ce modèle, la transformation du métal en "'chaux" devrait donc s'accompagner d'une perte de masse, celle du phlogistique. Or, c'est l'inverse qui se passe et les alchimistes le savaient déjà !
Relevons la principale, et surtout nouvelle, contribution de Lavoisier : lors de la combustion, une partie de l'air se fixe sur le métal. Seule cette hypothèse peut expliquer l'augmentation du poids du métal devenu chaux métallique en même temps que la diminution du volume de l'air.
Et pour aller encore plus loin, cette partie de l'air, responsable des combustions, serait un fluide particulier :
"plusieurs circonstances sembleraient porter à croire que tout l'air que nous respirons n'est pas propre à se fixer pour entrer dans la combinaison des chaux métalliques, mais qu'il existe dans l'atmosphère un fluide élastique particulier qui se trouve mêlé avec l'air, et que c'est au moment où la quantité de ce fluide contenue sous la cloche est épuisée, que la calcination ne peut plus avoir lieu."
Nous arrivons en 1777. Les idées de Lavoisier sur la combustion se précisent. Le 21 mars, il présente à l'Académie des sciences un "Mémoire sur la combustion du phosphore de Kunckel" dans lequel il énonce clairement la proposition que l'air est composé de deux fluides aux propriétés bien différentes.
Toujours en utilisant une cloche retournée sur une cuve à mercure et un "verre ardent" il fait brûler un fragment de phosphore. Il observe :
- "Que, au moment où la combustion s'achève, l'air "n’occupe plus que les quatre cinquièmes ou les cinq sixièmes, tout au plus, de l’espace qu’il occupait avant la combustion."
- Que l'air qui reste "n’est plus susceptible de servir à la respiration des animaux, d’entretenir la combustion ni l’inflammation des corps ; en un mot, il est absolument dans l’état de moufette, et, en conséquence, pour éviter de le confondre avec aucune autre espèce d’air, je le désignerai, dans ce mémoire et dans quelques autres que je publierai à la suite, sous le nom de moufette atmosphérique".
Cette fois, il est acquis pour Lavoisier, que l'air atmosphérique est le mélange de deux "fluides élastiques" : un "air éminemment respirable" et une "moufette" (ou mofette, de l'italien mofetta issu du latin mephitis, exhalaison nauséabonde) incapable d'entretenir la vie.
Lavoisier utilise encore le terme "d'air déphlogistiqué" employé par Priestley pour désigner l'air très pur ou éminemment respirable. Cette nouvelle proposition ne pouvait que convenir aux chasseurs d'air britanniques.
Mais ce n'était que partie remise.
1777. Le Phlogistique n'existe pas.
Dans un mémoire de la même année 1777 "Sur la combustion en général", le ton n'est plus à la conciliation. Les hostilités sont ouvertes par un texte sans concessions pour le phlogistique :
"Si l’on demande aux partisans de la doctrine de Stahl de prouver l’existence de la matière du feu dans les corps combustibles, ils tombent nécessairement dans un cercle vicieux, et sont obligés de répondre que les corps combustibles contiennent de la matière du feu parce qu’ils brûlent, et qu’ils brûlent parce qu’ils contiennent de la matière du feu ; or il est aisé de voir qu’en dernière analyse c’est expliquer la combustion par la combustion.
L’existence de la matière du feu, du phlogistique, dans les métaux, dans le soufre, etc. n’est donc réellement qu’une hypothèse, une supposition, qui, une fois admise, explique, il est vrai, quelques-uns des phénomènes de la calcination et de la combustion ; mais, si je fais voir que ces mêmes phénomènes peuvent s’expliquer d’une manière tout aussi naturelle dans l’hypothèse opposée, c’est-à-dire sans supposer qu’il existe de matière du feu ni de phlogistique dans les matières appelées combustibles, le système de Stahl se trouvera ébranlé jusque dans ses fondements."
Ce premier mémoire est développé dans un second présenté le 5 septembre 1777 sous le titre "Considérations générales sur la nature des acides et sur les principes dont ils sont composés".
Ce nouveau mémoire recèle une surprenante rupture. Alors que la "chasse aux airs" s'est, jusqu'à présent, focalisée sur les réactions de combustion et de réduction des métaux, Lavoisier concentre sa nouvelle offensive sur la formation des acides, qui deviennent, de façon subite et inattendue, le centre de sa nouvelle théorie.
Quand l'air vital devient "air acidifiant" : le principe oxygine.
"J’ai déjà fait part à l’Académie de mes premiers essais sur ce sujet : je lui ai démontré, dans de précédents mémoires, autant toutefois qu’il est possible de démontrer en physique et en chimie, que l’air le plus pur, celui auquel M. Priestley a donné le nom d’air déphlogistiqué, entrait, comme partie constituante, dans la composition de plusieurs acides, et notamment de l’acide phosphorique, de l’acide vitriolique et de l’acide nitreux.
Des expériences plus multipliées me mettent aujourd’hui dans le cas de généraliser ces conséquences, et d’avancer que l’air le plus pur, l’air éminemment respirable, est le principe constitutif de l’acidité : que ce principe est commun à tous les acides, et qu’il entre ensuite dans la composition de chacun d’eux un ou plusieurs autres principes qui les différencient et qui les constituent plutôt tel acide que tel autre.
D’après ces vérités, que je regarde déjà comme très-solidement établies, je désignerai dorénavant l’air déphlogistiqué ou air éminemment respirable dans l’état de combinaison et de fixité, par le nom de principe acidifiant, ou, si l’on aime mieux la même signification sous un mot grec, par celui de principe oxygine, cette dénomination sauvera les périphrases, mettra plus de rigueur dans ma manière de m’exprimer, et évitera les équivoques dans lesquelles on serait exposé à tomber sans cesse, si je me servais du mot d’air."
Un mot grec, oxygine, "principe des acides", vient donc chasser un autre mot grec, phlogistique, "matière du feu". Il faudra encore quelques étapes avant que ce "principe oxygine" devienne "gaz oxygène".
C'est donc à une nouvelle chimie que Lavoisier invite les chimistes, ses contemporains. Il leur reste, dit-il "le champ le plus vaste à parcourir" car "il existe une partie de la chimie toute nouvelle et entièrement inconnue jusqu’à ce jour, et qui ne sera complète que lorsqu’on sera parvenu à déterminer le degré d’affinité de ce principe (l'oxygine) avec toutes les substances avec lesquelles il est susceptible de se combiner, et à connaître les différentes espèces de composés qui en résultent."
Quand naît l'oxygène.
En l'année 1787 est présentée à l'Académie des Sciences la Méthode de Nomenclature chimique présentée par Guyton de Morveau, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy. Leur choix : construire cette nomenclature autour du gaz jusqu'à présent qualifié d'air vital ou principe oxygine. Et d'abord lui donner son nom définitif.
"nous avons satisfait à ces conditions, déclarait Guyton de Morveau dans sa présentation, en adoptant l'expression oxygène, en la tirant, comme M. Lavoisier l'a dès longtemps proposé, du grec οξνς, acide & γείυομαι, j'engendre, à cause de la propriété bien constante de ce principe, base de l'air vital, de porter un grand nombre de substances avec lesquelles il s'unit à l'état d'acide, ou plutôt parce qu'il paraît être un principe nécessaire à l'acidité. Nous dirons donc que l'air vital est le gaz oxygène, que l'oxygène s'unit au soufre, au phosphore pendant la combustion, aux métaux pendant la calcination, etc. Ce langage sera tout à la fois clair et exact. "
Notons cette date : 2 mai 1787. Pour la première fois le mot oxygène vient d'être prononcé dans l'enceinte prestigieuse de l'Académie Royale des Sciences.
Les alchimistes avaient déjà renoncé à considérer la terre comme un simple élément, Lavoisier supprimait de la liste le feu, devenu phlogistique, ainsi que l’air devenu un mélange de deux « gaz » (ainsi qu’il désignait à présent les « fluides aériformes »). Restait l’eau qui deviendra son dernier défi et dont la décomposition le mènera à l’hydrogène.
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Comme l'art ou la littérature,les sciences sont un élément à part entière de la culture humaine. Leur histoire nous éclaire sur le monde contemporain à un moment où les techniques qui en sont issues semblent échapper à la maîtrise humaine.
La connaissance de son histoire est aussi la meilleure des façons d'inviter une nouvelle génération à s'engager dans l'aventure de la recherche scientifique.