2 septembre 2002. Sommet mondial de la Terre des Nations Unies, à Johannesburg en Afrique du Sud.
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Jacques Chirac, à la tribune, scande son discours par de larges mouvements des bras. Une pause, un coup d’œil sur les notes, préparées par l’un de ses collaborateurs, et vient la phrase :
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs »
Et pour frapper encore plus fort :
« Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’humanité contre la vie. »
Effet garanti devant les soixante mille délégués et présidents, venus de cent quatre-vingt-sept pays, au premier rang desquels Nelson Mandela. Les médias français, le lendemain, auront compris le message du jour et ne manqueront pas de le diffuser en boucle.
Les délégués à ce sommet de Johannesburg se retrouvaient pour faire le point sur l’application des engagements pris dix ans plus tôt à la « Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement » qui s’était tenue à Rio de Janeiro, au Brésil, pendant le mois de juin de 1992. Cette conférence est restée dans les mémoires comme le « Sommet de la Terre de Rio ». 178 pays y étaient représentés, 110 chefs d’État et de gouvernement, 2000 représentants d’ONG (organisations non gouvernementales) et surtout des milliers de personnes au forum organisé en parallèle par les ONG. Un vrai succès qui s’est conclu par une « Déclaration de Rio sur l’Environnement et le Développement » énonçant 27 principes dont celui de « développement durable ». Même s’il a été depuis largement détourné par tous ceux qui ne retenaient que le « développement » oubliant le « durable », il incluait le droit reconnu à chaque humain à une vie saine en harmonie avec la Nature, l’élimination de la pauvreté, la priorité accordée aux .pays les plus vulnérables.
Plus concrètement était adopté par les chefs d’État présents un « Agenda 21 », plan d’action pour le 21e siècle énumérant 2500 principes précisant l’application de la déclaration. Son chapitre 9 consacré à la « Protection de l’atmosphère » alertait déjà sur le bouleversement climatique.
Oui, déjà, en 1992, à Rio, on le savait. La Planète brûlait !
10 ans plus tard à Johannesburg, le point doit être fait sur la mise en application des engagements de Rio. Les représentants des États producteurs et consommateurs de combustibles fossiles qui se succèdent à la tribune ont bien retenu le vocabulaire des militants écologistes. Après le président français soudainement inspiré, chacun se doit de participer à la surenchère verbale.
La réalité de leur engagement se révèle pourtant tout autre. Le sujet le plus épineux est l’énergie : quelle part pour les renouvelables ? Les ONG se battent pour qu’un objectif chiffré et un calendrier soient fixés pour leur miseen œuvre. La montagne de discussions accouche finalement de la proposition de les accroître « substantiellement » de façon « urgente ». Il urgeait surtout de ne s’engager sur rien. De même, alors qu’il était question de supprimer toutes les subventions aux énergies fossiles, on ne parle plus dans le texte final que de faire la promotion des énergies fossiles « propres ». Propres ? Les lobbies du pétrole et du gaz ont su traduire : carte blanche pour ne rien changer tout en adoptant une novlangue écolo. Place au greenwashing !
Quant aux deux milliards de personnes dans le monde qui n’ont pas accès à des services énergétiques satisfaisants et qui seront les premières à subir les effets du dérèglement climatique, le texte final n’en disait rien. Les véritables gagnants étaient les États-Unis, l’Arabie saoudite, le Japon, le Canada, l’Australie, qui avaient réussi à protéger leurs intérêts dans le domaine des combustibles fossiles.
Dehors les ONG manifestaient leur colère. Yves Cochet, député des Verts ironisait : « Jacques Chirac parle d’or mais ne parle pas d’argent ». Dans l’ombre, Nicolas Hulot, le récent conseiller pour l’environnement du président français, cherchait à limiter les dégâts. De « cette immense montagne » qui, ajoutait-il, « va probablement accoucher d’une souris », il réussissait à extraire un élément positif : « sur un plan psychologique, c’est quand même important parce que là, les derniers doutes sont levés. »
Effectivement, pour les ONG, les derniers doutes avaient été levés à Johannesburg. On savait à présent qu’il n’y avait rien à attendre de ces sommets mondiaux où chacun se livre à une surenchère d’envolées lyriques sur la protection de l’environnement sans l’intention de mettre en œuvre un seul des engagements publiquement annoncés.
Aux armes citoyens !
Retour de Johannesburg, chacun a pu constater que Jacques Chirac s’est bien employé à mettre en sourdine ses déclamations écologistes. Pourtant, le 3 février 2007, l’occasion lui était donnée de récidiver. C’est par un « Appel de Paris » qu’il concluait la réunion de travail du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, qui se tenait dans la capitale française. Les rapports des experts se font de plus en plus précis. Ce rapport, le quatrième depuis la création du GIEC, est particulièrement alarmiste. Il constate que la fonte complète de l’inlandsis du Groenland pourrait entraîner une élévation du niveau de la mer de plusieurs mètres. Résultat : les terres de basse altitude seraient submergées. De nombreuses régions et même des États disparaîtraient de la carte.
Jacques Chirac semble trouver les rapporteurs du GIEC bien trop timides. En nouveau prophète de l’écologie, il n’hésite pas à faire de la surenchère. « Le jour approche où l’emballement climatique échappera à tout contrôle : nous sommes au seuil de l’irréversible », assène-t-il. Cette fois le mot qui devra rester dans les annales sera : Révolution !
« Face à l’urgence, le temps n’est plus aux demi-mesures : le temps est à la Révolution. La Révolution des consciences. La Révolution de l’économie ».
Qui se souvient des « Bastilles économiques » prises par Jacques Chirac ? Les lobbies de l’automobile, de l’agrochimie et du pétrole, ont-ils eu à se plaindre de son passage au pouvoir ? Ont-ils été mis hors d’état de nuire ces ci-devant pyromanes dénoncés par ce nouveau Robespierre ?
Elf et l’argent du pétrole
Au moment même où, à Johannesburg, Jacques Chirac lançait sa célèbre imprécation, Loïk Le Floch-Prigent, ancien PDG d’Elf, préparait son procès en appel dans ce qui est devenu « l’affaire Elf ». Il a fallu toute la persévérance et le courage des juges Eva Joly et Laurence Vichnievsky pour mettre à jour l’une des affaires de corruption les plus tristement célèbres de la fin du 20e siècle : les marchés du pétrole acquis par Elf en échange de somptueux dessous de table remis aux différents chefs des États concernés. Avec à la clé une partie du butin rapatrié et partagé entre les responsables politiques du moment en France.
« Cette fois je vais tout dire » déclare Loïk Le FlochPrigent dans une interview au journal Le Parisien le 26 octobre 2002. Chirac savait, dit-il. Il a ainsi l’intention de produire une lettre « signée de la main de Jacques Chirac », établissant que ce dernier « était parfaitement au courant des commissions versées par Elf ». Interrogé par le Journal du dimanche en septembre2011, l’avocat Robert Bourgi, successeur de Jacques Foccart, révélait à son tour « vingt-cinq ans de pratiques occultes sous Chirac ». Il a des comptes à régler et raconte les transferts de fonds entre les chefs d’État africains et Jacques Chirac. « Moi-même, j’ai participé à plusieurs remises de mallettes à Jacques Chirac, en personne, à la mairie de Paris » dit-il, citant en particulier la présidentielle de 2002 avec les liasses de billets, trois millions de dollars, remis à Dominique de Villepin de la part de Omar Bongo.
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i09036599/jacques-chirac-une-histoire-abracadabrantesque
Propos « abracadabrantesques » ? L’Histoire le dira mais à Johannesburg, comme plus tard à Paris, les chefs de gouvernements et diplomates, bien informés des dessous de la politique française en matière de pétrole et de corruption, ont dû être admiratifs devant l’aplomb du chef de l’État français.
La maison brûle ?
Reste pourtant la phrase-choc. Elle réapparaît à chaque nouvelle grand-messe concernant le climat. Elle a été, fort justement, détournée par l’ironie de celles et ceux qui ne peuvent que subir le double langage des grands de cemonde. Ils constatent que ce « nous » qui « regardons ailleurs » s’applique, à l’évidence en premier lieu, à laplupart des chefs d’État.
- L e climat se détraque... et ils regardent ailleurs.
- Les océans s’étouffent sous les plastiques... et ils regardent ailleurs.
- Les oiseaux, les insectes, disparaissent... et ils regardent ailleurs.
- La famine menace des millions de personnes... et ils regardent ailleurs.
- Les canicules, les inondations, les ouragans, les incendies, font des milliers de morts... et ils regardent ailleurs.
Pour aller plus loin.