Résister, de ZAD en ZAD.
Certaines victoires sont porteuses des luttes à venir. Celle de Notre-Dame-des-Landes, à l’évidence, en est une. Pour la littérature officielle, une ZAD est une « zone d’aménagement différée ». L’humour est souvent la plus efficace des armes. ZAD : « Zone à défendre » ont traduit les militants et militantes de Notre-Dame-des-Landes. Alors se sont ravivés les souvenirs d’autres luttes pour d’autres lieux à défendre. Celle du Larzac contre l’extension du camp militaire. Celle de Plogoff contre le projet de construction d’une centrale nucléaire à la pointe du Raz. Sainte-Soline, autoroute A69... qui pourrait s’étonner de voir se multiplier les ZAD quand le pouvoir politique, au sommet de l’État, se fait le relai des lobbys du vieux monde et tient à répondre par la force à toute contestation.
Les ZAD, le pouvoir en a peur.
Alors que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, peut donner l’ordre aux forces de l’ordre de rester inertes face aux exactions des troupes agricoles menées par la FNSEA, c’est un véritable guet-apens qui attend, à Sainte-Soline, les militantes et militants invités à manifester pacifiquement, à l’appel des Soulèvements de la Terre.
Résister avec Les Soulèvements de la Terre.
A nouveau l’imagination en actes. En 2021, à l’occasion d’une rencontre sur la ZAD de Notre-Damedes-Landes, naît un manifeste « Contre l’apocalypse climatique, les Soulèvements de la Terre ». Qui sont ses signataires ?
Nous sommes des habitant·es en lutte : « attaché·es à leur territoire. Nous avons vu débouler les aménageurs avec leurs mallettes bourrées de projets nuisibles. Nous nous sommes organisé·es pour défendre nos quartiers et nos villages, nos champs et nos forêts, nos bocages, nos rivières et nos espèces compagnes menacées. Des recours juridiques à l’action directe, nous avons arraché des victoires locales. Face aux bétonneurs, nos résistances partout se multiplient. »
Nous sommes des jeunes révolté·es : « qui avons grandi avec la catastrophe écologique en fond d’écran et la précarité comme horizon. Nous sommes traversé·es par un désir croissant de déserter la vie qu’ils nous ont planifiée, d’aller construire des foyers d’autonomie à la campagne comme en ville. Sous état d’urgence permanent, nous avons lutté sans relâche contre la loi Travail, les violences policières, le racisme, le sexisme et l’apocalypse climatique. »
Nous sommes des paysan·nes : « La France n’en compte presque plus. Avec ou sans label, nous sommes les dernier·es qui s’efforcent d’établir une relation de soin quotidien à la terre et au vivant pour nourrir nos semblables. Nous luttons tous les jours pour produire une nourriture saine à la fois financièrement accessible et garantissant une juste rémunération de notre travail. »
« Parce que tout porte à croire que c’est maintenant ou jamais, nous avons décidé d’agir ensemble. »
Agir ensemble.
Cette convergence des luttes, tant de fois espérée, est enfin réalisée. Sainte-Soline en sera la première manifestation à caractère national. Ce pouvoir qui a déjà manifesté sa violence contre cet autre soulèvement qu’ont été les gilets jaunes ne peut le supporter. La répression devra à nouveau être violente et suivie d’une campagne de presse visant à discréditer le mouvement. La machination ourdie pour pouvoir déclarer la dissolution du collectif, a été bien orchestrée.
On ne dissout pas un soulèvement, lui répondent quarante voix, d’origines diverses, dans un ouvrage publié au Seuil. Depuis l’hiver 2001, un mouvement s’est levé, écrivent-elles, « contre l’accaparement et l’empoisonnement de la terre et de l’eau par le complexe agro-industriel. Contre la métropolisation et la bétonisation des terres agricoles nourricières et des derniers espaces naturels. Un mouvement pour résister de toutes nos forces au ravage en cours. ».
Un mouvement « Pour reprendre, mettre en commun et choyer les terres. Y déployer des expériences communales et coopératives. Réinventer des formes de vie qui imbriquent subsistance paysanne et symbiose avec l’ensemble du vivant ».
Ces voix rappellent Sainte Soline et les 30 000 personnes qui ont marché contre les mégabassines. « Ce jour-là, l’État a voulu écraser la lutte, en tirant massivement sur une foule diverse, mais déterminée à mettre un terme au chantier. Il était prêt à tuer. »
On n’a pas dissout le Soulèvement de la Terre. Suite aux plaintes des associations, le Conseil d’État a annulé la décision du ministre de l’Intérieur. Retour du bâton : des dizaines de comités voient le jour sur l’hexagone.
Résister en rebelles.
2018. Un logo apparaît sur les tracts, les affiches, les murs. En vert, pour le combat écologique, un cercle représentant la Terre. A l’intérieur un sablier rappelle l’urgence à agir. En noir, une signature : XR, pour « Extinction Rébellion ». Leurs revendications sont celles de l’ensemble des associations écologistes : la reconnaissance de la gravité et de l’urgence des crises écologiques actuelles - la réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre - l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres, à l’origine d’une extinction massive du monde vivant.
Le mode d’action de ces rebelles rejoint celui des nombreux groupes visant le même objectif : attirer l’attention par une action spectaculaire. Certaines font date comme celle de cette jeune militante de « Dernière Rénovation » qui a interrompu la demi-finale de Roland Garros en s’attachant au filet. Sur son t-shirt une inscription en anglais « Il nous reste 1028 jours ». 1028 jours c’est le temps qu’il reste pour « déterminer le futur de l’humanité » annonce l’organisation. L’État « a été condamné par ses propres tribunaux pour manquement à ses propres lois. C’est désormais à nous, citoyens et citoyennes ordinaires, de faire appliquer les engagements auxquels notre gouvernement refuse de se plier. C’est à nous d’entrer en résistance civile ».
Résister dans les écoles et les universités.
Décembre 2018. En visite sur le campus de l’École Polytechnique à Paris-Saclay, Patrick Pouyanné, Président-directeur général de Total, annonçait le projet d’ouverture d’un nouveau centre d’Innovation et de Recherche sur le plateau de Saclay au cœur de l’École Polytechnique. Ce centre, dont l’ouverture officielle était prévue pour 2022, aurait pour objectif de placer le groupe « au cœur d’un écosystème mondial d’innovation ».
Le chantier devait démarrer dès l’été 2019 quand, comme le relate le journal Le Monde du 6 juillet 2021, « Le mardi 1er juin 2021 à 19 heures, un événement tout à fait inhabituel s’est produit dans la cour Vaneau de l’École polytechnique [.] une action militante à des années-lumière de la tradition militaire. ».
illustration Le Monde
Ce sont 350 élèves ingénieurs qui se sont regroupés pour former un« X » géant, symbole de l’école et de ses élèves. Leur objectif : montrer leur opposition au projet de construction du groupe Total (devenu TotalEnergies) sur leur campus. Bientôt ces premiers francs-tireurs étaient rejoints par Greenpeace France, Anticor et l’association Sphinx, qui rassemble plusieurs dizaines d’anciens élèves de l’X. Ces organisations déposaient une plainte pour prise illégale d’intérêt contre Patrick Pouyanné. Les plaignants lui reprochant d’avoir profité de sa position de membre du conseil d’administration de Polytechnique pour influencer, au nom de Total, la décision finale de valider le projet d’implantation.
Janvier 2022. Après deux ans d’une lutte intelligemment médiatisée, Total jetait l’éponge. Les étudiants étaient les premiers à savourer leur victoire. Ils n’en restent pas moins vigilants. « Nous continuerons à nous battre pour que les relations entre l’École polytechnique et les entreprises partenaires s’inscrivent dans un cadre transparent et soient accompagnées de garanties concernant l’indépendance de la recherche et de l’enseignement », faisait savoir Thomas Vezin, secrétaire général de Sphinx. La leçon sera effectivement retenue.
Juin 2022. A nouveau Polytechnique.
Ils sont huit, étudiants et étudiantes, sur la tribune lors de la remise des diplômes des dernières promotions. Leur discours, d’une rare radicalité, rompt avec l’affichage « élitiste » de leur école. D’abord le constat : « Les rapports du GIEC sont sans appel : nous devons résoudre en trente ans le défi écologique. Un défi existentiel et civilisationnel dont l’enjeu est la possibilité même de soutenir la vie. Malgré de multiples appels de la communauté scientifique, malgré les changements irréversibles d’ores et déjà observés, nos sociétés continuent leur trajectoire vers une catastrophe environnementale et humaine.»
Ensuite la mise au point : « Plus encore, la question écologique ne peut être dissociée de la question sociale. Il paraît inimaginable que la sobriété, qui est nécessaire, soit portée par ceux qui, en France aussi, ont déjà du mal à se loger, se chauffer, se nourrir. On nous a enseigné les théories économiques néo-libérales tout comme la physique du climat [.] On nous a bombardés de présentations de cabinets de conseil tout en nous vantant les services de l’État. Nous rappelons d’abord que non, les règles du jeu ne sont pas immuables. »
Il va falloir innover. « Non pas à la manière des greentech ou autres technologies que le capitalisme et ses startups qualifient de vertes. Mais innover dans notre manière de vivre [.] quitter nos phantasmes sur la technique comme unique et magique source de salut face aux périls écologiques ».
« Nous avons besoin de nouveaux récits ».
Message adressé à leur jeune génération : « Nous avons besoin de nous raconter des histoires qui rendent désirable le futur qu’il nous faut à présent construire. D’avoir des imaginaires qui nous donnent envie de s’y engager non par peur mais avec enthousiasme et avec passion. Partout des gens s’éveillent, partout des gens s’engagent »
« Engageons-nous maintenant car il est déjà si tard. »
Autre discours remarqué : celui des étudiants et étudiantes de l’Agro à l’occasion de la réunion des diplômé.es de 2022. Un message adressé aux nouvelles et nouveaux diplômés : « Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fières et méritantes d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours. Nous ne nous considérons pas comme les “Talents d’une planète soutenable”. Nous ne voyons pas les ravages écologiques et sociaux comme des “enjeux” ou des “défis” auxquels nous devrions trouver des “solutions” en tant qu’ingénieur.es. »
Une analyse lucide du « modèle » agricole dominant :
« Nous ne croyons pas que nous avons besoin de “toutes” les agricultures. Nous voyons plutôt que l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur terre. »
La Technique ne nous sauvera pas : « Nous ne voyons pas les sciences et techniques comme neutres et apolitiques. Nous pensons que l’innovationtechnologique ou les start-up ne sauveront rien d’autre que le capitalisme. Nous ne croyons ni au développement durable, ni à la croissance verte ni à la “transition écologique”, une expression qui sous-entend que la société pourra devenir soutenable sans qu’on se débarrasse de l’ordre social dominant. »
« Ne perdons pas notre temps ! ».
Invitation adressée à leurs amies et amis présents dans la salle. « Désertons avant d’être coincés par des obligations financières.
N’attendons pas que nos mômes nous réclament des sous pour faire du shopping dans le métavers, parce que nous aurons manqué de temps pour les faire rêver à autre chose.
N’attendons pas d’être incapables d’autre chose qu’une pseudo-reconversion dans le même taf, mais repeint en vert.
Remarqué : leur appel à la bifurcation.
« N’attendons pas le 12e rapport du GIEC qui démontrera que les États et les multinationales n’ont jamais fait qu’aggraver les problèmes et qui placera ses derniers espoirs dans les populaires. Vous pouvez bifurquer maintenant. »
dessin dans la "Revue Dessinée"
Juin 2023. Le Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, rencontrant les étudiants et étudiantes de Sciences Po, ne leur dit pas autre chose. « Certains d’entre vous travaillent déjà et se rendent peut-être compte à quel point il peut être difficile de bouleverser le statu quo. Je vous exhorte à ne jamais abandonner.
N’abandonnez jamais les idéaux de compréhension mutuelle, de coopération et de sens du bien commun.
Permettez-moi une observation personnelle : lorsque vous décidez de votre carrière, résistez aux appels des sirènes des entreprises qui détruisent notre planète ; qui volent notre vie privée ; et font le commerce des mensonges et de la haine. »
Novembre 2023. Message reçu par les étudiantes et étudiants.
Après Total, c’est BNP Paribas qui est dans leur collimateur. « Nous sommes étudiant·es et jeunes diplômé·es d’universités et d’écoles françaises [.] Nous constatons que BNP Paribas tente d’instrumentaliser nos craintes et nos convictions et cible notre génération avec son greenwashing, dans sa publicité et sur nos campus (stands vantant ses offres bancaires et jobs à impact, par exemple). Nous ne sommes pas dupes. »
Ils et elles dénoncent ces banques qui financent les destructeurs de la planète. « Nous prenons ici l’engagement de ne pas travailler pour des banques qui, comme BNP Paribas, refusent de regarder la vérité climatique en face et continuent de financer des entreprises qui prévoient de nouveaux projets d’énergies fossiles. Ces bombes climatiques menacent directement notre futur, et nous affirmons haut et fort que nous ne participerons pas à une telle destruction. »
Résister dans les labos.
Février 2020. Constatant l’inaction des gouvernements face à l’urgence écologique et climatique, plus de 1000 scientifiques de toutes disciplines, parmi lesquels une trentaine de médaillé·es du CNRS ou de l’Académie d’Agriculture et plus de cent anciennes directrices ou directeurs d’unités, appellent les citoyens à la désobéissance civile et au développement d’alternatives.
D’abord le rappel : « Les observations scientifiques sont incontestables et les catastrophes se déroulent sous nos yeux. Nous sommes en train de vivre la 6e extinction de masse [.] les niveaux de pollution sont alarmants à tous points de vue [.] nous avons déjà dépassé le 1°C de température supplémentaire par rapport à l’ère préindustrielle, et [.] un réchauffement global de plus de 5°C ne peut plus être exclu. À ces niveaux de température, l’habitabilité de la France serait remise en question par des niveaux de température et d’humidité provoquant le décès par hyperthermie ».
Ensuite le constat : « depuis des décennies, les gouvernements successifs ont été incapables de mettr e en place des actions fortes et rapides pour faire face à la crise climatique et environnementale dont l’urgence croîttous les jours. Cette inertie ne peut plus être tolérée. [.] Nous refusons que les jeunes d’aujourd’hui et les générations futures aient à payer les conséquences de la catastrophe sans précédent que nous sommes en train de préparer et dont les effets se font déjà ressentir. »
Enfin l’appel : « nous appelons à participer aux actions de désobéissance civile menées par les mouvements écologistes, qu’ils soient historiques (Amis de la Terre, Attac, Confédération paysanne, Greenpeace...) ou formés plus récemment (Action non-violente COP21, Extinction Rebellion, Youth for Climate...).
Nous invitons, à se mobiliser [.] en agissant individuellement, en se rassemblant au niveau professionnel ou citoyen local [.] ou en rejoignant les associations ou mouvements existants (Alternatiba, Villes en transition, Alternatives territoriales...) ».
Les observations scientifiques sont incontestables, nous rappellent ces scientifiques rebelles. Incontestables effectivement sont les connaissances accumulées, rapport après rapport, par les scientifiques du monde entier rassemblés dans le GIEC.
Résister avec les scientifiques du GIEC.
Premiers lanceurs d’alerte, les scientifiques français Claude Lorius et Jean Jouzel, ont publié en 1987 la première étude établissant un lien formel entre concentration de CO2 dans l’atmosphère et réchauffement climatique. A leur suite toute une génération de climatologues a pris le relai. Plusieurs ont tenu un rôle premier dans les travaux du GIEC. Certains et certaines ont décidé de descendre dans l’arène.
15 Novembre 2017. Déclaration d’Emmanuel Macron, à Bonn, lors de la COP23.
La France a décidé « l’interdiction de tout nouveau permis d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures dans notre pays. C’est la première fois qu’un pays développé décide pour son propre territoire d’une telle politique ; nous l’assumons parce que c’est celle qui est indispensable pour être au rendez-vous du climat et de la transition que nous avons actée ».
Et pourtant…
11 février 2024. Christophe Cassou, climatologue auteur principal du 6e rapport du GIEC, était avec Greta Thunberg aux côtés des manifestantes et manifestants qui s’opposaient au projet de forage pétrolier dans le bassin d’Arcachon. « Je quitte ici mon habit de scientifique », leur dit-il. « Je vois ici des gens de tous âges, unis dans un combat non violent pour un futur climatique viable. » Indignation, engagement, résistance, ne sont pas des crimes, leur dit-il.
« 1. L’indignation n’est pas un crime : c’est le signe de la conscience qui fait de nous des êtres humains.
2. L’engagement n’est pas un crime. C’est ce qui fait l’honneur du citoyen.
3. La résistance à l’absurdité d’un projet climaticide et emblématique d’une bifurcation impossible n’est pas un crime.
Au contraire, le GIEC dans son évaluation de la littérature scientifique, montre que les mouvements citoyens aident à la prise de conscience et à faire évoluer le droit,aujourd’hui obsolète par bien des aspects, face aux enjeux du moment. »
Christophe Cassou est l’un de ces scientifiques qui, après avoir fait connaître les différents scénarios possibles d’évolution du climat et leur effet sur la Planète, ont décidé d’agir en citoyens libres. Ses messages didactiques, très suivis sur X (twitter), lui ont valu des tombereaux d’insultes qui l’ont amené, pendant une période, à suspendre ses publications.
Libre et courageuse également Magali Reghezza-Zitt,géographe, auteure de Anthropocène (éditions CNRS). Les insultes et menaces, qu’elle reçoit sur les réseaux sociaux, ne la font pas renoncer à sa volonté d’informer.
Également sur X, Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au CEA et coprésidente du groupe n°1 du GIEC de 2015 à 2023, informe inlassablement. Le 12 avril 2023 elle intervenait à la soirée de soutien aux Soulèvements de la Terre organisée par Reporterre, Blast, Socialter et Terrestres.
« Je veux dire très clairement mon rejet de toute forme de violence. Je ne me reconnais pas dans une société où le dialogue est impossible, et où la violence mène à la violence », tenait-elle à dire en introduction tout en affirmant, tout aussi clairement, que les actions de résistance non violentes sont des catalyseurs de changement.
Son intervention était placée sous le signe de la gravité.« La contestation de la légitimité de certains projets est perçue comme une menace à l’ordre public, conduisant à des interdictions de manifestations, mobilisant des milliers de gendarmes, et menant à des affrontements violents et graves. Mais sommes-nous réellement engagés aujourd’hui vers des transformations de fond favorables à l’intérêt général, accélérant la baisse des émissions de gaz à effet de serre, renforçant la résilience face au climat de demain, préservant la biodiversité ? »
Quelle est la menace la plus grave ?
« Est-ce la poursuite de tendances non soutenables ?L’aggravation des impacts du changement climatique qui touche de plein fouet les plus fragiles, la dégradation des écosystèmes, la perte de biodiversité, leurs conséquences pour le bien-être, les droits humains des générations actuelles et futures ? »
Ou est-ce cette contestation qui dérange ? « Face à l’inertie, face à l’inadéquation des réponses institutionnelles et politiques [.] Les mouvements sociaux pour la justice climatique qui prennent, dans les régions rurales comme dans les centres urbains, de nouvelles formes d’actions de résistance non violentes, parfois perturbatrices, font partie des catalyseurs. »
Résister et annoncer le monde à venir.
Résister est une priorité quand il faut mettre en échec les projets destructeurs du climat et du vivant qui se multiplient. Résister, c’est aussi, et peut-être d’abord, mettre en œuvre, sans attendre, ces actions qui « bifurquent ».
La population d’insectes, d’oiseaux s’effondre. Les cancers, les maladies neurodégénératives, les problèmes de développement des jeunes enfants se multiplient. Responsables : les pesticides.
Issus, comme les nitrates, de la chimie de guerre des explosifs et des gaz de combat, l’industrie leur a trouvé un débouché massif dans l’agriculture. Seule une poignée d’agriculteurs ont alors choisi de prendre une autre voie, celle d’une agriculture sans chimie, l’agriculture biologique.
Ces pionniers, au début peu nombreux, ont su aller au devant des autres résistants de la société de consommation, ces protecteurs d’espaces naturels, ces empêcheurs de bétonner en rond, ces semeurs de solidarités locales et planétaires. Des magasins coopératifs se sont montés, des marchés se sont mis à revivre, des échanges équitables ont lié producteurs et consommateurs. Contre l’accaparement des terres, des associations ont créé les liens qui permettent à de jeunes agriculteurs et agricultrices de pouvoir s’installer.
Malgré les pressions du lobby agro-industriel et le manque de soutien des pouvoirs publics, toutes ces initiatives progressent et annoncent l’agriculture et l’alimentation du futur.
Les transports.
C’est une des premières causes de l’émission de gaz à effet de serre. C’est aussi la cause principale de l’émission de particules fines qui causent, en France, de l’ordre de 50 000 décès prématurés par an.
Il a fallu bien des manifestations cyclistes, des « vélorutions », pour que le vélo soit devenu une évidence. Les premières municipalités à rendre gratuits les transports en commun ont, d’abord, été regardées de façon suspicieuse. Elles ont fait la preuve de l’intérêt environnemental et social de leur choix. Ce sont les mobilisations citoyennes qui ont sauvé des voies ferrées secondaires menacées et obtenu la reprise des trains de nuit. Pour suppléer au manque de transports en commun, le covoiturage a d’abord été mis en place de façon « sauvage » avant que les autorités en voient l’intérêt et commencent à l’organiser.
L’habitat.
L’autre cause principale de l’émission de gaz à effet de serre. Les premiers éco-villages, écoquartiers, éco-immeubles, ont été, eux aussi, à l’initiative de pionniers.
L’énergie.
Les premiers panneaux solaires, thermiques ou photovoltaïques, les premières éoliennes, ne sont pas nés en Chine. Si les gouvernants français n’avaient pas fait le choix du tout nucléaire et bridé toutes les initiatives de ces autres pionniers qui, dès les années 70 du siècle passé, les avaient déjà mises en œuvre à leur échelle, nous aurions aujourd’hui, en France, les fabricants et artisans capables de produire localement les énergies de demain.
Pour autant tous ces acteurs et actrices savent que les changements ne viendront pas d’une « transition » écologique, terme derrière lequel les partisans du statu quo s’abritent pour prolonger le plus longtemps possible les énergies fossiles et les polluants chimiques. Il n’est plus le temps de faire uniquement appel à la « conscience individuelle » ou de promouvoir une politique des « petits pas ».
Il y a urgence.
« Gaïa se soulève », nous dit Isabelle Stengers, philosophe des sciences, l’une des « 40 voix pour les soulèvements de la Terre ». Nommer ainsi la Terre, explique-t-elle, c’est, « plutôt que d’en parler d’un phénomène climatique », faire sentir qu’il ne s’agit pas d’une simple crise mais que « quoi qu’il arrive, nous allions désormais devoir apprendre à vivre avec elle en tant que puissance ». Le capitalisme mondialisé a déclenché un bouleversement climatique et biologique qui met en péril la vie même de nombreuses populations.
Seule une mutation qui touche à toutes les dimensions de la vie en société peut y répondre. Malgré la répression, les résistants et résistantes d’aujourd’hui, qui font revivre les valeurs de partage et de solidarité, la préparent.
Pour aller plus loin.