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1 décembre 2024 7 01 /12 /décembre /2024 19:13

Gérard Borvon

 

Extrait de : refuser l'arme nucléaire.

 

 

 

 

Quand les premières pages de ce livre ont été écrites, rien ne laissait penser que le président de la Russie, Vladimir Poutine, allait déclarer la guerre à l’Ukraine. Qui pouvait imaginer de voir à nouveau des populations écrasées sous les bombes et subissant les  exécutions sommaires, tortures, viols, qui accompagnent toutes ces guerres modernes qui visent d’abord les civils.  Encore moins était-il envisageable que le président Russe menace d’utiliser son armement nucléaire. Une menace qui s’adressait à l’Ukraine, mais aussi aux pays qui avaient choisis de répondre à la demande d’aide du Président Ukrainien Zelensky.
 

 

Les objectifs annoncés des frappes nucléaires russes étant les sites militaires adverses, nous voilà revenus aux premières pages de cet écrit quand les habitants de la presqu’île de Crozon refusaient d’être la cible d’une frappe nucléaire « préventive ». Que penser de la réponse faite au président Russe par le ministre français des affaires étrangères, Jean Yves Le Drian : « Je pense que Vladimir Poutine doit aussi comprendre que l’alliance atlantique est une alliance nucléaire ». Comment ne pas s’interroger sur le fait que ce soit un ministre français, pas particulièrement bien placé pour le faire, qui choisisse d’évoquer une possible réponse nucléaire de l’OTAN. N’était-ce pas plutôt de sa part une façon de rappeler que la France est elle même une puissance nucléaire qui affiche régulièrement sa prétention à être le « parapluie » nucléaire de l’Europe ? Être ainsi remis en lumière n’avait rien de rassurant pour la population du « bout du monde ».

 

Le 5 mars 2022 la chaîne de télévision Tébéo, liée au journal Le télégramme, rendait compte de cette inquiétude dans une émission titrée : « Menace nucléaire, la Bretagne en première ligne ». « Depuis le début de la guerre en Ukraine, Vladimir Poutine agite la menace nucléaire. Un signal qui résonne fort en Bretagne, puisque l'un des sièges stratégiques de la dissuasion nucléaire se trouve à l'Île Longue », annonçait le préambule de l’émission. L’invité était le président de « l’Université Européenne de la Paix », une association qui milite activement depuis trente ans pour le renoncement par la France à son armement nucléaire et qui est membre du Collectif finistérien pour l’Interdiction des Armes Nucléaires (CIAN 29).

 


 

 

Si on peut comprendre une sensibilité particulièrement forte dans cette pointe de Bretagne, l’agression de l’Ukraine par la Russie a été ressentie comme une menace par l’ensemble de la population en France qui a vu s’effondrer le dogme de la dissuasion : la preuve est faite que la paix n’est nullement garantie par  l’équilibre de la terreur. Comme le signale Benoît Pelopidas, fondateur du programme d’étude des savoirs nucléaires de Sciences Po, dans son  livre « Repenser les choix nucléaires », en situation de crise, une escalade incontrôlée ou un tir non autorisé peuvent aboutir à une explosion nucléaire dont les conséquences sont facilement imaginables.

 


 

 

Il note surtout que, en dehors même des périodes de tension, une catastrophe nucléaire d’origine militaire est toujours possible. Il met ainsi en évidence le rôle de la chance dans le  fait qu’aucune explosion nucléaire  accidentelle n’ait encore eu lieu. Parmi plusieurs exemples, il cite cette dislocation d’un B-52 en 1961 dans le ciel de Caroline du Nord au moment d’un ravitaillement en vol. Deux bombes de 3,8 mégatonnes – plus de 250 fois Hiroshima – se sont trouvées en chute libre. Un simple interrupteur a empêché l’explosion. Il aurait suffit d’une simple décharge électrique pour que la bombe explose en arrivant au sol.

 

C’est encore en 1980 l’incendie du moteur d’un B-52 sur une base du Dakota du Nord. A bord se trouvaient des armes nucléaires, très sensibles au feu, qui auraient pu exploser si, après trois heures d’intervention des pompiers, l’incendie n’avait pas été arrêté avant qu’il atteigne le compartiment contenant les armes.

 

C’est aussi le cas largement médiatisé de l’officier radar Stanislav Petrov, « l'homme qui a sauvé le Monde d'une guerre nucléaire ». Après avoir vu apparaître sur ces écrans ce qui semblait être la marque de cinq missiles ennemis, il a décidé de ne pas déclencher la procédure d’alerte qui aurait pu mener à une réplique nucléaire immédiate. A côté de ces quelques cas connus, combien d’autres restent dissimulés sous le « secret défense », y compris en France ? Alors que faire face à ces risques incontrôlés.

 

 

Un autre exemple retrouvé dans d'anciennes archives personnelles.
Voir

 

« Exigez de vos gouvernements un désarmement nucléaire total ». Tel est l’appel que nous adressaient Stéphane Hessel et Albert Jacquard dans le court ouvrage qu’ils ont publié en 2012. Qui mieux qu’eux a mis en lumière le non-respect par les états signataires du TNP, dont la France, de leurs engagements en matière de désarmement nucléaire, en particulier de l’article VI du TNP, entré en vigueur en 1970 : « chacune des parties du traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires et au désarmement nucléaire à une date approchée ».

 


 

 

Désarmement nucléaire à une date approchée ? Un demi siècle plus tard avons nous vu des progrès ? Le traité n’a été qu’un leurre, constatent les deux auteurs, car fondé  sur une base « d’une part, injuste et, d’autre part, perverse ». Base injuste car quelle justice y a-t-il, de la part des états détenteurs d’armes nucléaires, de demander aux autres pays d’y renoncer quand eux-mêmes présentent leur possession comme l’indispensable garantie de leur sécurité. Base perverse quand le TNP prévoit, en contrepartie de ce renoncement, d’aider les pays signataires à développer chez eux le nucléaire « civil »,  proposition qui est une excellente opportunité pour les pays nucléarisés d’ouvrir des marchés lucratifs à leur propre industrie nucléaire. Ce faisant ils ne peuvent ignorer que ce nucléaire « civil » est la voie vers le « militaire » car, comme l’a reconnu explicitement le président français Emmanuel Macron le 8 décembre 2020, «  Sans nucléaire civil, pas de nucléaire militaire, sans nucléaire militaire, pas de nucléaire civil » . C’est ainsi que l’Inde, le Pakistan, Israël, la Corée de Nord ont développé leur propre force de frappe nucléaire, rendant de ce fait le monde encore plus dangereux. Alors, « exiger » de nos gouvernements un désarmement nucléaire total ? Que pouvons nous exiger de présidents de la république française dont le premier geste après leur élection est de venir se faire adouber, à bord d’un sous-marin nucléaire, à l’Île-Longue dans la presqu’île de Crozon.

 


Face à l’inaction des « politiques », ce sont donc des organisations non-gouvernementales qui se sont regroupées en 2007 dans une « Campagne Internationale pour l’Abolition des Armes Nucléaires (ICAN) ». Loin d’être utopique, leur action, qui a été reconnue par un prix Nobel de la paix en 2017, est à l’origine de l’adoption par 122 pays, en juillet 2017, d’un traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN).  Après sa ratification par 50 pays, le traité est entré en vigueur le 22 janvier 2021.
 

 

Son premier article résume à lui seul l’esprit du traité. « Chaque État partie s’engage à ne jamais, en aucune circonstance [.] mettre au point, mettre à l’essai, produire, fabriquer, acquérir de quelque autre manière, posséder ou stocker des armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires ». Réaction des puissances nucléaires ? Le gouvernement français affiche sa réponse sur le site du ministère des affaires étrangères. La France ne le signera pas car, ose affirmer son communiqué, le TIAN « ne servira [.] pas la cause du désarmement, puisqu’aucun État disposant de l’arme nucléaire ne le signera ». Aucun ne le signera ? Faudra-t-il attendre que les USA et la Russie se mettent d’accord pour se dénucléariser alors que nous voyons leur rivalité se réveiller à chaque occasion ?
 

 

« Nos parents et grands-parents nous ont laissé les bombes nucléaires en héritage. Nous ne voulons pas laisser ce cadeau empoisonné à nos enfants » écrivaient quatre étudiants dans la préface de « Nucléaire, un mensonge français », le livre de l’ancien ministre de la défense Paul Quilès. Alors que nous laissons déjà à nos descendants le poids du dérèglement climatique et celui de la perte de la biodiversité, comment accepter, sans agir, que s’y ajoute la menace permanente de l’apocalypse nucléaire.  

 


 

 

Que faire ? Pour renouer avec la tradition humaniste qui a été la sienne dans une période de son histoire, la France peut donner le signal de la marche vers un monde débarrassé de la menace nucléaire en étant le premier pays à renoncer volontairement à son armement nucléaire.

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