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25 avril 2025 5 25 /04 /avril /2025 13:26

 

 

Les symboles, un héritage alchimique.

 

Les alchimistes ont été violemment dénigrés par les chimistes, leurs successeurs. Pierre Joseph Macquer (1718-1784), considéré comme l’un des "pères" de la chimie moderne va même jusqu’à regretter le reste de filiation qui s’exprime dans ce nom de chimie partagé par les deux disciplines. C’est un mal, écrit-il " pour une fille pleine d’esprit et de raison, mais fort peu connue, de porter le nom d’une mère fameuse pour ses inepties et ses extravagances".
 

 

N’y a-t-il cependant pas une certaine ingratitude à renier ces prédécesseurs qui leur ont transmis, entre autres héritages, l’usage de symboles désignant les corps mis en œuvre dans leurs laboratoires. L’alchimie les a reçus d’antiques traditions issues de la Mésopotamie, de l’Assyrie, de la Perse, de l’Égypte et même la Chine ou l’Inde. Entre autres la représentation des quatre éléments sous forme de triangle.


 

 


Ou celle des métaux représentés par les signes représentant les planètes dont ils sont supposés tenir leur origine.

 


Ils figureront également sur une planche de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

 


En complément de la "Méthode de Nomenclature Chimique" (1787), Jean-Henry Hassenfratz (1755-1827) et Pierre Auguste Adet (1763-1834) proposent eux-mêmes un nouveau symbolisme adapté à la nouvelle façon de nommer et de penser.

 

 

Ce symbolisme n’aura pas le même succès que la nomenclature qu’il est sensé représenter et il faudra de longues années avant qu’apparaissent les premières formules chimiques. Et d’abord que se précise la notion « d‘atomes ».

 

Naissance des atomes.

 

Atome est un mot hérité des philosophes de la Grèce antique : ἄτομος (atomos), "que l'on ne peut diviser", tel est le nom donné par Démocrite d'Abdère (-460 ; -370) et ses disciples aux particules, séparées par le vide, dont ils imaginaient que l'Univers était constitué. Le mot atome traversera les siècles avec des sens qui évolueront au fil des époques. Des époques plus récentes voient l'usage de molécule ou "petite masse" (du latin moles, masse). C'est le terme généralement utilisé par Lavoisier.

 

Mais la théorie atomique contemporaine est réputée commencer avec John Dalton (1766-1844). Chimiste et enseignant, il publie, en 1808,   "Un nouveau système de philosophie chimique" dans lequel il propose une première représentation atomique de la matière.

 

Le mot "atome" apparaît à la fin de son texte comme "l'ultime particule" des corps. Contrairement à notre usage actuel, atome est, pour lui, synonyme de ce que, aujourd'hui, nous appelons molécule. il désigne, aussi bien, une particule de corps simple qu'une particule de corps composé, binaire, ternaire ou quaternaire...

 

 

Les "équations" proposées par Dalton nous font réellement entrer dans notre chimie contemporaine pour laquelle une réaction est un "mécano" qui permet, à partir d'une centaine de pièces détachées, les atomes, de construire une multitude d'objets de plus en plus complexes, les molécules.

On retient surtout de Dalton l'attribution de symboles aux atomes. Ceux-ci sont associés à leurs "masses atomiques. "C’est l'hydrogène, le moins dense des éléments alors connus qui est choisi comme référence.

 

 

Les symboles sont encore fortement inspirés des alchimistes pour lesquels l'Or, "le métal solaire par excellence",  était représenté par un simple cercle ou un cercle centré. Est-ce un hasard si c'est par ces signes que Dalton choisit de représenter l'oxygène et l'hydrogène ?

 


Symboles des "atomes" de différents corps composés proposés par Dalton.
En haut, à gauche, l'eau. Un nouveau système de philosophie chimique, 1808.

 

En ce qui concerne la schématisation des corps composés, alors que le dioxyde de carbone  est correctement noté avec un atome de carbone et deux d'oxygène. La composition correcte de l'eau H2O devra attendre. Sa formule est  encore représentée par un atome d'oxygène et un seul d'hydrogène .

 

De l'atome à la molécule. Quand l'eau devient H2O et le gaz hydrogène H2.

 

En décembre 1808, peu après la publication du "Nouveau Système de Philosophie" de Dalton, Louis-Joseph Gay-Lussac (1778-1850), partant de l'observation du "rapport exact de 100 de gaz oxygène à 200 de gaz hydrogène" , lors de la décomposition de l'eau, constate que le phénomène est général et que les volumes des gaz qui se combinent sont dans des rapports simples "tels qu'en représentant l'un des termes par l'unité, l'autre est 1 ou 2 ou au plus 3" . C'est bien le cas pour l'hydrogène et l'oxygène qui sont dans un rapport de 1 à 2.

 

La loi est complétée par Avogadro en 1811 puis Ampère en 1814 qui affirment que "dans les mêmes conditions de température et de pression, des volumes égaux de gaz différents contiennent le même nombre de molécules". Ce qui implique que dans la décomposition de l'eau, l'hydrogène obtenu contienne deux fois plus de molécules que l'oxygène. Ainsi peut-on affirmer, comme le fera Faraday, que les molécules d'eau sont constituées "d'une demi-molécule d'oxygène et de deux demi-molécules d'hydrogène".

 

La "demi-molécule" d'hydrogène ou d'oxygène nous amène à la conception moderne de l'atome et de la molécule. Les mots équivalents de particule, atome, molécule, ont progressivement évolué. D'un côté les atomes, briques élémentaires, de l'autre les molécules construites à partir de ces atomes. Ainsi les molécules des gaz oxygène ou hydrogène sont formées de deux atomes, ce qui nous amène aux formules contemporaines de O2 et H2 que le vocabulaire récent désigne comme celles du "dioxygène" et du "dihydrogène". Des formules qui nous amènent en Suède.

 

Symboles, Formules… les nouveaux signes de la chimie.

 

Jöns Jacob Berzelius (1779-1848) est un personnage de premier plan dans la formation des concepts et des méthodes de la Chimie moderne.  Né à Väversunda Sörgård en Suède, fils d'un maître d'école, il se destine à la médecine qu'il apprend à l'université de Uppsala. Rapidement il se consacre à la Chimie qu'il enseigne en parallèle avec la médecine.

 

Berzelius est un atomiste convaincu : "Les corps étant formés d'éléments indécomposables, doivent l'être de particules dont la grandeur ne se laisse plus ultérieurement diviser et que l'on peut appeler particules, atomes, molécules, équivalents chimiques, etc. Je choisirai de préférence la dénomination d'atome, parce que, mieux qu'une autre, elle exprime notre idée". Notons que, comme Dalton, il ne fait pas la distinction entre atome et molécule. Il existe des atomes de corps composés comme des atomes de corps simples.

 

Dès ses premiers écrits Berzelius choisit de nommer les corps à partir du latin. Son modèle est Guyton de Morveau : "L'on sait que la nomenclature fondamentale dont nous nous servons est due au génie de M. Guyton de Morveau, et qu'elle a été adoptée à la suite des rectifications faites par une commission des membres de l'institut. M. Guyton eut l'heureuse idée de changer le chaos de noms bizarres qui existait de son temps, en un système de définitions, ou en noms qui indiquaient la nature même des composés qu'ils représentaient, et il rendit par-là un service immense à la science."

 

Si Lavoisier n'est pas cité, son esprit rôde encore au-dessus de la chimie : "La nomenclature latine, dite antiphlogistique, qui sert de base à la nomenclature française, est un véritable chef d'œuvre. Celui qui, avec un peu de connaissance de la chimie, la parcourt, la connaît tout de suite ; et elle contient pour ainsi dire une partie principale de la théorie de la science"

 

Comment imaginer plus beau compliment ? Dans son traité de 1813, rédigé en français sous son contrôle, Berzelius donne un tableau des termes français accolés à la nomenclature latine qu'il propose. La concordance des deux langues est remarquable. Le latin chimique semble être, en réalité, un français latinisé. Cependant, 25 ans le séparent de la première nomenclature française, il pense donc nécessaire de lui apporter quelques corrections.

 

Pour lui, comme pour Lavoisier, toute la chimie s'organise autours de l'oxygène, il ne touche donc pas au terme d'oxygène, pourtant si controversé. Parmi les dénominations qu'il propose et qui rompent avec le français on peut noter :

 

Proposition latine de Berzelius Nomenclature française   Symbole
international
Stibium    Antimoine Sb
Aurum     Or Au
Wolframium Tungstène  We 
Stannum Etain Sn
Natrium Sodium    Na
Kalium Potassium K


 

Concernant les deux dernières dénominations, il explique : "On s'est servi dans la nomenclature française, pour désigner les alkalis purs, des mêmes noms que pour les alcalis du commerce. De là des inconvénients, lorsqu'on est obligé de parler de ces substances alcalines. De plus, le mot potasse qui dérive d'un mot allemand et suédois, lequel veut dire cendre de pot, ne se laisse pas trop latiniser sans trop de violence. C'est pourquoi les chimistes allemands ont été conduits à remplacer le mot potasse pure par celui de kali, et le mot de soude pure par celui de natron, et par conséquent à appeler kalium et natrium les radicaux des alcalis fixes. L'on fera bien, je crois, de les conserver dans la nomenclature latine."

 

Il est effectivement étonnant de constater que, si les Allemands et suédois ont abandonné potasse, les Français l'ont conservé, estimant, quant à eux, que ce n'était pas lui faire violence que de le latiniser. Pour les chimistes français, la lettre K symbolise donc le potassium. De même le sodium des français est symbolisé par Na. Les mots français du "commerce" ont parfois la  vie longue. Les mots soude, potasse, ammoniaque sont encore présents dans les manuels de chimie de l'hexagone.

 

Ce récit nous a amenés, à plusieurs occasions, à utiliser, dans un souci de clarification, les notations modernes : O2, H2, H2O, K, Na… Ce symbolisme, devenu le langage  universel de la chimie, est le plus beau des cadeaux laissé par Berzelius à ses successeurs.

 

Symboles et équations chimiques.

 

Berzelius rappelle le temps des signes alchimiques "créés par le besoin de s'exprimer d'une matière mystique et incompréhensible pour le vulgaire". Jugement sévère car dans le même temps il reconnaît le choix judicieux des signes proposés par les réformateurs "antiphlogistiques" français alors que ceux-ci s'étaient, eux-mêmes, largement inspirés des signes alchimiques.

 

Quoi qu'il en soit, il considère qu'un signe introduit une inutile difficulté car, dit-il, "il est plus facile d'écrire un mot en abrégé que de dessiner une figure". D'où sa volonté de proposer d'autres signes. Non pas des signes "créés dans la vue de les placer, comme les anciens, sur les vases de laboratoire", mais des signes ayant pour objet "de nous mettre en état d'énoncer brièvement et avec facilité le nombre d'atomes élémentaires qui se trouve dans chaque corps composé".

 

Il choisit donc, comme symboles, les lettres de l'alphabet "pour pouvoir être facilement tracés et imprimés sans défigurer le texte". On prendra "la lettre initiale du nom latin de chaque corps simple" et pour distinguer deux corps dont le nom commencerait par la même lettre, il suffira d'y adjoindre les deuxièmes ou troisièmes lettres du nom. Ainsi le soufre sera désigné par le S, le silicium par Si, le stibium (antimoine) par Sb, le Stannum (étain) par Sn. De même l'hydrogène par H, l'Hélium par He, l'Hydrargyrum (mercure) par Hg, l'Holmium par Ho..

 

Pour les molécules contenant plusieurs atomes identiques, leur nombre sera indiqué par un exposant. Ainsi pour l'eau : H2O, pour le "gaz carbonique" : CO2. Le symbole a traversé le temps avec comme seule modification la transformation de l'exposant en un indice : H2O, CO2...

 

L'ensemble des propositions de Berzelius peuvent être considérées comme le couronnement de la réforme de la nomenclature chimique initiée 25 ans plus tôt par les chimistes français. Si, pour nos contemporains H2, O2, H2O, CO2, sont bien autre chose que des signes cabalistiques, c'est à Guyton de Morveau, à Lavoisier et à Berzelius que nous le devons.

 

L’hydrogène, le premier corps du tableau de Mendeleïev.

 

Pour présenter leur nomenclature, Guyton de Morveau, Lavoisier, Fourcroy avaient choisi de la résumer sous forme de tableaux. Les travaux de Berzelius et de ses contemporains sur les masses atomiques des éléments, sur la composition et les formules des corps, invitaient eux aussi à de telles représentations. De nombreuses tentatives seront faites avant que celle proposée par le Russe Mendeleïev ne s'impose.

 

Dimitri Ivanovitch Mendeleïev (1834-1907) est issu d'une famille pauvre de Sibérie. Après des études de chimie à l'université de Saint Petersburg, il fait un séjour à Paris et à Heidelberg où il participe aux travaux de Robert Bunsen et de Gustav Kirchhoff. De retour dans son pays, il devient, en 1863, professeur de chimie à l'université de Saint Petersburg.

 

Il se raconte que c'est dans le but de rédiger un manuel à l'usage de ses étudiants qu'il a cherché à classer le nombre important des corps, alors connus, dans un tableau dont la simple lecture permettrait de reconnaître les propriétés de chacun. La première version du tableau paraît en 1869.  

 

Mendeleïev remarque d'abord que les propriétés de corps bien connus comme l'oxygène, l'azote, le carbone, peuvent se rencontrer dans d'autres corps. Parmi ces propriétés communes, la "valence" de ces éléments, c'est-à-dire le nombre de liaisons qu'ils peuvent former avec d'autres atomes et en particulier avec les atomes d’hydrogène.

 

L'hydrogène, comme le chlore, est monovalent. L'oxygène, et le soufre sont dits bivalents. Ils peuvent s'unir à deux atomes d'hydrogène pour donner l'eau (oxyde d'hydrogène) H2O ou le sulfure d'hydrogène H2S. L'azote comme le phosphore, donnant les composés NH3 et PH3, seront trivalents. Le carbone comme le silicium (CH4 et CO2 ou et SiH4 et SiO2) sont tétravalents. Il est donc possible, à partir de la valence, de constituer des "groupes d'éléments semblables".

 

Mendeleïev remarque par ailleurs que "les éléments ont une propriété exactement mesurable, c'est leurs poids atomique". Il lui semble donc naturel "de chercher une relation entre les propriétés analogues des éléments d'une part et leur poids atomique d'autre part". C'est en notant tous les éléments dans l'ordre croissant de leur poids atomique qu'il remarque la répétition périodique des propriétés des corps.

 

Plus précisément dit-il, "en disposant les éléments d'après la grandeur croissante de leur poids atomique en colonnes verticales, de façon à ce que les lignes horizontales contiennent des éléments analogues, eux-mêmes classés par poids atomique croissant, on obtient le tableau suivant duquel peuvent être déduites des conclusions générales".

 

Première version du tableau de Mendeleïev avec sa disposition verticale. 1869.

 

Mendeleïev remarque d'abord que les propriétés de corps bien connus comme l'oxygène, l'azote, le carbone, peuvent se rencontrer dans d'autres corps. Parmi ces propriétés communes, la "valence" de ces éléments, c'est-à-dire le nombre de liaisons qu'ils peuvent former avec d'autres atomes.

 

L'hydrogène, comme le chlore, est monovalent. L'oxygène, et le soufre sont dits bivalents. Ils peuvent s'unir à deux atomes d'hydrogène pour donner l'eau (oxyde d'hydrogène) H2O ou le sulfure d'hydrogène H2S. L'azote comme le phosphore, donnant les composés NH3 et PH3, seront trivalents. Le carbone comme le silicium (CH4 et CO2 ou et SiH4 et SiO2) sont tétravalents. Il est donc possible, à partir de la valence, de constituer des "groupes d'éléments semblables".

 

Mendeleïev remarque par ailleurs que "les éléments ont une propriété exactement mesurable, c'est leurs poids atomique". Il lui semble donc naturel "de chercher une relation entre les propriétés analogues des éléments d'une part et leur poids atomique d'autre part". C'est en notant tous les éléments dans l'ordre croissant de leur poids atomique qu'il remarque la répétition périodique des propriétés des corps.

 

Plus précisément dit-il, "en disposant les éléments d'après la grandeur croissante de leur poids atomique en colonnes verticales, de façon à ce que les lignes horizontales contiennent des éléments analogues, eux-mêmes classés par poids atomique croissant, on obtient le tableau suivant duquel peuvent être déduites des conclusions générales".

 


Il tire, de l'observation de ce tableau, une liste de huit conséquences.

 

1 – Les éléments disposés d'après la grandeur de leur poids atomique présentent une périodicité de des propriétés.

2 – Les éléments qui se ressemblent par leurs fonctions chimiques ont des poids atomiques proches (Pt, Ir, Os) ou bien croissant uniformément (K, Rb, Cs).

3 – La disposition des éléments ou de leurs groupes d'après la grandeur du poids atomique correspond à leur valence.

4 – Les corps simples les plus répandus sur Terre ont un poids atomique faible et tous les éléments à poids atomiques faibles sont caractérisés par des propriétés bien tranchées. Ce sont des éléments typiques.

5 – La grandeur du poids atomique détermine le caractère de l'élément.

6 – Il faut attendre la découverte de plusieurs corps simples encore inconnus, ressemblant, par exemple, à Al et Si et ayant un poids atomique 65-75.

7 – La valeur du poids atomique d'un élément peut, quelquefois, être corrigée si l'on connaît ses analogues. Ainsi le poids atomique de Te n'est pas 128 mais doit être compris entre 123 et 126.

8 – Certaines analogies des éléments peuvent être découvertes d'après la "grandeur du poids de leurs atomes".

 

La conséquence la plus remarquée de cette "loi de périodicité" est la prédiction de nouveaux éléments (ceux qui sont marqués dans le tableau par un point d'interrogation) avec leur poids atomique supposé et même leurs propriétés chimiques.

 

Elément prédit Elément trouvé Poids atomique réel.
? 45   scandium 44,96
? 68 gallium   69,72
? 70     germanium  72,64
? 180 hafnium 178,49


         Quelques exemples de corps prédits par Mendeleïev

 

Rapidement le tableau a été modifié : les colonnes sont devenues lignes horizontales et les horizontales verticales.  


Forme actuelle du tableau de Mendeleïev.

 

Il faudra attendre la connaissance de la structure interne des atomes et l'avènement de la "physique quantique" pour que la raison de ces propriétés s'éclaire. Notons surtout que le "professeur" Mendeleïev avait réellement inventé l'outil nécessaire à ses élèves.

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23 avril 2025 3 23 /04 /avril /2025 14:42

 

Louis-Bernard Guyton de Morveau, né à Dijon en 1737, avocat au parlement de Dijon, est un scientifique reconnu. Membre de l’académie de sa ville, il est le correspondant de plusieurs célèbres chimistes européens, dont Scheele et Bergman avec lequel il partage la volonté de réformer le langage alors utilisé en chimie.

 

Le constat est simple : cette science qui a enfin réussi à s’imposer dans les académies emploie une langue à peine sortie des grimoires alchimistes. « Il n’est point de science, regrette-t-il, qui exige plus de clarté, plus de précision, & on est d’accord qu’il n’en est point dont la langue soit aussi barbare, aussi vague, aussi incohérente.» La liste de ces barbarismes est effectivement édifiante. On y rencontre de l’huile de vitriol, de la crème de chaux, du beurre d’arsenic, du foie de soufre, du safran de Mars, de la lune cornée, des éthiops, des kermès …


Depuis 1780, Guyton de Morveau est chargé de rédiger l’article « Chymie » de l’Encyclopédie méthodique de Charles-Joseph Panckouke qui fait suite à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Il a lu l’essentiel de ce qui a été publié par ses confrères européens. Cette lecture l’a conforté dans l’idée qu’un langage commun s’impose.

 

A Paris, d’autres chimistes partagent le même objectif et une autre réforme du vocabulaire est en marche : celle de Lavoisier et de ses collègues académiciens qui s’appuient sur la base théorique du principe oxygine, très différente de celle de Macquer, Bergman et Guyton de Morveau, tous partisans du phlogistique. La concurrence est sévère. Même si la théorie de Lavoisier a des partisans parmi les collègues bourguignons de Guyton de Morveau, cela ne l’empêche pas de se montrer circonspect. Pourtant, trois ans plus tard, c’est avec Lavoisier qu’il présentera la Méthode de nomenclature chimique qui bannira le phlogistique de l’univers de la chimie.


Le groupe des « chimistes français ».


Influent à l’Académie des sciences, Lavoisier (1743-1794) a su attirer autour de lui des collaborateurs efficaces et enthousiastes qui soutiennent sa théorie : Antoine-François Fourcroy (1755-1809),  Jean-Henri Hassenfratz ( 1755-1827), Pierre Auguste Adet (1763-1834). C’est ce groupe qui accueille Guyton de Morveau quand il vient à Paris en février 1787 avec son projet de nomenclature déjà bien avancé. Avec lui, ils rédigent la nouvelle Méthode de nomenclature chimique présentée à l’assemblée publique de l’Académie des sciences du 17 avril 1787.

 

Naissance de l’oxygène, de l’hydrogène et de l’azote.

 

Les nomenclateurs ont divisé les substances en cinq classes : les « principes » qui résistent à l’analyse, les radicaux des acides, les métaux, les terres, les alcalis. La première classe comprend cinq « principes ». Les deux premiers sont la lumière et le calorique (la chaleur). Étant émis ou absorbés dans les réactions chimiques, ces deux éléments sont donc considérés comme de véritables éléments chimiques. Les trois suivants sont les trois gaz que leur histoire a, jusqu’à présent, baptisés des noms d’« air déphlogistiqué », d’« air phlogistiqué » et d’« air inflammable ».

 

Quand l’air déphlogistiqué devient gaz oxygène.

 

Le nom d’« air déphlogistiqué », déclare Guyton de Morveau, reposait sur une simple hypothèse : oublions-la ! "Au mieux peut-on, dit-il, continuer à parler d’« air vital » à chaque fois « que l’on aura à indiquer simplement la portion de l’air atmosphérique qui entre tient la respiration et la combustion". Mais cette dénomination ne pouvait suffire pour un corps que non seulement on trouvait à l’état de gaz dans l’air, mais qui entrait également dans la composition de nombreux corps. « Nous avons satisfait à ces conditions en adoptant l’expression “ oxygène”, en la tirant, comme M. Lavoisier l’a dès longtemps proposé, du grec οξνς, “acide” & γειυοµαι, “j’engendre”, à cause de la propriété bien constante de ce principe, base de l’air vital, de porter un grand nombre de substances avec lesquelles il s’unit à l’état d’acide, ou plutôt parce qu’il paraît être un principe nécessaire à l’acidité »  

 

Quand le gaz inflammable devient hydrogène.

 

« Il est le seul qui produise de l’eau par sa combinaison avec l’oxygène… nous l’avons appelé hydrogène, c’est-à-dire engendrant l’eau. »

 

Quand l’air phlogistiqué devient azote.

 

« M. Berthollet a prouvé qu’il existait dans l’alcali volatil & dans les substances animales ; il est probable que les alcalis fixes le contiennent aussi : on aurait pu d’après cela le nommer alcaligène, comme M. de Fourcroy l’a proposé. »

 

Faisant remarquer que ce corps intervient également dans la composition d’acides, Guyton de Morveau considère ce nom comme inadapté. « Dans ces circonstances, nous n’avons pas cru pouvoir mieux faire que de nous arrêter à cette autre propriété de l’air phlogistiqué, qu’il manifeste si sensiblement, de ne pas entretenir la vie des animaux, d’être réellement non vital… et nous l’avons nommé azote, de l’α privatif des Grecs & de ζωή, « vie ». Il ne sera pas difficile après cela d’entendre et de retenir que l’air est un composé de gaz oxygène & de gaz azotique. »


Oxygène, hydrogène, azote… Reste le charbon qui pose un nouveau problème. Soufre, phosphore, azote, désignent des corps que l’on peut obtenir dans un état de pureté satisfaisant. Par contre, la combustion du charbon laisse des cendres. Les nomenclateurs proposent d’appeler « carbone » l’élément qui, dans le charbon, se lie à l’oxygène lors de sa combustion. Ce carbone qui, lié à l’hydrogène, sera bientôt considéré comme l’ossature de la matière vivante.

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20 avril 2025 7 20 /04 /avril /2025 15:29
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20 avril 2025 7 20 /04 /avril /2025 15:01

 

L'eau n'est pas un élément. Sa décomposition.

 

L'expérience répond à une demande, faite par le Roi à l'Académie des Sciences, de trouver "les moyens les plus économiques de faire de l’air inflammable en grand" pour gonfler les premiers aérostats militaires.

 

Réalisée en compagnie de Jean-Baptiste Meusnier, elle consiste à faire passer un courant de vapeur d'eau dans un "canon" de fer porté au rouge. Le montage est inspiré de celui déjà utilisé par Stephen Hales pour étudier les airs dégagés des végétaux et tissus animaux et repris par Joseph Priestley. L'eau est amenée dans un canon de fer chauffé sur des charbons ardents :

 

Expérience de décomposition de l'eau.
Mémoires de l'Académie des Sciences 1784.

 

"Cet appareil nous a donné lieu de faire les observations qui suivent si, lorsque le canon de fusil est rouge et incandescent, on y laisse couler de l’eau goutte à goutte et en très-petite quantité, elle s’y décompose en entier, et il n’en ressort aucune portion par l’ouverture inférieure du canon ; le principe oxygine de l’eau se combine avec le fer et le calcine ; en même temps le principe inflammable aqueux, devenu libre, passe dans l’état aériforme, et avec une pesanteur spécifique qui est environ de deux vingt-cinquièmes de celle de l’air commun".

 

L'eau est donc bien un composé de principe oxygine et de principe inflammable aqueux.

 

 

L'eau n'est pas un élément. Sa synthèse.

 

Dans un mémoire lu devant l'Académie des Sciences, Lavoisier décrit l'expérience qu'il a réalisée sur la synthèse de l'eau.

 

Le montage consiste en un ballon de verre dans lequel arrivent deux conduites amenant, l'une le gaz inflammable, l'autre le principe oxygine. Le tout étant enflammé par une étincelle électrique.

 

"Ce fut le 24 juin 1783 que nous fîmes cette expérience, M. de Laplace et moi, en présence de MM. le Roi, de Vandermonde, de plusieurs autres académiciens, et de M. Blagden, aujourd’hui secrétaire de la Société royale de Londres ; ce dernier nous apprit que M. Cavendish avait déjà essayé, à Londres, de brûler de l’air inflammable dans des vaisseaux fermés, et qu’il avait obtenu une quantité d’eau très-sensible."

 


Montage utilisé par Lavoisier pour la synthèse de l'eau.
Traité élémentaire de chimie. 1789.

 

"Nous commençâmes d’abord à chercher, par voie de tâtonnement quelle devait être l’ouverture de nos robinets pour fournir la juste proportion des deux airs ; nous y parvînmes aisément en observant la couleur et l’éclat du dard de flamme qui se formait au bout de l’ajutoir ; la juste proportion des deux airs donnait la flamme la plus lumineuse et la plus belle. Ce premier point trouvé, nous introduisîmes l’ajutoir dans la tubulure de la cloche, laquelle était plongée sur du mercure, et nous laissâmes brûler les airs jusqu’à ce nous eussions épuisé la provision que nous en avions faite :
 

 

Dès les premiers instants, nous vîmes les parois de la cloche s’obscurcir et se couvrir de vapeurs ; bientôt elles se rassemblèrent en gouttes, et ruisselèrent de toutes parts sur le mercure, et, en quinze ou vingt minutes, sa surface s’en trouva couverte.

 

L’embarras était de rassembler cette eau ; mais nous y parvînmes aisément en passant une assiette sous la cloche sans la sortir du mercure, et en versant ensuite l’eau et. le mercure dans un entonnoir de verre : en laissant ensuite couler le mercure, l’eau se trouva réunie dans le tube de l’entonnoir ; elle pesait un peu moins de 5 gros.

 

Cette eau, soumise à toutes les épreuves qu’on put imaginer, parut aussi pure que l’eau distillée : elle ne rougissait nullement la teinture de tournesol ; elle ne verdissait pas le sirop de violettes ; elle ne précipitait pas l’eau de chaux ; enfin, par tous les réactifs connus, on ne put, y découvrir le moindre indice de mélange."

 

Cette dernière remarque est d'importance. Le principe oxygine aurait donc généré, non pas un acide qui rougirait la liqueur de tournesol, mais une eau parfaitement pure !

 

L'observation aurait dû amener à une révision, ou du moins à une inflexion, de la théorie. La contradiction est pourtant passée sous silence. Ce qui compte alors, c'est de pouvoir revendiquer d'avoir été le premier à prouver que l'eau est un corps composé, d'en avoir caractérisé les composants et d'en avoir mesuré les proportions.

 

"Cette seule expérience de la combustion des deux airs, et leur conversion en eau, poids pour poids, ne permettait guère de douter que cette substance, regardée jusqu’ici comme un élément, ne fût un corps composé ; mais, pour constater une vérité de cette importance, un seul fait ne suffisait pas ; il fallait multiplier les preuves, et, après avoir composé artificiellement de l’eau, il fallait la décomposer : je m’en suis occupé pendant les vacances de 1783, et j’ai rendu compte très-sommairement du succès de mes tentatives, dans un mémoire lu à la rentrée publique de la Saint-Martin, et dont l’extrait a été publié dans plusieurs journaux."

 

 


Les quatre éléments ont vécu.

 

Lavoisier a souhaité créer un évènement national qui puisse illustrer de façon spectaculaire l'aboutissement de sa théorie.  Longuement préparée, la démonstration a lieu en février 1785. Sont invités les académiciens, et le "tout Paris" du monde politique et économique. L'expérience dure deux jours. L'eau est d'abord décomposée par le procédé du canon de fer chauffé. L'hydrogène ainsi obtenu est ensuite enflammé dans un courant d'oxygène et l'eau obtenue pesée.

 

Comme s'il n'avait été conçu que pour cette seule expérience, tout le matériel du laboratoire de Lavoisier est mis en œuvre. Son objectif est atteint : impressionner les témoins et les convaincre de la réalité des propositions de son auteur. Rapidement la démonstration provoque le ralliement de membres importants de la communauté scientifique à commencer par Berthollet qui occupe, cette année là, la fonction de Directeur annuel de l'Académie des Sciences. Autour de Lavoisier commence à se constituer le groupe de ceux qui deviendront les "chimistes français".

 

1785 marque la fin de la doctrine des quatre éléments. Lavoisier est celui qui lui a donné le coup de grâce. Il a exclu le feu principe, le phlogistique, de la chimie. L'air est devenu un mélange du principe oxygine avec une moufette,  l'eau un composé de principe oxygine et de principe inflammable aqueux.

 

Le "principe oxygine" n'est pas encore l'oxygène, le "principe inflammable aqueux" attend de devenir l'hydrogène. La théorie a encore besoin de s'affermir, le vocabulaire de s'éclairer. Vient, alors, la rencontre avec Guyton de Morveau et l'établissement de la nouvelle Méthode de Nomenclature Chimique.

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20 avril 2025 7 20 /04 /avril /2025 14:36

 


Avec les travaux de Hales, Cavendish, Priestley, d'autres "airs" révèlent leur existence. Sur la piste qui mène à l’hydrogène, il nous faut suivre la découverte d’un "air" nécessaire à la vie, l'oxygène.

 

Priestley (1733-1804), le phlogistique et l'air déphlogistiqué.
 

 

Une expérience, menée par Priestley, sur la combustion des métaux a été souvent reproduite.

 

" J'ai suspendu des morceaux de plomb et d'étain dans un volume donné d'air… En dirigeant sur eux le foyer d'un miroir ardent ou d'une lentille, de façon à les faire se consumer copieusement, j'observai une diminution de l'air. Dans le premier essai que j'ai réalisé, j'ai réduit quatre onces d'air jusqu'à trois, ce qui est la plus forte diminution de l'air commun que j'aie jamais observé auparavant".
 

 

Le mode opératoire est astucieux. Le résultat, cependant, étonne l'observateur. Celui-ci est un partisan résolu de la théorie du phlogistique. Il faut donc que du phlogistique se soit dégagé du métal pendant sa combustion. Alors pourquoi cette diminution importante du volume d'air ?
 

 

Il imagine que le phlogistique a pour effet de rendre l'air moins élastique et donc de le faire se contracter. Ainsi le modèle sera sauf. Sa fidélité à la théorie de Stahl l'empêche de voir qu'une partie de l'air s'est combinée au métal. Le mérite en reviendra à d'autres.
 

 

Il ne saura pas, non plus, exploiter une autre expérience pourtant bien plus révélatrice. Pour celle-ci, il utilise l'oxyde rouge du mercure, désigné comme précipité per se, dont on sait, depuis les alchimistes, que, fortement chauffé, il retourne au mercure initial. Il place cet oxyde rouge sous une cloche renversée sur une cuve à eau et le porte à une haute température au moyen d'une lentille concentrant les rayons du soleil. Comme prévu, le mercure métallique réapparaît mais, de plus, le volume d'air s’accroît.
 

 

Remarquable ! Dans ce nouvel air une chandelle ne s'éteint pas. Bien au contraire son éclat est plus vif. Un charbon dont un point est porté au rouge y brûle avec force étincelles. Priestley nomme "air très pur", cet air plus actif que l'air ordinaire avant de l'appeler air déphlogistiqué.
 

 

Son explication : Pour que la "chaux" rouge du mercure (mercure déphlogistiqué) redevienne métal, elle doit capter du phlogistique. C'est donc une fraction de l'air qui le lui procure. Cet air est alors devenu "négatif" en phlogistique : c'est de l'air déphlogistiqué.

 

Chaux de mercure + air -> mercure + air déphlogistiqué
 

 

Cet "air déphlogistiqué", comment favorise-t-il les combustions ? Ayant perdu son phlogistique il tend donc à en extraire, avec plus de vivacité que l'air ordinaire, des corps qui en sont riches, comme le charbon ou le suif d'une chandelle. Le résultat de ceci est de rendre leurs combustions plus vives.
 

 

Le volume de l'air augmente ? Il n'est pas interdit de penser que l'air "déphlogistiqué" est plus "élastique" que l'air ordinaire et occupe un plus grand volume à la pression ambiante.
 

 

Les explications ne manquent pas d'une certaine logique. Pourtant si, par cette expérience et cette observation, il peut prétendre partager le titre de "découvreur" de l'oxygène, la vraie nature de ce gaz lui échappe.
 

 

Ces mêmes expériences sur la combustion des métaux et sur la décomposition de l'oxyde de mercure, réinterprétées, mèneront Lavoisier sur la voie de la composition de l'air et de la compréhension du mécanisme des combustions.
 

 
Lavoisier utilisera un montage analogue à celui de Priestley
Traité élémentaire de chimie. 1789.

 

 

Mais avant d'y arriver et afin de poursuivre le récit de cette "course aux airs", il nous faut quitter l'Angleterre pour la Suède où officie Karl-Wilhem Scheele.


 

Karl-Wilhelm Scheele ( 1742-1786) et l'air du feu.
 

 

Après avoir été apprenti apothicaire, Karl-Wilhelm Scheele se forme en autodidacte et devient pharmacien à Stockholm avant de rejoindre Uppsala où il suit un parcours universitaire sous la direction du chimiste Torben Olof Bergman avant d'être admis à l'Académie Royale des Sciences de Suède.
 

 

On lui attribue la découverte de nombreux acides, dont certains toxiques comme l'acide cyanhydrique, ou encore celle du chlore qu'il considère comme de l'acide marin (acide chlorhydrique) déphlogistiqué. La fréquentation de ces produits ayant probablement contribué à sa mort prématurée.
 

 

En 1777, il publie son "Traité chimique de l'air et du feu" dans lequel il fait part de sa découverte du nouvel "air" qui, décrit au même moment par Priestley, sera ensuite interprété par Lavoisier comme étant l'oxygène :
 

 

"L'examen de l'air a toujours été un des objets principaux de la Chimie : aussi ce fluide élastique est-il doué de tant de propriétés particulières, qu'il met ceux qui s'en occupent à portée de faire souvent des découvertes. Nous voyons que le Feu, ce produit si admirable de la chimie, ne saurait exister sans l'air. Pourrais-je m'être trompé en entreprenant de démontrer dans ce Traité, qui n'est qu'un Essai Chimique sur la doctrine du Feu, qu'il existe dans notre atmosphère un air que l'on doit regarder comme une partie constituante du Feu, en ce qu'il contribue matériellement à la flamme, & que, par rapport à cette propriété, j'ai nommé "Air de Feu" (Le terme allemand de Feuerluft sera généralement conservé par les chimistes européens). (Traité chimique de l'air et du feu, traduction, Paris 1781).
 

 

Plus précisément, explique-t-il, l'air serait composé de "deux espèces différentes l'une de l'autre : l'une s'appelle Air vicié, parce qu'il est absolument dangereux et mortel, soit pour les animaux, soit pour les végétaux et qu'il altère, en partie, toute la masse de l'air ; l'autre au contraire s'appelle Air pur ou Air de feu, parce qu'il est tout à fait salutaire, & qu'il entretient la respiration, conséquemment la circulation du sang."(Mémoires de l'Académie des Sciences de Stockholm - 1779).
 

 

Pour mesurer les proportions de ces deux airs, Scheele imagine un montage ingénieux :
 
 
 

Scheele, Mémoire de l'Académie des sciences de Stockholm, 1779.
 
"Je mis au fond du vase A un support formé d'un tuyau de verre fixé sur un petit piédestal de plomb ; l'extrémité supérieure du tuyau portait un petit plateau horizontal, sur lequel je plaçai le petit vaisseau C, rempli du mélange de limaille de fer et de soufre". (ce mélange, quand on l'humecte d'eau, était classiquement considéré comme capable de libérer une quantité importante de phlogistique. On sait, aujourd'hui qu'il est oxydé par l'oxygène de l'air)
"Je reversais sur le tout le verre cylindrique D, & je remplis d'eau le vaisseau A."
 

 

Progressivement l'eau monte dans le tube et se stabilise au bout de quelques heures. Le mélange de fer et de soufre prenant alors l'aspect d'une "chaux".
 

 

Comment expliquer la diminution du volume d'air enfermé dans les enceintes où se fait la réaction de combustion ? Priestley imaginait une contraction de l'air sous l'effet du phlogistique, Scheele propose une autre hypothèse : "la combinaison de l'air avec le phlogistique est un composé si subtil qu'il est susceptible de pénétrer les pores imperceptibles du verre et de se disperser en tous sens dans l'air" (Traité du Feu - 1777). Ou plus précisément " lorsque l'air pur rencontre une matière inflammable mise en liberté, il s'en approche, se sépare de l'air vicié, & disparaît, pour ainsi dire, à vue d'œil"(Mémoire de Chimie - 1779)
 

 

Le phlogistique échappé du métal aurait donc pour propriété de faire "disparaître" l'air pur ? A l'évidence, cette diminution de volume de l'air pose un sérieux problème !
 

 

L'expérience plusieurs fois répétée semble indiquer à Scheele que la proportion d'air de feu dans l'atmosphère est de 27%, légèrement supérieure, donc, à la valeur estimée actuellement pour l'oxygène (21%).
 

 

Après Priestley, Scheele peut donc prétendre au titre de découvreur de l'oxygène mais Lavoisier sera celui qui, après avoir osé combattre la théorie du phlogistique, saura donner une explication claire du phénomène de la combustion et nommer le gaz qui en est l'acteur principal.


 

Lavoisier (1743-1794). De l'air vital au principe oxygine et à l'oxygène.
 

 

Antoine Laurent de Lavoisier naît à Paris en 1743 dans une famille fortunée mais endeuillée par le décès de sa mère quand il a cinq ans. Entre 1754 et 1761 il fréquente le collège des Quatre Nations fondé par Mazarin où il reçoit une formation mathématique de l'abbé Lacaille, astronome, membre de l'Académie dont les "Leçons élémentaires de Mathématiques", plusieurs fois rééditées, formeront de nombreuses générations d'ingénieurs et de scientifiques. Il complète sa formation scientifique par de la physique, aux cours que l'abbé Nollet donne à l'école Royale du Génie de Mézières, par de la botanique au Jardin du Roy avec Bernard de Jussieu, de la chimie avec les conférences de Rouelle, de la minéralogie avec l'académicien Jean-Etienne Guettard qu'il accompagne pour une campagne d'étude de quatre mois dans les Vosges et qui est l'occasion de ses premiers pas en analyse chimique.
 

 

Formé à toutes les branches de la physique, il ne fera pas cependant profession de science. Diplômé en droit de l'Université de Paris, il achète, en 1768, année où il est élu à l'Académie des Sciences, une charge de "fermier général". Cette fonction consiste à percevoir des impôts indirects sur le commerce d'un certain nombre de marchandises ( sel, tabac, boissons… ) mais aussi les droits d'octroi à l'entrée des villes. Cette charge, fortement rémunératrice, lui permettra de créer le plus riche laboratoire de l'Europe scientifique et d'y recevoir tout ce qu'elle compte de savants. Elle sera aussi la cause de sa condamnation à mort par un tribunal révolutionnaire en 1794.
 

 

En 1775, il devient régisseur des poudres et salpêtres et s'installe à l'Arsenal, à Paris, où son laboratoire, équipé des appareils issus des meilleurs artisans du moment, devient le lieu où se forme une nouvelle génération de chimistes.
 

 

 

1774-1777 : L'air est un mélange de deux fluides.
 

 

Lavoisier qui se place dans la continuité des "chasseurs d'air" européens constate le peu d'intérêt pour le sujet en France.
 

 

"Un grand nombre de physiciens et de chimistes étrangers s'occupent dans ce moment de recherches sur la fixation de l'air dans les corps et sur les émanations élastiques qui s'en dégagent, soit pendant les combinaisons, soit par la décomposition et la résolution de leurs principes : des mémoires, des thèses, des dissertations de toute espèce, paraissent, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande ; les chimistes français seuls semblent ne prendre aucune part à cette importante question, et, tandis que les découvertes étrangères se multiplient chaque année, nos ouvrages modernes, les plus complets, à beaucoup d'égards, qui existent en chimie, gardent un silence presque absolu sur ce point."( Opuscules physiques et chimiques, 1774).
 

 

Souhaitant être le premier à rompre avec ce désintérêt, il reprend les expériences menées en Angleterre. C'est à cette occasion qu'il affiche son originalité.
 

 

Je commençai, annonce-t-il "à soupçonner que l'air de l'atmosphère, ou un fluide élastique quelconque contenu dans l'air, était susceptible, dans un grand nombre de circonstances, de se fixer, de se combiner avec les métaux ; que c'était à l'addition de cette substance qu’étaient dus les phénomènes de la calcination, l'augmentation de poids des métaux convertis en chaux, et peut-être beaucoup d'autres phénomènes dont les physiciens n'avaient encore donné aucune explication satisfaisante."
 

 

En effet, parmi les questions restées sans réponse, "l'augmentation de poids des métaux convertis en chaux" est le principal problème que pose la théorie du phlogistique.
 

 

Rappelons le schéma décrivant la calcination des métaux dans la théorie de Stahl :
 

 

Calcination :
Métal -> chaux métallique (Métal déphlogistiqué) + phlogistique
 

 

Dans la logique de ce modèle, la transformation du métal en "'chaux" devrait donc s'accompagner d'une perte de masse, celle du phlogistique. Or, c'est l'inverse qui se passe et les alchimistes le savaient déjà !
 

 

Relevons la principale, et surtout nouvelle, contribution de Lavoisier : lors de la combustion, une partie de l'air se fixe sur le métal. Seule cette hypothèse peut expliquer l'augmentation du poids du métal devenu chaux métallique en même temps que la diminution du volume de l'air.
 

 

Et pour aller encore plus loin, cette partie de l'air, responsable des combustions, serait un fluide particulier :
 
"plusieurs circonstances sembleraient porter à croire que tout l'air que nous respirons n'est pas propre à se fixer pour entrer dans la combinaison des chaux métalliques, mais qu'il existe dans l'atmosphère un fluide élastique particulier qui se trouve mêlé avec l'air, et que c'est au moment où la quantité de ce fluide contenue sous la cloche est épuisée, que la calcination ne peut plus avoir lieu."
 

 

Nous arrivons en 1777. Les idées de Lavoisier sur la combustion se précisent. Le 21 mars, il présente à l'Académie des sciences un "Mémoire sur la combustion du phosphore de Kunckel" dans lequel il énonce clairement la proposition que l'air est composé de deux fluides aux propriétés bien différentes.
 

 

Toujours en utilisant une cloche retournée sur une cuve à mercure et un "verre ardent" il fait brûler un fragment de phosphore. Il observe :
 

 

- "Que, au moment où la combustion s'achève, l'air "n’occupe plus que les quatre cinquièmes ou les cinq sixièmes, tout au plus, de l’espace qu’il occupait avant la combustion."
 

 

- Que l'air qui reste "n’est plus susceptible de servir à la respiration des animaux, d’entretenir la combustion ni l’inflammation des corps ; en un mot, il est absolument dans l’état de moufette, et, en conséquence, pour éviter de le confondre avec aucune autre espèce d’air, je le désignerai, dans ce mémoire et dans quelques autres que je publierai à la suite, sous le nom de moufette atmosphérique".
 

 

Cette fois, il est acquis pour Lavoisier, que l'air atmosphérique est le mélange de deux "fluides élastiques" : un "air éminemment respirable" et une "moufette" (ou mofette, de l'italien mofetta issu du latin mephitis, exhalaison nauséabonde) incapable d'entretenir la vie.
 

 

Lavoisier utilise encore le terme "d'air déphlogistiqué" employé par Priestley pour désigner l'air très pur ou éminemment respirable. Cette nouvelle proposition ne pouvait que convenir aux chasseurs d'air britanniques.
 

 

Mais ce n'était que partie remise.
 
 
 
1777. Le Phlogistique n'existe pas.
 

 

Dans un mémoire de la même année 1777 "Sur la combustion en général", le ton n'est plus à la conciliation. Les hostilités sont ouvertes par un texte sans concessions pour le phlogistique :
 

 

"Si l’on demande aux partisans de la doctrine de Stahl de prouver l’existence de la matière du feu dans les corps combustibles, ils tombent nécessairement dans un cercle vicieux, et sont obligés de répondre que les corps combustibles contiennent de la matière du feu parce qu’ils brûlent, et qu’ils brûlent parce qu’ils contiennent de la matière du feu ; or il est aisé de voir qu’en dernière analyse c’est expliquer la combustion par la combustion.
 

 

L’existence de la matière du feu, du phlogistique, dans les métaux, dans le soufre, etc. n’est donc réellement qu’une hypothèse, une supposition, qui, une fois admise, explique, il est vrai, quelques-uns des phénomènes de la calcination et de la combustion ; mais, si je fais voir que ces mêmes phénomènes peuvent s’expliquer d’une manière tout aussi naturelle dans l’hypothèse opposée, c’est-à-dire sans supposer qu’il existe de matière du feu ni de phlogistique dans les matières appelées combustibles, le système de Stahl se trouvera ébranlé jusque dans ses fondements."
 

 

Ce premier mémoire est développé dans un second présenté le 5 septembre 1777 sous le titre "Considérations générales sur la nature des acides et sur les principes dont ils sont composés".
 

 

Ce nouveau mémoire recèle une surprenante rupture. Alors que la "chasse aux airs" s'est, jusqu'à présent, focalisée sur les réactions de combustion et de réduction des métaux, Lavoisier concentre sa nouvelle offensive sur la formation des acides, qui deviennent, de façon subite et inattendue, le centre de sa nouvelle théorie.
 

 

 

Quand l'air vital devient "air acidifiant" : le principe oxygine.
 

 

"J’ai déjà fait part à l’Académie de mes premiers essais sur ce sujet : je lui ai démontré, dans de précédents mémoires, autant toutefois qu’il est possible de démontrer en physique et en chimie, que l’air le plus pur, celui auquel M. Priestley a donné le nom d’air déphlogistiqué, entrait, comme partie constituante, dans la composition de plusieurs acides, et notamment de l’acide phosphorique, de l’acide vitriolique et de l’acide nitreux.
 
Des expériences plus multipliées me mettent aujourd’hui dans le cas de généraliser ces conséquences, et d’avancer que l’air le plus pur, l’air éminemment respirable, est le principe constitutif de l’acidité : que ce principe est commun à tous les acides, et qu’il entre ensuite dans la composition de chacun d’eux un ou plusieurs autres principes qui les différencient et qui les constituent plutôt tel acide que tel autre.
 
D’après ces vérités, que je regarde déjà comme très-solidement établies, je désignerai dorénavant l’air déphlogistiqué ou air éminemment respirable dans l’état de combinaison et de fixité, par le nom de principe acidifiant, ou, si l’on aime mieux la même signification sous un mot grec, par celui de principe oxygine, cette dénomination sauvera les périphrases, mettra plus de rigueur dans ma manière de m’exprimer, et évitera les équivoques dans lesquelles on serait exposé à tomber sans cesse, si je me servais du mot d’air.
"
 

 

Un mot grec, oxygine, "principe des acides", vient donc chasser un autre mot grec, phlogistique, "matière du feu". Il faudra encore quelques étapes avant que ce "principe oxygine" devienne "gaz oxygène".
 

 

C'est donc à une nouvelle chimie que Lavoisier invite les chimistes, ses contemporains. Il leur reste, dit-il "le champ le plus vaste à parcourir" car "il existe une partie de la chimie toute nouvelle et entièrement inconnue jusqu’à ce jour, et qui ne sera complète que lorsqu’on sera parvenu à déterminer le degré d’affinité de ce principe (l'oxygine) avec toutes les substances avec lesquelles il est susceptible de se combiner, et à connaître les différentes espèces de composés qui en résultent."
 

 

Quand naît l'oxygène.
 

 

En l'année 1787 est présentée à l'Académie des Sciences la Méthode de Nomenclature chimique présentée par Guyton de Morveau, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy. Leur choix : construire cette nomenclature autour du gaz jusqu'à présent qualifié d'air vital ou principe oxygine. Et d'abord lui donner son nom définitif.
 

 

"nous avons satisfait à ces conditions, déclarait Guyton de Morveau dans sa présentation, en adoptant l'expression oxygène, en la tirant, comme M. Lavoisier l'a dès longtemps proposé, du grec οξνς, acide & γείυομαι, j'engendre, à cause de la propriété bien constante de ce principe, base de l'air vital, de porter un grand nombre de substances avec lesquelles il s'unit à l'état d'acide, ou plutôt parce qu'il paraît être un principe nécessaire à l'acidité. Nous dirons donc que l'air vital est le gaz oxygène, que l'oxygène s'unit au soufre, au phosphore pendant la combustion, aux métaux pendant la calcination, etc. Ce langage sera tout à la fois clair et exact. "
 

 

Notons cette date : 2 mai 1787. Pour la première fois le mot oxygène vient d'être prononcé dans l'enceinte prestigieuse de l'Académie Royale des Sciences.

 

Les alchimistes avaient déjà renoncé à considérer la terre comme un simple élément, Lavoisier supprimait de la liste le feu, devenu phlogistique, ainsi que l’air devenu un mélange de deux « gaz » (ainsi qu’il désignait à présent les « fluides aériformes »). Restait l’eau qui deviendra son dernier défi et dont la décomposition le mènera à l’hydrogène.

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19 avril 2025 6 19 /04 /avril /2025 09:57


 

Deuxième fils du Duc de Devonshire, Henry Cavendish, reçoit, de son oncle, un riche héritage qui lui permet de constituer un laboratoire bien équipé qu’il utilise avec une rigueur peu commune parmi ses contemporains.

 

 

 
Matériel de laboratoire de Cavendish destiné à recueillir les "airs factices".

 
 

En 1766, il présente devant l’Association Royale de Londres une communication sur les airs factices."Par air factice, je désigne, en général, toute sorte d'air contenu dans d'autres corps sous forme non-élastique, et qui en est extrait par l'action de l'art". 
 

 

La découverte de "l’air inflammable" (notre hydrogène) constitue, par sa nouveauté, la partie la plus remarquable de son travail. " Je ne connais que trois substances métalliques, à savoir, le zinc, le fer et l'étain, qui génèrent de l'air inflammable par dissolution dans des acides ; et ceci uniquement par dissolution dans l'acide vitriolique dilué, ou dans l'esprit de sel". 
 

 

Le zinc, le fer et l'étain sont donc les trois métaux, à partir desquels Cavendish produit ce qu'il désigne comme "air inflammable" ( et deviendra notre hydrogène). Ceci par leur dissolution dans l'acide vitriolique dilué (notre acide sulfurique), ou dans l'esprit de sel (notre acide chlorhydrique). Le zinc, précise-t-il se dissout avec une grande rapidité. Le phénomène avait déjà été observé dès les premiers temps de l'alchimie. Cavendish sera le premier à l'étudier avec méthode. Notons que que l'action de l'acide chlorhydrique sur le zinc deviendra, jusque aujourd'hui, la façon de préparer de l'hydrogène dans les laboratoires de nos lycées.

 

Cavendish note aussi que ces réactions se font avec une grande production de chaleur analogue à celle que produit leur combustion.
 

 

Quelle explication pour le phénomène ?
 

 

"Il semble probable, que,  quand l'une ou l'autre des substances métalliques mentionnées ci-dessus sont dissoutes dans l'esprit de sel, ou dans l'acide vitriolique dilué, leur phogisticon s'échappe, sans que sa nature soit changée par l'acide, et forme l'air inflammable". Ainsi, "l'air inflammable" serait donc tout simplement ce "phlogistique" (phlogisticon) dont les métaux sont porteurs.
 

 

Un mot sur le phlogistique.
 

 

Georg Ernst Stahl (1659-1734) nomme ainsi un "principe du feu" qui serait présent dans tous les corps combustibles.
 

 

Ce phlogistique, Stahl le reconnait dans le soufre mais aussi dans le charbon et les corps combustibles comme les résines, les huiles et graisses végétales ou animales. Car, dit-il, ce principe se trouve dans les trois règnes de la Nature "au point qu’il passe immédiatement sans nulle difficulté et en un instant, du règne végétal et du règne animal dans le règne minéral et dans les substances métalliques".
 

 

Que se passe-t-il quand brûle un morceau de charbon ? La combustion libère le "phlogistique" qui ira imprégner l’air ambiant.. Mais, d’abord, Stahl le verra en œuvre dans les métaux, eux mêmes combustibles. C'est donc ce phlogistique qui s'échappe de ceux-ci quand ils sont dissous dans les acides. Le laboratoire de Cavendish est équipé pour le recueillir et l'étudier.
 

 

Place aux expériences.
 

 

Cet air, Cavendish est en mesure de recueillir par ses montages ingénieux. Sa propriété essentielle est sa combustion dans l'air. Ne se contentant pas d'une rapide observation, il souhaite en savoir plus sur cette réaction. 
 

De l'air inflammable est mélangé, dans des flacons, à de l'air commun dans des proportions différentes. Quand une flamme est présentée à leur orifice, une flamme se produit accompagnée d'un bruit plus ou moins fort. Il constate que, avec une part d'air inflammable et neuf parts d'air commun, aucune inflammation ne se produit quand on approche un papier enflammé de l'orifice du flacon. Avec deux parts pour huit, une flamme et un léger bruit. Avec trois parts pour sept il constate un très fort bruit Il a ainsi réalisé ce "mélange tonnant", souvenir de nos cours de chimie des collèges et lycée. Le son s'affaiblit de plus en plus quand la proportion d'air augmente dans le mélange.
 

 
 
Quelle densité pour l'air inflammable ?
 
 
Cavendish s'est fait une spécificité dans la mesure de la densité des gaz. Nous ne décrirons pas ici les méthodes utilisées. La faible densité du gaz inflammable rend la mesure délicate. Notons que l'expérimentateur conserve comme dernière valeur une densité  11 fois plus faible que celle de l'air. Une valeur proche de la valeur 14,5 de nos mesures contemporaines. Une propriété qui sera largement utilisée plus tard pour gonfler des ballons dirigeables quand Lavoisier aura mis au point une méthode commode de production.



 
Joseph Priestley (1733-1804) et l'air inflammable extrait des matières végétales.
 

 

Dans son ouvrage "Expériences sur diverses espèces d'air, Paris 1777", Priestley n'apporte pas d'informations nouvelles quant à la nature de "l'air inflammable" décrit par Cavendish. Son intérêt réside dans son nouveau mode de production : il extrait cet air de toutes matières qu'il considère comme inflammables, en chauffant celles-ci, comme sur le modèle de Hales, dans un canon de fusil, c'est à dire constitué de fer.
 

 

"J'ai fait en général l'air inflammable de la manière décrite par M. Cavendish dans les Transitions Philosophiques, au moyen du fer, du zinc ou de l'étain ; mais surtout des deux premiers parce que le procédé en est moins embarrassant : mais lorsque j'ai voulu l'extraire des substances végétales ou animales, ou des charbons, j'ai mis ces matières dans un canon de fusil à l'origine duquel je luttais un tuyau de verre ou de pipe qui avait une vessie liée à son autre extrémité pour retenir l'air produit ; à moins que je le fisse passer immédiatement dans un vaisseau rempli de mercure [.] Je crois qu'il n'y a aucune substance végétale ou animale quelconque, ni aucun minéral parmi ceux qui peuvent s'enflammer, qui ne fournisse de l'air inflammable en abondance, lorsqu'on les traite de cette manière, & qu'on les pousse à une forte chaleur.".

 
 
La méthode est celle déjà utilisée par Stephen Hales pour extraire d'une multitude de corps ce qu'il caractérise comme de "l'air fixe". Reprenant l'interprétation de Cavendish, Priestley limite l'opération au corps "qui peuvent s'enflammer" c'est à dire riches en "phlogistique". Même s'il obtient de cette façon un dégagement gazeux riche en "air inflammable", il faudra attendre que Lavoisier, en lui empruntant son montage expérimental, en fasse la juste analyse.

 

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19 avril 2025 6 19 /04 /avril /2025 09:45

 

Dans les premières années du XIIIème siècle se livre, en Angleterre, une traque aux "airs". Un premier nom l'illustre : celui de Stephen Hales. Connu comme chimiste et physiologiste, il communique en 1727, à la Société Royale de Londres, le résultat de ses expériences sur la physiologie des végétaux. Ces travaux initient une nouvelle façon de recueillir ce que nous désignons aujourd'hui par le mot "gaz" et l'amènent à des observations inédites sur les propriétés de l'air. Buffon qui a lu sa communication trouve indispensable de la traduire. Elle paraît en 1735 sous le titre : "La statique des végétaux et l'analyse de l'air".

 

Le traducteur est enthousiaste. "L'Angleterre produit rarement d'aussi bonnes choses", écrit-il. "La nouveauté des découvertes et de la plupart des idées qui composent cet ouvrage, surprendra sans doute les Physiciens. Je ne connais rien de mieux dans son genre, et le genre par lui-même est excellent".  Il note en particulier le passage sur l'analyse de l'air qui est "le plus bel endroit de son livre" :

 

"Aurait-on imaginé, écrit-il, que l'air pût devenir un corps solide ? Aurait-on crû qu'on pouvait lui ôter et lui rendre sa vertu de ressort ? Aurions nous pu penser que certains corps, comme la Pierre de la Vessie ou le Tartre sont pour plus des deux tiers de l'air solide et métamorphosé ? "  

 

En effet, à l'occasion de son étude sur la physiologie des végétaux, Hales a entrepris "de faire des recherches profondes, & suivies sur la nature de l'air, & de tacher de  découvrir en quoi consiste la qualité qui le rend si important et si nécessaire à la vie & à l'accroissement des végétaux".

 

Ayant constaté que les végétaux "tirent beaucoup d'air, non-seulement par la racine, mais aussi par le tronc & les branches", il cherche à en extraire cet « air » qu’il désigne par le terme « d’air fixe » car « fixé dans les végétaux.  

 

Pour ce faire, il imagine un montage, qui sera repris par ses successeurs, et qui est proche de ceux que nous utilisons actuellement dans nos laboratoires.

 

 

Un montage ingénieux.

 

 

 


Montage destiné à recueillir les gaz
Stephen Hales, Statique des végétaux.

 

Le corps à analyser est placé dans une cornue disposée sur un foyer. Un tuyau de plomb, fixé à son extrémité, débouche dans un vase qui a été rempli d'eau et retourné sur une cuve à eau. Les gaz dégagés lors de cette "distillation" peuvent y être recueillis. Par cette méthode, Hales obtiendra "de l'air" à partir « du sang, du suif, de la graisse, des pois, du blé de Turquie, de l'anis, de l'eau de vie ». Cet « air fixe » qu’il a ainsi libéré est vraisemblablement un mélange de plusieurs corps gazeux, fidèle à Platon et Aristote Hales n’y reconnaît que l’un des quatre éléments décrits par la doctrine encore classique.

 

L’auteur extrait même cet air de corps aussi étranges que des  écailles d'huître ou des cornes de daim " Deux cents quarante et un grains, ou la moitié d'un pouce cubique de la pointe des cornes d'un Daim,  distillés dans une retorte de fer, faite d'un canon de mousquet, que j'échauffais jusqu'à feu blanc dans la forge d'un serrurier produisirent 117 pouces cubiques d'air ; c'est-à-dire 234 fois leur volume…".

 
 
Noter ici ce détail important : l'utilisation, comme cornue, d'un canon de mousquet chauffé au blanc. Ce montage sera régulièrement utilisé par la suite, en particulier par Priestley et Lavoisier et nous verrons que le fer du canon était loin d'être neutre dans ces opérations.

 

La liste des corps organiques ainsi décomposés est impressionnante. Toute cette accumulation d'expériences amène leur auteur à décrire un « cycle de l’air », passant, alternativement dans les corps, de l’état « fixé » à l’état « élastique »..

 

"L'on y verra, écrit Hales, que tous les corps contiennent une grande quantité d'air [.] l'on verra que ces particules d'air fixe [.] sont souvent chassées des corps denses par la chaleur ou la fermentation, & transformées en d'autres particules d'air élastique ou repoussant, & que ces mêmes particules élastiques retournent par la fermentation, & quelquefois sans fermentation, à leur forme précédente ; c'est-à-dire deviennent de nouveaux corps denses. C'est par cette propriété amphibie (souligné dans le texte) de l'air, que se font les principales opérations de la nature".

 

Par ce caractère "amphibie" de l'air, par ces cycles de décompositions et  de recombinaisons, Hales décrit l'air comme un véritable réactif chimique : "Puisque l'air se trouve en si grande abondance dans presque tous les corps ; puisque c'est un principe si actif et si opératif ; puisque ses parties constituantes sont d'une nature si durable, que l'action la plus violente du feu ou de la fermentation, n'est pas capable des les altérer jusqu'à leur ôter la faculté de reprendre par le feu ou la fermentation, leur élasticité,[.] ne pouvons nous pas adopter ce protée (souligné dans le texte), tantôt fixe, tantôt volatil, & le compter parmi les principes chimiques, en lui donnant le rang que les Chymistes lui ont refusé jusqu'à présent, d'un principe très actif".

 

Remarquons que la seule qualité de l'air dont il observe la modification au cours des réactions est une propriété physique : son élasticité. Depuis Boyle et Mariotte on considère l'air comme un corps parfaitement élastique dont on a su établir les lois liant son volume et sa pression.Par la voie expérimentale, Hales estime donc avoir rétabli l'air dans son statut de "principe". Il invite donc la classe des chimistes, ses contemporains, à s'engager dans cette "chimie de l'air" qu'il a initiée. "Je souhaite que cet essai puisse engager d'autres personnes à travailler dans le même goût ; le champ est vaste, il faut pour le défricher plusieurs têtes et plusieurs mains" devait-il conclure.

 

Message reçu par ses compatriotes qui construiront, étape par étape, non pas une chimie "de l'air" mais une chimie "des airs". Parmi ceux-ci, Henry Cavendish et Joseph Priestley.

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19 avril 2025 6 19 /04 /avril /2025 09:04

 

Le mot hydrogène est généralement associé à celui de gaz. Pourtant il fut un temps où le terme "gaz" ne faisait pas partie du vocabulaire des chimistes. A l’origine du mot nous rencontrons un médecin adepte des procédés alchimiques.
 
Jean-Baptiste Van-Helmont (1579-1644) est né à Bruxelles, alors ville des Pays-Bas espagnols. Après des études de philosophie à l’université du duché de Brabant, il étudie l’astronomie, l’algèbre, la géométrie. Il se tourne ensuite vers la médecine dont il obtient le diplôme en 1599.
 
Rejetant les enseignements de Hippocrate et de Gallien, il s’inspire de la médecine pratiquée par Paracelse (1493-1541) et les alchimistes, faisant intervenir des remèdes essentiellement issus du monde minéral.
 
Van-Helmont se singularise également par son une opposition à la théorie des quatre éléments de Platon et Aristote qui est encore, à cette époque, à la base de toute réflexion sur la matière.
 
"Les Anciens, dit-il, ont établi les quatre éléments pour fondement de la nature, & attribuent toutes leurs opérations aux qualités et aux complexions qui résultent de leur mélange. Comme cette doctrine a été nourrie et continuée dans les écoles de siècle en siècle, pour l’enseignement de la jeunesse au préjudice des mortels, aussi faut-il tâcher d’en réprimer l’abus afin qu’on puisse dorénavant reconnaître les erreurs qui se sont glissées par-là envers la cause des maladies."(voir : Les œuvres de Jean-Baptiste Van Helmont)

 

 

Un seul élément : l'eau.


 
Pour Van Helmont, ce ne sont pas quatre mais un seul élément qui génère l’ensemble des corps. Tous, animaux, végétaux et minéraux sont faits uniquement d’eau !
 
Tous les corps, dit-il, qu’on a cru être mixte, "de quelque nature qu’ils puissent être, opaques ou transparents, solides ou liquides, semblables ou dissemblables (comme pierre, soufre, métal, miel, cire, huile, cerveau, cartilages, bois, écorce, feuilles, etc.) sont matériellement composés de l’eau simple et peuvent être totalement réduits en eau insipide sans qu’il y reste la moindre chose du monde de terrestre".
 
Il ne se contente pas de l’affirmer, il entend le prouver ! Et ceci en faisant appel à l’expérience. Celle-ci, décrite par son traducteur, concerne la croissance des végétaux.
 
"Il prit un grand vase de terre, auquel il mit 200 livres de terre desséchée au four qu’il humecta avec de l’eau de pluie. Puis il y planta un tronc de saule qui pesait cinq livres. Cinq années après le saule, qui avait cru en ladite terre, fut arraché et se trouva pesant de 169 livres et environ 3 onces de plus.
 
Le vaisseau était fort ample, enfoncé en terre, et couvert d’une lame de fer blanc étamé percé, en forme de crible, de force petits trous afin qu’il n’y ait que l’eau de pluie ou l’eau distillée seule (de laquelle la terre du vaisseau était arrosée lorsqu’il en faisait besoin) qui y puisse découler. Les feuilles ne furent point pesées parce que c’était en automne quand les feuilles tombent que l’arbre fut arraché.
 
Il fit derechef ressécher la terre du vase et la terre ne se trouva diminuée que d’environ deux onces qui s’étaient pu perdre en vidant ou emplissant le vaisseau. Donc il y avait 164 livres de bois, d’écorce et de racines qui étaient venues de l’eau
."
 
De même dit-il "La terre, la fange, la boue, & tout autre corps tangible tirent leur véritable matière de l’eau et retournent en eau tant naturellement que par art".

 

 

Plus important pour la suite de cette histoire : la naissance de la notion de gaz.

 

 

L’Idée de la possibilité pour l’eau de se transformer en terre aura une longue vie que même Lavoisier jugera utile de contester. Surtout, Van Helmont observe que tous les corps ne se transforment pas immédiatement en eau.  L’exemple le plus remarquable est celui du charbon dont il affirme que, pendant sa combustion, il libère un " esprit sauvage nommé gas ". Cet esprit constituerait d’ailleurs l’essentiel du charbon, car, dit-il "soixante deux livres de charbons consumés ne laissent guère plus d’une livre de cendres. Donc les soixante livres de surplus ne seront qu’esprit".
 
Ce « gas silvestre », cet « esprit sauvage », Van Helmont le retrouve dans une multitude d’observations. Il se dégage dans les fermentations du vin, de l’hydromel, du pain qui lève. Il s’échappe de la poudre à canon qui s’enflamme. C’est à lui que Van Helmont attribue, avec justesse, les effets funestes de la grotte du chien dans la région de Naples, les suffocations des ouvriers dans les mines ou des vignerons dans les celliers où le vin fermente.Nous avons compris que le "gas silvestre" de Van-Helmont, qui provoque l’asphyxie des vignerons imprudents, est du dioxyde de carbone, notre CO2.
 
Lavoisier, qui a lu avec intérêt des œuvres de Van-Helmont, relève particulièrement le mot "gas" dont il note qu’il vient du mot hollandais ghoast qui signifie esprit. Il ajoute que les Anglais "expriment la même idée par le mot ghost et les Allemands par le mot geist". Il lui fallait un mot nouveau pour remplacer le terme « d’état aériforme » des corps. Dans le premier chapitre de son Traité élémentaire de chimie publié en 1789 il l’emprunte à Van Helmont : "presque tous les corps de la Nature sont susceptibles d’exister sous trois états différents ; dans l’état de solidité, dans l’état de liquidité et dans l’état aériforme […] Je désignerai dorénavant ces fluides aériformes sous le nom générique de gaz".
 
Ainsi naît la notion de gaz, l’un des attribut courant de notre hydrogène. La prochaine étape nous fera visiter les laboratoires de ces premiers « philosophes de la matière » que furent les alchimistes.

 

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19 avril 2025 6 19 /04 /avril /2025 08:42

 


Dans le creuset d'Alexandrie.

 

La ville grecque d’Égypte, créée en –331 par Alexandre le Grand, occupée par les romains avant d'être conquise par les Arabes, est un creuset où fusionnent les traditions issues de l’Égypte, de la Mésopotamie, de l'Assyrie, de la Perse, de la Grèce, voire même de l'Inde et de la Chine. Une tradition largement répandue indique que l’alchimie y aurait trouvé son origine. Le nom même de l'alchimie serait d'origine égyptienne. Le mot kemi (terre noire) aurait donné le nom de kemet par lequel les Égyptiens désignaient leur pays.

 

Alexandrie est restée célèbre pour sa bibliothèque détruite lors d’un  incendie. Principaux accusés de cette destruction, ce sont pourtant les lettrés arabes, en traduisant dans leur langue les textes rescapés, qui feront connaître ce qui avait pu être sauvé de l'héritage égyptien et grec. En particulier nombre de recettes artisanales, de modèles de la matière, de symboles astrologiques, de textes ésotériques ou religieux, qui alimenteront ce qui deviendra l'alchimie. Ce n'est donc pas un hasard si c'est à l'arabe "al kemi" ou encore "al kimiya" qu'est attribuée l'origine du terme alchimie. En Europe, il apparaît dans le latin médiéval sous la forme alchimia ou chimia.

 

Outre son nom, l'origine arabe de l'alchimie se manifeste dans notre vocabulaire contemporain par quelques mots rescapés : alcool, élixir, alcalin, soude, ammoniaque, nitre, natron… et surtout par le nom d'un instrument majeur : l'alambic. Car c'est d'abord un laboratoire que nous livre l'alchimie. Au centre : l'Athanor, le four ou règne le feu, principal agent de la séparation des différents éléments dont sont composés les corps.

 

 

Johann Rudolf Glauber (1604-1670), le "fourneau des Philosophes" et les acides.

 

 

"Description des nouveaux fourneaux philosophiques" est le titre d'un ouvrage qui figurait encore en bonne place dans la bibliothèque des chimistes du 18ème siècle. Son auteur, Johann Rudolf Glauber, est parfois décrit comme le dernier des alchimistes, ou comme le premier chimiste. Quoi qu'il en soit, son laboratoire, ses méthodes, son vocabulaire, les corps qu'il y prépare, sont clairement issus de la tradition alchimique.

 

La distillation, "l'Art distillatoire", étant l'opération essentielle de l'alchimie, le premier élément à maîtriser est le feu. Le « fourneau du philosophe », « l’Athanor », destiné à séparer les « esprits » des corps de la gangue corporelle qui les emprisonne, est donc d'une extrême importance.

,
 

 

Le fourneau des philosophes. C'est en son sein que se réalise la distillation.
Glauber, La description des Fourneaux Philosophiques, 1659

 

 

De la "manière de distiller" :

 

 

La façon de distiller de ces « chymistes » mérite qu'on s'y arrête : "Premièrement il faut mettre dans le fourneau des charbons ardents, et après les couvrir d'autres, tant que le fourneau soit presque plein jusqu'au col du canon ; ce fait, ne couvre point le haut du fourneau de son couvercle… jusqu'à ce que le feu soit bien allumé, et la fournaise bien chaude, alors jette dedans une cuiller de fer de ta matière préparée autant qu'il en faut pour couvrir les charbons ; ce fait ferme bien le trou du dessus avec son couvercle… car par ce moyen toutes les choses qui seront jetées dedans, seront forcées à passer à travers du col du canon, et aller aux récipients sous forme d'une nuée épaisse, et se condenser en un esprit acide ou huile…". Ainsi parlait Glauber.

 

Le moderne chimiste remarquera que la façon de jeter le corps à "distiller" directement sur les charbons ardents, ne correspond pas exactement à l'idée qu'on se fait aujourd'hui d'une distillation. Le procédé s'apparente plutôt à celui du métallurgiste qui place son minerai au sein de la fournaise pour obtenir le métal en fusion. Nous pouvons soupçonner, aujourd'hui, que cette méthode, mettant le corps au contact du charbon ardent, avait nécessairement des incidences sur le produit obtenu et, nous le verrons, sur l'interprétation de la réaction qui était en réalité bien autre chose qu'une simple "distillation".

 

Si la "distillation" est l'art majeur des alchimistes, cette opération leur permet, en particulier, de produire des acides, autre moyen de séparer, par la "dissolution", les différents composants des corps. La découverte des "esprits acides" a donc été, pour leurs successeurs, un des apports essentiels des alchimistes.

 

 

Recette, selon Glauber, pour obtenir "l'esprit de sel".

 

 

Parmi les exemples de distillation, Glauber décrit celle du sel ordinaire, le sel marin. Elle permet d'obtenir "l'esprit de sel", notre  acide chlorhydrique, dont Glauber estime qu'il existe peu d'acides qui l'excèdent "en force et en vertu".

 

Sa recette : "Mêle du sel, et du vitriol, ou alun, ensemble, broie les bien dans un mortier, (car mieux ils sont broyés, et plus sort-il d'esprit) alors jette ce mélange sur le feu, avec une cuiller de fer, autant qu'il suffit pour couvrir les charbons, et lors avec un grand feu, les esprits sortent, et vont dans le récipient, et étant coagulés, ils descendent dans une écuelle, et après dans un autre récipient, et si tu entends bien ce travail, l'esprit descendra continuellement comme de l'eau au travers du canal, de la grosseur d'une paille, et tu pourras aisément tirer toutes les heures une livre d'esprit…"

 

Du vitriol doit donc être mêlé au sel marin. Sous le nom de vitriol on désigne divers sulfates métalliques naturels. Leur "distillation" permet d'en extraire un "esprit", l'acide vitriolique, aujourd'hui désigné comme acide sulfurique. La réaction décrite par Glauber correspond donc à l'action de l'acide sulfurique sur le chlorure de sodium qui est encore de nos jours une méthode de préparation de l'acide chlorhydrique. Glauber nous donne également la méthode pour distiller le "vitriol", afin d’en extraire l'acide vitriolique (acide sulfurique) et sa version concentrée : "l'huile de vitriol".

 

Les acides, en particulier chlorhydrique et sulfurique joueront un rôle essentiel dans la suite de ce récit.

 

 

 

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18 avril 2025 5 18 /04 /avril /2025 20:31

Notre époque charge le dioxyde de carbone, le CO2 d'une lourde malédiction. C'est l'ennemi numéro un de notre environnement, le coupable, clairement désigné, de "crime climatique".

 

Qui peut encore le nier après les rapports successifs du GIEC ? Et qui peut refuser de voir que la dangereuse augmentation du CO2 dans l'atmosphère est le résultat de l'emballement d'un monde industriel développé qui gaspille les ressources fossiles accumulées sur la planète au cours de millions d'années et les disperse sous forme d'objets inutiles et de polluants multiples.

 

Rappelons que, il y a à peine plus de deux siècles, le dioxyde de carbone ne faisait pas partie de la liste des corps nommés par les chimistes. Les mots mêmes de gaz, de carbone et d'oxygène ne faisaient pas partie de leur vocabulaire.

 

La brève histoire que nous allons conter ici est celle de la prise de conscience de l'existence de ce gaz qui, fatal ou vital, est au centre des débats ne nos sociétés en ce début de 21ème siècle.

 

XXXXXXXX

 

Le premier personnage que nous allons rencontrer est un médecin adepte des procédés alchimiques.

Jean-Baptiste Van Helmont et le gas silvestre.

 

 

Jean-Baptiste Van-Helmont (1579-1644) est né à Bruxelles, alors ville des Pays-Bas espagnols. Après des études de philosophie à l’université du duché de Brabant, il étudie l’astronomie, l’algèbre, la géométrie. Il se tourne ensuite vers la médecine dont il obtient le diplôme en 1599. Rejetant les enseignements de Hippocrate et de Galien, il s’inspire de la médecine pratiquée par Paracelse (1493-1541) et les alchimistes faisant intervenir des remèdes essentiellement issus du monde minéral.

 

Van-Helmont se singularise, également, par son une opposition à la théorie des quatre éléments de Platon et Aristote qui est encore, à cette époque, à la base de toute réflexion sur la matière.(voir : Les œuvres de Jean-Baptiste Van Helmont)

 

"Les Anciens, dit-il, ont établi les quatre éléments pour fondement de la nature, & attribuent toutes leurs opérations aux qualités et aux complexions qui résultent de leur mélange.

 

 

Comme cette doctrine a été nourrie et continuée dans les écoles de siècle en siècle, 

pour l’enseignement de la jeunesse au préjudice des mortels, aussi faut-il tâcher d’en réprimer l’abus afin qu’on puisse dorénavant reconnaître les erreurs qui se sont glissées par-là envers la cause des maladies."

 

Pour Van Helmont, ce ne sont pas quatre mais un seul élément qui génère l’ensemble des corps. Tous, animaux, végétaux et minéraux sont faits uniquement d’eau !

 

Tous les corps, dit-il, qu’on a cru être mixte, "de quelque nature qu’ils puissent être, opaques ou transparents, solides ou liquides, semblables ou dissemblables (comme pierre, soufre, métal, miel, cire, huile, cerveau, cartilages, bois, écorce, feuilles, etc.) sont matériellement composés de l’eau simple et peuvent être totalement réduits en eau insipide sans qu’il y reste la moindre chose du monde de terrestre".

 

Il ne se contente pas de l’affirmer, le prouve ! Et ceci en faisant appel à l’expérience, ainsi que le note son traducteur. Celle-ci concerne la croissance des végétaux.

 

"Il prit un grand vase de terre, auquel il mit 200 livres de terre desséchée au four qu’il humecta avec de l’eau de pluie. Puis il y planta un tronc de saule qui pesait cinq livres. Cinq années après le saule, qui avait cru en ladite terre, fut arraché et se trouva pesant de 169 livres et environ 3 onces de plus.

Le vaisseau était fort ample, enfoncé en terre, et couvert d’une lame de fer blanc étamé percé, en forme de crible, de force petits trous afin qu’il n’y ait que l’eau de pluie ou l’eau distillée seule (de laquelle la terre du vaisseau était arrosée lorsqu’il en faisait besoin) qui y puisse découler. Les feuilles ne furent point pesées parce que c’était en automne quand les feuilles tombent que l’arbre fut arraché.

 

Il fit derechef ressécher la terre du vase et la terre ne se trouva diminuée que d’environ deux onces qui s’étaient pu perdre en vidant ou emplissant le vaisseau. Donc il y avait 164 livres de bois, d’écorce et de racines qui étaient venues de l’eau."

 

De même dit-il "La terre, la fange, la boue, & tout autre corps tangible tirent leur véritable matière de l’eau et retournent en eau tant naturellement que par art".


L’expérience de Van Helmont dans une représentation contemporaine.


 

Van Helmont observe, cependant, que tous les corps ne se transforment pas immédiatement en eau. L’exemple le plus remarquable est celui du charbon dont il affirme que, pendant sa combustion, il libère un " esprit sauvage nommé gas ". Cet esprit constituerait d’ailleurs l’essentiel du charbon, car, dit-il "soixante deux livres de charbons consumés ne laissent guère plus d’une livre de cendres. Donc les soixante livres de surplus ne seront qu’esprit".

 

Ce "gas silvestre", cet esprit sauvage, Van Helmont le retrouve dans une multitude d’observations. Il se dégage dans les fermentations du vin, de l’hydromel, du pain qui lève. Il s’échappe de la poudre à canon qui s’enflamme. Hélas ce "gas" fait une entrée peu chaleureuse dans l’univers chimique. C’est à lui que Van Helmont attribue, avec justesse, les effets funestes de la grotte du chien dans la région de Naples, les suffocations des ouvriers dans les mines ou des vignerons dans les celliers où le vin fermente.


La grotte du chien près de Naples.


 

Lavoisier, qui a noté l’intérêt des œuvres de Van-Helmont, relève que le mot "gas" vient du mot hollandais ghoast qui signifie esprit. Il ajoute que les Anglais "expriment la même idée par le mot ghost et les Allemands par le mot geist". Quant à lui, dans le premier chapitre de son Traité élémentaire de chimie publié en 1789 il expose sa conception des trois états de la matière : "presque tous les corps de la Nature sont susceptibles d’exister sous trois états différents ; dans l’état de solidité, dans l’état de liquidité et dans l’état aériforme […] Je désignerai dorénavant ces fluides aériformes sous le nom générique de gaz". (voir)

 

Nous avons compris que le "gas silvestre" de Van-Helmont, qui provoque l’asphyxie des vignerons imprudents, est notre CO2 , il faudra pourtant bien des étapes avant de comprendre son rôle dans le cycle du vivant. La première étape passe par le Britannique Stephen Hales.


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Stephen Hales (1677-1761).

Quand l’air se transforme en pierre !

 


Connu comme chimiste et physiologiste, Stephen Hales communique en 1727, à la Société Royale de Londres, le résultat de ses expériences sur la physiologie des végétaux. Ces travaux initient une nouvelle façon de produire et de recueillir ce que nous désignons aujourd’hui par le mot "gaz".

 

Buffon qui a lu sa communication trouve indispensable de la traduire. Elle paraît en 1735 sous le titre : "La statique des végétaux et l’analyse de l’air".

 

Le traducteur est enthousiaste. "L’Angleterre produit rarement d’aussi bonnes choses", écrit-il. "La nouveauté des découvertes et de la plupart des idées qui composent cet ouvrage, surprendra sans doute les Physiciens. Je ne connais rien de mieux dans son genre, et le genre par lui-même est excellent". Il note en particulier le passage sur l’air qui est "le plus bel endroit de son livre" :

 

"Aurait-on imaginé, écrit-il, que l’air pût devenir un corps solide ? Aurait-on crû qu’on pouvait lui ôter et lui rendre sa vertu de ressort ? Aurions nous pu penser que certains corps, comme la Pierre de la Vessie ou le Tartre sont pour plus des deux tiers de l’air solide et métamorphosé ? "

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On peut comprendre cet enthousiasme. La théorie des quatre éléments avait instauré des barrières rigides entre principe solide (terre), liquide (eau), et gazeux (air). Comment imaginer qu’un corps aussi volatil que l’air puisse se transformer en bois, en os et même en pierre !

 

C’est pourtant bien ce qu’affirme Hales dans son étude sur la physiologie des végétaux. Il y montre que ceux-ci absorbent beaucoup "d’air"

"non-seulement par la racine, mais aussi par le tronc & les branches" pendant leur croissance.

 

Nous savons aujourd’hui que cet "air", devenu matière solide dans les plantes, est le "gas sylvestre" de Van Helmont, notre actuel dioxyde de carbone (CO2). Pour Hales et ses contemporains il ne pouvait s’agir que "d’air solidifié".

 

Le sixième chapitre de son livre contient l’essentiel de ses expériences :

 

"l’on y verra, dit-il, que tous les corps contiennent une grande quantité d’air ; que cet air est souvent dans ces corps sous une forme différente de celle que nous connaissons ; c’est-à-dire dans un état de fixité où il attire aussi puissamment qu’il repousse dans son état ordinaire d’élasticité"

 

Cet air "fixé" dans les plantes peut en être chassé :" l’on verra, ajoute Hales, que ces particules d’air fixe qui s’attirent mutuellement sont […] souvent chassées des corps denses par la chaleur ou la fermentation, & transformées en d’autres particules d’air élastique ou repoussant [.] C’est par cette propriété amphibie (souligné dans le texte) de l’air, que se font les principales opérations de la nature".


 

Montage de Stephen Hales pour recueillir les "airs" fixés dans les plantes et autres corps denses.


 

Noter l’apparition de ces deux types d’air, "l’air fixe", ou air fixé dans les corps organiques et végétaux (bientôt le nom sera réservé au seul dioxyde de carbone) et l’air élastique dont on connaît les lois de compressibilité depuis Boyle et Mariotte.

 

Hales, considérant ces cycles de décompositions et de recombinaisons, invite ses contemporains à considérer l’air comme un véritable réactif chimique :

 

"Puisque l’air se trouve en si grande abondance dans presque tous les corps ; puisque c’est un principe si actif et si opératif ; puisque ses parties constituantes sont d’une nature si durable, que l’action la plus violente du feu ou de la fermentation, n’est pas capable de les altérer jusqu’à leur ôter la faculté de reprendre par le feu ou la fermentation, leur élasticité, … ne pouvons nous pas adopter ce protée (souligné dans le texte), tantôt fixe, tantôt volatil, & le compter parmi les principes chimiques, en lui donnant le rang que les Chymistes lui ont refusé jusqu’à présent, d’un principe très actif".

 

"Je souhaite, ajoute-t-il, que cet essai puisse engager d’autres personnes à travailler dans le même goût ; le champ est vaste, il faut pour le défricher plusieurs têtes et plusieurs mains" .

 

Message reçu par ses compatriotes qui construiront, étape par étape, non pas une chimie "de l’air" mais une chimie "des airs". Au premier rang de ceux-ci Joseph Black.


XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

 


Joseph Black (1728-1799) et l’air fixe.

 

 


Joseph Black est l’élève de William Cullen, médecin et professeur écossais. Celui-ci dispose d’un laboratoire bien équipé, en particulier pour les mesures des masses et des volumes gazeux.

 

A la demande de son professeur, il s’attache en premier lieu à étudier, de façon quantitative, la calcination de la craie et sa transformation en chaux vive. Il constate que cette opération s’accompagne d’une perte de poids de la chaux obtenue.

 

Dans le même temps un gaz se dégage auquel il donne le nom, déjà utilisé par Hales, d’air fixe car "fixé" dans la craie.

 

"Je lui ai donné le nom d’air fixe, dit-il, et peut-être très improprement, mais j’ai pensé préférable d’utiliser un nom familier en philosophie, que d’inventer un nouveau nom avant que nous soyons mieux informés de la nature et des propriétés de cette substance, ce qui sera probablement le sujet de mes prochaines recherches."

(J.Black,“Expériences sur la magnésie blanche, la chaux vive, et sur d’autres substances alkalines" p.210).

 

Experiments upon magnesia alba, quick-lime, and other alcaline substances, p70


 

Four à chaux (encyclopédie)


 

Son choix de conserver ce nom d’air fixe, "familier en philosophie", sera approuvé par ses contemporains qui, jusqu’à Lavoisier, continueront à qualifier "d’air fixe" le gaz que nous désignons aujourd’hui comme dioxyde de carbone (CO2 ).

 

Cette réaction de calcination peut se traduire par les équations :

 

Craie → Chaux vive + Air fixe

 

carbonate de calcium → Oxyde de Calcium + dioxyde de Carbone

 

CaCO3 → CaO + CO2

 

Ainsi la craie (pour nous du carbonate de calcium CaCO3) résulterait de la combinaison de la chaux vive (oxyde de calcium CaO) et de l’air fixe (CO2). Sa calcination aurait pour effet de libérer cet "air fixe" en le séparant de la chaux.

 

Notons que le sens initial du mot calciner est : transformer en chaux.

 

Une autre expérience vient confirmer cette vue.

 

Black et ses compatriotes savent que la chaux vive est très avide d’eau avec laquelle elle réagit avec un fort dégagement de chaleur pour donner de la "chaux éteinte", notre hydroxyde de calcium Ca(OH)2

 

Précipitation du calcaire :

 

Chaux dissoute + air fixe → Calcaire

 

L’expérience est d’ailleurs devenue classique : en soufflant au moyen d’une pipette dans un verre d’eau de chaux incolore, on observe qu’elle se trouble et qu’un précipité blanc de calcaire insoluble se dépose au fond du récipient sous l’action du gaz carbonique contenu dans l’air expiré. Ce nouveau calcaire pourrait, à son tour, être calciné et redonner de la chaux et de l’air fixe.

 

Cet air fixe (notre CO2), facilement caractérisable par sa réaction avec l’eau de chaux, Black l’observe aussi dans l’action d’un acide sur la craie et également dans un grand nombre d’autres opérations. Par exemple, comme Van Helmont, dans la combustion du charbon ou dans les fermentations.

 

Ainsi se précisent les contours de cet être nouveau, l’air fixe, aux propriétés très différentes de celles du classique air atmosphérique. Notons qu’il est caractérisé, au premier abord, par le fait qu’il n’autorise ni les combustions ni la vie animale. Encore désigné sous le nom d’air méphitique, il commence mal sa nouvelle vie dans l’univers des corps chimiques.

 

C’est, cependant, un nouveau "principe" dont il convient d’étudier l’ensemble des propriétés chimiques. Dans cette tâche Black sera relayé par plusieurs de ses compatriotes.


XXXXXXXXXXXXXXXX

 


Henry Cavendish (1731-1810).

 

 


Deuxième fils du Duc de Devonshire, Henry Cavendish, reçoit, de son oncle, un riche héritage qui lui permet de constituer un laboratoire bien équipé qu’il utilise avec une rigueur peu commune parmi ses contemporains.

 

En 1766, il présente devant l’Association Royale de Londres une communication sur les airs factices. Son exposé traite de l’air fixe tel que le définit Black, à savoir : "cette espèce particulière d’air factice qui est extrait des substances alcalines par dissolution dans les acides ou par calcination" (Philosophical Transactions, 1766, p141).


matériel de laboratoire de Cavendish.


 

Si la description de l’air inflammable (notre hydrogène) constitue, par sa nouveauté, la partie la plus remarquable du travail de Cavendish, nous retiendrons qu’il multiplie également les expériences sur l’air fixe. Il l’obtient par l’action de l’esprit de sel (l’acide chlorhydrique) sur le marbre.

 

Il en étudie d’abord la solubilité dans l’eau. Elle est importante. Cette observation sera retenue quand il faudra, ensuite, expliquer la richesse de la vie aquatique. Il constate aussi, entre autres observations, que l’air fixe se dissout plus facilement dans l’eau froide. Une observation qui nous concerne dans cette époque présente où l’augmentation de la température des océans limite leur rôle de "pièges à carbone".

 

En utilisant une vessie animale, Cavendish mesure la densité de l’air fixe. Ayant constaté que l’air ordinaire est 800 fois moins dense que l’eau, il trouve que l’air fixe ne l’est que 511 fois moins. Il en déduit que l’air fixe a une densité de 1,56 par rapport à l’air ordinaire (à comparer à la valeur de 1,52 actuellement admise).

 

Le résultat mérite d’être noté, l’air fixe, plus dense que l’air se concentre donc dans les parties basses des enceintes où il est produit. Ceci explique l’asphyxie des ouvriers dans les fosses d’aisance ou des vignerons dans les cuves mal aérées, ou encore celle des animaux dans les grottes désignées comme "grotte du chien" : c’est au raz du sol que le gaz "méphitique" menace. Cette donnée intéresse également les expérimentateurs qui savent qu’ils peuvent conserver l’air fixe dans un flacon ouvert dont l’ouverture est dirigée vers le haut, disposition commode pour leurs expériences.

 

Toujours attaché à mesurer, Cavendish cherche à déterminer la quantité d’air fixe contenue dans le marbre. Le fort pourcentage de CO2 trouvé (40,7% de la masse) est proche de la valeur admise aujourd’hui. Le marbre et la craie, décomposés par un acide, deviendront ainsi l’une des sources essentielles de la production d’air fixe.


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Joseph Priestley (1733-1804).

Air fixe et air phlogistiqué.

 


 

Joseph Priestley, théologien, philosophe, homme politique britannique est aussi physicien, auteur d’une remarquable "Histoire de l’électricité".

 

Il est également connu pour ses travaux en chimie et la place importante qu’il occupe dans la "chasse aux airs". En mars 1772 il présente devant l’Académie Royale de Londres ses Observations sur différentes espèces d’air.


 


Habitant à proximité d’une brasserie, il multiplie d’abord les expériences sur l’air fixe, le gaz carbonique, qui se dégage de la fermentation du malt. Constatant sa capacité à se dissoudre dans l’eau il met au point des méthodes de préparation d’eaux gazeuses qui, dit-il, peuvent rivaliser avec "l’eau naturelle de Pyrmont" qui est une eau minérale, importée d’Allemagne, très en vogue à cette époque. On pourra juger de cette popularité à la lecture d’un article publié dans la Revue médicale des grands hôpitaux de Paris en 1829 :

 

"On compte peu de bains en Europe qui aient obtenu autant de vogue et de célébrité. Il nous suffira de dire qu’en 1556 cette célébrité devint telle, qu’en moins d’un mois on fut obligé de dresser un camp pour recevoir plus de dix mille personnes, qui s’y rendirent de l’Allemagne, de l’Angleterre, de la France, du Danemark, de la Norvège, de la Suède, de l’Italie, de la Russie, de la Pologne ; et enfin cet établissement était si réputé par les vertus de ses eaux, de ses fêtes, ses bals, ses spectacles, etc., qu’avant la révolution une demoiselle de condition se réservait, presque toujours dans son contrat de mariage, d’être conduite, au moins une fois, aux bains de Pyrmont".

 

Pourquoi ne pas imaginer, comme le fait Priestley, qu’une "eau de Pyrmont" à bon marché, préparée à base de craie et d’acide sulfurique, pourrait avoir, elle-même, un avenir commercial ? C’est un industriel allemand, Johann Jacob Schweepe (1740-1821), qui en fera le pari et déposera, en 1783, un brevet pour une boisson médicinale utilisant le procédé de gazéification de Priestley et qui créera, à Londres, la fabrique d’une eau gazeuse diffusée plus tard sous la marque Schweepes. Pendant ce temps, une observation d’une tout autre portée va mobiliser Priestley.


 

Cuve d’une brasserie (encyclopédie)


Les plantes ne fonctionnent pas comme les animaux !

 

Il est connu que quand on enferme une bougie dans une enceinte pleine d’air, celle-ci fini par s’éteindre. De même un animal y meurt rapidement. Mais que se passe-t-il quand on y met une plante ? Va-t-elle dépérir à son tour ?

 

"On pourrait imaginer, écrit Priestley, que comme l’air commun est autant nécessaire à la vie végétale qu’à la vie animale, les plantes comme les animaux devraient être affectés de la même manière. J’avais moi-même cette intuition quand je mis pour la première fois un plan de menthe dans un flacon de verre renversé sur une cuve à eau. Mais quand il a continué à y pousser pendant quelques mois, je trouvai que l’air du flacon n’éteignait pas une chandelle et qu’il n’avait aucun effet négatif sur une souris que j’y avais mise."

 

Priestley mesure l’importance de l’observation.

 

"Je me flatte, écrit-il, d’avoir découvert accidentellement une méthode pour restaurer l’air qui a été pollué par la combustion des chandelles et d’avoir découvert un des remèdes que la nature emploie dans ce but. C’est la végétation.

 

Par quel procédé la nature agit-elle pour produire un effet aussi remarquable, je ne prétends pas l’avoir découvert, mais nombre de faits se déclarent en faveur de cette hypothèse".

 

Priestley s’emploie alors à multiplier les observations sur la croissance des plantes dans l’air confiné d’une enceinte de verre. Ayant constaté qu’une chandelle pouvait brûler dans l’air où avait poussé une plante, il imagine qu’une plante pourrait même rendre sa qualité à l’air où avait déjà brûlé une bougie.

 

Priestley note que l’expérience qu’il réalise pour répondre à cette question débute le 17 août 1771. Il place un plan de menthe dans une enceinte où une chandelle a brûlé jusqu’à s’éteindre et trouve que le 27 du même mois une autre chandelle qu’on y place y brûle parfaitement.

 

D’autres plants que ceux de menthe sont testés. Constat ? Ce n’est pas l’émanation odorante de la menthe qui purifie l’air, la preuve : les épinards semblent même être bien plus efficaces.

 

Ces premiers résultats sont communiqués à Franklin, avec qui Priestley est en correspondance régulière. Celui-ci en tire argument pour dénoncer la "rage" qui a gagné ses compatriotes et qui consiste à abattre les arbres qui se trouvent autour des habitations sous prétexte que leur voisinage serait malsain. Il est persuadé du contraire car les Américains, dit-il, vivent au milieu des bois et "personne dans le monde ne jouit d’une meilleure santé et n’est plus prolifique". La déforestation… déjà une affaire de santé publique.

 

Dans la même lettre, Franklin émettait l’hypothèse que, dans la réaction de purification de l’air, les plantes agissaient en retirant quelque chose de l’air vicié et non en y ajoutant quelque chose.

 

En retirer quelque chose ? On sait à présent que, effectivement, les plantes absorbent "quelque chose" : le dioxyde de carbone présent dans l’air. Mais pour Priestley et Franklin ce "quelque chose" ne pouvait être que le "phlogistique" libéré par la respiration animale ou par les putréfactions et qui avait pour effet d’empoisonner l’air. La théorie du "phlogistique", ce principe du feu contenu dans les corps combustibles, dominait alors dans l’esprit des chimistes.

 

Priestley et Franklin ne voient pas non-plus le fait le plus important : les plantes ajoutent également "quelque chose", dans l’air où elles poussent. Quelque chose d’essentiel à la vie : l’oxygène.

 

L’air fixe. Poison ou remède ?

 

Revenons sur les "observations sur les différentes espèces d’air", mémoire présenté par Priestley devant la Société Royale des Sciences en 1772.

 

Ayant su voir les propriétés des plantes pour purifier l’air vicié, il décide, à présent, de chercher d’autres procédés pour y parvenir. Disons le tout de suite, cet épisode nous montrera un savant prestigieux se laissant entraîner, par ses convictions, sur des voies hasardeuses.

 

Des souris font les frais de ses multiples essais. Non seulement il observe la façon et le temps qu’elles mettent à mourir dans un air confiné suivant qu’elles sont petites, grosses, jeunes ou vieilles, mais pour obtenir un air réellement putride, il les y laisse se décomposer pendant plusieurs jours après leur mort. Les animaux qu’il y introduit ensuite n’y vivent évidemment pas longtemps.

 

Il teste ensuite différentes façons de traiter l’air vicié renfermé dans l’enceinte et croit constater qu’en y introduisant de l’air fixe (rappelons à nouveau qu’il s’agit du dioxyde de carbone) la putréfaction semble arrêtée et, plus surprenant, Priestley va même jusqu’à considérer que la qualité de l’air s’est améliorée.

 

Très pratique, et persuadé d’avoir fait une nouvelle découverte utile à l’humanité, il en propose une première application à grande échelle : "si l’air fixe tend à corriger l’air qui a été pollué par la putréfaction ou la respiration d’un animal, les fours à chaux, qui libèrent de grandes quantités d’air fixe, seraient sains dans le voisinage des cités populeuses dont l’atmosphère est riche en effluves putrides".

 

Combattre le mal par le mal, neutraliser les effluves putrides des villes par les exhalaisons méphitiques des fours à chaux, voilà une proposition qui aurait manifestement mérité l’application d’un "principe de précaution" !

 

Notons que cette indulgence vis-à-vis du gaz carbonique n’était sans doute pas étrangère au fait que c’est en utilisant ce gaz qu’il avait proposé de fabriquer une "eau de Pyrmont" artificielle, cette eau minérale dont personne ne mettait en doute les propriétés médicinales. Il s’adresse donc aux médecins pour leur proposer des traitements à base d’air fixe.

 

"Je serais amené à penser aussi, dit-il, que les médecins pourraient profiter de l’utilisation de l’air fixe dans plusieurs maladies putrides, dans la mesure où on pourrait facilement l’administrer sous forme de clystère". Rappelons qu’un "clystère" est un "lavement intestinal" et que le traitement consisterait ici à insuffler un gaz au lieu du liquide habituellement administré dans ce genre d’intervention. Mais, prévient Priestley, par ce moyen il n’y aurait pas à craindre de gonflement des intestins dans la mesure où cet air fixe est "immédiatement absorbé par n’importe quel fluide ou quelle substance humide".

 

Il se pourrait aussi, pense-t-il, qu’il puisse être absorbé par les pores de la peau. Sans doute se souvient-il de ses premières observations dans une brasserie, d’où l’idée spectaculaire de suspendre une personne, "excepté la tête" précise-t-il, au-dessus d’une cuve pleine d’un liquide en fermentation. "Si le corps était exposé presque nu, ajoute-t-il, il y aurait peu de danger dû au froid, et l’air, ayant un accès plus libre, produirait un meilleur effet".

 

"N’étant pas médecin, je ne cours aucun risque en lançant cette hasardeuse, et peut-être bizarre, proposition" écrit-il.

 

Hasardeux et bizarre en effet !

 

Pourtant Priestley réussit à convaincre deux médecins, les docteurs Hird et Crowther, de l’opportunité de tenter l’expérience en administrant à leurs patients des lavements à l’air fixe et en leur faisant boire de grandes quantités de liquides fortement imprégnées de ce gaz. Naturellement le compte-rendu de l’un des médecins, publié par Priestley en annexe de son mémoire, annonçait des résultats positifs.

Vraiment bizarre ?

 

Pourtant, tout dans ces observations était-il si hasardeux, si bizarre ? Le traitement proposé à une personne atteinte de maladie putride n’a sans doute pas eu réellement l’efficacité escomptée mais on sait aujourd’hui que les principaux micro-organismes responsables de la putréfaction des tissus animaux sont des bactéries aérobies et que l’une des méthodes préconisées pour le conditionnement des viandes est de faire cette opération sous atmosphère enrichie en gaz carbonique.

 

Notons aussi que la "carboxythérapie", à base de cures "d’eau gazeuse", de bains "carbo gazeux" et même d’injection sous-cutanée de CO2, a été introduite dans l’arsenal de certaines stations thermales.

 

Vous avez dit bizarre ?


Carboxythérapie

hier le clystère

aujourd’hui la seringue


 

Au moins serons nous tentés de considérer avec indulgence les conclusions aventureuses de Priestley en constatant qu’il avait quand même été, dans ce domaine, un bon, et peut-être utile, observateur.

 


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Notons le fascicule édité par Priestley sur la méthode de préparation d’une "eau de Pyrmont".


Notons aussi en France "L’essai sur l’art d’imiter les eaux minérales" de Claude-François Duchanoy (1780).

 

Cité par Louis Figuier, "Les merveilles de l’Industrie, industrie chimique, p416"

Après Van Helmont, Hales, Black, Cavendish et Priestley, nous allons rencontrer le biologiste Suisse Charles Bonnet.

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Charles Bonnet (1720-1793) et l’alimentation des plantes par leurs feuilles.

 

 


En 1754 il publie ses "Recherches sur l’usage des feuilles dans les plantes".S’inspirant des études de Stephen Hales, il souhaite étudier la nature des échanges dans les feuilles et en particulier la façon dont elles participent à l’absorption de l’eau.

 

Les deux faces d’une feuille sont différentes, "la surface supérieure est ordinairement lisse et lustrée" observe-t-il, "la surface intérieure au contraire est pleine de petites aspérités ou garnies de poils courts", il imagine donc une série d’expériences à partir d’une hypothèse :

 

"Ces différences assez frappantes ont sans doute une fin. L’expérience démontre que la rosée s’élève de la terre. La surface inférieure des feuilles, aurait-elle été principalement destinée à pomper cette vapeur et à la transmettre dans l’intérieur de la plante ? "

 

Pour y répondre, il imagine d’observer le comportement de feuilles disposées à la surface de l’eau en alternant les faces en contact avec le liquide. Celui-ci est contenu dans le récipient qui lui semble le mieux adapté par la largeur de son col : un poudrier.

 

Il multipliera les expériences ainsi que la nature des feuilles : lilas, poirier, vigne, tremble, laurier, cerisier, prunier, marronnier d’inde, murier blanc, tilleul, peuplier, abricotier, noyer, noisetier, chêne…

 

Les résultats obtenus n’auraient pas laissé une trace impérissable si une observation fortuite n’avait modifié le programme initial. C’est maintenant la totalité de la feuille qu’il décide de plonger dans l’eau.

 

"Au commencement de l’été de 1747, j’introduisis dans des Poudriers pleins d’eau, des rameaux de vigne. Ces rameaux appartenaient au cep planté dans le milieu d’un jardin.

 

Dès que le soleil commença à échauffer l’eau des vases, je vis paraître sur les feuilles des rameaux, beaucoup de bulles semblables à de petites perles. J’en observais aussi, mais en moindre quantité, sur les pédicules et sur les tiges.

 

Le nombre et la grosseur de ces bulles augmentèrent à mesure que l’eau s’échauffa davantage. Les feuilles en devinrent même plus légères ; elles se rapprochèrent de la superficie de l’eau".

 

Au fur et à mesure de la journée, les bulles qui adhèrent fortement aux feuilles grossissent au point que le diamètre de certaines "égalait à peu près celui d’une lentille". Mais une surprise attend l’observateur :

 

 


 

 

Expérience de Bonnet : feuille dans un poudrier plein d’eau.


 

Les bulles réapparaissent encore le jour suivant mais en moins grande quantité. Pourtant, remarque Charles Bonnet, la température a augmenté. Ce qui ne manque pas de l’étonner dans la mesure où il imagine que l’émission de bulles est liée à la température de l’eau. Sans doute n’avait-il pas remarqué que l’ensoleillement, comme on peut le penser, avait, quant à lui, diminué.

 

Que contiennent ces bulles ? Il n’imagine pas que cela puisse être autre chose que de l’air qui est encore, pour lui comme pour Stephen Hales, un élément indécomposable.

 

Quelle conclusion de ces observations ? Charles Bonnet sait que l’air se dissout dans l’eau et ceci d’autant plus que celle-ci est froide. Il sait, aussi, que de l’air entre dans les feuilles des plantes par leurs pores. Un échange entre les feuilles et l’eau aurait donc lieu. La chaleur ferait sortir l’air, des pores des feuilles, en trop grande quantité pour que l’eau puisse le dissoudre. Il se formerait donc des bulles retenues sur leur surface. Le froid produirait l’effet inverse.

 

Charles Bonnet n’aura pas vu le rôle réel du soleil ni su caractériser le gaz qui se dégage. Il aura quand même eu le mérite d’avoir su observer un phénomène que d’autres interpréteront avec plus de bonheur. Son nom et son dispositif expérimental ne seront pas oubliés.

 


L’expérience de Bonnet dans un manuel contemporain.


Trente ans plus tard, un médecin et botaniste Britannique d’origine néerlandaise, Jan Ingenhousz (ou Ingen-Housz, 1730-1799), saura comprendre le rôle de la lumière solaire dans ce mécanisme.


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Jan Ingenhousz : le soleil rythme la vie des végétaux.

 


Il publie en 1779, à Londres ses "Expériences sur les Végétaux" avec comme sous-titre : "Spécialement sur la propriété qu’ils possèdent à un haut degré, soit d’améliorer l’air quand ils sont au soleil, soit de le corrompre la nuit, ou lorsqu’ils sont à l’ombre".

 

Il traduit lui-même, en français, l’ouvrage rédigé en anglais, car, dit-il dans son introduction, "ce fût la crainte seule qu’un traducteur ne saisît pas partout mes idées, qui me détermina à le traduire moi-même". Le livre en français est publié pour la première fois dans l’été 1780, puis plusieurs fois réédité, notamment en 1787. Il sera ultérieurement traduit en hollandais et allemand.

 

Le sous-titre est explicite. Il connait les travaux de Priestley, dont il fait un éloge prononcé. Il lui reconnaît le mérite d’avoir montré que les plantes pouvaient purifier l’air vicié dans lesquelles on les plaçait. Il revendique, par contre, celui d’avoir montré le rôle de la lumière solaire dans ce phénomène, ce que n’avait pas vu Priestley.

 

"Il n’existe aucun ouvrage publié avant le mien, dans lequel l’auteur ait déduit … en termes exprès, que les végétaux répandent de l’air déphlogistiqué alentour d’eux au soleil seulement ".

 

Une des raisons de son succès est le fait que son dispositif expérimental tranche avec celui de Charles Bonnet. Que peut-on prouver en faisant agir le soleil sur des plantes recouvertes d’eau, dit-il, vu qu’elles ne "sont pas couvertes d’eau dans l’état naturel" ?

 

Il est vrai que les conditions expérimentales guident l’observation. Placer les feuilles dans l’eau, le jour, au soleil, fait immédiatement apparaître un dégagement de bulles d’oxygène parfaitement visibles. Par contre, le dioxyde de carbone étant très soluble dans l’eau, aucune bulle de ce gaz n’apparaît quand il se dégage le jour ou la nuit.

 

Ingenhousz, quant à lui, s’inspire des montages expérimentaux de Priestley qui place une plante sous une cloche pleine d’air ou d’un autre gaz.

 

C’est, en effet, après avoir pris connaissance de ses expériences sur la respiration des plantes qu’il a lui-même engagé ce travail, "brûlant de suivre les traces de la Nature dans ses merveilleuses opérations, annoncées et mises dans un si beau jour par cet homme respectable".

 

"Lorsque je trouvais dans les ouvrages de ce génie inventeur, écrit-il, de ce célèbre physicien, le docteur Priestley, l’importante découverte que la végétation d’une plante devient plus vigoureuse dans un air putride, et incapable d’entretenir la vie d’un animal, et qu’une plante refermée dans un vase plein d’air devenu malsain par la flamme d’une chandelle, rend à nouveau à cet air sa pureté primitive, et la faculté d’entretenir la flamme, je fus saisi d’admiration".

 

Il reconnaît, surtout, à Priestley, la découverte de "ce fluide aérien merveilleux qui surpasse si fort en pureté et en salubrité (eu égard à l’usage de la respiration) le meilleur air atmosphérique".

 

Cet air (notre oxygène), dit-il, "mérite à juste titre le nom d’air vital". Il lui attribue cependant, comme Priestley, le nom d’air déphlogistiqué, c’est-à-dire d’air "destitué de ce principe inflammable dont le meilleur air de l’atmosphère se trouve plus ou moins mêlé, et par lequel l’air est d’autant plus nuisible, qu’il en contient davantage".

 

Il note, cependant qu’il a su aller plus loin que son célèbre confrère dans sa réflexion :

 

"En enfermant une plante pendant vingt-quatre heures sous une cloche remplie d’air métiphisé, il était facile à découvrir, par différents moyens connus depuis longtemps, si cet air était corrigé ou empiré ; mais il était impossible de distinguer si c’était simplement la lumière du jour ou l’obscurité de la nuit, ou la chaleur, ou la végétation, qui avait produit l’effet. Il fallait absolument examiner, pour décider la question, l’état de cet air après l’avoir enfermé avec une plante dans un endroit obscur, et le comparer avec un air semblable qui aurait été exposé au soleil avec une pareille plante".

 

Même s’il limite ainsi la portée de la découverte de Priestley, il lui reconnait d’avoir montré "que le règne végétal est subordonné au règne animal et que ces deux règnes se prêtent des secours mutuels ; de façon que les plantes contribuent à entretenir le degré de pureté nécessaire dans l’atmosphère, pendant que les exhalaisons des animaux, nuisibles à eux-mêmes, servent de nourriture aux plantes", leçon d’écologie avant l’heure.

 

Pourtant, Jan Ingenhousz va s’employer à détruire cette image de paradis terrestre.

 

La vie nocturne des plantes.

 

Les plantes ont un secret, nous dit-il : comme Pénélope, elles détruisent pendant la nuit ce qu’elles ont construit le jour !

 

Il a su le découvrir par plus de cinq cents expériences "toutes faites en moins de trois mois, depuis le commencement de juin jusqu’au commencement de septembre". C’est dire la frénésie qui avait saisi leur auteur !

 

Pour les réaliser, il s’est "soustrait au bruit de la capitale" en se retirant " dans un village à dix milles de Londres" et affirme ne pas l’avoir regretté en constatant que "ses veilles n’avaient pas été entièrement sans fruit".

 

Ses observations sont effectivement d’une telle richesse et ses conclusions si clairement exprimées qu’il nous semble utile d’en reproduire l’essentiel en nous contentant d’en souligner les points les plus remarquables.

 

Il souligne d’abord le rôle de la lumière solaire

 

"A peine, dit-il, fus-je engagé dans ces recherches, que la scène la plus intéressante s’ouvrit à mes yeux, j’observai :

 

 

- Que les plantes n’avaient pas seulement la faculté de corriger l’air impur dans l’espace de six jours ou plus, comme les expériences de M. Priestley semblent l’indiquer, mais qu’elles s’acquittent de ce devoir important dans peu d’heures, de la manière la plus complète.

 

 

- Que cette opération merveilleuse n’est aucunement due à la végétation, mais à l’influence de la lumière du soleil sur les plantes.

 

 

- Que les plantes possèdent en outre l’étonnante faculté de purifier l’air qu’elles contiennent dans leur substance, et qu’elles ont sans doute absorbé dans l’atmosphère, et de le changer en un air des plus purs, véritablement déphlogistiqué.

 

 

- Qu’elles versent une espèce de pluie abondante (s’il est permis de s’exprimer ainsi) de cet air vital et dépuré, qui, en se répandant dans la masse de l’atmosphère, contribue réellement à en entretenir la salubrité, et à la rendre plus capable d’entretenir la vie des animaux.

 

 

- Qu’il s’en faut beaucoup que cette opération soit continuelle, mais qu’elle commence seulement quelque temps après que le soleil s’est levé sur l’horizon, après qu’il a, par l’influence de sa lumière, éveillé les plantes engourdies pendant la nuit, et après qu’il les a préparées et rendues capables de reprendre leur opération salutaire sur l’air, et ainsi sur le règne animal : opération suspendue entièrement pendant l’obscurité de la nuit.

 

 

- Que cette opération des plantes est plus ou moins vigoureuse, en raison de la clarté du jour, et de la situation de la plante plus ou moins à portée de recevoir l’influence directe du soleil.

 

 

- Que toutes les parties de la plante ne s’occupent pas de cet ouvrage, mais seulement les feuilles, les tiges et les rameaux verts qui les supportent.

 

 

- Que les plantes âcres, puantes et même les vénéneuses s’acquittent de ce devoir comme celles qui répandent l’odeur la plus suave et qui sont les plus salutaires.

 

 

- Que les feuilles nouvelles et celles qui n’ont pas encore acquis tout leur accroissement, ne répandent pas autant d’air déphlogistiqué, ni d’aussi bonne qualité, que celles qui sont parvenues à leur grandeur naturelle, ou déjà vieillies.

 

 

- Que quelques plantes, surtout parmi les aquatiques, excellent dans cette opération."

 

 

Mais là où il rompt avec l’ensemble des observations déjà faites, c’est quand il révèle,

 

 

- "Que toutes en général corrompent l’air environnant pendant la nuit et même au milieu du jour dans l’ombre.

 

 

- Que toutes les fleurs exhalent constamment un air mortel et gâtent l’air environnant pendant le jour et pendant la nuit, à la lumière et à l’ombre et qu’elles répandent un poison réel et des plus terribles dans une masse considérable d’air où elles se trouvent enfermées.

 

 

- Que les fruits en général conservent cette influence pernicieuse en tous temps, surtout dans l’obscurité, et que cette qualité vénéneuse des fruits est si grande que quelques-uns uns, même des plus délicieux, tels que les pêches, peuvent, dans une seule nuit, rendre l’air tellement empoisonné, que nous serions en danger de périr, si nous couchions une seule nuit dans une petite chambre, dont la porte et les fenêtres seraient exactement fermées et où se trouverait une grande quantité de ce fruit".

 

Ingenhousz venait de découvrir une activité encore inconnue des plantes : la respiration.

 

Comme les animaux, jour et nuit, les plantes respirent.

 

En effet, le jour et la nuit, comme les animaux, les plantes respirent. Elles absorbent de l’oxygène et rejettent du dioxyde de carbone. Pendant le jour le phénomène est masqué par l’autre fonction végétale, équivalente à l’alimentation dans le règne animal : la photosynthèse, consommatrice de dioxyde de carbone et source d’oxygène.

 

Pendant la nuit ou dans l’obscurité, seule la respiration agit, consommant de l’oxygène et produisant du dioxyde de carbone. Pour ce qui est des fleurs et des fruits, "même des plus délicieux" il est vrai que, comme l’observe Ingenhousz avec emphase, ne participant pas à la photosynthèse, ils respirent cependant et, jour et nuit, "exhalent constamment un air mortel".

 

On comprendra sans peine que cette idée de plantes transformant l’air en "poison" pendant la nuit ait été considérée comme révolutionnaire, voire provocatrice, quand elle a été proposée et que, comme toute observation nouvelle, elle ait trouvé de sévères détracteurs auxquels Ingenhousz s’emploie à répondre :

 

"Les choses en sont venues au point que, pendant qu’on convient unanimement de l’influence bénigne des végétaux sur notre élément (bénigne utilisé ici au sens ancien de : qui fait du bien), et leur faculté de corriger l’air gâté et d’améliorer l’air bon, sont dues à la seule lumière solaire, et non à la chaleur ou à la végétation (vérité qu’aucun Ecrivain n’avait avant moi enseignée publiquement), quelques-uns croient cependant encore avoir des motifs de passer sous un profond silence, l’autre partie de ma doctrine, l’influence méphitique des plantes sur l’air, comme si elle ne méritait pas leurs regards, tandis que quelques autres la condamnent comme un système des plus absurdes, comme une doctrine injurieuse aux sages et sublimes procédés de la nature.

 

 

Ceux-ci, en faisant profession de défendre le ciel outragé, crient à haute voix qu’une doctrine qui attribue aux plantes l’office de répandre le jour, un vrai pabulum vitae, dans l’atmosphère, et d’exhaler ensuite un vrai poison autour de nous pendant la nuit, est injurieuse au créateur, et répugne à la saine raison".

 

Invoquer le "créateur" ne suffit pas, faites à votre tour mes expériences leur déclare-t-il en forme de défi, car votre refus d’expérimenter pourrait faire soupçonner de votre part " quelque appréhension d’examiner de près le fondement de ma doctrine, de crainte d’y rencontrer des vérités qui ne pouvaient être que désagréables à ceux qui croyaient avoir des raisons particulières de souhaiter que l’influence nocturne des végétaux fût une erreur".

 

Par cette "révolution" dans la description de la respiration des plantes, par cette levée de boucliers qui a suivi son annonce, serait-il exagéré de voir dans Ingenhousz l’équivalent en biologie d’un Lavoisier dans le domaine de la chimie ?


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Senebier ou comment les plantes s’alimentent.

 


Jean Senebier (1742-1809) est bibliothécaire à Genève et particulièrement intéressé par les sciences, en particulier la biologie. Il connaît les travaux de Priestley, Bonnet et Ingenhousz sur la "respiration" des plantes et s’emploie lui-même à les reprendre et à les développer.

 

Il publie ses résultats dans des "Mémoires physico-chimiques sur l’influence de la lumière solaire pour modifier les êtres des trois règnes de la nature, et surtout ceux du règne végétal (1782)"

 

suivis des "Recherches sur l’influence de la lumière pour métamorphoser l’air fixe en air pur par la végétation (1783)".

 

Il reprend le mode opératoire de son compatriote Charles Bonnet en plaçant les feuilles étudiées dans l’eau. Persuadé que la lumière solaire est, comme l’a proposé Newton, constituée de particules et que celles-ci sont absorbées par les plantes, il imagine une action physique de la lumière du soleil dans la production d’air pur par les feuilles (nous dirions aujourd’hui qu’elles absorbent l’énergie lumineuse sous forme de photons). D’où son conseil de situer les habitations dans "les lieux bien découverts, où le soleil peut porter sur toutes les feuilles des végétaux son heureuse influence, et leur faire répandre à flots cet air salutaire, qui fera circuler la santé et la vie dans nos poumons et dans nos veines" (1783).

 

Il est, par contre, l’un des adversaires les plus féroces de Ingenhousz, qui d’ailleurs, le lui rend bien, en ce qui concerne la vie nocturne des plantes. En effet, il refuse d’accepter deux mécanismes opposés cohabitant dans les feuilles. Impossible, dit-il, qu’elles puissent, à la fois, rejeter de l’air fixe et en absorber. S’il observe bien que des plantes maintenues immergées pendant un long moment dans l’obscurité semblent émettre des gaz nocifs, c’est, pense-t-il, parce qu’elles ont commencé à pourrir.

 

Ses recherches portent donc essentiellement sur le mécanisme diurne : l’absorption d’air fixe et l’émission d’air pur. Il constate, par exemple, que dans une eau saturée d’air fixe (de CO2), le dégagement de bulles d’air est plus abondant et que cet air est de l’air pur.

 

Dans la nature, pense-t-il, l’air fixe, notre dioxyde de carbone, serait produit par "le mélange de l’air pur avec les matières phlogistiquées" qui sont présentes dans l’atmosphère. Etant plus dense que l’air il se concentrerait dans les basses couches de l’atmosphère où il se dissoudrait dans l’humidité atmosphérique. C’est ainsi que l’air fixe passerait dans les feuilles et les racines des plantes qui recueilleraient cette humidité sous forme de pluie ou de rosée.

 

Quant à l’émission d’air pur, elle serait "le résultat de la conversion de l’air fixe, opéré par l’action de la végétation" qui séparerait le phlogistique de l’air fixe pour en alimenter la plante, et qui en chasserait l’air pur "comme un excrément inutile".

 

Même si le phlogistique vient encore obscurcir l’interprétation du mécanisme, Senebier comprend, et exprime de façon claire, le fait important :

le dioxyde de carbone (l’air fixe) est l’aliment de la plante.

 

Notons au passage que le fait de considérer l’air pur comme un excrément est une image à la fois juste et propre à marquer les esprits. L’air fixe s’en trouve réhabilité. Du statut de gaz mortel il acquiert celui d’élément nécessaire à la vie des plantes et par là-même à l’ensemble de la vie animale.

 

Même si Senebier, n’a pas noté la fonction essentielle de l’alternance jour/nuit dans le fonctionnement des feuilles, son apport est cité par Lavoisier au même titre que ceux de Priestley et Ingenhousz. Il est vrai que dans l’introduction à ses "Recherches" datée de 1783, il proposait une nouvelle orientation de la biologie à laquelle un chimiste ne pouvait être indifférent :

 

"Convient-il d’employer la chimie dans l’étude de la physique, de l’histoire naturelle, des secrets de la végétation ? ".

 

Telle est la question qu’il pose et tel est son plaidoyer :

 

"Il est évident que si les lois seules du mouvement pouvaient expliquer tous les phénomènes de la végétation, il serait inutile de chercher de nouveaux moyens pour les pénétrer. Mais si les excellents philosophes qui ont observé avec tant de dextérité et de génie les végétaux ; si les Grew, les Malpighi, les Duhamel, les Bonnet ont à peine fait connaître l’anatomie végétale ; s’ils ont si peu avancé la physiologie des plantes, en scrutant leurs fibres, en suivant leurs vaisseaux ; s’ils ont à peine connu les fluides qui les animent, on désespérera d’aller plus loin qu’eux, en employant leurs moyens, parce qu’ils en ont tiré tout le parti possible. Ce n’est donc qu’avec de nouvelles lunettes qu’on pouvait raisonnablement espérer un nouvel horizon, et peut-être de nouveaux passages à de nouvelles vérités".

 

Si on fait appel à la chimie, écrit-il, "cette science générale et universelle, qui recherche la nature des corps par des moyens qui leur soient appropriés, la question sera résolue, car la chimie de Scheele, de Bergman, de Lavoisier de Priestley est cette science sublime et chaque naturaliste sera charmé de savoir qu’il y a une telle science et de tels savants".


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Lavoisier. De l’air fixe à l’acide crayeux aériforme et au gaz carbonique.

 


Dans un mémoire lu le 3 mai 1777 à l’Académie des Sciences, Lavoisier traite des "expériences sur la respiration des animaux et sur les changements qui arrivent à l’air en passant par leurs poumons".

 

Chacun connaît l’importance de la respiration pour le maintien de la vie humaine et pourtant, nous dit Lavoisier, "nous connaissons peu l’objet de cette fonction singulière". Cet "objet", c’est l’air mais, ajoute-t-il, "toutes sortes d’air, ou plus exactement toutes sortes de fluides élastiques, ne sont pas propres à l’entretenir, et il est un grand nombre d’airs que les animaux ne peuvent respirer sans périr".

 

Lavoisier connaît les travaux de Hales, il est surtout admiratif des expériences de Priestley qui "a reculé beaucoup plus loin les bornes de nos connaissances… par des expériences très ingénieuses, très délicates et d’un genre très neuf". Lavoisier considère que son apport essentiel aura été de prouver que "la respiration des animaux avait la propriété de phlogistiquer l’air, comme la calcination des métaux et plusieurs procédés chimiques". Ou pour être plus bref : que la respiration est une combustion !

 

Lui-même veut le vérifier. Un moineau est placé sous une cloche pleine d’air renversée sur une cuve à mercure. Près d’une heure plus tard il ne bouge plus. L’air qui reste éteint une flamme. Un nouveau moineau qu’on y enferme n’y vit que quelques instants.

 

Cet "air vicié" présente une propriété qu’on ne trouve pas dans la simple "mofette" à laquelle Lavoisier donnera plus tard le nom d’Azote. Il précipite l’eau de chaux. Par ailleurs, une partie de cet air vicié est absorbée par une solution d’alkali fixe caustique (de la potasse). Par ces propriétés Lavoisier reconnaît cet air que les chimistes désignent comme "l’air fixe".

 

Le terme ne lui convient pas. Dans une note il s’en explique.

 

Quand l’air fixe devient acide crayeux aériforme.

 

" Il y a déjà longtemps que les physiciens et les chimistes sentent la nécessité de changer la dénomination très-impropre d’air fixe, air fixé, air fixable ; je lui ai substitué, dans le premier volume de mes Opuscules physiques et chimiques, le nom de fluide élastique ; mais ce nom générique, qui s’applique à une classe de corps très-nombreux, ne pouvait servir qu’en en attendant un autre.

 

 

Aujourd’hui, je crois devoir imiter la conduite des anciens chimistes ; ils désignaient chaque substance par un nom générique qui en exprimait la nature, et ils le spécifiaient par une seconde dénomination qui désignait le corps d’où ils avaient coutume de la tirer ; c’est ainsi qu’ils ont donné le nom d’acide vitriolique à l’acide qu’ils retiraient du vitriol ; le nom d’acide marin à celui qu’ils tiraient du sel marin, etc.

 

 

Par une suite de ces mêmes principes, je nommerai acide de la craie, acide crayeux, la substance qu’on a désignée jusqu’ici sous le nom d’air fixe ou air fixé, par la raison que c’est de la craie et des terres calcaires que nous tirons le plus communément cet acide, et j’appellerai acide crayeux aériforme celui qui se présentera sous forme d’air."

 

"Acide crayeux aériforme", propose donc Lavoisier, à un moment où, pourtant, il ne sait rien encore de la composition chimique de la craie. Plus tard c’est l’acide lui-même qui contribuera à donner son nom à la craie (carbonate de calcium) dans la nomenclature chimique. Nous en reparlerons.

 

Pour le moment le chimiste s’interroge sur le mécanisme de la respiration. Il a constaté une faible diminution du volume de l’air dans la cloche. Deux hypothèses se présentent.

 

-  Il est possible, dit-il, "que l’air éminemment respirable qui est entré dans le poumon en ressorte en acide crayeux aériforme". Ce qui expliquerait la faible diminution du volume de l’air dans la cloche, l’air fixe étant supposé "moins élastique" que l’air ordinaire.

 

-  Il est possible aussi "qu’une portion de l’air éminemment respirable reste dans le poumon et qu’elle se combine avec le sang".

 

Les deux propositions se révèleront partiellement justes. Pour appuyer la seconde Lavoisier rappelle que Priestley lui-même, a exposé du sang à l’air éminemment respirable et à l’acide crayeux aériforme. Dans le premier cas le sang a pris une couleur rouge-vermeil, dans le second cas il est devenu noir. La remarque ne manque pas de pertinence mais il faudra encore de longues années avant qu’elle trouve sa justification.

 

Pour le moment, la nature de l’acide crayeux reste à élucider.

 

De l’acide crayeux aériforme à l’acide charbonneux.

 

Quatre ans se sont passés. Lavoisier a abandonné le phlogistique. Dans les publications de l’Académie des Sciences pour l’année 1781, on peut lire son "Mémoire sur la formation de l’acide nommé air fixe ou acide crayeux et que je désignerai désormais sous le nom d’acide du charbon".

 

Lavoisier rappelle d’abord sa conception de la combustion des métaux, à savoir la combinaison de ceux-ci avec la partie respirable de l’air qu’il désigne à présent comme principe oxygine (générateur d’acide) et qui deviendra gaz oxygène dans la Nomenclature qu’il publiera avec Guyton de Morveau, Fourcroy et Berthollet en 1787.

 

En même temps que de celle des métaux, Lavoisier s’est intéressé aux combustions du phosphore et du soufre. Celles-ci l’ont conduit aux acides phosphorique et sulfurique. Poursuivant avec la même logique, il décide de s’intéresser au plus anciennement connu des combustibles : le charbon.

 

Ce corps pose problème. Si les chimistes savent obtenir du soufre et du phosphore dans un état de quasi-pureté, il n’en va pas de même du charbon. Sa distillation laisse échapper un ensemble de gaz parmi lesquels un air inflammable aqueux qui prendra ensuite le nom d’hydrogène. Dans ses cendres on trouve des terres insolubles et de l’alkali fixe (de la potasse) soluble. D’où la précision de Lavoisier :

 

"Pour éviter toute équivoque, je distinguerai, dans ce mémoire, le charbon d’avec la substance charbonneuse ; j’appellerai charbon ce que l’on a coutume de désigner sous cette dénomination dans les usages de la société, c’est-à-dire un composé de substance charbonneuse, d’air inflammable aqueux, d’une petite portion de terre et d’un peu d’alcali fixe ; j’appellerai, au contraire, substance charbonneuse le charbon dépouillé d’air inflammable aqueux, de terre et d’alcali fixe".

 

C’est donc la "substance charbonneuse" qui se combine au principe oxygine de l’air dans la combustion du charbon. Abandonnant le nom "d’acide crayeux" qu’il lui avait précédemment donné, Lavoisier donne le nom "d’acide charbonneux" au gaz résultant de cette combustion.

 

Afin de déterminer les proportions de substance charbonneuse et de principe oxygine dans cet acide charbonneux, Lavoisier, aidé de Laplace et Meusnier, se livre à une multitude d’expériences qui l’amènent aux proportions :

 

Principe oxygine : 72,125 livres

 

Matière charbonneuse : 27,875 livres

 

Total de l’acide charbonneux : 100,000 livres

 

La lectrice ou le lecteur qui mobiliserait ses souvenirs scolaires pourrait vérifier qu’avec nos données actuelles (valeurs "arrondies" : 12g de carbone pour 32g d’oxygène dans les 44g d’une "mole" de CO2 soit 22,4l gazeux,), les 27,875% de carbone mesurés par Lavoisier sont très proches des 27,3% que nous donnent nos calculs.

 

En cette année 1781, l’air fixe, rebaptisé acide crayeux, est donc devenu acide charbonneux. Pourtant, si on connaît à présent sa composition, il attend encore son nom définitif.

 

Quand l’acide charbonneux devient gaz acide carbonique et quand naît le carbone.

 

Nous devons évoquer ici la Nomenclature Chimique. Notons, pour mieux la situer, qu’elle prend son origine au début des années 1780, moment où la nécessité se fait jour d’une réforme dans la façon de nommer les corps chimiques.

 

C’est d’abord Louis-Bernard Guyton de Morveau (1737-1816), avocat au parlement de Dijon et chimiste reconnu internationalement qui publie dans le Journal de Physique de l’abbé Rozier, en 1782, un mémoire "Sur les dénominations chymiques, la nécessité d’en perfectionner le système et les règles pour y parvenir".

 

Le constat est simple : cette science qui a enfin réussi à s’imposer dans les Académies utilise une langue à peine sortie des grimoires des alchimistes. "Il n’est point de science, regrette-t-il, qui exige plus de clarté, plus de précision, & on est d’accord qu’il n’en est point dont la langue soit aussi barbare, aussi vague, aussi incohérente".

 

En France, d’autres chimistes partagent le même objectif et une autre réforme du vocabulaire est en marche : celle de Lavoisier et de ses collègues académiciens qui s’appuient sur une base théorique, celle du principe oxygine, très différente de celle de Guyton de Morveau partisan du phlogistique.

 

La concurrence est sévère. La théorie de Lavoisier semble même avoir des partisans parmi les collègues Bourguignons de Guyton de Morveau, mais cela n’empêche pas celui-ci de se montrer circonspect :

 

"Nous aurons plus d’une fois occasion de dire, & particulièrement aux articles Acide Vitriolique, Acide Saccharin, Phlogistique, &c. &c. que nous sommes bien éloignés d’adopter en entier l’explication dans laquelle ce savant Chymiste croit pouvoir se passer absolument du Phlogistique" (Encyclopédie méthodique, article chymie, p29).

 

Pourtant, trois ans plus tard, c’est avec Lavoisier qu’il présentera la Méthode de Nomenclature Chimique qui bannira le phlogistique de l’univers de la chimie.

 

Influent à l’Académie des sciences, Lavoisier (1743-1794) a su attirer autour de lui des collaborateurs efficaces et enthousiastes qui soutiennent sa théorie : Antoine-François Fourcroy (1755-1809), Claude Louis Berthollet (1748-1822), Jean Henri Hassenfratz (1755-1827), Pierre Auguste Adet (1763-1834).

 

C’est ce groupe, réuni autour de Lavoisier, qui accueille Guyton de Morveau quand il vient à Paris en février 1787 avec son projet de nomenclature déjà bien avancé. Avec lui, ils rédigent la nouvelle "Méthode de Nomenclature Chimique" présentée à l’assemblée publique de l’Académie des Sciences du 17 avril 1787.

 

Guyton de Morveau est chargé d’en présenter les nouveaux termes. L’oxygène, l’hydrogène et l’azote sont les premiers nommés. Concernant le nom des acides, l’un d’entre eux pose problème.

 

"Aucun n’a reçu autant de noms différents que ce gaz, auquel M. Black donna d’abord le nom d’air fixe, en se réservant expressément de changer dans la suite cette dénomination, dont il ne se dissimulait pas l’impropriété. Le peu d’accord des chimistes de tous les pays sur ce sujet nous laissait, sans doute, une liberté plus entière, puisqu’il nous montrait la nécessité de présenter enfin des motifs capables de décider l’unanimité : nous avons usé de cette liberté suivant nos principes.

 

 

Quand on a vu former l’air fixe par la combinaison directe du charbon et de l’air vital, à l’aide de la combustion, le nom de cet acide gazeux n’est plus arbitraire, il se dérive nécessairement de son radical, qui est la pure matière charbonneuse ; c’est donc l’acide carbonique, ses composés avec les bases sont des carbonates ; et, pour mettre encore plus de précision dans la dénomination de ce radical, en le distinguant du charbon dans l’acceptation vulgaire, en l’isolant par la pensée, de la petite portion de matière étrangère qu’il recèle ordinairement, et qui constitue la cendre, nous lui adaptons l’expression modifiée de carbone, qui indiquera le principe pur, essentiel du charbon, et qui aura l’avantage de le spécifier par un seul mot, de manière à prévenir toute équivoque."

 

De façon paradoxale, c’est donc l’acide carbonique, que nous désignons actuellement comme gaz carbonique dans le langage courant ou dioxyde de carbone dans une langue plus savante, qui a donné son nom au carbone !

 

La remarque n’est pas anodine. C’est le dioxyde de carbone, l’ancien "gas silvestre" ou "air fixe", qui relie la craie la plus blanche à la noirceur du charbon. Le charbon, bois fossilisé, faisant lui-même le lien entre le minéral et le végétal. Comment aurions-nous pu décrire ce "cycle du carbone" qui associe matière inerte et matière animée ; que serait devenue la "chimie organique", si Lavoisier s’en était tenu à son choix initial "d’acide crayeux aériforme" ?

 

Ce choix étant fait, la réaction de combustion du carbone peut désormais s’écrire dans une formulation qui nous est compréhensible.

 

Carbone + oxygène → gaz acide carbonique

 

Le mot carbone est entré dans le langage quotidien et est partout compris dans le monde. Pourtant, nous verrons, à présent, qu’il ne s’est cependant pas imposé sans de fortes réticences.

 

De l’offensive anti-carbone à la victoire de CO2.

 

Le 17 avril 1787, est donc la date à laquelle Lavoisier, Guyton de Morveau, Fourcroy et Berthollet présentent le "Mémoire sur la nécessité de réformer et de perfectionner la nomenclature de la chimie" à la séance publique de l’Académie Royale des Sciences.

 

Une réception "nuancée" de la part des académiciens français.

 

Baumé, Cadet, Darcet, et Sage, sont les quatre académiciens auxquels revient la charge de présenter le "Rapport sur la Nouvelle Nomenclature". Le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne sont pas réellement enthousiastes et qu’en ces années qui précèdent une tempête politique, ils sont loin de souhaiter le "matin du grand soir" d’une révolution chimique.

 

"Ce n’est pas encore en un jour qu’on réforme, qu’on anéantit presque une langue déjà entendue, déjà répandue, familière même dans toute l’Europe, & qu’on lui en substitue une nouvelle d’après des étymologies, ou étrangères à son génie, ou prises souvent dans une langue ancienne, déjà presque ignorée des savants, & dans laquelle il ne peut y avoir ni trace, ni notion quelconque des choses, ni des idées qu’on doit leur signifier".

 

Le problème majeur est l’avènement de l’oxygène au détriment du phlogistique. Pourquoi choisir l’aventure, estiment les rapporteurs, quand l’ancien système s’avère encore utile ?

 

"La théorie ancienne qu’on attaque aujourd’hui est incomplète sans doute ; mais celle qu’on lui substitue n’a-t-elle pas ses embarras, ses difficultés ? Dans l’ancienne, nombre de phénomènes s’expliquent comme on peut, à l’aide du phlogistique… Dans la nouvelle c’est l’oxygène réuni aux bases acidifiables, qui forme ces mêmes acides ; mais qui nous dira ce qu’est l’oxygène ? Ce qu’est ce radical acide ? "

 

Qui nous dira ce qu’est l’oxygène ? Manifestement les Académiciens ne semblent pas avoir trouvé la réponse dans les mémoires des nomenclateurs. S’ils trouvent quand même quelques avantages à la nouvelle théorie, c’est ceux qu’elle doit à la précision et au calcul "auxquels la perfection de nos appareils a fourni l’analyse".

 

Ils choisissent donc de ne pas choisir :

 

"Nous dirons seulement que lorsque nous nous sommes permis ces réflexions, nous n’avons pas plus prétendu combattre la théorie nouvelle que défendre l’ancienne…

 

 

Nous pensons donc qu’il faut soumettre cette théorie nouvelle, ainsi que sa nomenclature, à l’épreuve du temps, au choc des expériences, au balancement des opinions qui en est la suite ; enfin au jugement du public, comme au seul tribunal d’où elles doivent & puisse ressortir.

 

 

Alors ce ne sera plus une théorie, cela deviendra un enchaînement de vérités, ou une erreur. Dans le premier cas, elle donnera une base solide de plus aux connaissances humaines ; dans le second elle rentrera dans l’oubli avec toutes les théories & les systèmes de physique qui l’auront précédée".

 

La faire rentrer dans l’oubli, tel est l’objectif des phlogisticiens qui ne ménagent pas leurs critiques.

 

 

La guerre est déclarée.

 

Dans le numéro de décembre 1787 du journal de physique, le premier à intervenir souhaite rester anonyme. "La chimie est maintenant à la mode", dit-il, "Nos belles dames, longtemps avant que le lycée leur en offrît des leçons, avaient paru sur les bancs des diverses écoles". C’est pourquoi la nouvelle Nomenclature "était attendue avec impatience". D’où sa déception et le sentiment d’avoir été victime d’une publicité mensongère : "plus les noms placés à la tête de cet ouvrage sont propres à exciter l’intérêt du lecteur, moins ils sollicitent leur indulgence".

 

Et d’indulgence, il n’en a pas ! Il reproche, en particulier, à ces illustres scientifiques, leur mauvais usage du grec. Comment oser mutiler "les beautés" de cette langue en fabriquant des mots dont la moitié est empruntée au latin, l’autre au grec. Et surtout, observe-t-il, quand on maîtrise si mal la langue. Oxygène et hydrogène, écrit-il, "signifient précisément le contraire de ce qu’ont voulu les Auteurs de la Nomenclature. La traduction du premier mot est engendré par l’acide & non générateur de l’acide ; celle du second engendré par l’eau et non générateur d’eau". Chez les Grecs, ajoute-t-il, "Diogène voulait dire fils de Jupiter" et, dans le vocabulaire usuel, homogène signifie "généré de façon identique" et non pas "générateur des mêmes choses".

 

Quant à quelques mots "un peu ridicules", ajoute-t-il, tels que "carbone, carbonique, carbonate, &c. je n’en parlerai point ; c’est les premiers, c’est peut-être les seuls dont le public fera justice".

 

Notre auteur anonyme n’avait manifestement rien d’un Nostradamus. Qui peut imaginer qu’il fut un temps où "carbone" ne faisait pas partie du langage commun et qu’il n’a été imposé, il y a seulement un peu plus de deux siècles, que par un quarteron de chimistes français.

 

Pourtant "Carbone" a été une des cibles principales des adversaires de la nomenclature.

 

Oubliez ces carbonates, ces carbures…

 

Étienne-Claude de Marivetz, qui signe en faisant état de son titre de baron, vient tresser des couronnes au directeur du Journal de Physique, le "véritable journal des Savants", pour son combat contre la Nomenclature. Il fallait, dit-il, "que les Étrangers apprissent que cette innovation n’avait été reçue que dans peu de laboratoires ; il fallait que les générations futures, en lisant avec étonnement ce dictionnaire, apprissent comment furent accueillis ces muriates, ces carbonates, ces carbures, ces sulfates, ces sulfites, ces sulfures, ces phosphates, ces phosphures, ces oxydes, &c. &c. &c. Il fallait que l’on sût que ces mots bizarres ne furent reçus que dans le jargon des adeptes qui les avaient imaginés".

 

Bien vite, conclut-il, "les carbonates et les carbures auront été oubliés" et on ne lira plus cette nomenclature "que comme on lit encore l’Histoire de Pantalon-Phoebus".

 

L’éloge historique de Pantalon-Phoebus est un texte extrait du "Dictionnaire néologique à l’usage des beaux-esprits du siècle" publié en 1726 par l’abbé Desfontaines sous couvert d’un "avocat de Province". Il s’agit d’un dictionnaire destiné à répandre dans la Province le beau parlé parisien et dans lequel un cabaretier devenait un "marchand d’ivresse" et une soupe un "phénomène potager". Le dictionnaire en question ne pouvait évidemment que provoquer l’ironie des lecteurs de la fin du siècle.

 

Oublié, est donc Pantalon-Phoebus, mais le baron de Marivetz lui-même n’attirerait plus l’attention s’il n’avait été l’un des pourfendeurs des carbonates et carbures.

 

Christophe Opoix, Maître en Pharmacie à Provins, a été, en cette année 1787, reçu à l’Académie d’Arras, alors sous la présidence de Maximilien de Robespierre. Il constate d’abord que les chimistes des générations antérieures ont su trouver les mots aptes à attirer un public nombreux. La chimie "a fait partie de la bonne éducation, & les femmes mêmes ont fréquenté assidument les amphithéâtres sans s’y trouver étrangères ou déplacées".

 

Il s’en prend, ensuite, ouvertement à Lavoisier, le "brillant orateur de la nouvelle doctrine" :

 

"Je le sais, un nombreux auditoire applaudit encore à ces Messieurs, et semblent leur répondre d’un grand succès ; mais quand la mode, la nouveauté & l’enthousiasme seront passées, quand on ne frappera plus les yeux à grands frais par des appareils nouveaux et imposants ; quand le brillant orateur de la nouvelle doctrine cessera de la soutenir de son éloquence facile et séduisante, quand la science dépouillée de ces secours étrangers, n’offrira plus qu’un squelette hideux, qu’un travestissement bizarre, qu’un extérieur repoussant, comptera-t-on le même nombre d’auditeurs ? "

 

Et naturellement, il ne donne pas, lui non plus, beaucoup de chances de survie à la nomenclature :

 

"Voulez vous savoir ce que je prévois avec regret ? Dans peu d’années les amphithéâtres seront déserts, & la science entièrement négligée. Les gens du monde pourront-ils accommoder leurs oreilles à l’étrange dissonance & à la barbarie des termes ? Auront-ils le courage de surmonter cette barrière qui va séparer la science de la Chimie de toutes les autres ? Les personnes studieuses qui, par goût, se destinent aux sciences, mais qui ne sont encore déterminées par aucune, préfèreront-elles une science qui n’aurait plus de rapport avec aucune autre, & que quelques personnes réunies peuvent au premier instant changer à ne la rendre plus reconnaissable ? "

 

A son tour, un professeur de Chimie de Madrid témoigne : "La nouvelle Nomenclature choque trop les oreilles espagnoles pour qu’elles puissent s’y accommoder. La langue espagnole ne se prête pas à de pareilles innovations. Aussi un apothicaire de Madrid qui voulut employer le mot carbonate, a été surnommé docteur Carbonato…"

 

Après de telles charges, qui oserait encore défendre la réforme proposée et qui parierait sur l’avenir des mots carbone, carbonate, carbonique ?

 

Et pourtant carbone, carbonique et carbonates se sont imposés.


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De l’eau et du dioxyde de carbone : enfin Lavoisier sait de quoi se nourrissent les plantes.

 

Dans un mémoire, daté de 1786 sur "la décomposition de l’eau par les substances végétales et animales", Lavoisier interprète à son tour les expériences de Ingenhousz et de Senebier sur la respiration diurne des plantes. Son vocabulaire nous est plus familier. Le phlogistique est oublié. L’air déphlogistiqué est devenu l’oxygène, l’air fixe a pris le nom d’acide carbonique (notre dioxyde de carbone).

 

Les différentes analyses qu’il a réalisées lui ont montré que trois corps essentiels composent les plantes : le carbone, l’oxygène et l’hydrogène. Si le carbone et l’oxygène peuvent provenir du dioxyde de carbone, l’hydrogène ne peut provenir que de l’eau.

 

"il ne peut y avoir de végétation sans eau et sans acide carbonique, affirme-t-il, ces deux substances se décomposent mutuellement dans l’acte de la végétation".

 

Ainsi se trouvent rassemblées les découvertes de Van Helmont sur le rôle de l’eau et celles des chasseurs d’air depuis Hales. Quant au mécanisme du phénomène, il devient limpide :

 

"l’hydrogène quitte l’oxygène pour s’unir au charbon, pour former les huiles, les résines, et pour constituer le végétal ; en même temps, l’oxygène de l’eau et de l’acide carbonique se dégage en abondance, comme l’ont observé MM. Priestley, Ingenhousz et Senebier, et il se combine avec la lumière pour former du gaz oxygène".


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Aujourd’hui.

 

La chlorophylle, récepteur de la lumière solaire et première étape du processus de la photosynthèse, a été isolée en 1816 par Joseph Bienaimé Caventou et Joseph Pelletier tous deux pharmaciens et chimistes. Nous ne donnerons pas ici la description détaillée de la réaction, extrêmement complexe, de photosynthèse. Son bilan peut s’écrire :

 

6CO2 + 12H2O + lumière → C6H12O6 + 6O2+ 6H2O.

 

La formule C6H12O6 est celle des molécules de glucose dont les polymères sont, en autres, l’amidon et la cellulose composants des organismes végétaux. L’intuition de Lavoisier s’est donc vérifiée à ceci près que les chimistes qui lui ont succédé ont montré que les molécules de dioxygène dégagées dans l’air provenaient uniquement de l’eau.

 

N’oublions pas cependant le phénomène que Lavoisier a omis d’étudier : la plante ne fait pas que se nourrir. Elle "respire" également par un mécanisme qui s’apparente à la respiration animale et dont le bilan de la réaction est inverse. Le glucose accumulé et l’oxygène de l’air absorbé réagissent en fournissant à la plante l’énergie et les matériaux nécessaires à son fonctionnement et à sa croissance tout en libérant du dioxyde de carbone.

 

Le bilan de l’absorption de CO2 par la photosynthèse et d’émission de O2 reste cependant positif. Globalement les plantes sont donc des "pièges" à dioxyde de carbone et des sources d’oxygène.

 

Et avant hier ?

 

Avant de quitter le chapitre de la photosynthèse peut-être peut-on rappeler qu’il fut un temps où l’oxygène ne constituait pas 21% de l’atmosphère.

 

La vie a débuté dans un mélange gazeux de vapeur d’eau, d’hydrogène, de méthane, d’ammoniac, de dioxyde de carbone. Ceci jusqu’au moment où des organismes dotés de chlorophylle ont commencé à proliférer : les cyanobactéries (ou algues bleues). C’est à elles qu’on attribue l’enrichissement de l’atmosphère en oxygène, cet "excrément" libéré par les plantes. L’oxygène est alors devenu vital pour les organismes, dont nous sommes, qui s’y sont adaptés et développés, pendant que pour d’autres il se révélait être un poison mortel.

 

Discrètes, les cyanobactéries se rappellent de plus en plus souvent à notre souvenir. Dans les milieux enrichis en nitrates et phosphates par l’activité humaine, elles prolifèrent, la toxicité de certaines d’entre elles posant alors un sérieux problème de santé humaine et environnementale.


pour aller plus loin voir :

 

Un livre chez Vuibert.

 

 

Dérèglement climatique, fonte des glaces, cyclones, sécheresses…


Coupable : le dioxyde de carbone.

 

Pourtant sans ce gaz il n’y aurait aucune trace de vie sur Terre.

 

L’auteur nous fait suivre la longue quête qui, depuis les philosophes de la Grèce antique jusqu’aux chimistes et biologistes du XVIIIe siècle, nous a appris l’importance du carbone et celle du CO2.

 

L’ouvrage décrit ensuite la naissance d’une chimie des essences végétales qui était déjà bien élaborée avant qu’elle ne s’applique au charbon et au pétrole.

 

Vient le temps de la « révolution industrielle ». La chimie en partage les succès mais aussi les excès.

 

Entre pénurie et pollutions, le « carbone fossile » se retrouve aujourd’hui au centre de nos préoccupations. De nombreux scientifiques tentent maintenant d’alerter l’opinion publique.
 

Seront-ils entendus ?

 

 

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