Le printemps a parfois d'étranges couleurs. Une photo publiée par une association agréée de protection de l'environnement du Finistère montre un champ dont le couvert végétal est d'un orange éclatant. La légende qui l'accompagne précise que cette photo n'a pas été prise pendant la canicule de l'été 2003 mais dans un mois d'avril bien arrosé.
Pourquoi cette couleur ?
Ce champ a la particularité d’être situé à proximité des sources de l'Élorn, la rivière qui alimente l’agglomération brestoise en eau potable ainsi que la majorité de la population du Nord-Finistère (300.000 habitants). Directive Cadre Européenne oblige, dans cette région en excédent structurel de nitrates dans les rivières, les exploitants agricoles doivent semer un couvert végétal pendant l’hiver pour capter les excédents de nitrates présents dans leur sol.
Au printemps ce couvert doit laisser la place au maïs qui bientôt absorbera les mètres cubes de lisier accumulés pendant l’hiver et qui déborde des fosses. Il faut donc le détruire. Comment ? Par un moyen mécanique respectueux de l’environnement ? Ce serait trop demander. Place au Roundope* qui vous nettoie tout cela en un seul passage et tant pis pour la pollution de l’air et de l’eau.
D’où ces couleurs lumineuses des champs de Bretagne en ce beau printemps.
*Note : Les militants locaux ont pris l'habitude de désigner par "Roundope" toute espèce de mélange à base de glyphosate utilisé comme désherbant. Toute ressemblance avec une marque connue, ajoutent-ils, ne serait pas totalement fortuite.
La folie du Roundope, dont le glyphosate est le produit actif, a été contagieuse. Ce sont les services de l'équipement qui en aspergeaient les bords des routes. Ce sont les employés communaux qui le pulvérisaient sur les trottoirs, y compris au ras des cours de récréation et des aires de jeu. Il a fallu la pression persistance des associations de protection de l'environnement pour que la pratique régresse. Grâce à leur action, les mêmes qui hier arrosaient copieusement leurs espaces publics de désherbants divers, affichent aujourd'hui des panneaux dont le décor, agrémenté de fleurs, d'abeilles et de papillons, fait savoir au visiteur que les pesticides sont désormais bannis de leur commune.
Mais les dealers de dope glyphosatée ne renoncent pas si facilement.
Le Roundope ça suffit !
Ce jour d'avril 2008, de nombreux lecteurs matinaux de leur quotidien préféré, ont eu du mal à avaler leur première tasse de café : sur une demi page ils pouvaient découvrir un placard publicitaire de la société Monsanto en faveur de son produit phare, le Roundup. Celui-ci avait clairement pour cible les "jardiniers du dimanche".
Le placard publicitaire annonçait d'entrée la couleur : "Encore un week-end perdu a arracher les mauvaises herbes. Il suffit d'oublier un fragment de racine pour devoir tout recommencer. Et si vous demandiez un coup de main à Roundup, le complice de votre tranquillité ? "
L'opération était habile et le vocabulaire bien choisi : faire de chaque amateur de jardinage un "complice". Ceci à condition qu'aucun d'entre-eux n'ait la curiosité de lire l'étiquette du produit sur laquelle il lui est recommandé :
de ne pas pulvériser quand il y a du vent.
de ne pas traiter par temps de pluie.
de ne pas traiter en plein hiver ni par temps très sec.
de ne pas traiter par grande chaleur.
de ne pas traiter à moins de 5 mètres d'un point d'eau ou de bouches d'eau pluviale ou d'eaux usées.
d'éloigner les enfants et les animaux domestiques de la zone traitée pendant environ 6 heures.
de porter une tenue recouvrant intégralement le corps avec gants et bottes.
de rincer trois fois son matériel après application sans faire de rejet dans les eaux usées.
Résumons : ne pas utiliser quand il pleut ou quand il fait sec, quand il fait chaud ou quand il fait froid. Ne pas oublier les gants, les bottes, le masque, la tenue de cosmonaute. Séquestrer les enfants et les animaux. Bref, quel est le jardinier, sachant lire une notice et soucieux de sa santé, de celle de ses proches et surtout de sa "tranquillité" pendant le week-end, qui pourrait avoir envie d'utiliser un tel produit !
Parmi les lecteurs de ce pavé publicitaire, les plus scandalisés étaient certainement les militants de l’association "Eau et Rivières de Bretagne" qui s'étaient fortement engagés dans la lutte contre les publicités mensongères des marchands de phytotoxiques. Pour ces militants la nouvelle publicité de Monsanto, producteur du Roundup, constituait une incroyable provocation.
En juillet 2001, l'association avait porté plainte pour publicité mensongère, à l’encontre des dirigeants de la société : dans plusieurs campagnes publicitaires télévisuelles ainsi que sur les emballages de ses produits, Monsanto affirmait que le Roundup était « 100 % biodégradable, respectait l’environnement, et était sans danger pour l’homme » ! Un procès-verbal d'infraction avait été dressé par la Direction de la Concurrence et de la Consommation.
Aux États-Unis, dès 1996, Monsanto avait dû abandonner cette publicité à la suite d’une procédure judiciaire engagée par le procureur général de l’État de New-York. Cette publicité avait, hélas, eu le temps d'atteindre son objectif et permis le développement des ventes du désherbant qui représentaient alors environ 60 % du marché.
En France, l'affaire était traitée par le tribunal correctionnel de Lyon. Le 26 janvier 2007, il condamnait, deux responsables des sociétés Monsanto et Scotts France, pour publicité mensongère sur les pesticides de la marque commerciale "Roundup". En plus de l'amende 15 000 euros, les deux sociétés étaient condamnées à verser des dommages et intérêts aux deux associations, Eau & Rivières de Bretagne et CLCV (Consommation Logement Cadre de Vie), qui s’étaient constituées partie civile.
Monsanto ayant fait appel de cette décision, le jugement définitif, n'était pas encore rendu au moment où passait cette publicité qui, cette fois, se gardait bien de déclarer que le Roundup "protégeait" l'environnement. Seul, sous forme de provocation, un gentil "toutou" à l'angle du placard publicitaire rappelait la précédente campagne dans laquelle l'animal était sensé traiter au Roundup la plante qui avait poussé au dessus de l'os qu'il convoitait.
La sanction était finalement confirmée par un arrêt du 9 octobre 2009 de la chambre criminelle de la cour de cassation. Selon les magistrats, le mensonge publicitaire résultait d’une "présentation qui élude le danger potentiel du produit par l’utilisation de mots rassurants et induit le consommateur en erreur en diminuant le souci de précaution et de prévention qui devraient normalement l’inciter à une consommation prudente". L'affaire était donc entendue, grâce à l'action des associations, le Roundup ne pourrait plus se présenter comme inoffensif et de surcroît "biodégradable".
Côté scientifiques, d'autres "lanceurs d'alerte" avaient pris le relais.
Dangereux le Roundope ?
On connaît le combat du biologiste Gilles-Eric Séralini pour faire connaître ses travaux et ceux de son équipe sur la nocivité du Roundup. Dans leur première étude, publiée en 2007, les biologistes ont voulu voir quels étaient les effets du pesticide sur des cellules embryonnaires mises en culture. Ils constataient que, même à des doses considérées comme non toxiques, le produit empêchait la formation d’hormones sexuelles essentielles au bon développement du fœtus, de ses os et de son sexe. On connaît les pressions et interventions multiples pour combattre et dénaturer les résultats obtenus et la ténacité du chercheur à défendre sa méthode et à exiger que les études réalisées par les industriels pour la mise en marché du produit soient rendues publiques.
D'autres chercheurs, agissant par d'autres voies, avaient eux-mêmes trouvé des résultats analogues.
Fin juin 2007, le titre d'un article du journal Le Télégramme, diffusé en Bretagne, ne pouvait qu'attirer le regard : "Santé, Un herbicide hautement cancérigène". Le professeur Robert Bellé de la station biologique de Roscoff rendait compte des travaux qu'il menait avec son équipe sur des cellules d'oursins. Pourquoi l'oursin ? Les travaux menés à Roscoff, comme d'autres ailleurs, ont démontré que le génome de l'oursin est très proche de celui de l'homme. L’oursin, dont la femelle pond des millions d’œufs, est un modèle idéal d’étude de la fécondation et du développement embryonnaire. Les chercheurs l'utilisent donc comme matériau d'expérience. L'article évoque prudemment "l'herbicide le plus répandu en Occident". Chacun aura reconnu le Roundope.
Conclusion ? "Ce produit est cancérigène parce qu’il engendre un dysfonctionnement du point de surveillance de l’ADN. Le composant actif qu’il contient, dénommé glyphosate, n’est pas le seul élément toxique de cet herbicide. Ce sont les produits de formulation l’accompagnant qui rendent l’ensemble particulièrement dangereux pour la santé. Pour être efficace, le glyphosate doit pénétrer dans les cellules des plantes. L’herbicide, dont nous parlons, est composé d’une formule qui le permet, affectant l’ADN par la même occasion".
L'Association "Santé Environnement France" qui regroupe près de 2500 médecins donne la liste de 10 adjuvants de formulations de pesticides à base de glyphosate. Dans la liste de leurs effets toxiques, on note : réactions allergiques, dommages génétiques, problèmes thyroïdiens, réduction de la fertilité, tumeurs de la peau, cancers...
Des cancers ? Quels cancers ?
"Dès qu’elles seront possibles, les études épidémiologiques permettront de démontrer l’incidence de ce produit sur les différents types de cancer." affirmait l'équipe du Docteur Bellé "En particulier sur les cancers des voies respiratoires puisque le produit pulvérisé contient la formulation à des concentrations très supérieures (500 à 2.500 fois plus) à celles qui engendrent le dysfonctionnement du point de surveillance de l’ADN."
Ainsi le propos nous ramène à la pollution de l'air par les pesticides.
Ce Roundope que l'on respire.
Les publications françaises sont peu nombreuses concernant la présence des pesticides dans l'air. Le glyphosate, pourtant "l'herbicide le plus répandu en Occident", et son produit de dégradation tout aussi nocif, l'AMPA, sont particulièrement absents des quelques rares études qui ont été réalisées. La puissance du groupe Monsanto qui produit le Roundup y serait-elle pour quelque chose ?
Aux USA, une étude menée dans l'état du Mississippi, montrait que le glyphosate, largement utilisé sur les cultures OGM, se retrouvait dans 86% des échantillons d'air et dans 77% de ceux d'eau de pluie recueillis. En Europe l'association des "Amis de la Terre" fait état de tests menés dans 17 pays européens sur des prélèvements d'urine. Ils montrent que 43,9 % des échantillons contiennent des traces de ce produit chimique. Preuve d'une pollution généralisée : tous les volontaires qui ont donné ces échantillons vivent en ville et aucun d'entre eux n'a utilisé, ni manipulé de produits à base de glyphosate dans la période précédent les tests.
En dehors de son aspect cancérigène, le glyphosate, comme la plupart des pesticides, est soupçonné de perturber le système endocrinien, ce qui peut avoir des conséquences irréversibles à certaines phases du développement de l'enfant pendant et après la grossesse. Mais il faut franchir l'Atlantique pour en avoir quelques échos. Les Amis de la Terre rapportent que dans les secteurs d'Amérique du Sud où est cultivé le soja transgénique arrosé au glyphosate, le nombre de malformations congénitales a augmenté. Au Paraguay on constatait que les femmes qui vivent à moins d'un kilomètre des champs sur lesquels le pesticide est épandu, ont plus de deux fois plus de risques d'avoir des bébés mal-formés. En Équateur et en Colombie, où des herbicides à base de glyphosate ont été utilisés pour contrôler la production de cocaïne, il y avait un taux plus élevé d'altérations génétiques et de fausses-couches durant la saison d'épandage. Retour en France. Des études analogues sont faites, en Bretagne, sur l'effet de la contamination par un herbicide, sur des femmes enceintes et sur les enfants qu'elles mettent au monde. Mais, hélas, cet herbicide n'est pas le glyphosate. Ces études portent sur l'atrazine, un pesticide actuellement interdit et que le Roundup a remplacé. N'aurait-il pas été plus utile d'étudier la contamination par le pesticide aujourd'hui le plus utilisé et dont on sait déjà qu'il pollue l'air, les sols, les rivières, les nappes souterraines et les baies côtières. Mais veut-on vraiment savoir ?
Enfin le réveil ?
Le 20 mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), agence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) basée à Lyon, spécialisée dans le cancer qui a étudié l’ensemble de recherches scientifiques menées sur les effets de cette substance, a estimé qu'il existe suffisamment de preuves pour définir le glyphosate cancérogène chez les animaux. En laboratoire, des modifications chromosomiques ont été constatées, ainsi que des tumeurs au pancréas, aux reins et un risque accru de cancer de la peau. Réaction en France ? Allait-on enfin interdire ce produit comme on a interdit l'atrazine, le lindane ? "La France doit être à l'offensive sur l'arrêt des pesticides" déclarait La ministre de l'Ecologie Ségolène Royal. Offensive ? Pas un mot sur l'usage agricole mais, fidèle à sa technique des effets d'annonce intempestifs suivis d'une retraite immédiate, elle faisait savoir que, à compter du premier janvier 2018, l'accès aux produits phytosanitaires "pour les jardiniers amateurs" ne pourra se faire que "par l'intermédiaire d'un vendeur certifié". Pas d'interdiction donc, ni dans les champs ni dans les jardins, mais trois ans accordés pour faire ses provisions en libre-service, trois ans pour oublier les propos de la ministre et trois ans pour permettre à Monsanto d'organiser sa riposte. Ce que l'entreprise à entrepris immédiatement.
Prudent, le CIRC s'était contenté de classer le glyphosate comme cancérogène "probable" sur l'homme. Cependant les preuves existent, et les études de Séralini , de Bellé et d'autres chercheurs en Suède, aux USA et au Canada l'ont montré, qu’il accroît fortement le risque de développer certains types de cancer.
Refusant d'attendre que le constat de milliers de morts par cancer amène le classement en "cancérogène certain" du glyphosate, plusieurs organisations, et entre autres la ligue contre le cancer, ont demandé l'interdiction de ce pesticide. On a attendu de constater les effets de l'atrazine sur les femmes enceintes et leurs enfants pour l'interdire. Le même laxisme concernant le glyphosate serait criminel.
Par Gérard Borvon.
Robida, dans son ouvrage "Le 20ème siècle, la vie électrique", publié en 1890, nous décrit un monde soumis à des pollutions diverses. Eau et air pollués, malbouffe... il ne manque que l'effet de serre et le réchauffement climatique.
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1913. Encore la malbouffe.
23 ans plus tard, le 1er avril 1913, paraissait le premier numéro d'une revue promise à un long succès : "La Science et la Vie", devenu "Science et Vie".
On pouvait y lire un article sur "La répression des fraudes alimentaire", avec une citation du professeur et académicien Paul Brouardel :
"Quand un homme a pris le matin, à son premier déjeuner, du lait conservé par l'aldéhyde formique, quand il a mangé à midi une tranche de jambon contenant du borax, accompagnée d'épinards verdis par du sulfate cuivre, quand il a arrosé cela d'une demi-bouteille de vin fuchsiné ou plâtré à l'excès, et cela pendant vingt ans, comment voulez-vous que cet homme ait encore un estomac ? ".
Mais Robida n'avait pas prévu l'effet de serre et le dérèglement climatique.
Souvenons nous que nous sommes en 1954. Relisons Robida.
" La science moderne a mis tout récemment aux mains de l'homme de puissants moyens d'action pour l'aider dans sa lutte contre les éléments, contre la dure saison, contre cet hiver dont il fallait naguère subir avec résignation toutes les rigueurs, en se serrant et se calfeutrant chez soi, au coin de son feu.
Aujourd'hui les observatoires ne se contentent plus d'enregistrer passivement les variations atmosphériques ; outillés contre pour la lutte contre les variations intempestives, ils agissent et ils corrigent autant que faire se peut les désordres de la nature.
Quand les aquilons farouches nous soufflent le froid des banquises polaires, nos électriciens dirigent contre les courants aériens du Nord des contre-courants plus forts qui les englobent dans un noyau de cyclone factice et les amènent se réchauffer au dessus des Saharas d'Afrique ou d'Asie, qu'ils fécondent en passant par des pluies torrentielles.
Ainsi ont été reconquis à l'agriculture les Saharas divers, d'Afrique, d'Asie et d'Océanie ; ainsi ont été fécondés les sables de Nubie et les brûlantes Arabies.
De même, lorsque le soleil d'été surchauffe nos plaines et fait bouillir douloureusement le sang et la cervelle des pauvres humains, paysans ou citadins, des courants factices viennent établir entre nous et les mers glaciales une circulation atmosphérique rafraîchissante.
Les fantaisies de l'atmosphère, si nuisibles ou si désastreuses parfois, l'homme ne les subit plus comme une fatalité contre laquelle aucune lutte n'est possible. L'homme n'est plus l'humble insecte, timide, effaré, sans défense devant le déchaînement des forces brutales de la Nature, courbant la tête sous le joug et supportant tristement aussi bien l'horreur régulière des interminables hivers que les bouleversements tempêtueux et les cyclones.
Les rôles sont inversés, c'est à la Nature domptée aujourd'hui de se plier sous la volonté réfléchie de l'Homme"
Inondations, incendies et cyclones dévastateurs... La Nature rappelle avec violence à l'Homme du 21ème siècle, "humble insecte, timide, effaré", qu'elle ne se laisse pas si facilement dompter.
par Gérard Borvon
22 avril 2017, des milliers de personnes dans le monde marchent pour la science en réponse à l'hostilité de certains milieux politiques à l'égard des sciences. L'appel issu des USA a été relayé en France par de nombreux scientifiques. Dans une tribune publiée dans Le Monde, plusieurs d'entre eux expliquaient la démarche :
"Depuis le 20 janvier 2017 et l’investiture de Donald Trump, chaque jour amène son lot d’annonces fracassantes et de décrets liberticides. Les sciences, et plus généralement le monde académique, font partie des premières cibles de la nouvelle administration. Une hostilité idéologique à l’égard des sciences s’exprime désormais dans la doctrine officielle de la Maison Blanche. Le président Trump a ainsi dès les premiers jours cherché à contrôler les programmes de recherche susceptibles de recevoir des crédits fédéraux, et restreint la diffusion des résultats de grandes agences fédérales comme l’Agence pour la Protection de l’Environnement (EPA), à la tête de laquelle a été placé un climatosceptique proche des lobbies de l’énergie."
Mais le problème débordait largement des USA, la France elle même n'était pas épargnée. Nous y avions aussi nos scientificoscepticles.
"Si la négation des résultats scientifiques (issus des sciences de la nature comme des sciences humaines et sociales) est pour l’heure moins développée en France qu’aux États-Unis, les motifs d’inquiétude n’en restent pas moins nombreux. Cela concerne des prises de position répétées de nos responsables politiques : du haro sur la soi-disant « culture de l’excuse » des sciences humaines et sociales au retour du « roman national » dans les programmes d’histoire, jusqu’aux sorties de route climatosceptiques d’un ancien Président de la République, sans oublier l’intronisation du moteur diesel « au cœur de la mobilité environnementale ». Les orientations « stratégiques » de l’État sur la recherche et l’enseignement supérieur ces dernières années sont une autre source de préoccupation. Dans la maigre part consacrée aux sciences des programmes politiques des principaux candidats à la prochaine élection présidentielle de 2017, et ce quel que soit leur bord, celles-ci ne comptent qu’à travers leur mise au service de l’innovation et de l’« économie de la connaissance ». Cette vision étriquée et à court-terme contribue à l’affaiblissement des recherches fondamentales, menées sur le long terme, qui seules permettent de suffisamment comprendre notre monde et nos sociétés pour détecter et aider à anticiper ses évolutions futures.
Aux États-Unis, en France et partout ailleurs, les sciences doivent être remises au cœur du débat public. Marcher en nombre, comme ont décidé de le faire les scientifiques états-uniens, et ceux d’au moins huit pays européens, est un moyen d’y parvenir. La Marche citoyenne pour les Sciences en France initiée le 27 janvier participe de ce mouvement international. Synchronisée dans plusieurs villes de France où des comités locaux sont en cours d’organisation, elle rassemblera le 22 avril prochain toutes les citoyennes et tous les citoyens qui estiment que, dans notre démocratie, la reconnaissance de la démarche scientifique fondée sur la collecte, la vérification, et l’analyse rationnelle de faits et la garantie de son indépendance vis-à-vis des pouvoirs en place sont des enjeux essentiels. Hasard du calendrier, cette grande manifestation aura lieu la veille du premier tour de la présidentielle. C’est une formidable opportunité de montrer que sciences et démocratie forment un couple inséparable."
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Londres 1772. Joseph Priestley publie "Experiments and Observations on different kinds of Air". Un ouvrage fondamental sur le chemin de la découverte de nombreux gaz dont, en particulier, l'oxygène. L'auteur à conscience de la hardiesse de ses découvertes. Il y aurait donc "plusieurs sortes d'airs" et non pas cet élément unique issu de la physique des quatre éléments de Empédocle, Platon et Aristote. Nous lisons dans l'introduction de la traduction française de son ouvrage : "Je passerai pour un Enthousiaste chez quelques-uns, mais je m'embarrasse fort peu de cette imputation, parce que je trouve mon bonheur dans les vues qui m'y exposent."
Nous avons aussi nos "Enthousiastes". Eux aussi nous parlent de l'air. Ils sont membres du GIEC et nous alertent sur cette découverte de la fin du 20ème siècle : l'activité humaine a enrichi l'atmosphère de cet "air" que Priestley désignait comme "air fixe" car il savait déjà qu'on le trouvait "fixé" dans les calcaires d'où il pouvait être extrait par l'action des acides et dans les végétaux, libéré par la combustion, la putréfaction ou la fermentation. Cet "air fixe" que de puis Lavoisier on désigne sous le nom de dioxyde de carbone et que, avec Berzéluis, nous résumons dans la formule CO2.. Ce gaz, à l'origine de la vie sur terre, dont l'excès aujourd'hui menace l'équilibre biologique de la Planète.
Mais pourquoi citer Priestley au moment où des scientifiques marchent pour la science ? Parce que, lui même, dans l'introduction de son ouvrage s'insurge contre ces politiques si dédaigneux des sciences. Plus de deux siècles nous séparent, et pourtant quelques vérités nous rassemblent et méritent d'être rappelées.
Lisons Priestley. Il s'adresse aux personnes "qui affectent de parler avec un mépris arrogant" des ouvrages scientifiques. Parmi ceux-ci les "personnes distinguées par leur rang ou par leur fortune" qui, essentiellement attirées par les carrières politiques font peu de cas des sciences. Pourtant leur dit-il :
"Si l'on veut acquérir une réputation étendue & durable, les travaux littéraires, & surtout les travaux scientifiques sont préférables aux travaux politiques à bien des égards. Ceux-là sont d'autant plus favorables au développement des facultés humaines que le système de la nature est au-dessus de tout système politique.
Si l'on considère l'utilité la plus étendue, les sciences ont le même avantage sur la politique. Les grands succès dans cette dernière s'étendent rarement au delà d'un état particulier & d'un temps limité ; tandis qu'un travail heureux dans les sciences rend un homme le bienfaiteur de tout le genre humain et de tous les siècles. La réputation du plus grand homme d'Etat que ce pays ait jamais produit, est-elle comparable à celle des Bacon, des Newton ou des Boyle ? & n'avons-nous pas de plus grandes obligations à des hommes pareils qu'à tout ce qu'il y a de plus illustre dans la Biographie Britannique ? Chaque région où les sciences ont fleuri peut fourni des exemples semblables".
Nous avons, nous aussi, la chance d'habiter une de ces régions "où les sciences ont fleuri". Les noms de Descartes, de Lavoisier, de Laplace, d'Ampère, de Pasteur, de Becquerel, de Curie, et déjà de quelques-uns de nos contemporains, ont franchi nos frontières et sont devenus des repères durablement inscrits dans cette nouvelle culture "sans frontière" qui irrigue la Planète. Mais qui, dans le monde, se souviendra d'un Sarkozy ou d'un Hollande et même d'un De Gaulle ou d'un Mitterrand ?
Le 23 novembre 2016, notre ami Gabriel Gorre nous a présenté, lors d'une conférence-expérience sur la "Chambre à brouillard".
Selon les mots d'Ernest Rutherford il s'agit du "plus original et plus merveilleux instrument expérimental". Il permet de détecter et de visualiser les émissions radioactives.
Merci à Florence et Gabriel !
1976. En Bretagne débutait la mobilisation contre un projet de centrale nucléaire à Plogoff dans la Pointe de Raz.
Et voilà ce titre qui nous parle d'écologie. Et voilà ces vagues de sons électroniques qui rompent avec tout ce qui a été entendu jusqu'alors. Et voilà cette pochette de Michel Granger, ce crâne encore saignant sortant du bleu de la Planète Terre.
Avec Jean Michel Jarre un mot de la chimie entrait dans le domaine du rêve, de la poésie. Je m'en suis souvenu en écrivant une "Histoire de l'Oxygène, de l'alchimie à la chimie". Le livre s'ouvre sur Empédocle, philosophe grec du 4ème siècle avant notre ère, qui initie la théorie des quatre éléments sous une forme poétique. Il se termine avec Jean Michel Jarre qui, peut-être sans que j'en sois conscient, m'a servi de fil conducteur dans ce récit.
Ecouter l'émission de la Marche des sciences.
L'ambition de La Marche des Sciences fut de montrer que le passé éclaire l'avenir, que le scientifique ne vit pas dans sa tour d'ivoire et que le fossé traditionnel entre sciences et lettres, qui perdure encore aujourd'hui, pourrait être aboli.
Après sept ans d’histoire des sciences sur France Culture, et pour clore l’aventure, La Marche des Sciences consacre sa dernière émission à l'importance des sciences et de leur histoire dans la société d'aujourd'hui.