Rien ne destinait Faraday à une carrière scientifique sinon sa soif de connaître. D’origine modeste (son père est forgeron), il quitte l’école à quatorze ans pour entrer comme courtier chez un libraire. Il en profite pour dévorer tous les livres qui passent à sa portée. Sa culture est bientôt remarquée par un client du magasin qui le recommande à Humphry Davy. Celui-ci l’engage comme assistant, en 1813, au laboratoire de la "Royal Institution". Il entre à la "Royal Society" de Londres en 1824 et, l’année suivante, en devient directeur du laboratoire.
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De la chimie à l’électrostatique.
Continuateur de Davy, il établira les lois quantitatives de l’action chimique du courant électrique. Il est d’ailleurs l’auteur du vocabulaire, inspiré du grec, de cette discipline : cathode (électrode de sortie du courant), anode (électrode d’entrée), ion (particule qui se déplace) vers l’anode (anion) ou vers la cathode (cation). Il mesure l’intensité d’un courant électrique en inventant le "voltamètre", électrolyseur dont les électrodes sont coiffées de tubes à gaz gradués. Ses travaux feront avancer les notions d’atome et de poids atomique énoncées plus tard par Dalton. Juste reconnaissance, on donnera le nom de "faraday" à l’unité représentant la charge d’une "mole" d’électrons.
Avide de tout ce qui touche à l’électricité, il en explore l’ensemble des domaines. Par exemple celui de l’électrostatique. Chacun connaît la "cage de Faraday", enceinte conductrice grillagée qui isole des effets électriques. Dans les démonstrations effectuées par les musées scientifiques, le "cobaye humain" enfermé dans la cage ne voit pas sans inquiétude les éclairs dont on le bombarde. Ils lui sont pourtant totalement inoffensifs, apportant ainsi la preuve que la meilleure protection, en temps d’orage, est un habitacle métallique, par exemple celui d’une automobile.
Le nom donné à l’unité de capacité, le "farad" rappelle cet apport à l’électrostatique et à l’étude des "diélectriques" (ce terme, qui désigne les isolants, est également de Faraday).
L’électromagnétisme est, cependant, le domaine où il donne toute la mesure de son talent imaginatif. Sa première publication sur l’électromagnétisme date de septembre 1821. Un an après celle de Ampère. Faraday y montre comment un aimant peut tourner autour d’un courant électrique et inversement comment un élément de circuit électrique peut tourner autour d’un aimant.
Le montage est simple. Dans un vase plein de mercure un aimant droit est à demi immergé verticalement, un pôle sortant légèrement de la surface du liquide. L’autre pôle est relié, par un lien souple, à la base du vase. Un conducteur vertical plonge au centre du vase, à proximité de l’aimant. On y établira un courant électrique en reliant une pile entre son extrémité supérieure et la base du vase contenant le mercure.
Le courant étant établi, si le fil est maintenu fixe, l’aimant tourne autour de celui-ci. Si, à l’inverse, le fil est libéré et l’aimant maintenu fixe, c’est le fil qui tourne autour de l’aimant.
Ces mouvements ininterrompus sont bien autre chose que les brèves attractions et répulsions observées entre aimants ou entre électroaimants.
Ampère sera le premier à noter l’importance du phénomène. Dans une communication à l’Académie des sciences, du 8 avril 1822, sur les nouvelles expériences électro-magnétiques faites par différents physiciens depuis le mois de mars 1821, il souligne les nouveaux progrès de cette branche de la physique dont, dit-il, "nous ne soupçonnions pas même l’existence il y a seulement deux années et qui déjà nous a fait connaître des faits plus étonnants peut-être que tout ce que la science nous avait jusqu’à présent offert de phénomènes merveilleux". Il note, en particulier, l’apport essentiel de l’expérience de Faraday :
"Un mouvement qui se continue toujours dans le même sens, malgré les frottements, malgré la résistance des milieux, et ce mouvement produit par l’action mutuelle de deux corps qui demeurent constamment dans le même état, est un fait sans exemple dans tout ce que nous savions des propriétés que peut offrir la matière inorganique".
Le montage annonce les "moteurs" électriques. Le premier, digne de ce nom, sera imaginé par Barlow en 1822 : une roue dentée dont les pointes plongent dans une cuve de mercure est placée entre les branches d’un aimant en fer à cheval. Quand le courant passe du mercure à l’axe de la roue, elle tourne. La "roue de Barlow" est encore présente dans les collections des laboratoires de la plupart des établissements d’enseignement secondaire.
Roue de Barlow
Il faut attendre 1831 pour que Faraday fasse l’observation des "courants induits" qui amènera à la construction des premières génératrices.
L’idée est simple : si un courant électrique peut "créer" un aimant, un aimant doit être capable de "créer" un courant.
"Ces considérations, dit-il, l’espoir d’obtenir de l’électricité à partir du magnétisme ordinaire, m’ont stimulé à différents moments pour enquêter expérimentalement sur les effets inductifs des courants électriques. Je suis arrivé tardivement à des effets positifs ; et non seulement mes espoirs ont-ils été remplis, mais j’ai obtenu une clef qui m’a semblé ouvrir l’explication des phénomènes magnétiques d’Arago et aussi de découvrir un nouvel état qui aura probablement une grande influence dans certains des effets les plus importants des courants électriques."
L’expérience d’Arago avait fortement impressionné ses contemporains. Un disque horizontal de cuivre, ou d’un autre métal bon conducteur, mis en rotation, entraînait dans son mouvement une aiguille aimantée placée au dessous.
Les montages utilisés par Faraday pour son "enquête expérimentale" sont d’une étonnante simplicité.
D’abord, il enroule ensemble, sur un même cylindre de bois, deux "hélices" de fil de cuivre. Ces hélices (Ampère dirait solénoïdes) comportent chacune plus de 200 spires conductrices isolées.
La première bobine est reliée aux pôles d’une "batterie voltaïque" comportant dix paires de plaques cuivre/zinc de 10cm environ de côté.
La seconde est reliée à un galvanomètre. Cet instrument, encore rudimentaire, est composé d’une aiguille aimantée montée sur un pivot et placée, en direction nord-sud, dans une bobine de fil conducteur enroulé sur un cadre rectangulaire. Le passage d’un courant dans la bobine peut être repéré, voire mesuré, par la déviation de l’aiguille.
Un courant est établi dans la première bobine. L’électroaimant ainsi créé va-t-il induire un courant dans la seconde ?
L’expérience est un échec. L’aiguille du galvanomètre reste immobile.
Faraday ne renonce pas et utilise, cette fois, une batterie voltaïque de 100 éléments. Le courant attendu n’est toujours pas au rendez-vous mais, remarque Faraday, "quand le courant fut mis, il y eut un soudain et très léger effet au galvanomètre et il y eut de même un léger effet quand le contact a été rompu". Il remarque également que le courant "induit" observé dans la deuxième hélice lors de la fermeture du circuit "inducteur" était inverse de celui observé lors de l’ouverture du circuit.
Pour autant, Faraday n’est pas satisfait : obtenir un si faible effet, par le moyen aussi énergique qu’une batterie de 100 éléments, est véritablement décevant. Il imagine, alors, un montage susceptible de mieux répondre à son attente.
Prendre un anneau de fer doux de deux centimètres de section et de quinze centimètres de diamètre. Sur la moitié de l’anneau une hélice, A, de fil de cuivre de 200 spires est enroulée et reliée à une batterie de 10 plaques. Une autre hélice "secondaire" identique, B, est enroulée sur l’autre moitié et reliée à un galvanomètre.
A la fermeture du circuit "primaire", A, "le galvanomètre, constate Faraday, est immédiatement affecté de façon bien plus intense qu’avec la batterie 10 fois plus puissante utilisée auparavant". Avec la batterie de 100 plaques "l’effet est si grand que l’aiguille du galvanomètre se met à tourner 4 ou 5 fois avant que l’air ou le magnétisme terrestre ne réduise son mouvement à quelques oscillations".
Anneaux et solénoïdes utilisés par Faraday
La dernière expérience est devenue un classique des cours de physique. Elle consiste à utiliser un barreau aimanté et une bobine conductrice : " l’aimant est rapidement plongé dans la bobine, immédiatement l’aiguille est déviée… l’aimant étant retiré, l’aiguille est déviée dans la direction opposée". La même expérience peut être réalisée en utilisant un solénoïde alimenté en courant (un électroaimant) au lieu d’un aimant permanent.
Plus démonstratif encore : le montage de la "roue de Barlow" est repris. La roue de cuivre dont les pointes touchent au mercure et qui est placée entre les branches d’un aimant en U est, cette fois, simplement reliée à un galvanomètre. Quand on lui imprime un mouvement de rotation, un courant permanent est détecté au galvanomètre pendant toute la rotation. Le "moteur" électrique est donc réversible et peut se transformer en une "génératrice" capable de transformer de l’énergie mécanique en énergie électrique.
Comment expliquer ces phénomènes ? Faraday construit progressivement un modèle original.
Le concept d’action à distance proposé par Newton ne s’est pas imposé sans mal. Comment imaginer qu’un corps puisse agir là où il n’est pas. Seule la "magie" avait cette prétention. Descartes, rejetant le vide et décrivant l’univers comme une vaste mécanique entraînée par les rouages d’invisibles tourbillons, avait conservé l’adhésion de ceux qui faisaient, d’abord, confiance au sens commun.
Pourtant, l’efficacité mathématique des lois qui en étaient issues, avait imposé le concept d’action à distance, y compris dans le domaine de l’électricité et du magnétisme, avec les lois énoncées par Coulomb et Ampère.
Faraday n’est pas convaincu. Il est déjà difficile d’imaginer que deux corps puissent exercer, l’un sur l’autre, des forces à distance. Que dire alors de courants électriques créés à distance ? Pour Faraday, un lien matériel existe nécessairement entre aimant "inducteur" et courant "induit". Quelque chose agit dans l’espace qui les sépare.
Depuis les observations du Napolitain Giambattista Della Porta (1534-1615) et les schémas qu’en donne Descartes (1664), les physiciens savent réaliser un "spectre magnétique". Une surface lisse, carton ou verre, est placée sur un aimant. On la saupoudre de limaille de fer. Quelques secousses et on fait apparaître le "fantôme" qui hante l’environnement de cet aimant : des faisceaux de lignes semblables à des gerbes de blé : un "champ" magnétique dira Maxwell.
Ces lignes, Faraday les appellera "lignes de force magnétiques". De même des "lignes de force électriques" existent autour des corps chargés d’électricité.
lignes de force électriques entre deux charges opposées
Faraday, nous dit Maxwell, "voyait par les yeux de son esprit, des lignes traversant tout cet espace où les mathématiciens ne considéraient que des centres de forces agissant à distance ; Faraday voyait un milieu où ils ne voyaient rien que la distance ; Faraday cherchait le siège des phénomènes dans des actions réelles, se produisant dans ce milieu, tandis qu’ils se contentaient de l’avoir trouvé dans une puissance d’action à distance particulière aux fluides électriques". (introduction au "Traité d’Electricité et de Magnétisme. Maxwell. 1873)
Ces "lignes de force" (avec Maxwell, nous disons aujourd’hui "lignes de champ") ont, pour Faraday, des propriétés physiques concrètes et observables.
Par exemple, celles du champ électrique. De toute charge électrique positive, Faraday "voit" partir une ligne de champ qui rejoint nécessairement, quelque part, une charge électrique négative équivalente. Les propriétés de ces lignes de champ expliquent les actions et mouvements observés.
Elles expliquent l’attraction : Ces lignes de champ sont élastiques et soumises à une "tension" longitudinale. Tendues comme un ressort, elles auront tendance à rapprocher les charges électriques, de signe contraire, placées à leur extrémité.
Elles expliquent la répulsion : les lignes de champ issues d’une même charge électrique ou d’une charge de même nature se repoussent latéralement.
Elles s’écartent de la charge ponctuelle qui les produit. Elles écartent, également, l’un de l’autre deux corps portant des charges identiques.
Elles s’accordent, aussi, avec la loi mathématique d’action à distance : les lignes de champ sont plus denses à proximité d’un corps chargé, c’est pourquoi le corps qui s’y trouve placé sera soumis à un nombre plus grand de lignes de forces et donc plus fortement attiré ou repoussé.
Les champs magnétiques sont eux mêmes constitués de lignes de force reliant deux pôles opposés. Tendues dans leur longueur elles se repoussent également latéralement.
Mais leurs propriétés sont bien plus spectaculaires. Si elles sont "coupées" par un conducteur mobile, à l’image des tiges d’un champ de blé tranchées par la lame d’une faux, une "force électromotrice induite" se crée dans le conducteur qui les coupe et provoque la circulation d’un courant dans celui-ci.
Pour être plus précis : la quantité d’électricité qui traverse ce conducteur est proportionnelle au nombre de lignes de champ coupées.
Ou encore :
l’intensité du courant électrique est proportionnelle au nombre de lignes de champ coupées par unité de temps.
C’est la "loi de Faraday" qui deviendra loi de "Faraday-Lenz" quand Lenz aura fait observer que le sens de ce courant induit "est tel que, par ses effets, il s’oppose à la cause qui lui donne naissance". Nouvelle illustration du principe "d’action et de réaction".
Les techniciens et les ingénieurs qui s’emploieront bientôt à construire les génératrices et les moteurs du nouvel âge de la civilisation industrielle, devront beaucoup à cette vision matérielle des champs magnétiques. Ils sauront trouver les matériaux et inventer les formes des "pièces polaires" capables d’amplifier, de multiplier et de canaliser ces lignes de champ. De les rendre parallèles, divergentes où convergentes suivant l’effet recherché.
Mais quel est l’engrenage qui lie, ainsi, lignes de champ magnétique et courant électrique ? Quels mouvements, quelles ondulations animent ces champs ? C’est ce que cherchera à établir Maxwell.
James Clerk Maxwell est le descendant d’une famille noble d’Écosse. Il fait ses études à Edimbourg puis au Trinity college de Cambridge. Il enseigne ensuite à Aberdeen et à Londres avant de se retirer pendant six ans dans son domaine écossais où, dans la solitude, il rédige son "grand œuvre" : le "Traité d’électricité et de magnétisme".
En 1871 il revient à la vie universitaire comme professeur de physique expérimentale à Cambridge où il crée le "Cavendish Laboratory", future pépinière de savants. Il n’a que quarante huit ans quand il meurt d’un cancer intestinal. Il laisse, cependant, un héritage inestimable à la Physique. Einstein, Plank, entre autres, le reconnaîtront comme leur précurseur.
James Clerk Maxwell a 23 ans quand, à l’issue de ses études, il débute dans l’étude de l’électricité. Comment ne pas être enthousiasmé en découvrant le territoire ouvert par Œrsted, Ampère, Laplace, Lens… et, surtout, Faraday !
"Je résolus, dit-il, en abordant l’étude de l’électricité, de n’étudier aucun traité mathématique sur ce sujet, avant d’avoir entièrement lu les "Experimental Researches on Electricity" de Faraday".
Il est fasciné par le côté visionnaire de l’œuvre de Faraday qu’il oppose aux froides théories des "mathématiciens de profession", adeptes de Newton et des actions à distance :
"Ce fut peut-être un avantage pour la science, dit-il, que Faraday, bien qu’ayant une parfaite connaissance des notions fondamentales de temps, d’espace et de force, n’ait pas été un mathématicien de profession. Il n’était pas tenté de s’engager dans les nombreuses et intéressantes recherches de mathématiques pures, qu’auraient suggérées ses découvertes si elles avaient été présentées sous une forme mathématique, et il ne se sentait pas porté à imposer à ses résultats une forme qui répondît au goût mathématique de l’époque ou à les exprimer sous une forme qui permît aux mécaniciens de les aborder. Mais il se garda ainsi le loisir de faire son travail personnel, d’accorder ses idées avec ses observations et d’exprimer sa pensée dans un langage ordinaire et non technique."
Maxwell est, lui, un mathématicien averti, en particulier dans tout ce qui concerne la récente mécanique des fluides. Il souhaite adapter l’œuvre de Faraday au "goût mathématique" de ses contemporains :
"C’est surtout dans l’espoir de faire de ces idées la base d’une méthode mathématique que j’ai entrepris ce traité.", écrira-t-il dans son "Traité de l’Electricité et du Magnétisme", œuvre majeure qu’il publiera en 1873.
Sa première "mise en mathématique" du modèle de Faraday, se concrétise à l’occasion d’un mémoire qu’il lit en février 1856 devant la "Société Philosophique de Cambridge", sous le titre "On Faraday’s lines of force". Il en adresse un exemplaire à Faraday.
Celui-ci lui répond. "J’ai reçu votre Mémoire et vous en remercie beaucoup ; je ne dis pas que je vous remercie personnellement pour ce que vous avez dit des lignes de force, parce que je sais que vous l’avez fait dans l’intérêt de la vérité philosophique, mais vous devez supposer que cela m’est agréable et m’encourage beaucoup à penser. J’ai été tout d’abord effrayé de voir concentrer sur ce sujet une telle puissance mathématique, puis émerveillé de le voir si bien supporter cette épreuve.".
Passage de témoin d’un physicien de 65 ans, au sommet de sa carrière, à son jeune collègue de 26 ans.
Voici un ouvrage à mettre entre toutes les mains, celles de nos élèves dès les classes de premières S et STI de nos lycées, et entre les mains de tous les futurs enseignants de sciences physiques et de physique appliquée (tant qu’il en reste encore !).
L’auteur est un collègue professeur de sciences physiques, formé à l’histoire des sciences, et formateur des enseignants en sciences dans l’académie de rennes. Bref quelqu’un qui a réfléchi tant à l’histoire de sa
discipline qu’à son enseignement et sa didactique, et cela se sent. Le style est fluide et imagé, bref, plaisant au possible...
...voici donc un bon ouvrage permettant de se construire une culture scientifique sans l’âpreté des équations de la physique.
extrait du commentaire paru dans le Bulletin de l’Union des Physiciens.
Voir l’excellente vidéo du site Ampère/CNRS.