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23 novembre 2023 4 23 /11 /novembre /2023 18:09

Gérard Borvon

(première mise en ligne,15/08/2018)

 

"C'est un fait connu, & sans doute depuis longtemps, qu'une chambre, qu'un carrosse, une couche, sont plus fortement chauffés par le soleil, lorsque ses rayons passent au travers de verre ou de châssis fermés, que quand ces mêmes rayons entrent dans les mêmes lieux ouverts & dénués de vitrage. On sait même que la chaleur est plus grande dans les chambres ou les fenêtres ont un double châssis."

 

C'est ainsi que Horace Bénédict de Saussure débutait une lettre, datée du 17 avril 1784, adressée, depuis Genève, au "Journal de Paris". Géologue et naturaliste né à Conches près de Genève, en 1740, Saussure est surtout connu pour ses excursions dans les Alpes et en particulier pour avoir été l'un des premiers à atteindre le sommet du Mont Blanc où il avait pu constater que la température d'ébullition de l'eau n'était plus que de 86° de notre échelle Celsius.

 

La chaleur est également l'un de ses premiers centres d'intérêt. C'est pourquoi ce phénomène d'élévation de la température derrière une vitre ne pouvait pas manquer d'attirer son attention.

 

"Lorsque je réfléchis pour la première fois à ces faits si connus, je fus bien étonné qu'aucun Physicien n'eût cherché à voir jusqu'où pouvait aller cette augmentation ou cette concentration de la chaleur", écrit-il.

 

Horace Bénédict de Saussure, l'héliothermomètre et l'effet de serre.

 

Il se propose donc de rendre compte d'une série de mesures qu'il a commencées dès 1767. Son dispositif expérimental, auquel il donne le nom d'Héliothermomète, est une "caisse en sapin d'un pied de longueur sur 9 pouces de largeur et de profondeur". Des études antérieures lui ont montré qu'un corps sombre absorbe mieux la chaleur, il choisit donc de tapisser l'intérieur de la boite "d'un liège noir épais d'un pouce" qui constitue par ailleurs un bon isolant thermique. Son couvercle est constitué de trois glaces "placées à un pouce et demi de distance l'une de l'autre". l'expérience demande de suivre la course du soleil de telle sorte que ses rayons entrent toujours dans la boite perpendiculairement à la vitre. Utilisant cette méthode, la plus grande température qui est atteinte est de 87,7°, "c'est à dire de plus de 8 degrés au dessus de la chaleur de l'eau bouillante". L'échelle utilisée est ici celle de Réaumur qui fixe à 80 degrés la température d'ébullition de l'eau. Prenant des mesures pour mieux isoler la boite, il obtiendra même des températures atteignant 128°R soit 160°C.

 

Voilà pour l'observation.

"Quant à la théorie, écrit-il, elle me paraît si simple, que je ne crois pas qu'elle ajoute beaucoup à la gloire de celui qui la développera". Il se souvient que "l'immortel Newton" a prouvé que les corps sont réchauffés par la lumière qu'ils absorbent. L'explication lui paraît donc évidente :

 

 

"Sans décider si les rayons du soleil sont eux-mêmes du feu, ou s'ils ne font qu'imprimer au feu contenu dans les corps un degré de mouvement qui produit la chaleur, c'est un fait qu'ils les réchauffent. C'est un fait tout aussi certain, que quand le corps sur lesquels ils agissent est exposé en plein air, la chaleur dont ils le pénètrent lui est en partie dérobée par les courants qui règnent dans l'air, & par ceux que cette chaleur produit elle même, Mais si ce corps est situé de manière à recevoir ses rayons sans être accessible à l'air, il conserve une plus grande proportion de la chaleur qui lui est imprimée".

 

La météorologie mesure aujourd'hui l'importance des phénomènes de convection pour les échanges de chaleur dans les fluides, en particulier dans l'atmosphère ou dans les océans. Saussure les avait déjà bien analysés en constatant que dans une boite vitrée, fermée et isolée, l'air conservait sa chaleur car il ne pouvait y avoir d'échange avec l'air extérieur plus froid. Bien imaginées aussi les applications possibles de son montage expérimental.

 

"Quant aux applications, je m'en suis aussi occupé", écrit-il, Comme je ne me flattais pas de fondre des métaux, je ne pensais qu'à faire servir cette invention à des usages qui ne demandent qu'une chaleur peu supérieure à celle de l'eau bouillante. Je voulais aussi éviter l'assujettissement et la perte du temps qu'entraîne la nécessité de présenter toujours la caisse au soleil à mesure que sa position change. Dans cette intention j'ai essayé d'employer des calottes de verre hémisphériques qui s'emboîtent les unes dans les autres".

 

L'idée se justifiait, la démarche témoignait d'un réel comportement scientifique. Hélas, le résultat escompté ne fut pas au rendez-vous et l'expérimentateur constate "qu'on ne pourrait pas même se flatter de faire cuire sa soupe dans cet appareil". Il préfère donc s'en tenir à sa caisse initiale qui en plus de pouvoir servir de "thermomètre solaire" serait apte, dit-il, à pratiquer des distillations ou toute autre opération qui ne demanderait pas "un degré de chaleur fort supérieur à celui de l'eau bouillante". Pourrait-il imaginer que deux siècles et demi plus tard de telles boites, d'une plus grande surface, au fond noirci traversé par des serpentins parcourus par un liquide caloporteur, seraient disposées sur les toits des maisons pour fournir à ses occupants l'eau chaude nécessaire à leur usage domestique. Son dispositif, qui avait mis en évidence ce que nous désignons aujourd'hui comme "effet de serre", est en effet devenu, par l'usage des panneaux solaires thermiques, une utilisation économe, intelligente et non-polluante du rayonnement solaire.

 

Jean Baptiste Joseph Fourier. De l'héliothermomètre à la température du globe terrestre.

 

Fourier (1768-1830) est d'abord connu comme mathématicien pour ses "séries", outil mathématique qu'il a d'abord appliqué à l'étude de la diffusion de la chaleur. En 1827 est publié dans les Mémoires de l'Académie des Sciences de l'Institut de France son "MÉMOIRE sur les températures du globe terrestre et des espaces planétaires". S'interrogeant sur l'influence de l'atmosphère sur la température du globe il fait une référence appuyée aux travaux de Saussure. On doit, dit-il au célèbre voyageur, une expérience qui apparaît très propre à éclairer la question". Il décrit avec précision l'instrument mis au point par Saussure. Celui-ci l'intéresse particulièrement par le fait qu'il a permis à son constructeur de "comparer l'effet solaire sur une montagne très élevée à celui qui avait lieu dans une plaine inférieure", montrant ainsi le rôle de l'épaisseur de l'atmosphère dans le phénomène.

 

"La théorie de cet instrument est facile à concevoir", dit-il. Comme Saussure il considère "que la chaleur acquise se concentre parce qu'elle n'est point dissipée immédiatement par le renouvellement de l'air". Il y ajoute une seconde raison qui nous rapproche d'une vision contemporaine largement vulgarisée :

 

"la chaleur émanée du soleil a des propriétés différentes de la chaleur obscure. Les rayons de cet astre se transmettent en assez grande partie au-delà des verres dans toutes les capacités et jusqu'au fond de la boite. Ils échauffent l'air et les parois qui le contiennent : alors la chaleur ainsi communiquée cesse d'être lumineuse; elle ne conserve que les propriétés communes de la chaleur rayonnante obscure. Dans cet état, elle ne peut traverser librement les plans de verre qui couvrent le vase ; elle s'accumule de plus en plus dans une capacité enveloppée d'une matière très-peu conductrice, et la température s'élève jusqu'à ce que la chaleur affluente soit exactement compensée par celle qui se dissipe".

 

Une dizaine d'années sépare ce texte de la présentation par Fresnel de sa théorie ondulatoire de la lumière. Cette "chaleur rayonnante obscure" attendra encore quelques années avant d'être qualifiée de "rayonnement infrarouge".

 

L'analogie avec l'atmosphère s'impose alors à Fourier. Le même phénomène expliquerait la température plus élevée dans les basses couches de l'atmosphère. Si les différentes couches de l'atmosphère restaient immobiles, elles se comporteraient comme des vitres. "la chaleur arrivant à l'état de lumière jusqu'à la terre solide perdrait tout-à-coup et presque entièrement la faculté qu'elle avait de traverser les solides diaphanes ; elle s'accumulerait dans les couches inférieures de l'atmosphère, qui acquerraient ainsi des températures élevées". Fourier n'ignore pourtant pas que l'air chaud s'élève et se mélange à l'air froid des altitudes mais il estime que ce phénomène ne doit pas altérer totalement l'effet de la lumière obscure "parce que la chaleur trouve moins d'obstacles pour pénétrer l'air, étant à l'état de lumière, qu'elle n'en trouve pour repasser dans l'air lorsqu'elle est convertie en chaleur obscure".

 

Depuis Lavoisier on sait que l'air est un mélange de gaz, que signifie alors la perméabilité de l'air au rayonnement solaire ou à la "chaleur rayonnante obscure" ? Les différents gaz qui le composent ont-ils tous le même comportement ? C'est la question que se pose John Tyndall.

 

John Tyndall (1820-1893), le découvreur des gaz à "effet de serre".

 

John Tyndal est né en Irlande et y a vécu sa jeunesse. Autodidacte, comme Faraday dont il a été l'élève, ses travaux scientifiques lui valent une solide renommée, tant en Europe que dans les États d'Amérique. Excellent vulgarisateur, il donne, en 1864 à Cambridge, une conférence, sous le titre "La radiation", dans laquelle il expose ses travaux sur l'absorption des rayons lumineux par différents gaz. Sa traduction par l'Abbé Moigno est publiée en France dès l'année suivante. Son traducteur est enthousiaste : "Le motif de sa dissertation lui était imposé par l'immense retentissement de ses admirables découvertes dans le domaine des radiations lumineuses et caloriques. Il l'a traité avec une lucidité, une sobriété, une élégance, une aisance magistrales ; et nous ne nous souvenons pas d'avoir lu avec plus de plaisir d'autres dissertations scientifiques".

 

Le texte est court (64 pages) et l'éloge justifié. Il mérite d'être lu dans sa totalité. Qui le lirait y trouverait l'essentiel de ce que nous enseignent les climatologues aujourd'hui. Son exposé s'attache d'abord à établir l'existence de lumières invisibles à l’œil. Il est acquis, depuis Fresnel, que la lumière solaire est composée de multiples radiations. En particulier il s'intéresse à celle qu'il désigne sous le terme "d'ultra-rouge" et que nous désignons aujourd'hui comme "infra-rouge". Il expose comment son existence a été révélée par l'astronome britannique William Herschel. L'expérience est belle, elle mérite d'être rappelée.

 

"Forçant un rayon solaire à passer à travers un prisme, il le résolut dans ses éléments constituants, et le transforma en ce qu'on appelle techniquement le spectre solaire (souligné par lui). Introduisant alors un thermomètre au sein des couleurs successives, il détermina leur pouvoir calorifique, et trouva qu'il augmentait du violet, ou du rayon le plus réfracté, au rouge ou rayon le moins réfracté du spectre. Mais il ne s'arrêta pas là. Plongeant le thermomètre dans l'espace obscur au delà du rouge, il vit que, quoique la lumière eût entièrement disparu, la chaleur rayonnante qui tombait sur l'instrument était plus intense que celle que l'on avait mise en évidence à tous les points du spectre visible."

 

Mentionnant les travaux de Ritter et Stokes sur les "ultraviolets" Tyndall pouvait alors présenter le rayonnement solaire comme composé de "trois séries différentes".

  1. des rayons ultra-rouges d'une très grande puissance calorique, mais impuissants à exciter la vision.

  2. Des rayons lumineux qui déploient la succession suivante de couleurs : rouge, orangé, jaune, vert, bleu, indigo, violet

  3. des rayons ultra-violets, impropres à la vision comme les rayons rouges, dont le pouvoir calorifique est très faible, mais qui en raison de leur énergie chimique, jouent un rôle très important dans le monde organique.

 

Suit un exposé sur la nature des radiations. Quel est le lien entre la chaleur dégagée dans un fil de platine chauffé au rouge ou au blanc par un courant électrique le traversant et la perception de cette lumière par l’œil ? Son compatriote Maxwell a émis récemment l'hypothèse selon laquelle la lumière serait une onde électromagnétique se déplaçant dans un hypothétique éther. Sa réponse est conforme au modèle. Il existe dit-il un "éther lumineux" qui comme l'air transmet les sons, est "apte à transmettre les vibrations de la lumière et de la chaleur". Ainsi "chacun des chocs de chacun des atomes de notre fil excite en cet éther une onde qui se propage dans son sein avec la vitesse de 300 000 kilomètres par seconde". C'est cette onde, reçue par la rétine, qui provoque chez nous la sensation de lumière.

 

Le chapitre qui suit a pour titre "Absorption de la chaleur rayonnante par les gaz". Son objet concerne particulièrement notre sujet, à savoir ce que nous désignons par "effet de serre".

 

"Limitant tout d'abord nos recherches au phénomène de l'absorption, nous avons à nous figurer une succession d'ondes issues d'une source de rayonnement et passant à travers un gaz. Quelques-unes de ces ondes viennent se heurter contre des molécules gazeuses et leur cèdent leur mouvement ; d'autres glissent autour des molécules, ou passent à travers leurs espaces intermoléculaires, sans obstacle sensible. Le problème consiste à déterminer si de semblables molécules libres ont à un degré quelconque le pouvoir d'arrêter les ondes de la chaleur, et si les différentes molécules possèdent ce pouvoir à différents degrés".

 

Le montage expérimental consiste en un plaque de cuivre chauffée jusqu'à incandescence. La lumière produite est transmise à un tube fermé par deux plaques de sel gemme "seule substance solide qui offre un obstacle presque insensible au passage des ondes calorifiques". Le tube peut être rempli de gaz divers sous la même pression de 1/30 d'atmosphère. La température y est mesurée par une "pile thermo-électrique", instrument d'une invention récente.

 

 

 

Les résultats sont publiés dans un tableau qui exprime les quantités de radiations absorbées respectivement par les différents gaz, "en prenant pour unité la quantité absorbée par l'air atmosphérique".

 

 

On y retrouve la plupart des gaz dont la nuisance nous préoccupe aujourd'hui. En particulier le dioxyde de carbone (acide carbonique), le protoxyde d'azote, l'acide nitreux.

 

Un dernier résultat "incroyable" !

 

Une dernière partie vient compléter ce tableau. Elle concerne l'étude "des vapeurs aqueuses de l'atmosphère dans leurs rapports avec les températures terrestres". L'importance des résultats mérite une mise en scène. Après les premières mesures effectuées sur différents gaz, "nous voici préparés à accepter un résultat qui sans ces préliminaires serait apparu complètement incroyable", annonce le conférencier.

 

Le nouveau gaz étudié n'est autre que la vapeur d'eau. C'est "un gaz parfaitement impalpable, diffusé dans toute l'atmosphère même les jours les plus clairs". La quantité de cette vapeur est infinitésimale comparée à la composition de l'air en oxygène et azote. Pourtant les mesures effectuées montrent que son effet est 200 fois supérieur à celui de l'air qui la contient. Ce fait, note-t-il, "entraîne les conséquences les plus graves relativement à la vie sur notre planète".

 

Conséquences les plus graves ? C'est exactement ce que seraient tentés de dire la plupart de nos contemporains mais John Tyndall y voit en réalité une chance. La chaleur du sol échauffé par les rayons du soleil se communiquent à l'atmosphère sous formes de ces ondes de lumière "ultra-rouges" de grande puissance calorique. L'air seul serait insuffisant pour les retenir. Heureusement, constate Tyndall "les vapeur aqueuses enlèvent leur mouvement aux ondes éthérées, s'échauffent et entourent ainsi la terre comme d'un manteau qui la protège contre le froid mortel qu'elle aurait sans cela à supporter".

 

Plus tard, dans sa conclusion, le constat prend des proportions lyriques. "La toile d'araignée tendue sur une fleur suffit à la défendre de la gelée des nuits ; de même la vapeur aqueuse de notre air, tout atténuée qu'elle soit, arrête le flux de la chaleur rayonnée par la terre, et protège la surface de notre planète contre le refroidissement qu'elle subirait infailliblement, si aucune substance n'était interposée entre elle et le vide des espaces célestes". Il en veut pour preuve que partout où l'air est sec (déserts, sommets des hautes montagnes) cela entraîne des températures diurnes extrêmes. Inversement "pendant la nuit, la terre rayonne sans aucun obstacle la chaleur vers ses espaces célestes et il en résulte un minimum de température très-basse".

 

La découverte est d'importance et il la revendique. S'il reconnaît à ses prédécesseurs, de Saussure, Fourier, Pouillet, Hopkins, d'avoir "enrichi la littérature scientifique" sur ce sujet, il fait le constat que ce n'est pas, à présent, à l'air, comme ils l'ont fait, qu'il faut s'intéresser mais à la vapeur d'eau qu'il contient.

Notons ici que, s'il cite Saussure, l'effet qu'il décrit n'a plus rien à voir avec celui d'une serre dans laquelle l'air chauffé par le soleil serait confiné. C'est donc de façon erronée que l'expression "effet de serre" continue à alimenter nos débats contemporains. D'où vient l'expression ? on la trouve utilisée par Arrhenius, dont nous verrons bientôt la contribution. "Fourier, écrit-il, le grand physicien français, admettait déjà (vers 1800) que notre atmosphère exerce un puissant effet protecteur contre la perte de chaleur par rayonnement. Ses idées furent plus tard développées par Pouillet et Tyndall. Leur théorie porte le nom de la théorie de la serre chaude (souligné par nous), parce que ces physiciens admirent que notre atmosphère joue le même rôle que le vitrage d'une serre".  Si le terme retenu par le milieu scientifique est "forçage radiatif", l'image torride d'une serre est tellement plus parlante que son succès est assuré pour longtemps encore.

 

Ainsi donc la terre est protégée par la vapeur d'eau ? Nous sommes dans la première période du développement industriel de l'Europe, comment Tyndall pourrait-il imaginer que cet équilibre qui dure depuis des milliers d'années sera rompu dans le siècle à venir. Non pas essentiellement par la vapeur d'eau mais par le CO2. Que dit-il de ce gaz ? Il a déjà mesuré que son pouvoir d'absorption des rayons lumineux est près de 1000 fois supérieur à celui de l'air. Il constate également qu'il existe un nombre de rayons "pour lesquels l'acide carbonique est impénétrable". Il en fait même un moyen de mesure du taux de CO2 dans l'air expiré par les poumons. Mais il ne percevra pas son rôle prépondérant dans le réchauffement de l'atmosphère. Ce sera la contribution de Svante Arrhenius.

 

Svante Arrhenius.

 

Svante Arrhenius est né à Vik en Suède en 1859. Chimiste, Prix Nobel, les apprentis chimistes le connaissent par la loi concernant les vitesses des réactions chimiques à laquelle on a donné son nom. Les météorologues se souviennent d'abord de ses études sur l'absorption de la lumière infrarouge par la vapeur d'eau et le CO2. Son article "De l'influence de l'acide carbonique dans l'air sur la température au sol", publié en 1896, a été longtemps une référence. Même si ses calculs ont ensuite été contestés, son analyse a amené certains commentateurs à faire de Arrhenius "le père du changement climatique".

 

Utilisant des mesures faites par Frank Washington Very et Samuel Pierpont Langley sur le rayonnement lunaire, il déduit le pourcentage d'absorption du CO2 par notre atmosphère. Il prend alors conscience du fait que l'augmentation rapide de la consommation de charbon peut contribuer à augmenter cette quantité. "L'acide carbonique, écrit-il, forme une fraction si peu importante de l'atmosphère que même la consommation industrielle de charbon semble pouvoir y influer. La consommation annuelle de houille a atteint en 1907 1200 millions de tonnes et elle augmente rapidement". Il note que sa progression est régulière : 510 millions de tonnes en 1890, 550 millions de tonnes en 1894, 690 en 1899, 890 en 1904 et il estime donc que "la quantité répandue dans l'atmosphère puisse être modifiée, dans le cours des siècles, par la production industrielle" .

La combustion de ce charbon faisant augmenter le taux de CO2 dans l'atmosphère, il estime que si ce taux doublait, la température terrestre pourrait augmenter de l'ordre de 4°C.

 

Ce taux était alors de l'ordre de 300ppm (300 parties par million) et il n'imaginait pas ce doublement avant 3000 ans, c'est à dire le temps qu'il estimait nécessaire avant d'épuiser l'essentiel des ressources du sous-sol en charbon. Un siècle plus tard, ce taux a déjà dépassé 400ppm. Sans être trop pessimistes les scientifiques du Giec estiment que cette augmentation de température de 4°C pourrait être atteinte à la fin de ce siècle et nous alertent sur tous les bouleversements qui nous attendent !

 

Arrhenius, quant à lui, n'est pas inquiet. S'il pense aux générations futures c'est en considérant que cette augmentation de la température pourrait  avoir pour elles un aspect bénéfique. Il l'affirme sans hésiter dans un ouvrage publié en 1907 dans lequel il présente sa vision de l'apparition et de l'évolution de la vie sur terre sous le titre "Worlds in the making; the evolution of the universe", traduit en France sous le titre "L'évolution des mondes.

 

"Nous entendons souvent, écrit-il, des lamentations sur le fait que le charbon stocké dans la terre est gaspillé par la génération présente sans aucune pensée pour la future… Nous pouvons trouver une sorte de consolation dans la considération que ici, comme souvent, il y a un bénéfice d'un côté pour un dommage de l'autre. Par l'influence de l'accroissement du pourcentage de l'acide carbonique dans l'atmosphère, nous pouvons espérer profiter dans le futur d'un climat meilleur et plus équitable, spécialement en ce qui regarde les régions les plus froides de la terre. Dans le futur la terre produira des cultures beaucoup plus abondantes qu'actuellement, au profit de l'accroissement rapide de l'humanité."

 

 

Il a fallu moins d'un siècle pour que ce rêve d'un avenir radieux, du moins pour les habitants de l'hémisphère nord, se transforme en cauchemar pour l'ensemble de la planète Terre.

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Il manquait une femme dans cette liste, un article du journal Reporterre vient combler ce vide.

Eunice Foote, pionnière oubliée des sciences climatiques
 

 

 

 

Des années avant que les travaux sur le changement climatique accèdent à une reconnaissance internationale, Eunice Foote découvrait les prémices de l’effet de serre avec ses expériences maison.

 

 

 

 

 

Voir :https://reporterre.net/Eunice-Foote-pionniere-oubliee-des-sciences-climatiques?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_quotidienne

 

Voir :

Claude Lorius. Un pionnier de l'étude du climat.

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Voir aussi :

 

 

Histoire du Carbone et du CO2. De l'origine de la vie au dérèglement climatique.

 

JPEG - 77.7 ko

 

Extrait :

 
CO2, fatal ou vital ?

 

« CO2 - Élixir de vie et tueur du climat » est le titre d’une exposition présentée au musée Naturama de Aarau en Suisse à la charnière des années 2012 et 2013.

 

Élixir… le mot est fort. Il a été emprunté à l’arabe médiéval « al iksīr » désignant la liqueur d’immortalité des alchimistes ou la pierre philosophale supposée transformer le plomb en or.

 

Dans une première partie nous choisirons ce côté lumineux de l’histoire.
 

Nous découvrirons la suite de tâtonnements, de réussites et aussi parfois d’échecs, qui a fait prendre conscience de l’existence et du rôle de cet « élixir », le dioxyde de carbone et de ce joyau minéral, le carbone.

 

Tueur de climat. Qui peut encore le nier ? Et qui peut refuser de voir que la dangereuse augmentation du CO2 dans l’atmosphère, loin d’être une malédiction portée par ce gaz, est le résultat de l’emballement d’un monde industriel développé qui gaspille les ressources fossiles accumulées sur la planète au cours de millions d’années et les disperse sous forme d’objets inutiles et de polluants multiples.

 

Élixir ou poison, amour ou désamour… Le carbone et le dioxyde de carbone sont symboliques de cette chimie aux deux visages qui sont aussi ceux de la science en général.

 

 

 

 

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17 novembre 2023 5 17 /11 /novembre /2023 16:03

Un livre qui a guidé bien des scientifiques en herbe.

 

https://archive.org/details/ThuillierPSI

 

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16 novembre 2023 4 16 /11 /novembre /2023 12:38

Dans une lettre ouverte, 1 240 étudiants issus d’universités et de grandes écoles (AgroParisTech, Ecole polytechnique, HEC…) s’engagent à ne pas rejoindre les rangs de la banque française en raison de son soutien à de nouveaux projets d’extraction de pétrole et de gaz.
 

Publié le 15 novembre 2023.

Nous sommes étudiant·es et jeunes diplômé·es d’universités et d’écoles françaises (AgroParisTech, CentraleSupelec, Ecole polytechnique, Sciences-Po, HEC…). Nous constatons que BNP Paribas tente d’instrumentaliser nos craintes et nos convictions et cible notre génération avec son greenwashing, dans sa publicité et sur nos campus (stands vantant ses offres bancaires et jobs à impact, par exemple).

 

Nous ne sommes pas dupes. Nous prenons ici l’engagement de ne pas travailler pour des banques qui, comme BNP Paribas, refusent de regarder la vérité climatique en face et continuent de financer des entreprises qui prévoient de nouveaux projets d’énergies fossiles. Ces bombes climatiques menacent directement notre futur, et nous affirmons haut et fort que nous ne participerons pas à une telle destruction.
 

La science est sans appel

 

Le consensus scientifique ne laisse aucune place au débat : les énergies fossiles doivent appartenir au passé.

 

Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (Giec) et l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) sont formel·les sur la nécessité d’arrêter de développer de nouveaux champs pétroliers et gaziers pour respecter l’Accord de Paris et limiter le réchauffement à 1,5 °C. Alors que nous nous éloignons chaque jour un peu plus de cet objectif, il faut prendre des mesures radicales à la hauteur des enjeux.
 

Enquête sur le « climato-je-m’en-foutisme » qui règne au sommet de l’Etat

Cet impératif absolu doit dessiner une ligne rouge claire pour les banques, comme le répétait récemment le secrétaire général des Nations unies, António Guterres :
 

"« Les institutions financières doivent s’engager à mettre fin à leurs financements et investissements dans l’exploration et l’expansion de nouveaux gisements de pétrole et gaz. »"

 

C’est la demande qui a été adressée à plusieurs reprises par 600 scientifiques, dont des membres du Giec, au conseil d’administration de BNP Paribas, sans trouver à ce jour une réponse satisfaisante.
 

Des activités lourdes de conséquences

 

Après avoir financé pendant des décennies un monde carboné devenu insoutenable, les banques ont le pouvoir et la responsabilité de nous sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, en réorientant leurs financements vers une transition écologique juste. Ce n’est malheureusement pas le cas des principales banques françaises : Crédit agricole, Société générale, Banque populaire Caisse d’épargne et, en tête du classement, BNP Paribas.

Les chiffres en attestent. Au cours des sept années qui ont suivi l’adoption de l’Accord de Paris, BNP Paribas a accordé 165 milliards de dollars aux énergies fossiles. Son rôle est majeur : elle a été entre 2016 et 2022 le premier financeur européen et le quatrième au niveau mondial du développement des énergies fossiles.
 

Climat : ce qu’il faut retenir du rapport de synthèse du Giec

 

Ces activités ont déjà de lourdes conséquences climatiques : l’empreinte carbone de BNP Paribas en 2020 est à elle seule supérieure à celle du territoire français. Les annonces faites en mai dernier par BNP Paribas ne changent pas cette donne : la banque n’a mis fin qu’à une part très restreinte de ses nombreux soutiens à l’industrie fossile. Ainsi, ses décisions financières actuelles contraignent encore nos vies futures.

 

Cela lui a valu d’être assignée en justice cette année pour non-respect de son devoir de vigilance en matière climatique par trois ONG (Les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France).
 

Premier financeur des majors du pétrole

 

Face à une jeunesse déterminée devant les périls climatiques, BNP Paribas expérimente des difficultés de recrutement. La banque explique qu’elle a changé et qu’elle œuvre pour le climat et promet de merveilleux « jobs à impact ». Mais comment la croire ?

 

Entre 2016 et 2022, la banque française a été le premier financeur des neuf majors du pétrole et du gaz, parmi lesquelles la française Total Energies. Ainsi, quand BNP Paribas annonçait d’une main ne pas financer directement le tristement célèbre projet Tilenga-EACOP en Ouganda et Tanzanie, elle continuait de l’autre à accorder de larges soutiens à Total Energies. BNP Paribas, dont le président siège au conseil d’administration de Total Energies, ne peut ignorer la stratégie dangereuse menée par son client.
 

Climat : trois ONG assignent BNP Paribas en justice pour manquement à son devoir de vigilance

 

La banque est également l’un des principaux financeurs du mastodonte Saudi Aramco, l’entreprise qui prévoit le plus de nouveaux projets de pétrole et de gaz de la planète. A ce titre, elle a reçu, en cet été de tous les records caniculaires, une alerte sans précédent des Nations unies : ses financements pourraient constituer une atteinte aux droits humains.
Notre décision est prise

 

Il est pourtant possible d’en finir avec ces soutiens toxiques. La Banque postale l’a fait, elle n’octroie désormais des financements qu’aux entreprises qui ont un plan de sortie des énergies fossiles d’ici à 2040 et ne développent plus de nouveaux projets dans ce domaine. BNP a le devoir de se désolidariser radicalement des géants pétro-gaziers.

 

Pour l’heure, la banque choisit pourtant de nous condamner : tout déni ou toute omission équivalent à un soutien clair à la destruction des conditions d’habitabilité de notre monde.

 

Face à la violence des dérèglements climatiques qui frappent déjà nos quotidiens, nous ne pouvons imaginer un avenir professionnel autrement que mis au service d’une transformation rapide et juste de nos sociétés. Nos compétences et nos vocations sont prêtes à nourrir les prochaines stratégies climatiques, à condition que celles-ci soient à la hauteur de l’urgence.

 

Notre décision est prise, c’est désormais aux dirigeant·es de BNP Paribas de choisir : incarner le sursaut dont nous avons besoin ou nous maintenir sur l’autoroute de l’enfer climatique. La banque d’un monde qui change, en bien ou en mal.

 

Cette tribune a été signée par plus de 1 240 étudiants. La liste complète des signataires peut être trouvée ici.

 

Premiers signataires :

 

Victoria Constantini (Mines de Paris), Anastasia Léauté (université Paris Cité), Hermès Couturier (CentraleSupélec), Louis Fidel (HEC), Anaïs Vansteene (Paris Nanterre), Salma Chaoui (université Paris Dauphine PSL), Noémie Elgrably (ESSEC), Marion Vittet (ESCP Busines School), Lucie Sarthre (Ecole des Ponts et Chaussées), Philémon Matray (Ecole polytechnique), Mathis Fidaire (Dauphine PSL), Clara Bolac (AgroParisTech), Auriane Meiller (AgroParisTech), Tiphaine Langlois (Sciences-Po Paris)

 

Par Un collectif d'étudiants

 

Voir aussi : « Lycéens, nous sommes en grève contre l’A69 »

 

 

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7 novembre 2023 2 07 /11 /novembre /2023 11:25

 

 

 

"Quelle claque de réaliser et vivre que les pensées magiques et les intérêts personnels, ou ceux d'un petit groupe, priment sur l'intérêt général, alors que nous allons dans le mur et que nous le savons."

 

https://twitter.com/i/status/1718951174223675753

 

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28 octobre 2023 6 28 /10 /octobre /2023 11:16

Par Gérard Borvon. (première publication 13 avril 2015)

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Le texte ci-dessous est une retranscription d'un document rédigé en 1985 à l'occasion d'une expérience pédagogique menée au lycée de l'Elorn à Landerneau.

 

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Age du bronze

Complément à l'étude du groupe de Rosnoën.

 

 

1943 : Monsieur Yves Rosmorduc est agriculteur à Rosnoën dans le Finistère. Il est occupé à poser des drains dans une prairie marécageuse du hameau de Pen ar Vern. Son fils Gabriel l'aide. Bientôt, à une profondeur estimée à 1,30m, juste avant une couche d'argile, des fragments métalliques apparaissent : des armes de bronze dont plusieurs dans un état parfait de conservation, ni ébréchées, ni tordues, à peine oxydées. Ce sont environ cinquante lames d'épées avec leurs rivets, 18 fers de lance, des haches à talon et quelques autres pièces de forme moins caractéristiques. Monsieur Yves Rosmorduc qui a servi dans la cavalerie pendant la guerre 14-18 croit reconnaître un objet qu'il désigne par le nom de "porte lance". Les cavaliers le plaçaient à leur botte pour laisser reposer leur lance. Les lames d'épées pourraient passer pour des baïonnettes et, justement, en cette période les troupes d'occupation allemandes fouillent les fermes à la recherche d'armes parachutées. M. Rosmorduc juge plus prudent de dissimuler sa découverte. Certaines armes ont même été enterrées sous une haie de cyprès. S'y trouvent-elles encore ?

 

Après la libération : M. Rosmorduc déclare cette découverte à la mairie et y dépose une partie des pièces récoltées. Celles-ci seront remises à P.R Giot alors directeur-adjoint de la quatrième corconscription préhistorique. Elles donneront lieu à une première publication de sa part dans le Bulletin de la Société Archéologique du Finistère (1949-2). Le lot décrit comprend 29 pièces dont les plus caractéristiques sont : un petit marteau à douille quadrangulaire servant au battage du tranchant des lames et rasoirs, un rasoir à double tranchant, 2 haches à talon avec anneau latéral et nervure médiane bien marquée, 4 pointes de lance à longue douille. Des dagues et des rapières aux caractères bien marqués : une lame étroite à bords parallèles et au tranchant remarquable dont les poignées étaient fixées par des rivets passant dans des encoches latérales ou à travers de trous ménagés dans une languette rectangulaire légèrement trapézoïdale. Des objets de facture voisine sont présents dans plusieurs dépôts armoricains (Coray-Plomodiern-Saint Jeau Trolimon-Hénon...). Ils constituent ce qu'il est convenu d'appeler "Groupe de Rosnoën".

 

P.R. Giot rattache ces objets à une période intermédiaire entre le bronze III et le bronze IV (chronologie Montélius-Déchelette) soit encore entre le Middle Bronze Age et le Late Bronze Age de la chronologie britannique. J. Briard (1965) confirme cette appréciation. Le groupe de Rosnoën, inspiré à la fois par les types britanniques de la fin du bronze moyen et par les nouvelles formes d'armes issues de l'Est de la France (épées de Rixheim), se serait développé dans la période 1100-1000 avant J.C, période intermédiaire entre le bronze moyen et le bronze final.

 


 

Une expérience pédagogique au lycée de l'Elorn à Landerneau.

 

1983 : Enseignant les sciences physiques au Lycée de l'Élorn à Landerneau, il m'arrive assez souvent d'introduire les premiers cours sur les métaux en classe de 1ere par un court exposé sur les âges du Bronze et du Fer, en particulier dans nos régions. Cette année là un élève me signale que ses parents possèdent quelques armes de bronze qu'il se propose d'apporter en classe. La semaine suivante il nous présente 5 épées (4 entières et 1 tronçon) que je reconnais comme caractéristiques du groupe de Rosnoën : le grand-père de cet élève était M. Rosmorduc auteur de la découverte de Pen-ar-Vern.

 


 

J'ai ensuite eu l'occasion de rencontrer les enfants de M. Rosmorduc qui m'ont aimablement permis d'étudier plusieurs autres objets conservés chez eux. Les précisions qu'ils m'ont données sur les circonstances de la trouvaille confirment ce qui a déjà été publié à ce sujet. M. Gabriel Rosmorduc qui aidait son père à creuser la tranchée du drainage se rappelle avoir trouvé ces armes sous deux branches de chêne disposées en croix. Il interprète alors ces deux branches comme un repère et se souvient également d'avoir trouvé dans l'excavation des noisettes qui semblaient encore fraîches. Le lot était bien rangé, perpendiculaire à la tranchée et comme posé à la surface de la couche de tourbe. Il y avait là un nombre important de pièces. M. Rosmorduc avait alors décrit 68 des plus caractéristiques dans un carnet égaré depuis. Si on se rappelle que seulement 29 pièces du dépôt ont pour le moment été répertoriées, il faut constater qu'il en comprenait en réalité plus du double, ce qui fait certainement l'un des plus importants du genre. J'ai pu observer 10 épées, une hache à talon et deux superbes pointes de lance.


 

Pour l'essentiel ces pièces confirment ce qui est déjà connu du Groupe de Rosnoën. Les deux types caractéristiques d'épées à languette étroite sont représentés (à encoches ou à trou à rivet). Les haches à talon sont du type massif déjà décrit, à forte nervure médiane et à anneau latéral. M. Rosmorduc me signale cependant une hache très décorée qui n'est plus en sa possession. Les pointes de lance sont à aileron large et à longue douille. Bien que classiques, les épées à languette étroite méritent d'être décrites, ne serait-ce qu'à cause de leur belle taille et de leur parfait état de conservation.

 


 

Je décrirai ensuite une épée à languette trapézoidale dont j'ai observé deux exemplaires et dont le modèle, à ma connaissance, n'a pas encore été noté dans les gisements du groupe de Rosnoën (voir planche I).

 


 

Épées à languette étroite et à quatre encoches :

Ce premier modèle est typique du groupe. J'ai pu observer une arme en parfait état et étudier un tronçon bien conservé (voir planche II). Le tronçon a une longueur de 32,2cm, ce qui suggère une longueur totale de l'ordre de 50cm. La languette légèrement trapézoïdale a la section d'une lentille biconvexe. Quatre encoches permettent le passage des rivets. Une trace de ricasso crénelé apparaît sur sa tranche. La lame est à bords parallèles, d'une largeur moyenne de 21mm et d'une épaisseur centrale d'environ 6mm. Le plat de la lame est légèrement biconvexe, les tranchants nettement biconcaves. L'aspect est robuste.

Épées à languette étroite et à trous de rivets :

Autre type caractéristique du groupe, celles qui m'ont été présentées ont une longueur de l'ordre de 50cm. La languette rectangulaire est légèrement trapézoïdale avec une section de la forme d'un losange. Un ricasso très bien dessiné évite de se blesser les doigts en maniant la lame. Les quatre rivets d'un diamètre de 6mm au centre peuvent atteindre 10mm à leurs extrémité. Un des exemplaires possède 6 rivets. La lame présente une nervure centrale large de 3cm et de forme légèrement biconvexe. Le tranchant est biconcave. Les lames sont à bord parallèles avec un léger rétrécissement vers le premier tiers supérieur. L'allure générale est celle d'une lame robuste. Certains fils ébréchés laissent supposer une utilisation éventuelle (voir planche III).

 

Les épées à soie rectangulaire et à trous de rivets sont réputées assez rares dans l'Ouest de la Bretagne. Les exemples que nous publions joints à ceux déjà publiés viennent légèrement corriger cette appréciation. Ils confirment d'autre part l'aire de répartition déjà définie pour ce type : un triangle dont les trois sommets sont la pointe de Bretagne, l'embouchure de la Seine (dragage de la Seine à Rouen) et l'embouchure de la Tamise (Tamise à Kingston). Voir planche IV.

 


 

Épées à languette trapézoïdale :

Une très belle lame de ce type faisait partie du premier lot qui m'a été communiqué. J'ai eu l'occasion d'en observer ensuite une seconde toute aussi élégante quoique plus robuste (voir planche V).

 


 

La languette est un trapèze présentant deux encoches à sa base (large de 50mm) et deux gros rivets à sa partie supérieure (large de 30mm). Aucun ricasso, la forme ne s'y prête pas. Le plat est légèrement biconvexe et les tranchants faiblement biconcaves. La lame est longue de 47cm, à bords parallèles, se raccordant à la languette trapézoïdale par deux arcs d'une ligne parfaite. Les rivets sont importants : de 8 à 8,5mm au centre et 10mm à la périphérie.


 

L'allure générale est très élégante, en excellent état. L'impression qui se dégage est celle d'un objet de cérémonie, cette arme serait bien fragile. On imagine un très beau manche comme celui de l'épée de Saint-Genouph (Indre et Loire). Voir planche VI.

 

 

Ces courtes épées généralement décrites sous le nom de rapières occupent une position particulière. En Bretagne on les trouve principalement à l'embouchure de la Loire. Elles sont considérées comme très rares dans les Côtes d'Armor et le Finistère, un jugement que ces deux exemplaires permettent de nuancer. Elles présentent une parenté très nette avec des rapières trouvées en Angleterre et sont souvent désignées comme "rapières britanniques". Les corrélations déjà notées entre les types à languette étroite du dépôt de Rosnoën et les épées britanniques (type de "Penard"), viennent conforter l'idée d'un groupe présent sur les deux rives de la Manche.


 

Les rapières à base trapézoïdale ont généralement été trouvées hors de tout gisement, souvent lors de dragages, ce qui a pu rendre leur datation délicate. J. Briard les situe dans la troisième période du bronze moyen, immédiatement après le groupe de Rosnoën. L'élégance de la lame, la technique de fixation du manche, le voisinage géographique, plaident effectivement pour une relation avec le groupe de Tréboul. Leur présence dans le gisement de Rosnoën modifie à peine cette appréciation, on pourrait cependant considérer l'épée à languette trapézoïdale comme l'un des types du groupe de Rosnoën plutôt que comme une forma intermédiaire.


 

Une offrande faite aux dieux :

Le nombre et la beauté des pièces trouvées à Rosnoën nous laissent imaginer un lieu d'exception. Les tourbières ont toujours été des endroits privilégiés pour les offrandes aux dieux, de même que les embouchures des rivières. Les belles lames à languette trapézoïdales, en particulier, excitent l'imagination. Leurs parentes du Bronze moyen, les rapières du groupe Tréboul-St Brandan ont été décrites comme des épées cérémonielles. Elles mêmes sont présentes dans les lieux liés au culte de l'eau et du soleil. Il est dommage que le dépôt de Rosnoën n'ait pas livré les manches accompagnent ces lames. Celui de l'épée de Saint-Genouph (7) pourrait s'y adapter à la perfection et nous donner une idée de la beauté de l'ensemble.


 

J. Briard (9) suppose que, comme le sabre d'Arthur des cérémonies druidiques, elles ont pu être brandies par les prêtres de l'âge du bronze en direction des quatre points cardinaux. Si on se souvient que ces lames de bronze poli pouvaient avoir la couleur et l'éclat de l'or, on les imagine brillant dans le ciel comme autant de rayons arrachés au soleil.

 

 

Les lames des épées cérémonielles, comme un rayon arraché au soleil.


 

Bibliographie :

1- Joseph Déchelette. Archéologie celtique tome II Paris 1924.

2- P.R. Giot. Bulletin de la Société Archéologique du Finistère 1949.

3- Le Télégramme 9 Mars 1949

4- J. Briard. Travaux du laboratoire d'Anthroplogie et de Préhistoire de la Faculté des Sciences de Rennes 1958 "Le dépôt de penarvern en Rosnoën (Finistère)".

5- J. Briard. "Les dépôts bretons et l'âge du Bronze Atlantique" Rennes 1965.

6- C.B. Burgess. The later bronze age in the british isles an north-western france-Archeological journal- 1968.

7- G.Gaucher et J.P Mohen typologie des objets de l'âge du bronze en France 1972.

8- R. Giot, J. Briard, L. Pape. Protohistoire de la Bretagne. Ouest-France Université 1979.

9- J. Briard. Mythes et Symboles de l'Europe préceltique – Les religions de l'âge du bronze (2500-800 Av JC) 1987.

 

A suivre :

 

Un fascicule de ce travail a été remis à la famille de Marie Cabon, fille de M Rosmorduc.

 

Il a également été adressé à Jacques Briard, directeur de recherche au CNRS à l'université de Rennes I qui fait mention manuscrite de notre apport sur le tiré à part de son article de 1990 adressé à l'auteur : "Tréboul et Rosnoën 40 ans après". Il y note que "le présent article fait l'inventaire des découvertes récentes qui montre la stabilité de ces ensembles avec des éléments nouveaux : plus forte poussée orientale du groupe de Tréboul et plus fortes composantes continentales du groupe de Rosnoën.".

 

Ainsi le hasard d'une expérience pédagogique aura apporté sa modeste contribution à la connaissance de l'Age du Bronze en Bretagne.

 

 

En 2008 paraît un article de Renaud Nallier et Michel Le Goffic : "Rosnoën 60 ans après. Compléments et révisions concernant le dépôt de l'âge du bronze final de Penavern (Finistère)". Il confirme ce que nous avions développé en 1985 sur les circonstances de la découverte, sur le nombre réel des objets découverts, et sur une possible révision de la typologie, en particulier dans le domaine des épées à languette trapézoïdale.
 

 

 

Les épées du groupe de Rosnoën.

 

Après une visite de son atelier situé rue des Boucheries à Landerneau, Joël Beyou, bronzier d'art, a reproduit cette superbe épée de Saint Brandan.

Souvenir d'Escalibur, l'épée du roi Arthur.

 

 

 

 

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4 octobre 2023 3 04 /10 /octobre /2023 14:59

Une publication importante au moment où les chercheurs sont régulièrement attaqués dans certaines presses et réseaux sociaux.

 

 Le COMETS publie un nouvel Avis «  Entre liberté et responsabilité : l’engagement public des chercheurs et chercheuses  » (n°2023-44), approuvé le 23 juin 2023.

 

Interview de Christine Noiville, présidente du Comets, sur l’avis 2023-44

 

extrait :

 

RÉSUMÉ – Que des personnels de recherche s’engagent publiquement en prenant position dans la sphère publique sur divers enjeux moraux, politiques ou sociaux ne constitue pas une réalité nouvelle. Aujourd’hui toutefois, face aux nombreux défis auxquels notre société est confrontée, la question de l’engagement public des chercheurs s’est renouvelée. Nombre d’entre eux s’investissent pour soutenir des causes ou prendre position sur des enjeux de société – lutte contre les pandémies, dégradation de l’environnement, essor des technologies de surveillance, etc. – selon des modalités variées, de la signature de tribunes à la contribution aux travaux d’ONG ou de think tanks en passant par le soutien à des actions en justice ou l’écriture de billets de blog. Par ailleurs, le développement des médias et des réseaux sociaux a sensiblement renforcé l’exposition publique des chercheurs engagés.

 

Dans le même temps, de forts questionnements s’expriment dans le monde de la recherche. Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les modalités de l’engagement public, son opportunité et son principe même. Ils se demandent si et comment s’engager publiquement sans mettre en risque leur réputation et les valeurs partagées par leurs communautés de recherche, sans déroger à la neutralité traditionnellement attendue des chercheurs, sans perdre en impartialité et en crédibilité. Ce débat, qui anime de longue date les sciences sociales, irrigue désormais l’ensemble de la communauté scientifique.

 

C’est dans ce contexte que s’inscrit le présent avis. Fruit d’une auto-saisine du COMETS, il entend fournir aux chercheurs des clés de compréhension et des repères éthiques concernant l’engagement public.

 

Le COMETS rappelle d’abord qu’il n’y a pas d’incompatibilité de principe entre, d’un côté, l’engagement public du chercheur et, de l’autre, les normes attribuées ou effectivement applicables à l’activité de recherche. C’est notamment le cas de la notion de « neutralité » de la science, souvent considérée comme une condition indispensable de production de connaissances objectives et fiables. Si on ne peut qu’adhérer au souci de distinguer les faits scientifiques des opinions, il est illusoire de penser que le chercheur puisse se débarrasser totalement de ses valeurs : toute science est une entreprise humaine, inscrite dans un contexte social et, ce faisant, nourrie de valeurs. L’enjeu premier n’est donc pas d’attendre du chercheur qu’il en soit dépourvu mais qu’il les explicite et qu’il respecte les exigences d’intégrité et de rigueur qui doivent caractériser la démarche scientifique.

 

Voir le suite : https://comite-ethique.cnrs.fr/avis-du-comets-entre-liberte-et-responsabilite-engagement-public-des-chercheurs-et-chercheuses/

 

voir aussi :

 

 

https://scientifiquesenrebellion.fr/

 

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3 octobre 2023 2 03 /10 /octobre /2023 18:35

Une émission sur France Culture.

A écouter absolument.

 

 

 

Claude Lorius, explorateur polaire, pionnier de la glaciologie, a compris, dès les années 60 les relations les gaz à effet de serre et les climats. Lanceur d’alerte sur l’origine humaine sur les dérèglements actuels, il est décédé en mars 2023.

 

Le documentaire commence par l’écoute d’un enregistrement de glace de mer enregistré par Aline Pénitot, il y a dix ans, dans le fjord gelé d’Illulissat au Groenland. Avec la disparition progressive du glacier, ce son ne pourrait actuellement plus être enregistré. Le documentaire se termine par l’écoute de bulles d’air qui s’échappent d’une carotte de glace de 100 000 ans. Une carotte d’Antarctique étudiée au laboratoire des géosciences de l’environnement de Grenoble, fondé par Claude Lorius.

 

Claude Lorius est l’un des scientifiques les plus intuitifs de sa génération. Tout jeune chercheur, avide d’aventures, il répond à une annonce placardée sur les murs de Besançon. Il se retrouve sur le Norsel, un phoquier puant… en direction de l’Antarctique. Il savait alors à peine où se trouvait le continent blanc dont on connaissait d’ailleurs que très peu de choses. Il participe ainsi au premier hivernage en Antarctique lors de l’année géophysique internationale en 1957. Sa première grande découverte aura été de permettre de reconstituer la température de la neige au moment de sa chute. Nous ne savions alors rien de la température des pôles.

 

Pionnier de la recherche sur les glaces des pôles, il participera ensuite à plus de 22 expéditions dans les milieux extrêmes. Lors de son second hivernage, il va avoir une intuition déterminante pour la compréhension de la machine climatique. En plongeant des glaçons dans un Whisky, il observe que des bulles d’air se mettent à pétiller. La glace ancienne qui se trouve en Antarctique capture donc l’atmosphère du passé. Il faudra attendre plusieurs décennies de recherche pour que trois articles sortent dans Nature : les liens entre l’évolution du dioxyde de carbone et l’évolution des climats sur 150 000 ans sont sans ambiguïtés. Il démontre alors l’influence humaine sur l’évolution du climat depuis le début de l’air industrielle.

 

Comme en témoignent ses compagnons de route, Jean Jouzel ou Jérôme Chappellaz, il est aussi un scientifique des plus attachants, il a su rassembler autour de lui une communauté de scientifiques polaires internationaux.

 

« Il y a deux façons de raconter cet épisode-là. L’aventurière d'abord : le froid incroyable, les sacs de couchage couverts du givre de nos respirations, les pensées bloquées par le gel, 2 500 kilomètres à travers l’inlandsis, découvrant une chaîne de montagnes inexplorées (…) Et puis il y a la manière scientifique de raconter tout ça : géodésie pour fournir les repères géographiques, mesure des altitudes, détermination des épaisseurs de glace par prospections gravimétriques et sismiques, stations glaciologiques, données météorologiques... » Raconte-t-il dans Voyage dans l’Anthropocène co-écrit avec le journaliste Laurent Carpentier.

 

Claude Lorius a disparu à 91 ans, au lendemain de la publication du rapport du Giec 2023.

 

Un documentaire d’ Aline Penitot , réalisé par Gilles Blanchard .

 

Avec :

 

Jean Jouzel, glaciologue, paléoclimatologue, figure emblématique de la lutte contre le réchauffement climatique, vice-président du groupe d'expert n°1 du Giec, membre de l’académie des sciences de France, d’Italie, de d’Europe et des Etats-Unis. Lauréat du prix Vetlesen, considéré comme l’équivalent du prix nobel pour les sciences de la Terre.

 

Jérôme Chappellaz, paléoclimatologue, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, ancien Directeur de l’Institut polaire Paul Emile Victor, Président de la fondation Ice Mémory

 

Laurent Carpentier, journaliste au Monde, co-auteur avec Claude Lorius de Voyage dans l’Anthropocène, publié chez Actes Sud.

 

Anne-Christine Clottu-Vogel, Ancienne secrétaire générale de l’Académie suisse des sciences naturelles, Présidente de nombreuses institutions pour développement durable et social, compagne de Claude Lorius.

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25 septembre 2023 1 25 /09 /septembre /2023 12:43

 

Il a cru en la possibilité d’un changement avec l’élection d’Emmanuel Macron, il en est revenu. Pour Reporterre, le climatologue Jean Jouzel confie son soutien à « toutes les formes d’engagement ».

 

Jean Jouzel, 76 ans, est un infatigable porte-parole de la lutte contre le changement climatique. Climatologue et glaciologue, il s’est fait connaître en 1987 en publiant, avec Claude Lorius, la première étude établissant formellement le lien entre concentration de CO₂ dans l’atmosphère et réchauffement climatique.

 

Il a été vice-président du Groupe 1 du Groupement intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) de 2002 à 2015. En février dernier, il a reçu le prix Vetlesen, considéré comme l’équivalent pour les sciences de la Terre du prix Nobel. Reporterre l’a rencontré, une heure durant, dans un jardin du XIIᵉ arrondissement de Paris.




Reporterre — Ce lundi 25 septembre, Emmanuel Macron doit détailler le plan de « planification écologique » du gouvernement. Qu’attendez-vous de ces annonces ?

 

Jean Jouzel — À vrai dire, elles me préoccupent peu. Je sais qu’elles ont été préparées sérieusement par l’équipe d’Antoine Peillon [le secrétaire général à la Planification écologique].

 

Elles iront dans le sens de la feuille de route du pays, qui est ambitieuse : la France s’est engagée à réduire de 55 % ses émissions à l’horizon 2030 [par rapport à 1990], et souhaite atteindre la neutralité carbone en 2050. J’adhère à ces objectifs.

 

Mais on connaît bien le problème actuel : il y a un fossé entre les annonces et leur mise en œuvre. Il manque un gouvernement qui ait de l’entrain, qui se décide à entraîner franchement les citoyens, les élus et les entreprises dans ce grand défi. Pour cela, il faudrait déjà qu’à la tête de l’État, Emmanuel Macron cesse de semer la confusion en déclarant, par exemple, que « la France, c’est 1 % des émissions mondiales ».

 

Ce faisant, le président minimise la responsabilité historique de la France dans le changement climatique, tout en relativisant l’importance et l’ampleur du travail qu’elle doit fournir. [Il marque une pause] Cette déclaration m’a agacé. C’est démotivant, ce n’est pas comme ça qu’on va réussir à emmener tout le monde sur le chemin de la sobriété : il offre une porte de sortie rêvée à celles et ceux qui ne souhaitent pas bouger. Et ce n’est pas une bonne façon de vendre le travail qui est fourni par ailleurs.



Vous avez rencontré la majorité des présidents de la Vᵉ République. On vous sent particulièrement déçu par Emmanuel Macron…

 

Oui, parce qu’au moment de son élection, j’avais placé pas mal d’espoir en lui. J’étais confiant. Je l’ai rencontré il y a pile dix ans, en 2013, après que le Giec a adopté le rapport du Groupe 1 à Stockholm. J’étais invité par le président François Hollande pour présenter ces travaux, et il était là [Emmanuel Macron était secrétaire général adjoint du cabinet du président de la République].

 

J’ai échangé quelques mots avec lui et je l’ai senti sincèrement intéressé. Quand il s’est présenté à la présidentielle de 2017, j’étais prêt à lui apporter mon soutien. Il venait quand même d’un gouvernement de gauche et — c’est de notoriété publique — ma sensibilité est à gauche. J’étais à l’Élysée le jour de son intronisation en 2017.

« Emmanuel Macron venait quand même d’un gouvernement de gauche. [...] J’étais à l’Élysée le jour de son intronisation. » © Mathieu Génon / Reporterre

 

Depuis, même si je sais la difficulté de gouverner, j’ai eu des déceptions. Récemment, il y a eu l’épisode de ses vœux aux Français pour l’année 2023 et sa phrase « Qui aurait pu prédire […] la crise climatique aux effets spectaculaires, cet été dans notre pays ? » Je ne comprends toujours pas comment il a pu dire cela, alors qu’il me citait en 2016 dans son livre « Révolution », en disant que Jouzel ne peut pas se tromper.

 

Mais mon enthousiasme avait déjà été bien entamé au moment de la Convention citoyenne pour le climat. J’ai vécu cette initiative de l’intérieur : le processus était remarquable et les propositions établies par les citoyens tirés au sort étaient vraiment ambitieuses. Emmanuel Macron aurait pu — et dû — prendre ces mesures à bras-le-corps. Mais à la fin, la plupart n’ont même pas été prises en compte. Je reste persuadé qu’il est passé à côté d’un grand effet d’entraînement de la société.

 

« J’ai le sentiment qu’Emmanuel Macron aimerait réussir, mais sans prendre les décisions nécessaires »

 

Le gouvernement s’y était déjà pris comme un manche avant le mouvement des Gilets jaunes. La taxe carbone, telle qu’elle était envisagée, était injuste : cette réforme aurait mis à genoux les personnes aux revenus les plus modestes, en leur demandant de contribuer trois fois plus que celles aux revenus les plus élevés. C’est une platitude, mais sans justice sociale, on ne pourra pas y arriver.

 

Quand le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz est sorti — celui qui a évalué à 66 milliards d’euros supplémentaires par an, d’ici à 2030, les sommes à investir pour atteindre la neutralité carbone — la recommandation qui consistait à taxer les riches a été balayée avec empressement par l’exécutif. C’est comme s’il s’était promis de ne pas demander plus d’efforts aux riches ; ce qui est quand même assez incompatible avec la lutte contre le changement climatique. En résumé, j’ai le sentiment qu’Emmanuel Macron aimerait réussir, mais sans prendre les décisions nécessaires, parce qu’elles heurtent sa pensée ultra libéraliste.



Le 29 août 2023, vous avez participé à un débat à l’université d’été du Medef, à l’hippodrome de Longchamp. Vous avez rappelé, devant des chefs d’entreprise et face à Patrick Pouyanné, PDG de TotalÉnergies, qu’il fallait cesser d’investir dans les énergies fossiles. La réponse de Patrick Pouyanné : « Cette transition, je suis désolée Jean, mais elle prendra du temps. J’assume de poursuivre mes investissements pétro-gaziers car la demande croît. Je respecte l’avis des scientifiques, mais il y a la vie réelle ». Vous vous en êtes ému dans plusieurs sorties médiatiques. Pourquoi ce moment vous a-t-il tant remué ?

 

Ce jour-là, je n’ai rien dit d’exceptionnel. J’ai rappelé des faits désormais bien connus, qui se trouvent dans le rapport du Giec. J’ai mentionné l’écrasante responsabilité des combustibles fossiles dans l’augmentation de l’effet de serre. J’ai dit qu’au regard de ces connaissances, j’étais totalement en phase avec le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, qui appelle à cesser les investissements dans le secteur fossile.

 

Ce n’est pas la première fois que j’interagis avec Patrick Pouyanné et sa réaction ne m’a pas surprise. Il est dans son rôle. Il est PDG d’une entreprise pétrolière qui a intérêt à ce que la transition prenne du temps. Et quand il parle de « la vie réelle », il n’a pas forcément tort : nos modes de transport sont encore très largement fossiles, pareil pour le chauffage domestique. Même si des choses se passent, aujourd’hui, nos sociétés dépendent largement des énergies fossiles.

« Le capitalisme actuel est fort incompatible avec ce qui est nécessaire si on veut prendre la mesure du réchauffement climatique. » © Mathieu Génon / Reporterre

 

Mais la différence entre lui et moi, c’est qu’il s’accommode bien de cette « vie réelle » et des profits qu’elle lui permet de réaliser. De mon côté, je dis que ça ne doit pas durer : cette « vie réelle », ce sont aussi les incendies au Canada qui brûlent l’équivalent d’un quart de la surface de la France, les plus de 10 000 morts en Libye, les pluies torrentielles en Grèce, les canicules à répétition, l’Iran qui se met à l’arrêt pendant deux jours parce qu’il fait 55 °C…

 

En ayant pris 1 degré supplémentaire, force est de constater que ce que nous avions anticipé au cours des cinquante dernières années se réalise sous nos yeux. Dans ce contexte, ce qui m’a chiffonné, c’est d’avoir reçu un accueil glacial, et que le discours de Patrick Pouyanné puisse être applaudi chaudement — même au Medef, car je considère la transition écologique comme une grande opportunité pour les entreprises.



N’est-il pas temps d’entrer en rupture avec Pouyanné et le capitalisme fossile, d’arrêter de négocier ?

 

Le capitalisme actuel est, en effet, fort incompatible avec ce qui est nécessaire si on veut prendre la mesure du réchauffement climatique. Pouyanné incarne ce capitalisme ultralibéral. La libéralisation de l’économie a eu des effets assez terribles.

 

« Si on ne donne pas de limites au capitalisme, on ne s’en sortira pas »

 

Aujourd’hui, les entreprises sont moins au service de la société qu’aux actionnaires. Leur vision, c’est la rentabilité à court terme et elles continuent d’orienter la demande future vers les fossiles.



Quand vous parlez du capitalisme « actuel », c’est que vous pensez qu’il peut être réformé ? Une récente étude publiée dans la revue Lancet Planetary Health, indique que la croissance est incompatible avec la préservation d’un climat vivable sur Terre.

 

Si on ne donne pas de limites au capitalisme, on ne s’en sortira pas. Est-ce qu’on pourrait avoir un capitalisme plus assagi, qui prendrait mieux en compte les problèmes environnementaux ? J’aimerais, même si je ne suis pas naïf.

 

J’aimerais que le capitalisme se mette au service de la société, tienne compte des gens, de ses externalités, que l’État ait plus de poids. Il faudrait que l’OMC, l’épine dorsale du capitalisme, donne un prix sérieux au carbone. Ce serait moins mal que l’ultralibéralisme actuel. C’est peut-être un vœu pieux, mais je n’ai pas d’autre proposition.



Le 14 septembre dernier, vous avez signé avec plus de 300 scientifiques une tribune, publiée dans « Le Monde », appelant le gouvernement et l’Assemblée nationale à soutenir un traité de non-prolifération des énergies fossiles. Faut-il démanteler l’industrie fossile avant qu’elle ait épuisé ses actifs ?

 

Du point de vue des sciences du climat, oui. Nous sommes à un moment de bascule pour préserver les conditions d’habitabilité de notre planète et, comme l’a souligné le dernier rapport du Groupe 3 du Giec, respecter l’objectif fixé par l’accord de Paris d’un réchauffement de 1,5 °C ou de 2 °C nous impose d’abandonner de façon prématurée les infrastructures utilisant des énergies fossiles.

 

Pareil pour les nouveaux projets, évidemment. C’est pourquoi nous avons demandé à TotalÉnergies d’abandonner, par exemple, le projet d’oléoduc de pétrole géant East African Crude Oil Pipeline (Eacop), en Ouganda et en Tanzanie.

« Respecter l’objectif fixé par l’accord de Paris d’un réchauffement de 1,5 °C ou de 2 °C nous impose d’abandonner de façon prématurée les infrastructures utilisant des énergies fossiles. » © Mathieu Génon / Reporterre

 

Après, je reconnais que derrière, ça pose plusieurs problèmes. Pour que ça marche, il faut que ce soit acceptable notamment pour le continent africain qui cherche à se développer avec l’argent de son pétrole. Cela implique de déployer massivement les énergies renouvelables, et aussi d’être à la hauteur du point de vue de la solidarité.

 

Je suis révolté par le temps qui est pris par les pays développés pour réunir les « 100 milliards de dollars par an » qu’ils se sont engagés, en 2009 à Copenhague, à fournir aux pays en développement à partir de 2020, pour financer leurs actions de lutte contre le changement climatique. On n’y est pas, alors qu’on a bien vu pendant la pandémie de Covid-19 qu’on était capable de faire des plans Marshall pour des crises majeures.

 



Ces derniers temps, comme l’a analysé le journaliste du « Monde » Stéphane Foucart, l’aggravation des effets du réchauffement coïncide avec un retour du climatoscepticisme. Avez-vous vu venir ce phénomène ?

 

Le climatoscepticisme a muté, parce qu’il était dos au mur. Plus personne ne peut décemment dire que « le Giec exagère » et même le député RN Thomas Ménagé est revenu sur sa déclaration. On les entend moins sur le déni de la réalité scientifique du changement climatique ou de la responsabilité humaine, où ils ont perdu la bataille.

 

Mais ils ont trouvé d’autres voies pour s’exprimer. Ils versent, notamment, dans le « rassurisme » : ils nous rassurent sur le fait qu’on va pouvoir s’adapter, même en conservant nos modes de vie actuels grâce à des solutions technologiques. Ce qui m’inquiète, c’est que ces discours sont assez généralisés, et notamment dans le monde politique.

 

La porte de sortie qu’on voit venir gros comme une maison, c’est la géoingénierie, avec l’ensemencement des nuages ou l’injection de particules de soufre dans la stratosphère. Ce ne sont pas des solutions, ce sont des épées de Damoclès sur les générations futures.



Que pensez-vous des actions menées par des collectifs comme les Soulèvements de la Terre ? Après toutes ces années à tenter d’alerter les décideurs, à les pousser à changer de braquet, défendez-vous l’idée qu’on s’oppose frontalement à la machine ?

 

Je respecte et je soutiens toutes les formes d’engagement, dont les actions des Soulèvements de la Terre. J’ai été extrêmement choqué par l’utilisation du terme d’« écoterrorisme » par Gérald Darmanin. Je suis assez proche du monde agricole et, même quand les agriculteurs mènent des manifestations qui se terminent par de la casse, on ne parle jamais d’« agriterrorisme ». J’espère que Gérald Darmanin sera débouté une seconde fois dans l’affaire de la dissolution des Soulèvements de la Terre.

« J’ai dû faire à peu près toutes les marches climat. Je regrette qu’il n’y en ait plus. » © Mathieu Génon / Reporterre



Est-ce qu’on vous retrouvera un jour dans une action de désobéissance civile aux côtés des Scientifiques en rébellion, la main collée à une BMW ?

 

[Il rit] Je me trouve un peu vieux pour faire tout ça, donc je ne vous promets rien, mais les Scientifiques en rébellion ont toute mon amitié et mon soutien. En revanche, j’ai dû faire à peu près toutes les marches climat. Je regrette qu’il n’y en ait plus.



Avez-vous l’espoir que la COP28, à Dubaï, mène à des avancées importantes ?

 

Chaque continent a le droit d’organiser la COP, il faut que ça tourne. Évidemment, on ne peut pas aller à Dubaï sans que pratiquement tous les ministres aient le bras dans le pétrole jusqu’au coude. Mais je suis un éternel optimiste et je pense qu’on ne peut pas discuter de la fin des fossiles sans les producteurs. Il faut essayer de mettre une date sur la fin des énergies fossiles.

 

Ma principale crainte, c’est que la COP28 se transforme en grande promotion de la capture et du stockage du carbone, voire de la géoingénierie. Elle sera, en tout cas, très importante, car elle doit permettre de mesurer le retard pris par rapport aux objectifs de l’Accord de Paris, et doit permettre d’avancer sur l’indemnisation des pertes et dommages.

 

J’ai participé à toutes les COP depuis 2000 ou 2001 et on me demande souvent à quoi riment les COP et le Giec. J’estime que la communauté scientifique a joué son rôle et, même si on est encore loin du compte, je n’imagine pas un monde sans COP. On n’en serait nulle part.

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8 septembre 2023 5 08 /09 /septembre /2023 14:30

 

 

Dans le recueil des Mémoires de l’Académie des sciences pour l’année 1783, paraît un article de Lavoisier qui, lors de sa lecture publique, fait l’effet d’une bombe dans le monde confortablement installé des phlogisticiens.


Son mémoire est présenté comme une suite de la théorie de la combustion et de la calcination qu’il avait publiée en 1777 et dans laquelle il avait introduit la notion de « principe oxygine ». « Ce principe une fois admis, écrit-il, les principales difficultés de la chimie ont paru s’évanouir et se dissiper, et tous les phénomènes se sont expliqués avec une étonnante simplicité. »


Le phlogistique : « une erreur funeste »

 
Pour autant, la théorie du phlogistique, inspirée de Stahl, est encore dominante. Il importe donc d’en faire une critique serrée qui ne laisse plus aucune porte de sortie aux adversaires. Dès l’introduction, le ton est donné :

 

« Si tout s’explique en chimie d’une manière satisfaisante sans le secours du phlogistique, il est par cela seul infiniment probable que ce principe n’existe pas ; que c’est un être hypothétique, une supposition gratuite ; et, en effet, il est dans les principes d’une bonne logique de ne point multiplier les êtres sans nécessité. Peut-être aurais-je pu m’en tenir à ces preuves négatives, et me contenter d’avoir prouvé qu’on rend mieux compte des phénomènes sans phlogistique qu’avec le phlogistique ; mais il est temps que je m’explique d’une manière plus précise et plus formelle sur une opinion que je regarde comme une erreur funeste à la chimie, et qui me paraît en avoir retardé considérablement les progrès par la mauvaise manière de philosopher qu’elle y a introduite. Je prie mes lecteurs, en commençant ce mémoire, de se dépouiller, autant qu’il sera possible, de tout préjugé ; de ne voir dans les faits que ce qu’ils présentent, d’en bannir tout ce que le raisonnement y a supposé, de se transporter aux temps antérieurs à Stahl, et d’oublier pour un moment, s’il est possible, que sa théorie a existé. »


Si Lavoisier reconnaît à Stahl le mérite d’avoir montré, d’une part, que la calcination des métaux est une véritable combustion, et, d’autre part, que le charbon est nécessaire à la réduction des chaux métalliques en métaux, son mérite s’arrête là : « Si Stahl se fût borné à cette simple observation, son système ne lui aurait pas mérité sans doute la gloire de devenir un des patriarches de la chimie, et de faire une sorte de révolution dans la science. »


Aussi s’attaque-t-il non pas à Stahl, mais aux développements qu’ont donnés, à la théorie, les principaux chimistes européens. C’est d’abord à ses compatriotes Macquer et Baumé qu’il réserve ses critiques en démontant point par point leur argumentation. Et en guise de conclusion :

 

« Toutes ces réflexions confirment ce que j’ai avancé, ce que j’avais pour objet de prouver, ce que je vais répéter encore, que les chimistes ont fait du phlogistique un principe vague qui n’est point rigoureusement défini, et qui, par conséquent, s’adapte à toutes les explications dans lesquelles on veut le faire entrer ; tantôt ce principe est pesant, et tantôt il ne l’est pas ; tantôt il est le feu libre, tantôt il est le feu combiné avec l’élément terreux ; tantôt il passe à travers les pores des vaisseaux, tantôt ils sont impénétrables pour lui ; il explique à la fois la causticité et la non- causticité, la diaphanéité et l’opacité, les couleurs et l’absence des couleurs. C’est un véritable Protée qui change de forme à chaque instant. »

 

Reste maintenant à étayer la théorie adverse, celle du principe oxygine. Sans doute Lavoisier estime-t-il l’avoir suffisamment fait dans son mémoire de 1777 auquel il invite à se reporter, car il n’apporte aucun développement supplémentaire. La nouveauté de ce mémoire, daté de  1783, consiste en une réflexion « sur la nature de la chaleur et sur les effets généraux qu’elle produit ».


Le phlogistique n’existe pas, mais la chaleur si. Laplace et Lavoisier l’ont mesurée.

 

Après avoir prouvé que le phlogistique, matière du feu, n’est qu’une hypothèse inutile et même dangereuse, reste à expliquer la chaleur qui, elle, existe et s’observe à chaque moment de l’activité d’un chimiste. Impossible de ne pas en parler si on veut répondre à toutes les objections que fait naître la mort du phlogistique.À l’image du « fluide  électrique », Lavoisier imagine qu’il existe un « fluide igné » et qui serait la matière de la chaleur. Plus précisément, il distingue deux types de chaleurs. L’une, la « chaleur libre »,  est celle qui circule naturellement d’un corps chaud vers un corps froid en élevant la température de l’un et en abaissant celle de l’autre. La seconde, la « chaleur combinée », est celle qui, par exemple, va faire fondre la glace sans que sa température ne varie.

 

Le lien entre les deux ?

 

« La chaleur qui disparaît au moment où la glace se convertit en eau, est de la chaleur qui passe de l’état libre à l’état combiné ; cette quantité de chaleur est constante et déterminée. On a observé, en effet, que, pour fondre une livre de glace, il fallait une livre d’eau à 60 degrés d’un thermomètre à mercure divisé en quatre-vingts parties : il n’existe plus de glace quelques instants après ce mélange, et toute l’eau est exactement à zéro du thermomètre. Il est clair que, dans cette expérience, la quantité de chaleur nécessaire pour élever une livre d’eau, de zéro du thermomètre à 60 degrés, a été employée à fondre une livre de glace, ou, en d’autres termes, que cette chaleur a passé de l’état libre à l’état combiné. »

 

La fusion de la glace est donc un bon moyen de mesurer une quantité de chaleur, le thermomètre n’étant, lui, qu’un moyen de repérer une température. De là, un dispositif imaginé par Laplace :

 

« Lorsque le thermomètre monte, c’est une preuve qu’il y a un écoulement de chaleur libre qui se répand dans les corps environnants : le thermomètre, qui est au nombre de ces corps, en prend sa part en raison de sa masse et de la capacité qu’il a lui-même pour contenir la chaleur. Le changement du thermomètre n’annonce donc qu’un déplacement de la matière de la chaleur ; il n’indique tout au plus que la portion qu’il en a prise ; mais il ne mesure pas la quantité totale qui a été dégagée, déplacée ou absorbée.


Nous n’avons encore de moyen exact pour remplir cet objet que celui imaginé par M. de Laplace. (Voy. Mém. de l’Acad., 1780, page 364.) Il consiste à placer le corps et la combinaison d’où se dégage la chaleur au milieu d’une sphère creuse de glace : la quantité de glace fondue est une mesure exacte de la quantité de chaleur qui s’est dégagée. »

 

Le mémoire de 1780, cité ici, est un véritable cours de calorimétrie qui pourrait valoir à Laplace et Lavoisier le titre de fondateurs de cette discipline. Les travaux de leurs contemporains y sont rappelés, mais leur apport est déterminant. Des termes, encore utilisés, y sont définis : capacité de chaleur (aujourd’hui « capacité calorifique »), chaleur spécifique. Une unité de mesure est même proposée :

 

« Si l’on suppose deux corps égaux en masse, et réduits à la même tempé- rature, la quantité de chaleur nécessaire pour élever d’un degré leur température peut n’être pas la même pour ces deux corps ; et, si l’on prend pour unité celle qui peut élever d’un degré la température d’une livre d’eau commune, on conçoit facilement que toutes les autres quantités de chaleur, relatives aux différents corps, peuvent être exprimées en parties de cette unité. »

 

La chaleur spécifique de l’eau sera donc prise comme unité. C’est de cette façon que sera définie, au début du xixe siècle, la « grande » calorie, qui est la quantité de chaleur nécessaire pour élever de 1 °C la température de 1 kg d’eau, ou la « petite » calorie, qui élève la température de 1 g d’eau de 1 °C.

 

Après l’unité, l’appareil de mesure. Lavoisier lui donne le nom de « calorimètre » tout en s’excusant d’avoir ainsi réuni « deux dénominations, l’une dérivée du latin, l’autre dérivée du grec », se justifiant par le fait que « en matière de science on pouvait se permettre moins de pureté dans le langage, pour obtenir plus de clarté dans les idées ». Il est vrai que le mot de « thermomètre », issu du seul grec, était déjà pris.

 

 

Le calorimètre est dérivé de l’idée de la sphère de glace creuse. Une enceinte extérieure est remplie de glace. Elle sert de couche isolante constamment maintenue à zéro degré de température.

 

À l’intérieur, un volume lui-même rempli de glace comporte, en son centre, un espace grillagé pour contenir le corps qui apporte de la chaleur. Celle-ci sera mesurée par le volume de glace fondue.

 

Au préalable, les expérimentateurs auront déterminé la chaleur latente de fusion de la glace, c’est-à-dire la quantité de chaleur nécessaire pour faire fondre une masse donnée de glace : « La chaleur nécessaire pour fondre la glace est égale aux trois quarts de celle qui peut élever le même poids d’eau de la température de la glace fondante à celle de l’eau bouillante. » Nous laisserons, encore une fois, aux apprentis physiciens qui le souhaiteraient, le soin de vérifier que cette valeur est proche de nos mesures contemporaines.

 

Dans ce premier mémoire, ce sont ainsi onze chaleurs spécifiquesqui sont mesurées, en  prenant pour valeur unité celle de l’eau. Dans le traité qu’il publie en 1789, Lavoisier indique qu’il attend un tableau plus complet pour le publier, car, dit-il, « nous ne le perdons pas de vue & il n’y a point d’hiver que nous ne nous en soyons plus ou moins occupés ». C’est dire l’intérêt de Lavoisier pour cette nouvelle discipline. Mais il est vrai que les hivers qui suivront celui de 1789 lui seront certainement moins propres à de telles occupations. La liste s’arrêtera donc là.

 

Nous n’en dirons pas plus sur ces avancées vers le concept de « chaleur » (une théorie cinétique de la chaleur est même évoquée). Pour en rester à la chimie, il est important de noter que les réflexions de Lavoisier sur la chaleur seront à l’origine d’une clarification de la notion d’« état de la matière ».

 

La matière dans ses trois états.

 

Quel est l’effet physique de la chaleur sur les corps ? « Lorsqu’on échauffe un corps quelconque, solide ou fluide, écrit Lavoisier, ce corps augmente de dimension dans tous les sens, il occupe un volume de plus en plus grand ; si la cause échauffante cesse, à mesure que le corps se refroidit, il repasse par les mêmes degrés d’extension qu’il a parcourus ; enfin, si on le ramène au même degré de température qu’il avait dans le premier instant, il reprend sensiblement le même volume qu’il avait d’abord. »

 

Explication ? Le fluide igné aurait une propriété répulsive (n’oublions pas que la répulsion est aussi l’une des propriétés de ce fluidenouvellement étudié qu’est  l’électricité). Chauffer un corps, ce serait y faire entrer du fluide igné avec pour effet d’écarter ses molécules constitutives et donc de provoquer une dilatation. À l’inverse, le refroidissement s’accompagnerait d’une sortie du fluide, donc du rapprochement des molécules. Cette hypothèse est à même d’expliquer bien des phénomènes. En particulier, le passage du solide au liquide puis au gaz.

 

La distinction visible entre un solide, un liquide, un gaz, était certainement l’une des origines de la théorie des quatre éléments, la terre, l’eau et l’air étant des modèles parfaits de chacun de ces états. Lavoisier introduit une théorie du « changement d’état » qui participe à la ruine de cette ancienne doctrine.

 

Constater que l’eau qui devient de la glace est encore de l’eau et qu’elle le demeure quand elle devient vapeur est déjà une chose. Généraliser le phénomène à tous les corps est une autre étape que Lavoisier n’hésite pas à franchir. Imaginons, dira-t-il dans son Traité élémentaire de chimie publié en 1789, que la Terre se trouve tout à coup placée dans des régions très froides : « L’eau qui forme aujourd’hui nos fleuves et nos mers, et probablement le plus grand nombre des fluides que nous connaissons, se transformerait en montagnes solides, en rochers très durs. » L’air même et les substances aériformes qui le composent se présenteraient sous forme « de nouveaux liquides dont nous n’avons aucune idée ».

 

Penser que l’air puisse devenir liquide, et même solide, si on le refroidit encore plus, tout en restant de l’air, nécessite une sérieuse argumentation.

 

Qu’est-ce qu’un solide ? Lavoisier l’imagine formé de molécules qui, à la température ambiante, ne se touchent pas. En effet, quand le corps se refroidit, il se contracte sous l’effet du départ d’une partie du fluide igné accumulé entre ses molécules. Il faudrait donc un froid excessivement vif pour que les molécules se touchent. Mais alors, comment expliquer la cohésion d’un solide et son passage aux autres états ? La théorie de l’attraction gravitationnelle de Newton est mise à contribution :

 

« Tous les corps de la nature obéissent à deux forces : le fluide igné, la matière du feu, qui tend continuellement à en écarter les molécules, et l’attraction, qui contrebalance cette force. Tant que la dernière de ces forces, l’attraction, est victorieuse, le corps
demeure dans l’état solide ; ces deux forces sont-elles dans un état d’équilibre, le corps devient liquide ; enfin, lorsque la force expansive de la chaleur l’emporte, le corps prend l’état aériforme. »Plus tard, en particulier dans son Traité élémentaire de chimie publié en 1789, Lavoisier appellera « calorique » ce fluide igné et exposera avec précision cette théorie des trois états :

 

« Presque tous les corps de la Nature sont susceptibles d’exister dans trois états différents : dans l’état de solidité, dans l’état de liquidité, & dans l’état aériforme… Ces trois états d’un même corps dépendent de la quantité de calorique qui lui est combinée.»

 

Plus précisément, ajoute Lavoisier :

 

« Je désignerai dorénavant ces fluides aériformes sous le nom générique de gaz. »

 

Enfin, les gaz sont nés !

 

Les « trois états de la matière » – solide, liquide, gazeux – sont aujourd’hui enseignés dès les premières classes de l’école primaire. Il nous est difficile d’imaginer un temps où cela ne constituait pas une évidence. Pourtant, cette « évidence » n’a commencé qu’avec Lavoisier.

 

L’eau est la plus belle illustration de ces trois états. La température de la Terre est telle qu’elle y existe à la fois comme glace, comme liquide et comme vapeur. Parmi les « quatre éléments » de philosophes elle est la seule à avoir cette évidente propriété. Elle est aussi la dernière à être encore considérée comme un « principe ». Mais l’est-elle vraiment ? Il appartiendra à nouveau à Lavoisier de prouver qu’elle est un corps composé.

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6 août 2023 7 06 /08 /août /2023 08:36

Dans les campagnes, on se souvient du remembrement comme d’un épisode traumatique. À partir des années 1950, l’Etat français est passé outre la propriété privée pour redessiner et redistribuer les terres agricoles. Deux témoins racontent à hauteur d'enfant ce bouleversement qui les hante encore.

 

Photographie extraire du diaporama de Nicole et Félix le Garrec

Ecouter sur France Culture

 

La loi qui encadre le remembrement a permis à l’Etat français, à partir des années 50, de passer outre la propriété privée pour redessiner, remodeler, redistribuer les terres agricoles. L’objectif étant qu’elles soient plus grandes et cultivables par des tracteurs. À ce jour, aucun livre d’histoire ou de géographie critique n’a été produit sur le remembrement.

 

Jacqueline Le Goff est née en 1953 au Drennec, un village situé à vingt kilomètres de Brest. Fille d’un boulanger et d’une mère au foyer, elle vivait dans une petite ferme et passait son temps dans la nature.

 

“C'était un labyrinthe de petits chemins. On allait chercher des mûres, des châtaignes. C'était un terrain de jeu magnifique. Il y avait des bois, il y avait des clairières, des champs entourés de talus. Les talus sont des constructions humaines qui partagent les terrains, faites pour protéger les champs de l'érosion et aussi pour permettre à la faune et à la flore de se développer. Sur ces monticules de terre, il y avait des arbres.”

 

Alors qu’elle a neuf ans, elle voit sur la colline face à leur ferme des bulldozers détruire ces talus et ces arbres.

 

“C'était un remembrement, un démembrement. C'était le chaos. C'était un saccage qui m'a beaucoup marqué. C'étaient des choses que les hommes avant nous avaient fait patiemment, qu'on a détruit avec tellement de facilité.” Jacqueline

 

“Dès qu'on détruit le paysage, c'est une blessure qui s'ouvre.” Jacqueline.
 

 

Fils d’agriculteurs, Pierre Parvy est né en 1954 et a grandi dans le Limousin. Au début des années 1960, Pierre voit les tracteurs, dans les fermes alentours, remplacer les vaches qui tractaient les outils agricoles.

 

“Quand j'étais gamin, il fallait garder les vaches. Il n'y avait pas de clôtures électriques, automatiques. Donc on partait le matin avec le casse-croûte de la journée et on allait partager la journée avec les vaches. On retrouvait les autres gosses du village et on passait la journée ensemble. C'était vraiment le paradis.” Pierre

 

Avec l’arrivée des bulldozers, Pierre voit s’empiler les arbres coupés et les talus être détruits. Face à ce qui est vécu comme des actes d’une grande violence, des paysans s’allongent devant ces engins, d’autres, ayant perdu leurs terres, tentent de se suicider.

 

“Les paysans membres de la commission de remembrement étaient perçus par les autres comme des traîtres, comme ceux qui les abandonnaient.” Pierre

 

“La modification de la biodiversité a été considérable. Avant le remembrement, il y avait une vie, il y avait des oiseaux, il y avait des rongeurs, il y avait des insectes. Et là, après le passage des bulldozers, il n'y avait plus rien.” Pierre

 

“Mon père disait que le remembrement allait améliorer la vie du paysan. Cinquante ans après, quelle est la vie du paysan ? Dans mon petit village de cinquante habitants avec ses sept familles de paysans, aujourd'hui il n’y a plus qu'un seul paysan.” Pierre
 

Merci à Jacqueline Le Goff, Pierre Parvy, Yveline, Morgan Large, Valentin Lacambre, Léandre Mandard et Alice Sternberg.

    Reportage : Inès Léraud
    Réalisation : David Jacubowiez
    Mixage : Marie-Claire Oumabady

 

Lire également :

 


Projection du diaporama « Le Remembrement » de Félix et Nicole Le Garrec à Trébrivan. 29 septembre 2023.

 

L’association Les Amis de Nicole et Félix Le Garrec organise ce samedi 30 septembre, à 14 h 30, à la salle polyvalente de Trébrivan, une projection du diaporama sonore Le Remembrement, en présence des deux réalisateurs.
Ces photos et témoignages ont été réalisés en 1973 et 1974 à Trébrivan. À l’époque, la commune se déchire sur l’épineuse question du « remembrement », ce redécoupage des terres agricoles, dicté par le ministère de l’Agriculture pour augmenter les capacités de production du pays.

 

« Nicole et Félix Le Garrec se sont rendus à de multiples reprises en centre Bretagne, notamment à Trébrivan et Plonévez-du-Faou, et ont réalisé leur premier diaporama pour donner la parole à celles et ceux qui se mobilisaient contre le remembrement », explique Erwan Moalic, le président de l’association. « Par des manifestations, celle où les contestataires envahirent le conseil municipal de Plonévez-du-Faou et, celle, le 8 mai 1974, où ils obstruèrent l’accès à la mairie de Trébrivan pour tenter de bloquer une enquête d’utilité publique sur le remembrement », poursuit-il. Félix et Nicole Le Garrec se feront par la suite connaître avec leur film Plogoff, des pierres contre des fusils, sorti en 1980, tourné en plein cœur des événements qui secouèrent le cap Sizun, pressenti alors pour abriter une centrale nucléaire.

 

Un diaporama qui refait surface

 

Le diaporama sonore Le Remembrement a été acquis par le musée de Bretagne, à l’initiative de son premier directeur, Jean-Yves Veillard en 1976, principalement dans le but de le diffuser dans la salle contemporaine du musée, ouverte en 1975. À l’automne 2022, le musée retrouve dans ses collections ce diaporama et lance sa restauration et sa numérisation par les sociétés carhaisiennes Carrément à l’Ouest et Chuuttt Atelier sonore.

 

Quid, cinquante ans plus tard des vieilles rancunes, à Trébrivan, autour du remembrement ? « Loin de nous le désir de raviver des tensions, nous cherchons simplement à faire connaître cette page particulière de l’histoire de Trébrivan et espérons pour se faire, une participation importante de la population », explique le maire, Fabrice Even. « Cela permettra aux jeunes générations et aux nouveaux habitants, de découvrir et de comprendre cette période tumultueuse de l’histoire trébrivanaise. »

 

Sur tébéo :

 

https://www.tebeo.bzh/video/trebrivan-projection-dun-diaporama-de-felix-et-nicole-le-garrec-sur-le-remembrement-en-bretagne/

 

 

Sur le site de Félix et Nicole le Garrec.

 

Nous sommes en 1972, en plein remembrement. Le problème prend une acuité particulière dans un pays de bocage comme la Bretagne massivement agricole et en particulier à Trébrivan.

 

 

 

Extrait de S-eau-S, l'eau en danger. (Golias, 2000)

 

 Reconstruire les paysages

 

Décembre 1992, dans un champ au dessus de la rivière Elorn une trentaine de personnes s’occupent à reconstruire un talus à l’ancienne dans un champ travaillé par Goulven Thomin, agriculteur bio.

 

Le maître d’œuvre, Mikael Madec, est bien connu en Bretagne comme le collecteur assidu des gestes et des mots de la vie traditionnelle. Auteur d’un livre en breton sur la construction des talus, il a su mettre la main à la pâte et retrouver les méthodes anciennes. Sous sa direction donc, une équipe découpe les mottes, une autre les véhicule avec précaution, la troisième se livre au délicat travail de l’assemblage. En trois heures, malgré la pluie fine, une centaine de mètres d’un beau talus arrondi est monté.

 

Il ne reste plus qu’à s’attabler devant le solide casse - croûte qui est de tradition quand Goulven invite ses amis à un « grand chantier ».

 

 

Naturellement l’opération est symbolique. Cette parcelle avait jadis été remembrée de force. Son propriétaire, Jean Tanguy, s’était placé devant les engins venus araser ses talus, il avait fallu faire intervenir la gendarmerie.

 

Il s’agissait donc de rappeler à tous ceux qui semblaient les avoir oubliées, les multiples fonctions des talus : remparts contre les vents dominants, barrières contre le ruissellement, pièges pour les nitrates et les pesticides, refuges pour les plantes et les animaux « sauvages », facteurs d’équilibre biologiques.

 

Bien sûr, 100m de talus reconstruits n’allaient pas inverser à eux seuls la tendance. Les bulldozers du remembrement en avait détruit 200 000 km !

 

Sur la parcelle voisine, pour parfaire la démonstration, un tracto-pelle travaillait lui aussi à remonter un talus. Chacun pouvait apprécier la meilleure qualité esthétique du talus « fait main » mais reconnaissait cependant que le travail mécanique faisait quand même moins mal aux reins. Il ne s’agissait pas de « retourner à la marine à voile », comme le faisait remarquer Jean-Yves Kermarrec, un des pionniers de la lutte pour la protection de l’environnement dans le secteur. Les nouveaux paysans ont une vision très « nouvelle » de la vie. L’informatique, internet, ne leur font pas peur, pas plus que le tracteur, quand il est manié de façon conviviale. Ce qu’un engin a démoli, un autre engin peut le reconstruire !

 

Reste à espérer que la course engagée entre ceux qui redressent les talus et ceux qui les détruisent tournera à l’avantage des premiers.

 

 

 

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