On ne peut que le constater, l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics qui leur sont rattachés sont bien loin de faire respecter le droit reconnu à chacun, par la loi, de "respirer un air qui ne nuise pas à sa santé". Mais qui le sait.
Qui le sait ? Beaucoup plus de personnes "qualifiées" et d'institutions que nous ne pourrions le penser. Faut-il rappeler la suite de rapports que nous avons présentés dans les chapitres précédents et dont nous donnons la liste en fin d'ouvrage ? Peut-on feindre d'ignorer les 42 000 morts prématurés, en France, chaque année ?
Pourtant rares sont les moments où cette connaissance descend au niveau de chacune et chacun d'entre nous et plus rares encore sont les décisions qui en découlent.
Savoir.
"Informez-vous", c'est le premier message délivré par les associations de consommateurs et de protection de l'environnement. Chacun en France peut connaître aujourd'hui, s'il le souhaite, le niveau de pollution de l'eau qu'il consomme. Le temps n'est pourtant pas si éloigné où l'ignorance était la règle. En 1993, la revue "Que Choisir" décidait d'en savoir un peu plus sur la pollution des eaux de consommation par les nitrates. Elle plaçait une bande test et une mire de comparaison des couleurs obtenues dans chaque exemplaire de la revue et demandait à ses lectrices et lecteurs de lui communiquer le résultat de leur mesure. La carte publiée, indiquant une pollution généralisée avec des pics dans certaines régions, n'a pas été sans influence sur les élus et administrations locales invitées à réagir.
On se souvient encore des retraits opérés sur leurs factures d'eau par les consommateurs de Guingamp et de Saint-Brieuc qui avaient constaté un excès de nitrates à leur robinet. Leur action obligea les distributeurs à leur rembourser le prix de l'eau en bouteilles qu'ils avaient dû consommer pendant plusieurs mois et les municipalités à prendre les mesures nécessaires.
Résultat de ces différentes mobilisations : la qualité de l'eau est mieux surveillée. Depuis 1995, les collectivités en charge de la gestion de l'eau et de l'assainissement doivent fournir un "rapport annuel sur le prix et la qualité du service". Des commissions consultatives des consommateurs d'eau existent dans les collectivités territoriales les plus importantes. Les articles de presse, les radios, les télés se saisissent du sujet. Les utilisateurs qui le souhaitent savent donc pour l'essentiel quelle eau arrive à leur robinet et peuvent agir pour obtenir qu'on en améliore la qualité, même si le chemin est encore long avant qu'on parvienne à un résultat vraiment satisfaisant.
Nous savons mieux pour l'eau. Mais que sait-on de la qualité de l'air. Seules les villes dépassant 100 000 habitants ont le droit à une mesure complète et régulière des polluants liés aux combustions : oxydes d'azote et de soufre, ozone, particules fines. Leurs habitants sont-ils mieux protégés ? Quand une alerte est lancée il est déjà bien tard. Le degré de pollution a atteint, depuis de nombreuses heures, un niveau pour lequel les dommages pour les personnes sensibles, en particulier les enfants, sont immédiats. L'augmentation subite du nombre d'hospitalisations en témoigne alors.
Quant aux habitants des villes et communes moyennes ils sont supposés ne pas être concernés. Pourtant la pollution de l'air ne les épargne pas comme le montre l'exemple de mesures faites à Landivisiau dans le Finistère.
Landivisiau est une commune de 9000 habitants, au bord de la voie express qui concentre toute la circulation entre Brest, Saint-Brieuc et Rennes. Ses habitants n'auraient eu aucune idée de la pollution générée par cette proximité si l'idée n'était pas venue aux élites politico-économiques régionales de vouloir implanter une centrale électrique à gaz de forte puissance dans le voisinage immédiat des zones habitées de la commune. Et ceci, comme le font remarquer les habitants opposés à ce projet, en contradiction avec tous les engagement ministériels de lutte contre l'effet de serre et la volonté affichée de développer les énergies renouvelables. Projet donc il y a, d'où enquête publique, c'est à dire, comme à Notre-Dame-des-Landes ou à Sivens, un simulacre de consultation sur une opération décidée dans les "hauts lieux" où se perd la démocratie.
Enquête publique signifie étude d'impact et mesure du degré initial de la pollution de l'air. C'est ainsi que, même si on s'est bien gardé de faire les mesures pendant les mois d'hiver connus pour être ceux de forte pollution, les habitants de Landivisiau constatent qu'ils subissent déjà une pollution équivalente à celle mesurée à Brest et Saint-Brieuc, les deux plus grandes villes du secteur. Et que celle-ci frôle des sommets avec, en particulier, les mêmes pics aux horaires de forte circulation automobile sur la voie express voisine.
La réalité bien celle là : quand les grandes villes sont polluées, le milieu rural n'est pas épargné. Si alerte il doit y avoir elle doit pouvoir être lancée de tout point de la région concernée. Le problème est que ces alertes doivent être justifiées par une mesure locale. Obtenir la multiplication des points de mesure afin de couvrir l'ensemble du territoire est le premier combat que devront mener les associations de consommateurs et de protection de l'environnement.
Se souvenir aussi que l'information n'est que le premier stade de la mobilisation car, si le fait de savoir essentiel, encore faut-il le transformer en action.
Aux Antilles : savoir et après ?
Sans doute n'y a-t-il pas une région française où la connaissance de la pollution et de ses effets soit mieux connue qu'aux Antilles. L'affaire du chlordécone s'y est traduite par les programmes d'étude Karuprostate, pour le cancer, ou Timoun pour l'effet sur les femmes enceintes et leurs enfants. On ne peut donc pas ignorer que les hommes contaminés par le chlordécone ont un risque accru de cancer de la prostate et que les femmes enceintes risquent de mettre au monde des enfants prématurés, de faible poids ou de développement cérébral perturbé. Mais que leur propose-t-on ? Des moyens supplémentaires sont-ils déployés dans les Antilles pour traiter ces cancers spécifiques ? Les femmes dont les enfants ont été classés "à risque" en ont-elles été informées ? Des mesures spécifiques sont-elles prévues pour les aider et suivre leurs enfants dans leur développement physique et intellectuel. Ne leur laisse-t-on, en échange de leur participation volontaire à l'étude qui les concernait, que le poids d'un sentiment de culpabilité impuissante ? Et pour ce qui concerne les femmes en désir d'enfant, faut-il leur conseiller de faire analyser au préalable leur sang pour y détecter le taux des polluants qui imprègnent leur corps. Peut-on leur indiquer un moyen de s'en débarrasser ou existe-t-il un moyen d'en prévenir les effets. Savoir sans rien pouvoir ne serait-elle pas la pire des épreuves ?
Et la culpabilisation ne s'arrête pas au seuil de la maternité. Comment nourrir sa famille dans une région dont on découvre que les sols sont contaminés pour des siècles.
Visite au jardin créole.
Dans les îles de la Caraïbe, le "jardin créole", qui fournit aux populations une part de leur autonomie alimentaire, est un héritage des civilisations amérindiennes et africaines. Cet élément incontournable du paysage rural et culturel des Antilles est un concentré d'agro-écologie. Sur à peine 200m2, fourmillent une multitude de plantes vivrières, fruitières, aromatiques, médicinales, destinées principalement à l'autoconsommation familiale. Comme dans une forêt, les espèces sont agencées de manière à occuper une "niche écologique" permettant leur coexistence et leur coopération. Sur un même carré de terre on voit pousser cinq légumes différents : du choux paumé, des carottes, de la patate douce, de l'igname, du céleri... Chacun attire des insectes différents qui se neutralisent les uns les autres. Certaines plantes offrent des services à leur voisine: elles peuvent capter l’azote de l'air pour le fournir aux autres plantes, ou encore couvrir le sol et éviter l’érosion et la pousse de plantes indésirables. Des chercheurs du centre Inra Antilles-Guyane, des agronomes, des mathématiciens, des informaticiens, des écologues étudient les associations végétales de ces jardins créoles et les techniques traditionnelles qui y fleurissent.
Et pourtant les jardins créoles sont aujourd'hui présentés comme un danger dont il faut se prémunir. Installés à proximité des zones bananières ou sur des sols ayant été occupés par cette culture, certains sont gorgés de chlordécone. Pendant des années personne ne s'en est préoccupé mais quand a éclaté "l'affaire Belpomme", c'est à dire la tempête médiatique déclenchée par les révélations du cancérologue, la ministre de la santé Roselyne Bachelot, s’était précipitée pour annoncer le renforcement des LMR (limites maximales de résidu) les faisant passer de 50 microgrammes à 20 microgrammes par kilogramme d'aliment. Sous le prétexte de chercher à étouffer le scandale enfin dénoncé en métropole, elle raidissait les normes à défaut de pouvoir éliminer la pollution. Elle créait, ainsi, une panique dans la population antillaise : que consommer de son jardin, que vendre sur les marchés ?
Pour enterrer un problème politique on crée une "commission", pour noyer un problème environnemental, on rédige un "programme". Dans le cas présent le programme s'appelle JAFA (programme de santé Jardins Familiaux). Il a pour but de dissuader les Antillais de consommer les produits de leur jardin.
Une présentation de ce programme par le "Comité Guadeloupéen d'Éducation pour la santé" et les Directions de "la Solidarité et du Développement Social" de Guadeloupe et Martinique montre des cartes où de larges plages de points rouges ciblent les zones contaminées. L'objectif est clairement annoncé : "amener 50% des personnes à risque s’alimentant à partir de jardins familiaux ou de circuits courts de distribution, à limiter la fréquence de consommation de légumes racines (madère, patate douce, igname) à 2 fois par semaine maximum - Amener 20% des personnes à risque s’alimentant à partir de jardins familiaux à diversifier leurs cultures avec d’autres alternatives telles que : fruit à pain, poyo, banane, pois d’Angole, giromon".
Le paradis antillais serait donc devenu l'équivalent d'un Tchernobyl ou d'un Fukushima où il faut se munir d'un compteur Geiger avant d'aller faire son marché. Là-bas, le menu de la semaine doit être programmé en fonction de la radioactivité ingérée. Ici faudra-t-il établir, chaque semaine, le bilan du chlordécone absorbé par les membres de la famille. Sommes nous les observateurs d'une nouvelle diététique qui aurait pour fonction non plus de choisir le meilleur de l'alimentation mais d'en éliminer le pire.
Limiter la consommation de produits du jardin ? Mais ce sont les familles les plus modestes qui en sont les premières consommatrices. Que trouve-t-on parmi les propositions qui leur sont faites pour remplacer les moyens qu'elles s'étaient données de subvenir à leur besoins : l'assistanat sous forme de portage de repas ou d'épicerie sociale... et, cerise sur le gâteau, dans le document qu'elles ont rédigé, ces directions chargées "d'éducation à la santé" et de "développement social", osent proposer, afin d'éviter les pratiques nutritionnelles à risque, le "remplacement des ignames par des chips" !
Du jardin jusqu'au champ.
Côté agriculteurs, la situation est de même nature. Un arrêté préfectoral du 20 octobre 2003 régit les conditions de plantation et de culture de certaines productions végétales en Guadeloupe. Il rend obligatoire l’analyse du chlordécone dans le sol avant mise en culture pour tous les producteurs de produits vivriers et maraîchers (légumes racines, ignames, dachines, madères, patates douces... ). Si les résultats sont négatifs, l’agriculteur peut mettre en place sa culture sans condition. Dans le cas contraire, il est incité à choisir une autre production et, s’il persiste dans son intention, il est tenu de faire analyser ses produits avant sa mise en marché et de les détruire s'il y trouve du chlordécone.
Ce sont donc les agriculteurs, et eux seuls, qui doivent assumer la responsabilité de produire des légumes exempts de pollution au chlordécone. Ce que dénonce l'Union des Producteurs Agricoles de la Guadeloupe (UPG). Ils ne contestent pas la nécessité d'informer sur la présence de cette substance dans les sols, dans l’eau, les denrées alimentaires, les végétaux, les animaux. Mais il est inadmissible, disent-ils, que, aujourd’hui, "les agriculteurs soient les seuls pointés du doigt par la population dans ce problème. Il faut clairement établir les responsabilités de chacun et les divulguer car les agriculteurs sont des victimes dans cette affaire. Ce ne sont pas eux qui ont autorisé la mise en marché de cette molécule ni eux qui l’ont produite !!! ". En autorisant l'usage du chlordécone dans les Antilles, constatent-ils, "les arrêtés ministériels et les règlements phytosanitaires de 1972 appliqués en métropole ont été bafoués par des administratifs de plus haut lieu afin que les lobbies locaux commerçants puissent mettre en marché ce produit dangereux interdit depuis 1973 en métropole. L’État a commis une faute grave et par conséquent doit la réparer".
Réparer d'abord en indemnisant les agriculteurs pénalisés et ils rappellent les sommes allouées aux agriculteurs bretons pour réduire leurs épandages sur les zones où prolifèrent les algues vertes. Réparer en aidant à la reconversion des cultures. Réparer en établissant une cartographie précise des sols contaminés. Réparer en donnant tous les moyens humains et financiers à la recherche pour leur décontamination. Pourtant, nous le savons, la réparation devra tenir compte du temps de réaction des éléments naturels. Au moins pourrions nous accélérer le processus en appliquant la recommandation du rapport d'évaluation des plans d'action chlordécone aux Antilles présenté en octobre 2009 :
"Développer "une agriculture sans pesticides" sur tout le territoire devient donc indispensable".
A condition qu'on leur apporte toute l'aide nécessaire, nos compatriotes des Antilles, ayant subi, plus que d'autres, les effets de molécules chimiques qui affecteront plusieurs générations, peuvent gagner ce combat pour la suppression totale de l'usage des pesticides chez eux. Une première victoire qui devrait inspirer les autres régions métropolitaines.
Savoir en Bretagne et après ?
"Ce n'est pas un hasard si la même équipe d'épidémiologie qui est en train d'étudier ce qui se passe aux Antilles vient de Rennes. Donc ça veut dire que le cœur de l'épidémiologie des effets des pesticides est en Bretagne et qu'on a délocalisé une équipe sur les Antilles", déclarait le professeur Narbonne, toxicologue invité par Benoît Duquesne à l'émission "Chlordécone : poison durable" de la chaîne de télévision Public-Sénat .
Souvenons-nous des deux scientifiques de l'Inserm déclarant qu'il n'était pas anodin de vivre à proximité d'une zone agricole et de l'étude Pélagie qui concluait que l'exposition à l'atrazine, même à des niveaux faibles, "augmente les risques d'anomalie de croissance dans l'utérus, avec un faible poids de naissance, qui peut être un handicap pour le développement du bébé, et un périmètre crânien plus petit, ce qui n'est pas bon pour le système nerveux central".
Et les mêmes questions se posent. Ces mères bretonnes concernées par un résultat "à risques" en ont-elles été informées ? Traitant de la confidentialité des résultats de telles enquêtes, une publication de L'InVS (Institut de veille sanitaire) de juin 2009 rappelle que "la communication est essentielle, autant pour obtenir un véritable consentement éclairé de la part des volontaires participant aux études que pour les informer des résultats. Conformément à la Directive européenne sur la vie privée, les participants ont généralement le droit de connaître leurs résultats individuels, mais également celui de ne pas les connaître s’ils le désirent". Il faut souligner le civisme et le courage des femmes qui acceptent de participer à une telle étude mais ont-elles toutes envie de connaître une vérité aussi perturbante quand elles savent que c'est trop tard et que de toutes façons elles seront seules avec leurs proches pour accompagner le développement de leur enfant. Donnons leur au moins la satisfaction de savoir que des leçons seront tirées de leur expérience afin de permettre à d'autres de se prémunir de tels risques et surtout d'éliminer les causes de ce risque.
D'autres questions restent sans réponse. Les sols antillais ont été analysés, mais où sont les analyses de pesticides dans les sols métropolitains, quels taux de pesticides dans les cultures qui y sont produites ?
Pour en revenir au pesticide analysé dans l'étude Pélagie, l'atrazine, il est présent sur l'ensemble du territoire français. Son transfert du sol à l'animal et à l'homme a fait l'objet de plusieurs études. Extrêmement persistante, la molécule est encore présente plusieurs années après son interdiction dans les sols traités et se transmet, en particulier, aux céréales et au maïs, aliments des animaux d'élevage. Chez les mammifères elle peut passer dans le lait. Une publication du Centre National Interprofessionnel de l'économie laitière (Cniel) fait état d'une étude menée en 1989 qui a mis en évidence la présence de nombreux métabolites de l'atrazine chez des chèvres en lactation. Une autre étude menée entre 1983 et 1989 sur le lait de vache révèle des taux de triazines pouvant atteindre 0,033mg/kg soit 330 fois la dose maximale admissible dans l'eau de boisson.
L'essentiel du lait produit en France provient d'élevages hors-sol gros consommateurs de pesticides, faudrait-il conseiller aux familles métropolitaines, surtout aux femmes enceintes et aux enfants, de limiter leur consommation de produits lactés comme on a conseillé aux familles antillaises de limiter la consommation de produits de leur jardin ou de leur marché habituel ?
De plus en plus de personnes choisissent de ne consommer que du lait bio, mais c'est toute la filière qui devrait prendre conscience, dans son intérêt même, de la nécessité de mettre un terme à l'usage des pesticides. Car si l'atrazine fait l'objet de recherches, il reste à faire le bilan de tous les pesticides actuellement utilisés et qui se transmettent à l'homme par son alimentation. A commencer par le nouveau "désherbant miracle", celui qui occupe la part essentielle du marché : le glyphosate et son produit de dégradation l'AMPA.
Glyphosate, à quand les mesures de sa présence dans l'air ?
Nous avons déjà cité les travaux de Gilles-Éric Séralini et de Robert Bellé sur les effets mutagènes et cancérogènes des pesticides à base de glyphosate. Une étude américaine portant sur la présence de glyphosate dans le lait maternel a révélé des taux compris entre 76μg/kg et 166μg/kg soit de 760 à 1660 fois le niveau maximal admis pour l'eau. Les sources de contamination sont nombreuses : l'eau et la nourriture, mais aussi, et peut-être surtout : l'air.
Dans l'air, le glyphosate se trouve essentiellement sous forme de particules fines. Très soluble dans l'eau il peut être fortement absorbé par la respiration. Cette solubilité dans l'eau le rend, par ailleurs, insensible à l’extraction par solvant organique, contrairement aux autres herbicides. Sa mesure nécessite la mise en oeuvre d’une méthode spécifique. Elle existe : une campagne de mesures a été menée par l'INERIS (Institut national de l'environnement industriel et des risques) en 2012 pour la valider sur le terrain. L’objectif était également "de pouvoir disposer de données de concentrations dans l’air du glyphosate et d’étudier la dispersion effective de ce composé dans l’air, suite au traitement de parcelles agricoles".
Des capteurs étaient placés en limite de la parcelle traitée. Grâce à un suivi sur 24h, une évolution des concentrations ambiantes avait été notée. "Les résultats obtenus montrent des niveaux de concentrations quantifiables, avec une augmentation de la teneur en glyphosate à partir du jour de traitement (0,25 à 0,54 ng/m3) par rapport aux jours précédant le traitement (0,03 à 0,07 ng/m3). De plus, cette augmentation de la concentration a également été constatée les jours suivants le traitement, mettant en évidence une certaine rémanence de la substance dans l’air".
Une étude souvent citée est celle réalisée en 2007 dans l’État du Mississippi par "l’US Geological Survey". Elle révèle que le Roundup (dont, rappelons-le, la molécule active est le glyphosate) et le sous-produit toxique de sa dégradation (AMPA) ont été trouvés dans plus de 75% des échantillons d’air et de pluie testés.
En France, aucune obligation réglementaire n'oblige à mesurer la concentration en pesticides dans l'air malgré leur toxicité. Les initiatives qui sont prises sont le fait des seules associations régionales. Durant le printemps 2006, Airparif a réalisé une campagne exploratoire "pesticides". Plus de 5200 analyses menées sur cinq sites et 80 pesticides ont permis de mettre en évidence la présence de ces composés aussi bien en zone rurale qu’en zone urbaine. Les associations agréées pour la surveillance de la qualité de l'air de plusieurs régions ont engagé la même démarche. Faute de moyens matériels, humains et financiers, leurs résultats sont nécessairement limités. Pourtant tous indiquent une forte pollution de l'air.
Des molécules particulièrement agressives sont relevées, dont certaines interdites depuis plusieurs années (Lindane, atrazine...). Un absent cependant dans ces mesures : le glyphosate et son produit de dégradation l'AMPA. Ils viennent pourtant en tête des 10 substances les plus fréquemment détectées dans l'eau des rivières. Pourquoi si peu de mesures et de résultats dans l'air. Si des méthodes particulières sont nécessaires étant donné la nature du produit, nous avons vu qu'elles existent. Étudier les effets des pesticides longtemps utilisés et aujourd'hui interdits est certainement une démarche riche d'enseignements sur le plan scientifique. Mesurer ceux qui les ont remplacés, afin de se prémunir de leurs effets, est encore plus urgent.
Mais ce refus de savoir ne cache-t-il pas le refus de vouloir agir ?
Vouloir ? Le Grenelle ou l'échec en spectacle.
Un sommet de démagogie : le "Grenelle" de l'Environnement mis en scène par Nicolas Sarkozy avec Al Gore, en vedette américaine. Une fois les projecteurs éteints et les caméras remisées, chacun a peu constater le retour à la bonne vieille politique et le décès des illusions avec en guise de faire-part, le mot présidentiel : "l'environnement, ça commence à bien faire! "
Pourtant, sept ans plus tard on en parle encore : "Pesticides : constat d’échec pour le plan Ecophyto" titrait une partie de la presse en décembre 2014 après la publication d'un rapport parlementaire présenté sur le sujet par le député de Meurthe-et-Moselle, Dominique Potier. Ecophyto, plan de réduction de l’usage des pesticides, avait été lancé par le Grenelle de l’environnement en 2008. Six ans plus tard, il faisait la preuve de son incapacité à inverser la dépendance de l’agriculture française à la chimie.
Encore un rapport donc.
Le Plan Ecophyto visait à diviser de moitié, "si possible", l’usage des produits phytosanitaires aussi bien en zone agricole qu’en ville et dans les jardins. Faut-il s'en étonner, dans le couple fournisseurs/utilisateurs de pesticides, chacun avait compris le message : "cela n'allait pas être possible". Résultat : hausse de 5% en moyenne entre 2009 et 2013 avec plus de 9% pour l’année 2013. Un nouveau "plan", aussi peu contraignant que le premier, est donc proposé qui reporterait à 2025 la réduction de 50% promise en 2007.
Exemple de cette nouvelle "radicalité" : de nouveaux pesticides, les néonicotinoïdes, se sont révélés extrêmement nocifs pour les abeilles. Le sénateur écologiste, Joël Labbé, propose un texte au vote du Sénat qui, modestement, "Invite le Gouvernement français à agir auprès de l'Union européenne pour une interdiction de toutes les utilisations de ces substances néonicotinoïdes tant que les risques graves pour la santé humaine, animale et l'environnement ne seront pas écartés". Résultat : 64 pour, 248 contre. Le sénateur Labbé en arrache sa cravate de dépit.
Que propose le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll, en échange ? "Reporter leur utilisation le soir, quand les abeilles ne butinent pas". Ce qui fait dire au journaliste du Canard Enchaîné qui rapporte le propos : "Le plan Ecophyto est donc bien parti. Rendez-vous en 2025 pour la poilade".
Inutile donc de nous attarder sur les "68 recommandations" du rapport suivies par les "nouvelles orientations" annoncées en janvier 2015 par le ministre. Cependant, plusieurs des constats qui y sont faits méritent la lecture tant ils illustrent, par contraste, l'extrême faiblesse des propositions.
"Air et sols : terra incognita", tel est le titre du chapitre qui met en évidence le manque de données sur la pollution de l'air et des sols par les pesticides. Ce rapport rappelle en premier lieu qu'une forte proportion de ceux qui sont épandus n'atteignent pas leur cible et sont directement reçus par le sol et l'air. Pourtant reconnaît le rapporteur, on ignore pratiquement tout de leur action et de leur devenir, en particulier dans l'air.
L'analyse des mesures éparses déjà réalisées "établit clairement l'existence d'une contamination, sinon généralisée, du moins récurrente de l'air par les phytosanitaires. Elle porte de façon très nette l'emprunte des usages agricoles, tant par la nature des molécules retrouvées que par l'allure des variations géographiques et saisonnières. De ce constat découle la double nécessité d'une évaluation des expositions par voie respiratoire de la population (et pas seulement des usagers directs des phytosanitaires)". Et cela nous ramène à nos propositions déjà énoncées pour les particules fines : la multiplication des points de mesure de la qualité de l'air et l'attribution de moyens humains et financiers aux organismes qui en sont chargés.
La guerre à la chimie ?
Le moment est peut-être venu de citer la citation inscrite en préface de ce rapport : "Le XXe siècle a été le siècle de l'hygiène bactériologique. Le XXIe siècle doit être le siècle de l'hygiène chimique".
Une déclaration de guerre aux pesticides et autres perturbateurs endocriniens ? On ne peut qu'applaudir ! Mais, au fait, de qui cette phrase ? Rien moins que de François Hollande, président de la République, dans son discours d'ouverture de la Conférence Environnementale du 27 novembre 2014. Après la célèbre tirade, "mon adversaire, c'est le monde de la finance", faut-il traduire "mon ennemi, c'est la chimie" ?
Est-il utile de rappeler que la chimie, n'est pas uniquement une activité industrielle génératrice de gaspillages et de pollutions uniquement orientée vers le profit maximal de ses actionnaires. C'est d'abord une science de la matière qui irrigue toutes les branches du savoir, dont la fonction est en premier lieu de répondre à notre curiosité concernant le fonctionnement du monde et dont les applications devraient se limiter à nous rendre la vie quotidienne plus agréable. L'hygiène "bactériologique" elle même est d'abord passée par le plus simple des produits "chimiques" : le savon, un corps issu d'une chimie conviviale, huile d'olive et cendre de salicorne, dont on attribue parfois l'invention à nos ancêtres les gaulois.
Pourtant l'expression présidentielle mérite d'être prise au mot si, par "hygiène chimique", le chef de l’État reconnaît la responsabilité des substances, diffusées massivement par l'industrie chimique, dans l’épidémie contemporaine de maladies telles que cancers, malformations congénitales, diabètes, troubles neurologiques et cardiovasculaires.
Hélas, rien ne laisse penser que cette prise de conscience amène à la décision de les interdire, aussi toxiques soient-elles.